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Echos
Postmémoire et post-exil

Récits d’exil et postmémoire dans Die Sommer de Ronya Othmann

Alice Lacoue-Labarthe

Résumés

Écrit après l’exode massif lié à la guerre de Syrie, le premier roman de Ronya Othmann, Die Sommer (2020), travaille sur un héritage mémoriel familial marqué par l’exil. Sa jeune protagoniste, Leyla, fille d’un réfugié kurde yézidi et d’une mère allemande, porte les voix des générations passées. Ainsi, le récit esquisse une généalogie de la mémoire et de l’exil qui nous semble symptomatique des dynamiques (trans-)nationales à l’œuvre dans l’écriture de l’exil et du souvenir dans le contexte littéraire allemand des années 2010. La convergence de différents héritages mémoriels, rendue possible par une narration polyphonique, marque à la fois les lignes de rupture et de continuité entre ces récits et un héritage mémoriel dominé par la référence à la Shoah.

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Entrées d’index

Mots-clés :

exil, littérature, postmémoire

Géographique :

Allemagne, Kurdistan, Syrie

Chronologique :

années 2010, années 2020

Schlagwörter:

Exil, Literatur, Postmemory
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Texte intégral

  • 1 Pour tous les renvois à Die Sommer (Othmann, 2020), nous nous contenterons désormais d’indiquer les (...)

1Le premier roman de Ronya Othmann, Die Sommer1, nous plonge dans les souvenirs de la jeune narratrice, Leyla dès son début in medias res. Fille d’un père kurde et d’une mère allemande, grandissant dans le Sud de l’Allemagne et passant ses étés dans le village kurde de ses grands-parents, au Nord de la Syrie, Leyla peut être comprise comme une sorte d’alter ego de l’autrice, bien que le récit à la troisième personne soit fictionnel. Ronya Othmann est en effet née en 1993 dans une configuration familiale similaire, d’un père kurde yézidi ayant fui la Syrie et d’une mère allemande, puis a grandi dans la région de Munich et déménagé pour ses études, comme sa jeune protagoniste, à Leipzig. Les parcours factuellement très proches des deux jeunes femmes, toutes deux figures engagées dans le milieu queer et en politique, encouragent à lire le récit de famille au centre de Die Sommer comme un travail fictionnel sur un héritage postmémoriel traumatique, comme la possibilité d’une narration nécessaire pour donner un sens à cet héritage.

  • 2 Sauf mention contraire, toutes les traductions sont de notre fait.
  • 3 Dans « Crise des réfugiés, crise de représentation », Fabienne Le Houérou qualifie cette abondance (...)
  • 4 Je garde les guillemets pour marquer le caractère figé et idéologique de cette appellation comme le (...)

2Représentante fictive de ce que Marianne Hirsch a qualifié de « génération de la postmémoire » (Hirsch, 2012)2, et qui relève ici de la génération post-exil, Leyla est au centre d’un dispositif narratif qui permet également de donner la parole aux générations de victimes génocidaires. Au premier plan de ces personnages se trouvent le père et la grand-mère, dont les récits de déracinement successifs, transmis à Leyla, soulignent le lien étroit entre exil et postmémoire : ce sont les souvenirs d’exils du passé qui pèsent sur le quotidien de Leyla en Allemagne, dès le début des années 2000, et cette pression s’accentue au fur et à mesure que la guerre en Syrie pousse des millions d’hommes et de femmes à la fuite, atteignant même les foyers européens par l’intermédiaire de nombreux reportages3. Cette dernière vague d’exils, en partie initiatrice de ce qu’on a appelé la « crise des réfugiés »4 en Europe, marque un point de bascule dans le quotidien de la jeune narratrice et dans le roman. L’omniprésence d’images de mort et de fuite dans les médias internationaux provoque non seulement un regain d’intérêt des populations européennes pour les événements qui se déroulent en Syrie, mais aussi la remontée de souvenirs traumatiques pour les exilés en Allemagne, à l’image du père de Leyla, qui a fui la Syrie dans les années 1980 et trouvé refuge en Bavière.

3La guerre en Syrie et l’exode massif qui s’ensuit, venant gonfler les arrivées déjà nombreuses de réfugiés vers l’Europe, agissent comme le déclencheur d’une réflexion sur les rapports entre littérature, exil et mémoire dans l’œuvre de Ronya Othmann. Je me propose d’examiner dans quelle mesure la généalogie de la fuite et de la violence esquissée dans Die Sommer est symptomatique des dynamiques (trans-)nationales à l’œuvre dans l’écriture de l’exil et du souvenir dans le contexte littéraire allemand des années 2010. Je commencerai par analyser la convergence des différents héritages mémoriels convoqués par la narration, et la création d’une chronologie de l’exil. Cette chronologie propose des récits alternatifs à certains discours sur l’histoire de la minorité kurde yézidie grâce à un dispositif narratif sur lequel je m’attarderai dans un deuxième temps. Enfin, j’interrogerai les ruptures de ces récits et leur inscription dans le cadre d’une culture mémorielle dominée par la référence à la Shoah.

