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Perspectives

De la « dénaturalisation » à la « renaturalisation » des femmes

Nature et réification chez Adorno
Salima Naït Ahmed

Résumés

Résumé en français : Les écrits de Theodor W. Adorno (1903-1969) présentent deux types de réflexions sur les femmes. Le premier « dénaturalise » la féminité en montrant ses ressorts historiques. Le second contribue à la « renaturaliser » symboliquement, notamment en faisant de ses caractéristiques dites naturelles autant de leviers pour la résistance au patriarcat. L’article propose d’interroger ces deux gestes tout en s’attardant sur le second, qui semble plus difficilement intégrable à la dialectique adornienne. Le geste de renaturalisation symbolique est-il réellement compatible avec la puissante démystification de la féminité qu’on trouve chez Adorno ? Comment s’intègre-t-il dans la dialectique adornienne de la nature ?

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Texte intégral

De la « dénaturalisation » à la « renaturalisation » des femmes Nature et réification chez Adorno

  • 1 « La femme qui s’éprouve comme une blessure lorsqu’elle saigne, sait plus d’elle-même que celle qui (...)

« Die sich als Wunde fühlt, wenn sie blutet, weiß mehr als die, welche sich als Blume vorkommt, weil das ihrem Mann in den Kram paßt1. » (Adorno, 1990c :105)

  • 2 Peu de travaux ont été consacrés directement à la thématique des femmes dans les écrits d’Adorno. P (...)

1Dans cette phrase des Minima Moralia, Theodor W. Adorno, peu connu pour ses réflexions sur les femmes2, met en œuvre une bien singulière dialectique censée unir la nature à la conscience féminine.

  • 3 Au sens de la différence spécifique d’un être, ici le saignement qui distinguerait les femmes des h (...)
  • 4 Adorno fut fortement influencé par l’analyse lukácsienne de la réification. Lukács procéda à une ex (...)

2Deux éléments, le sang et la fleur, pourraient y être rapportés à la nature3. Pourtant, la phrase d’Adorno contribue à brouiller l’opposition entre nature et artifice. Il laisse entendre que c’est l’être a priori de pure nature, la fleur, qui sert d’artifice idéologique pour l’intégration par la conscience féminine de la domination patriarcale, structure de pouvoir sur laquelle il est coutume de jeter des ornements séduisants. Cette affinité de l’usage des fleurs avec l’oppression des femmes fut aussi observée par Colette Guillaumin, dans un article resté célèbre, consacré à la relation unissant le « discours de la nature » et le pouvoir patriarcal. La penseuse féministe remarquait que « les fleurs et les décorations » sont « toujours disponibles pour couronner le front du bétail » des femmes (1978a : 28). La fleur ne sert pas simplement à cacher la laideur de la chaîne de l’assujettissement, mais surtout à masquer son historicité sous un vernis de naturalité. Bien qu’il n’employât pas encore l’expression de « discours de la nature », forgée plus tard par Guillaumin et entre temps devenue un leitmotiv des études féministes, c’était bien à ce type particulier de discours, mobilisant l’idée d’une nature première pour mieux légitimer la domination sociale, que s’attaquait déjà Adorno dès les années 40. Sa réflexion était plus particulièrement polarisée par la critique de la réification, comprise comme le fait non seulement pour les êtres humains mais aussi pour un ensemble très vaste de phénomènes sociaux de prendre le caractère de chose, sous l’effet de l’extension de l’échange marchand4. La société bourgeoise tire de ce phénomène un profit idéologique en faisant passer pour naturel ce qui est en réalité historique et institué. Mais selon Adorno, c’est sur les femmes que l’effet de ce discours mystificateur serait le plus puissant, puisqu’il permettrait leur identification fantasmée avec l’artifice de la fleur.

  • 5 Dès ses premiers écrits philosophiques des années 1930, notamment dans le triptyque constitué par D (...)

3À l’inverse de la fleur, le saignement des femmes, bien qu’il puisse être rapporté à une spécificité naturelle, rendrait symboliquement possible la prise de conscience d’une blessure proprement historique, contingente, des femmes. Adorno mêle ainsi à la démystification de la nature la reconnaissance de ce que la nature même a de plus pérenne : la répétition d’un cycle, pour mieux renvoyer paradoxalement à l’histoire, faite chez Adorno de temporalités fragmentées et échappant aussi bien au cours linéaire menant à un supposé progrès, qu’à la répétition cyclique (Adorno : 2001). Le renvoi réciproque de la nature à l’histoire et de l’histoire à la nature, de la nécessité à la contingence et inversement, est caractéristique d’une dialectique propre à la pensée d’Adorno5.

  • 6 Il est ici question de féminin et non de « femmes » pour rendre compte à la fois de l’essentialisat (...)

4La phrase des Minima Moralia invite dès lors à entrevoir quelque chose qui relève du dépassement de l’opposition entre nature et histoire dans le cas particulier de l’oppression des femmes. Dans ce but, Adorno utilise conjointement une stratégie de dénaturalisation et de renaturalisation du « féminin »6. La dénaturalisation consiste à démystifier la pseudo-nature des femmes pour mieux la dissoudre ; tandis que la stratégie de renaturalisation du féminin désigne la mobilisation de symboles en rapport avec la nature (par exemple le sang ou la maternité), pour mieux mettre le « féminin », comme « différence », au service de la contestation du patriarcat.

5C’est ce geste de renaturalisation du « féminin » qu’il s’agit d’interroger. Que dit cette stratégie qui place les femmes du côté de la nature ? Est-elle réellement compatible avec leur dénaturalisation ? Pour tenter une réponse, il faut d’abord exposer les stratégies distinctes qui cohabitent dans les écrits d’Adorno, à savoir la dénaturalisation et la renaturalisation replacées dans le contexte propre de l’École de Francfort.

La dénaturalisation du genre, un constructivisme adornien ?

Adorno, l’École de Francfort et la question des femmes

  • 7 Cf. entre autres les articles de Sir Galahad, Robert Briffault, Erich Fromm et Margaret Mead publié (...)
  • 8 Le projet est formulé par Adorno dans sa lettre à Erich Fromm du 16 novembre 1937 (Adorno, Horkheim (...)
  • 9 Si Adorno n’emploie pas à l’époque le mot « genre », répandu plus tard avec le développement et la (...)

