Texte intégral
- 1 Homi Bhabha, Jonathan Rutherford, « Le tiers-espace », Multitudes, vol. 26, n°3, 2006, p. 100 ; éga (...)
Le processus d’hybridité culturelle donne naissance à quelque chose de différent, quelque chose de neuf, que l’on ne peut reconnaître, un nouveau terrain de négociation du sens et de la représentation.
(Homi Bhabha, « Le tiers-espace» 1)
- 2 Voir, par exemple, Henri Boyer (dir.), Hybrides linguistiques : Genèses, statuts, fonctionnements, (...)
- 3 En biologie, l'adjectif hybride s'applique à quelque chose qui est composé de plusieurs éléments. D (...)
- 4 Les définitions dans différentes sources sont assez semblables. Par exemple, le Dictionnaire de lin (...)
1Dans cette contribution, nous voudrions interroger la notion d’hybridité qui commence à émerger en linguistique depuis quelques années dans différentes publications et manifestations scientifiques2. La notion d’« hybridité » est largement utilisé dans les sciences et, notamment, en biologie3 et en linguistique4. Nous tenterons de voir, à travers l’observation de ses manifestations dans les œuvres littéraires, dans les brouillons et dans la correspondance des écrivains, si elle est pertinente également pour les études du plurilinguisme littéraire.
2Dans notre réflexion, nous partons de l’idée que le concept d’hybridité pourrait constituer un outil théorique précieux qui permet d’appréhender, de théoriser et d’analyser les manifestations du plurilinguisme des auteurs qui écrivent et vivent entre les langues et en plusieurs langues.
- 5 L’hétérolinguisme peut être défini comme « la présence dans un texte d'idiomes étrangers, sous quel (...)
- 6 Olga Anokhina, « Multilingual writers and metalinguistic awareness: Can we use manuscripts as a bas (...)
3Dans l’écriture, l’hybridité se manifeste dans un texte littéraire de la manière la plus flagrante par un mélange des langues désigné comme code-switching ou comme hétérolinguisme5. Si la notion de code-switching décrit un phénomène linguistique concret, à savoir l’alternance de codes linguistiques au sein du même énoncé, empiriquement observable dans le discours oral des locuteurs plurilingues et dans les écrits (notamment, dans les brouillons et dans la correspondance des écrivains plurilingues), le concept d’hybridité pourrait peut-être aller plus loin, en mettant davantage en lumière la complexité de l’interaction des langues chez un locuteur lambda ou chez un écrivain (qui peut être considéré comme scripteur expert6).
4Si l’imbrication des langues se manifeste sur le plan linguistique dans la production textuelle où il est aisé de l’observer, elle existe bien évidemment en amont, au niveau psychique d’un individu, mais aussi sur les plans cognitif et identitaire, qui sont tous intimement liés. Ainsi, l’hybridité linguistique questionne et, en réalité, révèle l’hybridité cognitive et identitaire qui caractérise tout locuteur plurilingue, et donc tout écrivain plurilingue.
- 7 Voir les travaux d’Emilio Sciarrino sur les écrivains italiens plurilingues et, en particulier, Emi (...)
- 8 À ce sujet, voir les importants travaux sur les écrivains allemands plurilingues de Dirk Weissmann, (...)
- 9 Au sujet du plurilinguisme littéraire au XIXe siècle, voir deux contributions essentielles : Olga A (...)
- 10 Il existe un grand nombre de travaux dans ce domaine qu’il serait impossible de citer ici. On peut (...)
5L’hybridité linguistique est en effet présente d’une manière ou d’une autre dans les œuvres publiées de nombreux écrivains, que cela soit des écrivains chicanos (Gloria Anzaldúa, Ana Castillo, Sandra Cisneros, Lorna Dee Cervantes, Richard Vázquez, Susana Chávez-Silverman, Gina Valdés...), des auteurs russes (Alexandre Pouchkine, Léon Tolstoï, Ivan Tourguéniev, Elsa Triolet...), italiens (Francesco Pétrarque, Alessandro Manzoni, Giuseppe Ungaretti, Amelia Rosselli, Edoardo Sanguineti, Patrizia Vicinelli…)7, allemands (Goethe, Rainer Maria Rilke, Paul Celan, Handke, Emine Sevgi, Anne Weber…)8, polonais (Adam Mickiewicz, Zygmunt Krasiński…), roumains (Alecu Russo, Mihail Kogălniceanu, Émile Cioran…), grecs (Dionýsios Solomós) du XIX-XX siècle9 ou encore chez de nombreux écrivains maghrébins (Rachid Boudjedra, Assia Djebar, Kateb Yacine…) et africains (Ahmadou Kourouma, Sony Labou Tansi, Jean-Joseph Rabearivelo…)10, pour ne donner que ces quelques exemples. Dans tous ces cas de figure, il s’agit de l’hybridité interne (identitaire et cognitive) qui s’extériorise dans la production littéraire de ces auteurs, en se manifestant sous forme de l’hybridité linguistique, qu’on désignerait alors comme l’hybridité externe.
