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Audiard (Michel) et Simenon (Georges), Le Sang à la tête, Maigret tend un piège, Le Président, scénarios présentés et édités par Benoît Denis

Lyon / Arles, Institut Lumières / Actes Sud, 2020, 917 p.
Laurent Demoulin
p. 184-186
Référence(s) :

Audiard (Michel) et Simenon (Georges), Le Sang à la tête, Maigret tend un piège, Le Président, scénarios présentés et édités par Benoît Denis, Lyon / Arles, Institut Lumières / Actes Sud, 2020, 917 p.

Texte intégral

  • 1 Bergen (Véronique), «  Audiard-Simenon  », dans Le Carnet et les Instants, article mis en ligne (...)

1Certes, le volume dont il va être question dans les lignes qui suivent n’est pas à proprement parler un ouvrage critique sur la littérature belge, puisque, pour une bonne part, ses pages sont dévolues à trois scénarios rédigés par le plus célèbre des dialoguistes français, Michel Audiard – trois scénarios (Le Sang à la tête adapté du Fils Cardinaud, et Maigret tend un piège et Le Président, tous deux tirés des romans de même titre) qui s’avèrent, soit dit en passant, très agréables à lire, dans la mesure où ils sont écrits de façon somme toute littéraire et non techniciste comme il est de mise d’aujourd’hui. Mais, ainsi que le souligne Véronique Bergen dans Le Carnet et les Instants, ces scénarios sont «  souverainement commentés [et] introduits par Benoît Denis1  ». Regroupées en un livre, la soixantaine de pages de l’introduction générale que le directeur du Fonds Simenon consacre notamment aux rapports entretenus entre Simenon, Audiard et Gabin (interprète principal des trois films concernés) et les trente pages que compte chacune de ses trois introductions aux scénarios proprement dits constitueraient une belle étude, apte à renouveler la critique simenonienne, pourtant déjà tellement riche.

2En outre, sauf erreur de ma part, il s’agit d’une première  : jamais auparavant des scénarios de film n’avaient ainsi donné lieu à une véritable édition scientifique, avec un apparat critique comparable à celui de la Bibliothèque de La Pléiade. D’ailleurs, on se souvient que Benoît Denis a fait ses armes dans la prestigieuse collection, puisqu’avec Jacques Dubois, il y avait présenté et annoté, en 2003 puis en 2009, trois tomes de romans de Simenon.

3Qu’apporte l’édition de ces scénarios aux simenoniens  ? Un regard qui est à la fois de biais, car il passe par une série de comparaisons nouvelles (entre romans, scénarios et films achevés, entre le Maigret de papier et le Maigret de Gabin ou entre les poétiques de Simenon, d’Audiard et de Marcel Aymé), et d’une clarté édifiante (caractéristique du travail de Benoît Denis). Le chercheur, qui a dirigé Textyles de 2004 à 2008, brosse dans son introduction générale un vaste tableau d’ensemble concernant l’idéologie et le parcours du romancier et du dialoguiste, mais aussi les contextes historique, générationnel, sociologique, politique, littéraire et filmographique aussi bien des trois romans que des trois scénarios. Ensuite, il réalise des analyses de détails, notamment au sujet des difficultés d’adaptation cinématographique que présentent les romans de Simenon, ce qui l’amène à des remarques éclairantes quant à l’écriture du père de Maigret. Par exemple  :

[…] ce qui fait la singularité de la narration simenonienne est de s’effectuer souvent depuis un point de vue assez improbable, à la lisière de l’intériorité et l’extériorité, en ce point précis où la subjectivité affleure, sans néanmoins s’exprimer clairement – on pourrait ici évoquer les “tropismes” ou la “sous-conversation” de Nathalie Sarraute. Extrêmement fréquente dans les romans de Simenon, la phrase “il se comprenait” condense cette manière d’appréhender le personnage. À la fois limpide et opaque, cette formule situe parfaitement l’enjeu  : pas d’analyse ou d’explication, au sens où des mots pourraient ordonner le chaos ou la crise que traverse le personnage, mais un point d’entre-deux, extrêmement dense et cohérent, que le lecteur saisit comme un passage absolument évident de l’extériorité (les mouvements du corps, les expressions du visage, décrits à distance) à la rumination intérieure, laquelle prolonge en quelque sorte la description du personnage. (p. 40-41)

4Comment Audiard s’en sort-il pour rendre cinématographiquement cette dualité dense et complexe  ? Voilà ce que Benoît Denis explore ensuite. Le scénariste-dialoguiste délègue une part de cette rumination intérieure à des personnages secondaires, qu’il étoffe ou qu’il crée de toutes pièces. Et pour demeurer fidèle à Simenon, romancier qu’il révère par-dessus tout, il va puiser ces personnages… dans d’autres romans de l’écrivain  !

5Ajoutons que le volume s’ouvre sur une préface de Jacques Audiard, se clôt sur une postface de Bertrand Tavernier, qu’il est rythmé par une série de photographies de plateau, qu’il reproduit les critiques suscitées par les sorties des films en salle, qu’elles soient élogieuses ou assassines (comme celle que le jeune Truffaut signe à propos du Sang à la tête) et contient divers témoignages. Terminons par celui de Michel Audiard lui-même, qui nous fait un portrait enlevé de Simenon  : «  Je connais bien Simenon, mieux que personne peut-être, je l’ai rencontré cent fois, à travers toutes ses maisons, toutes ses femmes […]. […] à travers ses déambules, il est toujours resté le même  : picoleur, liégeois, génial. Et gentil, en plus, étonnamment gentil. Parfois un peu enfantin […]. […] il aime bien que le mérite soit honoré, les valeurs reconnues, c’est son côté belge. J’aime bien les Belges.  » (p. 61)

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Notes

1 Bergen (Véronique), «  Audiard-Simenon  », dans Le Carnet et les Instants, article mis en ligne le 30 janvier 2021, https://le-carnet-et-les-instants.net/2021/01/30/denis-audiard-simenon/

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Pour citer cet article

Référence papier

Laurent Demoulin, « Audiard (Michel) et Simenon (Georges), Le Sang à la tête, Maigret tend un piège, Le Président, scénarios présentés et édités par Benoît Denis »Textyles, 60 | 2021, 184-186.

Référence électronique

Laurent Demoulin, « Audiard (Michel) et Simenon (Georges), Le Sang à la tête, Maigret tend un piège, Le Président, scénarios présentés et édités par Benoît Denis »Textyles [En ligne], 60 | 2021, mis en ligne le 15 mars 2021, consulté le 05 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/textyles/4129 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/textyles.4129

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Auteur

Laurent Demoulin

Université de Liège

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