6Adorno n’a pas écrit d’ouvrage spécifiquement dédié à la question des femmes. Il serait cependant trop hâtif de conclure au caractère mineur de la thématique. Dans les années 1930, la question des femmes est en effet au cœur des interrogations de l’Institut für Sozialforschung. De nombreux articles et recensions publiés dans sa revue, la Zeitschrift für Sozialforschung, sont consacrés à des thématiques qui présagent une place prépondérante de la critique du patriarcat : l’idée d’un matriarcat originaire, la place des femmes dans la famille, ou encore le travail des femmes7. Conscient de l’importance de la thématique pour l’École, notamment sous l’influence d’Erich Fromm, Adorno propose dès 1937, « dans le droit-fil des travaux empiriques de psychologie sociale de l’Institut für Sozialforschung » (Ziege, 2004 : 29), l’élaboration d’une théorie du « caractère féminin8 », compris comme un ensemble déterminant de traits féminins typiques dans le contexte de la société capitaliste. Si, après le choc de la Seconde Guerre mondiale, ces réflexions ne donnent pas lieu à une véritable étude des questions de genre9, elles n’en demeurent pas moins d’une grande acuité. Les écrits d’Adorno mettent régulièrement en scène des figures féminines qui fonctionnent comme des archétypes et permettent un véritable déchiffrage du social, des figures de femmes bourgeoises, prostituées, de femmes au foyer, etc. La « physionomie » adornienne du social (Honneth, 2007 : 70-92) présente des figures féminines qui pourraient révéler la force d’information sociale du capitalisme dans l’existence quotidienne des femmes. Une certaine puissance de vue des remarques d’Adorno sur le genre se manifeste dès lors à travers l’idée selon laquelle certaines formes exagérées de féminité ou de masculinité indiquent le caractère construit du genre. Cette exagération méthodique d’Adorno retiendra notre attention dès lors qu’elle participe explicitement d’une forme de dénaturalisation du genre. Cette exagération sera aussi au cœur de l’interrogation, car elle court le risque de faire glisser la démarche adornienne de la fécondité heuristique des figures de la physionomie du social vers la simple caricature et la stéréotypisation des femmes.

Qu’est-ce que la « dénaturalisation » ?

  • 10 Comme la notion de réification, celle de « seconde nature » [Zweite Natur] est héritée par Adorno d (...)
  • 11 « La féminité […] est toujours précisément ce que chaque femme doit se contraindre à toute force – (...)
  • 12 Les réflexions d’Adorno autour du thème de « l’unité du sexe et de la propriété » (Adorno, Horkheim (...)

7Le terme Denaturalisierung est emprunté à la féministe allemande Regina Becker-Schmidt (2004 : 65) qui a proposé une des rares critiques féministes des écrits d’Adorno. La dénaturalisation désigne une figure de pensée fréquente par laquelle Adorno identifie la féminité à une « seconde nature10 », en tant qu’elle n’est rien d’autre que le résultat artificiel d’une puissance d’information masculine : « Weiblichkeit (…) ist stets genau das, wozu eine jegliche Frau mit aller Gewalt – mit männlicher Gewalt – sich zwingen muss11 ». La féminité n’est qu’une forme donnée à une vie assujettie, appropriée12 par les hommes qui lui confèrent les caractères d’une marchandise attrayante et désirable. Le terme de dénaturalisation présente aussi un avantage supplémentaire, par rapport à ceux d’historicisation ou de généalogie, car il rappelle l’importance particulière de l’idée de nature dans la dialectique adornienne.

  • 13 « Le caractère féminin et l’idéal de féminité suivant lequel il a été modelé sont les produits de l (...)

« Der weibliche Charakter und das Ideal der Weiblichkeit, nach dem er modelliert ist, sind Produkte der männlichen Gesellschaft. Das Bild der unentstellten Natur entspringt erst in der Entstellung als ihr Gegensatz. […] Der weibliche Charakter ist ein Abdruck des Positivs der Herrschaft. Damit aber so schlecht wie diese.13 » (Adorno, 1990c : 105)

  • 14 Si la critique des catégories binaires de genre comme induisant un rapport social d’oppression est (...)
  • 15 Cf. Bégot (2008).
  • 16 « La co-occurrence de l’assujettissement, de la sujétion matérielle, de l’oppression d’un côté et d (...)

8Le propos d’Adorno s’apparente ici aux réflexions proposées par les féministes matérialistes qui s’attaquent à la dimension normative du genre pour mieux s’en extraire14 : la catégorie de féminité étant le résultat du processus d’appropriation des femmes par le patriarcat, elle devrait, en tant que telle, être rejetée pour les besoins de leur libération. Bien qu’Adorno ne soit pas allé jusqu’à tirer de telles conséquences, sa réflexion consacrée à la négativité du « féminin » implique un cadre constructiviste, c’est-à-dire une épistémologie selon laquelle le « féminin » ne constitue pas une réalité substantielle et positive directement livrable à la connaissance mais est l’objet d’une construction. Ce cadre participe de la dénaturalisation du « féminin ». Elle est à envisager dans le contexte plus large de la méthode adornienne à l’œuvre dès les écrits de jeunesse15, qui détermine la nature de la théorie critique. Elle consiste à historiciser la nature comme l’histoire, au double sens où le point de vue critique donne à voir une généalogie de la constitution des points de vue toujours situés dans une relation particulière à un pouvoir, et au sens où le point de vue critique lui-même n’échappe pas à la contingence historique. La critique adornienne n’offre pas de « point de vue de Sirius » qui disposerait d’une nature ultime comme critère normatif, le philosophe critique ne peut se référer qu’à l’histoire pour dévoiler l’histoire « figée en nature ». La dénaturalisation, plutôt que la simple « historicisation » ou « généalogie », permet en outre d’indiquer à revers la puissance de l’idéologie qui se réclame de la nature. Dans le cas des femmes, le terme est d’autant plus approprié que la croyance selon laquelle elles constitueraient un groupe naturel est une des imputations naturalistes encore les moins questionnées16. Comme l’écrivait Guillaumin (1978b : 18), « on crie à la nature dès qu’on veut affirmer son pouvoir ». Le discours de la nature provoque d’autant plus le soupçon qu’il ne tire sa légitimité que de sa répétition ad nauseam. Pourtant, si véritablement il y avait nature, elle irait de soi. Un tel discours de la nature se trouvait déjà dans l’orbe de la critique de Pascal qui notait dans ses Pensées l’inquiétude des pères « que l’amour naturel des enfants ne s’efface ». À cette inquiétude il répond : « quelle est donc cette nature sujette à être effacée ? La coutume est une seconde nature qui détruit la première » (Pascal, 1909 : 372-373). Dans la pensée théologico-politique de Pascal, le point origine du péché d’Adam abolit toute origine. La première nature, à jamais perdue par la corruption du péché, est rendue indéterminable. De la même façon, dans la pensée d’Adorno (dispensée de l’expédient religieux), la nature n’est perceptible que comme envers d’une situation historique qui conserve le souvenir d’une perte. Ainsi comprise, la dénaturalisation appliquée au genre est formulée sur trois plans différents dans l’œuvre d’Adorno : l’idée de performativité du genre, la considération de la famille, et enfin la dénonciation d’un discours de la nature qui sert la conformité et l’obéissance.

