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Littérature et radio

Théo Fleischman et les débuts de l’art radiophonique en Belgique francophone (1924-1939)

Philippe Caufriez
p. 49-56

Texte intégral

  • 1 Voir Duval (René), Histoire de la radio en France, Paris, Alain Moreau, 1979.

1Trois périodes peuvent être distinguées dans les débuts de la radio  : aux premières transmissions succède la création de stations de radio dans les années 1920  ; vient ensuite une période de développement du média radio qui couvre l’ensemble des années 1930, qui fera dire à René Duval1, un des premiers historiens de la radio en France, qu’en matière de radio, tout ou presque a été inventé avant-guerre, en tout cas sur le plan de la conception des émissions. La place que va occuper la fiction dans les programmes varie selon les époques. Elle est liée aux conditions techniques, au financement des émissions, à l’émergence et aux attentes d’un public d’auditeurs. Nous interrogerons ici la place que la littérature, et en particulier la fiction, occupe dans les premiers programmes diffusés en Belgique francophone.

Les prémices de la radio à l’échelle internationale

2Les premières émissions, qu’on peut qualifier d’expérimentales, sont le fait de pionniers  : Fessenden (1906) et De Forest (1910) aux États-Unis, Goldschmidt (1914) en Belgique, Marconi (1920) en Angleterre, Girardeau (1921) en France. Ces émissions sont musicales et font appel le plus souvent à des artistes lyriques parmi les plus connus de l’époque (Caruso, Nelly Melba, Yvonne Brothier). Elles visent à faire connaître le nouveau moyen de transmission que constitue la radio et auront, pour les dernières en date, un impact certain, y compris en Belgique.

3Les premières stations européennes cherchent également à capter l’auditeur par la musique. La bbc en Angleterre, la station de la Tour Eiffel et Radiola en France (1922) et Radio Belgique (1923) proposent à leurs débuts des radio-concerts en direct chaque soir, moment privilégié de l’écoute en ces temps-là. Elles n’émettent généralement qu’une partie de la journée et sont souvent privées (y compris pour la bbc jusqu’en 1926). Avec l’élargissement du temps d’antenne, elles vont progressivement s’ouvrir davantage à la parole. Il s’agira dans un premier temps de la lecture de bulletins d’information venus de la presse écrite, de communiqués de toute nature (météo, cours de Bourse, etc.) et de causeries sur des sujets divers – autant d’occasions pour des auditeurs, parfois critiques quant aux accents entendus, de mesurer voire de découvrir l’impact et les nuances des voix transmises par la radio.

  • 2 Voir «  Art radiophonique  » dans Ledos (Jean-Jacques), Dictionnaire historique de la radiophonie(...)

4En ce qui concerne la fiction, l’année 1924 est décisive puisqu’elle voit naître de nombreuses créations originales en Europe2, bien que certains essais soient intervenus dès la fin 1922 en France (Paris-Bethléem de Georges Angelloz sur Radiola), et en 1923 en Grande-Bretagne (en particulier les adaptations de romans par E.R Jeffrey sur l’antenne écossaise de la bbc). En 1924, la bbc diffuse une première fiction proprement radiophonique (A Comedy of Danger de Richard Hughes) et lance un concours visant à promouvoir la fiction radiophonique. Même démarche en France, menée par le journal L’Impartial français, où un jury de gens de lettres récompense en 1924 Maremoto de Gabriel Germinet, un drame marin dont les répétitions sur antenne affolent des auditeurs fortuits qui croient à un naufrage réel, ce qui entraînera une interdiction de diffusion par le ministre de la Marine. Ce sont les débuts d’un genre radiophonique qui se développera surtout dans les années 1930 avec l’instauration, dans beaucoup de stations européennes, de séances régulières dédiées à la fiction radiophonique. Cette période de consolidation du média radio correspond dans plusieurs pays à la création d’un service public de la radiodiffusion.

L’apport de Fleischman à Radio-Belgique

  • 3 Voir Caufriez (Philippe), Histoire de la radio francophone en Belgique, Bruxelles, crisp, 2015.

