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L’écriture au prisme de la photographie
Agencer les images

Correspondance, de Marie-Françoise Plissart et Benoît Peeters : l’objet d’une rencontre

Alexandra Koeniger
p. 73-83

Texte intégral

  • 1 Plissart (Marie-Françoise) et Peeters (Benoît), Correspondance, Liège, Éditions Yellow Now, 1981, 6 (...)

1Paru en 1981, Correspondance1 est un objet à part dans l’histoire de la production de Marie-Françoise Plissart et de Benoît Peeters : il est le premier d’une série de cinq ouvrages ; il doit, à ce titre, assumer le rôle d’initiateur et supporter la comparaison avec des ouvrages qui, comme Fugues (1983) ou Droit de regards (1985), comptent dans l’histoire de la narration photographique. Pourtant, si Correspondance a, de toute évidence, permis d’engager la réflexion de Plissart et Peeters sur le roman-photo, sa proposition formelle est très éloignée de ce genre.

2L’ouvrage se présente comme une succession, page après page, de photographies en noir et blanc et de textes en prose. Il est divisé en cinq chapitres. Chacun des chapitres présente une série de cinq images, et chacune des images est mise en relation avec un texte. L’ensemble s’organise suivant les règles d’un carré magique : il obéit aux critères d’une forme et non d’une histoire. Par-delà l’ordonnancement mathématique du texte et de l’image, les références obscures et une forme parfois hermétique, cette première proposition phototextuelle de Plissart et Peeters incarne néanmoins toute la force d’une rencontre amoureuse et artistique. À sa manière elle raconte une histoire, la rencontre d’une femme et d’un homme, d’une photographe et d’un écrivain. Elle dit aussi, en l’inscrivant dans sa propre structure, la difficulté et la richesse d’un éloignement.

3Correspondance naît effectivement de la distance et de la séparation : Plissart vit à Bruxelles et Peeters à Paris. Le processus de l’œuvre se fonde ainsi sur l’échange, la consécution et la confrontation ; il impose à Plissart et Peeters, chacun à son tour, de lâcher prise et de s’en remettre au travail de l’autre. Les auteurs entretiennent une relation à travers leur pratique. Ce faisant, ils mettent également leur pratique de l’image photographique et de l’écriture en relation. Si l’ouvrage ne donne jamais rien à voir ni à lire de leur vie personnelle, il en procède néanmoins : c’est à ce titre qu’on peut le qualifier d’autobiographique. Avec Correspondance, Plissart et Peeters proposent un système qui met ouvertement en jeu la question de la perception. Ils croisent les modes de lecture, intervertissent les rôles, multiplient les pistes et racontent une histoire qui n’est, finalement, ni dans les mots, ni dans les images du livre.

Figure 1. Correspondance, 4e de couverture

Figure 1. Correspondance, 4e de couverture

Une construction épistolaire

4À première vue, la concordance entre le sens des images et celui des textes n’apparaît pas de façon évidente ; cette absence de concordance exclurait donc toute fonction illustrative des premières et explicative des seconds. Après lecture, le dispositif ne semble pas non plus au service d’une narration. Il ne s’agit pas d’un récit photographique. Il est pourtant évident que quelque chose se joue en profondeur ; l’existence même de l’ouvrage appuie cette intuition ; encore faut-il dépasser la forme un peu froide de la mise en page pour pouvoir envisager les liens qui unissent texte et image. Le préambule de l’éditeur est pour cela indispensable. Il révèle très partiellement, mais suffisamment pour diriger la curiosité du lecteur dans la bonne direction, les rouages essentiels du dispositif :

  • 2 Plissart (Marie-Françoise) et Peeters (Benoît), Correspondance, op. cit, préambule en deuxième de c (...)

Il semble bien que ce soit dans une lettre, datée du 5 mars 1976, qu’apparaisse le premier projet de ce livre. Il lui parle d’un « travail qui pourrait se poursuivre par correspondance » et, plus loin, d’un « texte qui, sans la décrire, prolongerait les éléments d’une photographie ».2

  • 3 Peeters (Benoît), Écrire l’image. Un itinéraire, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2009, 158 p.