Le théâtre des sexes : « die Weibchen sind die Männchen17 »

  • 17 Adorno, 1990c : 105.
  • 18 Contre une confusion commune à propos de la pensée de J. Butler, et comme le remarque Eric Fassin d (...)
  • 19 À propos du caractère matérialiste et marxiste de l’idée de construction discursive des genres, cf. (...)
  • 20 « abstraktes außer der Welt […] Wesen » (Marx, 1957 : 378).
  • 21 « phantastische Verwirklichung des menschlichen Wesens », idem.
  • 22 « verdrossen hübsch, eine schlanke aufrechte, angestrengt jugendliche und fanierte » (Adorno, 1990c (...)
  • 23 « Les vraies femmes sont des mâles » (Adorno, 2003 : 129).
  • 24 Bien que dans son essai, Sexualtabus und Recht heute (1990e : 533-554), Adorno ait dénoncé la répre (...)

9L’idée d’une construction performative des identités sexuelles est communément associée au nom de Judith Butler (1990). L’auteure désigne ainsi la détermination du genre par de multiples assignations normatives qui exercent une contrainte très forte sur les individus. La performativité du genre est par définition d’ordre discursif, au sens où elle désigne le fait pour des discours de viser la réalisation de ce qu’ils énoncent. Pour le genre, ils prennent la forme d’injonctions et leur force performative est intrinsèquement liée au mimétisme des corps qui répètent des schémas devenus routiniers18. Chez Adorno, la construction des genres ne semble pas discursive dès le premier abord, mais apparaît plutôt d’emblée comme une construction ancrée dans un cadre marxiste, au sens où le genre se voit informé par un certain nombre de forces sociales. Cependant, c’est bien grâce aux discours et aux images de l’industrie culturelle que ces forces inspirent le mimétisme et accroissent leur puissance. En ce sens, il n’y a pas de contradiction entre les approches matérialiste adornienne et performative butlerienne, dès lors que les structures matérielles ne sauraient être comprises indépendamment des médiations symboliques qui les déterminent19. Fidèle à la filiation hégéliano-marxiste, la théorie critique ne comprend en effet l’identité individuelle que comme être devenu et en devenir selon son commerce avec d’autres subjectivités, et non comme un « être abstrait, extérieur au monde20 », pour une quelconque « réalisation fantastique de l’humanité21 » (Marx, 1998 : 7). Si, ainsi que l’écrit Marx, « l’homme, c’est le monde de l’homme, l’État, la société » (Marx, 1998 : 7), alors on peut bien admettre que « la femme, c’est aussi le monde de l’homme » puisque c’est l’homme qui détermine « l’État et la société ». Sur la scène particulière du capitalisme tardif, les effets de performativité du genre se traduisent dans les figures de l’exagération mises en scène par Adorno. La diffusion à plein régime par l’industrie hollywoodienne des idéaux de féminité et de virilité révèle le caractère mimétique des identités sexuelles. La figure du « tough guy » concentre sa virilité dans des attitudes et des vêtements particuliers. Il rentre le soir en smoking dans sa garçonnière, boit un whisky soda en tirant sur son cigare et attire les femmes « comme des mouches » en raison inverse de la sympathie qu’il leur manifeste. Cette figure du « mâle » popularisée par le cinéma devient le modèle de n’importe quel « petit employé de banque » (Adorno, 1990c : 50-52). La jeune fille, quant à elle obsédée par le maintien des plis de sa coiffure et de sa robe, semble avoir constamment devant elle le reflet d’une féminité à laquelle se conformer (Adorno, Horkheimer, 2003 : 543). Le caractère mimétique du genre est d’autant plus lisible dans le capitalisme tardif qu’il finit par produire en série un archétype de femme, « jolie mais l’air maussade, mince et droite » qui « cache mal sous son allure jeune un peu forcée la femme déjà fanée22 » (Adorno, 2003 : 159). Dans la comédie sociale, la féminité et la virilité exagérées tournent parfois à la caricature. En ces « Temps Modernes », leur mécanique est au genre ce que les gestes de Chaplin sont au travail exploité. Le soupçon est dès lors porté sur l’attachement trop sérieux à l’identité virile ou féminine qui semble trahir le rapport que ces identités binaires entretiennent au pouvoir. Ainsi, écrit Adorno : « Die Weibchen sind die Männchen23 » (Adorno, 1990c : 105). La remarque renvoie non seulement au caractère strictement négatif de l’identité féminine qui n’est ce qu’elle est que sous l’effet du fouet patriarcal, mais signifie aussi que la comédie de la féminité révèle l’acceptation par certaines femmes des rapports de pouvoir. Elles entrent dans le jeu mâle de la domination en utilisant la puissance induite par leur attrait marchand. Masculin et féminin s’identifient l’un à l’autre à ce point précis de leur différenciation maximale qui est celui de leur acceptation de l’ordre. Mais leur démonstration de force est aussi le signe d’une faiblesse. Le vernis des identités sexuelles finit par craquer à force d’exagération pour révéler l’imposture du binarisme. Le « tough guy » décrit par Adorno a quelque chose de féminin dans la fraternité homophile à laquelle il tient, signe d’une » homosexualité refoulée » (Adorno, 1990c : 51-52). Précisons que les remarques d’Adorno concernant cette « homosexualité refoulée » présupposent une compréhension particulière de l’homosexualité masculine appréhendée le plus souvent comme un signe pathologique de féminité. Les archétypes antagonistes du féminin et du masculin décrits, tout comme la vision d’Adorno demeurent sous-tendus par une hétérosexualité normative24.

Dénaturalisation de la famille 

  • 25 Ces considérations sur la famille se trouvent formulées de façon rassemblée dès les travaux de 1936 (...)

10La compréhension constructiviste des catégories du genre s’ancre en second lieu dans la conception de la famille qui irrigue les écrits d’Adorno et conduit à une vision particulière des femmes. Elle utilise l’idée marxiste du caractère social de la famille contre l’idée hégélienne du lien privilégié qu’elle entretient avec les instincts naturels25. Selon la conception hégélienne, la famille, sans être une sphère de pure nature, est le lieu où s’humanisent et se scellent par le mariage les instincts amoureux. Elle demeure en-deçà de la société civile et de l’État, respectivement deuxième et troisième moments de la moralité (Sittlichkeit). « La femme », cantonnée à la sphère familiale, n’y est pas susceptible de la pleine humanité. La conception adornienne de la famille remet en question une telle vision. À ce titre, les sources d’inspiration marxienne et freudienne viennent conférer à la famille une forme de « dignité psycho-sociale ». Selon la compréhension marxienne, loin d’être le refuge idéal du sentiment d’amour, la famille est une forme sociale qui se décline de diverses façons en fonction des systèmes de production. Elle n’est pas une forme anhistorique dans laquelle les femmes seraient condamnées à être enfermées. À cette historicisation, Adorno, en puisant dans la conception freudienne du modèle de la famille patriarcale, adjoint l’idée d’une acquisition de la conscience au sein de la famille dans la relation œdipienne triangulaire (père/mère/enfant – fils de préférence). Dans l’optique adornienne, le schème freudien, sans pour autant naturaliser la cellule familiale, permet de reconnaître d’une part le rôle essentiel de la relation à la mère pour la constitution de la subjectivité et d’autre part la dynamique propre de la famille, en évitant ainsi la tentation de l’économicisme. L’importance de la sphère familiale revendiquée par Hegel est donc conservée contre lui par le truchement de l’interprétation freudo-marxienne. Plus précisément, le modèle familial bourgeois, conçu selon Adorno comme largement diffusé dans la classe ouvrière, permet la constitution d’un individu autonome grâce à l’opposition à l’autorité paternelle. Au sein de la famille, l’épouse comme les enfants subissent la domination paternelle. Face à elle, se forme une relation d’identification à la mère comme horizon de compassion et d’amour inconditionnel. La mère est susceptible d’incarner la promesse utopique du bonheur et son souvenir dans la conscience (Adorno, 1990c :124). Mais l’argument est à double tranchant car ce féminin devenu « seconde nature », et finalement entièrement recouvert par la maternité, peut aussi bien agir comme principe d’obéissance. Dans ce cas, le principe féminin reste soumis au « discours de la nature » en intimant la discipline et la subordination.