5La situation en Belgique francophone suit un cheminement proche3. Il importe de distinguer la période de Radio Belgique, de 1924 à 1930, de celle de l’Institut national de Radiodiffusion de 1931 à 1939, l’année 1940 amenant déjà, par le début de la guerre, son lot de bouleversements à l’antenne. Radio Belgique est une station privée qui émet de trois à cinq heures par jour, financée par la publicité et les cotisations de ses auditeurs. Ses moyens techniques et humains restent limités. En 1929, le nombre de collaborateurs permanents se limite à vingt personnes, hors artistes engagés à la prestation. En comparaison, l’inr bénéficie des revenus de la redevance, lesquels suivent la courbe croissante des auditeurs, ce qui lui permettra, surtout à partir de 1935, d’augmenter sa production et ses heures d’antenne (plus de dix heures par jour). Ses moyens techniques (car de captation, moyens d’enregistrement) et culturels (cinq orchestres, plus d’une centaine de collaborateurs) sont sans commune mesure avec ceux de Radio Belgique.

6Une personnalité fait le lien entre ces deux périodes par les responsabilités qu’il va occuper  : le journaliste et homme de lettres Théo Fleischman. Né à Anvers d’une mère flamande et d’un père ardennais, Théo Fleischman a deux ans quand sa famille émigre à Paris. C’est là qu’il grandit, fait ses études et sent naître sa vocation littéraire, sous l’influence de son frère Hector, son aîné de dix ans, qui avait déjà conquis une certaine renommée de poète et de romancier avant de se consacrer à l’histoire de la Révolution et de l’Empire. Sous l’égide de son frère, le jeune Théo découvre les divers milieux artistiques de Paris. II fréquente le poète symboliste Jean Moréas, les célèbres tragédiens Édouard de Max et Sarah Bernhardt. À dix-sept ans, il se hasarde à publier ses premiers poèmes dans des revues comme Les Loups à Paris ou Le Thyrse à Bruxelles. S’y joindront peu à peu des contes et des études littéraires. En 1914, à l’âge de vingt et un ans, après la mort de son frère, il rentre en Belgique pour s’engager dans l’armée. Sur le front, il collabore au Bulletin des gens de lettres et artistes belges et fournit parallèlement à des journaux français diverses chroniques. Rendu à la vie civile, il se consacre au journalisme tout en poursuivant sa vocation littéraire. En 1921, il participe à la naissance des Mardis des Lettres belges, un cycle de conférences qui visent à faire connaître les poètes du plat pays. En 1922, il publie à La Renaissance du Livre une Anthologie des écrivains morts au front, suivi en 1925 de L’Aventure, un recueil de souvenirs et d’impressions de guerre. Il collabore à de nombreuses revues littéraires, comme Les Chants de l’aube de Charles Conrardy et La Renaissance de l’Occident de Maurice Gauchez. Il propose un projet de théâtre belge avec Georges Garnir (1928). En 1922, il publie un premier recueil de poèmes, Ce vieil enfant, suivi bientôt d’un second, Archipel (1923), qui sera retenu par le jury belge du Prix Verhaeren.

  • 4 Zette (Nory), Théo Fleischman, Bruxelles, Le Livre belge d’aujourd’hui, coll. Profils littéraires (...)

7Parallèlement Théo Fleischman écrit, en tant que journaliste, des chroniques, critiques et reportages dans les journaux La Gazette, La Meuse et La Gazette de Charleroi. C’est à cette époque qu’il commence à publier des études sur la période napoléonienne. Déjà attentif aux débuts de la radio en France, il lui est proposé début 1924 de rejoindre Radio Belgique en tant que journaliste. Il va y développer les émissions parlées. Fin des années 1920, l’État belge reprend Radio Belgique et un certain nombre de ses collaborateurs pour fonder l’Institut National de Radiodiffusion (inr-nir). Théo Fleischman y devient directeur des émissions parlées françaises tout en restant reporter et auteur. Il entretient alors de nombreux contacts sur un plan international. En 1937, il devient le directeur de l’ensemble des émissions françaises (musique et parole), le journaliste et enseignant Roger Clausse lui succédant comme directeur des émissions parlées. Il prend sa retraite en 1952, année où il assure également la présidence de l’Union Européenne de Radiodiffusion (uer)4.

