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Nicole Malinconi

Nicole Malinconi, le style ou l’écriture ?

À propos de De fer et de verre
Laurent Demoulin
p. 93-107

Texte intégral

Un livre à part ?

  • 1 La fiction demeure toutefois une exception dans l’œuvre de Nicole Malinconi, comme le note Michel Z (...)

1C’est peu de dire qu’avec son dernier opus en date, De fer et de verre. La Maison du Peuple de Victor Horta, paru en 2017 aux Impressions nouvelles, Nicole Malinconi se renouvelle profondément. Certes, l’écrivaine avait déjà montré que sa palette était très large. Elle aborde en effet depuis longtemps de nombreux sujets : l’avortement, la maternité, la paternité, la filiation, le couple, les relations de domination, le pouvoir symbolique, la violence sociale, l’exil, le langage, l’art, la psychanalyse, etc. En outre, elle varie volontiers les longueurs et les formules (textes continus, textes fragmentés, textes brefs isolés ou recueil de « vignettes » selon l’expression employée ici par Jacques Dubois), passe de l’autobiographie (À l’étranger, Nous deux, Da solo, Elles quatre. Une adoption et Séparation) à son contraire en donnant la parole à autrui (Hôpital silence, Vous vous appelez Michelle Martin, la section consacrée aux prostituées dans Jardin public), s’essaie à l’essai (Petit Abécédaire de mots détournés analysé ici par Daniel Laroche) ou à la fiction (L’Attente, Au bureau – qui porte la mention « roman » –, certains textes de Rien ou presque ou de Si ce n’est plus un homme1). Elle a, en outre, publié, mine de rien, un grand nombre de plaquettes en collaboration avec des plasticiens – plaquettes qui traitent le plus souvent d’artistes (La Porte de Cézanne, Les Oiseaux de Messiaen, Sous le piano). À cette production impressionnante et variée, il faut encore ajouter plusieurs petits livres purement poétiques (Détours à Grignan et Portraits) et quelques ouvrages réflexifs qui voient l’écrivaine se pencher sur son art : sa participation à Roman-récit (issu d’une première chaire de poétique à Louvain-la-Neuve) et Que dire de l’écriture ?, résultat d’une seconde chaire de poétique, sans oublier le dialogue fécond avec Jean-Pierre Lebrun constitué par L’altérité est dans la langue, très souvent cité dans le présent numéro de Textyles.

2De ce vaste ensemble – que je viens de présenter dans sa diversité mais qui pourrait tout aussi bien l’être dans sa profonde unité –, De fer et de verre semble se détacher. De quoi s’agit-il dans ce dernier opus ? Le livre n’est pas facile à classer, mais il pourrait peut-être être défini comme une « chronique », car il suit un fil chronologique continu. Le centre de cette chronique est, ainsi que son titre l’indique, constitué par un bâtiment bruxellois aujourd’hui disparu, la Maison du Peuple, édifiée par Horta en 1896 et détruite 65 ans plus tard. Mais le texte s’écarte volontiers de ce centre pour évoquer quelque peu la carrière d’Horta puis pour se pencher, beaucoup plus longuement, sur les principaux épisodes de l’histoire politique et sociale de la Belgique, tels que les deux Occupations, le sort des Juifs face aux nazis, la catastrophe minière du Bois du Cazier ou la grande grève de l’hiver 1960 contre la Loi unique.

En quoi ce livre se différencie-t-il de ceux qui le précèdent ?

  • 2 Outre les ouvrages énumérés ci-dessous, nous pouvons mentionner les « brèves » de Rien ou presque q (...)

3Notons d’abord que l’intérêt pour Horta n’est pas surprenant en soi. On a vu Malinconi écrire sur la littérature, les arts et la musique2. Pourquoi pas sur l’architecture ?

  • 3 Renouprez (Martine), « De l’autre côté du miroir : les reflets de l’humain et de l’inhumain dans Vo (...)

Le caractère politico-social de la chronique n’est pas non plus de nature à étonner le lecteur de Malinconi : tous ses livres sont, peu ou prou, engagés de façon claire. Il faut apporter cependant à ce constat une nuance qui nous permet de dégager une première singularité de De fer et de verre : la politique, d’ordinaire pensée à travers ses résultats concrets sur la population, est ici abordée aussi via son versant purement politicien (c’est-à-dire qu’il est souvent question du Parti Ouvrier Belge et d’hommes politiques précis, comme Émile Vandervelde ou Henri de Man). Et, en se penchant sur des personnalités publiques, Malinconi s’écarte résolument d’un aspect de plusieurs de ses livres que la critique a souvent relevé, qui veut, comme le note Martine Renouprez, qu’elle « prête une parole à ceux qui n’en ont pas3 ».

  • 4 En outre, Un grand amour est, comme Vous vous appelez Michelle Martin, explicitement écrit à partir (...)

4Le recours à l’Histoire, et surtout le traitement de celle-ci, est une deuxième singularité de ce dernier opus en date dans la mesure où l’immense majorité des livres de Malinconi parle du présent ou du passé proche, à portée de mémoire. Quand l’Histoire apparaît, c’est par le biais de souvenirs individuels, souvent familiaux, par exemple dans Da solo. Certes, Un Grand Amour, en 2015, s’attaque de front à un sujet purement historique, mais il y est toujours question d’un destin singulier, celui de la femme du directeur d’un camp nazi (et cette figure n’est pas sans en rappeler une autre, traitée également par l’écrivaine, celle de Michelle Martin4). Avec De verre et de fer, Malinconi se penche sur une histoire collective, sur l’Histoire majuscule. Il s’ensuit que la description du passé obéit cette fois à une chronologie extérieure et officielle et non à la mémoire d’une personne isolée par le récit.