Le « double discours » de la nature

11Le discours de la nature révèle alors sa liaison intime avec le pouvoir en tant qu’il cherche à persuader les femmes qu’elles sont « faite[s] pour céder à l’homme » (Rousseau, 1969 : 751). Adorno reconnaît par certains aspects de sa pensée que loin d’être toujours un horizon d’émancipation, le « féminin » figé en nature maternelle peut aussi être un agent de soumission à l’ordre. La figure maternelle au sein du foyer transmet dans ce cas un « idéal » de soumission en plantant dans les consciences enfantines les graines de l’obéissance au père. Le fait de sa soumission, aussi bien à la force mâle brute qu’à l’appropriation mâle des biens matériels, se transforme ainsi en devoir. Adorno propose donc un second portrait critique du féminin maternel comme agent de reproduction de l’ordre social patriarcal au sein de la famille.

  • 26 L’auteure utilise l’expression society without the mother pour rendre compte de la vision d’Horkhei (...)

12Pour autant, il ne s’arrête pas à l’action pernicieuse du « féminin » dans ce cadre familial. Le « féminin », comme agent au service du patriarcat, est le plus souvent saisi hors de la famille, dans le cadre du capitalisme tardif qui enrégimente les femmes dans le salariat généralisé. Mettant en danger la famille, ce « féminin » absorbé par le capitalisme, fait s’écrouler la digue qui protégeait contre l’envahissement de l’aliénation. La prise en charge des fonctions d’autorité et d’éducation par des institutions externes, nécessaire en contexte de salarisation massive des femmes, intime alors l’obéissance à l’autorité désormais anonyme et facilite la standardisation des identités de genre par la diffusion de leurs modèles médiatiques. Elle s’impose à tou·te·s et persuade à tort les femmes de leur émancipation dans le commun accès à l’exploitation universelle. Dès lors, la soumission des femmes au patriarcat aboutirait à une « société sans mères »26 (Jagentowicz Mills, 1987 : 100-113), dont les familles sont devenues les cellules désincarnées. Dans le cadre de la critique immanente d’Adorno, la position des femmes au sein de la famille traditionnelle continue finalement à servir de levier critique contre leur absorption totale par le salariat, dès lors que les femmes, en tant que mères, sont ressaisies par Adorno en tant qu’instances de résistance. Le point faible d’une telle posture se situe dans l’affirmation paradoxale selon laquelle l’enfermement des femmes doublement dominées dans la famille (à la fois par l’époux et par la structure économique) est un garde-fou contre l’extension aux femmes de la domination capitaliste tardive.

13Une mise en concurrence problématique de deux discours de la nature apparaît finalement dans les écrits d’Adorno. Le premier, réapproprié par le penseur lui-même, met en valeur la figure maternelle comme principe de résistance, le second, rejeté par lui, est celui qui persuade les femmes d’une nécessité pseudo-naturelle de leur soumission. Adorno fait jouer lui-même des discours de la nature les uns contre les autres alors que sa méthode philosophique indique plutôt leur remise en question en tant que mystifications idéologiques. La stratégie qui consiste à se servir d’une nature seconde (la nature maternelle dans la famille) pour mieux en critiquer une autre (celle de la soumission des femmes au travail) pose dès lors une difficulté épistémologique.

La renaturalisation des femmes, un geste critique ?

14La dénaturalisation comme méthode va donc de pair dans les écrits d’Adorno avec une certaine renaturalisation des femmes. Elle invite à interroger chez l’auteur ce que les études féministes appellent parfois « l’instabilité du genre » (Deutscher, 1997). L’expression désigne les représentations contradictoires du genre et en particulier des femmes, chez un même auteur. Monnaie courante dans l’histoire de la philosophie, elle révèle des mises en scènes de la féminité variant au gré des besoins d’une argumentation qui ne vise jamais l’étude pour elle-même de la condition des femmes. Le geste de renaturalisation d’Adorno peut-il véritablement s’interpréter en de tels termes ?

Renaturalisation et critique de la modernité

  • 27 L’expression independant moment of the dialectic traverse l’ouvrage de P. Jagentowicz Mills, Women (...)

15Comprendre la renaturalisation implique en premier lieu de la replacer dans le cadre d’une stratégie de critique de la modernité. L’examen d’Adorno a ceci en propre qu’il adosse la critique du procès de rationalisation moderne au risque de perte de la nature. C’est la nature considérée en tant qu’environnement de l’humain qui permet selon Adorno le développement harmonieux du moi, selon une conception esthétique de la formation de l’identité prenant en compte son rapport avec la multiplicité sensible des impressions naturelles (Honneth, 1986 : 141). Bien que la dialectique adornienne subvertisse l’opposition binaire entre nature et culture, elle ne prétend pas pouvoir s’en extraire absolument, car cette opposition historique constitue la trame de la modernité culturelle occidentale. Dans ce contexte, c’est au moment même où la nature court le péril de sa destruction totale, à la suite de la conception technoscientifique qui en fait une res extensa malléable à merci, qu’un certain romantisme de la vision d’Adorno cherche à s’y accrocher comme un îlot ultime. Selon cette dialectique de l’immanence, le sentiment nostalgique de la nature, bel et bien historique, fait signe vers une nature perdue qui agit comme un levier critique. La toile de fond de l’incrimination de la rationalité moderne s’identifie donc au spectacle de la nature que tente de sauver l’art romantique. La culturalité des paysages identifiés à la « nature » n’y est pas en question, mais seulement leur perte, et les pertes collatérales qu’elle signifie pour la subjectivité. Dans le cadre de cette critique immanente d’Adorno, ce qui est constitué comme naturel et dominé est en même temps ce qui n’a pour seule arme que le retournement du stigmate de la domination contre la force qui le constitue. Dès lors, la renaturalisation des femmes, envisagée sous le signe de la conservation de la nature comme une entité indépendante qui ne saurait être réduite à un simple moyen, c’est-à-dire comme ce que Patricia Jagentowicz Mills nomme, pour l’École de Francfort, un « moment indépendant de la dialectique27 » (1987 : XVI), apparaît sous un jour nouveau qui n’entre pas en contradiction avec la construction socio-historique de la féminité. Si le « féminin » n’est que ce qui a été constitué négativement par une force « masculine », elle-même rapportée à l’émergence de la subjectivité moderne (Adorno, 1990b), la stratégie de résistance, à laquelle pourrait servir la pensée d’Adorno, ne consisterait pas à rejeter la féminité de « seconde nature », mais au contraire à accepter ce qui a été constitué à revers du masculin pour mieux s’en défendre. Ce que souligne Adorno, c’est que la récusation pure et simple des qualités habituellement associées à la féminité court au contraire le risque de l’absorption totale des femmes « masculinisées » dans le système patriarcal.

