Navigation – Sitemap

HauptseiteNuméros7SynThèsesLa fabrication du regroupement sp...

SynThèses

La fabrication du regroupement sportif communautaire : Enquête sociologique sur les clubs de football « turcs » en France et en Allemagne

Thèse de doctorat en sociologie et en sciences du sport, sous la direction de William Gasparini, soutenue le 4 juin 2012, Université de Strasbourg
Pierre Weiss

Volltext

1En France comme en Allemagne, si l’on observe la pratique footballistique des immigrés turcs et de leurs descendants, on remarque une forte tendance au regroupement communautaire, notamment dans le fossé du Rhin supérieur. Parmi les groupes issus de la migration, les Turcs sont ceux qui comptent le plus de clubs comprenant des dirigeants et pratiquants provenant du même pays d’origine. S’agit-il alors d’une affirmation communautaire stratégique conforme aux intérêts d’une minorité ethnoculturelle, d’un passage nécessaire avant l’ouverture à la société majoritaire ou d’un effet des marginalisations à l’encontre de ces populations ?

2Pour répondre à cette question, nous avons utilisé la sociologie compréhensive de Max Weber, le « constructivisme structuraliste » de Pierre Bourdieu et la sociologie de l’espace d’interactions de Norbert Elias. Ces « modèles d’analyse » ont permis d’appréhender conjointement le sens conféré par les immigrés et leurs descendants à leur investissement communautaire, ainsi que les effets de contexte, structure et position sociales sur leur participation sportive associative. A partir de données empiriques récoltées par entretiens semi-directifs et observations participantes, associées à des analyses documentaires et contextuelles, il s’agissait de saisir les facteurs à la fois historiques, politiques, socioéconomiques et culturels qui conduisent des immigrés turcs (ou des Français et Allemands originaires de Turquie) à se rassembler dans le football amateur.

3A un premier niveau, notre recherche démontre que la fondation de clubs de football regroupant très majoritairement des membres d’origine turque traduit un processus complexe de légitimation et dé-légitimation par les institutions politiques, religieuses et sportives de la société d’installation. En Allemagne, le « club mono-ethnique » apparaît comme une forme associative reconnue par les autorités publiques et s’inscrit dans une longue tradition historique, car il est considéré comme un tremplin avant l’intégration dans la communauté nationale. En France, le développement de clubs à caractère communautaire ne s’explique pas par une politique volontairement « multiculturelle », mais découle plutôt de l’ouverture du droit français d’association aux ressortissants de nationalité étrangère et de l’implantation récente d’une population immigrée. En même temps, ce constat ne reflète pas totalement la réalité empirique et les singularités locales dans chaque pays. En effet, en dépit du traitement politique différencié, on note souvent une juxtaposition des pratiques sociales entre les « Turcs » et le reste de la population, le football dans le fossé du Rhin supérieur illustrant parfaitement ce modèle endogène. Ainsi, dans les sept clubs analysés, le sentiment d’appartenance ethnico-communautaire semble très puissant, même si les groupements associatifs sont nettement moins marqués par les divisions qui s’organisent habituellement sur une base identitaire de nature religieuse ou politico-idéologique.

4A un second niveau, notre travail indique que l’« entre-soi sportif » des immigrés turcs et de leurs descendants exprime un rapport de domination symbolique entre une majorité et une minorité de la migration. L’attachement à un club rappelant les origines culturelles est du moins renforcé dans une situation de marginalisation et d’opposition au groupe des établis qui assigne durablement les immigrés anatoliens au statut d’outsiders. Le football-association fait alors figure d’espace privilégié d’affirmation d’un « nous » par rapport à un « eux », en favorisant l’enracinement d’appartenances collectives qui ont la spécificité de se poser en s’opposant. En pratique, les clubs analysés doivent l’essentiel de leur cohésion interne, non pas à l’identité turco-musulmane des membres, mais bien à leur pouvoir d’exclusion, c'est-à-dire à la force du sentiment de différence attaché à ceux qui ne sont pas « nous ». Pour les outsiders immigrés, les compétitions sportives deviennent des lieux de la valorisation de la culture « dominée », si bien que le fait de gagner un match de football revêt très souvent l’importance et la valeur des victoires « dans la vie ». Il en découle un engagement physique intense de la part des footballeurs des clubs français et allemands de la migration turque, de même qu’un fort soutien partisan de leurs fans, dont la présence dépasse largement celle des supporters de leurs adversaires.

5A un dernier niveau, ce sont les origines sociales populaires des individus enquêtés qui expliquent en très grande partie leur pratique sportive communautaire. Liée à une culture masculine de classe populaire turque, l’intensité du sentiment d’appartenance à la communauté se traduit alors par un « entre-soi » associatif. Des deux côtés du Rhin, dans les équipes étudiées, on retrouve au principe de la plupart des attitudes et relations entre les membres le goût du concret et un attachement à la « petite famille » qui se manifestent spécialement dans l’importance accordée aux rapports sociaux de proximité et de camaraderie. Au-delà du critère ethnoculturel, ce modèle associatif correspond à la « culture ouvrière », dans laquelle on ne fréquente que ceux dont on est proche affectivement, localement, socialement, linguistiquement et culturellement ; ceux avec lesquels il n’est pas besoin de formes. Ainsi, à la manière de clubs sportifs de quartiers marqués par une forte identité, sortes de villages dans la ville, les groupements analysés réunissent avant tout la population turque locale par de multiples liens où s’entrecroisent à la fois le voisinage, la parenté et la solidarité culturelle. Finalement, les acteurs sociaux s’organisent sur une base communautaire sous les effets combinés d’un parcours migratoire, d’un style de vie, de conditions sociales d’existence et d’une appropriation des « modèles » de la société d’installation dans le cadre d’un processus d’acculturation.

Seitenanfang

Zitierempfehlung

Online-Version

Pierre Weiss, La fabrication du regroupement sportif communautaire : Enquête sociologique sur les clubs de football « turcs » en France et en AllemagneTrajectoires [Online], 7 | 2013, Online erschienen am: 18 Dezember 2013, abgerufen am 14 Dezember 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trajectoires/1105; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trajectoires.1105

Seitenanfang

Autor

Pierre Weiss

pierre-weiss@hotmail.fr

Weitere Artikel des Autors

Seitenanfang

Urheberrechte

CC-BY-NC-SA-4.0

Nur der Text ist unter der Lizenz CC BY-NC-SA 4.0 nutzbar. Alle anderen Elemente (Abbildungen, importierte Anhänge) sind „Alle Rechte vorbehalten“, sofern nicht anders angegeben.

Seitenanfang
Suche in OpenEdition Search

Sie werden weitergeleitet zur OpenEdition Search