Pascal de Duve : les Izotopies du sida
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À François Lépine. Dem Freund,
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- 1 Ce texte n’aurait pas existé sans les parents de Pascal de Duve, Pierre et Marie-Henriette, qui m’ (...)
1Pascal de Duve est mort du sida dans la nuit du 16 avril 1993 ; il n’avait pas trente ans1. Il était l’auteur d’un roman, publié sur manuscrit par les Éditions Jean-Claude Lattès, Izo. Le nom prestigieux de sa famille et de son oncle, Christian de Duve, Prix Nobel de Médecine, ne lui a pas servi de passe-droit. Le même éditeur venait de publier le log book de son voyage aux Antilles sur un cargo, qui donnera le titre au livre : Cargo vie. Après sa mort, Odile Cail, des Éditions Jean-Claude Lattès, a demandé aux parents de Pascal de Duve, réticents, hésitants puis coopérants, ses manuscrits non publiés, pour en extraire, après sélection, un ensemble plus ou moins cohérent, publié sous le titre de L’Orage de vivre.
- 2 Pour une évocation de ce rapport à Paris, voir Pascal de Duve, L’Orage de vivre. Paris, Librairie (...)
2Pour ne pas faire de ce texte une nécrologie, pour ne pas souscrire à la rhétorique encomiastique – à l’éloge – qu’appellent les morts terribles trop tôt survenues, pour échapper à la captation du souvenir des artistes morts du sida, il faut en appeler constamment aux caractéristiques premières de Pascal de Duve et, parmi celles-ci, pointer le cosmopolitisme. Pascal de Duve pratiquait plusieurs langues, bien au-delà de ce qui est commun : de l’arabe coranique à l’islandais, du russe à l’anglais ; à cette curiosité linguistique s’ajoute une exploration des possibles politiques. Il a écrit sa courte œuvre en français ; il était né à Anvers, le 5 février 1964, dans une famille noble, reconvertie dans la gestion immobilière ; le français y était, dans sa pratique, une distinction sociale peut-être, mais surtout, une fidélité à la mère. Belge, Pascal de Duve n’a cessé de se référer à Paris2. Il y a vécu, avec une attraction fort vive pour le quartier des Halles, dont rend compte Izo. Il y a enseigné. Dans Cargo vie, son odyssée du sida qui l’emmena vers les Antilles pour l’en ramener au péril de sa vie, – à peine débarqué, il dut être hospitalisé d’urgence à l’Institut des Maladies Tropicales d’Anvers –, il prend soin de toujours noter l’heure de la rédaction de son journal de bord par rapport à la capitale française. Par cette référence constante à Paris, l’oeuvre de Pascal de Duve excède l’espace littéraire belge.
- 3 Premier d’une longue liste de témoins négateurs, jusqu’à L’Homme au chapeau rouge d’Hervé Guibert (...)
3À ne considérer le sida que du point de vue de la recherche médicale, la France se tient à hauteur des États-Unis, voire les a devancés dans l’identification du HIV ; par contre, dès lors que le sida est abordé sous les angles de la sociologie, de la psychologie et de la critique littéraire, pour ne retenir que ces modèles de recherche, la littérature nord-américaine sur le sida est doublement prééminente en terme quantitatif et qualitatif. Alors que pour la même période (1981-1992), une quarantaine de textes – à prétentions littéraires plus ou moins revendiquées – ont paru en France, c’est aux États-Unis que cette littérature est la plus inventive : elle embrasse tous les genres, de l’essai autobiographique au récit de science-fiction, relayée par un réseau éditorial construit et puissant, à commencer par celui qui est organisé à partir des communautés gay. Suivant le même schéma, la production scientifique qui rend compte du sida et de ses représentations se trouve elle aussi dans un développement plus « avancé » outre-Atlantique, à un tel degré que la critique états-unienne s’est annexé la littérature française sur le sida comme objet de sa recherche, laquelle bénéficie des lieux d’édition prestigieux que sont les collections des universités de Californie ou de New York. En France, la critique littéraire (essentiellement journalistique, tant les analyses universitaires sont quasi inexistantes sur cet objet) ne s’est pas encore dotée des outils conceptuels pour saisir la littérature sur le sida dans sa spécificité ; elle tend à nier la pertinence même de l’identification d’une littérature du sida. En cela, elle est confortée par les produits littéraires qui ont le sida pour genèse mais qui le dénient souvent3.
- 4 « Le sida et les lettres », Équinoxe, n° 5, printemps 1991,
- 5 Sida-fiction. Essai d’anthropologie romanesque. Préface de François Laplantine. Lyon, Presses Univ (...)
- 6 Ibid., p. 21.
- 7 Hervé Guibert, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie. Paris, Gallimard, coll. Folio, 1993, p. 232 [1(...)
- 8 Joseph Lévy et Alexis Nouss, Sida-fiction, op.cit., p, 16 et p. 79.
4Après le numéro spécial de la revue Équinoxe4, la somme de Joseph Lévy et d’Alexis Nouss est la première tentative en français d’une saisie globale de la littérature du sida5 ; Sida-fiction embrasse un vaste corpus qui s’étend de la littérature française à la littérature nord-américaine, tout en écartant les récits autobiographiques ou les témoignages sans prétentions littéraires marquées. Cette enquête anthropologique fait sien l’adage de Kafka, selon lequel c’est le corps qui écrit6. Par une telle affirmation, les critiques rendent compte directement de la spécificité du produit littéraire du sida, à l’exemple répété d’Hervé Guibert dans son invocation de l’œuvre contaminante du Thomas Bernhard tuberculeux7. La fusion des textes avec la maladie n’entraîne cependant pas l’analyse à détacher ces produits du lieu culturel et social de leur apparition. Aussi Joseph Lévy et Alexis Nouss ont-ils mis en évidence des différences fondatrices, dans leur récurrence, entre la production nord-américaine et la production française : dans le corpus romanesque américain, « les personnages sont plus nombreux, l’intrigue est plus complexe et fait bonne part à l’analyse politique et scientifique du phénomène » ; pour leur part, les écrivains français privilégient une présentation subjective de la maladie dans une construction imaginaire frappée par le dépouillement et invitant à une réflexion individualité sur les possibles de l’écriture face au sida8.
5Par le rapport directement mimétique que la production littéraire sur le sida entretiendrait avec la maladie, Joseph Lévy et Alexis Nouss ont télescopé les médiations qui surviennent entre l’écriture et le produit littéraire. Ils annulent tout un espace de représentations, qui est fortement aléatoire, comme en témoigne Hervé Guibert :
- 9 Hervé Guibert, Le Protocole compassionnel Paris, Gallimard, coll. Folio, 1993, p. 195 [1re éd. Par (...)
J’avais dit à la télévision que je n’écrirais plus [après À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie]. Cette phrase, sur le public [...], cette phrase associée à ma maladie a fait un véritable malheur, derrière lequel je me suis protégé. Des gens qui ne me connaissaient ni d’Ève ni d’Adam, qui n’avaient jamais lu un livre de moi, des hommes et des femmes de tous les Âges et de tous les milieux sociaux comme on dit, me suppliaient de continuer d’écrire, pour que je reste en vie, puisque c’était ma vie l’écriture. Mais je ne voyais pas quoi écrire, et je n’en avais pas l’impulsion dynamique non plus, mon épuisement l’avait broyée 9.
6Restaurer les médiations et les représentations définit pour nous un triple projet heuristique et épistémologique : en ce qui tient à l’œuvre de Pascal de Duve, il s’agira de repenser les raisons objectives de la non-reconnaissance littéraire de son œuvre par une partie influente de la critique et de voir combien cet état de fait s’explique par la spécificité même d’une œuvre qui a tenté, dans le renversement des conventions littéraires, de se tenir au plus près de la particularité du mal dont l’auteur est atteint ; pour le traduire, il n’a pas donné gratuitement libre cours aux jeux de langages, mais il y a inscrit la tentative de faire la chronique « réaliste » de son sida en utilisant au maximum les formes métaphoriques dans un travail plus éthique que littéraire, plus testamentaire que narcissique, plus construit que circonstanciel, au terme duquel son roman Izo apparaîtra, par une lecture génétique, comme la forme homologique de sa séropositivité.
Le témoignage autorisé
- 10 Timothy F. Murphy, « Testimony », dans Timothy F. Murphy et Suzanne Poirier (èds.), Writing AIDS. (...)
- 11 John D’Emilio, Sexual Politics, Sexual Communities : The Making of Homosexual Minorily in the Unit (...)
- 12 Gregory M. Herek et Beverly Greene, AIDS, Idenlity, and Community. The HIV Epidemic and Lesbians a (...)