5En élargissant ce dernier propos, je dirais que les livres de Malinconi s’emparent tous (ou presque tous) d’une question générale aux répercussions collectives, mais que c’est en passant par le singulier, et même l’extrême singulier, qu’ils atteignent l’universel. Il n’en va pas de même avec De fer et de verre, ouvrage qui, on l’aura compris, s’intéresse d’emblée à du collectif et à du général, sans passer par le singulier (sauf dans certaines pages qui concernent Victor Horta).

6Mais ce n’est pas cette caractéristique qui frappe de prime abord le fidèle lecteur de Malinconi lorsqu’il entame De fer et de verre. Celui-ci est surpris par la phrase elle-même, qu’il ne reconnaît pas immédiatement. Pourtant, la musique malinconienne n’est pas non plus uniforme. Elle évolue d’un livre à l’autre, s’adaptant à son objet avec la souplesse d’un vêtement qui épouse un corps.

7En quoi l’expression de De fer et de verre est-elle singulière ? Telle est la première question à laquelle j’aimerais tenter de répondre ici. Mais, comme l’usage prudent, ci-dessus, des mots « phrase », « musique » et « expression » le laisse peut-être deviner, il me faut au préalable préciser s’il s’agit d’un problème de style ou d’écriture, ce qui m’amènera à me poser une seconde question.

Style et écriture

  • 5 Barthes (Roland), « Qu’est-ce que l’écriture ? », dans Le Degré zéro de l’écriture [1953], dans œuv (...)
  • 6 Barthes n’oppose pas, comme je tente de le faire ici, écrivain de l’écriture et écrivain du style. (...)

8En reprenant la très ancienne distinction entre langue, style et écriture due à Roland Barthes et en la déformant sans vergogne, je me propose de dégager deux types d’écrivains : les écrivains du style et les écrivains de l’écriture (étant entendu qu’il sont tous « de langue », ou qu’aucun d’entre eux ne l’est, dans la mesure où la langue leur est imposée collectivement). Le style provient à la fois du corps et de l’histoire de la personne écrivant. Dans cette perspective, il n’est, selon Barthes, « nullement le produit d’un choix, d’une réflexion sur la Littérature. Il est la part privée du rituel, il s’élève à partir des profondeurs mythiques de l’écrivain, et s’éploie hors de sa responsabilité. […] Le style est proprement un phénomène d’ordre germinatif, il est la transmutation d’une Humeur5. » Aussi, le choix ne se pose-t-il qu’au niveau de l’écriture. C’est là que l’écrivain s’engage, individuellement ou collectivement, vis-à-vis de la société comme de l’art6.

9Bien entendu, si cette dichotomie a du sens, il s’agit d’un continuum entre deux attitudes qu’adoptent alternativement, peu ou prou, toutes les personnes qui écrivent : même Gide avait un corps et Hugo a certainement parfois posé des choix d’écriture. Disons qu’existent deux tendances, les uns écoutant davantage leur tempérament, les autres décidant de contraindre la forme en fonction de différents critères (idéologiques, sociologiques, esthétiques) ou du sujet abordé.

Une écriture mimétique ?

10Lisons cette (magnifique) description de la maison d’Émile Tassel telle que conçue par Horta :

  • 7 Malinconi (Nicole), De fer et de verre. La Maison du Peuple de Victor Horta, Bruxelles, Les Impress (...)

Finie, l’enfilade des salon, salle à manger, cuisine le long du couloir ; ici, on pénétrait dans un octogone, on rayonnait ; le regard pouvait brasser large, s’élancer autour des volutes dessinées dans la mosaïque du sol, longer les fines colonnes vertes et les boucles de fer qui s’échappaient en bouquets de leur chapiteau jusqu’à l’étage supérieur pour soutenir un palier ou un escalier, suivre d’autres boucles de végétaux et de tiges déroulées sur les murs et les vitraux – en coup de fouet, disait l’architecte – et se laisser emporter par le mouvement jusque dans les torsades des cheminées, tables, chaises et fauteuils qu’Horta avait créés, ainsi que dans les ondulations des conduits métalliques des luminaires, enroulés eux aussi ou s’évasant en gerbe, et même dans les radiateurs en fonte posés comme des sculptures, car – voilà encore une nouveauté – l’utilitaire n’avait rien à cacher7.

11Il paraît clair que cette longue et belle phrase ne peut être confondue avec le phrasé, haché, bref, oralisant, d’Hôpital silence. Mais alors que celui-ci avait pour tâche non de reproduire telle quelle, mais du moins de respecter, la parole des femmes à la maternité, Malinconi cherche probablement ici à calquer le rythme des mots sur celui des courbes qu’Horta impose à la matière : la longue phrase sinue et semble monter en même temps que les étages de la Maison Tassel. L’usage, inhabituel chez l’auteure, des points-virgules, de l’italique, de l’article pluriel suivi de plusieurs substantifs au singulier (« des salon, salle à manger, […] ») et des tirets ne sont-ils pas un équivalent du maniérisme formel qu’elle est occupée à décrire ? Nicole Malinconi ne se contente pas de dire le bâtiment, elle le mime avec le matériau textuel. Tel est ici son choix d’écriture.

  • 8 Dewitte (Jacques), « On lance un bruit. À propos de Au bureau », dans le présent numéro de Textyles(...)

12Cependant, en y regardant de plus près, le lecteur de Malinconi peut quand même retrouver quelques traces de ce qui est peut-être son style involontaire : une incise orale (« voilà encore une nouveauté ») et, surtout, deux pronoms « on » (« on pénétrait », « on rayonnait ») peuvent sans doute passer pour typiques de la voix de l’auteure, même s’ils se font ici assez discrets. Toutefois, ces deux pronoms ne jouent pas du tout le même rôle que dans Hôpital Silence, où ils abondent et où, comme le montre Susan Bainbrigge dans ce numéro de Textyles, ils traduisent la violence symbolique de l’hôpital par la neutralisation de l’individu. Il ne correspond pas non plus au « on » de Au bureau qui, selon les mots de Jacques Dewitte dans le présent dossier, prend place dans « un de ces énoncés dont on peut dire qu’il a effacé l’acte même de son énonciation8 ». Cette fois, le cadre énonciatif est patent : il met en scène un visiteur anonyme qui, pour mieux s’émerveiller de la luxueuse et luxuriante beauté d’un immeuble bruxellois, s’efface sans subir pour autant la moindre violence symbolique.

