Ecriture encyclopédique – écriture romanesque : représentations et critique du savoir dans le roman allemand et français de Goethe à Flaubert
Texte intégral
1Cette thèse propose une contribution à la réflexion et la discussion sur la littérature encyclopédique et plus largement les relations riches et complexes entre littérature et savoir. Dans la pluralité des genres encyclopédiques, elle se concentre sur le roman et plus spécifiquement sur deux romans exemplaires du début et de la fin du XIXe siècle : Les Affinités électives de Johann Wolfgang Goethe (1809) et Bouvard et Pécuchet de Gustave Flaubert (1880/81), deux romans expérimentaux, deux romans de désillusion et deux romans éminemment importants pour l’histoire du roman moderne qui apparaissent par ailleurs comme deux romans clefs de l’encyclopédisme littéraire.
2D’un point de vue théorique, ce travail se situe dans la discussion actuelle sur les multiples relations entre littérature et savoir et propose une interrogation sur la catégorie du roman encyclopédique telle qu’elle a été développée par la critique littéraire depuis une cinquantaine d’années. A partir d’une discussion de travaux théoriques francophones, germanophones et, dans une moindre mesure, anglophones, elle propose une grille d’analyse qui insiste sur la dimension « critique » et la portée politique et sociale du roman encyclopédique.
3Sur le plan historique, ce travail développe une analyse de l’idée même d’encyclopédie et tente de préciser sa fonction sociale et ses enjeux intellectuels au cours de la période contemporaine des œuvres de Flaubert et de Goethe. L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, projet contemporain du jeune Goethe, n’était certainement ni le même type de livre, ni le même type d’entreprise éditoriale, ni encore la même conception du savoir, que l’Encyclopédie Roret, lecture courante du temps de Flaubert.
4Revenir sur la réception de Goethe par Flaubert a permis de montrer que l’universalisme goethéen a fortement influencé la réception de l’écrivain allemand dans la deuxième moitié du XIXe siècle en France. Flaubert admirait en Goethe son style et cherchait comme lui à construire l’objectivité dans le roman. De façon plus générale, ce sont ces mêmes motifs qui ont fait du Goethe post-wertherien une référence pour un groupe d’auteurs français « modernes » de la deuxième moitié du XIXe siècle – les « goethistes ». Sans doute les savoirs et la science ne sont-ils pas les mêmes au début et à la fin du XIXe siècle. Mais c’est précisément ce geste romanesque, le regard critique du roman sur le savoir et la connaissance, qui traverse le siècle.
5La thèse couvre surtout deux moments importants du XIXe siècle, le romantisme allemand et la modernité française, qui se caractérisent tous deux par une volonté de dépasser l’opposition entre science et art. L’histoire du roman romantique allemand n’est évidemment pas celle du roman français de la décadence. Les Affinités électives et Bouvard et Pécuchet sont marqués par des conditions sociales et politiques très particulières. L’un comme l’autre revendiquent cependant une même aspiration à une universalité susceptible de donner au roman et à la littérature et son imaginaire une place égale à côté des sciences. Mais comme le montre finalement l’analyse des textes, les auteurs prennent des décisions formelles semblables lorsqu’ils abordent des thèmes encyclopédiques dans le roman. Dans la pluralité des savoirs repérables dans les deux textes, trois domaines du savoir du XIXe siècle ont été mis en relief : la chimie, la botanique/l’art du jardin et la pédagogie. Ces trois domaines de savoir permettent trois formes de réflexion sur et de critique du projet encyclopédique. La chimie est au cœur de l’ironie et du comique d’idées. Dans les deux romans, un phénomène chimique – l’attraction et la répulsion des corps – est au centre de la construction de l’intrigue. La langue mélange ainsi des sphères a priori incompatibles. De Goethe à Flaubert, on assiste cependant à une évolution de la chimie d’abord domaine de la philosophie de la nature puis science puissante à la base de plusieurs secteurs industriels.
6La botanique joue, quant à elle, un rôle décisif dans la critique du jardin paysager et de l’idylle, lieu primitif du savoir. Dans les deux textes, le jardin, qu’il soit d’agrément ou à vocation agricole, ne se résume pas à un cadre, il est un lieu travaillé par les personnages. Ceux-ci y mettent en œuvre leur savoir et leur savoir faire et s’efforcent d’imposer des techniques culturelles sur la nature. La figure épistémique de la greffe fournit une image forte de cette volonté de soumettre la nature à la culture. Mais celle-ci n’aboutit pas au même résultat dans les deux romans. Si les greffes d’Edouard donnent de nouvelles pousses, les plantes de Bouvard et Pécuchet ne portent pas de fruits. Le jardin se trouve dévoyé et stérile. Ces analyses rejoignent du reste celles que l’on peut faire du musée, autre espace du savoir particulièrement présent dans les deux romans. L’accumulation du savoir par le biais de la collection et l’arrangement d’objets dans un musée ou une collection apparaît en effet comme un geste encyclopédique. Ce n’est pas seulement l’accumulation, mais surtout le choix d’objets, la réflexion sur la totalité et le fragment, la préciosité et le déchet qui sont ici en jeu.
7La pédagogie, enfin, est au cœur de la critique de la dimension universaliste de l’encyclopédie. Cette discipline se constitue comme une science autour de 1800 alors que l’enseignement devient également une affaire d’Etat. Le roman encyclopédique oppose à l’optimisme qui guide les animateurs de ces mouvements des personnages romanesques qui incarnent les limites du savoir : les élèves atypiques, les pédagogues et instituteurs et les dilettantes. Parce que le projet d’éducation nationale ne correspond pas nécessairement à l’idéal d’une formation universelle, il suscite ainsi la critique des romanciers. La figure (épistémique) du copiste est finalement porteuse d’une forme de réflexivité qui concerne plus particulièrement l’écriture et la mémoire. Elle est inséparable de l’inscription et de l’écriture, donc de la figure de l’écrivain et des gestes d’inscription – des traces de l’écriture – qui parsèment les deux romans.
Pour citer cet article
Référence électronique
Hildegard Haberl, « Ecriture encyclopédique – écriture romanesque : représentations et critique du savoir dans le roman allemand et français de Goethe à Flaubert », Trajectoires [En ligne], 4 | 2010, mis en ligne le 15 décembre 2010, consulté le 15 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trajectoires/568 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trajectoires.568
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