7La critique américaine a rassemblé les textes qui ont pour sujet le sida autour d’un concept lâche mais heuristique ; les testimonies, qui rassemblent sous le même terme générique et idéologique une littérature qui traite le sida sur le mode de la fiction ou de l’histoire, sous une forme poétique ou non et dans une exposition ouvertement autobiographique ou décisivement fictive. À partir des épicentres de cette nébuleuse de testimonies, dont les premiers producteurs sont les gays, s’est donc constituée une intentionnalité du témoignage : il s’est agi de donner une fonction morale au texte qui protégera son auteur comme son lecteur – qu’il soit séropositif ou non – contre l’absurdité d’une maladie et les cloisonnements qu’elle a entraînés dans les espaces de la communication entre les communautés sexuelles des États-Unis. En bref, les testimonies ont, selon la critique états-unienne, pour mission de maintenir les conditions du sens, face à une maladie qui tue les êtres et qui les abolit jusque dans leur parole et la finalité de leur destin10. Une telle interprétation finaliste de la production nord-américaine sur le sida se comprend dès lors que l’espace social où elle trouve sa genèse est pensé et représenté sur le mode de communautés structurées qui ont tenté depuis des décennies11 de construire un mode social de distinction – sexuelle – mais aussi les conditions d’une reconnaissance par le reste de la société, que le sida est venu mettre en péril et que les porte-parole gay tentent de maintenir ou plus souvent de redéfinir dans l’intention explicite de continuer le combat de l’acceptation du fait qu’ils représentent12. Identifié d’emblée au « gay cancer », au « gay syndrom » ou au « gay plague », le sida a réactualisé des formes d’ostracisme des communautés homosexuelles et, de ce fait, il a entraîné, parmi les associations militantes nord-américaines, un repositionnement des luttes identitaires dans le cadre de l’urgence médicale et de la contestation politique.
- 13 Voir notamment l’analyse de Franck Pierobon, « “Vivi ancora...” Lecture de Philadelphia », dans Ja (...)
- 14 Paula A. Treichler, « AIDS Narratives on Télévision : Whose Story ? », dans Writing AIDS, op.cit., (...)
- 15 Voir les positions insidieusement politiques et morales qu’a générées le discours sur la préventio (...)
8La spécificité des discours et des représentations du sida aux États-Unis se comprend par la liaison qui a été faite par leurs premiers producteurs avec la mise en péril du « rêve américain » et que la société américaine a entérinée, comme le montre le film Philadelphia dans sa présentation restrictive du sida13, socialement centré sur la leisure class blanche : la maladie ne tue pas seulement des individus, elle n’annihile pas qu’une culture marginale, aussi active soit-elle ; c’est la beauté, la facilité, la richesse qui sont défaites ; c’est, en d’autres termes, le « rêve américain » qui est brutalement remis en cause dans son principe, celui d’une liberté expansive où la libéralisation sexuelle s’est construite et où l’émergence de la communauté homosexuelle a pu se réaliser sinon être pleinement reconnue14. Une telle liaison de la production symbolique et idéologique sur le sida et du « rêve américain » n’est pas valide en Europe ; parce qu’elle problématisé d’emblée l’idéologie commune où fantasmatiquement la société nord-américaine se représente dans sa destinée continentale mais aussi planétaire, elle explique tout à la fois l’importance des discours et des représentations du sida aux États-Unis et le finalisme qui les travaille, par contagion avec la dynamique eschatologique du « rêve américain »15. En France, la finalité des discours et des représentations du sida est le plus souvent réduite au témoignage direct : seuls les sidéens, les séropositifs ou leurs proches sont habilités à témoigner de la maladie. Cette restriction, qui n’est pas toutefois sans être subversive a l’encontre des instances qui publicisent le sida (les politiques, les médias et les médecins), est à l’origine de la plupart des productions symboliques ou idéologiques sur la pandémie.
- 16 Arnaud Mercier, « Les médias comme espace scénique. Information sur le sida et émergence dans le c (...)
9Le critère du témoignage direct définit en fait un protocole problématique au sujet de la validité des représentations esthétiques du sida : œuvres de l’urgence, de l’intéressement au premier chef, elles n’ont de valeur qu’émotionnelle et spectaculaire (c’est-à-dire médiatisable16) ; elles ne peuvent prétendre à une saisie objective du sida, dont la compétence est ainsi restituée, une et entière, aux seuls spécialistes scientifiques et politiques, que les débuts de la pandémie avaient mis à mal dans leur magistère. Ainsi, parce qu’ils sont d’emblée dévalués dans leur pertinence objective et collective, les témoignages symboliques sur le sida doivent pour avoir une quelconque valeur être replacés dans les espaces traditionnels de la signification littéraire ou artistique, à savoir des espaces où sont revalidés les modèles symboliques antérieurs et leurs approches critiques :
- 17 Frédéric Martel « Guibert, Koltès, Copi : littérature et sida », dans Esprit, n° 206, novembre 199 (...)
Le sida est tout à la fois pour les écrivains un retour de la mort "jeune”, avec en filigrane les images de Rimbaud, Radiguet, Büchner, Huguenin, Crevel..., de la mort au quotidien, de l’extrême solitude et un dialogue incertain avec le désespoir. Il n’y a rien de positif dans une tragédie mais il faut bien raconter l’histoire de cette souffrance, notamment pour ceux, malades, qui sont en quête d’une mémoire collective 17.
10C’est donc la maladie qui crée une communauté de témoins, en même temps que leurs porte-parole autorisés – ici, les écrivains – inscrivent leur production dans la tradition littéraire des créateurs foudroyés en pleine jeunesse par la mort. On se rappellera que l’enjeu des testimonies nord-américains est à l’opposé de cette assignation de signification : il s’agit de sauver le sens de sa vie, l’essence d’un combat communautaire et, en dernière instance, la validité du destin fondateur de la société tout entière.
Discours des autorités et modèle testamentaire
- 18 Voir Dennis Altman, AIDS in the Mind of America : The Social, Political, and Psychological Impact (...)
- 19 Jean-François Sirinelli, Intellectuels et passions françaises (manifestes et pétitions an XXe sièc (...)
11Dès le début de la pandémie, les intellectuels nord-américains ont investi le sida comme objet légitime d’un débat devant la société, voire à son encontre18. En France, la désertion des intellectuels semble l’avoir emporté : au début des années 80, la disparition des grandes figures (Sartre, Lacan, Barthes, Foucault), l’arrivée de la gauche au gouvernement, en même temps que la délégation du pouvoir d’intervention publique et de critique de la part des intellectuels19, tout cela a entretenu le lieu vide de la parole sur le sida, où dominent les médecins et les membres des associations, seuls légitimes à prendre la parole.
- 20 Dans Le Nouvel Observateur, qui en fait la page de couverture de sa livraison du 30 octobre 1987 ( (...)
- 21 C’est pourquoi, en France, les hommes politiques prennent enfin en considération publique le phéno (...)
12Mon sida, de Jean-Paul Aron20, un des témoignages les plus marquants du moment, n’est pas une prise de position de l’intellectuel ; il sanctionne en fait un état déjà périmé – dans les faits sinon dans les discours – du modèle étiologique qui associe sida et homosexualité, puisque depuis 1986, la maladie a démenti de manière flagrante les sourdes espérances qu’elle ne toucherait que les personnes adonnées aux pratiques marginales de l’ordre sexuel et moral21. Ensuite, il procède du testament et il entérine, dans la mort du corps, la désertion des intellectuels sur la question du sida. Testament, le texte l’est dans sa construction même, où la journaliste, Elisabeth Schemla, a substitué à ses questions les mises en perspective des propos tenus par rapport à la carrière ou à la vie de Jean-Paul Aron et les didascalies d’une mise en scène des dernières paroles du sidéen : les premières comme les secondes performent la mort, les unes usant de l’imparfait ou du présent dit historique, les secondes restituant les moindres défaillances physiques ou les plus infimes marques qui creusent davantage encore le visage émacié du sociologue.
- 22 « Et puis, au bout du compte, voyez-vous, tous ces aveux me procurent un immense soulagement. C’es (...)
- 23 Voir Philippe Ariès, L’Homme devant la mort. 2 : La Mort ensauvagée. Paris, Seuil, coll. Points Hi (...)
- 24 Voir les quelques interventions médiatiques qu’Ana Paul a Fialho Lopes (« Du silence à “l’aveu” : (...)
13Revenu in extremis de la mort, Jean-Paul Aron ponctue l’entretien sur un télescopage doublement funèbre : son œuvre est interrompue ; puis, la caution de vérité de son aveu est située dans le souvenir de sa mère morte et le respect de sa mémoire22, dont l’évocation réalise ici, comme jadis dans les testaments, l’allusion sentimentale qui se manifestait souvent dans le choix de la sépulture, auprès du parent ressenti comme le plus proche23. Jean-Paul Aron teste non dans les bras d’un prêtre, mais d’une journaliste ; s’il souscrit aux nouveaux espaces de la parole (médias), qui se sont ouverts à la possibilité de la confession publique à mesure qu’a décru le rituel intimiste du confessionnal, il accepte, dans l’illusion du libre aveu, la domination des médecins sur le discours légitime et politique face au sida, en faisant appel à leurs intermédiaires que sont les agents de la presse écrite ou audiovisuelle. C’est au début de l’entretien, bien plus que par ses reproches lancés contre le silence de Michel Foucault sur la vérité de sa maladie, que Jean-Paul Aron s’expose en intellectuel dans la critique à l’encontre de la domination des médecins sur l’espace public du sida, en la travaillant au coin de l’histoire passée de la médecine et de ses apories internes. À cet instant, il est d’autant plus intellectuel qu’il ne peut faire entrer dans son analyse l’objection économique à cette domination ; économique, car le sida a permis de donner à bien des médecins ou des praticiens issus de disciplines afférentes (psychologues, assistants sociaux, ...} une raison sociale et professionnelle, notamment par leur recrutement dans des associations de lutte contre la pandémie, quand ils n’étaient pas à l’origine de ces structures subventionnées par l’État. Jean-Paul Aron n’objecte qu’un agacement à l’impossibilité où il se trouve de refuser un état de fait. Son analyse n’ouvre pas à une démonstration qui ferait la matière de l’entretien ; à une prosopographie intellectuelle succède l’exposition de la confession. Mon sida atteste et, de ce fait, le message testé perd en portée intellectuelle. Les autres intellectuels (Julia Kristeva, Jean Baudrillard, André Glucksmann, etc.) qui ont tenté une prise de parole en tant que tels sur le sida n’ont pas mieux réussi dès lors qu’ils ont été naturellement autorisés à dissocier leur prise de position du discours du témoignage direct24.