- 11 Sur l’approche génétique, basée sur l’analyse des brouillons des écrivains, voir Almuth Grésillon, (...)
- 12 Sur le lien entre l’approche génétique et les sciences cognitives, voir Olga Anokhina, Compte rendu(...)
- 13 Pierre-Marc de Biasi, La Génétique des textes, Paris, Nathan, 2000 ; et Pierre-Marc de Biasi, « De (...)
- 14 Un numéro thématique de la Revue internationale de critique génétique Genesis a été consacré à ce s (...)
- 15 La psychologie cognitive parlerait, dans ce contexte, d’une « instance de contrôle ».
- 16 Olga Anokhina et Aurelia Arcocha (dir.), Creación, traducción, autotraducción, Bilbao-Madrid, Euska (...)
6Les chercheurs qui travaillent sur les brouillons des écrivains11 ont l’habitude de distinguer entre les traces et les processus qui ont mené à l’élaboration des textes littéraires, entre les opérations scripturaires observables et leurs mécanismes cognitifs sous-jacents12, soit entre l’endogenèse et l’exogenèse13. Quant aux documents de travail des écrivains plurilingues, ils permettent d’observer le processus d’hybridation lors des étapes préparatoires d’une œuvre14. On constate alors souvent que cette hybridation, qui se manifeste avec force tout au long du processus créatif, se trouve censurée au moment final de la publication soit par l’écrivain lui-même15, soit par les instances éditoriales, l’objectif étant –dans les deux cas– de présenter une œuvre monolingue d’un auteur prétendu monolingue à un lectorat prétendument monolingue16.
- 17 Les archives de l’écrivain qui contiennent de nombreux manuscrits, ainsi que les carnets, la corres (...)
7À présent, portons notre attention sur l’hybridité qui se réalise sur le plan linguistique dans les œuvres littéraires. À ce titre, l’un des exemples les plus flagrants est le roman de Léon Tolstoï Guerre et Paix. Écrit dans une sorte de mélange de français et de russe – surtout dans les stades les plus antérieurs du processus créatif – comme le montrent de nombreux brouillons conservés de cette œuvre17, le roman fut ensuite « nettoyé », autant par Tolstoï lui-même avant la première publication, que par son épouse et les secrétaires de l’écrivain lors de la réédition de l’œuvre. Ainsi, si l’on compare deux premières éditions de Guerre et Paix, on constate que la deuxième édition contient beaucoup moins d’éléments hétérolingues, qu’on peut appeler « les marqueurs d’hybridité », que la première édition. Toutefois, malgré les efforts importants entrepris pour lisser ce texte profondément hybride, les vestiges de son hybridité linguistique –mais aussi l’hybridité identitaire et culturelle de l’écrivain, tout comme, au fond, celle de toute une génération et toute une couche de société de ses contemporains lettrés–, transparaissent néanmoins, avec la présence de la langue française dans les premières pages du roman et dans les dialogues.
- 18 Une partie de nos travaux porte sur le plurilinguisme latent et manifeste de Vladimir Nabokov. Voir (...)
- 19 Olga Anokhina, « Écrivains russes du XIXe siècle : écrivains plurilingues ? », in Olga Anokhina, Ti (...)
- 20 À ce sujet, voir les travaux cités en note 9.
8Généralement, les études du plurilinguisme littéraire questionnent les pratiques scripturaires et créatives individuelles de tel ou tel écrivain (Beckett, Nabokov18, Némirovsky, etc.). Or, on n’écrit jamais pour soi-même (sauf dans le cas de journaux intimes). Par conséquent, on vise toujours un certain lectorat –ou l’idée que l’on s’en fait– et l’on nourrit toujours certaines attentes quant à la réception de ses écrits. Ainsi, le plurilinguisme de Tolstoï, qui trouve sa manifestation dans l’hybridité linguistique de ses documents préparatoires et dans ses œuvres publiées, ne fait que révéler la caractéristique essentielle des élites russes19 et, à titre plus général, l’ensemble des élites européennes du XIX siècle auxquelles le roman est destiné20.
- 21 Selon le critique Raymund Paredes, la littérature mexico-américaine s'est imposée comme un élément (...)