16Les mentions du féminin chez Adorno ne sont cependant pas toutes lisibles à travers ce prisme d’une seconde nature devenue l’outil nécessaire de la contestation. Certains endroits de l’œuvre suggèrent au contraire la mise en valeur d’un seuil biologique à partir duquel le principe féminin semble redevenir une première nature, une donnée si évidente qu’elle n’est jamais questionnée.

Renaturalisation et réification

  • 28 « weibliches Tier » (Adorno, 1990c : 99).
  • 29 La conception freudienne de la féminité et des identités sexuelles ne saurait cependant se réduire (...)

17Certaines remarques d’Adorno sur les femmes semblent en effet garder la marque de l’idée d’une nature féminine immémoriale, l’idée d’un « animal femelle28 » (Adorno, 2003 : 122), et témoignent d’un usage problématique du freudisme, qui mêle à son interprétation historicisante une seconde interprétation biologisante. Ces remarques dessinent en effet une féminité rattachée à un seuil biologique patent, et s’articulent autour d’une conception freudienne de la sexualité féminine comme destin, telle qu’elle est représentée dans les écrits de Freud (1999) des années 1915-191729. La représentation adornienne de la féminité en tant que blessure ou résultat d’une mutilation se rapporte, sur un plan physique, à une différence au sein d’un rapport sexuel conçu comme intrinsèquement violent pour les femmes. De cette violence, les femmes garderaient selon Adorno un « souvenir vivace » manifesté à travers l’expression d’une « frigidité archaïque » (Adorno, 1990c : 99). La blessure féminine est aussi l’expression du complexe freudien de castration :

  • 30 « Si la théorie psychanalytique selon laquelle les femmes ressentent leur constitution physique com (...)

« Wenn das psychoanalytische Theorem zutrifft, dass die Frauen ihre physische Beschaffenheit als Folge von Kastration empfinden, so ahnen sie in ihrer Neurose die Wahrheit. Die sich als Wunde fühlt, wenn sie blutet, weiß mehr als die, welche sich als Blume vorkommt, weil das ihrem Mann in den Kram passt30 » (Adorno, 1990c : 105).

18Ici, ce complexe est implicitement rapporté à l’expérience des menstruations : il se révèlerait plus facilement dans la psychè par le truchement d’un phénomène biologique.

  • 31 Freud « macht sich so hart wie die versteinerten Verhältnisse, um sie zu brechen » (Adorno, 1990d : (...)

19Si, dans sa conférence de 1946, « Die revidierte Psychoanalyse » (1990d : 20-41), la pertinence du complexe de castration est strictement qualifiée par Adorno à l’aune de sa capacité d’expression de conditions exclusivement historico-sociales – en témoigne l’affirmation selon laquelle Freud « se fait aussi dur que les conditions pétrifiées pour mieux les détruire31 » (Adorno, 2007 : 41) –, le complexe demeure néanmoins, quand il est question des femmes, dans la dépendance de la compréhension freudienne de l’anatomie féminine comme destin (Freud, 1999 : 119-145).

  • 32 En dehors de l’idée abstraite d’un « principe maternel », certaines figures féminines extraites de (...)
  • 33 « Toutes les natures féminines sans exception sont conformistes » (Adorno, 2003 : 130).
  • 34 « les hommes valent quand même mieux que leur culture » (Adorno, 2003 : 57).

20La renaturalisation opérée par Adorno apparaît de surcroît à l’endroit même où elle est censée avoir disparu, à savoir au cœur même du procès de dénaturalisation. Qu’est-ce à dire ? Adorno envisage spécifiquement la forme de vie féminine produite par le capitalisme tardif en tant qu’elle ne tolère plus de forme féminine concurrente qui puisse subvertir la réification. Partant, la forme féminine aliénée est comprise comme parfaitement pétrifiée, se développant vers sa réification complète à mesure même qu’elle se convainc d’œuvrer à son émancipation. Tandis que l’ancien capitalisme libéral pouvait encore produire des vies incarnant la contestation du patriarcat, certaines de ces « Dames de la Mer » dont Ibsen a le secret, mélancoliques et étrangement attirées par un ailleurs symbolique32, le capitalisme tardif, avec sa consommation et ses loisirs aux vertus abrutissantes, est un carcan bien plus puissant que les anciens corsets. Il contraint la conscience féminine à n’être même plus en mesure de poser le problème de son émancipation. Quand bien même cette pétrification est le résultat d’un procès historique contingent, l’idée d’une fossilisation sans remède du féminin est le résultat d’une considération androcentrée des femmes. Adorno présuppose en effet que les archétypes réifiés de la féminité représentent le tout de la classe des femmes : « Ohne alle Ausnahme konformieren die weiblichen Naturen33 » (1990c : 106), tandis que lorsqu’il est question des hommes, Adorno prend soin de préciser que les hommes ne sauraient être réduits à leur archétype hollywoodien, car : « die Menschen sind immer noch besser als ihre Kultur34 » (1990c : 51). Adorno subsume « la condition » des femmes sous des catégories finies qui oscillent, dans le capitalisme tardif, entre la figure de la Hausfrau et celle de la petite employée dont la bêtise est qualifiée de « névrotique » (1990c :102). La prétention sociologique de tels idéaux-typiques fut largement questionnée par la génération de sociologues du genre qui succéda à Adorno (Weiss, 1995, 1999 ; Dölling, 2003). Les travaux de Regina Becker-Schmidt (2001, 2004), ancienne collaboratrice du philosophe à Francfort, ont notamment contribué à montrer qu’en saisissant certaines figures féminines à un instant donné, Adorno traite avec des clichés de la féminité au lieu de proposer une sociologie des conditions réelles des femmes. L’interprétation de la forme de vie féminine par Adorno vérifie ainsi la formule de Guillaumin : « tous les humains sont naturels mais certains sont plus naturels que d’autres » (1978b : 13).