- 25 La Dernière Heure, le 27 janvier ; Grand Angle, le 31 janvier ; Le Nouvel Observateur, le 18 févri (...)
- 26 Ex libris, le 13 janvier (TF1), et La Marche du siècle, le 3 mars (France 3).
- 27 La Dernière Heure, 27 janvier 1993, p. 4, Cette dernière volonté est reprise à Cargo vie, Paris, L (...)
14Le protocole rhétorique et institutionnel du témoignage du sidéen, comme lieu testamentaire, se vérifie au-delà de l’intervention de Jean-Paul Aron qui n’en est, dans sa spécificité d’intellectuel, que le premier acteur français. À la suite de la parution de Cargo vie, en janvier 1993, Pascal de Duve est sollicité par plusieurs organes de la presse écrite25 comme par la télévision26. Dès le 27 janvier paraît, dans La Dernière Heure, un entretien avec le jeune auteur. La dernière question, qui, pudeur du journaliste, se veut abstraite dans l’évocation de la mort, Pascal de Duve la décode en la rapportant à sa disparition prochaine : « Je veux être placé dans un cercueil pas trop cher, incinéré sur l’air de la 3e de Saint-Saëns, avant que l’on procède à un enciellement de mes cendres, dispersées au vent »27. La rupture entre les attentes explicites de la question et la réponse qui leur est apportée replace l’entretien dans le cadre rhétorique du testament par la clausule des dernières volontés, dans le cadre moderne de l’inversion des référents religieux traditionnels, que connote l’enciellement des cendres, et dans la confiance affectueuse donnée aux proches :
- 28 Ibid. La dernière phrase reproduit texte l’affirmation posée dans Cargo vie, op.cit., p. 45. C’est (...)
Si ce qui m’arrive présente un intérêt quelconque, je souhaiterais alors servir d’exemple. Les témoins sont importants pour bien se rendre compte de ce dont il s’agit. Et pour mes frères d’infortune, je veux être un ambassadeur de l’espoir au pays du désespoir 28.
15La position exemplaire – entendue ici sans connotation autre que celle de l’objectivité de la représentation de soi – transforme le texte dont elle est la publicisation, à savoir Cargo vie, en un récit authentique, absolument véridique ; la leçon du livre, tout individuelle qu’elle soit, devient universelle : elle parle de moi, mais à tous et pour tous.
- 29 Voir Roger Chartier, « La pendue miraculeusement sauvée. Étude d’un occasionnel », dans Roger Char (...)
16La position de l’auteur en exemple sacrificiel a perdu dans son organisation rhétorique le lieu merveilleux de l’argumentation doctrinale du récit exemplaire qui se ponctuait jadis sur un miracle29 ; ce qui a ainsi disparu ou est pour l’heure impossible du fait létal du sida, à savoir la survie miraculeuse, est compensé par un protocole rhétorique nécessairement modernisé mais sans doute plus subtil : représenté comme récit exemplaire, le texte autobiographique du sida peut jouer de ses imprécisions, qui font tellement vrai et que le propos d’autorité vient gommer dans ses scories narratives les plus flagrantes. Le détail anecdotique lacunaire est subordonné à la leçon doctrinale, puisque la maladie est le gage de la véracité du récit, fût-il incomplet, incroyable, illogique. Ceci n’est possible que dans un espace de la représentation où le témoin malade est l’unique dépositaire de la foi de la parole posée.
Les isotopies du sida : Pascal de Duve
- 30 D’autres traces plus implicites peuvent en être trouvées, médiatement dérivées de cette dichotomie (...)
- 31 Ibid., p. 1 1.
- 32 Ibid . Voir aussi les pp. 87 et 92.
- 33 Ibid., p. 64. Le cas de Pascal de Duve n’est pas unique dans le fait de cette rencontre entre une (...)
- 34 Sur la pertinence objective de cette caractérisation du sujet comme sidéen ou, si l’on préfère, su (...)
- 35 Voir Paul a A. Treichler, « AIDS, Homophobia, and Biomedical Discourse : An Epidémic of Significat (...)
- 36 Si nous faisons ici explicitement référence au livre justement bien connu de Susan Sontag (AIDS an (...)
- 37 On trouvera dans Izo (Paris, Librairie Générale Française, coll. Le Livre de Poche, 1994 [1re éd. (...)
17Dans Cargo vie, Pascal de Duve répète, à divers moments, les précautions oratoires pour justifier le fait que son texte peut contenir, dans sa suite logique comme dans sa totalité sémantique, des contradictions. Celles-ci sont rapportées à l’évolution même de la maladie qui, de crise en rémission, fait osciller l’écrivain entre sa haine et son amour du sida30. Pascal de Duve le note : « VIH, c’est un peu toi qui écris »31 le « journal de bord » de ce voyage aller-retour du Havre aux Antilles. La consubstantiation de la maladie et du texte laconique et contradictoire par endroits est scellée dans l’identité générique que Pascal de Duve a reconnue d’entrée de jeu à son texte, « un journal de corps »32, et dans la nature de l’affection principale dont il est pour lors atteint, une encéphalopathie, la pathologie la plus spécifique du sida. Sous la forme de l’éclatement diariste de la conventionnelle continuité narrative – la seule forme possible pour mettre en mots l’expérience mortifère de l’indicible 33 –, l’auteur investit un genre convenu de l’écriture fragmentée. Mais il y a ici plus que la conformation à une convention littéraire et à sa liaison épistémologique avec le référent. Dans la relation quotidienne d’une décomposition du corps se lisent – palimpsestes du sujet sidéen34 – la quête d’une écriture spécifique par l’hybridité générique, qui est la cause de la fragmentation du texte, et la dé construction d’une culture littéraire et philosophique, qui n’est pas toujours nommément identifiée : la Bible, le Coran, Stefan Zweig, Emmanuel Kant, Franz Kafka, Rainer Maria Rilke, Georges Bernanos, Hergé, Charles Baudelaire, Sénèque, Michel Butor, François Maine de Biran, Louis-Ferdinand Céline, René Magritte, etc. Dans la référence implicite de son intertexte, le fragment retrouve plus sûrement encore le principe fédérateur de la double genèse du texte comme œuvre fragmentée et comme médiation d’une maladie cérébrale : à la page 37, sans guillemets, sans italiques, sans désignation propre, apparaît le titre du film de Zulawski, Mes nuits sont plus belles que vos jours (ou est-ce celui du roman de Raphaëlle Billetdoux d’où le film a été tiré ?). Occulte, l’occurrence justifie, telle une thérapeutique du mal par le mal, l’insertion de nombreux calembours, jeux de mots, chiasmes, polytotes, qui sont démultipliés par un réseau analogique plurilingue : il s’agit d’accroître les associations sémantiques comme pour combattre le rétrécissement du cerveau atteint par la maladie. Une telle prolifération des significations est non seulement homologique de la propagation du virus dans le corps35, elle est aussi fondatrice de la spécificité littéraire du sida qui se construit, par la métaphorisation36 débridée, un imaginaire acronymique ; celui-ci s’impose dans l’annonce cataclysmique du diagnostic avant de se recomposer à partir d’une alexie en un sigle de quatre lettres qui deviendra un nom commun37.
- 38 C’est ce que l’on peut inférer des réflexions de Pascal de Duve sur sa maladie dans Cargo vie, op. (...)
18Par cet imaginaire débarrassé dans un premier temps de toute ligature littérale, comme si le langage avait été pulvérisé pour n’être plus qu’un petit tas de lettres autonomes, le sidéen qui écrit fait l’expérience de la dissociation annihilante du reste de la communauté – linguistique et autre – des hommes, mais aussi de celle des malades, puisqu’il n’y a pas un sida qui soit identique à un autre38. Cette expérience traumatique force le sujet à toutes les étymologies en vue d’une logogenèse improbable où, supputée, se réalisera une communication inédite dans l’ordre des sensibilités marginales.
- 39 L’orage de vivre, op.cit., p. 87.
Les mots de ce récit seront des enfants horribles au sein du cosmos linguistique, baroudeurs marginaux pour l’expression de sentiments nomades et anarchiques. Aucune bride ne les retiendra, ils proliféreront délicieusement pour envahir des sensibilités autres que celle dont ils seront provenus. Parfois, leur opacité rendra plus précieux leur message, et en fera des tableaux abstraits de paysages magnifiques 39.
- 40 Cargo vie, op.cit., p. 110 ; voir aussi L’Orage de vivre, op.cit., p. 104.
- 41 Pour une analyse de la congruence de la première maladie rétro-virale avec un espace de représenta (...)
- 42 Cargo vie, op.cit., pp. 22-23.
- 43 Voir la retranscription de ce rêve que nous tenons pour fondateur de la genèse d’Izo, dans L’Orage (...)