Une chronologie des exils

  • 5 Le parti Baas syrien prend le pouvoir de 1963 à 1966 et reste le parti le plus influent sous le rég (...)
  • 6 Les populations kurdes étaient, jusqu’à 2014, principalement concentrées aux confins de la Turquie, (...)
  • 7 « Quand, au début du 20e siècle, les massacres d’Arméniens ont commencé, la situation est devenue d (...)

4Les différents fils narratifs de Die Sommer tracent en filigrane une histoire de la Turquie, de la Syrie et de l’Irak marquée par des formes d’impérialisme multiples : la domination ottomane (1516–1918), le colonialisme européen (1918–1946) et le baathisme (1963–1966)5, qui assoit la domination de certaines populations sur les minorités locales. Cette histoire complexe semble s’agencer autour de différents nœuds qui correspondent à autant de générations. D’abord, la génération des Arméniens, voisins des Yézidis en Turquie, représentés dans le texte par un personnage dont Leyla ne connaît que le surnom, « l’Arménien », ami du grand-père avec lequel il échange ses souvenirs d’un monde disparu. Cette complicité dans l’échange de souvenirs de persécution et d’exil s’explique par la proximité géographique des communautés yézidie et arménienne en Turquie au début du 20e siècle6, ainsi que par une forme de solidarité et de continuité chronologique entre le début des tentatives d’extermination des populations arméniennes et des populations yézidies. Cette continuité est mise en avant par le père de Leyla, qui date le début de l’exil par rapport aux massacres, puis au génocide arménien de 1915 : « Als am Anfang des 20. Jahrhunderts die Massaker an den Armeniern begannen, wurde die Lage auch für uns schwierig. Gingen wir in die Stadt, warfen die Leute mit Steinen nach uns. Sie riefen, hier stinkt es nach Êzîden, sie verjagten uns » (131)7.

  • 8 [Nous soulignons] Attention […], ils nous ont tendu un piège. Ils nous ont encerclés. Ils veulent n (...)

5Sans établir de relation de cause à effet entre les deux événements, cette contiguïté géographique et temporelle fait naître un parallèle entre les deux communautés, qui subissent toutes les deux l’impérialisme ottoman puis le nationalisme turc. Le destin des Arméniens semble préfigurer ici le génocide yézidi ; il annonce en tout cas les premières expériences de discriminations, de massacres et d’exil. La phrase du père introduit en effet le récit de la mort de l’arrière-grand-père de Leyla, tué parce qu’il refusait de prononcer la shahada, profession de foi musulmane, alors qu’il fuyait en direction de la Syrie. Dès sa naissance, la vie de la grand-mère de Leyla est ainsi placée sous le signe de la persécution, et sa dernière expérience d’exil, de la Syrie vers l’Allemagne, provoque une collusion des souvenirs de fuite, toutes générations confondues : les campagnes génocidaires de 2011 à 2014 ne font plus qu’un avec le souvenir des exils précédents, tout au long du 20e siècle. Après son arrivée en Allemagne, la grand-mère commence à perdre la tête, ne parvenant plus à distinguer le passé du présent et craignant la menace d’une tentative de meurtre qui semble devenue omniprésente. Elle tente ainsi d’avertir Leyla : « Pass auf […], sie haben uns eine Falle gestellt. Sie haben uns umzingelt. Sie wollen uns töten » (271)8. Le pronom sie, dont l’emploi est anaphorique, se réfère aux persécuteurs tout en les anonymisant, et souligne le caractère polymorphe du danger qui guette les populations yézidies. Ce sie, déjà utilisé pour désigner ceux qui ont massacré les Arméniens et tué l’arrière-grand-père (131), se retrouve ici, donnant l’impression d’un seul et même massacre se répétant génération après génération.

  • 9 Le mot ferman (ou firman) vient du perse et désigne un décret, un ordre ; il fait notamment référen (...)
  • 10 « On rapporte qu’il y a eu 73 ferman [catastrophes] dans l’histoire des Yézidis. Une vie yézidie es (...)
  • 11 « […] musique kurde, littérature kurde, journaux kurdes »

