De l’Eurocorps à une armée européenne ? Pour une sociologie historique de la Politique européenne de sécurité et de défense (1991-2007)
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1Cette thèse de science politiqueporte sur la construction, la pratique et les usages de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) depuis les années 1990. L’enjeu est d’étudier cette politique en privilégiant un angle d’approche franco-allemand au départ, et en mettant en œuvre une démarche comparative entre les deux pays, afin de saisir les pratiques, les représentations mais également les points d’achoppement de cette politique de défense d’un type inédit. Nous avons choisi de l’étudier selon une démarche de sociologie historique et constructiviste qui nous conduit à privilégier certains concepts clés : sociologie des acteurs (trajectoires, habitus et ethos professionnels), configurations de relations entre acteurs, accent mis sur les processus de socialisation et d’apprentissage. D’un point de vue méthodologique, cette thèse s’appuie sur une démarche qualitative et privilégie l’usage de l’entretien semi-directif : le corpus se compose de 135 entretiens, complétés par la lecture de la presse, de la littérature spécialisée et grise sur le sujet
2Dans une première partie, la thèse se concentre sur la genèse de la politique européenne de défense en prenant en compte tant les facteurs conjoncturels que structurels, en l’occurrence le cadre de socialisation de la coopération militaire franco-allemande. Cela correspond à la phase d’émergence et de « mise à l’agenda » de cette politique. Cette partie précise le contexte géopolitique initial particulier qui a constitué une première fenêtre d’opportunité (fin de la guerre froide, réforme de l’OTAN) et souligne le rôle d’entrepreneurs politiques du président Mitterrand et du chancelier Kohl et de leur relation étroite. Elle revient ensuite sur la tentative avortée de constitution d’une Communauté européenne de défense (CED) au début des années 1950 afin de montrer que la Politique Européenne de Sécurité et de Défense ne naît pas ex nihilo, mais s’inscrit dans une longue tradition de réflexion et de tentatives en matière de défense de l’Europe.
3Dans un second temps, l’analyse porte sur la construction de la politique européenne de défense comme une configuration sociale spécifique. Cette configuration, dotée d’organes propres et régie par l’intergouvernementalisme, interfère avec les configurations nationales de politique de défense structurées sur le temps long, en modifiant les jeux d’interdépendance entre les capitales et Bruxelles. De plus, la configuration PESD est largement affectée par le poids de la socialisation tant nationale que professionnelle et organisationnelle des acteurs (en l’occurrence avant tout les militaires et les diplomates), qui influence leurs pratiques et leurs représentations de cette politique. Ce nouvel espace social fait l’objet d’un investissement différencié par les principaux acteurs qui la font fonctionner. Ici l’enjeu de l’analyse est de montrer comment les pratiques et les représentations des acteurs sont centrales pour comprendre le fonctionnement du cadre ou de l’architecture institutionnelle mise en place qui repose sur des compromis entre acteurs ayant des points de vue différents. Après avoir décrit le double jeu de pouvoir entre capitales et Bruxelles, il s’agit de les expliquer en approfondissant la sociologie des acteurs en termes de socialisation et de trajectoires. Cela permet de alors de souligner le poids des habitus nationaux, des « cultures » et des ethos professionnels des différents acteurs de part et d’autre du Rhin, dans la perception de la PESD, de ses objectifs et finalités, des relations avec l’OTAN.
4Enfin, la troisième partie s’intéresse au poids des représentations nationales de sécurité, qui joue à un niveau macro comme un obstacle pour la PESD, soulevant dès lors des enjeux de légitimation. Entre héritage et ajustements de nature incrémentale, cette politique autorise des usages différenciés sur le plan militaire. Là encore, le poids des « cultures » nationales et des habitus militaires limitent les effets d’apprentissage tout comme les convergences réelles dans un univers de fortes contraintes financières et budgétaires, qui font la singularité de cette politique qui ne vise en aucun cas à la constitution d’une armée européenne intégrée. D’où l’importance des processus de légitimation, voire de mise en scène de cette politique et, en particulier, du rôle du couple franco-allemand. Les discours et les rhétoriques masquent la faiblesse des ressources et des moyens, les limites capacitaires et la faible efficience militaire mais permettent à cette politique de se développer. Finalement, la PESD ne vise pas à construire une armée européenne, mais remplit des fonctions latentes de substitut politique et symbolique au moins aussi importantes, si ce n’est plus, que ses fonctions manifestes de réactivité aux crises. La PESD contribue ainsi à construire politiquement le rôle d’acteur international de l’UE en matière de sécurité.
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Delphine Deschaux-Beaume, „De l’Eurocorps à une armée européenne ? Pour une sociologie historique de la Politique européenne de sécurité et de défense (1991-2007)“, Trajectoires [Online], 3 | 2009, Online erschienen am: 16 Dezember 2009, abgerufen am 14 Dezember 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trajectoires/355; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trajectoires.355
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