5Peeters3 confirme la procédure épistolaire et apporte également un éclairage sur le type d’articulation entre l’écriture et la photographie :

Le travail commença en 1976, de manière réellement épistolaire. Depuis Bruxelles, Marie-Françoise m’envoya une première photographie à partir de laquelle, à Paris, j’écrivis une sorte de poème en prose qui était comme l’envers de cette image, ou si l’on préfère sa conséquence. […] là où une chose était montrée de face, le texte allait la présenter de dos, et ainsi de suite. (p. 29)

6L’antagonisme recherché entre texte et image justifie le parti pris des constructions photographiques. Sans cette définition accentuée du sujet, le texte ne peut s’inscrire franchement en négatif de l’image. Que le texte prenne le revers de l’image, et inversement, ne fait que renforcer le lien indéfectible qui les unit.

7L’écriture en tant que formalisation des idées est une contrainte ; Peeters double cette contrainte en lui soumettant comme point de départ la photographie de Plissart, et la redouble en s’obligeant à jouer un jeu de mises en forme prédéfinies : allitération, répétition, construction en miroir. La proposition de « Complication » (p. 13) est représentative de ce système.

Complication

Le rameur n’a pas aperçu la blanche tache du rocher. Sa pagaie se casse d’un coup sec et seul un vague manche, bientôt lâché, lui reste dans la main. L’embarcation n’échappe point aux irréparables ravages causés par les masses d’eau noire qui l’envahissent. Une à une les planches sont arrachées. C’est très vite maintenant que le navire fait naufrage.
Un homme s’élance avec rage sur l’océan raviné. Harassé il s’agrippe à une planche. Pour les visages amassés sur le rivage, le nageur courageux, dont on cause déjà, n’est encore qu’un point blanc. Persuadé d’avoir gagné la manche, l’homme pense qu’il n’a pas été lâché et qu’il sera bientôt au sec. Les vagues le ramènent vers la blanche plage maintenant proche et bien visible. (p. 13)

8Le texte évoque le naufrage d’un bateau. Le sujet n’a en fait pas grand-chose à voir avec le sujet de la photographie proposée en face (à savoir une salle obscure au fond de laquelle se détache une fenêtre).

  • 4 Peeters (Benoît), Écrire l’image. Un itinéraire, op. cit., p. 29.

9Derrière ce sujet et sa mise en forme un peu compliquée se trouvent une structure en miroir et une réflexion sur le sens des mots. L’espace qui sépare le texte met en correspondance deux paragraphes, de telle sorte que la dernière phrase du premier paragraphe correspond à la première phrase du deuxième paragraphe ; et ainsi de suite jusqu’à ce que correspondent la dernière phrase du deuxième paragraphe et la première phrase du premier paragraphe. On retrouve ici, appliqué au texte lui-même, le principe de contrepied systématique qu’évoque Peeters, et selon lequel « là où une chose était montrée de face, le texte allait la présenter de dos, et ainsi de suite4 ». Une phrase d’un paragraphe fonctionne nécessairement avec une phrase de l’autre paragraphe : elle en est le revers.

Schéma . « Complication », Correspondance, p. 13.

Schéma . « Complication », Correspondance, p. 13.

10Le dispositif se fonde sur plusieurs types de correspondances entre les mots : une correspondance de phonèmes (« navire » et son anagramme « raviné »), un rapport de consonance (« ravages » / « rivage » ; « arrachées » / « harassé » ; « naufrage » / « rage » ; « rameur » / ramènent » ; « masse » / « amassés »), une antinomie (« noire » / « blanc ») ou un lien d’homonymie. Ce dernier est sans doute le plus intéressant puisqu’il oppose les occurrences d’un même terme : un « coup sec » et être « au sec », un « manche » et une « manche », « causer par » et « causer de », l’adjectif « vague » et « les vagues ». Il illustre ainsi la problématique du sens d’un mot en fonction de son contexte. Alors que le mot du titre est décontextualisé par l’absence de tout déterminant, les syntagmes du texte signifient l’importance de la contextualisation pour la bonne compréhension. Ce principe déborde du texte et s’applique au dispositif phototextuel. Une correspondance entre la photographie et l’écriture s’inscrit en termes de contrastes : celui du clair-obscur de l’image et celui des « masses d’eau noire » et du « point blanc » évoqués dans le texte.