6La grand-mère, incapable de trouver des repères face à tant d’histoires de violence, meurt après son dernier exil, tandis que Leyla tente de démêler les fils de ces tragédies successives. Comme la génération de l’arrière-grand-père, la grand-mère doit prendre la fuite, puis le père, puis le reste de la famille de Leyla en 2014-2015 – c’est alors pour la grand-mère de Leyla le second exil. Le père résume : « Dreiundsiebzig Ferman9 [Katastrophen] sind in der Geschichte der Êzîden überliefert. Ein êzîdisches Leben ist eines, das jeden Moment zu Ende sein kann » (133)10. Par-delà les aïeux directs de la jeune Leyla se profilent soixante-treize générations menacées, persécutées, exilées ou tuées en raison de leur appartenance à la minorité kurde yézidie. La convergence d’histoires familiales marquées par des traumatismes répétés, et le passage d’une histoire familiale à une narration qui touche à l’histoire de l’ensemble des populations yézidies, donnent une dimension nouvelle au roman. Il ne s’agit pas seulement de souvenirs individuels, mais d’une chambre d’écho de souvenirs collectifs et de traditions kurdes : le père fait renaître les traces disparues ou censurées de la « kurdische Musik, kurdische Literatur, kurdische Zeitungen » (134)11. À travers ses descriptions, il tente de créer un espace de parole pour des récits alternatifs à certains discours sur les minorités kurdes auxquels sont confrontées Leyla et sa famille, de la cour d’école aux médias.

Résister par le récit

  • 12 « Le père lui racontait sans cesse l’histoire du Kurdistan. […] N’oublie pas cette histoire, disait (...)
  • 13 « Le Kurdistan, ça n’existe pas. » « Les Kurdes, ça n’existe pas. » Leyla préfère, suite à ces affi (...)

7La multiplicité des récits d’exil et de persécution s’explique par le dispositif narratif du roman : plutôt que de focaliser le récit sur Leyla, dans une perspective de type (auto-)biographique, Ronya Othmann met en scène différentes voix et différentes histoires. Leyla est avant tout une auditrice assidue des récits de son père, qui lui livre à la fois souvenirs et brèves leçons d’histoire. Il fournit ainsi à sa fille et aux lecteurs les éléments-clés d’une histoire qui ne figure ni dans les atlas ni dans certains livres d’histoire consultés par Leyla (13), et qu’il est difficile de distinguer de l’histoire syrienne, turque et irakienne, voire de l’histoire française et britannique depuis les accords Sykes-Picot (1916), comme le montre le roman en énumérant les dates de l’arrivée au pouvoir des gouvernements non kurdes successifs au Kurdistan, du 17e au 21e siècle (137). Les récits du père constituent une forme de lutte contre l’oubli et un combat politique pour la reconnaissance d’un pays : « Die Geschichte Kurdistans erzählte der Vater ihr immer wieder. […] Du darfst diese Geschichte nicht vergessen, sagte der Vater, das ist deine Geschichte, Leyla. Diese Geschichte, in der sie kein Land hatten, keinen Platz, und wegen der sie in Deutschland waren » (Ibid.)12. Le roman offre un espace pour l’histoire du Kurdistan, décrite comme absente de l’historiographie officielle, et que Leyla ne peut expliquer à ses camarades de classe. Ceux-ci nient l’existence d’un État kurde (« Kurdistan gibt es nicht », 158–159), voire d’une identité kurde, à l’exemple de sa camarade Pinar qui, apprenant que le père de Leyla n’est pas turc mais kurde, affirme : « Kurden gibt es nicht » (Ibid.)13.

8Comme le suggère Marianne Hirsch dans The Generation of Postmemory. Writing and Visual Culture after the Holocaust, la représentation du trauma des générations précédentes dans un travail postmémoriel semble constituer une « forme de réparation et de compensation » (Hirsch, 2012 : 6). Alors que le père interdit à Leyla de raconter à l’école qu’elle va au Kurdistan (13) – tout en lui enjoignant de ne pas oublier ses origines kurdes –, Die Sommer s’emploie à donner un nom et des visages au Kurdistan, à ses habitants, et tout particulièrement à la minorité yézidie. Grâce aux récits rapportés d’un autre personnage central, la grand-mère de Leyla, qui transmet les rites yézidis à sa petite-fille, l’histoire des communautés kurdes yézidies ne se réduit pas à la destruction et à la persécution. Le détail des traditions religieuses est si riche et complexe que Leyla voudrait consigner par écrit ce que lui raconte la grand-mère :

« Leyla kam durcheinander, wenn die Großmutter von den Engeln und Heiligen sprach, und behalten konnte sie auch nichts. Alle Namen und Geschichten wirbelten hin und her, wieder und wieder entglitten sie ihr. Leyla hätte sie aufschreiben müssen, ein Heft anfertigen, in dem sie sie hätte nachschlagen können. Aber als die Großmutter ihr einmal wieder sehr viel erzählt hatte und Leyla sagte, Oma, ich muss das aufschreiben, sonst vergesse ich es, schüttelte die Großmutter den Kopf und sagte, nein, aufschreiben, wozu das denn? Die Großmutter trug ihr Buch auf der Zunge.

Besser im Kopf, Leyla, sagte sie.