  • 9 Barthes (Roland), « L’effet de réel » [1968], dans œuvres complètes, tome iii, 1968-1971, Nouvelle (...)

13Un autre trait demande encore à être souligné : si Nicole Malinconi a allongé sa phrase afin de suivre la ligne du bâtiment de Victor Horta, elle n’a pas eu recours à des figures pour en traduire l’ornementation. Plus d’un écrivain aurait multiplié en pareil cas les métaphores, qui sont spontanément reçues comme des éléments décoratifs. En outre, cette « reine des figures » sert souvent de structure à la représentation du réel. Telle était en tout cas l’opinion de Roland Barthes, encore lui, qui soupçonnait Flaubert d’avoir choisi les éléments de sa description de Rouen, dans Madame Bovary, en fonction des images à produire : « […] le tissu descriptif, qui semble à première vue accorder une grande importance […] à l’objet Rouen, n’est en fait qu’une sorte de fond destiné à recevoir les joyaux de quelques métaphores rares […]9 ». Toujours est-il que la tradition est si manifeste à cet égard que l’absence de métaphore dans cette page de Nicole Malinconi est presque une figure en soi. En tout cas, cette absence mérite d’être interrogée et elle appelle plusieurs remarques.

14D’abord, le passage contient tout de même une métaphore, mais elle est d’emprunt : « en coup de fouet, disait l’architecte ». Comme le souligne l’emploi de l’italique, ce n’est pas le style de Malinconi qui appelle la métaphore virile du coup de fouet, mais son écriture qui entend la voix lointaine de Victor Horta.

  • 10 Malinconi (Nicole) et Lebrun (Jean-Pierre), L’altérité est dans la langue. Psychanalyse et écriture(...)

15Ensuite, plus fondamentalement, peut-être pourrait-on dire que c’est précisément parce qu’elle veut rendre l’objet en lui-même, parce qu’elle est du côté du réel, que Nicole Malinconi ne cède pas au morceau de bravoure métaphorique qui aurait inspiré à Flaubert, selon Barthes, ses choix dans la vue de Rouen. Son but premier n’est en effet pas d’ordre esthétique, puisque pour elle écrire, « serait comme la tentative (par ailleurs toujours ratée) d’atteindre une sorte de cœur des choses10 ».

16En outre, ce n’est pas seulement au profit de la prouesse littéraire que les figures du type de la métaphore écartent un texte du réel : elles sont aussi, selon Genette, qui s’en explique lors d’un débat théorique avec Christine Montalbetti, des germes de fiction :

  • 11 Genette (Gérard), Métalepse, Paris, Seuil, coll. Poétique, 2004, p. 17 et 18.

[…] une figure est (déjà) une petite fiction, en ce double sens qu’elle tient généralement en peu de mots, voire en un seul et que son caractère fictionnel est en quelque sorte atténué par l’exiguïté de son véhicule et, souvent, par la fréquence de son emploi, qui empêche de percevoir la hardiesse de son motif sémantique […]. La métaphore, et plus généralement la figure, ou du moins les figures par substitution comme la métaphore ou la métonymie, l’antiphrase, la litote ou l’hyperbole, sont des fictions verbales et des fictions en miniature11.

17Nous avons vu plus haut que, de façon parcimonieuse, il est arrivé à Nicole Malinconi d’aborder le vaste domaine du récit inventé. Mais, une fois qu’elle se lance dans un texte voué à autrui, son intégrité d’écrivaine lui interdit d’abuser du mélange de la fiction et du réel – pratique pourtant très à la mode ces derniers temps.

18Ce refus de l’ornement littéraire pour lui-même et de la fiction est-il, en dernier recours, un choix ou une tendance spontanée ? Nicole Malinconi est-elle une écrivaine de l’écriture ou du style ? Du côté d’André Gide ou du côté de Victor Hugo ? Telle est ma seconde question. Dans l’espoir d’y répondre, poursuivons notre examen en nous attardant plus longuement sur l’usage malinconien des métaphores et du pronom impersonnel « on ».

Pronom « on » dans De fer et de verre

19Si l’on considère le « on » comme une marque stylistique qui colle à la plume de Nicole Malinconi, force est de constater que ce trait lui-même s’adapte aux besoins de la cause. Nous venons de voir que l’usage relevé dans l’extrait cité ne présentait guère de trait en commun avec l’emploi massif qu’elle en faisait dans Hôpital silence. Mais, au sein même de De fer et de verre, sa valeur ne cesse de changer, au gré des circonstances de la chronique.

20L’extrait choisi n’est en effet pas symptomatique de l’écriture de tout le livre, dans la mesure où celui-ci n’est pas constitué d’une succession de descriptions d’œuvres d’Horta. Comme je l’ai expliqué plus haut, il s’agit, pour l’essentiel, d’une chronique, partielle et partiale (c’est-à-dire sélective et engagée), de l’histoire politico-sociale belge. Et, au cours de cette chronique, les pronoms « on » jouent plusieurs rôles.

21Les uns renvoient clairement à la voix du peuple, celui-là même auquel est destiné la Maison conçue par Horta. Mais il s’agit d’une force collective manifestant sa volonté et non d’une masse anonyme en proie à la neutralisation :

Le pain, nous y revoilà, rien n’importait autant que lui. On en avait assez de son coût et de son goût ; on allait le faire soi-même ; on le voulait de qualité et de quantité suffisante pour tous et d’un prix qui servirait d’abord à payer le nécessaire pour en faire à nouveau ; […] (Dfv, p. 16).