11D’autre part, et cela quelle que soit la longueur du texte, d’une ligne à une vingtaine, la mise en page du texte se fait dans un espace qui mesure neuf centimètres de large, c’est-à-dire la même largeur que celle des photographies. À cela s’ajoute que textes et photographies disposent tous de leur propre page. Une telle répartition marque le souci d’instaurer une égalité entre les deux médiums, mais aussi de respecter les particularités de chaque auteur. La citation de Rousseau en exergue du texte « Concertation » (p. 35) va dans ce sens : « L’un et l’autre, comptant sur le succès de leurs mesures, agissaient de concert ».

  • 5 « Je compris, au ton qu’elle y prenait pour la première fois de sa vie, que l’un et l’autre, compta (...)

12La coupure faite par les auteurs de Correspondance donne un autre éclairage aux propos de Rousseau5. Alors que le philosophe évoquait le complot et la trahison de ses amis (Melchior Grimm et Mme d’Épinay), la sélection dépersonnalise le propos et se concentre sur le seul fonctionnement du duo. Elle met ainsi en scène le propre fonctionnement artistique de Plissart et Peeters.

13Ce glissement de sens, lié à un changement de contextes, est similaire à celui que connaît l’image photographique. Les effets du cadrage et du recadrage photographiques relèvent en effet de la même procédure : la détection de la source, son appropriation et une restitution subjective. De toute évidence, la mise en relation de l’extrait de texte et de l’image ne correspond pas ici à un schéma classique ; elle ne cherche pas à créer du sens dans la juxtaposition ; elle n’a pas vocation à légender l’image par le texte. Il est en fait question de mettre en jeu les similitudes entre les fonctionnements des deux médiums, et de faire se rencontrer autrement le texte et l’image.

Objet d’une rencontre

14Cette rencontre du texte et de l’image renvoie à la rencontre de deux artistes mais aussi à celle de deux individus. Correspondance est un objet qui, dans sa forme, incarne les différences et les ressemblances qui existent entre un photographe et un écrivain, une femme et un homme. La rencontre de Plissart et de Peeters est une rencontre de la photographie et de la littérature.

15Par sa mise en œuvre, Correspondance illustre également la construction et la progression de l’histoire en tant que binôme d’artistes et en tant que couple. C’est en cela que leurs productions sont des objets de l’intime. Elles ne donnent rien à voir de leur vie personnelle mais elles en résultent. Ce qui relève du couple est indissociable de ce qui relève de la collaboration ; couple, tandem ou duo, leur fonctionnement à deux investit leur œuvre contractuellement et naturellement.

  • 6 Peeters (Benoît), Écrire l’image. Un itinéraire, op. cit., p. 29.

Le projet affiché était celui de textes brefs et d’images qui se répondraient sans jamais se redoubler. Notre ambition était de construire quelque chose qui joue de l’hétérogénéité des matériaux au lieu de s’efforcer de la réduire.6

16La part contractuelle se situe dans la répartition des tâches : Plissart photographie et Peeters écrit. La part naturelle réside, quant à elle, dans l’intuition qui guide le travail et dans une forme de confiance mutuelle qui laisse le champ libre à cette intuition. L’ouvrage est donc fondateur d’une production commune qui articule leur vie personnelle et leur vie professionnelle.

  • 7 Note de l’éditeur en préambule à l’ouvrage Correspondance.