19C’est ainsi par la création particulière d’une cosmologie du langage et, de ce fait, de la réalité qu’Zto, conte humoristique, est, en dépit de tout référent explicite, une métaphore de la séropositivité ; Pascal de Duve l’a affirmé en toute lucidité40. Rétro-virus41, le sida se donne d’abord comme une inversion de l’ordre naturel puisqu’il ne permet plus la préservation de la virginité devenue virale que par les moyens prophylactiques de l’artifice42. À la suite de ce renversement, Pascal de Duve brise la représentation qui, fondée sur la confusion étiologique entre la maladie et les « groupes à risques », avait pu grâce au sida naturaliser des discriminations sexuelles, économiques et sociales. Dans la même dynamique révolutionnaire, la genèse d’Izo est scellée dans la revendication d’une inversion cratylienne de l’acte d’écriture : le premier livre de Pascal de Duve est né d’un rêve, dont le référent est le tableau Golconda de René Magritte. Entre parenthèses, au centre de la transcription du rêve où « il pleuvait des messieurs en longs manteaux noirs et chapeaux melons », se trouve développée une conception platonicienne de l’écriture où, sur la chute onirique des personnages magrittiens, se superpose la descente souveraine des mots vers leur scripteur, élu pour ne les avoir pas choisis43. L’isotopie qui conjoint la genèse lexicale du conte et la transcription du rêve qui le fonde transforme la composition dIzo en une anamnèse globale pour en faire une expéirence autotélique, une expérience résolument moderne.
- 44 L’Orage de vivre, op.cit., p. 49.
Le monde des souvenirs est une ville où il est toujours minuit, et où le brouillard ne se lève jamais. Ville des reflets, non des couleurs. Ville des silhouettes, non des personnes. Ville des échos, non des paroles. Ville sans présent où je m’aventure témérairement pour faire du passé un futur écrit 44.
- 45 Sur le rapport génétique qu’entretient spécifiquement la littérature avec Paris, voir Walter Benja (...)
- 46 Izo, op.cit., p. 25 et p. 178.
20Conte éminemment urbain, Izo initie à une flânerie dans Paris45, avant de focaliser son exploration spatiale dans les lieux labyrinthiques de la modernité, que sont le supermarché et le métro46.
21A l’instar du texte fondateur de Guibert, dont la narration s’ouvre aux analogies magiques où se réalisent duellement la prise de conscience de la maladie et l’attente providentialiste du miracle qui trouvent une inclusion homologique dans la réalité moderne – le labyrinthe d’un jeu vidéo et celui du système sanguin –, Pascal de Duve avait entamé une chronique métropolitaine où se réalise l’association de la genèse d’Izo, comme conte onirique, et de son imaginaire souterrain.
- 47 L’Orage de vivre, op.cit., p. 73.
Je suis dans l’attente d’une attente plus précise, celle de quelque chose ou de quelqu’un. Une intuition me révèle même, maintenant, quels seront mes alliés dans cette quête d’une espérance ; à savoir les mots, qui dans leur apparition sur ces pages ne cessent de m’ensorceler, et le métro, qui non seulement a été le lieu de leur avènement mais l’a peut-être suscité 47.
- 48 Hervé Guibert, Le Protocole compassionnel, op.cit, , p, 130 : * le sida m’a fait accomplir un voya (...)
22Le lieu de l’écriture du conte est le lieu de son imaginaire. Primitivement d’abord, il faut noter que la forme générique du conte découle indirectement de la métaphore du sida, à savoir un trope de contiguïté temporelle qui va se métamorphoser en un espace onirique : par le sida, le malade fait l’expérience d’une plongée dans le temps de ses premières années ; c’est de la comparaison, placée au centre de la rétrospection, que le conte apparaît comme la forme contiguë d’un même effet régressif vers l’enfance48.
- 49 Le ludisme parodique ou l’analogisation burlesque ne sont pas rares dans les productions littérair (...)
23De l’homologie qui réunit la verticalité de l’apparition des mots et l’horizontalité du réseau métropolitain, procèdent bien d’autres qui réalisent la cohérence serrée d’Izo. Les incessants voyages d’Izo – le personnage magrittien qui a été conçu par Pascal de Duve – dans le métro sont toujours des expériences oniriques que, comme en écho, la composition du livre répète dès lors que tous les chapitres – à l’exception de ceux qui relatent la période religieuse puis politique d’Izo – se ponctuent par un rêve du narrateur, intimement centré sur la figure du personnage tombé du ciel, un jour de pluie. Amnésique et, par là-même, sans passé, le personnage de Pascal de Duve va combler cette redondante béance ontologique par son extraordinaire capacité de polyglotte et par le fait de l’énoncé narratif qui joue sur le double sens des mots. Ce dernier procédé instaure une profondeur, une verticalité sémantique tel un prodrome à la résurgence du passé d’Izo et telle une solution fictive à l’anéantissement du sujet par la prolifération du virus. Assurément liés aux modalités linguistiques qui génèrent l’humour49, les jeux de langage envahissent le texte par les figures de style – de l’oxymore à l’épizeuxe –, faisant de la lecture du texte une expérience dialectique du hasard et de la nécessité dans sa forme comme dans sa narration.
- 50 Izo, op.cit., p. 8.
24A la fatalité de la rencontre du narrateur avec Izo – « Si ce n’était écrit déjà, maintenant ce le sera »50 –, succède un enchaînement de multiples coïncidences dans les rencontres des autres personnages qui vont peupler le conte. Le jeu entre le déterminisme et le hasard est au centre de l’une des activités favorites d’Izo : téléphoner à l’étranger au hasard des premiers chiffres du numéro des plaques minéralogiques qu’Izo entrevoit depuis la cabine. À cette activation de l’aléatoire répond aussi l’épreuve de la probabilité infime que modélise Izo lorsqu’il inscrit en petits caractères son nom sur les billets de banque qui lui passent entre les mains avec l’espoir qu’ils lui reviendront un jour. De la sorte, Izo confère un destin au reliquat fiduciaire de la marchandise qui en est décisivement dépourvu à l’ère de la production industrielle :
- 51 Ibid., pp. 88-89.
Il attendait avec impatience le jour où il retrouverait, par hasard, une des coupures ainsi marquées, qui le ferait alors rêver à sa fantastique odyssée, de portefeuille en tiroir-caisse, de tiroir-caisse en porte-monnaie, de porte-monnaie en poche de jean, de poche de jean en cochon rose, de vieux cochon en soutien-gorge, de soutien-gorge en coffre-fort, de coffre-fort en caisse-éclair ; en raison de son incroyable destinée, Izo garderait ce billet en souvenir51.
25C’est en ce sens congruent qu’Izo collectionne les petits parasols chinois qui sont plantés sur les boules crémeuses des coupes de glace ; de même encore, il substitue à la collection des timbres-postes celle des tickets poinçonnés du métro. Dans ce sauvetage des objets insignifiants, il s’agit de préserver les voies incongrues du rêve et du voyage, en conférant aux emblèmes stéréotypés du quotidien une puissance mantique dont Izo fera l’épreuve : en même temps qu’il a commencé son apprentissage psittaciste des langues, il s’est évertué à singer les combinaisons quotidiennes de la vie mercantile, jusqu’au jour où l’improbable s’est produit :
- 52 Ibid, p. 122.
Alors que je me dirigeais vers la caisse, j’ai croisé un homme dont le caddy, rempli à ras bord, contenait exactement les mêmes articles que le mien, donc tout aussi chargé. Oui. C’est extraordinaire, n’est-ce pas ?[...] Nous sommes donc allés boire un verre ensemble, lui, la caissière et moi ; au bistro je leur ai fait, sur un carton de bière, la démonstration mathématique de la probabilité infime d’une telle coïncidence, non seulement sur base du nombre impressionnant d’articles que contenaient les deux caddies (chaque denrée emportée diminuait sensiblement les chances d’un recoupement parfait), mais aussi en tenant compte de la fréquence d’achat très peu élevée de certains objets – comme la brosse de cabinet, choisie, qui plus est, dans le même coloris [...]52.
- 53 Ibid., p. 134. Sur l’empathie du flâneur avec la marchandise, voir Walter Benjamin, Paris, capital (...)
26La coïncidence vient surprendre le personnage flâneur qu’est Izo dans son empathie avec la marchandise53 comme pour en déjouer les sortilèges identificatoires, de la même façon que son espoir de retrouver un billet de banque qu’il a marqué viendrait rompre le pouvoir métonymique de la monnaie avec ses utilisateurs, à l’instar du « vieux cochon » qui, tirelire devenu, se rend auprès des prostituées. Ces épisodes sont paraboliques d’une intentionnalité constante chez Pascal de Duve : la communication spécifique d’une individualité et de ses sentiments frappés au coin de la marginalisation sans exemple par suite de son sida, qu’il attend de tout récit qu’il écrira, ainsi qu’il l’a posé décisivement dans L’Orage de vivre.
- 54 Ibid., p. 40 et p. 165.
- 55 Ibid., p. 188.
- 56 Ibid., p. 95.
27Au réseau souterrain de la signification des mots, auquel conspire l’humour du conte, auront répondu les allées et venues d’Izo dans le métro, passant de la surface de la ville pour plonger dans le labyrinthe étouffant d’une galaxie de stations, « petits mondes lumineux perdus dans l’immensité noire », tels des « étoiles »54. C’est la quête d’Izo – à travers l’expérience décevante des successives croyances et philosophies politiques – qui renverse l’isotopie horizontale connotée et construite à partir du réseau inspirateur du métro pour en faire un réseau d’associations verticales, déglué des analogies du signifiant comme des liens mercantilistes de l’échange, au moment où il lui est enfin donné de recevoir sa « révélation », vécue comme une « réminiscence »55 idéaliste. L’hypothèse d’un ensemble d’univers qui, strictement identiques, seraient emboîtés les uns dans les autres selon une échelle de grandeur décroissante56, préparait le renversement des axes d’associations pour énoncer une cosmogonie allusivement présocratique où Izo retrouve le souvenir de sa naissance, alors qu’il dépérit irrémédiablement :
- 57 Ibid, pp. 186-187.
