Savitzkaya, l’ordre et le désordre
Plan
Haut de pageTexte intégral
Préambule
- 1 Beyen (Marnix), « Uilenspiegel cléricalisé par un libéral exemplaire ? Les adaptations de La Légend (...)
- 2 Demoulin (Laurent), « La beauté cachée du lait. Enfance et boisson chez Eugène Savitzkaya », dans A (...)
1Dans un précédent numéro de Textyles, Marnix Beyen revient de façon critique sur l’essai qu’il avait publié jeune homme à propos du « rôle de Tijl Ulenspiegel dans l’histoire politique belge1 ». Cette démarche m’a paru à la fois féconde et, pourquoi le taire ?, touchante. Elle m’a en tout cas donné envie de faire de même et de revoir les deux articles que j’ai naguère publiés au sujet d’Eugène Savitzkaya2. Ce désir répond à une double motivation : d’abord, tous les prétextes sont bons pour travailler à nouveau sur une œuvre que l’on admire et, ensuite, le souvenir de ces textes me laisse insatisfait.
- 3 Outre le fait que les tableaux proposés manquaient de nuance, ils laissaient de côté un pan de l’œu (...)
2En effet, dans ces deux études, j’ai dû passer, pour nuancer mon propos, par une tentative de classification de la vaste production savitzkayenne et, comme il ne s’agissait pas de mon sujet principal, je ne suis parvenu ni à une catégorisation satisfaisante (celle-ci varie d’ailleurs d’un texte à l’autre) ni à justifier comme il convient les choix que celle-ci implique3.
3Je pourrais m’interroger sur cette volonté classificatoire : j’aime Savitzkaya à l’aune de l’inconcevable liberté de sa plume, des surprises qu’il nous réserve à chaque page, de son insaisissable pluralité, de sa faculté à se réinventer sans se trahir et du kaléidoscope diapré, « ondoyant et divers » que constitue son œuvre… Je l’apprécie pour son caractère inclassable et n’ai de cesse de le classer. Cependant, plutôt que de résoudre cette contradiction intime, je vais aller ici au bout de mon fantasme en cherchant à vider la question une fois pour toutes.
Les limites de l’enfance
- 4 Guibert (Hervé), « Entretien avec Eugène Savitzkaya », dans Minuit, n° 49, mai 1982, p. 7.
4Il est possible d’entamer la description de l’infinie luxuriance savitzkayenne par de multiples biais. Celui qui me semble le plus pertinent a trait à une thématique essentielle : l’enfance, en tant que réservoir infini d’énergie romanesque ou poétique. « L’enfance en soi ne m’intéresse pas tellement, a déclaré l’auteur, mais c’est la ferveur propre à l’enfance qui a une importance capitale4. » Ce thème me fournira mes principales distinctions. Quatre axes secondaires me serviront ensuite à examiner les différents pans de l’œuvre isolés grâce à celles-ci : un axe générique (poésie ou roman), un axe stylistique (au gré d’un paradigme opposant une poétique de la déconstruction à une esthétique du fragment), un axe chronologique (selon le tournant que représente Marin mon cœur) et un axe sémantique (à partir du paradigme ordre versus désordre).
- 5 Je me réfère ici à ce que Gérard Genette appelait le « mode », suivant lequel le narrateur décide d (...)
5La première distinction sépare, tout simplement, les textes dont l’enfance est le thème principal de ceux qui n’accordent à celle-ci qu’un rôle secondaire. La seconde ligne de démarcation établit un partage, au sein des textes consacrés à l’enfance, entre ceux qui voient le narrateur épouser de près le point de vue de l’enfant et ceux qui mettent en scène un adulte en train de l’observer5.
Textes centrés sur le thème de l’enfance |
Textes centrés sur d’autres thèmes |
|
Point de vue de l’enfant |
Point de vue de l’adulte sur l’enfant |
|
Un Attila. Vomiques (1974), L’Empire (1976), Mongolie, plaine sale (1976), Mentir (1977), Les Couleurs de boucherie (1980), La Disparition de maman (1982), Les morts sentent bon (1984), Capolican (1987), Sang de chien (1989), Jérôme Bosch (1994), |
Un jeune homme trop gros (1978), Marin mon cœur (1992), Exquise Louise (2003), Pinocchio le bruissant (2011), Fraudeur (2015), Sister (2017) |
La Folie originelle (1991), En vie (1995), Cochon farci (1996), Fou civil (1999), Aux prises avec la vie (2002), Fou trop poli (2005), Célébration d’un mariage improbable et illimité (2002), Nouba (2007), Convives (2007), Flânant (2014), À la cyprine (2015), Ode au paillasson (2019) |
6Cela étant, l’enfance ne constitue pas une période uniforme. Selon les textes, Savitzkaya met en scène des êtres de trois âges différents : des enfançons préœdipiens n’ayant pas encore fait l’acquisition du langage, que j’appelle des « infantes » (pluriel d’« infans », mot latin, signifiant « qui ne parle pas », à l’origine étymologique du mot français « enfant »), des enfants en âge scolaire (mais toujours décrits en dehors de l’école) et des adolescents. Cette distinction s’applique à chacune des deux premières colonnes ci-dessus, mais elle ne produit d’effets intéressants que sur les textes focalisés sur les enfants eux-mêmes. Je sous-divise donc encore ceux-ci en trois catégories.