17À ce titre Correspondance est le plus parlant. En premier lieu parce qu’il s’ancre dans une correspondance – quoi de plus intime ? – entre deux artistes qui viennent de se rencontrer. Ensuite parce qu’il s’agit d’un projet à distance : Plissart vit à Bruxelles et Peeters à Paris. À cette distance géographique, s’ajoute la distance du temps qui empêche toute simultanéité des processus. Le projet ne fonctionne que dans l’échange et la consécution. La répartition des tâches photographique et littéraire est autant le principe de l’ouvrage que la condition sine qua non de sa réalisation. Tout l’intérêt du livre est dans la circulation aménagée entre les deux pratiques : « loin de se répéter, de se reproduire l’une l’autre, les deux pratiques choisissent, d’emblée, de poursuivre chacune, parallèlement, leur propre partition7 ».

  • 8 Peeters (Benoît), Écrire l’image. Un itinéraire, op. cit.

18Cette première proposition phototextuelle, aussi hermétique soit-elle, fait apparaître des problématiques photolittéraires propres à la réflexion des deux auteurs. Peeters lui-même la considère comme telle puisque, revenant sur son parcours8, il inscrit cette première collaboration avec Plissart dans le chapitre « À la recherche du roman-photo » (p. 33) : « c’est juste après avoir achevé ce petit livre que nous avons eu l’envie d’aborder de manière plus directe la question du récit photographique ».

Un objet de correspondances

19En suivant la succession ordonnée des pages, le lecteur ne suit pas la marche habituelle de la narration. Il se heurte à une narration fragmentée. Cette fragmentation renvoie au principe de l’échange à distance entre les deux auteurs. Chaque élément du livre, photographique, littéraire et paratextuel, possède ainsi sa propre page ; il signale de la sorte sa particularité spatiotemporelle par rapport aux autres éléments. La mise en page n’insiste pas tant sur l’autonomie de ces éléments que sur le lien qui coordonne toutes les différences. Ce dernier ne se construit pas seulement dans la succession des pages et le face à face texte et image, mais dans un tout autre dispositif crypté.

  • 9 À une ligne de photographie correspond un chapitre du livre.

20Le livre contient les deux clés nécessaires au déchiffrage de la trame de lecture. La première clé se trouve en quatrième de couverture : il s’agit d’une présentation en une seule vue de l’ensemble des photographies du livre. L’ordre d’apparition, la répartition9 et le format des images y sont respectés. Apparaît alors une symétrie qu’une lecture page à page rendait difficilement détectable. Deux axes articulent cette symétrie : l’un horizontal et l’autre vertical. Tous deux sont constitués des photographies en format vertical et se croisent orthogonalement, formant une croix. Les images en format horizontal, quant à elles, sont réparties autour de cette croix en quatre groupes de quatre images qui se répondent de part et d’autre des branches de la croix.

Figure 2. Correspondance, application du carré sator à la distribution photographique

Figure 2. Correspondance, application du carré sator à la distribution photographique

21La présentation des images en quatrième de couverture est à mettre en relation avec ce qui apparaît, en page 7, comme une simple locution latine. Celle-ci n’a rien d’un simple ornement et se révélera être, une fois combinée aux images, le deuxième outil de déchiffrage du dispositif. Il s’agit en fait d’un « carré magique » de lettres, dont le principe consiste à inscrire dans un carré des mots qui pourront être lus dans le sens horizontal et dans le sens vertical. Le carré proposé en exergue de l’ouvrage est cependant particulier puisqu’il s’agit du carré sator (voir ci-contre). Sa conception en fait un carré dit magique puisqu’à la contrainte d’une lecture horizontale et verticale, s’ajoute celle d’une lecture palindromique. La mise en page des images de Correspondance obéit aux mêmes règles structurelles que celles du carré sator : vingt-cinq images, réparties sur cinq colonnes et cinq rangées, dont neuf dessinent, par leur alignement et leur format, une croix.

Version commune du carré sator

Version commune du carré sator
  • 10 Voir à ce sujet les analyses très différentes mais complémentaires de Felix Grosser, Paul Veyne et (...)

