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François Emmanuel

Trois lectures de Jours de tremblement de François Emmanuel

Pierre Halen
p. 63-82

Résumés

Cette étude de la réception primaire du roman Jours de tremblement s’interroge d’abord sur l’inspiration africaine inattendue de François Emmanuel. Elle situe le roman dans la tradition conradienne du Cœur des ténèbres, avant de distinguer, dans les comptes rendus auxquels le roman a donné lieu, d’abord une lecture « esthète » et autonomisante, reprochant au roman son épilogue ; ensuite une lecture « engagée », voyant dans le roman une dénonciation des inégalités et de la misère dont l’Occident serait responsable. Enfin, une troisième lecture est proposée, fondée sur l’importance de l’épilogue et sur son effet rétroactif dans le roman où le personnage de Marie semble essentiel ; cette lecture « mariale » est aussi une mise en abyme d’une écriture du care contemporain, et de ce que peut ou non la littérature contemporaine.

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Texte intégral

  • 1 Emmanuel (François), Jours de tremblement, Paris, Seuil, 2009  ; dorénavant JT suivi du numéro de (...)

1Par son sujet africain, Jours de tremblement1 est un livre singulier dans les lettres belges de langue française contemporaines. Le roman a connu une réception parfois enthousiaste, mais parfois aussi un peu perplexe  ; comme nous le verrons, cet accueil s’est également partagé en fonction de différences dans la conception même de l’écriture romanesque, différences sur lesquelles la référence africaine agit comme un révélateur.

  • 2 Roche (Isabelle), «  Entre guerre et rêve, mirages à fleur de fleuve [entretien avec François Emm (...)

2Pour quelles raisons l’écrivain s’est-il intéressé au continent africain  ? Pour une part au moins, il s’en est expliqué dans un entretien en évoquant une double intention générale, à la fois formelle et politique. D’un côté, il y avait un défi à relever du côté de l’image  : «  […] ce sont surtout des images qui ont été à l’origine du roman et m’ont engagé à m’y risquer  », assure-t-il2. Compte tenu du roman, on verra que le terme d’images doit être compris avant tout au sens de l’image médiatique, visuelle et audiovisuelle, même s’il est ensuite question, plus vaguement, de «  visions  » et de «  scènes  »  : «  Qu’est-ce qu’elles montrent et qu’est-ce qu’elles cachent  ? Où est la vraie obscénité  ?  » (Ibid.) D’un autre côté, l’écrivain présente ensuite le cadre africain comme une nécessité, ou peut-être une obligation, mais une obligation qu’assez curieusement, le continent s’imposerait à lui-même  : il nous assure en effet que «  seule l’Afrique noire se devait d’être […] le lieu de cette histoire  » (Ibid.)  ; étrange formule, on en conviendra, mais l’idée d’un certain «  devoir  » est à retenir. Aussitôt il passe, en tout cas, à l’évocation du «  passé colonial  », puis à «  ce qui se trame à l’ombre de nos sociétés occidentales  », et enfin à «  la faillite du modèle économique et politique qui a aujourd’hui valeur de standard universel  » (Ibid.). Nous reviendrons sur ces aspects politiques, mais observons aussi que, du point de vue biographique, son interlocutrice du moment est sans doute restée sur sa faim en n’ayant reçu que cette sibylline réponse  :

CI  : Avez-vous une histoire personnelle avec l’Afrique  ?

  • 3 Ibid.

FE  : Plusieurs histoires – ce ne pourrait être autrement – mais à la distance du narrateur3.

  • 4 Voir Meurée (Christophe), «  Comme une énigme, un nom propre très commun  : François Emmanuel  », (...)

3Cette formule que l’auteur semble affectionner  : «  à la distance de  », ne nous éclaire guère, en effet, sinon au sujet de cette sorte de décalage ou de déport qu’il met souvent délibérément en place pour s’ouvrir les portes de la fiction4.

  • 5 On s’y réfère tantôt à l’islam (des minarets), tantôt à l’Afrique subsaharienne en général (des N (...)
  • 6 Sur la tradition conradienne, voir e.a. Halen (Pierre), «  À propos de la tradition conradienne d (...)
  • 7 Emmanuel (François), Jours de tremblement, op. cit.  ; nous soulignons.

4Par ailleurs, la critique ne semble pas avoir relevé que ce roman était sorti de presse en 2010, c’est-à-dire l’année du cinquantenaire des indépendances africaines, ce qui pourrait lui conférer aussi le sens d’un de ces «  bilans  » qui a été l’un des sujets récurrents dans la presse cette année-là. L’action de ces Jours de tremblement se déroule dans une région africaine imaginaire  ; cela n’a pas empêché les lecteurs dont nous reparlerons ci-dessous de la situer en Afrique de l’Ouest, et de l’identifier le plus souvent avec le Sénégal ou le Niger5. Il ne faudrait cependant pas en déduire l’inexistence d’un rapport avec l’Afrique centrale et le fleuve Congo, car le roman de François Emmanuel s’inscrit aussi dans la tradition conradienne6 des représentations du «  cœur des ténèbres  », tradition qui affleure déjà dans une expression comme «  ce qui se trame à l’ombre de nos sociétés occidentales7  ». Dans la mesure où l’auteur lui-même mentionne le «  passé colonial  », mais surtout du fait que, dans le roman, l’anamnèse de ce qui s’est passé autrefois sur le fleuve joue un rôle relativement important, la concomitance entre le cinquantenaire et la parution de Jours de tremblement doit au moins être signalée.

La réception primaire  : deux orientations

5Il est temps de rappeler, avec Jean-Bernard Véron, l’intrigue du roman  :

  • 8 Véron (Jean-Bernard), «  François Emmanuel. Jours de tremblement  », dans Afrique contemporaine, (...)

Un luxueux navire de croisière et son chargement de touristes européens remontent un grand fleuve africain. Tout ne pourrait être que luxe, calme et volupté, comme le promet la brochure du tour operator. Mais une insurrection rôde sur les berges du grand fleuve. Lentement, elle se rapproche du navire. Celui-ci, telle une bête affolée que cerne une meute, va dans un sens puis dans l’autre, puis finalement tombe entre les mains de ces guérilleros dépenaillés, mi-enfants soldats, mi-chiens de guerre. Dans ce qui est devenu une prison flottante, l’attente, l’angoisse, l’ignorance du lendemain agissent comme autant de révélateurs de la personnalité profonde des personnages, de ce qu’habituellement ils dissimulent aux yeux d’autrui afin de se conformer à l’image qu’ils souhaitent projeter d’eux-mêmes. Il y a ainsi un écrivain alcoolique, antipathique mais tout de même attachant, une Italienne paumée et son enfant, un vieil homme au seuil de la mort qu’accompagne une jeune femme mystérieuse, une petite prostituée noire, morte peut-être, le gourou à la tête des insurgés et le narrateur. Celui-ci est cameraman de son état et donc, par définition, très attaché à tout ce qui est visuel. Habile subterfuge du romancier pour justifier le torrent d’images sur lequel est emporté le récit8.