  • 14 « Leyla s’y perdait quand la grand-mère parlait des anges et des saints, elle ne retenait rien. Tou (...)

Da ist vor allen sicher » (63)14.

  • 15 « C’était comme si le père avait un livre dans la tête et qu’il lui suffisait de l’ouvrir. »
  • 16 Sur le rôle de la transmission orale de la parole dans un contexte migratoire, voir notamment Canut (...)

9La réponse de la grand-mère souligne l’importance du dispositif narratif : faire parler les personnes directement concernées par l’exil, c’est aussi permettre à une certaine tradition orale de trouver sa place dans une forme écrite – et, dans une perspective métalittéraire, elle-même inspirée des souvenirs et témoignages oraux de la famille de l’autrice. Leyla insiste sur ce point lorsqu’elle remarque : « Es war, als hatte der Vater ein Buch im Kopf, das er nur aufzuschlagen brauchte » (19)15. Le terme même de ferman, utilisé à de maintes reprises (43, 52, 133 et 259), déplace le curseur de l’écrit vers l’histoire orale transmise de génération en génération par les communautés yézidies d’Irak, de Syrie et de Turquie16 : le mot désigne dans ce contexte les persécutions subies par ces populations, étapes successives d’une généalogie de l’exil. La constellation de personnages compose ainsi un récit inscrit dans un temps long, loin de l’immédiateté et du sensationnalisme de certains reportages évoqués dans le roman.

10L’espace de parole réservé à la diaspora kurde en Europe, tel qu’il est dépeint dans Die Sommer, se situe en effet avant tout dans les médias, dont les images de violence et les gros titres visent à choquer plus qu’à évoquer le souvenir des personnes disparues. Le texte signale la sidération, la fascination morbide créée par les médias, à l’opposé des récits transmis par la famille de Leyla, notamment grâce à des anaphores et des répétitions. Ainsi Leyla ne peut-elle détacher son regard des images de violence diffusées sur les réseaux sociaux et à la télévision :

« [Leyla] sah Kinder weinen und schreien, sah Menschenmengen, die auf einen einzelnen Hubschrauberladeraum zudrängten. Sie sah die êzîdische Abgeordnete Vian Dakhil bei ihrer Rede vor dem irakischen Parlament zusammenbrechen. […]

  • 17 [Nous soulignons] « [Leyla] vit des enfants pleurer et crier, vit des masses humaines qui se pressa (...)

Leyla sah Videos von Frauen und Mädchen, die an Ketten gingen, sah die Sklavenmärkte für die Kämpfer des IS » (257)17.

  • 18 Cf. Brinkbäumer et al., 2002.

11Le contraste entre, d’une part, l’horreur des images qui passent en boucle à la télévision ou sur YouTube et, de l’autre, l’indifférence de la meilleure amie de Leyla, Bernadette, au sort de la Syrie et des réfugiés qui affluent vers l’Allemagne (220–221), témoignent d’une interrogation plus globale sur la représentation et la réception des massacres commis à l’encontre des Yézidis en Allemagne. À l’exception de quelques mots élogieux sur les combattantes et la cause kurdes (232), l’opinion publique, représentée dans le texte par l’amie Bernadette et des camarades puis petites amies de Leyla, semble rester davantage sensible aux maux de la vie quotidienne qu’à la guerre. La colère impuissante qui sous-tend la narration devient sensible lorsque cette absence de réaction est mise en contraste avec la couverture médiatique qui remonte, au-delà des images de dévastation de la Syrie par l’État islamique, aux débuts des années 2000, avant la « crise des réfugiés » correspondant au pic des années 2010. En évoquant le titre du Spiegel qui fait référence à l’affaire connue sous le nom de « cas Monica » (218), le roman place les lecteurs face à l’indifférence des autorités allemandes et européennes dès 2002, lorsque l’arrivée d’un bateau de fortune contenant 909 réfugiés, dont une majorité de Kurdes, fait la une des journaux. Die Sommer inscrit ainsi dans un temps long l’arrivée de réfugiés en Allemagne, interrogeant la chronologie de la « crise des réfugiés », ainsi que la politique d’accueil européenne. En effet, la volonté affichée d’éviter l’arrivée de réfugiés kurdes en Europe, et notamment en Allemagne, déjà décrite dans l’article du Spiegel de 200218, trouve un prolongement dans les refus successifs opposés aux nombreuses demandes d’asile effectuées par la mère de Leyla pour rapatrier le reste de la famille en Allemagne (245–246). La résurgence du trauma de la persécution et de l’exil pendant la guerre de Syrie souligne les lignes de fracture nationales : le roman, notamment à l’occasion des manifestations kurdes contre la répression en Syrie, dépeint une réaction à l’horreur qui reste avant tout communautaire (172–174).