22Une double paronomase produit, dans cet extrait, un plaisir purement littéraire, lié aux mots : « coût » appelle « goût » puis « de qualité » rebondit en « de quantité » – cette seconde expression, qui n’a rien de rhétorique au niveau sémantique (tant le concept de qualité appelle celui de quantité), est figurée d’un point de vue syntaxique (c’est un métataxe) dans la mesure où « de quantité » ne se dit guère. Mais ces jeux de langue discrets ne dominent certainement pas le passage, qui s’articule bel et bien autour des pronoms impersonnels. Ceux-ci sont riches et fluctuants : désignant au départ le peuple dans son ensemble (dont tous les membres veulent du pain pas cher et de qualité), ils glissent bientôt vers la désignation des dirigeants de la coopérative, qui sont les seuls, probablement, à songer à « en faire à nouveau ». Ainsi, leaders et masse se trouvent confondus habilement dans le même pronom, dispositif traduisant la franche solidarité qui existait à l’époque entre les uns et les autres.

23Il n’est pas rare de voir ainsi le pronom changer de référent en cours de paragraphe. Au début du passage que je vais citer, il est question de personnes précises, en l’occurrence de citoyens de gauche bruxellois, qui sont allés écouter une conférence de Rosa Luxemburg à la Maison du Peuple, et qui espèrent que la guerre n’aura pas lieu :

Ce soir-là, on se dit qu’on y échappera à la guerre (Dvf, p. 54).

24Hélas, la situation évolue rapidement et il s’ensuit ceci :

Alors, on a bien été forcé de revenir sur ce qu’on s’était dit, même si l’on gardait en secret la certitude qu’un pays, neutre depuis toujours comme celui-ci, n’allait tout de même pas être embarqué dans une guerre. Peut-être avait-on oublié toutes celles que le territoire avait connues avant que l’on soit un pays (Dvf, p. 55).

25Le premier « on » renvoie aux mêmes personnes précises, celles qui sont allées écouter Rosa Luxemburg. Mais le pronom voit ensuite son aire considérablement s’élargir : le « on » qui s’est glissé dans le segment « avant que l’on soit un pays » vaut pour tous les Belges, comme si le jeu sur les pronoms préparait la fin de l’internationalisme de gauche au profit d’un retour du patriotisme.

26Il en va de même, dans ces deux phrases qui se suivent, bien qu’elles ne se situent pas dans le même paragraphe :

On peut tenir longtemps.
On ne peut cependant pas dire que les syndicats chrétiens soient pour grand-chose dans tout cela (
Dfv, p. 134).

  • 12 L’hypothèse d’une prise de parole auctoriale se défend également dans d’autres passages, comme celu (...)

Le premier « on » désigne, à n’en pas douter, les grévistes de l’hiver 1960. Mais le second semble renvoyer à une voix plus englobante. N’est-ce pas la narratrice qui parle12 ?

  • 13 « Dans les Marolles, c’était depuis toujours qu’on se partageait le quartier, avec les Juifs, qu’on (...)
  • 14 « En plus, c’était à la commune qu’on allait se déclarer, rien à voir avec la Gestapo. » (Dfv, p. 9 (...)
  • 15 « On finit par arroser le puits pour tenter de maîtriser le feu. » (Dfv, p. 126)
  • 16 « […] on est une ville en liesse » (Dfv, p. 106).
  • 17 « […] déjà qu’on ne parle pas la même langue » (Dfv, p. 120).
  • 18 « On avait gagné la guerre. » (Dfv, p. 68)

27Ainsi, au fil du livre, le pronom impersonnel joue-t-il, de façon très subtile, plusieurs rôles. Il renvoie parfois à des groupes très précis (comme les habitants des Marolles qui considèrent les Juifs avec bienveillance13, les Juifs eux-mêmes durant les années sombres14 ou des mineurs lors de la catastrophe du Bois-du-Cazier15), ou bien à des collectivités plus larges comprenant tous les Bruxellois16, les Flamands et les Francophones17, les Belges et les Alliés18. Parfois, il s’agit d’un véritable impersonnel : « On était le 11 novembre » (Dfv, p. 68), « on est le 8 août 1956 » (Dfv, p. 125) ou « comme on sait » (Dfv, p. 128). Parfois, la narratrice s’exprime directement à travers lui.

28Mais le plus souvent, le pronom correspond à l’expression d’une volonté populaire de gauche sans incarnation claire : « […] on a même fini par obtenir […], on a fini par obtenir la réduction du temps de travail […] on a usé des grands moyens […] » (Dfv, p. 73). Ou : « Aux élections, on donnera quand même sa voix aux socialistes. » (Dfv, p. 140)

29Cette variété des référents n’est cependant pas tout à fait étonnante. En effet, dans le présent dossier de Textyles, Jean-Benoît Gabriel remarque le même phénomène dans Hôpital silence : « on » y désigne les patientes, les infirmières, la narratrice ou demeure impersonnel. Nous sommes donc en présence d’un trait stylistique, inhérent à l’esthétique de Nicole Malinconi, mais il semble s’épanouir dans De fer et de verre et, poussé à son paroxysme, produire une kyrielle inhabituelle d’effets différents, profonds et subtils.

Métaphores à travers l’œuvre ?

  • 19 Zumkir (Michel), Nicole Malinconi, op. cit., p. 60.
  • 20 Jean-Marie Klinkenberg, dans sa « Lecture » d’Hôpital silence, y souligne une métonymie et sous-tit (...)

30Si l’usage massif du « on » dans l’œuvre de Nicole Malinconi ne demandait pas à être démontré ici, son rapport à la métaphore est sans doute moins étudié. Michel Zumkir note dans sa monographie que l’écrivaine ne peut « employer un mot pour un autre (même un synonyme)19 », ce qui exclut toutes les figures de substitution, comme la métaphore, la synecdoque ou la métonymie20. Il serait intéressant d’étudier la question de près, mais l’espace d’un article ne me permet cependant pas de procéder à un examen minutieux de chacun de ses livres. Je me contenterai de quelques coups de sonde dans les différentes catégories de textes évoqués en introduction.