6Ce résumé – c’est la loi du genre – simplifie beaucoup une action touffue et complexe, comportant de nombreux autres personnages et de multiples péripéties. Quant au cadre géographique, il s’agit des rives d’un cours d’eau navigable, rives tantôt naturelles  : roseaux et jacinthes d’eau  ; tantôt habitées  : habitats isolés ou urbains, débarcadères, entrepôts, quais et pontons  ; nul exotisme africain, mais les marges quelque peu périclitantes d’un monde globalisé. L’époque est de toute évidence contemporaine  : la croisière touristique, les enfants-soldats et leurs armes modernes, la télévision et les médias, le cinéma documentaire… Pourtant, ce bateau n’est pas tout neuf  : c’est le rescapé d’une période caractérisée par un certain «  développement  » matériel et une sécurité relative, que le lecteur peut situer entre les années 1920, datation d’une carte murale (JT, p. 26), et les premières décennies des nations indépendantes  ; en tout cas, il y a «  trente ans  » (JT, p. 43), se souvient un personnage, la même croisière se faisait sans difficulté. Cette indication prend un sens tout particulier dans la perspective d’un «  bilan  », en l’occurrence assez négatif, des indépendances africaines, bilan qui, toutefois, ne constitue qu’une partie du travail mémoriel du roman  : le circuit touristique est celui «  des Comptoirs  » et, à plusieurs reprises, on remonte beaucoup plus loin dans le temps, à l’époque de l’esclavage et de la traite atlantique.

  • 9 Voir Pinelli (Joe G.)  ; Bellefroid (Thierry), Féroces Tropiques, s. l., Dupuis, coll. Aire Libre (...)
  • 10 Bellefroid (Thierry), «  Jours de tremblement  : quand la croisière tourne au cauchemar  », RTBF, (...)
  • 11 Véron (Jean-Bernard), «  François Emmanuel. Jours de tremblement  », op. cit.

7Jours de tremblement a d’emblée suscité l’enthousiasme. Un des critiques les plus favorables, mais le mot est faible, est le journaliste de la rtbf Thierry Bellefroid, qui semble avoir retrouvé dans ce roman quelque chose de l’atmosphère comme de l’esthétique de la bande dessinée Féroces Tropiques9 qu’il devait alors préparer en tant qu’auteur  : «  Son tableau, écrit-il, est à la fois majestueux, musical et terriblement juste quant à la nature humaine10.  » Pour sa part, Jean-Bernard Véron, politologue français et rédacteur en chef de la revue Afrique contemporaine, «  salue une belle réussite qui marie habilement le fond, c’est-à-dire l’histoire qui nous est contée, et la manière ou la forme que choisit l’auteur pour donner chair au récit11  ». Thierry Bellefroid réagit en esthète, au point de se réjouir du fait que «  François Emmanuel distille son poison  », et d’apprécier que la «  beauté troublante [des phrases] [et] leur scansion contemplative n’enlèvent rien à la violence ni à la noirceur  » (Ibid.). Quant à Jean-Bernard Véron, il apprécie également le style de l’œuvre, et par exemple «  cette langue fluide et lente, ces longues phrases chuchotées qui collent aux murmures profonds du fleuve et qui envoûtent le lecteur  » (Ibid.).

8Mais la position des deux critiques n’est pas la même dans le champ, puisque l’autorité de Jean-Bernard Véron, a fortiori lorsqu’il écrit dans la revue africaniste qu’il dirige, s’étend au-delà des questions de forme et de style, et concerne la cohérence référentielle du propos autant sans doute que son acceptabilité politique et morale. Tout laisse d’ailleurs penser que ce professeur à Sciences-Po12 a joué un rôle déterminant dans l’attribution à François Emmanuel, pour ce roman, du Prix de l’Agence Française de Développement (2011)  ; or, cette récompense littéraire est décernée dans un secteur peu autonome du champ littéraire, à la fois parce que l’institution concernée est une instance gouvernementale, mais aussi parce que la légitimité des représentations littéraires de l’Afrique fait depuis longtemps l’objet de virulents débats dans le champ social. On en perçoit du reste un écho dans la vocation de ce Prix, qui n’est pas seulement littéraire puisqu’il entend saluer un «  éclairage sur les pays du Sud  » et leurs cultures, et soutenir leur «  développement dans toutes ses dimensions, y compris culturelle13  ». Cela fait inévitablement surgir cette question  : quel «  éclairage  » Jours de tremblement apporte-t-il donc à propos des pays du Sud et de leurs cultures, et quel soutien apporterait-il à leur développement «  y compris culturel  »  ? Reconnaissons que la réponse ne va nullement de soi, notamment parce que l’image de l’Afrique que brosse globalement le roman est tout sauf engageante et qu’elle laisse apparemment peu d’espoir quant à son «  développement  », même «  culturel  ».

9En somme, on voit se dessiner deux orientations interprétatives. Une première que je qualifierai rapidement d’esthète  : elle se situe autant que possible sur le seul terrain de l’art, et d’un art conçu comme «  fleur du mal  », si l’on veut bien accepter ce renvoi rapide à la modernité baudelairienne. Et une seconde, que je qualifierai tout aussi rapidement de sociopolitique  : elle n’est certes pas insensible aux aspects formels, mais surtout elle considère, de façon un peu inattendue pour un lecteur pressé, que ce roman pourrait servir quelque bonne cause qui soit de l’ordre du «  développement  » de l’Afrique.

Haro sur l’épilogue

10Illustrant la première orientation, deux critiques au moins reprochent au roman sa séquence finale, dont il n’est d’ailleurs pas question dans le résumé proposé ci-dessus  : elle n’a pas retenu l’attention de Jean-Bernard Véron. Cette ultime séquence a pour protagoniste le personnage de Marie, qui n’est autre que la «  jeune femme mystérieuse  » évoquée par Jean-Bernard Véron  ; en réalité, Marie a une cinquantaine d’années (JT, p. 20), c’est une «  femme mûre  » (JT, p. 39), et c’est loin d’être le personnage le plus mystérieux  : elle donne au contraire le sentiment d’une confondante simplicité. Cela, même si l’on ne sait quasiment rien de sa relation anecdotique avec le mourant, en dehors de l’affectueux dévouement qu’elle lui témoigne, presque maternel dans cette situation, sinon qu’elle s’allonge à un certain moment près de lui.

11Quoi qu’il en soit, Marie a finalement demandé au narrateur, rescapé comme elle des événements dramatiques survenus auparavant, de l’accompagner lors du voyage qu’elle veut accomplir pour honorer malgré tout, cinq mois après, les vœux du défunt  : le «  vieil homme  » avait en effet voulu avoir sa dernière demeure dans la réserve ornithologique, ce qui finalement donnera lieu à une modeste mais solennelle cérémonie dans un cadre naturel désormais apaisé.

12Il n’est pas étonnant que Marie et le narrateur («  François  ») se réunissent  : ils étaient en réalité, avec le vieil homme en fin de vie, les seuls passagers non-touristes du bateau, qu’ils n’avaient emprunté que pour se rendre à la réserve. Ce trio qui se forme à l’écart de l’action dramatique – et qui, en somme, tourne autour du mourant plutôt qu’il ne se constitue face aux événements extérieurs – rattache assez solidement l’épilogue à tout ce qui précède. Du même coup, il porte aussi une part essentielle de l’axiologie globale du récit, puisque quelque chose au moins est donc sauvé du chaos  : le souhait du vieil homme. Cela n’a certes, d’un point de vue matérialiste, pas plus de valeur qu’un symbole, et c’est d’autant plus vrai que le corps n’est pas là  ; mais on sait qu’un tel symbole – assurer une sépulture digne à un mort – a déjà pas mal servi en littérature et, bien entendu, qu’il est chargé d’une valeur anthropologique considérable, au point de signifier l’humanité elle-même.