Mémoires convergentes : la référence à la Shoah

  • 19 « Les gens comme toi, il faudrait les renvoyer dans les chambres à gaz. »
  • 20 « […] soi-disant, aucun de ses collègues n’[a] entendu quoi que ce soit. »
  • 21 « Leyla [et son père] avaient le regard fixé sur ces femmes qui portaient les habits de sa grand-mè (...)
  • 22 « […] topoi qui accompagnent systématiquement le travail sur la Shoah. »
  • 23 « Les troubles de 2004 à Qamishlo, lut Leyla à propos de la manifestation des années plus tard, alo (...)
  • 24 « Später versuchte Leyla, die Ereignisse in eine Ordnung zu bringen, aber es gelang ihr nicht » (25 (...)

12L’indifférence, la passivité, voire l’hostilité d’une partie de la population allemande face aux massacres commis en Syrie, telles qu’elles sont représentées dans le récit, ne sont pas sans rappeler les débats sur la passivité d’une grande partie de la population allemande envers les crimes nazis, et à la volonté de fermer les yeux sur ce qui se passe. Ce lien est explicitement établi par la narration lorsque sont décrites les injures subies par le père qui se rend à Munich, où on le traite de porc. Un de ses collègues lui lance même : « Solche Leute wie dich sollte man wieder ins Gas schicken » (145)19. Et quand le père tente de signaler les propos de son collègue auprès de ses employeurs, « [angeblich hat] keiner der Kollegen etwas mitbekommen » (Ibid.)20. En traçant un parallèle entre le traitement des juifs – auxquels le père de Leyla est ici identifié par son collègue – et des minorités yézidies, Die Sommer pose la question de la représentation des massacres commis contre les Yézidis dans le contexte allemand. Les images diffusées en masse d’hommes et de femmes déshumanisés, également évoquées dans un texte court de Ronya Othmann, Vierundsiebzig (Othmann, 2014), rappellent les photos des camps de concentration. La tentative d’y apporter une forme d’humanité, d’y mettre des visages, résonne avec les discours littéraires sur la Shoah, comme le note Daniela Henke dans son analyse de la continuité entre mémoire de la Shoah et mémoire kurde dans Die Sommer (Henke, 2020 : 17). Ainsi, Leyla reconnaît en chaque réfugié ou victime du génocide yézidi sa propre famille, associant à ces masses humaines des destins individuels et un rapport affectif : « Leyla und [ihr Vater] starrten auf die Frauen in den Kleidern ihrer Großmutter, ihrer Tanten, ihrer Cousinen. […] Leyla sah Männer wie den Großvater, den Vater, den Onkel » (256)21. D’autres parallèles sont ouverts par le texte. Ce que Henke nomme les « Topoi, die die Auseinandersetzung mit der Shoah kontinuierlich begleiten » (Henke, 2020 : 17)22, à savoir le caractère indicible et traumatisant du massacre de masse, occupe une place centrale dans la narration. Leyla ne se saisit des mots, des dates et des faits qu’a posteriori, après le choc des événements : « Die Unruhen in Qamishlo 2004, las Leyla Jahre später über die Zeit der Demonstration, als längst schon neue Unruhen das Land heimgesucht hatten und über sie längst nicht mehr als Unruhen gesprochen wurde, sondern als Krieg und Bürgerkrieg » (174–175)23. Les lectures de Leyla, qui tente de déceler un ordre et une logique dans les événements, (259)24 ponctuent la fin de Die Sommer. Ce n’est d’ailleurs que dans ces moments d’analyse rétrospective, sur le mode de l’analepse, qu’apparaît le terme de « génocide », ou son équivalent kurde ferman, soulignant là aussi la volonté de dépasser l’horreur des images en s’appuyant sur des catégories discursives.

  • 25 « [...] tout ce qui est imprimé [est] dangereux. »

13Le roman insiste en outre à plusieurs reprises sur les clichés concernant les caractéristiques physiques attribuées aux Kurdes, comme une forme de nez particulière, ou leur manque d’hygiène supposé (127, 159 et 160). Ces représentations font clairement écho aux portraits antisémites de juifs, et elles sont largement répandues parmi les populations d’origine turque ou irakienne présentes en Allemagne que côtoient la jeune Leyla et sa famille. Le fait que Kurdes, Turcs, Irakiens et Syriens non kurdes migrent dans un même pays, l’Allemagne, et y perpétuent des clichés déjà ancrés dans l’imaginaire populaire autochtone, illustre les dynamiques transnationales de la littérature germanophone contemporaine, soulignées notamment dans les travaux de Stuart Taberner (Taberner, 2017). Une image incarne ces deux pôles de l’héritage mémoriel allemand contemporain : les livres kurdes du père, qui ont coûté des années de prison au grand-père et à l’oncle de Leyla, côtoient les chroniques du village allemand dans lequel le père de Leyla décide d’aller s’installer au cours du roman (165). Plusieurs éléments se concentrent dans ce symbole : l’héritage du côté allemand de la famille de Leyla, évoqué très brièvement (16), son héritage kurde yézidi, et la généalogie de la violence qui a fait des livres des objets dangereux. Là encore, la référence à l’époque nazie et à ses autodafés résonne avec les descriptions faites par Leyla de l’attachement de son père aux livres, que la grand-mère enterre pour s’en débarrasser, parce que les répressions successives à l’égard des propriétaires de livres, dont son fils, lui ont fait intérioriser que : « alles Gedruckte [ist] gefährlich » (128)25.