Infantes |
Enfants |
Adolescents |
Un Attila. Vomiques, L’Empire, Mongolie, plaine sale, Les Couleurs de boucherie |
Mentir, La Disparition de maman, Les morts sentent bon, Capolican, Jérôme Bosch |
Sang de chien |
- 6 Virone (Carmelo), « Lecture », dans Savitzkaya (Eugène), Mongolie, plaine sale ; L’Empire ; Rue obs (...)
- 7 Savitzkaya (Eugène), « Un Attila. Vomiques », dans ibidem, respectivement p. 26, 28 et 30.
- 8 Savitzkaya (Eugène), « Mongolie, plaine sale », dans ibidem, respectivement p. 39, 35 et 41.
7Il se fait que la première d’entre elles est, selon l’axe générique, composée uniquement de poèmes, plus précisément des poèmes grâce auxquels le très jeune Savitzkaya est apparu dans le champ littéraire belge puis parisien. Or ces textes, comme le note Carmelo Virone, s’attachent à « produire de l’illisible6 ». Comment dès lors savoir qui s’y exprime ? Plusieurs éléments soutiennent l’hypothèse défendue ici, hypothèse selon laquelle la parole y serait donnée paradoxalement à un enfant qui ne parle pas encore, qui baigne certes déjà dans le langage, mais qui ne voit pas le monde à travers lui, échappant ainsi à sa stricte catégorisation. Ces éléments sont : l’obsession des fonctions corporelles premières, l’omniprésence de la mère, qui porte de nombreux noms (« maman », « ma mère de jeanne », « mamère et mamorte », « mamme man7 », « mammoque », « mamiche », « mammine8 »…), l’expression d’une sexualité polymorphe qui ne se conclut par aucun accouplement, l’absence de frontière stable entre soi et l’autre – surtout entre la mère et l’enfant.
- 9 Savitzkaya (Eugène), Sang de chien suivi de Les morts sentent bon, Postface de Sarah Sindaco et de (...)
- 10 Savitzkaya (Eugène), Jérôme Bosch, Charenton, Éditions Flohic, coll. Musées secrets, n° 17, 1994, p (...)
- 11 Ibidem, p. 60.
- 12 Ibidem, p. 36.
- 13 Ibidem, p. 12.
- 14 Ibidem, p. 16-18.
8La deuxième catégorie, composée de romans et d’un livre accompagné de reproductions de tableaux, ne demande pas autant de justification : la présence des enfants y est explicite – sauf peut-être dans Les morts sentent bon, dont le héros, Gestroi, a, au départ, les attributs d’un chevalier, mais auquel le narrateur déclare : « […] Gestroi, tu te baigneras nu avec les enfants de ton âge9 ». Il est moins aisé de définir l’identité du narrateur de Jérôme Bosch, classé ici parmi les textes de l’enfance alors qu’il aurait pu l’être dans chacune des catégories : en dehors de l’enfance (ce livre est inspiré des toiles du peintre), du point de vue de l’infans (« on suce le lait des femmes10 »), de l’adolescent qui a dû « attendre [s]a majorité11 », de l’adulte « spontanément vieux12 » se retournant sur son passé. Mais, dans la majeure partie du texte, se reconnaissent les caractéristiques des romans de l’enfance, telles que l’obsession de la mère et de sa disparition (« Ma mère ne viendra plus13 »), l’indépendance fraîchement acquise (« Au paradis, on me torchait le derrière. Maintenant, je dois le faire moi-même et je suis sorti grandi de cette épreuve, ayant gagné une belle indépendance14 »), les frères, la grand-mère, et surtout cette « ferveur » que recherche l’écrivain.
- 15 Ibidem, p. 13.
9La troisième catégorie, qui contient un seul roman, ne nécessite guère plus de commentaires. Grâce à certains de ses aveux, le narrateur de Sang de chien, qui évoque souvent lui aussi les figures paternelle et maternelle, peut être qualifié d’adolescent : « Je suis très inquiet du tour que les événements ont pris depuis que j’ai été dépucelé15. »
Les styles de l’enfance
10C’est ici qu’entre en jeu l’axe stylistique. Car l’écriture de Savitzkaya évolue entre les différents pans de l’œuvre.
- 16 Virone (Carmelo), « Des emblèmes emblématiques. À propos de Bufo bufo bufo et de Cochon farci », da (...)
