1François Jacqmin a entretenu un dialogue constant avec plusieurs artistes contemporains dont le travail résonnait avec sa propre pratique d’écriture et avec sa pensée esthétique, très élaborée, comme on sait. Cet intérêt pour l’art s’affirme dès ses débuts, puisque les premiers écrits sur des artistes (en l’occurrence Léopold Plomteux et Max Bucaille) sont contemporains de la publication de L’Amour la terre (cf. le premier volume des Œuvres complètes, éditées dans la même collection par Gérald Purnelle). Rien d’étonnant de la part d’un membre du groupe Phantomas, groupe qui joua un rôle si important dans sa formation. Mais cet intérêt pour l’art ira grandissant  : «  Sporadique durant les années cinquante à septante, la pratique de l’écriture critique s’est spectaculairement intensifiée pendant la dernière décennie de la vie du poète  », écrit Gérald Purnelle (p.  15). Au fil du temps, les courts textes de présentation font place à des écrits plus longs, approfondis, souvent poétiques  ; Jacqmin produit des ensembles («  Quinze pages sur Bracaval  », «  98 proses sur Domela  ») et des textes théoriques interrogeant le phénomène artistique. Tous ces écrits résonnent, à l’évidence, avec son œuvre poétique et spéculative, ce qui justifie le choix de les publier comme une partie intégrante de ses œuvres complètes.

2Au fil de cette évolution, entre le critique d’art et le poète, la différence s’atténue, comme le souligne la typologie proposée par l’éditeur (p.  17). On pense pouvoir distinguer aisément les textes de réflexion consacrés à l’art ou à des artistes et les poèmes ou aphorismes publiés dans des volumes écrits en collaboration avec des artistes ou portant sur des thématiques esthétiques. Mais ces distinctions s’avèrent parfois problématiques tant l’auteur les rend poreuses. Si bien que, dans ce volume sont repris les «  textes développant une réflexion, une analyse ou une description portant sur l’art ou sur le travail d’un artiste, qu’ils présentent une forme assimilable au poème ou restent du domaine de la prose  » (p.  19). Ces textes prennent dès lors des formes très différentes  : de la courte notice de présentation destinée à un catalogue à des réflexions très personnelles, souvent aphoristiques, voisinant très librement avec des œuvres d’artistes proches.

3Les textes réunis dans ce volume ont été, pour une part, publiés dans des catalogues d’exposition ou des plaquettes  ; d’autres sont inédits et parfois inachevés. De manière générale, ils sont dès lors peu accessibles et c’est tout l’intérêt de ce volume que de les mettre à disposition. Sans doute sont-ils un peu répétitifs, dès lors que Jacqmin n’avait pas prévu de les rassembler  : il disait écrire comme on ouvre un robinet, tout son travail consistant à couper, élaguer, renoncer, ce qu’il aurait vraisemblablement fait s’il avait eu un projet d’édition. Il n’empêche que ces écrits se lisent sans lassitude tant l’opiniâtreté de Jacqmin à saisir ce qui le requiert dans ces œuvres pour la plupart abstraites le conduit à creuser un sillon singulier.

4L’édition critique est impeccable  : chaque texte est accompagné de notes critiques et génétiques complètes, qui ne concernent que les textes de Jacqmin. Sur les artistes et sur les liens que Jacqmin entretenait avec eux, aucune précision n’est apportée, ce n’est pas l’objet du volume. Mais ce pourrait être l’objet d’une belle recherche.