8À Radio Belgique, Fleischman va développer l’actualité culturelle et générale. Il instaure en mars 1924 une Chronique de l’actualité diffusée à l’entracte des concerts où il reçoit des personnalités qui font l’actualité des arts et du spectacle tels Jacques Faider (La Kermesse héroïque), Josephine Baker, Maurice Chevalier. S’y ajoutent bientôt, sur le coup de vingt heures, des rubriques régulières  : la Quinzaine théâtrale de Julien Flament, la Chronique des Lettres de Georges Rency. Parmi ses conférenciers, Radio Belgique compte d’autres hommes de lettres  : Maurice Gauchez, Gaston-Denys Périer, Charles Conrardy, Henri Liebrecht, Pierre Bourgeois, Léopold Rosy de la revue Le Thyrse. Des Informations de presse portant sur l’actualité politique sont diffusées à vingt-deux heures, qui préfigurent la création du journal parlé en 1926. Celui-ci intègre des actualités culturelles et accueille des personnalités en direct, telle Colette, le 2 novembre 1926, venue à Bruxelles présenter sa pièce La Vagabonde.

  • 5 Observation obtenue sur la base du dépouillement de la presse quotidienne de l’époque (Le Soir et (...)

9À côté de ces séquences, Fleischman instaure en novembre 1924 des soirées littéraires pour lesquelles des textes en prose, des poèmes et des scènes de théâtre sont sélectionnés et lus parfois par Fleischman, le plus souvent par la comédienne Flore Mahieu du Théâtre du Parc. Ces séances d’une heure, assorties de commentaires, vont se multiplier, avec le concours supplémentaire de Fernand Léane du Théâtre du Marais. Elles se veulent thématiques (Paris célébré par les poètes et chansonniers, Les Femmes écrivains de France, Les Valets de Molière, Découverte de Gabriele d’Annunzio…). Le 23 mai 1925 a lieu l’enregistrement en studio de la première pièce de théâtre diffusée par Radio Belgique, Gros chagrin de Georges Courteline, suivie peu après par Un Caprice d’Alfred de Musset. Des soirées de gala, auxquelles les auditeurs sont invités, proposent également des sélections de textes (La Bataille de Waterloo à travers la littérature, Hommage à Verhaeren…) et des grands classiques du théâtre, du théâtre grec antique à Poil de carotte de Jules Renard. Le théâtre fait en outre l’objet de programmes d’un quart d’heure consacrés à des comédies en un acte et à des extraits de pièces, limités à deux personnages, où l’on retrouve Fleischman et Flore Mahieu. Des livres, sous forme d’extraits ou de feuilletons, sont lus à l’antenne (La Maison sur l’eau de Maurice Gauchez, Le Colonel Chabert de Balzac en cinq épisodes d’une demi-heure en 1926). À l’initiative de Fleischman, le domaine littéraire, même s’il reste minoritaire par rapport à la musique, nourrit donc l’antenne, avec des préoccupations souvent didactiques5.

10Sur le plan de la création radiophonique, la revue Radiophonie pour tous, qui publie chaque semaine les programmes de Radio Belgique, lance à son tour en 1925 un concours de «  radio-drames  » qui couronne en mars 1926 un drame marin, Voix en mer de M. De Tusseaux, dont on ne trouve cependant pas trace de diffusion dans les programmes publiés par la presse quotidienne et les revues spécialisées de l’époque (Radiophonie pour tous, Radio Home, Radio Belge). Faut-il y voir une conséquence de l’épisode Maremoto, qui ne sera diffusé dans son intégralité en France qu’en 1937, ou un autre problème de mise à l’antenne  ? Nous n’avons pas trouvé de témoignage à ce sujet. C’est à ce moment-là en tout cas que Fleischman se lance dans l’écriture radiophonique, en élaborant en 1926 les aventures rocambolesques d’un cocher bruxellois, Jef en balade, puis Jef au théâtre avec Fernand Léane. Il crée ensuite la pièce Music-Hall en 1928, un voyage parmi des artistes et acrobates faisant la part belle aux bruitages  ; puis Songe d’une nuit de Noël en 1929, qui fait intervenir le rêve de deux enfants, où il introduit une musique originale de Fernand Quinet  ; et en 1930, Jeu de la passion où le rôle principal, sur la base du texte des Évangiles, est tenu par la foule.