11Les poèmes de l’infans sont constitués de longues coulées de prose obscure et puissamment rythmée. Comme leur but est de créer un impossible équivalent langagier au monde d’avant le langage et de traduire la violence des sensations antérieures à la conceptualisation verbale, il leur faut éviter toute trace de rationalité et échapper, du moins en partie, à la fixité symbolique. C’est pourquoi ils s’attachent à la déconstruction du langage, produisant ce que Virone a nommé une « cacosémie16 », qui se traduit par l’emploi de nombreux néologismes, par un jeu permanent sur les signifiants au détriment des signifiés, par une désarticulation du sens et par un morcellement iconoclaste de la syntaxe.
- 17 Richard (Jean-Pierre), « Chaos et Cie », dans Terrains de lecture, Paris, Gallimard, 1996, p. 93.
12Les premiers romans peuvent également être qualifiés de modernistes : ils sont touffus, baroques, sauvages, désarticulés. Cependant, du sens s’y construit, même si c’est pour aussitôt se déconstruire au gré de contradictions frontales, de revirements ou de paradoxes. Ils sont en effet composés de phrases syntaxiquement normées. C’est dans l’agencement de celles-ci que la déconstruction moderniste se joue, car, note Jean-Pierre Richard, « […] la narration ne cesse de s’autocontester17 ». En bref, entre poèmes et romans centrés sur un enfant, la différence, quant à la dissolution du sens, est, mutatis mutandis, la même qu’entre Les Illuminations de Rimbaud et La Maison de rendez-vous de Robbe-Grillet.
- 18 Virone (Carmelo), « Des emblèmes emblématiques. À propos de Bufo bufo bufo et de Cochon farci », op (...)
13Pareille évolution ne s’explique pas uniquement par les nécessités du genre romanesque. Elle est liée à l’énonciation : puisque, dans ces romans, ce sont des enfants parlant et jouant qui s’expriment, il est logique que la déconstruction langagière y soit moins radicale que dans les poèmes de l’infans. Il en va d’ailleurs de même dans Bufo bufo bufo, recueil de poèmes consacrés aux enfants parlants qui, selon Virone, jouit d’une « relative lisibilité [ :] l’écriture se démarque de la poétique déployée dans les grands recueils parus depuis 197418 ».
Beau désordre
- 19 Selon l’expression de Domingues de Almeida (José), « L’écriture jubilatoire chez Eugène Savitzkaya. (...)
- 20 Savitzkaya (Eugène), Les morts sentent bon, dans Sang de chien suivi de…, op. cit., p. 26.
- 21 Ibidem, p. 146.
- 22 Savitzkaya (Eugène), Jérôme Bosch, op. cit., p. 22.
- 23 Savitzkaya (Eugène), Mentir, Paris, Minuit, 1977, p. 63.
- 24 Savitzkaya (Eugène), Les morts sentent bon, dans Sang de chien suivi de…, op. cit., p. 177.
- 25 Savitzkaya (Eugène), La Disparition de maman, Paris, Minuit, 1982, p. 31.
14Quant au paradigme ordre/désordre, nul doute que ces romans, comme les poèmes, penchent du côté de l’entropie généralisée. Ni sage ni mièvre, l’enfance savitzkayenne est sauvage, âpre, violente. Bien qu’ils maîtrisent le langage, les enfants ne sont pas acquis à la raison rationnelle : pris dans des circuits complexes de gémellité et de fraternité, ils vivent dans « un désordre jouissif19 » au gré d’un imaginaire puissant et libre, fusionnel, confusionnel, organique et atemporel, qui leur fait croire à une existence éternelle. Les dichotomies structurant l’entendement humain ne sont guère stables dans cet univers originel. Sont en effet abolies les frontières entre le féminin et le masculin (comme l’attestent les « hommes fendus » et les « femmes à bites20 »), entre la vie et la mort (dans La Disparition…, la petite sœur meurt à de nombreuses reprises), entre l’adulte et l’enfant (ceux-ci acquérant une caractéristique de ceux-là, la reproduction, comme dans Capolican ou dans Les morts sentent bon, où l’on apprend que « les bébés qui sortent du ventre des enfants sont beaux et vigoureux […]21 »), entre la réalité et la représentation (la sœur de La Disparition… dessine un serpent qui ensuite la mord) et surtout entre l’animal et l’humain. Ce dernier brouillage se manifeste via le motif de la métamorphose, qui contredit le principe même de l’identité : « aucun état n’est satisfaisant en soi. Être un ange ou un singe ne résulte que d’un choix temporaire, intenable à longue échéance22. » Les exemples abondent : « […] après de longues métamorphoses, le visage livide se changea en faciès de mammifère, de loup ou de grand chien gris23 », « […] tu seras saumon […], tu seras le dauphin bondissant24. » Parfois, tous les paradigmes se voient annulés les uns après les autres pour aboutir à un désordre parfait : dans La Disparition…, un cadavre se transforme d’abord en poupée, puis en mouton, puis en cygne, avant de se faire tuer à nouveau25.