9Nous observons un phénomène similaire avec la literatura chicana, évoquée plus haut, dont le caractère profondément et intrinsèquement hybride est propre à tout un ensemble de locuteurs qui peuvent être définis comme les mexicains émigrés aux USA21. Dans ce cas précis, la littérature ne fait que cristalliser et mettre en exergue un phénomène linguistique particulier qui est le spanglish.
10Dans ces conditions, il semble tout à fait naturel de lancer les traductions non seulement des œuvres produites en spanglish vers d’autres langues, mais aussi dans le sens inverse, vers le spanglish, comme le fait avec (im)pertinence et brio Ilan Stavans, professeur à l’Université de Columbia, en traduisant Le Don Quichotte/Don Quijote vers cette langue hybride, pratiquée par plus de 40 millions de personnes :
- 22 Don Quixote of La Mancha, traduit et adapté en spanglish par Ilan Stavans, 2018.
In un placete de La Mancha of which nombre no quiero remembrearme, vivía, not so long ago, uno de esos gentlemen who always tienen una lanza in the rack, una buckler antigua, a skinny caballo y un grayhound para el chase. A cazuela with más beef than mutón, carne choppeada para la dinner, un omelet pa' los Sábados, lentil pa' los Viernes, y algún pigeon como delicacy especial pa' los Domingos, consumían tres cuarers de su income. El resto lo employaba en una coat de broadcloth y en soketes de velvetín pa' los holidays, with sus slippers pa' combinar, while los otros días de la semana él cut a figura de los más finos cloths22.
11Il est intéressant de noter que, dans le spanglish de Ilan Stavans, la présence des deux langues (espagnol / anglais) est très équilibrée sur le plan quantitatif.
- 23 Compte tenu du fait que la littérature en portunhol est un phénomène recent, ce sujet reste relativ (...)
12Nous retrouvons ce même phénomène de mélange des langues par les populations entières sur d’autres territoires comme, par exemple, dans la zone transfrontalière entre le Brésil et le Paraguay, où les locuteurs pratiquent le portuñol/portunhol, un mélange d’espagnol et de portugais. Là encore, cette hybridité intrinsèque, pratiquée et vécue au quotidien par plusieurs milliers de personnes, a donné lieu à un courant littéraire en portunhol23. Nous pensons notamment à l’œuvre Mar paraguayo de Wilson Bueno, considéré comme pionnier dans ce domaine d’écriture hybride en portunhol :
- 24 Wilson Bueno, Mar paraguayo, São Paulo, Editora Iluminuras, 1992, p. 36. Notre traduction.
Chovia. Las lluvias de junho en el balneario. Densa névoa espessa, una pasta asi de muchos dias quando las chuvas demás empezam a empapar los quintales y las calles. Un evocar de hadas pelas ventanas: todo de bodas con el invierno los sombreros se entrebraçabam numa orgia de hojas molhadas24.
[Il pleuvait. Les pluies de juin dans la station thermale. Une brume dense et épaisse, une espèce de pâte de plusieurs jours lorsque les pluies trop abondantes commencent à imbiber les jardins et les rues. Un aperçu des fées par les fenêtres : tout est en noces avec l’hiver les sombreros s’entrelacent dans une orgie des feuilles mouillées.]
13Le texte en italique est en portugais, en romain – en espagnol, et en gras – les mots qui sont exactement les mêmes dans les deux langues. Bien que certains mots soient les mêmes dans les deux langues, comme dia, par exemple, à l’écrit la présence ou l’absence d’accents permets d’identifier à quelle langue appartient le terme exactement : dia (portugais) – día (espagnol).
- 25 Les personnes intéressées pourront comprendre ce phénomène grâce à un documentaire Portuñol de Thai (...)
- 26 Il faut savoir que si ces types de mélange – le spanglish ou le portunhol – peuvent nous paraître e (...)
14Par ailleurs, outre l’espagnol et le portugais qui s’entrelacent continuellement, l’œuvre linguistiquement hybride Mar paraguayo ouvre également un espace à une troisième langue, le guarani, langue indigène de cette région, qui apparaît, ici et là, par petites touches25. Afin de faciliter la compréhension des mots en guarani par ses lecteurs, Wilson Bueno propose à la fin de son texte un petit glossaire pour les termes guarani employés26.
15Nous voudrions, à présent, revenir au processus créatif afin de voir comment cette hybridité, que nous venons d’observer dans les œuvres publiées, se manifeste dans les brouillons. Les documents d’archives nous laissent voir, en effet, le véritable processus de construction textuelle qui opère à la jonction entre l’hybridité linguistique et l’hybridité cognitive dont elle est l’expression.
- 27 La critique génétique distingue quatre phases créatives lors de l’élaboration d’une œuvre littérair (...)
- 28 Nous avons identifié différentes stratégies créatives des écrivains plurilingues, dont l’une consis (...)