L’angle mort du travail reproductif

21Que la renaturalisation identifie les femmes à une seconde nature ou qu’elle les rattache à un noyau biologique, elle les ignore finalement systématiquement comme actrices de l’histoire et renvoie à une critique largement instrumentale au service de la préservation du seul sujet masculin. Cette critique n’est préoccupée par les femmes que dans la mesure où elles peuvent représenter une « terre » de refuge pour des subjectivités masculines en exil. La remise en cause de la conception hégélienne de la famille, par une forme de subversion freudo-marxienne, bien qu’elle eût pu autoriser une interprétation féministe, est donc limitée pour les besoins de la défense de ces subjectivités menacées par la « société sans pères ni mères ». C’est une conception hégéliano-freudienne des relations triangulaires au sein de la famille – qu’il s’agisse d’un triangle freudien œdipien ou d’une optique hégélienne sur les rapports de forces père/mère/sœurs-frères au sein de la famille – qui contribue ainsi à conférer aux femmes une position de « gardienne de la nature ».

  • 35 Nous paraphrasons ici le titre de l’ouvrage de Sylvie Schweitzer, Les femmes ont toujours travaillé (...)
  • 36 Le concept est forgé par Guillaumin. Selon elle, l’appropriation physique qui a cours dans les rapp (...)

22Plus encore, le féminin au sein de la famille est compris comme échappant à l’obligation de travail. Les femmes, dans le milieu « protecteur » du « gynécée », sont déterminées par leur capacité reproductrice, pourtant jamais comprise comme un travail. Les tâches domestiques sont aussi ignorées pour les besoins de la démonstration qui envisage la sphère familiale comme un espace préservé. Pour ce qui regarde la famille et le travail des femmes, Adorno reste par conséquent dépendant de l’héritage hégélien. La critique du travail et le refus de l’extension du salariat aux femmes s’accommodent mieux de l’ignorance du fait que les femmes « ont toujours travaillé35 » au sein de la famille ou de l’exploitation familiale. C’est en d’autres termes le fait du « sexage36 » des femmes qui n’est pas l’occasion de la réflexion. Le sexage désigne le rapport spécifique d’appropriation des femmes. Au travail non rémunéré des esclaves ou des serfs, s’ajoute pour les femmes, esclaves ou « libres », l’exploitation sexuelle, le droit d’usage de leur corps par des hommes. Dans cette perspective, le corps féminin est conçu à la fois comme support pour la satisfaction du désir masculin et pour la reproduction des travailleurs. Laisser le sexage dans l’angle mort de la réflexion permet de conserver plus aisément une image romantique de la femme, incarnant une promesse de bonheur, et toujours prête à s’allier au fils ou au frère (comme l’Antigone de Hegel).

23En définitive, les dynamiques de dénaturalisation et de renaturalisation des femmes trahissent la non-considération pour elle-même de la question des femmes. Ce ne sont jamais les conditions réelles des femmes qui sont envisagées par Adorno, mais seulement leur ombre à travers des figures fantasmées qui permettent d’offrir à la subjectivité mâle un horizon de contestation de la domination, comme si les femmes étaient toutes destinées à se faire Antigone au service de la fraternité plutôt que Médée ou amazones en leur nom propre. L’instabilité du genre chez Adorno ne peut donc pas toujours être ressaisie comme un geste dialectique dont les plis révèleraient différents moments toujours irréductibles à une première nature définitivement « perdue ». La stratégie de renaturalisation qui fait usage d’une nature symbolique pour les besoins de la critique est bornée par deux limites. Elle implique, d’une part, un repli sur une certaine conception traditionnelle de la féminité essentiellement maternelle, dont l’aliénation par la contrainte au sexage est largement ignorée. Elle interdit, d’autre part, la prise en compte de figures non-binaires de genre qui pourraient indiquer par où se fissure l’ordre patriarcal hétérocentré.

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Notes

1 « La femme qui s’éprouve comme une blessure lorsqu’elle saigne, sait plus d’elle-même que celle qui s’imagine être une fleur parce que cela convient à son mari. » trad. Kaufholz, Éliane et Ladmiral, Jean-René (Adorno, 2003 : 129)

2 Peu de travaux ont été consacrés directement à la thématique des femmes dans les écrits d’Adorno. Parmi les plus notables, on notera cependant le n° 23 de la revue Tumultes (2004) et, plus récemment, l’ouvrage d’Estelle Ferrarese, La fragilité du souci des autres, Adorno et le care.

3 Au sens de la différence spécifique d’un être, ici le saignement qui distinguerait les femmes des hommes, et d’un environnement extérieur à l’humain, appartenant par exemple au règne végétal, comme la fleur.

4 Adorno fut fortement influencé par l’analyse lukácsienne de la réification. Lukács procéda à une extension de son sens marxien. Tandis que chez Marx, le « fétichisme de la marchandise » désigne le fait pour la valeur d’échange d’une marchandise de prendre le caractère intrinsèque d’une chose, alors qu’elle découle d’un rapport social institué, chez Lukács le fétichisme s’étend à l’ensemble de la réalité capitaliste. Les êtres humains et leurs relations sont fétichisés, sous l’effet de l’extension de la monétarisation et de la marchandisation, ils acquièrent dans le contexte capitaliste une valeur d’échange nouvelle qui passe pour naturelle dès lors que la réification devient aussi une structure de la conscience qui appréhende sujets et objets (y compris dans le rapport à soi) comme des choses. (Cf. Lukács, 2013), (Durand-Gasselin, 2012 : 29-35), (Haber, 2007), (Honneth, 2007). La critique sociale d’Adorno, en considérant plus particulièrement le cas des femmes, présente l’intérêt de s’attarder aux modalités particulières de leur réification. Adorno augure de cette façon les réflexions féministes futures en prenant en compte l’ancienneté du « caractère de marchandise » des femmes. Les réflexions féministes s’attarderont plus avant sur le versant sexuel de la réification, les femmes pouvant être considérées dans ce domaine de différentes façons comme choses : comme instruments, objets meubles, comme dénuées d’autonomie et/ ou de subjectivité, violables, etc. Cf. (Nussbaum : 2000).

5 Dès ses premiers écrits philosophiques des années 1930, notamment dans le triptyque constitué par Die Aktualität der Philosophie (1931), Die Idee der Naturgeschichte (1932) et Kierkegaard (1933), cf. Adorno (1990a).

6 Il est ici question de féminin et non de « femmes » pour rendre compte à la fois de l’essentialisation des femmes dans les discours naturalisants et de son retour dans le discours adornien lui-même, où un certain nombre de traits archétypaux constituent l’idée d’une certaine féminité qui parcoure l’œuvre du philosophe.