15Cependant, le premier de ces romans, Mentir, semble quelque peu à part. Alors que la violence marque Les morts sentent bon ou La Disparition…, le ton y est lancinant, à la fois angoissant et étrangement doux, presque onirique. Tout se passe, à cet égard, comme si l’inquiétude causée par la mère défaillante suscitait une forme de douceur amoureuse, alors que, dans les autres romans, la mère ayant disparu, l’enfant, soulagé, ou du moins libre, peut s’adonner à la sauvagerie primordiale, que traduisent un style extrêmement baroque et un ton violent.
L’adulte fasciné par l’enfance
16Passons aux textes focalisés sur des adultes face aux enfants. Il n’est pas besoin de prouver que Marin mon cœur et Exquise Louise mettent en scène un père décrivant son fils ou sa fille. Seule la place à leurs côtés d’Un jeune homme trop gros demande une justification. Le personnage principal n’est autre qu’Elvis Presley. Celui-ci n’est pas peint en King mais en éternel enfant, toujours en train de manger de la guimauve et adressant ses chants à sa mère. Le narrateur le nomme d’ailleurs « le garçon ». Un écart s’est toutefois creusé entre cet enfant métaphorique et le texte, qui le décrit sans faire revivre son imaginaire. Les autres enfants dont il est question ici sont de différentes natures : personnage fictif (Pinocchio le bruissant), garçon réel au sujet duquel l’auteur a recueilli un témoignage (Sister), jeune adolescent qu’il a été jadis (Fraudeur).
17Dans tous les cas, le mode narratif implique une distance qui se traduit, sur l’axe stylistique, par un apaisement du sens dénotatif : le texte y jouit d’une lumineuse clarté, presque classique, en tout cas poétique et sensible. La syntaxe n’y est nullement mise à mal : le lecteur n’a plus guère affaire à de longues périodes qui s’annulent en progressant, mais à une alternance de phrases de longueurs variables. Quant à la construction romanesque, elle n’est plus éclatée mais fragmentée : l’on quitte un magma verbal infini pour de courts paragraphes agencés de façon autonome. Des éléments non coordonnés trouvent leur sens et leur justification en eux-mêmes, tout en se complétant pour former un tableau cohérent. L’imaginaire féroce s’est mué en une forme de micro-réalisme minimaliste, serein, attendri, irénique ou ironique, qui s’attelle à une peinture crue et délicate de la vie quotidienne. Résumons ces mutations en une formule lapidaire : Savitzkaya est passé de la modernité avant-gardiste à la postmodernité.
18Tous ces changements sont intéressants dans la mesure où ils montrent à quel point forme et contenu sont intimement liés chez l’auteur : en toute logique, le regard de l’adulte appelle une écriture plus rationnelle que celui de l’enfant.
19Quant à l’axe chronologique, s’il est certain que la paternité a été, pour l’homme Savitzkaya, une expérience décisive, il faut relativiser le tournant constitué par Marin…, puisqu’Un jeune homme trop gros, publié 14 ans auparavant, adopte déjà une écriture claire et ironique, tandis que Jérôme Bosch, paru 2 ans plus tard, demeure moderniste. C’est donc bel et bien le point de vue narratif qui motive l’écriture et non l’âge ou la situation familiale de l’auteur. Sang de chien illustre d’ailleurs ce fait : l’état intermédiaire décrit, l’adolescence, s’y traduit par une alternance de paragraphes imaginaires et d’autres voués au réalisme quotidien.
Écriture moderniste poétique |
Écriture moderniste romanesque |
Écriture romanesque mixte |
Écriture postmoderne |
||
Ton dur |
Ton doux |
||||
Point de vue de l’infans |
Un Attila, L’Empire, Mongolie, plaine sale, Les Couleurs de boucherie |
/ |
/ |
/ |
|
Point de vue de l’enfant parlant et jouant loin de la mère |
Bufo bufo bufo |
La Disparition de maman, Les morts sentent bon, Capolican, Jérôme Bosch |
/ |
/ |
/ |
Point de vue de l’enfant parlant se souciant de la mère |
/ |
/ |
Mentir |
/ |
/ |
Point de vue de l’adolescent |
/ |
/ |
/ |
Sang de chien |
/ |
Point de vue de l’adulte sur l’enfant |
/ |
/ |
/ |
/ |
Un jeune homme trop gros, Marin mon cœur, Exquise Louise, Pinocchio le bruissant, Fraudeur, Sister |
Quelle est la loi du père de Marin ?