13En termes structuraux, on pourrait dire que deux quêtes différentes organisent la tension dramatique  : d’une part, les séquences d’action beaucoup plus nombreuses et plus hautes en couleur qui sont liées aux désirs contradictoires des passagers (survivre, etc.) et des rebelles (s’emparer du pouvoir, plus tard négocier leur évacuation et aller vers la figure prophétique)  ; d’autre part, la volonté, pour l’un, de mourir dans la réserve, pour l’autre, d’accompagner le mourant et de lui donner une sépulture. La seconde quête finit, de fait, narrativement, par l’emporter sur la première, et par amener complètement à elle le narrateur, qui avait longtemps joué les go-between entre les deux «  sphères d’action  », comme on disait autrefois.

  • 14 Bellefroid (Thierry), «  Jours de tremblement  : quand la croisière tourne au cauchemar  », op. c (...)
  • 15 Creuz (Sophie), «  Croisière sur les eaux du Styx  », dans L’Écho, 20.02.2010, http://www.francoi (...)

14Cette section finale est quelque peu mélancolique, puisque l’on y honore les dernières volontés d’un mort, et parce qu’elle est paisible. Il y a même des retrouvailles émues avec des représentants de la société locale, et l’ensemble est dès lors dominé par une forme de compréhension et de solidarité humaine, voire, aussi, de rationalité, qui contraste avec tout ce qui précède. On est donc très loin du «  poison  » comme de la «  noirceur  » tellement prisés par Thierry Bellefroid, lequel suggère dès lors ceci  : «  Peut-être, si l’on devait oser un reproche à ce livre d’une grande intelligence et d’une vibrante humanité, aurait-il fallu le conclure à la fin du jour 8, qui s’achève sur un final magnifique. Les vingt pages qui suivent ne sont pas moins belles. Mais elles prolongent un peu difficilement l’extase hallucinatoire de celles qui précèdent14.  » Même son de cloche chez Sophie Creuz, qui conclut ainsi sa chronique du journal L’Écho  : «  Est-ce emporté par ce désir de réparation et de complétude, que François Emmanuel imagine une double fin, soudain trop appuyée  ? Ma liberté de lectrice l’ignore, préférant descendre en amont, avant la dernière nuit15.  » Au-delà de l’appréciation formelle, on peut entendre aussi un reproche d’un tout autre ordre  : l’écrivain eût mieux fait d’en rester à l’«  extase hallucinatoire  », et d’éviter cette réconciliation quelque peu obscène. Sous la plume de Sophie Creuz, le concept de «  complétude  » y ajoute une condamnation encore plus lourde, d’inspiration psychanalytique  : il semble bien que, de son point de vue, le rôle de l’art ne serait pas de nous installer, ou même serait de nous empêcher de nous installer dans le confort d’un imaginaire réconciliateur. En somme, écrit-elle, il est plus intéressant de «  traverser le fait divers [pour aller] jusqu’aux tréfonds  » et, du moins sur le papier du livre, c’est-à-dire dans l’espace autonome de la littérature, il est bien mieux de n’en pas revenir.

15Cette résistance devant l’épilogue, qui va jusqu’au souhait d’en amputer le texte, caractérise la lecture esthète  ; de son point de vue, cette séquence finale menace l’économie globale du roman, en y introduisant un élément qui, en somme, gâche le tableau. Reste à déterminer la nature de cet élément ressenti par les deux lecteurs comme incongru ou déplacé.

Première lecture  : incompréhensions et tremblements

16Nous l’avons suggéré  : Jours de tremblement semble par ailleurs avoir laissé bien des lecteurs circonspects ou perplexes. L’un d’eux parle ainsi d’un «  très bon livre  », «  qui devient très vite envoûtant  », mais «  un peu difficile d’accès16  ». Un peu ou davantage qu’un peu, pour cet autre lecteur  : «  C’est effectivement un livre assez difficile, que j’ai parfois eu envie d’abandonner17.  » Un troisième est plus explicite  :

  • 18 «  constance93 27 décembre 2010 à 21 :51  » (Ibid.).

Lu dans le cadre d’un prix littéraire, je n’avais pas apprécié ce livre  : écriture trop inaccessible, métaphore avec le monde réel trop compliquée pour moi, et surtout, surtout, cette sensation de pesanteur qui me faisait suffoquer. Je pense que l’auteur a parfaitement maîtrisé son écriture mais que les messages qu’il a voulu faire passer à travers ce livre me sont restés inconnus, justement à cause de l’écriture18

  • 19 Creuz (Sophie), «  Croisière sur les eaux du Styx  », op. cit.

17Ce qui plaît à certains critiques est donc précisément ce qui déplaît à d’autres lecteurs  : la «  suffocation  », mais aussi la relative obscurité du roman, ou, pour le dire en termes conradiens, sa darkness  : un mélange de manque de lumière dans le décor, de pessimisme moral et de relative illisibilité. Sophie Creuz voit ainsi Jours de tremblement comme une suite d’«  incantations spectrales, divinatoires, prières d’enfant pour conjurer la peur, l’attente, la chaleur et la faim  », et qualifie le roman de «  damier secret  » mais aussi de «  suite musicale  »  ; c’est, poursuit-elle, que «  les signes, le narrateur ne les découvre que dans cet effort de mémoire trouée, comme le sont les slogans révolutionnaires [des inscriptions peintes sur les parois de bâtiments situés sur la rive] auxquels il manque des lettres, des accords ou liaisons19  ». Que l’espérance révolutionnaire soit ici «  trouée  » dans ses signifiants autant que la mémoire, cela fait partie de la «  noirceur  » qui est appréciée, dont le corollaire est la réduction de la parole narrative à sa dimension musicale (ce qualificatif, indice d’une conception autonomisante de la littérature, est également utilisé, on l’a vu, par Thierry Bellefroid, qui évoquait en outre une dimension picturale).

  • 20 À diverses reprises, les personnages se plaignent de la manière dont les médias semblent rapporte (...)

18Jours de tremblement porte en tout cas plutôt bien son titre, moulé syntaxiquement sur la forme verbale de dies irae, les deux premiers mots de la médiévale Prose des morts, évocatrice du Jugement dernier. De fait, l’atmosphère a quelque chose d’apocalyptique, même si, à d’autres moments, il s’agit plutôt d’un carnaval grotesque  : c’est la «  fête folle  », celle des «  dieux noirs  » qui «  avaient inversé les rôles  » (JT, p. 67-68). Les huit «  jours  » que dure l’action centrale constituent une sorte de Genèse à rebours, qui irait vers plus de confusion (le «  tohu-bohu  » est explicitement mentionné p. 39, et repris p. 125) et non vers plus d’ordre  : tout se passe, selon un personnage, «  comme si tout dans ce continent devait par fatalité retourner à l’état de friche  » (JT, p. 44). Ces «  jours  » sont marqués par une possibilité de colère sacrée qui n’arrive pas, ou qui ne survient que sous les apparences dégradées de jeunes gens en armes mais dépenaillés. D’où ce tremblement du sens, celui-ci échappant au lecteur parce qu’il échappe au narrateur. Pourtant, il est surprenant que ce dernier n’y comprenne pas grand-chose, ou plutôt qu’il se garde d’en juger  : cinéaste documentariste, il est considéré par les rebelles en tant que représentant de la presse internationale et, à ce titre, d’une part, il reçoit davantage d’informations que les autres otages et, d’autre part, il est supposé compétent pour les décoder et les communiquer. Finalement, il n’en fera rien  ; il refuse même de transmettre ses images à son employeur comme à la presse en les déclarant «  inutilisables  » (JT, p. 163)  : beaucoup d’entre elles sont certes de mauvaise qualité pour des raisons techniques, mais «  inutilisables  » semble signifier ici qu’elles ne peuvent être utilisées pour des raisons éthiques, voire que l’idée même d’une utilisation, d’une valeur d’usage, est récusée. Choisir un narrateur cameraman semble en tout cas bien plus qu’un «  habile subterfuge du romancier  », comme l’écrit Jean-Bernard Véron  ; l’importance du visuel, en effet, n’est pas un hommage au cinéma  : elle dessine en creux la faiblesse, et souvent l’impossibilité et l’absence de verbalisation rationalisante, voire de narration qui serait «  convenable  » (usable, comme on le dirait sans doute mieux en anglais)20. Le narrateur est très clair à ce sujet  : il ne veut pas d’un storytelling (JT, p. 138), et c’est précisément ce que semblent apprécier ceux qui souscrivent à la lecture «  esthète  », y compris Jean-Bernard Véron, même si ce dernier, à titre au moins professionnel, a dû aussi considérer le roman d’un point de vue plus politique.