7 Cf. entre autres les articles de Sir Galahad, Robert Briffault, Erich Fromm et Margaret Mead publiés dans la Zeitschrift für Sozialforschung entre 1932 et 1937 (Horkheimer, 1980). On ne pourrait ici citer tous les articles concernés, pour une analyse plus détaillée de ces thématiques dans la Zeitschrift für Sozialforschung, cf. Ziege (2004) et Dayan-Herzbrun (2004).

8 Le projet est formulé par Adorno dans sa lettre à Erich Fromm du 16 novembre 1937 (Adorno, Horkheimer, 2003 : 539-545). Dans le cadre de la psychologie sociale de l’École de Francfort, la notion de « caractère sociopsychologique » est à la jonction de la méthode psychanalytique et de la méthode marxiste d’analyse sociale. Elle permet d’éclairer le versant inconscient du phénomène social tout en conservant les apports de la sociologie. Les enquêtes empiriques de l’École de francfort dessinent ainsi des portraits « sociolibidinaux » (Assoun, 2001 : 94) regroupant un certain nombre de caractéristiques typiques pour un groupe d’individus. Le caractère sociopsychologique resté le plus célèbre est sans doute le « caractère autoritaire » étudié dans les Studien zum autoritären Character (Institut für Sozialforschung, 1995). Erich Fromm pouvant être considéré comme l’initiateur de la caractérologie aux débuts de l’École de Francfort tout en ayant un intérêt particulier pour la question du matriarcat, la référence au « caractère féminin », dans la lettre qu’Adorno lui adresse pour lui soumettre un projet de recherche, revêt de surcroît une importance stratégique particulière. À l’époque, Horkheimer, assisté par Fromm, dirige l’Institut für Sozialforschung. L’influence particulière de Fromm se fait sentir par l’importance des recherches en psychologie sociale qui intègrent les concepts psychanalytiques. L’hypothèse d’un matriarcat originaire étudiée par Fromm donne lieu à de nombreux articles et recensions, notamment sous la plume de Robert Briffault. L’éviction progressive de Fromm et la place prépondérante prise par Adorno à partir de la publication commune avec Horkheimer de la Dialektik der Aufklärung (1944-1947) font passer au second plan les thématiques liées au genre. À propos des différences entre la conception frommienne et la conception adornienne de la caractérologie (cf. Assoun, 2001 : 87-96).

9 Si Adorno n’emploie pas à l’époque le mot « genre », répandu plus tard avec le développement et la reconnaissance des « études de genre », il est bel et bien question à travers son étude du « féminin » [Weiblich], de la « féminité » [Weiblichkeit] ou encore du « caractère féminin » [weibliche Charackter], des rapports de pouvoir impliqués par l’institution de rôle sociaux féminins et masculins.

10 Comme la notion de réification, celle de « seconde nature » [Zweite Natur] est héritée par Adorno des travaux de Georg Lukács. La seconde nature est caractérisée par Lukács, dans sa Théorie du Roman, comme le monde des relations sociales pétrifiées, dépourvu de fins et devenu étranger à la conscience alors même qu’il s’impose à elle comme une « première nature » c’est à dire comme un « systèmes de nécessités connues » (Lukács, 1989 : 56-58).

11 « La féminité […] est toujours précisément ce que chaque femme doit se contraindre à toute force – une force masculine – d’être » (Adorno, 2003 : 129-130).

12 Les réflexions d’Adorno autour du thème de « l’unité du sexe et de la propriété » (Adorno, Horkheimer, 2011 : 86) traversent ses différents écrits, en particulier les réflexions consacrées au mariage. Dans la Dialectique de la Raison, la genèse de l’émergence d’une subjectivité masculine et bourgeoise est en même temps celle de « rapports de propriété différenciés » (Adorno, Horkheimer, 2011 : 87) par le truchement desquels les hommes affirment des rapports de propriété sur les femmes.

13 « Le caractère féminin et l’idéal de féminité suivant lequel il a été modelé sont les produits de la société masculine. L’image d’une nature non altérée n’apparaît que dans l’altération où elle exprime son contraire. […] le caractère féminin est le négatif de la domination. Et de ce fait, il est aussi mauvais qu’elle », idem.

14 Si la critique des catégories binaires de genre comme induisant un rapport social d’oppression est partagée parmi les féministes matérialistes, elle donne lieu à des interprétations différentes de la catégorie de « féminité ». L’interprétation de Wittig (1980) se distingue notamment de l’analyse de Guillaumin (1978ab) par l’introduction de l’hétérosexualité comme paramètre d’analyse du rapport social de genre. C’est le régime de l’hétérosexualité, et pas uniquement la catégorie de féminité qu’il induit, qui détermine l’inégalité du rapport social et qui doit donc être rejeté comme tel.

15 Cf. Bégot (2008).

16 « La co-occurrence de l’assujettissement, de la sujétion matérielle, de l’oppression d’un côté et du discours hautement intellectualiste de la Nature, grande organisatrice et régulatrice des rapports humains, de l’autre, est aujourd’hui principalement “portée” par la classe des femmes. Elles passent pour le lieu privilégié des élans et des contraintes naturelles. Si historiquement ce poids a pesé sur d’autres groupes sociaux (par exemple le groupe des esclaves afro-américains ou celui du premier prolétariat industriel ou les peuples colonisés par les métropoles industrielles…), ici, dans ces mêmes métropoles, aujourd’hui, l’imputation naturaliste se focalise sur le groupe des femmes. C’est à leur propos que la croyance qu’il s’agit d’un “groupe naturel” est la plus contraignante : la plus inquestionnée. Si l’accusation d’être d’une nature spécifique touche encore aujourd’hui les anciens colonisés comme les anciens esclaves, le rapport social qui a succédé à la colonisation n’est plus une relation d’appropriation directe » (Guillaumin, 1978b : 13).

17 Adorno, 1990c : 105.

18 Contre une confusion commune à propos de la pensée de J. Butler, et comme le remarque Eric Fassin dans sa préface à Trouble dans le Genre (Butler, 2006 : 5-17), on ne saurait confondre la « performativité » du genre avec une simple « performance ». Le genre n’est pas le résultat de « performances théâtrales » librement consenties et décidées par des sujets construisant leurs propres normes sexuelles. Le genre relève d’une performativité hétéronome qui s’exerce sur les individus dans le but de réaliser ce qu’elle énonce, elle est une forme d’« interpellation sociale » qui vise l’intégration des normes hétérocentrées de genre et s’exerce souvent par l’insulte ou l’injure, adressées aux personnes qui indiquent un certain trouble dans ces normes.

19 À propos du caractère matérialiste et marxiste de l’idée de construction discursive des genres, cf. (Benoit, 2017).

20 « abstraktes außer der Welt […] Wesen » (Marx, 1957 : 378).

21 « phantastische Verwirklichung des menschlichen Wesens », idem.