20Si les romans ou les pièces de ce type sont nettement plus lisibles que les poèmes et les romans envisagés supra, ils ne sont pas pour autant conventionnels. Marin mon cœur, seul de ces textes à être consacré, pour l’essentiel, à un infans, n’a rien d’un roman mainstream : non seulement, aucune intrigue ne le structure, mais l’auteur ne raconte même pas l’évolution de l’enfant telle que l’attendent d’ordinaire les parents. Les grandes étapes de la maturation, comme le premier rire, le premier mot, le premier pas ou l’entrée à l’école maternelle, sont tues au profit de notations minimalistes. Le père s’efface afin d’observer l’infans dans son être-au-monde au présent, sans a priori, sans se soucier de son devenir. Son regard est phénoménologique : le nouveau-né est décrit dans son étrangeté, comme s’il appartenait à une espèce spécifique, celle des Nains (alors que le père est un Géant).
21Cela nous ramène à la question de l’ordre et du désordre. Le père à cet égard est plutôt singulier. Que l’on me permette, pour le décrire, de me référer à un article du mien, de père, Christian Demoulin :
Aucun projet éducatif qui assigne à l’enfant une place dans quelque ordre que ce soit. Rien ne s’aperçoit d’un désir parental – non que l’enfant ne soit pas aimé, au contraire. C’est bien Marin mon cœur mais dans un éternel présent.
Il ne s’agit plus de His Majesty the Baby sur lequel se projette le narcissisme parental. […] Plutôt l’enfant dieu, avec un d minuscule, que l’enfant roi. […]
- 27 Savitzkaya (Eugène), Marin mon cœur, Paris, Minuit, 1992, p. 18. Le narrateur de Jérôme Bosch décla (...)
- 28 Ibidem, p. 71.
22Le père ne représente donc pas la loi sociale transcendante. Pourtant, il procède à une mise en ordre par la description même de l’incompréhensible désordre enfantin : le narrateur adulte, soucieux de comprendre le point de vue de l’infans, le rationalise en énonçant ses désirs et ses pulsions sous forme de lois immanentes. Par exemple, quand Marin bave, son père, au lieu de l’essuyer, écrit la règle que se donne à lui-même ce petit dieu impénétrable : « […] il faut sans cesse tout humecter27. » Cette logique aboutit à une maxime paradoxale : « Un beau désordre vaut mieux qu’une inerte ordonnance28. »
Variétés des regards sur les enfants
- 29 Voir BajomÉe (Danielle), « Les chambres noires d’Elvis. Pour une lecture d’Un jeune homme trop gros(...)
- 30 Savitzkaya (Eugène), Marin mon cœur, op. cit., p. 62.
- 31 Savitzkaya (Eugène), Exquise Louise, Paris, Minuit, 2003, p. 25.
- 32 Ibidem, p. 20.
- 33 Savitzkaya (Eugène), Fraudeur, Paris, Minuit, 2015, p. 10.
- 34 Ibidem, p. 93.
- 35 Ibidem, p. 13.
- 36 Ibidem, p. 8.
- 37 Ibidem, p. 60.
- 38 Ibidem, p. 23.
- 39 Ibidem, p. 30.
- 40 Ibidem, p. 80.
23De tels romans introduisent donc une distance éclairante là où, dans les textes du premier type, le lecteur a affaire à un magma fusionnel obscur. Cependant, cette distance n’est pas partout de la même nature. Dans Un jeune trop gros, elle se traduit par une forme d’ironie bienveillante29. Si le narrateur de Marin… se fait tendre phénoménologue pour constater que « le nain lui [est] semblable en toutes choses30 », l’écart semble se creuser davantage avec Louise, en raison de la différence des sexes : le père, dans Exquise Louise, est qualifié de « Tyran domestique31 ». En outre, par exception, la fillette jouit d’une identité stable grâce à la filiation maternelle : « Louise n’est pas disparate. Elle s’encorde à sa mère et sa mère est à elle encordée32. » Il en va encore autrement de Pinocchio le bruissant et de Sister, mais Fraudeur présente le cas le plus singulier, car l’énonciation y est particulièrement complexe. On peut en effet y distinguer trois instances : d’abord, un écrivain-narrateur qui n’hésite pas à commenter son texte de manière réflexive (« L’histoire peut commencer33 ») et à s’adresser à son « probe lecteur34 », ensuite, un adulte grisonnant surnommé « le fou » (comme les personnages éponymes de Fou civil et de Fou trop poli) et un jeune garçon de « quatorze ou quinze ans35 ». À ce trio s’ajoute la mère : « Pense à sa mère vivante, se souvient de la plupart de ses gestes. Est obsédé par quelques phrases prononcées par cette femme36. » Bientôt, le lecteur s’aperçoit qu’il s’agit aussi bien de « la mère du fou [que] du jeune garçon fou37 ». Il apprend, d’ailleurs, que l’action se déroule en 196938, ce qui fait naître le garçon de 14 ou 15 ans en 1954 ou en 1955, comme Savitzkaya. Ensuite, un « nous » apparaît pour désigner « les enfants39 », ce qui assimile le narrateur au garçon. Le narrateur, l’écrivain, le fou adulte et le jeune garçon se confondent donc au fil des pages. Cette énonciation complexe se traduit par un texte varié dans sa poétique, les passages réalistes alternant avec les fantasmagories. Quant au paradigme ordre vs désordre, ce roman occupe une position particulièrement instable. Là où le père de Marin énonce les lois de l’entropie enfantine, l’auteur de Fraudeur cherche à définir une sorte de sagesse paradoxale : « Soyons sages en ivresse et ivres en sagesse40. »
Loin de l’enfance
24Fraudeur n’est nullement situé dans un no man’s land temporel, puisqu’il contient, on l’a vu, une date, et que, par ailleurs, le narrateur commente la politique agricole de l’époque.