  • 21 Ibidem, p. 65.
  • 22 Ibidem, p. 9.

31Dans les livres « donnant la parole à autrui », dont le modèle est Hôpital silence, les métaphores sont rares. De plus, elles sont souvent assez transparentes : le cri d’une femme qui accouche est « [p]resque un miaulement21 ». Il arrive aussi qu’elles soient mises sur le compte de l’imagination d’un personnage, de sorte qu’elles perdent leur statut de figure littéraire. Elles appartiennent alors en effet à l’univers diégétique décrit et non à l’imagination de la narratrice ou de l’écrivaine : « Le médecin le lui a montré sur l’écran : elle a vu des masses nuageuses, un paysage lunaire22. » Il en va de même pour Vous vous appelez Michèle Martin, que j’ai rangé supra dans la même catégorie de textes qu’Hôpital silence : Nicole Malinconi s’y garde bien entendu d’orner son récit.

  • 23 Malinconi (Nicole), Hôpital silence suivi de L’Attente, op. cit., p. 126.
  • 24 Malinconi (Nicole), Nous deux, Bruxelles, Les Éperonniers, coll. Maintenant ou jamais, 1993, p. 47.

32Dans les textes fictionnels comme L’Attente, je ne remarque guère plus de métasémèmes. Une métaphore in praesentia telle que « deux perles d’eau23 » brille par sa rareté sur la surface du texte. Les autobiographies semblent obéir à la même loi. Les tours audacieux que l’on rencontre par exemple dans Nous deux sont volontiers atténués par une incise orale due à la narratrice : « On prenait son parti de ses morts, si on peut dire24. » Quant aux textes courts poétiques, ils n’échappent pas non plus à la règle. Ainsi, les très brèves descriptions de visages réunies dans Portraits, qui pourraient facilement donner lieu à une débauche figurale, sont à nouveau très sobres à cet égard.

  • 25 Malinconi (Nicole), Séparation, Paris, Les Liens qui libèrent, 2012, notamment p. 14, 104, 114.
  • 26 IL s’agit d’ailleurs peut-être d’une notion surplombant l’œuvre. Elle apparaît déjà dans Vous vous (...)

33Il existe cependant des exceptions. Séparation, texte fondamental consacré à la fin d’une psychanalyse, contient une métaphore qui surplombe le texte, en quelque sorte, celle du « magma », qui apparaît dès la quatrième page pour désigner la relation de la narratrice à sa mère25. Mais, en se répétant, cette figure prend l’allure d’une sorte de concept psychanalytique et perd de sa valeur purement rhétorique26.

  • 27 Malinconi (Nicole), Détours à Grignan, Grignan, Éditions Colophon, 2002, non paginé [2ep.]. La méta (...)
  • 28 Comme me le rappelle Marc Quaghebeur, Nicole Malinconi et Jean-Pierre Lebrun ont possédé un temps u (...)

34Plus étonnant, le petit livre intitulé Détours à Grignan, plaquette imprimée en France et consacrée à une commune de la Drôme, multiplie les détours métaphoriques. En une quinzaine de pages, le lecteur est éclairé par « la brûlure blanche de la lumière27 », frappé par la « force » des pierres (4e page), croise un « Visage aiguisé au vent » (5e page), aperçoit la « face lunaire » de l’effraie (10e page), assiste au « ballet silencieux » des geais (12e page) et entend une « conversation nasillarde » (13e page) entre les rainettes et les crapauds qui sont appelés les « bavards ». Enfin, il est question du « dos puissant du château » (14e page). Preuve que Nicole Malinconi est tout à fait capable, bien entendu, de produire de jolies métaphores28.

Voyons à présent, plus en détail, ce qu’il en est dans De fer et de verre.

Métaphores dans De fer et de verre

35Nous avons remarqué, en commentant le premier extrait cité, que la seule métaphore présente dans la longue et belle description de la maison d’Émile Tassel était une citation de Victor Horta lui-même : « en coup de fouet, disait l’architecte ». On rencontre souvent pareil cas de figure au début de l’ouvrage. Ainsi, la Tour Eiffel est-elle métaphorisée en « squelette de beffroi » (Dfv, p. 13) via une remarque de Verlaine. Si un bow-window devient une « garde-robe attachée en façade » (Dfv, p. 14), c’est uniquement selon l’opinion publique qu’heurta Horta. Les décalages et les ajustements de niveaux ne deviennent « cette jonglerie » (Dfv, p. 23) qu’en vertu de la parole de l’architecte. Le quotidien Le Peuple évoque la « musculature de fer » (Dfv, p. 39) de la Maison du Peuple quand d’autres journaux y voient la « cathédrale rouge ou [le] Vatican sans pape » (Dfv, p. 39). Nicole Malinconi rapporte également le discours d’Émile Vandervelde pour qui le glorieux bâtiment, au gré d’une métaphore filée hugolienne, est le « pont d’un puissant navire, marchant à toute vapeur sur les rivages d’un Monde nouveau » (Dfv, p. 38) et s’élançant « sur la mer des toitures » (Dfv, p. 38).

36Ces citations, qui sont chaque fois signalées par l’usage de l’italique, montrent, si besoin était, que la description d’un bâtiment de ce type se prête volontiers aux figures de style : le refus de Malinconi d’y recourir est mis en évidence par le contraste entre son texte et les paroles citées.