22 « verdrossen hübsch, eine schlanke aufrechte, angestrengt jugendliche und fanierte » (Adorno, 1990c : 131).

23 « Les vraies femmes sont des mâles » (Adorno, 2003 : 129).

24 Bien que dans son essai, Sexualtabus und Recht heute (1990e : 533-554), Adorno ait dénoncé la répression pénale de l’homosexualité et les dégâts psychologiques qu’elle entraîne, son interprétation de l’homosexualité dans les Minima Moralia en fait une manifestation pathologique d’une subjectivité aliénée refusant violemment toute forme de différence. Selon un schéma qui demeure hétéronormatif et androcentré, Adorno retourne contre les tough guys, qui seraient en réalité des « homosexuels refoulés », l’accusation de « féminité » : « Jene Lüge aber ist keine andere, als daß verdrängte Homosexualität als einzig approbierte Gestalt des Heterosexuellen auftritt. […] Am Ende sind die tough guys die eigentlich Effeminierten, die der Weichlinge als ihrer Opfer bedürfen, um nicht zuzugestehen, daß sie ihnen gleichen. Totalität und Homosexualität gehören zusammen. Während das Subjekt zugrunde geht, negiert es alles, was nicht seiner eigenen Art ist » (Adorno, 1990c : 51) ; « leur mensonge n’est lui-même pas autre chose que le fait que l’homosexualité refoulée se présente comme la seule forme acceptée de l’hétérosexualité. […] Finalement, ce sont les tough guys qui sont les véritables efféminés, car ils ont besoin des mauviettes comme victimes de leurs brimades, pour ne pas reconnaître qu’ils leur ressemblent. La totalité et l’homosexualité vont ensemble. En disparaissant, le sujet nie tout ce qui n’est pas de même nature que lui » (Adorno, 2003 : 58).

25 Ces considérations sur la famille se trouvent formulées de façon rassemblée dès les travaux de 1936 puis dans l’étude de Horkheimer de 1949 sur L’autorité et la famille. Elles irriguent aussi les écrits d’Adorno. Horkheimer reconnaît à ce titre, dans sa contribution de 1949, l’importance de l’influence d’Adorno sur son travail.

26 L’auteure utilise l’expression society without the mother pour rendre compte de la vision d’Horkheimer relative aux changements induits par le salariat des femmes. La salarisation massive menacerait le refuge constitué par la sphère familiale grâce à la reconnaissance maternelle. P. Jagentowicz Mills reprend et détourne l’expression de Paul Federn dans son essai de 1919 : Zur Psychologie der Revolution : die Vaterlose Gesellschaft.

27 L’expression independant moment of the dialectic traverse l’ouvrage de P. Jagentowicz Mills, Women Nature and Psyche. Elle se rapporte à l’interprétation par l’auteure du rôle de la nature dans la pensée dialectique de la première génération de l’École de Francfort (précisément chez Adorno, Marcuse et Horkheimer). L’expression désigne la volonté de conserver un pensée critique mais non-instrumentale de nature. La nature ne saurait être comprise uniquement comme une pure matière vouée à la domination et à l’instrumentalisation mais se rapporte aussi à la conscience humaine de n’être qu’une partie d’un monde plus vaste. Selon P. Jagentowicz Mills, ce geste critique de conservation d’un concept indépendant de nature va de pair avec la conservation d’une conception traditionnelle de la famille comme refuge holiste contre la réification.

28 « weibliches Tier » (Adorno, 1990c : 99).

29 La conception freudienne de la féminité et des identités sexuelles ne saurait cependant se réduire à une telle vision de l’anatomie comme destin, elle évolue dans les années 30 notamment avec l’introduction de l’idée de bisexualité psychique ou de bipolarité des instincts sexuels. Cf. Freud (2016), La féminité et Juliet Mitchell (2000) : Psychoanalysis And Feminism : A Radical Reassessment Of Freudian Psychoanalysis.

30 « Si la théorie psychanalytique selon laquelle les femmes ressentent leur constitution physique comme le résultat d’une castration est juste, c’est que, dans leur névrose, elles pressentent la vérité. La femme qui s’éprouve comme une blessure lorsqu’elle saigne, sait plus d’elle-même que celle qui s’imagine être une fleur parce que cela convient à son mari » (Adorno, 2003 : 129).

31 Freud « macht sich so hart wie die versteinerten Verhältnisse, um sie zu brechen » (Adorno, 1990d : 37).

32 En dehors de l’idée abstraite d’un « principe maternel », certaines figures féminines extraites de la littérature incarnent la résistance au patriarcat dans les écrits d’Adorno. Il s’agit de femmes bourgeoises conscientes de leur enfermement et luttant désespérément contre. Adorno mentionne régulièrement les personnages féminins d’Ibsen, notamment « die Frau vom Meer », Nora et Hedda Gabler, pour montrer la façon dont Ibsen découvre la fuite de ces personnages en tant qu’elle est condamnée d’avance à l’échec (Adorno, 1990c :100-103). La symbolique de la Dame de la Mer est particulièrement intéressante dès lors que sa fuite mélancolique vers les flots est une fuite en direction de reflets illusoires, un faux-fuyant vers un ailleurs en réalité inexistant mais dont le souvenir nostalgique demeure cependant prégnant et dessine un horizon de résistance.

33 « Toutes les natures féminines sans exception sont conformistes » (Adorno, 2003 : 130).

34 « les hommes valent quand même mieux que leur culture » (Adorno, 2003 : 57).

35 Nous paraphrasons ici le titre de l’ouvrage de Sylvie Schweitzer, Les femmes ont toujours travaillé : une histoire du travail des femmes aux XIXe et XXe siècles.

36 Le concept est forgé par Guillaumin. Selon elle, l’appropriation physique qui a cours dans les rapports de sexe, qu’elle baptise « sexage », a en commun avec l’esclavage l’appropriation du corps qui produit la force de travail (« la machine-à-force-de-travail ») et non seulement la force de travail. Dans le sexage s’ajoutent cependant des caractéristiques particulières qui le distinguent de l’esclavage : « Dans les rapports de sexage, les expressions particulières de ce rapport d’appropriation (celle de l’ensemble du groupe des femmes, celle du corps matériel individuel de chaque femme) sont : a) l’appropriation du temps ; b) l’appropriation des produits du corps ; c) l’obligation sexuelle ; d) la charge physique des membres invalides du groupe (invalides par l’âge – bébés, enfants, vieillards ou malades et infirmes) ainsi que des membres valides de sexe mâle » (1978a : 9-10).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Salima Naït Ahmed, « De la « dénaturalisation » à la « renaturalisation » des femmes »Trajectoires [En ligne], 12 | 2019, mis en ligne le 13 juin 2022, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trajectoires/3157 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trajectoires.3157

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Auteur

Salima Naït Ahmed

doctorante agrégée en philosophie, Université de Picardie Jules Verne, salima.naitahmed@etud.u-picardie.fr

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