11Dans les programmes de commentaires ou d’information comme dans les programmes de fiction, Fleischman a œuvré à élaborer des formats d’émissions adaptés aux spécificités du médium. Ainsi, considérant la particularité de l’attention auditive, il s’est par exemple montré soucieux de la durée des programmes  : il est le premier à proposer un journal parlé structuré de 30 minutes, se démarquant ainsi de celui de la Tour Eiffel qui durait plus d’une heure (1925), et en matière de fiction, il considère qu’il ne faut pas dépasser une durée de 60 à 75 minutes, ce qui a pour effet de limiter fortement le répertoire disponible au niveau du théâtre (d’où un recours fréquent à Courteline).

Le développement des jeux radiophoniques

  • 6 Voir Rapports annuels de l’Institut national de radiodiffusion (inr), 1932-1939.

12À l’inr, Fleischman se découvre d’autres ambitions. Les moyens de l’Institut vont lui permettre de développer cet art radiophonique, dont il est le précurseur en Belgique. Le nombre de jeux radiophoniques passe de 13 en 1932, à 31 en 1935, à 67 en 1939. Les séances théâtrales, diffusées chaque semaine, sont au nombre de 60 en 1932, de 67 en 1935, de 49 en 1939. S’y ajoutent de nombreuses séances littéraires composées de pages choisies en poésie et en prose (128 en 1939), des sketchs, des feuilletons, des contes, des lectures de livres récemment parus, du théâtre patoisant, du cabaret6. Les moyens mis à disposition sont plus importants. La diffusion du Soleil de minuit de Fleischman en 1932 requiert 20 acteurs et actrices et un orchestre de 40 musiciens pour la musique originale de Marcel Poot.

13Dans le domaine du théâtre, à côté des classiques du répertoire français (Le Cid), l’inr propose, à partir de 1932, un cycle de théâtre belge avec des pièces, en intégralité ou pages choisies, de Herman Closson, Fernand Crommelynck, George Garnir, Charles Conrardy, Gustave Van Zype, Georges Rency, Henri Soumagne, Albert du Bois, Émile Verhaeren et Maurice Tumerelle. On notera aussi la célébration du cinquantenaire du symbolisme en 1936 avec la diffusion des Flaireurs de Charles Van Lerberghe et l’hommage rendu à Maeterlinck avec la diffusion de quatre œuvres dont Pelléas et Mélisande, pour laquelle Fleischman fait venir de Paris Georges Dorival de la Comédie-Française.

14Les jeux radiophoniques, pour lesquels Fleischman a engagé comme bruiteur Fernand Léane, déjà présent à Radio Belgique, abordent tous les genres  : des œuvres classiques (Les Perses d’après Eschyle), des fresques historiques (Waterloo, Les Adieux de Fontainebleau), des évocations de personnalités (Vésale, Jacques Van Artevelde, Paganini), des œuvres poétiques (Archibald le danseur de corde), des récits sportifs (Les Boxeurs), des intrigues policières (Un homme roux qui louche), des sketches (Les deux Mulets d’après La Fontaine). Les auteurs belges les plus féconds dans ce domaine sont Fleischman, dont la production est abondante (15 œuvres à l’antenne durant les années 1930), Michel de Ghelderode avec notamment Le Cœur révélateur d’après Edgar Poe, Le Cavalier bizarre, Les Aveugles d’après le tableau de Brueghel et Sire Halewyn, l’écrivain prolétarien Pierre Hubermont, des journalistes de l’inr (André Guery, Pierre Fontaine, Louis-Philippe Kammans), le co-auteur du Mariage de Mademoiselle Beulemans Fernand Wicheler. S’y ajoutent incidemment des auteurs comme Albert Ayguesparse, George Garnir, Charles Plisnier, Maurice Tumerelle, présents à l’inr pour d’autres productions, des acteurs et metteurs en scène ayant déjà une expérience radiophonique (Émile André-Robert, Georges Fay), auxquels Fleischman ajoute des créations d’auteurs français reconnus comme Gabriel Germinet, Jean Nogues, Julien Maigret et diverses adaptations en français présentées notamment dans le cadre d’un Cycle du jeu radiophonique en Europe, organisé par l’inr (1938-1939).