37Dans le reste du livre, la narratrice produit tout de même en son nom quelques figures, mais celles-ci sont rares, sobres et souvent à la limite de la catachrèse. Les métaphores proprement dites sont au nombre de quatre (je souligne les termes métaphoriques) :

D’abord, ce terrain biscornu, il s’agit de l’épouser, pourrait-on dire (Dfv, p. 22).
[…] c’est même peu dire que [les normes] se seront assouplies ;
ramollies serait plus juste (Dfv, p. 31-32).
Le quartier prenait l’allure d’un baril de poudre. / L’
explosion [pour l’émeute armée] a jailli un soir d’avril 1902 (Dfv, p. 48)
La
vague du progrès déferle aussi sur les usines (Dfv, p. 142).

  • 29 « […] la balustrade a l’air de se dérouler comme une suite de légères vagues ou même de jours (Dfv, (...)

38Non seulement, ces métaphores sont peu sensibles, mais elles sont atténuées de plusieurs façons : les deux premières sont accompagnées d’un propos d’allure réflexive et orale (« pourrait-on dire », « c’est même peu dire »), la deuxième est précédée d’une catachrèse (« normes assouplies ») et les deux dernières sont annoncées par une comparaison préalable [la métaphore portant sur « explosion » est préparée par la comparaison entre le quartier et le « baril de poudre » et « la vague » de la page 142 a été introduite, une page plus tôt, par une comparaison explicite : « Croissance et progrès deviennent comme une vague déferlant sur les gens » (Dfv, p. 141)]. Le texte compte en outre trois comparaisons, à nouveau peu surprenantes29. En revanche, il comprend un très grand nombre de compléments introduits par « comme si ». Ce dernier tour n’est pas un métasémème à proprement parler, mais, comme la métaphore selon Genette, il introduit un brin de fiction dans la description du réel. Cependant, le procédé est si massif (j’ai compté 42 « comme si ») qu’il mériterait un examen autonome, dans De fer et de verre ainsi que dans le reste de l’œuvre – examen qui nous mènerait trop loin.

Doubles conclusions

39Deux questions motivaient l’enquête modestement entreprise dans cet article. D’une part : en quoi la forme de De fer et de verre s’écarte-t-elle des autres textes, pourtant très variés, de Nicole Malinconi ? D’autre part : Nicole Malinconi est-elle une écrivaine du style ou de l’écriture ?

  • 30 « […] l’eût fait descendre […] comme s’ils eussent demandé » (Dfv, p. 76), « Il arrivait bien que c (...)

40En ce qui concerne la première interrogation, il convient d’abord de rappeler que De fer et de verre se construit en deux temps, l’écrivaine s’attachant d’abord surtout au bâtiment avant de passer à l’histoire sociale belge. C’est durant les premières pages que le lecteur rencontre quelques métaphores empruntées à autrui et découvre un phrasé qui, tout en demeurant sobre, s’écarte de l’oralité pour prendre de l’ampleur. Ensuite, une fois la chronique sociale lancée, se multiplient les « on » et les incises orales. Mais, soit par souci d’homogénéité, soit en raison de la distance historique qui la sépare de celles et ceux à qui elle donne la parole, Malinconi opte pour une oralité très mesurée. Elle n’use guère, par exemple, comme dans ses autres livres, de répétitions de mots ou de pronoms explétifs. Son lecteur continue d’ailleurs à croiser en texte des tournures purement littéraires comme des subjonctifs imparfaits30.

41En conclusion de ce premier point, l’expression, dans De fer et de verre pourrait être comparée à une branche repoussée qui retrouve petit à petit sa position initiale mais en gardant, de ce mouvement même, une nouvelle torsion. Le phrasé, plus conventionnellement littéraire au début du livre, s’assouplit au fil des pages pour retrouver une part du ton oral malinconien bien connu – mais une part seulement.

  • 31 Par exemple : « Comment elle marche dans la rue. Comment elle va, légère, dans une rue de son quart (...)
  • 32 Par exemple : « Ces jours-là, on les passait au village » [Malinconi (Nicole), Nous deux, op. cit., (...)
  • 33 Cité notamment dans Groupe µ, Rhétorique générale, Paris, Seuil, coll. Points Essais, 1982 [Larouss (...)

42La seconde question appelle une réponse nuancée. Un style Malinconi existe sans doute, qui se caractérise, notamment, par le recours au pronom « on » (et, peut-être, aux propositions introduites par « comme si »), et par des tournures orales : répétitions de mots31 ou coprésence du pronom et du nom qu’il est censé remplacer32. Mais ce style peut aussi se définir par le refus, au moins partiel, des métaphores – refus qui n’a rien à voir avec l’oralité puisque, selon la formule souvent glosée de Du Marsais, « il se fait dans un jour de marché à la halle plus de figures qu’en plusieurs jours d’assemblées académiques33 ». Or, si les contenus de Michèle Martin ou de Hôpital silence – souci du réel oblige – peuvent expliquer l’absence de métaphores, des livres comme Portraits semblent convenir à leur multiple floraison.

43Mais l’écrivaine est capable d’atténuer quelque peu son style, ou de le détourner, au profit de choix d’écriture. Même le pronom « on » s’adapte pour les besoins de la cause, et j’ai relevé un petit livre, au moins, qui se pare d’un chapelet de métaphores.

Le choix en question n’est pas tout à fait étranger à celui que décrivait Barthes : il est lié à un engagement. Il s’agit bel et bien d’obéir au réel, qu’il soit social ou architectural.

44De ce point de vue, Nicole Malinconi me semble être davantage du côté de l’écriture que du style. Plus que d’imposer aux lectrices et aux lecteurs une voix intérieure qui se serait imposée d’abord à elle-même, elle s’engage, socialement et littérairement, non seulement par les contenus qu’elle aborde, mais aussi par son écriture même. Celle-ci n’est pas donnée une fois pour toutes : elle s’adapte au sujet traité et aux voix qu’elle relaie.

  • 34 Au début de l’article qu’il a donné au présent dossier, « Dans le genre vignette », Jacques Dubois (...)