Seconde lecture  : les «  subtiles résonances politiques  »

  • 21 Lebrun (Jean-Claude), «  Fable sur un fleuve africain  », dans L’Humanité, 11 mars 2010, p. 1-2, (...)

19Ce tremblement du sens, qui est même assez souvent un vide d’information et d’explication, n’est pas bien toléré par les personnages  ; il ne l’est pas non plus par certains lecteurs, on l’a vu. Certes, le récit est curieusement qualifié de «  saisissante allégorie  » par le prière d’insérer, mais celui-ci ne précise pas de quoi il pourrait être l’allégorie. On comprend dès lors que certains critiques, moins amateurs quant à eux de «  poison  » et de «  noirceur  », se soient employés à en produire, du sens. Les commentateurs de L’Humanité, à Paris, et de La Libre Belgique, à Bruxelles, en tombent ainsi d’accord  : Jours de tremblement est pour eux une «  parabole  » morale, une «  fable aux subtiles résonances politiques21  », dénonçant l’égoïsme des sociétés développées, et prônant à l’inverse, discrètement, une forme d’altruisme  :

  • 22 Ibid.

Une microsociété s’est en effet constituée, qui ressemble terriblement à l’univers postcolonial. Seulement tournés vers eux-mêmes, les passagers ne prêtent évidemment aucune attention à de minuscules changements dans l’attitude de l’équipage. […] L’écriture de François Emmanuel […] montre des passagers incapables de réaliser vraiment ce qui se joue maintenant, à bord et au-dehors. […] Chacun semble trop requis par soi-même, à l’exception d’une femme veillant un vieil homme mourant […]22.

  • 23 Verdussen (Monique), «  Des jours où tremblent les certitudes  », dans La Libre Belgique, janvier (...)

20Dans le quotidien bruxellois, Monique Verdussen, elle aussi, dit de quoi le roman est l’allégorie  : c’est celle «  des ruptures et des troubles  » qu’engendrent les inégalités matérielles  ; le roman est ainsi l’«  emblème des réalités d’un monde où l’insolente insouciance des riches s’affiche, avec indifférence sinon arrogance, aux yeux de plus démunis qui s’y affolent l’esprit et la raison23  ». Certes, il s’agit bien d’un «  roman en forme de question  », mais à cette question il y a une réponse, que la journaliste a pour tâche d’expliciter pour guider le lecteur. C’est une réponse double, en réalité, puisque, outre la dénonciation des inégalités qui seraient responsables de provoquer, chez les plus pauvres, une sorte de folie due au désespoir, Monique Verdussen fait aussi d’un personnage africain, qui reprend une antienne culturaliste héritée du nationalisme africain, le porte-parole de l’auteur. Elle met d’ailleurs en évidence ce discours dans un encadré intitulé «  paroles de sage  »  :

  • 24 Ibid., les crochets sont de Monique Verdussen  ; voir JT, p. 117-118.

Quand les Blancs sont arrivés ici, les pères de nos pères adoraient le fleuve et le fleuve leur donnait en retour toute leur subsistance, il leur procurait les poissons, les oiseaux, les animaux qui venaient boire, l’eau en abondance qui irriguait les champs, et aussi les génies, les esprits des eaux qui passent, les histoires et les légendes, dans le monde des pères de nos pères, le fleuve était un arbre de vie […] c’est là où l’on conduisait les malades pour la consolation, les morts pour la purification dernière et les nouveau-nés afin de leur ouvrir les yeux au grand vide de la vie commençante, puis un jour l’homme blanc est arrivé sur un bateau à aubes avec une main qui tient l’arme et l’autre le cadeau, il a planté l’esprit blanc dans la pensée des hommes du fleuve, et quelque chose s’est mis à changer. Que peut-on faire contre un esprit quand il s’est introduit dans la pensée24  ?

  • 25 Bruckner (Pascal), Le Sanglot de l’homme blanc  : Tiers-Monde, culpabilité, haine de soi, Paris, (...)
  • 26 Qui semble bien faire écho aux spéculations auxquelles Henry Bauchau s’était livré en 1972 dans L (...)

21En somme, l’écrivain reprendrait ainsi le discours du «  sanglot de l’homme blanc25  », discours aux accents anticolonialistes et anticapitalistes26. La condamnation de «  l’esprit blanc  » et l’exaltation de la culture de «  l’autre  », supposée donner des gages de l’authenticité et de la pureté que l’Occident aurait perdues en sacrifiant son âme aux diables de la science, de l’industrie et du commerce, restaurent aussi, on l’aura remarqué dans la citation, un horizon culturel et spirituel. En synthétisant magnifiquement cette double dénonciation des inégalités matérielles et du matérialisme occidental, la journaliste conclut ainsi  : «  Pouvons-nous impunément exhiber un luxe et des certitudes illusoires aux yeux de peuples qui y perdent leurs valeurs, leur vérité et leurs pensées  ?  » La réponse à cette question oratoire est, bien sûr, négative  : il est donc juste qu’il y ait une punition, et, du fait qu’ils sont des victimes de l’inégalité, les rebelles ont en somme raison d’infliger ce châtiment aux nantis.

22On est en droit de penser que c’est cette interprétation qui a déterminé l’attribution du prix de l’afd  : critiquer l’Occident suffit sans doute à justifier que l’on contribue au développement de l’Afrique. C’est elle encore que l’on retrouve un peu plus tard sous la plume de Jean Claude Bologne, qui met en exergue la même citation du roman, et qui termine son compte rendu, comme Monique Verdussen, par la même auto-culpabilisation d’un «  nous  »  :

  • 27 Bologne (Jean Claude), [compte rendu de Jours de tremblement de François Emmanuel] 17 mars 2013, (...)

N’est-ce pas ce qui est arrivé à la mémoire de l’Afrique  ? Élimane Ba, le meneur de cette insurrection à la fois sanglante et poétique, soutient son peuple par ses discours, et par les mythes qui s’incarnent lorsqu’il raconte le fleuve  : «  tous les rêves étaient adossés au fleuve  » lorsque l’homme blanc est arrivé sur un bateau à aube. Dans une main il tenait l’arme et dans l’autre le cadeau  : «  il a planté l’esprit blanc dans la pensée des hommes du fleuve, et quelque chose s’est mis à changer. Que peut-on faire contre un esprit quand il s’est introduit dans la pensée  ? Est-ce que l’on peut ruser avec sa propre pensée  ?  » Cette question, peut-être faudra-t-il que nous nous la posions aussi un jour27.