  • 26 « In dem Sinne kann der hegemoniale Stellenwert der Shoah positiv umgedeutet werden, da er mit eine (...)
  • 27 « Leylas Erinnern begann gleich darauf. Es begann mit den Massakern, den Bombardierungen, der Zerst (...)
  • 28 Cet héritage mémoriel est à comprendre, dans la lignée des travaux de Maurice Halbwachs, comme une (...)
  • 29 « Es war, sagte sie sich, ihre Schuld. Sie hatte getanzt und getrunken und mit Sascha geschlafen, w (...)
  • 30 Également nommé « konzentrationslager syndrome », ce sentiment de culpabilité des survivants a nota (...)

14Le « statut hégémonique de la Shoah », ainsi que son rôle dans d’autres contextes mémoriels (Henke et Vanassche, 2020 : VIII)26, tels qu’ils ont été analysés dans la lignée des travaux de Michael Rothberg (Rothberg, 2009 et 2019), transparaît dans les nombreuses convergences entre les représentations de la Shoah et du génocide yézidi dans Die Sommer. Cette convergence des mémoires, également qualifiée de Ko-Erinnerung (« co-souvenir ») par Henke et Vanassche, est intimement liée à de nouvelles dynamiques de migration et d’exil : la « crise des réfugiés », qui représente pour les institutions européennes avant tout un problème logistique de répartition des réfugiés et de traitement bureaucratique des demandes d’asile, fait ressortir la particularité de l’héritage mémoriel de certaines minorités vivant en Allemagne. Cette blessure du souvenir, selon l’analogie employée par Leyla27, sans cesse rouverte par l’actualité, sépare les familles d’exilés du reste de la communauté du pays. Mais elle contribue également à la réappropriation par les exilés d’un héritage mémoriel28, celui du national-socialisme et de la Shoah, posant à nouveaux frais la question de la responsabilité collective face à l’exil et à la violence. On peut ainsi lire les questionnements de Leyla, qui se sent coupable d’avoir dansé, bu et fait l’amour tandis que son cousin mourait aux mains de l’État islamique29, comme un écho au « syndrome de culpabilité » développé par certains survivants de la Shoah30, ainsi que comme une question adressée à la société dans son ensemble : quelle est notre part de responsabilité si nous continuons de vivre nos vies sans nous préoccuper de massacres commis contre des populations entières ?

15La complexité du dispositif narratif de Die Sommer témoigne des continuités et des innovations de l’écriture de l’exil et de la mémoire en contexte allemand au 21e siècle : le roman ne s’arrête pas aux frontières nationales lorsqu’il s’agit de décrire les discriminations et les trajectoires d’exil des Kurdes yézidis – ce qui, est bien sûr, en partie lié à la dispersion de ces communautés entre plusieurs États, mais également à la présence de communautés diasporiques venues de cette région en Allemagne. En revanche, la représentation des violences faites aux Kurdes l’inscrit clairement dans la lignée d’un héritage national et lui permet de se réapproprier les topoï de la représentation de la Shoah dans le cadre d’un travail postmémoriel déclenché par le retour de l’exil au cœur de l’actualité.

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Bibliographie

Sources primaires

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Sources secondaires

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Henke, Daniela (2020) : « Von der Singularitätsthese zur Ko-Erinnerung: Prolegomena zu einem Paradigmenwechsel », in Henke, Daniela, Vanassche, Tom : Ko-Erinnerung. Grenzen, Herausforderungen und Perspektiven des neueren Shoah-Gedenkens, Berlin/Boston, p. 3–20.

Henke, Daniela, Vanassche, Tom (2020) : « Vorwort », Ko-Erinnerung. Grenzen, Herausforderungen und Perspektiven des neueren Shoah-Gedenkens, Berlin/Boston, p. VII-XII.

Hewsen, Robert H. (2001) : Armenia: A Historical Atlas [en ligne], consulté le 18/05/2021. URL : https://0-press-uchicago-edu.catalogue.libraries.london.ac.uk/Misc/Chicago/332284.html

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Le Houérou, Fabienne (2018) : « Introduction. Crise des réfugiés, crise de représentation », in Science and Video, n°7 « Réfugiés en images/Images de réfugiés » [en ligne], consulté le 04/10/2021. URL : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01870341/document

Minnaard, Liesbeth, Wienand, Kea (2019) : « Introduction. Taking positions on the ‘refugee crisis’: critical responses in art and literature », in FKW, Zeitschrift für Geschlechterforschung und Visuelle Kultur, 66, p. 17–26.