45Bien entendu, ces voix et ces sujets sont métabolisés par son travail et sans doute le style de Nicole Malinconi, qui lui vient de son passé et de ses « humeurs », entre-t-il en action lors de cette élaboration secondaire. Mais le premier mouvement me paraît être de l’ordre de l’adaptation, voire de l’écoute. En effet, Nicole Malinconi, si elle ne se contente pas de donner la parole à celles et ceux qui n’y ont pas droit, peut sans doute être décrite comme une auteure à l’écoute. À l’écoute d’elle-même en tant qu’autre ou directement à l’écoute d’autrui. Et son phrasé se nourrit des propos ainsi enregistrés34.

  • 35 Le regard, primordial dans la description des œuvres de Victor Horta, joue déjà un rôle important d (...)

46Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que le choix d’écriture diffère profondément quand l’écrivaine consacre un texte à un bâtiment, qu’il s’agit de regarder et non d’écouter35, puis à une histoire collective, rencontrée par la lecture – le livre se termine d’ailleurs par une imposante bibliographie. Sa dynamique première reste la même : non pas issue de son propre corps et de ses humeurs, mais de ce qu’elle capte du réel au moyen de ses oreilles et de ses yeux.

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Notes

1 La fiction demeure toutefois une exception dans l’œuvre de Nicole Malinconi, comme le note Michel Zumkir : « Presque jamais, Nicole Malinconi n’écrit de fiction, à part L’Attente et encore, ce livre-là (le seul auquel on puisse coller l’étiquette de roman) est écrit à partir de deux histoires vraies. Nicole Malinconi ne le nie pas, qu’elle n’a pas d’imagination. » [Zumkir (Michel), Nicole Malinconi. L’écriture au risque de la perte, Avin, Éditions Luce Wilquin, coll. L’œuvre en lumière, 2004, p. 57] Cependant, dans sa contribution à ce dossier, Jean-Benoît Gabriel démontre que Si ce n’est plus un homme, Un grand amour et même Hôpital silence sont ambigus à cet égard et présentent des « indices de fictionalité ».

2 Outre les ouvrages énumérés ci-dessous, nous pouvons mentionner les « brèves » de Rien ou presque qu’évoque dans ce dossier Judyta Zbierska-Mościcka et qui ont trait à la peinture ou à la photographie : « À Edward Hopper », « Henry Lartigue photographe » et « Le ballon ».

3 Renouprez (Martine), « De l’autre côté du miroir : les reflets de l’humain et de l’inhumain dans Vous vous appelez Michelle Martin de Nicole Malinconi », dans le présent numéro de Textyles. Notons que l’écrivaine remet quelque peu en question cet aspect de son travail au cours de l’entretien donné à Michel Zumkir qui se trouve à la fin de ce dossier.

4 En outre, Un grand amour est, comme Vous vous appelez Michelle Martin, explicitement écrit à partir d’une rencontre et d’entretiens, sauf que, cette fois, ce sont des entretiens de seconde main, réalisés non par Malinconi elle-même mais par Gitta Sereny (voir au sujet de la complémentarité de ces deux livres, dans le présent dossier, la contribution de Pierre Piret, « Nicole Malinconi ou le paradigme criminologique »). Il n’en va pas de même pour De fer et de verre.

5 Barthes (Roland), « Qu’est-ce que l’écriture ? », dans Le Degré zéro de l’écriture [1953], dans œuvres complètes, tome i, 1942-1961, nouvelle édition revue, corrigée et présentée par Éric Marty, Paris, Seuil, 2002, p. 178.

6 Barthes n’oppose pas, comme je tente de le faire ici, écrivain de l’écriture et écrivain du style. Pourtant, il définit certains d’entre eux par un style débordant (Hugo) et d’autres par l’absence de style (« Le type même de l’écrivain sans style, c’est Gide », ibidem, p. 179). Quant au choix dont relève l’écriture, il n’apparaît qu’en 1870 et se limite à la dichotomie classique versus moderne. La célèbre tripartition barthésienne me sert donc ici de prétexte plus que de référence claire.

7 Malinconi (Nicole), De fer et de verre. La Maison du Peuple de Victor Horta, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2017, p. 14-15. Dorénavant, les références à ce livre seront signalées entre parenthèses dans le texte courant avec les initiales Dfv suivi d’un numéro de page.

8 Dewitte (Jacques), « On lance un bruit. À propos de Au bureau », dans le présent numéro de Textyles.

9 Barthes (Roland), « L’effet de réel » [1968], dans œuvres complètes, tome iii, 1968-1971, Nouvelle édition revue, corrigée et présentée par Éric Marty, Paris, Seuil, 2002, p. 28.

10 Malinconi (Nicole) et Lebrun (Jean-Pierre), L’altérité est dans la langue. Psychanalyse et écriture, Toulouse, Éditions Érès, coll. Humus entretiens, 2015, p. 50.

11 Genette (Gérard), Métalepse, Paris, Seuil, coll. Poétique, 2004, p. 17 et 18.

12 L’hypothèse d’une prise de parole auctoriale se défend également dans d’autres passages, comme celui-ci : « On peut dire que tous les membres de l’Entente socialiste sont unanimes […] » (Dfv, p. 148).

13 « Dans les Marolles, c’était depuis toujours qu’on se partageait le quartier, avec les Juifs, qu’on les entendait discuter en yiddish […] » (Dfv, p. 77). Notons que cette phrase exclut les Juifs du « on », mais cela sera compensé par l’exemple suivant.

14 « En plus, c’était à la commune qu’on allait se déclarer, rien à voir avec la Gestapo. » (Dfv, p. 96)

15 « On finit par arroser le puits pour tenter de maîtriser le feu. » (Dfv, p. 126)

16 « […] on est une ville en liesse » (Dfv, p. 106).

17 « […] déjà qu’on ne parle pas la même langue » (Dfv, p. 120).