22Le recoupement de la lecture de Correspondance avec les diverses hypothèses relatives au carré sator10, conduit à des ratiocinations excitantes mais stériles. Il s’agit avant tout d’un principe formel emprunté au carré magique et appliqué, dans les limites du possible, aux images et aux textes. Ce principe va avoir des conséquences sur les modalités de lecture de l’ouvrage, mais ne recèle pas de sens caché. Le mystère se résoudra à force de lecture et non pas à coup d’hypothèses mathématiques ou numérologiques ; il n’y a donc pas de code chiffré dans la numérotation des pages ou le nombre de lettres des titres.

  • 11 Entretien avec l’auteur, novembre 2009.

23Si Peeters revendique l’élaboration du dispositif phototextuel, il ne s’appuie pas sur une analyse judéo-chrétienne. Il fonde simplement le choix du carré sator sur une concordance entre les consonnes du carré et celles communes aux deux noms des artistes : P, R, S, T11. Une allusion au jeu des lettres est faite dans un des textes du chapitre iii (p. 35) :

Concertation

Dans la troisième enveloppe avec stupeur, ils découvrent son pli. Sur le papier se dispose « P.R.S.T. lisa 3e ». Les suppositions dès lors vont bon train sans parvenir, jamais, à percer les ténèbres. Qui répond au prénom de Lisa ? Le trope passe inaperçu. Négligeant les précautions les plus élémentaires, ils se perdent dans les parallèles. La porte reste inapparente. Une précise parenté des patronymes leur permet d’élucider les capitales. Plus tard ils comprennent la supercherie.

  • 12 Le sujet « ils » se présente comme un avatar des lecteurs.

24« Concertation » évoque une énigme soumise à des personnages sans identité12, sous la forme d’un énoncé alphanumérique : « P.R.S.T. lisa 3e ». Le texte renvoie ainsi à l’expérience que le lecteur fait du dispositif de Correspondance. Il évoque les tentatives d’élucidation et les chausse-trappes aménagées pour le perdre. Il donne également un élément qui atteste le lien avec le carré sator. Les lettres P, R, S, et T évoquent les quatre consonnes, ordonnées suivant l’alphabet, du carré magique et des noms Peeters et Plissart. Mises en relation avec les mentions « lisa » et « 3e », c’est précisément ce dernier nom qu’elles donnent à lire : « lisa » est un acronyme qui présente les lettres manquantes au sator pour écrire le nom de la photographe ; la mention « 3e » suggère un troisième terme qui serait la réunion des deux mentions précédentes : P.l.i.S.s.A.R.T. Cette coïncidence des consonnes entre le nom de la photographe et le carré sator vient appuyer le choix d’une mise en page organisée selon les normes de ce carré magique.

25La mise en relation de l’objet de Plissart et Peeters avec le carré sator obéit une fois encore à un principe de correspondance. Il n’est pas question de métaphysique, mais de lire autrement. La découverte après coup du dispositif sator, celui-ci n’étant visible qu’au dos de l’ouvrage, et son application au contenu phototextuel obligent à reconsidérer le mode de lecture linéaire. Un autre type de circulation dans la lecture s’impose, obéissant au jeu des correspondances formelles : au format classique de la lecture page après page, on choisira un format faisant correspondre la mise en page et le carré.

  • 13 « […] il tourne et retourne la page comme pour arracher à la photographie un improbable secret. »
  • 14 « Cinquante fois, tournant et retournant les pages, il les relit, comme pour leur arracher un impro (...)

26En tout état de cause, les auteurs cultivent le mystère. Ils en font le principe de leur système, mais aussi le sujet de quelques textes. Ce mystère est ainsi exposé en toutes lettres dans « Duplication »13 (p. 11) et dans « Confortation »14 (p. 52), qui mentionnent tous deux un « improbable secret » que contiendraient l’image photographique et le texte. Dans « Compilation » (p. 61) est mentionné le fait que « tout doit être regardé à la loupe ». Le récit est en partie codé pour que le lecteur n’accède pas à toutes les informations : le carré sator constitue sans doute le meilleur écran pour dissimuler l’intimité des auteurs. Cette fonction peut également être la conséquence d’un langage développé spontanément dans l’intimité. C’est ce que laisse penser cette phrase extraite de « Représentation » (p. 22) : « rapprochés enfin pour un aparté en une langue connue d’eux seuls ». Dans les deux cas, on peut croire que Correspondance est un récit de forme autobiographique. En laissant planer le mystère, les auteurs sollicitent assurément le lecteur. Nourris des expérimentations du Nouveau Roman et de l’OuLiPo, ils proposent une narration à contrainte et un dispositif qui pousse chaque lecteur à reconsidérer son rapport au livre. Ainsi impliqué dans le processus, chacun doit se poser la question du rôle qu’il joue dans ce système.