Suivait alors un récit tout à fait désopilant, évoquant une "Mer des Origines qui seule, le Premier Jour, avait connu un Hier”, et de laquelle Izo serait sorti "tout petit et tout ruisselant, en long manteau noir et chapeau melon assorti” ; heureusement que sur la plage, “papa et papa attendaient, très grands, en longs manteaux noirs-et chapeaux melons assortis’’ ; [...] ensuite, Izo aurait grandi “dans une maison aux fenêtres éclairées” à un endroit “où l’azur de midi surplombait une éternelle obscurité de minuit”, parce que “la lumière et l’ombre ne se fréquentaient pas” s’échangeant uniquement “un vent vertical où se croisaient une odeur épicée de nuit d’été et un parfum frais de printemps” ; Izo confessait aussi avoir été “un enfant difficile” qui "horrifiait parfois posément papa et papa en leur disant, je crois que je vais être méchant ; oui”, et auquel “papa et papa" racontaient alors, pour l’effrayer, "ce qui se passait dans le château maudit” qui était “situé sur le sommet d’un rocher accroché dans le ciel au-dessus de la Mer” ; dans une de ses salles immenses, “sous un ciel menaçant, une forêt de quilles hostiles bordait une grève inquiétante sur laquelle galopait désespérément un jockey perdu, affolé de ne pas apercevoir la fin du chemin” ; dans l’espace adjacent, “un homme venait toujours d’égorger une femme”, et avant de reprendre sa valise et son manteau et son chapeau déposés sur une chaise, “s’attardait tragiquement en plongeant rêveusement son regard dans les profondeurs d’un grand grammophone aphone” ; dans une troisième pièce, “des messieurs en noirs n’en finissaient pas de danser avec des femmes pour les tuer d’épuisement”, sur un air "macabrement muet” 57.
- 58 Lee Edelman, « The Miror and the Thank », art.cit., p. 16. À noter que le correspondant « réaliste (...)
28A la figure maternelle réduite à une mythographie archaïque se trouve associée l’expérience (traumatisante) de l’enfant Izo, menacé d’une réclusion dans le « château maudit » dont « papa et papa » le menacent s’il advenait qu’il ne soit pas sage : ce lieu-gigogne du conte est meurtrier à tout être féminin. La généalogie à rebours d’Izo, qui associe scène primitive et mythes archaïques, emboîte, dans sa déconstruction apparemment ludique, la mythologie du sujet sidéen homosexuel : elle reconstitue en fait le mythe des origines dans une version fortement indexée par l’expérience initiatrice (et contaminante) de la sodomie passive, qu’il faut entendre ici comme une perturbation du pouvoir masculin, confirmée par la mythification de la Mère et l’élimination de toute figure féminine concurrente. Toutes les autres femmes sont évincées par l’inversion de la scène archaïque de la castration, avec en intertexte le conte de Barbe-Bleue. Par le substrat de la sodomie passive, la généalogie d’Izo raconte in fine les origines de la pandémie du sida. Comme rétro-virus, le sida – étiologiquement lié à l’inversion – a ouvert à une mythologie à rebours des récits fondateurs, à commencer par celui de Sodome et Gomorrhe58, qu’enrichissent les associations plus scientifiques entre le lieu de l’origine humaine et le lieu d’apparition vraisemblable du virus, l’Afrique.
- 59 Voir Joseph Lévy et Alexis Nouss, Sida-fiction, op.cit., p. 194.
- 60 De la sorte, se comprend la citation, reprise à Nietzsche, qui ponctue Cargo vie : « je t’aime, ô (...)
29Le récit de la naissance d’Izo est intimement compensatoire de la mort prochaine du sujet sidéen ; dans le non-dit des images, celui-ci s’y déculpabilise, en se retranchant des malades qui le sont par une sexualité débridée, telle qu’elle est connotée par la course du jockey. Par les formes allégoriques du conte, Pascal de Duve instille, dans l’évocation sublimée de sa contamination, l’espoir : la tension intrinsèque59 au mythe des origines fanstasmatiquement revisitées prétend sauver le futur au nom d’un passé fictivement modifié ; autrement dit, si le passé est changé, le futur ne pourra – au nom de la loi de nécessité – qu’être plus autre, éternel60. C’est ainsi que se construit la fin d’Izo qui mêle désespoir et espoir, avant de les fondre par un ultime renversement, doublement linguistique (verlan et passage du français au grec ancien).
- 61 Izo, Op.cit., p. 192.
Izo, en verlan, ça donnait Zo-i, Zoé, la Vie. À la pluie devenue serrée, oblique, sonore, se mêlèrent, sur mon visage qui essayait de sourire, des larmes salées, chaudes, de celles qui vous surprennent les joues en chatouillant 61.
30La mort d’Izo, à égalité escomptée avec celle de Pascal de Duve, est investie intentionnellement d’un message d’espoir qui est cohérent avec la genèse de l’œuvre et avec sa réalisation par un jeu de combinatoires inversées et plurilingues. L’occurrence du récit généalogique d’Izo transforme la fin du livre de Pascal de Duve en une histoire du commencement.
- 62 Ibid., p. 188.
- 63 Ibid., p. 170.
- 64 Ibid, p. 184.
- 65 C’est le constat de Joseph Lévy et d’Alexis Nouss, Sida-fiction, op.cit., p. 35, posé à la suite d (...)
31Apocalypse à rebours, la disparition volontaire d’Izo scelle la vérité de sa « réminiscence » : « la relativité de la réalité », « le sérieux de l’imaginaire », la « rêvité »62. Le parcours religieux et philosophique d’Izo, qui s’est résolu dans sa « révélation », est rapportable à l’expérience du sida, comme apocalypse de la beauté intensive de la vie, désormais comptée. La fin d’Izo – tragique et consolatrice – formalise, dans la tangence de la mort et de la vie, les conditions spécifiques du sida, comme choc cataclysmal et comme expérience paradoxalement vivifiante. Par sa maladie, le sujet sidéen retrouve une perception intacte, vir (gin) ale, démultipliée et désentravée des formes isolantes et immanentes de la perception moderne. Izo meurt d’une émotivité naïve (au sens latin), de l’absolu du bonheur, actualisation du pouvoir apocalyptique du sida63. Aussi, la déréliction qui le consume est paradoxalement la bienvenue pour libérer Izo de ses flâneries dans les supermarchés où il se livre à la magie de la consommation : dans l’excès de l’empathie qui le voue aux solutions mélancoliques64, il se détache des produits marchands. Ce désinvestissement est la métaphore de la séropositivité génétique du conte : l’état de latence du sida induit, chez la plupart des sujets atteints, une perte de la libido qui est homologue à65 la mobilité sexuelle dans sa référence à la circulation de l’argent.
- 66 Voir Rainer Rochlitz, Le Désenchantement de l’art. La philosophie de Walter Benjamin. Paris, Galli (...)
- 67 L’Orage de vivre, op.cit., p. 77.
- 68 Izo, op.cit., p. 60.
32De la sorte se comprennent les expériences religieuses et politiques d’Izo, même si elles ont été sanctionnées par un désintérêt. Il s’est agi de retrouver les formes cultuelles abolies, qui faisaient de l’échange entre les hommes des expériences intactes et qui réconciliaient le présent et l’avenir dans la dédramatisation66. Finalement, la révélation d’Izo et sa généalogie mythique réconcilient le sujet dans l’utopie fictive du conte. Toutefois, bien avant cela, la flânerie du personnage de Pascal de Duve au sein du métro parisien avait réalisé la fusion des extrêmes et des contraires, entre minuit et midi, sous le sceau d’une éternité : les errances d’Izo dans le métro parisien étaient un voyage des origines, d’où allait procéder la réminiscence de la maison de son enfance entre l’azur de midi et l’éternelle obscurité de minuit. La chronique métropolitaine de Pascal de Duve l’assertait : « Ces pages sont comme le musée mouvant d’un vécu toujours vivant »67. Izo répète la sentence dans les mêmes mots68.
33Ce réseau d’analogies textuelles transforme les différents écrits de Pascal de Duve en paraboles d’une même intentionnalité testamentaire. Autre versant du récit des origines revisitées, le testament est au centre de cette finalité éthique, qui se réverbère dans la genèse fondatirce dIzo. Le personnage de Pascal de Duve trouve son origine dans la pluie, qui a préludé à son atterrissage dans les jardins du Luxembourg, le lieu qu’il choisira pour sa disparition définitive. Dans les journaux du matin, Izo avait associé symboliquement sa prédilection pour la lecture des prévisions météorologiques à celle de la nécrologie. De la rencontre de cette double prédilection surgit l’association de la mort avec la vie. Sur le cargo qui l’a emmené aux Antilles, Pascal de Duve fait la rencontre du météorologiste du bord, qui l’initie à ses pratiques favorites, où se rejoue, dans le non-dit, la genèse d’ Izo, comme personnage éponyme mais aussi comme message du conte :
- 69 Cargo vie, op.cit., p. 99.
Le météorologiste m ’a expliqué que c’était lui qui lâchait, tel un colombophile futuriste, ces sphères gonflées à l’hélium. Après avoir parfois, comme pour échapper à leur destin, rasé les flots [...], ces ballons, acculés par l’hélium, ce gaz plus léger que l’air, s’envolent irrésistiblement vers le ciel du ciel. Vingt-cinq mille mètres au-dessus de nous, ils éclatent, non sans avoir transmis, en guise de testament, les données météorologiques servant la navigation 69.