16Chez les écrivains plurilingues, qui pratiquent naturellement le code-switching, nous observons la même constante, qui mérite d’être soulignée : aux stades initiaux de la création27, notamment lors de la planification et de la textualisation, l’hybridité linguistique est très présente28. Ensuite, à l’étape de la révision d’une œuvre, elle tend à diminuer, pour disparaître complètement à l’étape pré-éditoriale. Et s’il reste encore des traces de cette hybridité, les réviseurs et les éditeurs font généralement un dernier « nettoyage » pour donner une apparence monolithiquement monolingue à l’œuvre avant sa publication.
17Cela montre bien que, dans son expression la plus spontanée, l’hybridité est systématiquement révélée lors de l’écriture et qu’elle est ensuite réprimée, soit par le scripteur lui-même, soit par ce qu’on peut appeler les « instances de contrôle » : les réviseurs et les éditeurs.
- 29 Évidemment, il y a eu, dans l’histoire littéraire, des brouillons fabriqués pour, par exemple, être (...)
18Le statut de « brouillon » est très singulier car, d’une part, c’est un document de travail personnel, qui n’a pas vocation –a priori– à être divulgué29. En même temps, le brouillon, ce document profondément intime, constitue de fait une transition entre l’écrit pour soi et l’écrit pour les autres.
19Le brouillon est donc un document où l’écriture est en perpétuelle évolution qui mène d’une idée personnelle de l’auteur, souvent jetée à la va-vite sur une feuille volante ou notée dans un carnet, sur une serviette de table ou sur une carte postale, vers une œuvre qui sera publiée et deviendra un produit (commercial) largement diffusé. Le brouillon constitue donc un portail vers l’atelier créatif d’un écrivain, où nous pouvons observer les différents processus linguistiques à l’œuvre.
- 30 Julia Holter, Entretien avec Luba Jurgenson « Écrire entre deux corps », Genesis, n°46, : « Entre l (...)
20Nous allons voir, à présent, deux exemples d’hybridité linguistique dans les brouillons. Le premier est le brouillon de Luba Jurgenson, professeure à la Sorbonne, traductrice et écrivaine d’origine russe, qui publie principalement en langue française. Or, dans ce brouillon, reproduit dans la revue Genesis30, nous voyons trois langues qui occupent le même espace graphique de la page : le français, sa langue d’écriture, le russe, sa langue maternelle, et l’italien.
Figure 1. Brouillon de Luba Jurgenson. Archives personnelles de l’écrivaine
21Cet extrait révèle un phénomène que nous avons observé chez de nombreux auteurs qui écrivent entre les langues et qui est assez méconnu : le bilinguisme cache souvent le plurilinguisme, lequel n’est généralement révélé que grâce aux documents d’archives (les brouillons et la correspondance).
22Le second exemple est la transcription d’un brouillon de Raoul Hausmann, l’un des membres fondateurs du mouvement dadaïste. De langue maternelle allemande, l’artiste a également pratiqué le français, qui est devenu sa langue d’écriture à la fin de sa vie, mais aussi l’espagnol du temps où il vivait en Espagne :
- 31 Ce brouillon est conservé au Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart. Il est reprodu (...)
… C’est presque comme les poules, como las galinas [sic], why do the chicken always cross the road, nein, ich liebe die Hühner nicht, mais, c’est comme cela : on est là, sans rien penser, on regarde autour de soi, sois regardeur : grattant un peu avec la patte le sol rocheux. Lentement je mets un pied après l’autre pied sur les pierres, las alpargatas prennent la griffe. Se griffocrampent aux pierres, précieuses, comme si une déesse les portait en collier. Zwischendurch ein kleines Kraut. Was ist der Mensch, er ist wie Gras. Las hierbas aqui come joalleria. Chaque pas me monte en haut (Le ciel, oh cielo, cielito lindo) est coupé par la cime du Pujol…31
23Dans cet extrait, on observe une sorte de magma de quatre langues qui dialoguent entre elles : le français, l’espagnol, l’anglais et l’allemand. Encore une fois, le brouillon met en lumière le plurilinguisme caché et le fonctionnement hybride de l’écrivain.
- 32 Il s’agit de toute évidence d’un dialogue différé, certes moins instantané que lors des échanges de (...)
24Avec les brouillons, qui révèlent au grand jour les traces cachées de l’hybridité linguistique dans la production d’un écrivain plurilingue, la correspondance est également une source précieuse d’information. Profondément et intrinsèquement dialogiques, les échanges épistolaires ont toujours une finalité, un destinataire, un interlocuteur32. La correspondance permet de connaître les langues parlées par un auteur et le niveau de leur maîtrise.