- 41 Savitzkaya (Eugène), En vie, Paris, Minuit, 1994, p. 18.
25Ce point nous permet d’aborder le vaste ensemble des textes, très divers, consacrés, pour l’essentiel, à d’autres sujets que l’enfance. La première remarque à formuler à leur sujet revient à dire, en effet, que, sauf exception, ces textes sont, comme Fraudeur, situables dans le temps et dans l’espace. Chez Savitzkaya, le passage à l’âge adulte signifie l’abolition du présent éternel – ce hors-temps qui caractérise la période mythique de l’enfance –, de sorte qu’il n’existe à ses yeux que deux âges : « On a cessé, paraît-il, d’être un enfant et il faut donc se préparer à la propreté des vieillards. Il n’y a pas d’état intermédiaire41. »
26Ensuite, cette dernière catégorie de textes est multithématique : il est souvent difficile d’y cerner un sujet central. Outre la présence, à partir de Fou civil, de l’Histoire et de la politique déjà relevées dans Fraudeur, il y est souvent question d’amour, de sexualité, de vie quotidienne, de cuisine, de jardinage, de la cité, du rapport entre les hommes et les femmes, de pluriculturalité, du temps qui passe ou de la mort. Ces différents thèmes se relaient d’un fragment à l’autre pour former une mosaïque sans début ni fin. Certes, au moins deux d’entre eux – la sexualité et la mort –, se rencontrent dans les livres de l’enfance, mais ils y sont subsumés par une violence imaginaire commune et n’entraînent pas de changements de ton, alors que la variété tonale est le maître mot des romans hors enfance.
- 42 Voir Scepi (Henri), « Usage de la folie (à propos de Fou trop poli d’Eugène Savitzkaya) », dans Tex (...)
- 43 Savitzkaya (Eugène), En vie, op. cit., p. 114.
- 44 Ibidem, p. 116.
- 45 Ibidem, p. 124.
27Quant au paradigme de l’ordre et du désordre, le texte ne met pas plus en scène la franche sauvagerie à l’œuvre dans La Disparition… que le regard phénoménologique distant de Marin…, qui formalise les lois de l’entropie : il cherche à construire une forme de nouvelle éthique qui se définit à la fois négativement (contre le capitalisme, contre la raison – d’où le personnage du « fou42 ») et de façon positive au nom de la solidarité humaine (le fou est « civil » et « trop poli »), d’un pansexualisme libéré, d’un vibrant amour du réel et d’un éloge des tâches quotidiennes. Quant à ce dernier point, je songe surtout à En vie dont les paragraphes s’ouvrent ou se ferment souvent par la formulation d’une loi : « Il convient d’écailler et de vider soi-même les poissons […]43 » ; « Il faut, lorsqu’on accepte de manger de la chair de volaille ou de lapin, dépiauter soi-même, ou plumer […]44. » « Il faudra vivre, mais personne ne nous y oblige45. »
28La sagesse savitzkayenne se construit donc à la fois dans le refus (de l’injustice sociale, de la morale conventionnelle) et dans l’acceptation (des tâches ménagères, du vieillissement et de la mort) – ce dernier point contrastant avec les renaissances perpétuelles des enfants éternels. Là où le Savitzkaya enfantin est tout-puissant, sans limite, immortel, pervers polymorphe et fauteur de troubles, le Savitzkaya adulte, qui a accepté la castration symbolique, se définit par la recherche d’un ordre intérieur opposé à l’ordre social.
29Quant au style, il oscille entre une clarté postmoderne proche de celle de Marin… dans des romans fragmentés et micro-réalistes comme En vie, et une écriture qui renoue quelque peu avec son désordre imaginaire, par exemple dans les recueils de poèmes comme À la cyprine – mais jamais au point de retrouver la folie originelle. Globalement, ce dernier pan de l’œuvre relève davantage d’une reconstruction flottante que d’une déconstruction euphorique.