- 70 Ibid., p. 47.
34De la comparaison des gaz à la redondance superlative du ciel, se redit le renversement des isotopies horizontales – l’errance dans le métro pour Izo et la croisière de Pascal de Duve – vers une verticalité : « La Vie est une immanence transcendante ; la Mort est une transcendance immanente »70.
- 71 Ibid., p. 46.
- 72 Ibid., pp. 56-61.
35Cargo vie se donne dans sa littéralité comme un testament71, intentionnalité qui est spécifiée dans la lettre à Nicole72, passagère du cargo qui descendra aux Antilles : dans cette missive, Pascal de Duve répète les mots et le protocole rhétorique de la confession testamentaire, en cela qu’elle associe l’aveu de la maladie et subrepticement celui de l’amour des garçons. Cet acte est hautement juridique : puisque c’est la société qui est malade d’elle-même, la confession du sida confère le droit au secret. Dévoilement particulier et occultation collective, la lettre à Nicole reproduit le même principe isotopique dans son renversement : message privé, elle est rendue publique par l’édition même du journal de Pascal de Duve : ainsi sa mort doit conserver les conditions de l’espoir.
- 73 Ibid., p. 94.
- 74 Corps à corps, op.cit., pp. 178, 182 et 188.
- 75 Notamment dans À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, op.cit., pp. 192-193 : « C’était certes une ma (...)
36Espoir dans la vie au moment à peine différé de mourir, l’œuvre de Pascal de Duve travaille les associations multiples d’un réseau isotopique commun pour énoncer toujours la même foi, validée dans la cohérence textuelle et finalement générique des divers écrits qui la professent. Toutefois, l’intentionnalité excède et subjugue les formes de son édiction. De tels liens hautement génétiques sont homologiques de l’empathie paradoxale de Pascal de Duve avec le sida : seul le sujet sidéen, qui est par sa phase terminale dégagé des servitudes éthiques, peut clamer l’obscène et l’indécent, son amour du sida73. Cette position empathique n’est pas isolée, d’Alain Emmanuel Dreuilhe74 à Hervé Guibert75. L’urgence amène Pascal de Duve au refus des enchantements littéraires : il n’a pas le temps de faire œuvre d’écrivain, il n’en a pas la prétention. Décisivement, il se pose comme le scripteur d’un mal, comme l’écrivain sans vanité de sa maladie, pour revendiquer la position hétérogène à son médium : celui d’exemple. S’il doit compter dans les lettres françaises, ce n’est pas par ses talents, mais par son message. De ce fait, il a résolument déplacé le lieu de la reconnaissance de son œuvre : ce n’est pas à l’aune des critères littéraires qu’il faut la juger, mais bien à celle de l’exemplarité éthique.
- 76 L’Orage de vivre, op.cit., p. 116,
Moi, je ne suis qu’un petit écuyer, mais j’admire les nobles chevaliers de la vie. Ce n’est pas des tribunes mais du haut du toit des étables que je regarde s’affronter ainsi la Vie et la Mort. Toutefois, Gandhi l’a dit : “On devient ce que l’on admire". Le jour de mon adoubement adviendra-t-il un beau matin ? Cette grâce serait la plus belle de celles dont je peux rêver. Et je sais déjà quelles seraient mes armoiries : celles du courage, de la combativité et de la vie 76.
- 77 Voir Joseph Lévy et Alexis Nouss, Sida-fiction, op.cit., p. 28.
37Cette position ouvre à l’écrivain les voies de la double représentation éthique : celle de la vérité des maux décrits et celle du message professé, exemplaire et intermédiaire. Une telle finalité débarrasse le texte des médiations à fort pouvoir de littérarité qui sont comprises dans l’énonciation : du témoignage engagé à la fiction, l’auteur s’estompe dans la cruauté de sa présence pour apparaître au fil de sa narration, plus ou moins romanesque, comme le narrateur mandataire, l’exécuteur testamentaire de la mémoire de vies, plus ou moins réelles, plus ou moins proches. Même si elle demeure, pour certains de ses produits, de l’ordre de l’intentionnalité77, la littérature du sida entretient un lien spécifique, à hauteur de la singularité de la maladie, avec les formes littéraires, qu’elles soient génériques ou stylistiques. De ce fait, le témoignage sur le sida échappe à la mimesis conventionnelle et aux schèmes usuels de la métaphorisation ; elle déporte radicalement son produit des conventions. Ceci explique duellement le fait que certains témoignages sidéens ne soient pas admis à la reconnaissance littéraire et que soit déniée, par la critique, la véracité probable d’une spécificité d’une littérature du sida.
Le réseau littéraire du sida : Le Monde et ses critiques
- 78 Voir le collectif dirigé par Douglas Crimp et Adam Ralston, AIDS Demo Graphics. Seattle, Bay, 1990
- 79 Frédéric Martel, « Guibert, Koltès, Copi », art.cit., p. 167a.
- 80 Joseph Lévy et Alexis Nouss, Sida-fiction, op.cit., p. 47 et p. 112.
38Plusieurs travaux nord-américains ont mis en avant et analysé comment le sida avait permis, dans sa symbolisation, l’émergence rapide de jeunes artistes : leur reconnaissance profite de la haute légitimation aux États-Unis du postmodernisme, auquel est rapportée leur production iconoclaste. Elle a par ailleurs la fulgurance du mal qui les atteint, tout en étant encore accélérée par l’effet conjoint de leur engagement auprès d’Act Up, et de leur critique de la politique intérieure américaine78. À l’inverse, cette émergence a été entravée dans sa possibilité comme dans sa reconnaissance par la critique en France. En ce qui concerne la production littéraire sur le sida, sa réception critique est captée par un « petit monde »79, dont il pourrait être malséant de dire le tout des liens objectifs qui le réunit, d’autant qu’il associe souvent artistes et critiques. Le petit monde littéraire du sida rencontre un autre phénomène, intrinsèque à la pandémie – Alain Emmanuel Dreuilhe en a fait la matrice de sa métaphore guerrière contre le sida : le réseau serré des sidéens, soudés par le « secret qui tient d’une appartenance quasi initiatique et se nourrit de la difficulté d’en communiquer la teneur », mieux, « par sa nature sélective, le sida renforce le sentiment d’appartenance communautaire et d’une identité sociale spécifique »80.
- 81 Paris, Christian Bourgois, 1988.
- 82 Paris, Maren Sell, coll. Document, 1989.
39La plupart des critiques en charge de la littérature sur le sida sont aussi les producteurs de cette littérature légitime, à l’exemple – admirable, faut-il le dire ici ? – de René de Ceccatty, collaborateur régulier au Monde et à la Quinzaine littéraire, qui a publié en 1994 L’Accompagnement, la chronique de l’assistance qu’il a donnée, en les derniers mois de sa maladie, à un ami sidéen dont il assurera la publication posthume de la dernière œuvre. Cet ami était aussi critique littéraire. René de Ceccatty est également le traducleur pour Actes Sud de Cachafaz de Copi – de son vrai nom, Raul Damonte –, mort de cette maladie qu’il met en scène dans Une visite inopportune 81. Plus hégémonique est la position d’Hugo Marsan, critique littéraire au Monde mais aussi l’auteur de La Vie blessée. Le sida, l’ère du soupçon82 ; par sa raison professionnelle et par ce livre, qui échappe à la sphère des spécialistes et qui embrasse immédiatement le sida comme un phénomène social et humain, Hugo Marsan a scellé doublement sa position de critique autorisé : il connaît la littérature ; il connaît le sida dans sa réalité, autre que celle, plus ou moins fantasmagorique, de sa mise en écrits. Dans Le Monde du 21 avril 1993, Hugo Marsan signe l’article nécrologique sur Pascal de Duve : d’emblée, il méconnaît Izo, comme métaphore de la séropositivité ; à ceci, il ajoute de nombreuses critiques négatives à l’encontre de Cargo vie, avant de conclure :
- 83 P. 15.
On regrette qu’il [Pascal de Duve] n’oppose pas à la cruauté de la maladie la cruauté de la révolte qui lorsqu’elle sourd entre deux soupirs exprime enfin l’essentiel : “Petit à petit, le vautour fait son nid”. Un enfant pleure sa mort. Il en écrit le chant solitaire. Cette leçon des ténèbres devient alors le meilleur du livre83.
40Hugo Marsan fait passer deux éléments convergents dans la méconnaissance de l’œuvre de Pascal de Duve : le critique fustige le principe propre à l’écriture du jeune auteur, à savoir l’analogie des isotopies, et il rejette dans les marges aphasiques le sidéen trop inexpérimenté pour exprimer son sida dans les formes. En France, les deux axes de la reconnaissance littéraire du témoignage sur le sida sont précisément induits à partir des normes littéraires traditionnelles et d’un conflit de générations entre les auteurs (critiques) nés avant 1960 et leurs cadets.
- 84 Raymond Bellour, « Trompe-la-mort », dans Magazine littéraire, n° 276, avril 1990, p. 54 b.
- 85 Paris, Seuil.
- 86 Raymond Bellour, « Double jeu », dans Magazine littéraire, n° 292, octobre 1991, p. 84b.
- 87 Le premier est publié chez Régine Desforges ; le second chez Jacques Bertoin.
- 88 C’est par exemple le cas de Cyril Collard dont l’œuvre littéraire a été reconnue par la critique, (...)