25Les correspondances de Pouchkine et de Nabokov, adressées à leurs destinataires tout aussi plurilingues qu’eux-mêmes, sont à ce titre très intéressantes à étudier. Par exemple, dans cette lettre de Nabokov envoyée au traducteur français Georges Magnane, la langue anglaise fait irruption au sein du texte écrit en français (and I know how demanding that particular muse is) :
- 33 New York Public Library, Berg Collection, Vladimir Nabokov papers.
Je viens d’achever la lecture de votre traduction de THE EYE. Je prends plaisir à vous dire que je la trouve superbe. J’admire surtout votre style souple, riche et élégant, et vous sais éminemment gré d’avoir suivi si fidèlement mon texte. Ce besoin, voire cette passion, de la fidélité m’est bien connu à moi aussi en ma qualité de traducteur (russe-anglais), and I know how demanding that particular muse is. C’est pourquoi j’espère que vous ne m’en voudrez pas de ma petite liste de suggestions33…
- 34 En effet, nous avons pu le montrer dans Olga Anokhina, « Vladimir Nabokov et la langue française », (...)
26Par cette incrustation linguistique qui introduit l’anglais dans l’écriture en langue française, Nabokov essaye de créer un effet de connivence entre lui et son traducteur. En effet, l’hybridité linguistique dans la correspondance sert souvent d’un marqueur de complicité entre un écrivain et son destinataire34.
- 35 À ce sujet, voir Bernard Kreise, Alexandre Pouchkine. Lettres en français, Castelnau-le-Lez, Climat (...)
- 36 La lettre de Piotr Tchadaïev à Alexandre Pouchkine du 17 juin 1831, Moscou. Source : http://az.lib. (...)
- 37 La lettre d’Alexandre Pouchkine à Piotr Tchadaïev du 6 juillet 1831.
27Quant à la correspondance d’Alexandre Pouchkine, on y détecte trois formats linguistiques en fonction des destinataires : intégralement en russe, dans un mélange du russe et du français, intégralement en français35. Ainsi, quand un intellectuel russe et ami du poète, Piotr Tchadaïev, implore le poète : « Écrivez-moi en russe ; il ne faut pas que vous parliez d'autre langue que celle de votre vocation »36, Pouchkine répond, en français : « Je vous parlerai la langue de l'Europe, elle m'est plus familière que la nôtre »37. Cette réponse de Pouchkine qui préfère de loin s’exprimer en français, est révélatrice à la fois de son propre fonctionnement linguistique et cognitif, profondément hybride, et des pratiques langagières courantes de cette époque.
- 38 Pour un débat sur les concepts qui seraient les plus appropriés pour désigner les auteurs qui créen (...)
28Pourquoi donc lancer ce débat sur l’hybridité alors que les termes désignant la réalité plurilingue dans l’écriture sont légion : plurilinguisme, multilinguisme, hétérolinguisme, translinguisme, créolisation38… ? Parce que ce qui nous intéresse, au fond, ce sont les mécanismes cognitifs qui font en sorte que cette hybridité linguistique et identitaire de l’individu se manifeste. C’est-à-dire qu’il s’agit non seulement de décrire les phénomènes et, en particulier, constater la présence de plusieurs langues dans une œuvre littéraire ou dans son avant-texte, mais de comprendre leur nature et leurs mécanismes.
29En l’occurrence, cela nous amène à distinguer l’hybridité externe ou extériorisée, qui s’exprime dans les énoncées d’un locuteur plurilingue ou dans les écrits d’un auteur plurilingue, et l’hybridité interne qui correspond à l’identité hybride et à l’hybridité cognitive que nous avons évoquée au début de notre contribution. On peut représenter ces différents niveaux par le schéma suivant :
30
Schéma 1 : Hybridité interne vs hybridité externe
31Si l’on cherche à comprendre comment fonctionnent les scripteurs plurilingues à travers les documents d’archives (les brouillons des œuvres et la correspondance dont il était question plus haut), on constate que leur pluralité linguistique et identitaire trouve toujours le moyen de s’exprimer. Parfois, elle est visible dans les œuvres publiées, comme dans le roman Guerre et Paix de Tosltoï ou dans les romans chicanos. On peut également l’observer dans les brouillons ou encore dans la correspondance, qui témoigne des pratiques langagières courantes des auteurs et de leurs destinataires.
32Contrairement aux recherches sur l’acquisition des langues et les études interculturelles qui sont toujours ouvertes à l’apport d’autres disciplines, les travaux réalisés dans le domaine du plurilinguisme littéraire questionnent rarement les mécanismes et les processus cognitifs à l’œuvre dans un acte d’écriture. Or, ce sont ces processus internes qui présentent probablement le plus grand intérêt pour les recherches scientifiques et que la notion d’hybridité pourrait aider à éclairer.