Tentative de tableau récapitulatif et courte conclusion
Narrateurs Types de texte |
Infans |
Enfant |
Adolescent |
Adulte |
||
Loin de la mère |
Soucieux de la mère |
observant l’enfant |
face au temps, aux femmes, au sexe, à la mort, à la cité |
|||
Poèmes déconstruits modernistes |
Un Attila. Vomiques (1974), L’Empire (1976), Mongolie, plaine sale (1976), Les couleurs de boucherie (1980), Bufo bufo bufo (1986) |
/ |
/ |
/ |
/ |
Cochon farci (1996), Flânant (2014), À la cyprine (2015) |
Poèmes narratifs postmodernes |
/ |
/ |
/ |
/ |
Sister (2017) |
|
Romans déstructurés modernes durs |
/ |
La Disparition de maman (1982), Les morts sentent bon (1984), Capolican (1987) |
/ |
/ |
/ |
|
Romans déstructurés modernes doux |
/ |
/ |
Mentir (1977) |
/ |
/ |
/ |
Romans à technique mixte |
/ |
/ |
Sang de chien (1989), Jérôme Bosch (1994) |
Fraudeur (2015) |
/ |
|
Romans fragmentés postmodernes |
/ |
/ |
/ |
Un jeune homme trop gros (1978), Marin mon cœur (1992), Exquise Louise (2003) |
En vie (1995), Fou civil (1999), Fou trop poli (2005) |
|
Théâtre de la célébration et de la profération |
/ |
/ |
Pinocchio le bruissant (2011) |
/ |
La Folie originelle (1991), Célébration d’un mariage improbable et illimité (2002), Nouba (2007), Convives (2007), Ode au paillasson (2019) |
30Ce tableau appelle encore de nombreux commentaires, tant il semble réducteur. Mais il me faut clore cet article et non en relancer la mécanique infinie. Je conclurais par une hypothèse. L’œuvre de Savitzkaya est géniale parce qu’elle est à la fois unique, originale, reconnaissable entre toutes, très cohérente et extrêmement variée. Éviter le Charybde de l’éternelle redite et le Scylla de la dispersion totale, changer tout en restant soi-même : tel est le secret de la durée en art. Comment Savitzkaya y parvient-il ? Tout en cultivant quelques obsessions et en parcourant les mêmes schémas mentaux, le père de Marin et de Louise contraint sa plume à s’adapter à différents points de vue narratifs (et donc à se réinventer) et à jouir des avantages que lui procurent les genres qu’il exploite.
31J’ai essayé d’illustrer ici cette pluralité dans l’unité en ordonnant le chaos, en classant l’inclassable. Je n’y suis, évidemment, pas encore parvenu. Reste à espérer que l’échec de cet article constitue sa paradoxale réussite.
Notes
1 Beyen (Marnix), « Uilenspiegel cléricalisé par un libéral exemplaire ? Les adaptations de La Légende par Jan Bruylants Jr. (1904 et 1921) », dans Klinkenberg (Jean-Marie), Textyles, n° 54, Relire La Légende d’Ulenspiegel, Bruxelles, Samsa, 2019, p. 13-24.
2 Demoulin (Laurent), « La beauté cachée du lait. Enfance et boisson chez Eugène Savitzkaya », dans Aron (Paul), dir., Textyles, n° 23, Les mots de la faim : les écrivains et la nourriture, Bruxelles, Le Cri, 2003, p. 69 à 77 et « Le dispositif Célébration / Nouba », dans Demoulin (Laurent), dir., Textyles, n° 44, Eugène Savitzkaya. Le cœur des mots, Bruxelles, Samsa, 2013, p. 131-148.
3 Outre le fait que les tableaux proposés manquaient de nuance, ils laissaient de côté un pan de l’œuvre (le théâtre).
4 Guibert (Hervé), « Entretien avec Eugène Savitzkaya », dans Minuit, n° 49, mai 1982, p. 7.
5 Je me réfère ici à ce que Gérard Genette appelait le « mode », suivant lequel le narrateur décide de « se tenir à plus ou moins grande distance de ce qu’il raconte » (Genette [Gérard], Discours du récit [1972], Paris Seuil, coll. Points Essais, 2007, p. 164) et non ce qu’il nommait la « voix », qui indique si le narrateur est extérieur au récit (« hétérodiégétique ») ou s’il en fait partie (« homodiégétique »). Si, dans la plupart des cas, le narrateur des textes de Savitzkaya focalisés sur l’enfant n’est autre que celui-ci, dans Les Morts sentent bon, le narrateur est hétérodiégétique. De même, en ce qui concerne les textes focalisés sur un adulte, le narrateur peut être homodiégétique (Marin mon cœur) ou hétérodiégétique (Un jeune homme trop gros). Mais ce qui nous importe ici, c’est la question du point de vue (le mode) et non celle de la participation ou non du narrateur au récit (la voix).