23Ces critiques auraient pu ajouter que deux autres crimes du matérialisme occidental sont pointés par le récit contemporain de François Emmanuel  : d’abord le rejet violent des réfugiés qui, venus de la rive, tentent de s’abriter sur une barge tirée par le Katarina (JT, p. 41, 48, 53-54, 57), et font inévitablement allusion à ce que les médias appellent la «  crise des migrants  ». Ensuite, le crime de pollution, sorte de nec plus ultra du chaos, puisque le navire, enfin, se désagrège dans le fleuve aux abords de la réserve naturelle, ce qui le souille irrémédiablement, sur des dizaines de kilomètres, d’hydrocarbures en flammes (JT, p. 157).

24Le roman pose des problèmes de compréhension, de lisibilité, qui sont de toute évidence le résultat d’un travail pour trouver la forme adéquate à la réalité qu’il évoque  ; certes, le roman construit ces problèmes dans la fiction, mais le lecteur contemporain ne peut qu’y voir une référence à des actualités africaines qui se sont banalisées avec les images des enfants-soldats du Liberia, de Sierra Leone ou de l’Est congolais, eux-mêmes lointains descendants des «  guerriers simbas  » et autres «  jeunesses  » s’improvisant en forces militaires dans la même région au cours des années 1960. Cette forme explique le plaisir d’autres lecteurs qui se réjouissent non seulement de cette énigme, et du fait qu’elle ne soit pas levée, mais aussi de ce qui la rend intolérable  : la terreur qu’éprouvent les personnages aux prises avec une sauvagerie et avec une violence d’autant plus insupportable qu’elle échappe de manière imprévisible à leur grille de lecture et qu’ils ont le sentiment d’être à la fois innocents et étrangers à ce qui se passe autour d’eux et qui les malmène.

25La seconde lecture voit au contraire un sens à cette «  allégorie  », et elle retrouve celui-ci dans la bouche d’un personnage dont elle fait aussitôt un «  sage  » (c’est un Africain âgé, donc…)  : l’esprit des Blancs a contaminé le pays, c’est la faute à la colonisation, et davantage encore au matérialisme occidental, inséparable de l’iniquité, elle-même provoquant une double folie qui, dès lors, s’explique  : folie des situations désespérées, folie de la privation de sa propre culture et de «  ses dieux  », voire, peut-être même, folie d’être privé de tout dieu. Les touristes occidentaux ne sont, par conséquent, ni étrangers ni innocents  : s’ils n’ont pas eux-mêmes provoqué la misère dans le pays, ce sont leurs pères, leurs frères ou leurs cousins qui l’ont fait, et, de là, c’est, pour ce groupe de critiques, un «  nous  » collectif occidental qui est appelé à prendre ses responsabilités après avoir pris conscience de ses fautes.

26Ces deux lectures reposent sur des réponses différentes à la question posée par le Mal, qui serait, pour les uns, une donnée inhérente à l’existence, ou seulement le matériau d’une émotion, mais qui serait, pour les autres, un état à améliorer. Elles reposent aussi sur deux conceptions différentes de la littérature (et de l’art)  : comme tableau sidérant, d’un côté  ; comme outil de sensibilisation, de l’autre. Elles ont toutes deux une dimension spirituelle puisque la première est compatible avec ce qu’on peut appeler rapidement une double métaphysique de la noirceur et du mystère du monde  ; et que la seconde présente les traditions spirituelles africaines comme ce dont l’«  esprit des Blancs  » priverait très dangereusement l’humanité. L’une se construit en quelque sorte hors du social, l’autre dans le social. Cette alternative pourrait cependant être surmontée.

Troisième lecture  : intertexte marial, hétérotopie et commémoration

27L’épilogue de Jours de tremblement, et avec lui tout ce qui le préparait dans les chapitres antérieurs, semble en effet déplacer la question du Mal, de sa représentation «  hallucinée  » et de sa possible explication, vers ce qui ressemble à une conjuration dans un rituel, qui, d’un point de vue matériel, ne change rien aux réalités historiques, mais qui, d’un autre point de vue, «  sauve  » quelque chose. C’est un rituel modeste, avec le «  petit reste  » de quelques humains à la fois de bonne volonté et préservés de la folie. Les personnages y célèbrent, certes, une sorte d’apaisement, mais nullement une réparation, encore moins la «  complétude  » reprochée par Sophie Creuz  : le pays – où des violences continuent comme indéfiniment de sévir – est plus mal en point qu’avant la révolte  ; c’est ce que montrent de nombreux signes, à commencer par le très mauvais présage que constitue la mort de Louis, figure de l’intellectuel qui aurait pu constituer un modèle d’alternative politique.

  • 28 Le terme est utilisé dans le roman (JT, p. 110) pour le personnage moins développé d’Eleonora, qu (...)
  • 29 L’éthique de la sollicitude comme le définit Wikipédia (c. 04.11.19). Si le terme ne prêtait à ma (...)

28Comprendre ce rituel suppose d’emprunter un point de vue plus anthropologique. Comme le rappelle, au début de son compte rendu, la grande érudition de Jean Claude Bologne (voir article cité), qui met le Katarina en relation avec les Schifffahrten et les nefs médiévales embarquant les hommes sur les eaux dangereuses, la représentation des voyages en bateau a souvent été une allégorie de la destinée de la collectivité humaine. Assurément, mais, tant qu’à invoquer les réminiscences médiévales, l’importance du personnage de Marie, et de son nom, devrait attirer l’attention  : dans l’hymne Ave stella maris, la Vierge Marie est celle qu’invoquent les marins en péril, spécialement à l’heure de la mort. De fait, toujours en retrait des péripéties violentes qui sévissent sur le navire, le personnage de Marie veille comme une pietà28 sur le vieil homme agonisant, et finalement elle l’accompagne vers sa dernière demeure  : felix caeli porta, dit l’hymne médiéval, la «  porte heureuse du ciel  »  ; elle porte alors une «  robe bleue  » (JT, p. 135). Elle est aussi Dei mater alma  : non seulement l’étoile de la mer, mais la douceur divine incarnée. Elle n’a d’autre pouvoir que celui de la veille attentive, de ce qu’on appellerait sans doute aujourd’hui le care, le soin ou le souci des autres29  ; Marie est non puissante, non violente, mais elle est obstinée, composant avec modestie une sorte d’Antigone chrétienne qui, dans son cas, ne s’oppose pas au pouvoir mais agit autrement, en retrait. Atque semper virgo, dit aussi l’hymne médiéval  : Marie n’est pas dans le rapport pour le moins angoissé qui précipite le narrateur et le personnage de Livia dans le rapprochement des corps («  furtivement l’amour  », JT, p. 104), mais elle est sur une autre scène affective  ; sa présence reste cependant très corporelle, comme le relève ce souvenir du narrateur  : «  […] un instant j’avais senti son corps contre moi, son corps et son souffle, et puis nous étions entrés  » dans la cabine où le vieil homme est mort (JT, p. 124).

  • 30 Roche (Isabelle), «  Entre guerre et rêve, mirage à fleur de fleuve  », op.cit., et JT, p. 39.