  • 7 Cote aml  : MLT 05238/0002.
  • 8 «  Il ne raffolait pas de la radio, Paul Valéry, vous savez, ça l’énervait, cette machinerie  », (...)
  • 9 Paul Dermée, «  Théo Fleischman et le théâtre radiophonique de l’inr  », Hebdo, 12 octobre 1934.
  • 10 Cité par Zette (Nory), op. cit. Trois jeux radiophoniques de Fernand Divoire ont été diffusés par (...)

15Il est difficile de dégager du choix des auteurs une politique générale de commandes, mais on peut identifier chez Fleischman, qui ne s’est guère exprimé sur le sujet, la volonté de générer et d’illustrer dans sa diversité un nouvel art radiophonique, qui relève autant de la fiction que d’une forme de documentaire, s’inscrivant dans un format défini, et recourant pour sa réalisation aux seuls moyens sonores (voix, musique, bruitages). Ainsi Fleischman, dans une lettre de 19357, enjoindra à Ghelderode de réduire la durée de Sire Halewyn, œuvre créée pour la radio, à 1 h 15 musique comprise. Cette démarche suppose chez les auteurs un intérêt pour le nouveau média que constitue la radio, ce qui n’est pas le cas, à l’époque, de tous les auteurs (Fleischman cite pour exemple Paul Valery8). Outre le milieu des lettres et du journalisme qu’il fréquente, ses contacts sont nombreux avec d’autres radios européennes, ce qui lui permet également de proposer à la diffusion des créations belges. Sire Halewyn de Ghelderode sera d’ailleurs diffusé sur la bbc. Faut-il tuer le mandarin  ? de Fleischman connaîtra un succès particulier  : il est relayé à sa création en 1932 par Radio-Paris, recréé avec des comédiens suisses sur la station Sottens, rejoué en 1934 par la troupe de Louis Seigner sur l’ensemble des stations publiques françaises et fait l’objet en Belgique d’une adaptation à la scène, ce qui fera dire au critique littéraire Paul Dermée que Fleischman est aussi connu en France qu’en Belgique9 et à l’auteur français Fernand Divoire, dans tsf Magazine, que la création de Fleischman est «  conforme à l’esthétique du cinéma parlant. Il n’y a plus qu’à tourner  !10  ».

16Durant les années 1930, l’auditeur belge, pour peu qu’il ait un récepteur lui permettant de capter les postes français, en particulier Radio Paris et Paris ptt, voire suisses ou anglais, peut écouter du théâtre et des jeux radiophoniques tous les soirs. Parmi les stations belges privées qui coexistent avec l’inr, il faut mettre en exergue Radio Châtelineau qui avait sa propre troupe de théâtre, Les Comédiens des petites ondes, dont faisaient partie Émile André-Robert et Georges Fay cités plus haut, et Radio Conférences pour ses lectures en forme de feuilleton. Les autres radios privées comme Radio Schaerbeek ou Radio Wallonia privilégiaient davantage les sketches humoristiques.

Pour un art proprement radiophonique

  • 11 Fleischman déclare d’ailleurs à propos de Music-Hall  : «  Je n’ai pas voulu songer au théâtre en (...)
  • 12 À l’écoute, 12 février 1939.