6 Virone (Carmelo), « Lecture », dans Savitzkaya (Eugène), Mongolie, plaine sale ; L’Empire ; Rue obscure, Bruxelles, coll. Espace-Nord, Labor, 1993, p. 165.
7 Savitzkaya (Eugène), « Un Attila. Vomiques », dans ibidem, respectivement p. 26, 28 et 30.
8 Savitzkaya (Eugène), « Mongolie, plaine sale », dans ibidem, respectivement p. 39, 35 et 41.
9 Savitzkaya (Eugène), Sang de chien suivi de Les morts sentent bon, Postface de Sarah Sindaco et de Laurent Demoulin, Bruxelles, Espace Nord, 2012, p. 87.
10 Savitzkaya (Eugène), Jérôme Bosch, Charenton, Éditions Flohic, coll. Musées secrets, n° 17, 1994, p. 40.
11 Ibidem, p. 60.
12 Ibidem, p. 36.
13 Ibidem, p. 12.
14 Ibidem, p. 16-18.
15 Ibidem, p. 13.
16 Virone (Carmelo), « Des emblèmes emblématiques. À propos de Bufo bufo bufo et de Cochon farci », dans Textyles, n° 44, Eugène Savitzkaya. Le corps des mots, op. cit., p. 38.
17 Richard (Jean-Pierre), « Chaos et Cie », dans Terrains de lecture, Paris, Gallimard, 1996, p. 93.
18 Virone (Carmelo), « Des emblèmes emblématiques. À propos de Bufo bufo bufo et de Cochon farci », op. cit., p. 41.
19 Selon l’expression de Domingues de Almeida (José), « L’écriture jubilatoire chez Eugène Savitzkaya. Lecture des premiers “romans” », dans Textyles, n° 44, Eugène Savitzkaya. Le corps des mots, op. cit., p. 61.
20 Savitzkaya (Eugène), Les morts sentent bon, dans Sang de chien suivi de…, op. cit., p. 26.
21 Ibidem, p. 146.
22 Savitzkaya (Eugène), Jérôme Bosch, op. cit., p. 22.
23 Savitzkaya (Eugène), Mentir, Paris, Minuit, 1977, p. 63.
24 Savitzkaya (Eugène), Les morts sentent bon, dans Sang de chien suivi de…, op. cit., p. 177.
25 Savitzkaya (Eugène), La Disparition de maman, Paris, Minuit, 1982, p. 31.
26 Demoulin (Laurent et Christian), « L’enfant dieu selon Savitzkaya », dans La Clinique lacanienne, n° 10, Les nouveaux rapports à l’enfant, Toulouse, Érès, 2006, p. 50.
27 Savitzkaya (Eugène), Marin mon cœur, Paris, Minuit, 1992, p. 18. Le narrateur de Jérôme Bosch déclare pour sa part : « Je dois grignoter pour vivre et faire disparaître ce qui me fait saliver. C’est une règle. » [Savitzkaya (Eugène), Jérôme Bosch, op. cit., p. 72]
28 Ibidem, p. 71.
29 Voir BajomÉe (Danielle), « Les chambres noires d’Elvis. Pour une lecture d’Un jeune homme trop gros d’Eugène Savitzkaya », dans Gillain (Nathalie) et Piret (Pierre), dir., Textyles, n° 43, L’écriture au prisme de la photographie, Bruxelles, Le Cri, 2013, p. 98.
30 Savitzkaya (Eugène), Marin mon cœur, op. cit., p. 62.
31 Savitzkaya (Eugène), Exquise Louise, Paris, Minuit, 2003, p. 25.
32 Ibidem, p. 20.
33 Savitzkaya (Eugène), Fraudeur, Paris, Minuit, 2015, p. 10.
34 Ibidem, p. 93.
35 Ibidem, p. 13.
36 Ibidem, p. 8.
37 Ibidem, p. 60.
38 Ibidem, p. 23.
39 Ibidem, p. 30.
40 Ibidem, p. 80.
41 Savitzkaya (Eugène), En vie, Paris, Minuit, 1994, p. 18.
42 Voir Scepi (Henri), « Usage de la folie (à propos de Fou trop poli d’Eugène Savitzkaya) », dans Textyles, n° 44, Eugène Savitzkaya. Le corps des mots, op. cit., p. 120-129.
43 Savitzkaya (Eugène), En vie, op. cit., p. 114.
44 Ibidem, p. 116.
45 Ibidem, p. 124.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Laurent Demoulin, « Savitzkaya, l’ordre et le désordre », Textyles, 58-59 | 2020, 257-270.
Référence électronique
Laurent Demoulin, « Savitzkaya, l’ordre et le désordre », Textyles [En ligne], 58-59 | 2020, mis en ligne le 13 mai 2020, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/textyles/3832 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/textyles.3832
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page