29Qui veille-t-elle  ? le vieil homme qui va mourir et qui, forcément, n’est en rien un acteur de l’intrigue  : il «  semblait déjà vivre hors du monde  » (JT, p. 19), il «  voguait déjà loin du monde  » (JT, p. 68). À peine apprend-on que ce «  vieillard aristocratique au sourire généreux et aux grands yeux noyés  » a été «  linguiste et mythologue  », et l’«  ultime spécialiste d’une langue morte  », mais aussi qu’il a aimé le continent africain (JT, p. 19) et, incidemment, qu’il se prénomme Paul (JT, p. 67). Ce n’est pourtant pas le moins important des personnages  : c’est le seul dont François Emmanuel cite de mémoire une parole lors de l’entretien accordé à Isabelle Roche. Cette parole concerne l’Afrique et «  son côté “miroir” de nos misères (“là où se joue en pleine clarté, en pleine cruauté, ce qui se trame à l’ombre de nos sociétés occidentales…”), dit le vieil Homme30  ». On a l’impression d’entendre déjà le «  sage  » évoqué supra, et c’est donc dès le début du roman, et non seulement par un Africain mais aussi par un Européen, que l’accusation est proférée contre l’exploitation économique du continent à laquelle est sensible la seconde lecture.

30Mais le roman met aussi en jeu une lutte plus originelle, en rapport avec les «  choses cachées depuis le commencement du monde  ». On aura reconnu dans cette formule le titre d’un essai fameux de René Girard à propos de la violence  : le fait est qu’elle figure dans Jours de tremblement, lorsque le musicien Ismaïl s’adresse avec virulence à Marie – mais pourquoi à elle  ?, se demande-t-on à ce moment – en prenant l’attitude d’un «  imprécateur des ténèbres  »  : «  Se sentant tout à coup observé il s’était mis à élever la voix pour nous annoncer que nous allions voir, Madame, nous allions bien voir ce que nous n’avions pas voulu voir  : les choses cachées depuis le commencement du monde…  » (JT, p. 20). Or, l’expression fait directement écho par ailleurs au dies irae, lorsque celui-ci nous promet qu’au jour du Jugement, «  tout ce qui est caché apparaîtra  » (quidquid latet apparebit).

  • 31 Le prêche, qui fait référence à Mt, 6, 26 et Luc, 12, 24, est disponible en français notamment à  (...)

31Tout ceci, y compris les curieux italiques qu’a voulus l’auteur («  Madame  », une adresse qu’il fait répéter à Ismaïl) et la façon qu’a le musicien de s’en prendre inexplicablement à Marie, nous amène à attribuer toujours plus d’importance à celle-ci et à l’épilogue. Relevons que cette séquence finale est intitulée  : «  Passé le long hiver  », une formule qui suggère au moins une coupure entre les huit journées tourmentées et les dernières scènes. Ajoutons ceci  : le nom de «  François  », qu’on a bien entendu tout de suite envie de lire comme une trace autobiographique, pourrait lui aussi s’éclairer par une réminiscence médiévale  : après tout, pourquoi avoir choisi une réserve ornithologique, et insister autant, notamment dans le final mais en réalité dès le début, sur les oiseaux multiples qu’on y trouve, c’est-à-dire, comme on peut le lire, sur cette «  chorégraphie émiettée de la grâce  » (JT, p. 37), formant «  toute la beauté du monde  » (JT, p. 111). Les oiseaux sont sans doute des signes d’innocence parce qu’ils ne sont en rien responsables des violences  ; ne valant rien, n’étant utiles à rien sinon à être «  réservés  » dans un sanctuaire naturel, ce sont aussi des signes de paradoxale confiance, si l’on fait le lien avec le célèbre prêche aux oiseaux attribué par la tradition à un autre François, celui d’Assise31.

32L’intertexte médiéval, le sémantisme des prénoms, la double structure du raconté et divers affleurements d’un discours d’ordre spirituel nous mettent ainsi sur la voie d’une lecture mariale du roman. L’excipit s’en trouverait éclairé  : celui-ci est l’occasion d’une catharsis pour François, qui est obsédé par les cauchemars que lui ont laissés les évènements, mais que Marie vient en quelque sorte de libérer en lui touchant la main  :

Je ne sais pourquoi je racontais tout cela à Marie, je crois qu’au fond de moi je voulais que se déchire l’écran de douceur qu’elle déposait sur toutes choses. Je crois aussi qu’elle seule pouvait comprendre. Dans l’obscurité, je la voyais hocher la tête les yeux grands ouverts. / Un oiseau lançait dans la nuit un bref cri d’alarme, on entendait au loin le grondement du fleuve. (JT, p. 176)

33Le fleuve gronde ainsi de manière inattendue (il n’a jamais fait entendre que des clapotis auparavant), mettant en évidence par contraste, outre le rôle des oiseaux, la tranquillité émue de cette scène, qui est au moins thérapeutique. Cette sérénité répond, ou reprend sur un autre mode, moins imaginaire, la finale de la «  Dernière nuit  », lorsque Livia évoque la figure du bon géant dont son père lui parlait, quand elle était petite fille  : «  Colui che mai dorme, celui qui ne dort jamais  » (JT, p. 168), un géant mystérieux qui vient peser doucement sur les paupières des enfants qui ne trouvent pas le sommeil. Bon géant qui semble lui-même annoncé par la fin du «  Jour cinq  »  :

  • 32 Ce passage semble bien faire allusion à un motif récurrent dans les évangiles synoptiques («  vou (...)

[…] je pensais que la vie était un fil tendu entre lui [Teseo, le petit garçon d’Eleanora, endormi sur ses genoux] et le vieil homme, mort, peut-être mort maintenant dans la cabine de Marie, je pensais à ce qui nous reliait, les hommes, le savons-nous ce qui nous relie, est-ce qu’il existe un Dieu qui nous relie les uns aux autres, ce Dieu qui n’est pas là quand on l’appelle, mais qui vient comme le veilleur, surgit quand on ne l’attend pas32 […]. (JT, p. 104)

34Si nous avons souligné «  je pensais  », c’est que François avait déjà interrompu sa narration, au «  Jour quatre  », en répétant  : «  je pensais à Marie  » (JT, p. 84, 85). La «  pensée  » du roman pourrait bien être également théologique  : c’est ce que suggère l’épigraphe empruntée au poète Roberto Juarroz, qui concerne explicitement une existence réciproquement conditionnelle de l’homme et d’un dieu, sous le signe de la chute et de l’un et de l’autre.

  • 33 Voir Watthee-Delmotte (Myriam), Dépasser la mort  : l’agir de la littérature, Arles, Actes Sud, 2 (...)
  • 34 Mais également, à sa manière, du personnage de l’écrivain Naginpaul.

35Cette troisième lecture n’est cependant pas seulement mariale et ouverte sur une manière, pour le roman, de «  dépasser la mort  » en faisant mémoire de ceux qui ont perdu la vie33  : elle propose aussi un autre dépassement, en l’occurrence celui du violent dualisme inséparable de la violence racontée auparavant. Initialement, et même s’il faut du temps pour le comprendre, c’est-à-dire pour le faire signifier dans un narratif connu, des rebelles s’opposent donc au gouvernement en place. Mais cette opposition en entraîne d’autres  : ce sont les indigènes qui s’en prennent aux touristes étrangers, et de là vient aussi, sur l’axe de la lutte, une inévitable tension entre riches et pauvres, europhones et locuteurs de langues locales, personnes «  éduquées  » dans tous les sens du mot et jeunes gens qui s’improvisent guerriers, touristes en voyage culturel et héritiers de la mémoire de l’esclavage et des «  Comptoirs  ». Observant ces tensions, le narrateur a gardé autant que possible ses distances avec ce qui aurait pu être «  son  » groupe, et il a noué des liens avec ceux qui auraient pu être «  les autres  », à commencer par Louis son «  frère noir  » (JT, p. 122), qui est un intellectuel «  peulh  », et à ce titre une interface (il traduit à François)  ; il noue aussi un lien avec le jeune garçon qu’il appelle «  l’enfant aux fleurs  » (JT, p. 39, 64, 89, 115…), et plus tard avec Kadim Kanthé, le chef des rebelles sur le bateau. Il n’est d’ailleurs pas le seul à traverser «  la ligne qui sépare Blancs et Noirs  » (JT, p. 110)  : c’est aussi le cas des deux figures du care que sont Eleanora, qui veille sur une morte dont nous ne saurons rien, et de Marie34.