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Rothberg, Michael (2009) : Multidirectional Memory. Remembering the Holocaust in the Age of Decolonization, Stanford.

Rothberg, Michael (2019) : The Implicated Subject. Beyond Victims and Perpetrators, Stanford.

Six-Hohenbalken, Maria (2016) : « Einleitung zum Schwerpunkt: Der 74. Ferman – der Genozid an den EzidInnen von Şingal », in Brizić, Katharina et al., Şingal 2014: Der Angriff des „Islamischen Staates“, der Genozid an den Ezidi und die Folgen, Wiener Jahrbuch für Kurdische Studien, Vienne, p. 3–8.

Taberner, Stuart (2017) : Transnationalism and German-Language Literature in the Twenty-First Century, London/New York.

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Notes

1 Pour tous les renvois à Die Sommer (Othmann, 2020), nous nous contenterons désormais d’indiquer les pages citées entre parenthèses.

2 Sauf mention contraire, toutes les traductions sont de notre fait.

« Le concept de postmémoire décrit « la relation que la "génération d’après" entretient avec le trauma personnel, collectif et culturel de ceux qui l’ont précédée – avec des expériences dont cette génération ne se "souvient" que par l’intermédiaire d’histoires, d’images et de comportements au milieu desquels ils ont grandi. Mais ces expériences leur ont été transmises de manière tellement profonde et affective qu’elles paraissent constituer des souvenirs à part entière. »

« […] the relationship that the "generation after" bears to the personal, collective, and cultural trauma of those who came before – to experiences they "remember" only by means of the stories, images, and behaviors among which they grew up. But these experiences were transmitted to them so deeply and affectively as to seem to constitute memories in their own right » (Hirsch, 2012 : 5).

3 Dans « Crise des réfugiés, crise de représentation », Fabienne Le Houérou qualifie cette abondance de reportages « d’inondation imagétique », de « déluges médiatiques » (Le Houérou, 2018 : 1 et 2).

4 Je garde les guillemets pour marquer le caractère figé et idéologique de cette appellation comme le fait la littérature critique, cf. par exemple Minnaard, 2019.

5 Le parti Baas syrien prend le pouvoir de 1963 à 1966 et reste le parti le plus influent sous le régime des Assad : d’abord sous le régime d’Hafez el-Assad, de 1971 à 2000, puis de son fils depuis 2000.

6 Les populations kurdes étaient, jusqu’à 2014, principalement concentrées aux confins de la Turquie, au Nord de la Syrie et de l’Irak, régions dans lesquelles la présence arménienne était forte, cf. Bruneau et Rollan, 2018 et Hewsen, 2001.

7 « Quand, au début du 20e siècle, les massacres d’Arméniens ont commencé, la situation est devenue difficile pour nous aussi. Lorsque nous allions en ville, les gens nous lançaient des pierres. Ils s’écriaient : ça pue les Yézidis ici, ils nous chassaient. »

8 [Nous soulignons] Attention […], ils nous ont tendu un piège. Ils nous ont encerclés. Ils veulent nous tuer (271).

9 Le mot ferman (ou firman) vient du perse et désigne un décret, un ordre ; il fait notamment référence aux décrets ottomans à l’encontre des populations yézidies. Ferman s’emploie désormais, pour les populations kurdes, dans un sens proche de celui de génocide, terme qui n’existe pas en tant que tel en langue kurde, cf. Six-Hohenbalken, 2016 : 4.

10 « On rapporte qu’il y a eu 73 ferman [catastrophes] dans l’histoire des Yézidis. Une vie yézidie est une vie qui peut se terminer à tout moment. »

11 « […] musique kurde, littérature kurde, journaux kurdes »

12 « Le père lui racontait sans cesse l’histoire du Kurdistan. […] N’oublie pas cette histoire, disait le père, c’est ton histoire, Leyla. Une histoire dans laquelle ils n’avaient pas de pays, pas de place, et à cause de laquelle ils étaient en Allemagne. »

13 « Le Kurdistan, ça n’existe pas. » « Les Kurdes, ça n’existe pas. » Leyla préfère, suite à ces affirmations, dire que sa famille est originaire de Syrie.