18 « On avait gagné la guerre. » (Dfv, p. 68)

19 Zumkir (Michel), Nicole Malinconi, op. cit., p. 60.

20 Jean-Marie Klinkenberg, dans sa « Lecture » d’Hôpital silence, y souligne une métonymie et sous-titre un de ses paragraphes « L’hôpital : l’individu comme synecdoque » : voir Klinkenberg (Jean-Marie), « De corps et de cri. Lecture », dans Malinconi (Nicole), Hôpital silence, suivi de L’Attente, préface de Marguerite Duras, lecture de Jean-Marie Klinkenberg, Bruxelles, Labor, coll. Espace nord, 1996, p. 190-193. Néanmoins, si le caractère emblématique de la métonymie, qui dépersonnalise le sujet (le « lit » désignant la personne dans l’exemple donné par Klinkenberg), me paraît tout à fait convaincant, il me semble que les figures de substitution, de manière générale, sont peu nombreuses, même les métonymies. Et celles-ci sont souvent préparées en amont. Ainsi, dans l’exemple qui suit, la phrase contenant le terme métonymique (« attente ») est précédée de sa traduction non figurée : « Vous avez habité votre chambre. Pendant un mois, votre attente a habité la chambre. » [Malinconi (Nicole), Hôpital silence, Paris, Minuit, coll. Documents, 1985, p. 25]

21 Ibidem, p. 65.

22 Ibidem, p. 9.

23 Malinconi (Nicole), Hôpital silence suivi de L’Attente, op. cit., p. 126.

24 Malinconi (Nicole), Nous deux, Bruxelles, Les Éperonniers, coll. Maintenant ou jamais, 1993, p. 47.

25 Malinconi (Nicole), Séparation, Paris, Les Liens qui libèrent, 2012, notamment p. 14, 104, 114.

26 IL s’agit d’ailleurs peut-être d’une notion surplombant l’œuvre. Elle apparaît déjà dans Vous vous appelez Michelle Martin au gré d’une comparaison et au sujet de l’écriture : « […] je ne pouvais que tâcher d’écrie au plus près comme on extrait quelque chose d’un magma » [Malinconi (Nicole), Vous vous appelez Michelle Martin, Paris, Denoël, 2008, p. 103]. Et on la retrouve dans les réflexions théoriques de l’écrivaine. Voir, par exemple, Malinconi (Nicole), Que dire de l’écriture ?, présentation de Pierre Piret, Carnières-Morlanwelz, Lansman, coll. Chaire de Poétique de la Faculté de philosophie, arts et lettres de l’Université catholique de Louvain, no10 de la deuxième série, 2014, p. 23. Voir aussi, au sujet de ce « magma », la contribution de Ginette Michaux au présent dossier de Textyles, qui souligne notamment l’emploi du terme dans Malinconi (Nicole), Un grand amour, Noville-sur-Mehaigne, Esperluète, 2015, p. 20.

27 Malinconi (Nicole), Détours à Grignan, Grignan, Éditions Colophon, 2002, non paginé [2ep.]. La métaphore « brûlure » n’est peut-être pas très surprenante, mais elle est renforcée ici par une figure peu courante, « blanche » étant une hypallage.

28 Comme me le rappelle Marc Quaghebeur, Nicole Malinconi et Jean-Pierre Lebrun ont possédé un temps une résidence secondaire à Grignan. L’écriture métaphorique aurait-elle un rapport avec la particularité biographique du lieu ? « Secondaire », plus loin du réel malinconien ?

29 « […] la balustrade a l’air de se dérouler comme une suite de légères vagues ou même de jours (Dfv, p. 30), « comme à découvert, comme nus » (Dfv, p. 103), « comme une fourmilière » (Dfv, p. 115).

30 « […] l’eût fait descendre […] comme s’ils eussent demandé » (Dfv, p. 76), « Il arrivait bien que certains se missent à parler » (Dfv, p. 80). Notons que l’on en rencontre déjà au moins un dans Séparation, mais il est moins spectaculaire : « C’est bien cela que j’avais refusé de ma mère, qu’elle fût une femme […] » [Malinconi (Nicole), Séparation, op. cit., p. 62].

31 Par exemple : « Comment elle marche dans la rue. Comment elle va, légère, dans une rue de son quartier à la fin de la journée. / Elle rentre chez elle le soir par cette rue-là, souvent » » [Malinconi (Nicole), Rien ou presque. Brèves, Bruxelles, Les Éperonniers, coll. Maintenant ou jamais, 1997, p. 59]. C’est moi qui souligne le nom répété.

32 Par exemple : « Ces jours-là, on les passait au village » [Malinconi (Nicole), Nous deux, op. cit., p. 47]. C’est moi qui souligne le pronom explétif.

33 Cité notamment dans Groupe µ, Rhétorique générale, Paris, Seuil, coll. Points Essais, 1982 [Larousse, 1970], p. 17.

34 Au début de l’article qu’il a donné au présent dossier, « Dans le genre vignette », Jacques Dubois évoque à cet égard « l’empathie » de l’écriture malinconienne. Et, dans sa contribution, Jean-Benoît Gabriel use également de la notion d’« enregistrement ».

35 Le regard, primordial dans la description des œuvres de Victor Horta, joue déjà un rôle important dans Nous deux, comme le souligne Marie Klinkenberg. Voir Klinkenberg (Marie), « Lecture », dans Malinconi (Nicole), Nous deux. Da solo, Bruxelles, Labor, coll. Espace nord, 2002, p. 207-211.

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Pour citer cet article

Référence papier

Laurent Demoulin, « Nicole Malinconi, le style ou l’écriture ? »Textyles, 55 | 2019, 93-107.

Référence électronique

Laurent Demoulin, « Nicole Malinconi, le style ou l’écriture ? »Textyles [En ligne], 55 | 2019, mis en ligne le 15 septembre 2019, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/textyles/3344 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/textyles.3344

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Auteur

Laurent Demoulin

Université de Liège

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