33Dans cette contribution, nous avons tenté d’esquisser quelques pistes de réflexion sur l’hybridité linguistique qui laisse transparaître l’hybridité culturelle, identitaire et cognitive des écrivains plurilingues. Par la suite, il s’agira de vérifier si la notion d’hybridité apporte un éclairage particulier aux mécanismes d’écriture et aux écrits, produits par des écrivains maîtrisant plusieurs langues.
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Notes
Homi Bhabha, Jonathan Rutherford, « Le tiers-espace », Multitudes, vol. 26, n°3, 2006, p. 100 ; également en ligne, consulté le 28 septembre 2024, URL : https://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-multitudes-2006-3-page-95.html.
Voir, par exemple, Henri Boyer (dir.), Hybrides linguistiques : Genèses, statuts, fonctionnements, Paris, L’Harmattan, 2010 ; Journée d’étude des doctorants et jeunes chercheurs Hybridité linguistique dans le texte littéraire, le 16 décembre 2015 (https://trans.hypotheses.org/498) ; Christian Lagarde, « Les Hybrides linguistiques comme marqueurs d’identité ? », Revue TDFLE, hors-série n°8 : « Mobilités, exils et migrations : des femmes/des hommes et des langues », 2019, consulté le 28 septembre 2024, URL : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/https://doi.org/10.34745/numerev_1357 ; Orysia Demska, « Hybridity and the linguistic landscape », Cognitive Studies | Études cognitives, n°19, 2019, consulté le 28 septembre 2024, URL : https://journals.ispan.edu.pl/index.php/cs-ec/article/view/cs.2007/5462.
En biologie, l'adjectif hybride s'applique à quelque chose qui est composé de plusieurs éléments. Dans le cas d'un animal ou d'une plante, les spécimens hybrides sont issus de croisements entre plusieurs espèces, ou au sein d'une même espèce.
Les définitions dans différentes sources sont assez semblables. Par exemple, le Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage (Larousse) considère qu’« un mot hybride est un mot composé dont les constituants sont empruntés à des racines de langues différentes ».
L’hétérolinguisme peut être défini comme « la présence dans un texte d'idiomes étrangers, sous quelque forme que ce soit, aussi bien que de variétés (sociales, régionales ou chronologiques) de la langue principale » (Rainier Grutman, Des langues qui résonnent. L’hétérolinguisme au XIX siècle québécois, Québec, Fides, 1997, p. 37).
Olga Anokhina, « Multilingual writers and metalinguistic awareness: Can we use manuscripts as a basis for a typology of scriptural practices? », in Sylvie Plane et alii (dir.), Recherches en écriture : regards pluriels [Writing Research from Multiple Perspectives], Nancy, Éditions Universitaires de Lorraine, 2016, p. 621-642 ; et Denis Alamargot, « Du rédacteur à l’écrivain : le point de vue de la psychologie cognitive», in Olga Anokhina et Sabine Pétillon (dir.), Critique génétique : concepts, méthodes, outils, Paris, Éditions de l’IMEC, 2009, p. 160-174.
Voir les travaux d’Emilio Sciarrino sur les écrivains italiens plurilingues et, en particulier, Emilio Sciarrino, Le Plurilinguisme en littérature. Le Cas italien, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2016.
À ce sujet, voir les importants travaux sur les écrivains allemands plurilingues de Dirk Weissmann, de Till Dembeck et d’Esa Hartmann.
Au sujet du plurilinguisme littéraire au XIXe siècle, voir deux contributions essentielles : Olga Anokhina, Till Dembeck et Dirk Weissmann (dir.), Mapping Multilingualism in 19th Century European Literatures – Le plurilinguisme dans les littératures européennes du XIXe siècle, LIT-Verlag, 2019 ; et Jana-Katharina Mende (dir.), Hidden Multilingualism in 19th-Century European Literature, Berlin, De Gruyter, 2023. Pour le compte rendu de ce dernier, voir Olga Anokhina, Compte rendu de l’ouvrage collectif : Jana-Katharina Mende (dir.), Hidden Multilingualism in 19th-Century European Literature, Berlin, De Gruyter, 2023, paru in Continents manuscrits, n°22, 2024, consulté le 28 septembre 2024, URL : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/coma/11740.
Il existe un grand nombre de travaux dans ce domaine qu’il serait impossible de citer ici. On peut mentionner, à titre d’exemple, Robert Dion, Hans-Jürgen Lüsebrink et János Riesz (dir.), Écrire en langue étrangère. Interférences de langues et de cultures dans le monde francophone, Québec/Francfort, Nota bene/IKO-Verlag, 2002 ; ou encore Romuald Fonkoua et Pierre Halen (dir.), Les Champs littéraires africains, Paris, Karthala, 2001.
