Normes thérapeutiques et intégration sociale des personnes hypertendues dans la ville de Yaoundé
Texte intégral
1Cette thèse porte sur l’intégration sociale des personnes hypertendues dans la ville de Yaoundé. Elle s’inscrit dans un contexte d’augmentation des cas de la prévalence de l’hypertension artérielle au Cameroun (de 22 % à 30,9 % entre 2010 et 2019). Ce sont des millions de Camerounais qui en souffrent. Lorsqu’un malade est déclaré hypertendu, ce dernier se voit prescrire un ensemble de normes thérapeutiques qui visent à traiter la maladie. Ces normes thérapeutiques ou biomédicales sont hygiénico-diététiques : réduction de la proportion des ingrédients (sel, sucre et lipides en particulier) dans les aliments, lutte contre la sédentarité et le stress, ou encore réduction/arrêt de la consommation d’alcool. Elles sont aussi pharmacologiques (nécessité pour le malade de prendre des médicaments pour le reste de sa vie). Ces normes thérapeutiques entrent pourtant en contradiction avec celles qui régissaient le fonctionnement de la personne hypertendue au sein de son groupe social ou familial avant le diagnostic (alimentation salée, sucrée, grasse, consommation d’alcool, gestion du stress notamment). Or, ce qui confère à une personne son statut de membre, de personne intégrée dans un groupe, c’est précisément sa capacité à être conforme aux normes en vigueur dans ce groupe (familial, professionnel, cercle d’amis). Il se pose donc un problème lié à la tension entre les attentes qu’un groupe formule à l’endroit d’un acteur social et le nouveau régime normatif prescrit par la médecine pour traiter la pathologie.
2La présente thèse propose d’interroger ce qui permet à la personne hypertendue de conserver son statut de membre, et donc de rester intégrée à un groupe alors même que les normes thérapeutiques auxquelles elle est soumise diffèrent de celles qui ont cours dans les groupes qu’elle fréquente. La population cible retenue pour ce travail est constituée principalement des personnes hypertendues. Les proches d’hypertendus sont également pris en compte. En se servant de la technique d’échantillonnage par choix raisonné, l’enquête de terrain a été réalisée dans la ville de Yaoundé, particulièrement au sein d’une association de prise en charge et dans quelques ménages (8 au total) au sein de la même ville. Les techniques de collecte de données se sont fondées sur une approche qualitative, d’où l’utilisation de techniques telles que l’observation directe, les entretiens semi-directifs (22 au total) et les récits de vie (6 au total). Les approches qui ont été retenues dans le cadre de ce travail sont l’ethnométhodologie de Harold Garfinkel, l’interactionnisme symbolique, surtout dans son pendant développé par Erving Goffman, et la théorie des réseaux développée notamment par des auteurs comme Mark Granovetter et Emmanuel Lazega.
3La première partie de cette thèse a permis de déterminer que les personnes hypertendues risquent effectivement de perdre leur statut de membre, de personnes intégrées à cause du respect des nouvelles normes que le traitement leur impose. Dans la seconde partie, il a été possible de constater que si l’intégration sociale est menacée, elle n’est pas totalement perdue pour autant, car une dynamique binaire se met en place entre les malades et les proches pour la conserver. Les malades développent des stratégies : décision ou non de suivre les orientations normatives de la médecine, dissimulation du statut d’hypertendu pour préserver la face, diffusion de l’information pour obtenir de l’assistance, recours aux arts de la politesse pour décliner les repas, choix des repas au quotidien, entres autres. Les acteurs de leur réseau social (et principalement familial), quant à eux, mettent des ressources à la disposition du malade : efforts pour comprendre la maladie, mise à disposition de ressources matérielles, financières et relationnelles, réalisation des ajustements normatifs au sein du groupe, mise en scène de la santé du patient, préparation du malade avant l’annonce de mauvaises nouvelles, par exemple. Dans la troisième partie du travail, il apparaît que si l’intégration sociale de ces malades est possible, c’est parce que suite à ce conflit de normes engendré par la nécessité de soigner la maladie, les personnes hypertendues et plusieurs acteurs de leur réseau social négocient les conditions de la nouvelle vie commune. Mais, contrairement aux formes institutionnelles et juridiques de la négociation, qui sont le principal objet d’information et de diffusion des médias, les « ordres sociaux négociés » sont le résultat d’interactions entre les individus. L’intégration sociale des personnes hypertendues n’est donc pas la conséquence d’un décret, mais une construction interactive entre les acteurs directement impactés par le changement de normes, et négociée au cours d’échanges à l’occasion desquels les acteurs sociaux s’influencent mutuellement et trouvent des compromis.
Pour citer cet article
Référence électronique
Luther Ivan Tchiatagne Fossi, « Normes thérapeutiques et intégration sociale des personnes hypertendues dans la ville de Yaoundé », Trajectoires [En ligne], 17 | 2024, mis en ligne le 25 mars 2024, consulté le 03 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trajectoires/10803 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trajectoires.10803
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