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Comptes rendus
Ouvrages généraux

Anonyme, Paris-Bruxelles, l’Annexion

Bruxelles, Le Cri, coll. Les évadés de l’oubli, 1997, 312 p.
Paul Dirkx
p. 135-136
Référence(s) :

Anonyme, Paris-Bruxelles, l’Annexion. Bruxelles, Le Cri, coll. Les évadés de l’oubli, 1997, 312 p.

Texte intégral

1On aurait tendance à insérer Paris-Bruxelles, l’Annexion dans le grand intertexte français sur la Belgique alimenté par les commentateurs multiples qui, de Voltaire à José-Alain Fralon en passant par les proscrits de 1851, se sont efforcés de mieux comprendre le pays qui les accueillait. Car l’auteur, qui a souhaité rester anonyme et dont l’éditeur nous apprend en quatrième de couverture qu’il est « haut fonctionnaire actuellement en poste à Bruxelles », donne lui-même quelques indices qui ne trompent pas quant à sa nationalité. Cependant, son livre ne tient pas de ce miroir déformant dans lequel se mirent généralement les réflexions françaises, plus ou moins sérieuses, plus ou moins rationnelles, sur le plat pays. « Presque ma France ! », écrivait l’exilé Victor Hugo en s’émerveillant devant ce petit royaume si proche de sa patrie. Or, aucune spéculation narcissique dans le présent ouvrage, très peu propice aux développements de dissertation (« [c]eci n’est pas un livre », stipule d’ailleurs, belgement, l’« Avertissement »). À commencer par le plan : après un « Dictionnaire des idées reçues » sur le « petit voisin du Nord », le lecteur a droit à un volumineux bêtisier sur le même sujet, lequel aboutit, en troisième partie, à une explication de l’auteur sous la forme d’un dialogue très peu cartésien.

2Le « Dictionnaire », d’abord. « Contrefaçon belge de celui de Flaubert », il reprend les bons mots et autres clichés sur la Belgique qu’il est de bon ton de placer dans les conversations mondaines, notamment diplomatiques, et ce en quelque trois cents entrées (clin d’œil à Camille Lemonnier, qui définissait sa patrie en 1905 comme « un pays où avec trois cents mots on semblait avoir épuisé le dictionnaire »). Mais, le style lapidaire aidant, l’on finit bientôt par oublier que l’auteur n’assume pas ces idées reçues, du moins pas toutes, et l’on se prend à prendre au sérieux ce qui n’est qu’ironie (et vice-versa). D’où la difficulté à saisir tout le sens de plus d’une définition, telle que « Journalistes français. Ne comprennent rien à la Belgique. Mais l’inverse n’est pas vrai : les journalistes belges comprennent bien mieux la France que les Français ». Ou encore: « Poésie. Bien plus vivante à Bruxelles qu’à Paris ». Le mot « Zwanze » a beau être réputé « intraduisible », au moins est-il ici efficacement illustré.

3Autre définition que l’auteur est loin de prendre à son compte : « Baudelaire, Charles. [...] En écrivant La Belgique déshabillée, c’est évidemment la France qu’il visait, non la Belgique ». Baudelaire a bel et bien pris pour cible la Belgique en tant que telle, pour y dénigrer ce qui participe des infamies universelles, y compris hexagonales, qui menaçaient selon lui « l’idéal vraiment français ». Le poète ruiné par la France et maudit par la Belgique, aussi délirant que clairvoyant (ce que soulignera un Verhaeren), apparaît peu à peu comme le fil conducteur du livre. Il se taille la part du lion de la deuxième partie, intitulée « Recueil des nombreuses absurdités écrites sur la Belgique par les écrivains français, contenant les insultes, injures et vaniteuses plaisanteries adressées par eux aux écrivains, artistes, hommes d’État ou industriels de ce royaume ». Notre anonyme, en composant ce recueil explosif, a enfin réalisé une idée géniale que le peintre Antoine Wiertz lança comme un défi aux générations futures. Au best of de La Belgique déshabillée il a mêlé les observations de nombreux autres visiteurs critiques qui s’appellent, pour ne citer que les plus féroces, Octave Mirbeau, Voltaire, Joris-Karl Huysmans, Théophile Gautier et un Hugo revenu de ses illusions. Si, avec ses deux cent septante-deux extraits (« autant que de pièces dans le Palais de Justice de Bruxelles »), ce florilège finit par lasser un peu, il n’en a pas moins pour principal intérêt de suggérer les invariants d’un discours structuré par des rapports de force entre deux nations rivales, en premier lieu entre univers sociaux homologues où la langue « nationale » est un enjeu central. Ainsi, ce n’est pas un hasard si la fureur belgophobe trouve à s’exprimer avec le plus de constance sur le chapitre de la littérature « française », là où la Belgique, aux yeux de ses détracteurs hexagonaux, ressemble le plus tragiquement à une Béotie qui cherche à imiter la France au plus intime de « sa » langue. Et ces détracteurs de dénoncer impitoyablement le « conformisme », la « singerie », l’universelle « contrefaçon » belges dont leur vision schématique du monde belge a pourtant largement créé les conditions.

4La troisième partie, dialogue plaisant sur le modèle du Neveu de Rameau, explicite ce que l’ironie avait laissé jusque-là à l’état implicite : les relations franco-belges n’ont rien d’idyllique, contrairement à l’image qu’en aurait donnée « Paris-Bruxelles », l’exposition de 1997, dont « Paris-Bruxelles, l’Annexion » se veut la contre-exposition. Mais, par une ultime pirouette, le contre-commissaire anonyme inverse le rapport de force franco-belge. Après avoir démontré, force exemples à l’appui (pris dans Toussaint, Savitzkaya, Nothomb, e.a.), que la Belgique contemporaine, notamment sa littérature francophone, confirme point par point ce qu’écrivaient Baudelaire et ses confrères du xixe siècle, il en vient à la conclusion que « la France se transforme de plus en plus en Belgique ». « Nous y sommes, à L’Annexion de la France à la Belgique ! », conclut-il en empruntant une formule de Léon Bloy de 1896. Les preuves qu’en donne l’auteur achèvent de faire de son livre, entre satire et objectivation, entre fiction et réalité, entre passé et présent, une ode à la complexité culturelle.

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Pour citer cet article

Référence papier

Paul Dirkx, « Anonyme, Paris-Bruxelles, l’Annexion »Textyles, 20 | 2001, 135-136.

Référence électronique

Paul Dirkx, « Anonyme, Paris-Bruxelles, l’Annexion »Textyles [En ligne], 20 | 2001, mis en ligne le 20 juillet 2012, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/textyles/950 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/textyles.950

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Auteur

Paul Dirkx

IUT de Lannion

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