Sur l’approche génétique, basée sur l’analyse des brouillons des écrivains, voir Almuth Grésillon, Les Éléments de la critique génétique, Paris, PUF, 1994 ; Olga Anokhina et Sabine Pétillon (dir.), Critique génétique : concepts, méthodes, outils, Paris, Éditions de l’IMEC, 2009 ; Olga Anokhina et Fatiha Idmhand (dir.), La Fabrique du texte à l’épreuve de la génétique, Paris, Éditions des Archives Contemporaines, 2018 ; et Dirk van Hulle, Genetic criticism: tracing creativity in literature, Oxford, Oxford University Press, 2022.
Sur le lien entre l’approche génétique et les sciences cognitives, voir Olga Anokhina, Compte rendu de : Michel Fayol (dir.), Production du langage. Traité des sciences cognitives, Paris, Hermès/Lavoisier, 2002, paru in Genesis, n°23, 2004, p. 171-173 ; également en ligne, consulté le 28 septembre 2024, URL : https://www.persee.fr/doc/item_1167-5101_2004_num_23_1_1307_t1_0171_0000_3.
Pierre-Marc de Biasi, La Génétique des textes, Paris, Nathan, 2000 ; et Pierre-Marc de Biasi, « De l’intertextualité à l’exogenèse », Genesis, n°51, 2020, consulté le 28 septembre 2024, URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/genesis/5601.
Un numéro thématique de la Revue internationale de critique génétique Genesis a été consacré à ce sujet : Olga Anokhina et Emilio Sciarrino (dir.), Genesis, n°46 : « Entre les langues », 2018.
La psychologie cognitive parlerait, dans ce contexte, d’une « instance de contrôle ».
Olga Anokhina et Aurelia Arcocha (dir.), Creación, traducción, autotraducción, Bilbao-Madrid, Euskaltzaindia-Iberoamericana-Vervuert, 2023.
Les archives de l’écrivain qui contiennent de nombreux manuscrits, ainsi que les carnets, la correspondance (dont 50 000 lettres adressées à l’écrivain en 26 langues), la bibliothèque et les dessins, sont conservées dans le Musée d’état de Tolstoï (région de Moscou) depuis 1911.
Une partie de nos travaux porte sur le plurilinguisme latent et manifeste de Vladimir Nabokov. Voir, par exemple, Olga Anokhina, « Vladimir Nabokov, un écrivain plurilingue », in Évelyne Argaud, Malek Al-Zaum et Elena da Silva Akborisova (dir.), Le Proche et le lointain : enseigner, apprendre et partager des cultures étrangères, Paris, Éditions des Archives Contemporaines, 2017, p. 1-8.
Olga Anokhina, « Écrivains russes du XIXe siècle : écrivains plurilingues ? », in Olga Anokhina, Till Dembeck et Dirk Weissmann (dir.), Mapping multilingualism in 19th Century European Literature [Plurilinguisme des littératures européennes au XIXe siècle], LIT-Verlag, 2019, p. 141-157.
À ce sujet, voir les travaux cités en note 9.
Selon le critique Raymund Paredes, la littérature mexico-américaine s'est imposée comme un élément distinctif de la culture littéraire des États-Unis grâce au roman de Josephina Niggli, Mexican Village, paru en 1945. Ce livre a été la première œuvre littéraire d'une autrice d'origine mexicaine à atteindre le grand public américain. Cette œuvre a ouvert la voie à une riche production dans différents genres (narration, poésie, théâtre) qui jouit d'une grande popularité aux USA. Voir Raymund Paredes, « Teaching Chicano Literature: An Historical Approach », The Heath Anthology of American Literature Newsletter, n°12, automne 1995 ; ou encore Chicano/a Literature, an Annotated Webliography, 2008, consulté le 28 septembre 2024, URL : https://chicanolitbib.wordpress.com.
Don Quixote of La Mancha, traduit et adapté en spanglish par Ilan Stavans, 2018.
Compte tenu du fait que la littérature en portunhol est un phénomène recent, ce sujet reste relativement peu étudié. Voir néanmoins, par exemple, John M. Lipski, « Too close for comfort? the genesis of “portuñol/portunhol” », in Timothy L. Face et Carol A. Klee (dir.), Selected Proceedings of the 8th Hispanic Linguistics Symposium, Somerville, Cascadilla Proceedings Project, 2006, p. 1-22 ; Jesús Fernández García, « Portuñol y literature » [Portuñol and literature], Revista de estudios extremeños (en espagnol), n°62 (II), 2006, p. 555-577 ; ou encore Rosa Maria Grillo, « El portuñol. De espacio fronterizo a espacio literario », Fundación, Montevideo, n°2, 1994, p. 20-37.