  • 35 À noter que le prénom renvoie, à son tour, à la fois au monde des oiseaux et à la spiritualité pu (...)

36Le personnage de Hamsa, en particulier, échappe au face-à-face du Blanc et du Noir, du colon et du colonisé et de leurs mémoires respectives. Hamsa est une vieille connaissance de Marie et du vieil homme, il attend leur retour mais il est d’abord empêché de les rejoindre par la rébellion. Finalement, «  après le long hiver  », c’est toute la famille d’Hamsa qui accueille Marie et François pour un repas avant la cérémonie d’adieu. En fait de retrouvailles, il est trop tard pour le vieil homme, et bien tard aussi déjà pour Hamsa35, qui est devenu aveugle  ; mais l’important est que la réunion se fasse, et qu’elle contredise radicalement la dualité et la folle violence immédiate. Elle peut se réaliser et prendre ce sens en se situant dans une mémoire plus longue, alimentant la conscience du présent en images venues du passé  : il est possible que les hommes s’accordent et vivent paix, puisque puisqu’on célèbre, en somme, un lien qui a été noué autrefois et qui a été fidèlement vécu depuis malgré obstacles et séparations physiques. Ceci est à noter dans la perspective du bilan (des indépendances africaines) que nous évoquions d’entrée de jeu.

37Dans le corps du roman, auquel voudrait s’arrêter la première lecture, Jours de tremblement est à la fois un récit réaliste et une «  allégorie  » ou une «  parabole  » renvoyant à l’opacité du monde, avec une exploitation délibérément appuyée de ce qui, dans l’actualité médiatique du temps, signifie cette opacité de manière aiguë. Le roman de François Emmanuel s’appuie en particulier sur l’usage problématique des médias (télévision planétarisée, téléphones portables, radio, et bien sûr le reportage qui ne sera jamais réalisé), mais il réveille aussi, dans la mémoire du lecteur contemporain, des séquences médiatiques à thème africain nettement postcolonial, en particulier les images d’enfants-soldats, de rébellions désorganisées, de forces militaires dépenaillées et indisciplinées, de chefs de guerre corrompus, de stratégies foireuses et de messianismes hallucinés, de massacres cruels et de destructions lamentables  : leur réveil implicite dans la tête des personnages (comme des lecteurs) a un effet particulièrement anxiogène. Il faut y ajouter, presque à la fin du récit, un symbole particulier, qui lui aussi fait appel aux images médiatiques et cinématographiques contemporaines  : la paroi de verre à travers laquelle le narrateur, qu’on a ramené dans un luxueux hôtel de la capitale, voit de très haut et de très loin la ville en quelque sorte «  réelle  » des Africains. La séparation vitrée éloigne radicalement de cette réalité, mais en même temps la montre toute proche, et en fait un spectacle auquel il est insupportable de devoir rester indifférent. Monique Verdussen a certes raison d’insister sur la dimension visuelle  :

  • 36 Verdussen (Monique), «  Des jours où tremblent les certitudes  », op.cit., et JT, p. 134.

C’est un magnifique roman, très visuel, que l’on imagine immédiatement en film. Et ce n’est peut-être pas un hasard s’il est dédié à Nicolas Klotz qui a porté à l’écran La Question humaine. On en sort bousculé, questionné, sollicité à répondre, non par des formules utopiques, mais avec une lucidité en alerte. «  Que vaut un homme noir  ? Que vaut un homme blanc  ? Que vaut un riche  ? Que vaut un pauvre36  ?  »

38Mais au-delà de la division binaire de la société que la journaliste souligne à juste titre, une crise encore plus profonde touche la représentation elle-même, non pas parce que ce qui est perçu par le sujet serait déformé et «  inutilisable  », mais parce que la parole est perdue (et peu importe qu’elle soit visuelle ou verbale). C’est Jean Claude Bologne qui met le doigt sur ce passage essentiel, où il est question des romans du personnage de Naginpaul  :

  • 37 Bologne (Jean Claude), [compte rendu de Jours de tremblement de François Emmanuel], op. cit.

Car le monde et sa mise en parole sont intimement liés. Une des clés du récit réside peut-être dans les livres de Naginpaul, rapidement évoqués par Louis  : «  chaque roman est un monde presque réel mais pas tout à fait réel  » [JT, p. 100]. L’un d’eux décrit un pays où les hommes ont perdu la langue, non pas la langue utile, mais quelque chose dans la langue qui ne se voit pas, mais qui n’est plus là. Ils font des listes de mots, dressent des cartes, errent sans savoir ce qu’ils cherchent – le monde s’est échappé avec leur langue37.

39Or, s’il ne reste que la langue utile (mots, cartes, images), s’il manque ce quelque chose qui n’est pas utile et qui ne se voit pas, le monde devient insaisissable et il est vain d’en appeler à «  une lucidité en alerte  ». Comme il devient problématique de confier une sagesse quelconque au prophète Élimane Ba, encore moins à ceux qui s’en sont fait les disciples dans le roman, fussent-ils vieux et africains.

40Retrouver une parole non utilitaire est peut-être essentiel pour mettre en œuvre la langue utile qui, certes, permet de dénoncer. C’est ici que l’épilogue donne du sens au roman, et que vouloir l’en retrancher (comme le souhaite la première lecture, mais comme le fait aussi la seconde) serait en quelque sorte ne pas vouloir lire ce que, malgré tous les échecs de la communication et tous les doutes à propos de la parole qui se serait perdue, le texte reconstruit, en se justifiant du même coup d’exister comme parole en quelque sorte retrouvée, et non pas définitivement emportée avec le carburant qui brûle dans les roseraies.

41La scène finale, purement commémorative, est effectivement à divers égards inutile. C’est même par là qu’elle est essentielle. Hétérotopique, elle est un hors-lieu par rapport à l’action principale  : un épilogue, donc. C’est de là qu’elle parle du roman, ce tombeau, et de ce que peut l’écriture, qu’il s’agisse du tableau halluciné qu’elle peut peindre, de la sensibilisation à l’injustice qu’elle peut tenter ou de la figuration du care qu’elle peut proposer comme seul agir sensé dans l’insensé du monde. Mais elle parle aussi de ce que l’écriture ne peut pas, pour des raisons éthiques  : ne pas voir l’injustice, la violence et la folie, les oublier, ou encore les faire disparaître dans une narration acceptable. À l’écoute des cauchemars, mais abritant aussi la beauté du monde, le hors-lieu de la réserve, et Marie elle-même, pourraient aussi être des figures de la littérature.

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Notes

1 Emmanuel (François), Jours de tremblement, Paris, Seuil, 2009  ; dorénavant JT suivi du numéro de page.

2 Roche (Isabelle), «  Entre guerre et rêve, mirages à fleur de fleuve [entretien avec François Emmanuel]  », dans Le Carnet et les Instants, n°  160, 1er févr.-31 mars 2010, p. 29-31, http://www.francoisemmanuel.be/jours-de-tremblement/.

3 Ibid.

4 Voir Meurée (Christophe), «  Comme une énigme, un nom propre très commun  : François Emmanuel  », dans Les Lettres romanes, vol. 64, 2010, n°  3-4, p. 329-348.