41La reconnaissance de la spécificité d’une littérature française du sida a été entravée par l’« effet Guibert ». La critique littéraire ne reconnaît pas, dans À l’ami qui ne m ’a pas sauvé la vie, une rupture dans l’œuvre. Au contraire, le sida survient comme un accident pour porter plus loin la dynamique intentionnelle dont les récits antérieurs avaient été le résultat. C’est la lecture de Raymond Bellour, qui a fait la recension de la plupart des livres de Guibert pour le Magazine littéraire 84 : le sida vient aiguiller un projet d’écriture développé par les livres antérieurs ; le sida ne brise pas la cohérence interne de l’œuvre. Pour preuve de cette continuité : Mon valet et moi, paru en 199185. Le Moi du narrateur, un octogénaire riche et affaibli par l’âge, pourrait être une projection physique de l’auteur sidéen. Mais, quoi qu’il en soit de cette possible lecture86, l’occurrence du roman de Guibert confirme que le sida ne met pas un terme au projet fantastique ; au contraire d’une production unilatéralement centrée sur la maladie, Mon valet et moi est inclus dans une construction d’ensemble, où, au moment de faire œuvre, Guibert republie La Mort propagande (1977), assorti de textes de jeunesse, et il remet en ordre Vice87. Toutefois, c’est dans la chronique de son sida – Le Protocole compassionnel – que l’auteur situe ce travail de réédition ou d’exhumation d’inédits : mise en ordre, triage des manuscrits en vue de leur édition contrôlée du vivant de leur auteur, pour éviter la dérive éditoriale dont les inédits de Michel Foucault ou de Roland Barthes [Incidents] ont été l’objet, comme s’en inquiète Guibert dans À l’ami qui ne pas sauvé la vie. L’existence d’une œuvre antérieure conséquente permet ainsi de saisir la chronique du sida dans une uniformité d’ensemble, dont il est possible de tracer les lignes de forces et de scruter le principe unique de construction. Un tel protocole critique empêche d’emblée la reconnaissance du texte sur le sida qui serait l’œuvre unique de son auteur ou qui ne s’appuierait pas sur des antécédents littéraires ou artistiques88.
- 89 Frédéric Martel, « Guibert, Koltès, Copi », art.cit., p. 173b.
42La littérature française sur le sida n’aurait pas un style propre, n’aurait pas engendré un genre nouveau, n’illustrerait pas des modèles originaux à hauteur de la spécificité de la littérature. Le sida serait tout au plus un thème89. L’enjeu de cette taxinomie négative déporte la production littéraire sur le sida vers la littérature dans la fonction usuelle qui lui est dévolue, et partant, vers sa critique traditionnelle qui ne doit pas interroger ses modèles d’analyse et de jugement.
- 90 Paris, Librairie Générale Française, coll. Le Livre de Poche, 1988 [1re éd. Paris, Grasset, 1987], (...)
43Lorsque Dominique Fernandez fait paraître La Gloire du paria en 1987, la critique française salue ce roman comme la première pénétration du sida dans la littérature. Aux premières pages du livre se réalise la rencontre subjective qui commande la diégèse, fortement idéologique par ses dialogues d’idées 90, entre la mort de Jean Genet et les débuts de la pandémie en France. À travers la mort de Jean Genet s’opère, dans une littéralité immédiate, la liquidation des anciennes représentations de la vie homosexuelle dans la France d’après-guerre, fondées sur une clandestinité souvent criminalisée et sur une organisation en ghetto.
- 91 Ibid., pp. 16-17.
Genet est le dernier témoin de l’époque où le choix de certaines mœurs te vouait presque obligatoirement à la révolte, à la délinquance, au mal. Son génie a consisté à faire flamboyer une dernière fois les magiques associations du sexe et du sang, de l’amour et de la mort, de la beauté et de la malédiction. Mais, du point de vue historique, Bernard, c’est un génie attardé, le poète d’un monde disparu. Si les circonstances personnelles expliquent qu’il n ’ait jamais pu accepter sa condition d’enfant trouvé, de bâtard, de souffre-douleur des hospices, ni toi ni moi, aucun de nos amis n’a plus le droit de se croire, maintenant, un rebut de la société, un paria 91.
44Autrement dit, les habitus fantasmatiques qui sont attachés aux homosexuels par leurs représentants en littérature, n’ont plus cours : un mode de vie nouveau – surtout parisien – paraît dominer, fait de liberté et de reconnaissance, de visibilité et de dignité.
- 92 Ibid, p. 24.
- 93 Ibid, p. 69.
- 94 Joseph Lévy et Alexis Nouss, Sida-fiction, op.cit., p. 100,
- 95 La Gloire du paria, op.cit., p. 139.
- 96 Sur celle dichotomie entre les innocents et les coupables dans la contamination par le sida, voir (...)
- 97 Sur les perversions de la raison, dans le livre de Dominique Fernandez, comme chez d’autres auteur (...)
45L’apparition du sida réactualise la marginalité honteuse des homosexuels ; elle relégitime, dans l’urgence d’une actualité paniquée, les instances détractrices de l’homosexualité : les médecins et les porte-parole de la morale chrétienne, alors que la libération sexuelle avait marqué l’obsolescence de leurs positions rétrogrades ou infamantes : « Quatre millions de Français, donc, s’étalent réveillés heureux de vivre, forts, prêts à clouer le bec aux cagots de la morale, de la religion et de la médecine »92. L’éclosion de la pandémie rouvre les voies de la structuration sociale des homosexuels sur le mode de la « franc-maçonnerie secrète », travaillée par le sentiment identificateur sinon fédérateur de « porter en soi les signes d’une élection mystérieuse qui vous met à part et au-dessus des autres »93. Bernard, écrivain reconnu, se révèle séropositif. Il n’a pas contaminé son jeune amant, d’origine sicilienne. Le roman introduit une ellipse profonde dans sa dié – gèse : le lecteur ne sait rien de la période de latence, de séropositivité non active du héros ; passant d’un chapitre à l’autre – le dixième –, il est projeté du temps de la santé du héros, vers celui de sa maladie en phase terminale. Autrement dit, Dominique Fernandez expose le sidéen dans l’horreur acceptable de sa mort prochaine. Puis, pour la mise en scène du suicide final, le jeune amant en a choisi la date à la suite d’un calcul d’horoscope, c’est-à-dire que le suicide vient détourner l’inéluctabilité d’une pathologie par les oripeaux d’une « fatalité astrologique »94. À cette exposition du déni, Dominique Fernandez ajoute la révélation rédemptrice de la moralité de son héros : ce n’est pas dans les turpitudes des backrooms que Bernard a contracté le sida, mais lors d’une transfusion de sang à la suite d’un accident de chasse. Dès cet instant, il est « innocenté »95. Dominique Fernandez entérine ici, dans l’implicite, une dichotomie qu’allaient activer les procès du sang contaminé en France et qui distingue les victimes innocentes (transfusés, hémophiles, nourrissons contaminés par leur mère lors de la gestation) et les victimes coupables de leur état par leur sexualité hors norme, par leur profession de prostitué(e) s, par leur toxicomanie ou par le fait que, puisqu’ils sont Africains, ils auraient une sexualité sauvage96. Ici se marque clairement la discordance entre l’intentionnalité didactique du roman, comme une élucidation rationnelle de la maladie97, et la construction fictive du héros, par laquelle transitent certains des arguments du rejet des sidéens, agents d’une pestilence incontrôlable du fait de mœurs ou de pratiques déréglées. Au nom de son ami, Marc refuse la solution qui innocente Bernard.
- 98 Dominique Fernandez, La Gloire du paria, op.cit., p. 141.
Il a besoin de se dire qu ’il est abandonné par tous, que le monde lui est hostile et qu ’il meurt en paria. Si vous lui ôtez cette conviction, vous enlevez tout sens à sa maladie, et il mourra vraiment désespéré. [...] Le sida a été pour lui quelque chose de... de providentiel, qui l’a réconcilié avec lui-même. Après s’être éparpillé à la poursuite du bonheur, de la réussite, il a retrouvé son unité, sa vérité profonde dans la maladie, l’exclusion, la solitude, le secret 98.
- 99 De ce fait, Dominique Fernandez oblitère un fait, qui s’est confirmé après 1986 : le sida a été l’ (...)
- 100 La Gloire du paria, op.cit., p. 80 : « Marc remarqua que Bernard avait posé cette question nulleme (...)
- 101 Ibid., p. 90.
46Bernard qui appartient à la génération des homosexuels qui ont dû vivre leur sexualité avant la libéralisation des mœurs et la reconnaissance des droits des gays, retrouve dans le sida son unité identitaire qu’il avait perdue avec la reconnaissance morale et juridique – toute relative – du fait homosexuel, et par laquelle il s’était constitué en paria de la société99. Mais, par cette réconciliation dont la possibilité passe par l’attente messianique des pratiques du rejet séculaire et par l’amour du virus, et que l’énonciation ne vient désamorcer que par les auxiliaires de l’apparence ou par le « on » de la conscience collective vide100, Dominique Fernandez parasite la finalité de sa diégèse didactique : dans l’évidence induite que la maladie ne se transmet pas par des pratiques à risques et qui, en usant des termes de groupes à risques, souscrit au modèle étiologique dominant, il célèbre l’annonce que les homosexuels sont enfin « redevenus une population à risques »101, avec la joie réconciliatrice de se retrouver voués à « l’intolérance ».
- 102 Ibid, pp. 97-98.