Wilson Bueno, Mar paraguayo, São Paulo, Editora Iluminuras, 1992, p. 36. Notre traduction.
Les personnes intéressées pourront comprendre ce phénomène grâce à un documentaire Portuñol de Thais Fernandes (2020).
Il faut savoir que si ces types de mélange – le spanglish ou le portunhol – peuvent nous paraître exotiques ou extravagants, il existe dans le monde d’autres hybridations linguistiques, pratiqués par des populations entières, comme, par exemple, le konglish (mélange de koréen et d’anglais), kichwañol (mélange de quechua et d’espagnol), japoñol (Pérou), aymarañol (Bolivie), euskañol (Pays Basque), etc.
La critique génétique distingue quatre phases créatives lors de l’élaboration d’une œuvre littéraire : pré-rédactionnelle, rédactionnelle, pré-éditoriale et éditoriale. Cf. Pierre-Marc de Biasi, La Génétique des textes, Paris, Nathan, 2000.
Nous avons identifié différentes stratégies créatives des écrivains plurilingues, dont l’une consiste précisément à concevoir une œuvre dans une langue et de la rédiger dans une autre. Nous appelons cette stratégie la séparation fonctionnelle des langues (À ce sujet, voir Olga Anokhina, « Étudier les écrivains plurilingues grâce aux manuscrits », in Olga Anokhina et François Rastier (dir.), Écrire en langues : littératures et plurilinguisme, Paris, Éditions des Archives Contemporaines, 2015, p. 31-43).
Évidemment, il y a eu, dans l’histoire littéraire, des brouillons fabriqués pour, par exemple, être offerts en cadeau, mais cela reste évidemment très exceptionnel et ne remet pas en question la nature intrinsèque du brouillon.
Julia Holter, Entretien avec Luba Jurgenson « Écrire entre deux corps », Genesis, n°46, : « Entre les langues », 2018, p. 121-129, consulté le 28 septembre 2024, URL :https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/genesis/3029#text.
Ce brouillon est conservé au Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart. Il est reproduit et analysé dans Agathe Mareuge, « Les brouillons “entre les langues” de Raoul Hausmann », in Olga Anokhina et Emilio Sciarrino (dir.), Genesis, n°46 : « Entre les langues », 2018, p. 103-114.
Il s’agit de toute évidence d’un dialogue différé, certes moins instantané que lors des échanges de SMS et d’e-mails, ou encore des messages écrits et audio sur WhatsApp.
New York Public Library, Berg Collection, Vladimir Nabokov papers.
En effet, nous avons pu le montrer dans Olga Anokhina, « Vladimir Nabokov et la langue française », in Olga Anokhina et Alain Ausoni (dir.), Vivre entre les langues, écrire en français, Paris, Éditions des Archives Contemporaines, 2019, p. 51-64.
À ce sujet, voir Bernard Kreise, Alexandre Pouchkine. Lettres en français, Castelnau-le-Lez, Climats, 2004 ; et Ekaterina Dmitrieva, « Correspondance française de Pouchkine. Ruptures mentales, ruptures nationales », in Michel Espagne et Michael Werner (dir.), Philologiques III, Paris, Éditions de la maison des sciences de l'homme, 1994, p. 73-84.
La lettre de Piotr Tchadaïev à Alexandre Pouchkine du 17 juin 1831, Moscou. Source : http://az.lib.ru/c/chaadaew_p_j/text_0040.shtml : « Écrivez-moi en russe ; il ne faut pas que vous parliez d'autre langue que celle de votre vocation. J'attends de vous une bonne longue lettre ; parlez-moi de tout ce que vous voudrez : tout m'intéressera venant de vous. Il faut nous mettre en train ; je suis sûr que nous trouverons mille choses à nous dire. À vous et bien à vous, du fond de mon âme ».
La lettre d’Alexandre Pouchkine à Piotr Tchadaïev du 6 juillet 1831.
Pour un débat sur les concepts qui seraient les plus appropriés pour désigner les auteurs qui créent entre les langues, voir Olga Anokhina et Emilio Sciarrino, « Plurilinguisme littéraire : de la théorie à la genèse », in Olga Anokhina et Emilio Sciarrino (dir.), Genesis, n°46 : « Entre les langues », 2018, p. 11-34 ; et Rainier Grutman, « Quid du translinguisme ? », in Olga Anokhina et Alain Ausoni (dir.), Vivre entre les langues, écrire en français, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2019, p. 83-100.
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