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Notes

1 Plissart (Marie-Françoise) et Peeters (Benoît), Correspondance, Liège, Éditions Yellow Now, 1981, 67 p.

2 Plissart (Marie-Françoise) et Peeters (Benoît), Correspondance, op. cit, préambule en deuxième de couverture.

3 Peeters (Benoît), Écrire l’image. Un itinéraire, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2009, 158 p.

4 Peeters (Benoît), Écrire l’image. Un itinéraire, op. cit., p. 29.

5 « Je compris, au ton qu’elle y prenait pour la première fois de sa vie, que l’un et l’autre, comptant sur le succès de leurs mesures, agissaient de concert, et que, me regardant comme un homme perdu sans ressource, ils se livraient désormais sans risque au plaisir d’achever de m’écraser. » (Rousseau (Jean-Jacques), Les Confessions, Livre X, 1789)

6 Peeters (Benoît), Écrire l’image. Un itinéraire, op. cit., p. 29.

7 Note de l’éditeur en préambule à l’ouvrage Correspondance.

8 Peeters (Benoît), Écrire l’image. Un itinéraire, op. cit.

9 À une ligne de photographie correspond un chapitre du livre.

10 Voir à ce sujet les analyses très différentes mais complémentaires de Felix Grosser, Paul Veyne et plus récemment Nicolas Vinel : Grosser (Felix), « Ein neuer Vorschlag zur Deutung der Satorformel », dans Archiv für Religionswissenschaft, n°29, 1926, p. 165-169 ; Veyne (Paul), « Le Carré sator ou beaucoup de bruit pour rien », dans Bulletin de l’Association Guillaume Budé, Lettres d’Humanité, t. 27, 4e série, n°4, décembre 1968, p. 427-456 ; Vinel (Nicolas), « Le judaïsme caché du carré sator de Pompéi », dans Revue de l’histoire des religions [en ligne], 2, 2006, mis en ligne le 19 janvier 2010 : http://rhr.revues.org/5136.

11 Entretien avec l’auteur, novembre 2009.

12 Le sujet « ils » se présente comme un avatar des lecteurs.

13 « […] il tourne et retourne la page comme pour arracher à la photographie un improbable secret. »

14 « Cinquante fois, tournant et retournant les pages, il les relit, comme pour leur arracher un improbable secret. »

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Correspondance, 4e de couverture
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Fichier image/jpeg, 108k
Titre Schéma . « Complication », Correspondance, p. 13.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/textyles/docannexe/image/2357/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 116k
Titre Figure 2. Correspondance, application du carré sator à la distribution photographique
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/textyles/docannexe/image/2357/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 164k
Titre Version commune du carré sator
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/textyles/docannexe/image/2357/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 81k
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Pour citer cet article

Référence papier

Alexandra Koeniger, « Correspondance, de Marie-Françoise Plissart et Benoît Peeters : l’objet d’une rencontre »Textyles, 43 | 2013, 73-83.

Référence électronique

Alexandra Koeniger, « Correspondance, de Marie-Françoise Plissart et Benoît Peeters : l’objet d’une rencontre »Textyles [En ligne], 43 | 2013, mis en ligne le 20 février 2014, consulté le 09 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/textyles/2357 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/textyles.2357

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Auteur

Alexandra Koeniger

Université Jean Monnet, Saint-Étienne (CIEREC)

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Droits d’auteur

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