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Polémiques de la « seconde dissidence ». Les prises de position d’un sous-champ d’auteurs de RDA émigrés en RFA lors de la « querelle littéraire interallemande » des années 1990.

Thèse de doctorat en études germaniques préparée sous la direction de Ralf Zschachlitz, université Lumière Lyon 2, soutenue le 20 novembre 2008.
Sibylle Goepper

Texte intégral

1Alors que la « querelle littéraire interallemande » des années 1990 est habituellement présentée sous l’angle des discussions ayant opposé les journalistes ouest-allemands aux auteurs d’ex-RDA, notre étude se concentre sur les prises de position d’un groupe d’écrivains "polémistes" originaires de RDA et ayant émigré en RFA au milieu des années 1970. C’est dans cette perspective que nous analysons trois polémiques auxquelles ils ont pris part : il s’agit d’abord du débat déclenché par la parution du récit Was bleibt de Christa Wolf en juin 1990, puis du scandale provoqué par la révélation de la collaboration de Sascha Anderson avec la Stasi en octobre 1991, enfin des reproches formulés à l’endroit de Günter Grass au moment de la publication de Ein weites Feld en 1995.

2La participation des poètes et romanciers Wolf Biermann, Jürgen Fuchs, Sarah Kirsch, Günter Kunert, Reiner Kunze, Erich Loest et Hans Joachim Schädlich au déclenchement des différents volets de la « dispute » invalide les critères géographiques, politiques et générationnels généralement employés, rendant nécessaire la définition d’une nouvelle grille d’analyse. L’utilisation de la théorie des champs de Pierre Bourdieu permet alors l’introduction d’une ligne de clivage nouvelle entre écrivains autonomes (soumis à la logique spécifique de leur champ) et écrivains hétéronomes (soumis à une logique extérieure). La « querelle littéraire » des années 1990 apparaît comme l’expression d’une rivalité entre une tradition soumise à l’esprit partisan de ses représentants, dominante depuis 1945, et une conception de la littérature plus indépendante, jusque là dominée. Ainsi, à la faveur des bouleversements des années 1990, les représentants de cette dernière tendance cherchent à prendre la main sur le champ littéraire.

3L’étude du premier épisode de la « querelle » confirmequec’est bel et bienl’hétéronomie des auteurs socialistes-réformateurs de RDA qui est mise en cause lors des débats. Or, la convergence de vue de Wolf Biermann, Günter Kunert et Hans Joachim Schädlich sur cette question signale l’émergence d’une position différentielle. Celle-ci se réclame d’une esthétique de la radicalité fondée sur les valeurs d’autonomie du champ littéraire. Bien que l’émigration soit un facteur de rassemblement, tous les auteurs émigrés de RDA ne participent cependant pas à la « querelle ». Afin d’isoler notre sous-champ d’auteurs, nous avons donc défini la catégorie de « seconde dissidence » qui marque une étape supplémentaire dans le processus d’émancipation de certains écrivains est-allemands en comparaison de leurs collègues socialistes-réformateurs, mais également des autres émigrés de RDA. Celle-ci est fondatrice du discours de légitimité formulé en 1990.

4Afin de remonter à ses origines, la deuxième partie de notre travail s’applique à reconstruire la position des émigrés dans le ou les champ(s) littéraire(s). Cette étude synchronique confirme que les Übergesiedelte représentent bien une position difficilement classable entre champ Est et champ Ouest. A nos yeux, cette mauvaise intégration constitue le terreau de leur indépendance intellectuelle et artistique. Cette dernière est du reste le résultat d’une double rupture : celle qui a eu lieu lors départ de la RDA, mais également durant la période passée à l’Ouest, au cours de laquelle ces artistes sont très isolés. Ainsi, on assiste dès cette époque à des prises de position communes qui annoncent les déclarations du « tournant ».

5Par la suite, l’étude de l’opposition entre Wolf Biermann et Sascha Anderson d’un côté, Hans Joachim Schädlich et Günter Grass de l’autre a permis de vérifier que nous étions à chaque fois en présence d’un conflit entre artiste autonome et hétéronome.

6La concurrence entre Biermann et Anderson naît de ce que le plus jeune se présente dans les années 1980 comme un artiste étant parvenu à une plus grande autonomie en RDA que celle de son aîné et ce, uniquement par le biais de sa pratique esthétique. Afin de vérifier que la poésie de Sascha Anderson pouvait effectivement prétendre au dépassement de la stratégie d’affrontement du chansonnier, nous avons comparé les recueils de Biermann Deutschland. Ein Wintermärchen (1972) et de Anderson Totenreklame. Eine Reise (1982), tous deux unis par la référence à Heinrich Heine. Il apparaît alors que l’œuvre de Biermann fait montre d’une radicalité face au pouvoir jamais démentie, y compris à l’époque où le chansonnier est encore fortement engagé aux côtés du socialisme réel. En revanche, bien que puisant ses influences dans les avant-gardes proscrites, la poésie d’Anderson ne fait pas la preuve de son caractère subversif en renouvelant de manière originale ces formes. En outre, l’hermétisme croissant des textes contribue à les abstraire de la réalité est-allemande. Or au vu de ce que l’on sait de la volonté de la Stasi de neutraliser coûte que coûte les voix contestataires en RDA, y compris en favorisant l’émergence de tendances plus formelles, la production d’Anderson ne peut plus être lue comme une œuvre autonome.

7La polémique entre Schädlich et Grass a été entièrement traitée à partir des liens intertextuels unissant Tallhover (1986) et Ein weites Feld (1995). La méthode d’analyse bourdieusienne a mis en lumière qu’en dehors de la reprise biaisée du personnage d’espion créé par Schädlich, le roman de Grass contenait une mise en abyme du champ littéraire et des positions d’auteurs qui le compose. Or les attaques répétées envers la position des écrivains émigrés ne servent pas uniquement à manifester la solidarité de l’Allemand de l’Ouest avec ses collègues de l’Est, elles sont également l’expression de la concurrence régnant entre cet écrivain militant, qui met sa littérature au service des causes politiques qu’il sert, et Schädlich, qui s’attache dans ses textes à mettre à nu les mécanismes du pouvoir en dehors de tout esprit partisan. La dispute témoigne ainsi du combat que se livrent au moment de la réunification un dominant, dont l’esthétique est remise en cause par la « querelle littéraire », et un dominé qui, dans ce contexte, a toutes les chances d’amasser suffisamment de capital symbolique pour être canonisé par le champ littéraire.

8L’application de la théorie des champs de Pierre Bourdieu à la « querelle littéraire » des années 1990 a ainsi contribué à mettre au jour les mutations profondes qui affectent le champ littéraire allemand en voie de fusion à l’époque du « tournant ». En ce sens, elle doit être comprise comme une dispute esthético-programmatique servant à élaborer la « problématique légitime » qui sera en vigueur au sein du champ réunifié. La catégorie de « seconde dissidence » permet quant à elle d’appréhender d’ores et déjà plus finement le cheminement idéologique de certains artistes socialisés en RDA au cours des dernières décennies.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sibylle Goepper, « Polémiques de la « seconde dissidence ». Les prises de position d’un sous-champ d’auteurs de RDA émigrés en RFA lors de la « querelle littéraire interallemande » des années 1990. »Trajectoires [En ligne], 3 | 2009, mis en ligne le 16 décembre 2009, consulté le 13 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trajectoires/359 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trajectoires.359

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