17Tout au long de sa carrière à Radio Belgique puis à l’inr, Fleischman s’est efforcé de défendre l’élaboration d’un art proprement radiophonique, affranchi du théâtre (raison pour laquelle, d’ailleurs, il préfère parler de jeu radiophonique plutôt que de radio-drame11). Grâce à sa conscience des contraintes et potentialités du médium, il a largement marqué de son empreinte les formats radiophoniques de l’époque. S’inscrivant dans les réflexions de Paul Deharme en France sur l’art radiophonique, il soutient que l’écriture pour les ondes ne peut se résumer à superposer à un texte «  des décors souvent incohérents comme cloches, sirènes, meuglements de vapeur, glou glou de sous-marin en plongée  »  ; il s’agit au contraire de fournir «  un texte solidement bâti, romancé à souhait et un décor bien choisi12  ». Le jeu radiophonique selon Fleischman consiste dès lors en un récit original d’une demi-heure à une heure, mêlant texte et dans certains cas musique originale, où interviennent en alternance comédiens, orchestres et bruiteurs. Pour ce dramaturge des ondes en effet, la radiophonie est un «  outil neuf, moderne, qui exige une production neuve aussi, qui doit lui être spécialement dédiée […] Le microphone impose d’autres exigences, offre davantage de possibilités que la scène  ».

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Notes

1 Voir Duval (René), Histoire de la radio en France, Paris, Alain Moreau, 1979.

2 Voir «  Art radiophonique  » dans Ledos (Jean-Jacques), Dictionnaire historique de la radiophonie, Paris, L’Harmattan, 2019  ; Brochand (Christian), «  L’Année radiophonique 1924  », Cahiers d’Histoire de la radiodiffusion, Paris, Comité d’histoire de la radiodiffusion, juin-août 1994  ; Richard (Roger), «  Les étapes françaises de la radio-dramaturgie  », La Radio cette inconnue, La Nef, n°  73-74, Paris, Éditions du Sagittaire, février-mars 1951.

3 Voir Caufriez (Philippe), Histoire de la radio francophone en Belgique, Bruxelles, crisp, 2015.

4 Zette (Nory), Théo Fleischman, Bruxelles, Le Livre belge d’aujourd’hui, coll. Profils littéraires belges, 1935  ; Ranieri (Liane), «  Théo Fleischman  », Nouvelle Biographie nationale, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1999.

5 Observation obtenue sur la base du dépouillement de la presse quotidienne de l’époque (Le Soir et La Libre Belgique principalement) ainsi que des revues spécialisées de l’époque (la date indiquée est leur date de création)  : Radiophonie pour tous (1923), Radio Belge (1924), Radio Home (1925) et Radio-Belgique (1930). Voir également Caufriez (Philippe), Histoire de la radio francophone en Belgique, op. cit.

6 Voir Rapports annuels de l’Institut national de radiodiffusion (inr), 1932-1939.

7 Cote aml  : MLT 05238/0002.

8 «  Il ne raffolait pas de la radio, Paul Valéry, vous savez, ça l’énervait, cette machinerie  », explique Théo Fleischman à Jacques Philippet dans une interview non datée (document inr, cote aml  : SPAT 01280).

9 Paul Dermée, «  Théo Fleischman et le théâtre radiophonique de l’inr  », Hebdo, 12 octobre 1934.

10 Cité par Zette (Nory), op. cit. Trois jeux radiophoniques de Fernand Divoire ont été diffusés par l’inr en 1937 et 1939.

11 Fleischman déclare d’ailleurs à propos de Music-Hall  : «  Je n’ai pas voulu songer au théâtre en écrivant cet essai […]. Je n’ai pas voulu faire une comédie, ni un drame. C’est un jeu radiophonique  », propos recueillis dans le quotidien L’Indépendance belge à propos de Music-Hall le 14 janvier 1929.

12 À l’écoute, 12 février 1939.

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Pour citer cet article

Référence papier

Philippe Caufriez, « Théo Fleischman et les débuts de l’art radiophonique en Belgique francophone (1924-1939) »Textyles, 65 | 2023, 49-56.

Référence électronique

Philippe Caufriez, « Théo Fleischman et les débuts de l’art radiophonique en Belgique francophone (1924-1939) »Textyles [En ligne], 65 | 2023, mis en ligne le 31 décembre 2023, consulté le 08 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/textyles/6478 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/textyles.6478

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