5 On s’y réfère tantôt à l’islam (des minarets), tantôt à l’Afrique subsaharienne en général (des Noirs), et quelquefois à des réalités plus précises («  Peuhl  », JT, p. 56, ou certains noms propres comme «  Ba  »). La rédaction du Carnet et les Instants (Art. cit.) est la seule, mais c’est peut-être par désinvolture, à l’associer au Zambèze, dont une «  vue  » est proposée, montrant des rapides avec, au loin, un grand pont d’acier franchissant une vallée encaissée  : on ne voit pas le rapport avec le fleuve navigable du roman, qui coule dans une région sans relief.

6 Sur la tradition conradienne, voir e.a. Halen (Pierre), «  À propos de la tradition conradienne du Cœur des ténèbres comme archive internationale  », dans Continents manuscrits [En ligne], n°  11, octobre 2018, http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/coma/2953. Nous développerons plus systématiquement cette dimension conradienne du roman dans une étude en préparation.

7 Emmanuel (François), Jours de tremblement, op. cit.  ; nous soulignons.

8 Véron (Jean-Bernard), «  François Emmanuel. Jours de tremblement  », dans Afrique contemporaine, 2012/1, n°  241, p. 149-150, https://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-afrique-contemporaine-2012-1-page-149.htm.

9 Voir Pinelli (Joe G.)  ; Bellefroid (Thierry), Féroces Tropiques, s. l., Dupuis, coll. Aire Libre, 2011.

10 Bellefroid (Thierry), «  Jours de tremblement  : quand la croisière tourne au cauchemar  », RTBF, 16.01.2010, https://www.rtbf.be/info/dossier/chroniques/detail_jours-de-tremblement-quand-la-croisiere-tourne-au-cauchemar-thierry-bellefroid ?id =4943143.

11 Véron (Jean-Bernard), «  François Emmanuel. Jours de tremblement  », op. cit.

12 Également Président du Comité des Solidarités internationales de la Fondation de France, et directeur de la cellule «  sortie de crise et États fragiles  » à l’Agence française de Développement.

13 Voir https://www.livreshebdo.fr/prix-litteraires/tous-les-prix/prix-litteraire-de-lagence-francaise-de-developpement.

14 Bellefroid (Thierry), «  Jours de tremblement  : quand la croisière tourne au cauchemar  », op. cit.

15 Creuz (Sophie), «  Croisière sur les eaux du Styx  », dans L’Écho, 20.02.2010, http://www.francoisemmanuel.be/wp-content/uploads/2015/05/llb2.jpg ou https://www.lecho.be/actualite/archive/Croisiere-sur-les-eaux-du-Styx/8299932.

16 «  suzanne leygonie 21 janvier 2012 à 10 :56  », http://artetlitterature.blogspot.com/2010/12/jours-de-tremblement-de-francois.html. Nous avons redressé l’orthographe et la ponctuation dans ces citations de blogs.

17 «  Françoise Chatelain 28 décembre 2010 à 11 :56  » (Ibid.). Suit une recommandation de lire plutôt, du même écrivain, La Passion Savinsen.

18 «  constance93 27 décembre 2010 à 21 :51  » (Ibid.).

19 Creuz (Sophie), «  Croisière sur les eaux du Styx  », op. cit.

20 À diverses reprises, les personnages se plaignent de la manière dont les médias semblent rapporter les faits  ; «  ça, c’est de l’information  », dit ainsi sarcastiquement un personnage (JT, p. 47).

21 Lebrun (Jean-Claude), «  Fable sur un fleuve africain  », dans L’Humanité, 11 mars 2010, p. 1-2, http://www.francoisemmanuel.be/wp-content/uploads/2015/05/huma1.jpg ; https://www.humanite.fr/node/434434.

22 Ibid.

23 Verdussen (Monique), «  Des jours où tremblent les certitudes  », dans La Libre Belgique, janvier 2010, https://www.lalibre.be/culture/livres-bd/des-jours-ou-tremblent-les-certitudes-51b72f4fe4b0de6db974de8b.

24 Ibid., les crochets sont de Monique Verdussen  ; voir JT, p. 117-118.

25 Bruckner (Pascal), Le Sanglot de l’homme blanc  : Tiers-Monde, culpabilité, haine de soi, Paris, Seuil, coll. L’histoire immédiate, 1983.

26 Qui semble bien faire écho aux spéculations auxquelles Henry Bauchau s’était livré en 1972 dans Le Régiment noir, en plein triomphe du tiers-mondisme.

27 Bologne (Jean Claude), [compte rendu de Jours de tremblement de François Emmanuel] 17 mars 2013, https://www.babelio.com/livres/Emmanuel-Jours-de-tremblement/222164. Ponctuation et guillemets de l’auteur.

28 Le terme est utilisé dans le roman (JT, p. 110) pour le personnage moins développé d’Eleonora, qui semble comme une réverbération de celui de Marie  ; ce prénom viendrait du grec eleos («  compassion  »).

29 L’éthique de la sollicitude comme le définit Wikipédia (c. 04.11.19). Si le terme ne prêtait à malentendu, il serait simple de parler de charité, la caritas latine ayant d’ailleurs la même racine indo-européenne que le care anglais, et l’agapê du grec.

30 Roche (Isabelle), «  Entre guerre et rêve, mirage à fleur de fleuve  », op.cit., et JT, p. 39.

31 Le prêche, qui fait référence à Mt, 6, 26 et Luc, 12, 24, est disponible en français notamment à  : http://www.biblisem.net/etudes/massfrer.htm.

32 Ce passage semble bien faire allusion à un motif récurrent dans les évangiles synoptiques («  vous ne savez ni le jour, ni l’heure  »  ; Mc, 13, 33  ; Mc, 13, 35  ; Mt, 24, 42  ; Mt, 25, 13…) ou citer une affirmation eschatologique avec un léger détournement  : «  le jour du Seigneur viendra comme un voleur  » (2, Pierre, 3, 10  ; 1, Thessaloniciens, 5, 2). Il se termine, un peu plus bas, par une anticipation du bon géant (le veilleur qui a pris la place du voleur), mais sans quitter la vraisemblance du raconté  : «  […] pourquoi se taisent-ils, on croirait entendre des pas, on dirait quelqu’un qui marche dans la maison profonde, faut-il qu’il y ait tant de silence pour qu’on l’entende ainsi marcher  ?  » (JT, p. 104)

33 Voir Watthee-Delmotte (Myriam), Dépasser la mort  : l’agir de la littérature, Arles, Actes Sud, 2019.

34 Mais également, à sa manière, du personnage de l’écrivain Naginpaul.

35 À noter que le prénom renvoie, à son tour, à la fois au monde des oiseaux et à la spiritualité puisque le mot désigne un cygne mythologique dans plusieurs traditions religieuses asiatiques.

36 Verdussen (Monique), «  Des jours où tremblent les certitudes  », op.cit., et JT, p. 134.

37 Bologne (Jean Claude), [compte rendu de Jours de tremblement de François Emmanuel], op. cit.

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Pour citer cet article

Référence papier

Pierre Halen, « Trois lectures de Jours de tremblement de François Emmanuel »Textyles, 62 | 2022, 63-82.

Référence électronique

Pierre Halen, « Trois lectures de Jours de tremblement de François Emmanuel »Textyles [En ligne], 62 | 2022, mis en ligne le 10 mai 2022, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/textyles/5790 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/textyles.5790

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Auteur

Pierre Halen

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