14 « Leyla s’y perdait quand la grand-mère parlait des anges et des saints, elle ne retenait rien. Tous les noms, toutes les histoires se bousculaient, ils ne cessaient de lui échapper. Leyla aurait dû les écrire, les rassembler dans un cahier où elle aurait pu les consulter. Mais un jour où la grand-mère lui avait de nouveau raconté beaucoup d’histoires, quand Leyla lui dit : Mamie, il faut que je prenne des notes, sinon je vais oublier, la grand-mère secoua la tête et dit : non, prendre des notes, à quoi bon ? La grand-mère portait son livre sur la langue. / Mieux vaut le garder dans la tête, Leyla, dit-elle. / Là, c’est à l’abri de tous. »

15 « C’était comme si le père avait un livre dans la tête et qu’il lui suffisait de l’ouvrir. »

16 Sur le rôle de la transmission orale de la parole dans un contexte migratoire, voir notamment Canut et Sow (2014). 

17 [Nous soulignons] « [Leyla] vit des enfants pleurer et crier, vit des masses humaines qui se pressaient pour pénétrer dans l’espace d’un unique hélicoptère. Elle vit la députée yézidie Vian Dakhil s’effondrer pendant son discours devant le parlement irakien. […] Leyla vit des vidéos de femmes et de jeunes filles la chaîne au cou, vit des marchés d’esclaves pour les combattants de l’EI. »

18 Cf. Brinkbäumer et al., 2002.

19 « Les gens comme toi, il faudrait les renvoyer dans les chambres à gaz. »

20 « […] soi-disant, aucun de ses collègues n’[a] entendu quoi que ce soit. »

21 « Leyla [et son père] avaient le regard fixé sur ces femmes qui portaient les habits de sa grand-mère, de ses tantes, de ses cousines. […] Leyla vit des hommes comme le grand-père, le père, l’oncle. »

22 « […] topoi qui accompagnent systématiquement le travail sur la Shoah. »

23 « Les troubles de 2004 à Qamishlo, lut Leyla à propos de la manifestation des années plus tard, alors que le pays était depuis longtemps en proie à de nouveaux troubles, et alors qu’on ne parlait plus de troubles depuis longtemps, mais de guerre et de guerre civile. »

24 « Später versuchte Leyla, die Ereignisse in eine Ordnung zu bringen, aber es gelang ihr nicht » (259). « Plus tard, Leyla tenta de mettre de l’ordre dans les événements, mais elle n’y parvint pas. »

25 « [...] tout ce qui est imprimé [est] dangereux. »

26 « In dem Sinne kann der hegemoniale Stellenwert der Shoah positiv umgedeutet werden, da er mit einer Tradition des Erinnerns verbunden ist, die es so vorher nicht gegeben hat und die als Leitbild für andere Kontexte dienen kann » (Henke et Vanassche, 2020 : VIII). « En ce sens, le statut hégémonique de la Shoah peut prendre une connotation positive puisqu’il est lié à une tradition mémorielle qui n’existait alors pas sous cette forme et qui peut servir de modèle de référence dans d’autres contextes. »

27 « Leylas Erinnern begann gleich darauf. Es begann mit den Massakern, den Bombardierungen, der Zerstörung […]. Nach jedem Schock kam Trauer, um gleich darauf vom nächsten Schock wieder fortgespült zu werden. Alles nahm kein Ende. Und die Erinnerungen breiteten sich immer weiter aus, nahmen überhand, waren nicht mehr aufzuhalten. Wie eine Wunde, dachte Leyla, aus der Blut sickert » (72). « Les souvenirs de Leyla commençaient juste après. Ils commençaient avec les massacres, les bombardements, la destruction […] Au choc succédait le deuil, aussitôt balayé par le choc d’après. C’était sans fin. Et les souvenirs ne cessaient de se propager, de gagner du terrain, ils étaient devenus inarrêtables. Comme une plaie, se disait Leyla, dont coule le sang. »

28 Cet héritage mémoriel est à comprendre, dans la lignée des travaux de Maurice Halbwachs, comme une forme de « mémoire collective », que l’on peut définir ainsi : « [L]a mémoire collective est le souvenir ou l’ensemble de souvenirs, conscients ou non, d’une expérience vécue et/ou mythifiée par une collectivité vivante de l’identité de laquelle le passé fait partie intégrante » (Nora, 1978 : 398).

29 « Es war, sagte sie sich, ihre Schuld. Sie hatte getanzt und getrunken und mit Sascha geschlafen, während Reber im Bus saß » (237–238). « C’était, pensait-elle, sa faute. Elle avait dansé, bu, couché avec Sascha tandis que Reber était dans le bus. »

30 Également nommé « konzentrationslager syndrome », ce sentiment de culpabilité des survivants a notamment été décrit par Bruno Bettelheim (1979).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Alice Lacoue-Labarthe, « Récits d’exil et postmémoire dans Die Sommer de Ronya Othmann »Trajectoires [En ligne], 16 | 2023, mis en ligne le 13 mars 2023, consulté le 22 avril 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trajectoires/8995 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trajectoires.8995

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Auteur

Alice Lacoue-Labarthe

Doctorante en littérature allemande, Université de Picardie Jules Verne

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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