47Autre produit littéraire inclus dans le roman, la pièce que Bernard projette d’écrire et qu’il ne finira pas. Contre l’avis de l’un de ses amis, il fait du sida sa matière : « Pas de littérature sur une réalité aussi horrible, [...] Le sida est mortel à 100 pour 100 des cas. Tu n’as aucune chance d’en réchapper. L’intérêt dramatique d’un tel sujet est nul »102. Le lyrisme est la contrepartie, l’alibi esthétique de l’infraction idéologique à l’étiologie mathématique. Il s’agit alors de parer l’horreur. L’esthétisation, où la forme lyrique soutient la visée nostalgique, apparaît comme la voie légitime de la littérature sur le sida et le gage de sa reconnaissance littéraire.
- 103 Paris, Gallimard, 1990.
- 104 Au sens que lui confèrent les analyses, convergentes pour notre propos, de Joseph Lévy et d’Alexis (...)
48C’est par l’identification implicite des mêmes conventions esthétiques que Hugo Marsan célèbre Les Quartiers d’hiver de Jean-Noël Pancrazi, collaborateur au Monde. Pas moins que le roman de Dominique Fernandez, celui de Pancrazi103, hautement consacré par le Prix Médicis 1990, s’énonce comme une défaite devant la maladie, dans ses formes qui souscrivent à la légitimité littéraire et qui « nient » le sujet du livre : le sida n’est désigné que par les périphrases – « le mal mauve » – qui l’esthétisent, à hauteur du lyrisme nostalgique qui construit tout le roman. L’insertion constante de longues incises épaissit le temps dramatique d’une pandémie qui exige, éthiquement, l’urgence ; de telles assimilations de caractérisations nostalgiques ouvrent la voie à l’expression d’une mélancolie diffuse que spécifie le titre posé comme le blason d’une déroute face au mal. Pleinement compensatoire104, le roman de Jean-Noël Pancrazi est empathique de la pandémie : il se refuse les illusions du combat, le messianisme d’un vaccin, le prophétisme de la métaphore vive ; il se plie aux lacis mélancoliques d’un lieu rivé, oxymore de la drague, de la désertion et du départ définitif : la boîte de nuit Le Vagabond, qui apparaît comme le quartier général d’une guerre perdue d’avance et qui sera vendue à la fin. N’est-ce pas pour toutes ces « bonnes » raisons esthétiques, qui priment sur l’éthique, que le roman de Jean-Noël Pancrazi a été récompensé par un prix littéraire prestigieux ? Premier roman du sida à recevoir une telle récompense, Les Quartiers d’hiver sont spécifiquement littéraires, débarrassés de toute intentionnalité éthique ou vériste : ils sont pleinement la fanstasmagorie acceptable d’une maladie horrible.
L’espace éthique ou le purgatoire du sidéen
- 105 Voir Les Quartiers d’hiver, op.cit., p. 93, coll. Folio, 1992.
- 106 Ibid., p. 44.
- 107 Michel Vovelle, Les Âmes du purgatoire ou le travail du deuil Paris, Gallimard, coll. Le Temps des (...)
49Au labyrinthe feutré du temps mélancolique105 s’opposent les expressions triviales ou marginales du labyrinthe moderne : trivialité du cargo de Pascal de Duve, par comparaison avec le bateau aux fortes connotations exotiques, chez Jean-Noël Pancrazi106 ; culture marginale convoquée dans l’assimilation du travail mortel du virus dans le corps, avec le jeu vidéo, tel que l’exprime Hervé Guibert. Parce qu’il relève d’une culture savante où la vie et la mort s’affrontent, le labyrinthe est la dernière homologie décente qui fait écran – ou est-ce son ultime représentation dicible – à la description du corps du sidéen qui écrit, tel un mort-vivant, dans un purgatoire d’avant l’heure et de ce monde107,
- 108 Ibid., pp. 280 et suivantes,
50Comme mort-vivant, le sidéen a cristallisé une imagerie du criminel en puissance, à laquelle certains faits divers – des séropositifs ont sciemment contaminé leurs partenaires par vengeance – ont donné le poids du sensationnalisme, relayant la psychose de la contagion incontrôlée qui excéderait les voies scientifiquement admises de la contamination. Parce qu’elle entretient un lien ténu avec les formes modernes du purgatoire qui se construisent par les schèmes de l’irrationalisme, à la suite de la disparition de l’imaginaire chrétien, cette représentation du malade se tient à l’intersection de deux mondes qu’investissent des productions fantasmatiques, globalement minorisées dans la légitimité artistique (B.D., jeux vidéos, cinéma de série, etc.)108.
- 109 Arnaud Mercier (« Les médias comme espace scénique », art.cit., p. 123) a analysé le clivage forte (...)
- 110 Voir les réflexions d’Hervé Guibert, Le Protocole compassionnel, op.cit., p. 31.
51Dans une tension qui va de la représentation abstraite à des manifestations plus concrètes, la presse écrite a joué sur le lieu d’intersection où se trouve le sidéen entre la vie et la mort. Libération et Le Nouvel Observateur – ou, pour la Belgique francophone, La Dernière Heure –, qui ont été les organes les plus actifs dans l’exploitation irrationnelle de la psychose du sida, montrent le corps malade du sidéen : Jean-Paul Aron (Le Nouvel Observateur) ou Pascal de Duve [La Dernière Heure). Le Monde ou Le Figaro109, La Quinzaine littéraire ou Le Magazine littéraire évitent la représentation du corps malade : ils se tiennent dans une manifestation « saine » du sidéen, réduit à sa parole retranscrite et, s’il y a insertion de clichés, photographié avant sa maladie. Face à l’exploitation télévisuelle du corps du sidéen110, ils tendent à maintenir la représentation abstraite du sida, à laquelle ils se sont voués depuis les débuts de la pandémie, et leur approche scientifique et quantitative. C’est ainsi que peut se comprendre la relation par Le Monde de l’incident qui a mis brutalement un terme à l’émission Durand la nuit du 9 mars 1993 (TF1). L’émission de Guillaume Durand est diffusée en direct ; ce soir-là, aux côtés des médecins, se trouve, comme écrivain et comme malade, Pascal de Duve. Tandis que le professeur Jean-Claude Chermann est à l’écran, Pascal de Duve s’écroule.
- 111 Le Monde, jeudi 11 mars 1993, p. 16 : « La douleur d’un combat médiatisé ».
Quand soudain tout a chaviré. Un cri rauque interrompt le discours du médecin, la caméra glisse et se pose sur le témoin [Pascal de Duve] au visage encore angélique quelques instants auparavant, les traits déformés, le corps recroquevillé. Il est pris de convulsions. Tous les médecins présents sur le plateau se précipitent. Guillaume Durand, livide, tente d’expliquer au téléspectateur la situation avant de rendre l’antenne, pétrifié par l’émotion 111.
52L’événement sensationnel est rendu à l’abstraction allégorique du singulier : le téléspectateur, le témoin, le médecin ; seul le présentateur garde son identité patronymique, qui l’isole dans la contingence technique (rendre l’antenne) d’un drame qui lui échappe. Le sida, c’est là sa fonction de révélateur, dévoile toujours au-delà de ce qu’il est tenu de montrer ; il se joue des voies et des protocoles du contournement ou de l’occultation ; dès les premiers cas d’infection, il a renvoyé à la face de la société, dans la crudité (sodomie, sado-masochisme, toxicomanie intraveineuse), ce que cette dernière avait admis sous des dénominations abstraites pour n’avoir plus à en voir davantage.
53Pour qu’adviennent les conditions d’un dire authentique sur une maladie sans exemple dans son étiologie – même la syphilis ne peut lui servir de précédent quant à ses représentations –, il faudra se donner les moyens conceptuels d’entendre l’intentionnalité, encore certes tâtonnante, de ces livres, tels ceux de Pascal de Duve, qui, dans les formes de la non-convention littéraire, ont rompu les charmes enchantants d’une littérature de la célébration, en même temps qu’un virus venait objecter sa morbidité au sein des jeux de l’amour ou du mal-vivre.
Notes
1 Ce texte n’aurait pas existé sans les parents de Pascal de Duve, Pierre et Marie-Henriette, qui m’ont honoré de leur amitié : ils m’ont ouvert avec confiance la porte de la chambre de leur fils, ils m’ont donné accès à ses manuscrits, ils m’ont accompagné dans la promenade au sein de la propriété familiale, où, dans lîle – le jardin secret de Pascal de Duve –, le père a dispersé les cendres du fils. Je voudrais que Pierre et Marie-Henriette de Duve reçoivent ce texte comme l’hommage de ma gratitude et de mon émotion, fût-il dérisoire.
2 Pour une évocation de ce rapport à Paris, voir Pascal de Duve, L’Orage de vivre. Paris, Librairie Générale Française, coll. Le Livre de Poche, 1995, pp. 64-65 [1re éd. Paris, Jean-Claude Lattès, 1994].
3 Premier d’une longue liste de témoins négateurs, jusqu’à L’Homme au chapeau rouge d’Hervé Guibert (Paris, Gallimard / N.R.F., 1992), il faut citer le livre posthume de Conrad Detrez, La Mélancolie du voyeur. Paris, Denoël, 1985. À noter que le déni est souvent associé à un corollaire, le défi, le premier étant le versant psychotique, le second le versant névrotique d’une même complexion que suscite la confrontation (cela ne veut pas nécessairement dire la contamination) avec la maladie : que le sujet soit porteur du virus ou que, par appartenance aux « groupes » dits à risques, il se vive déjà comme infecté, il y a un désinvestissement du monde objectal et un recentrage sur le monde interne qui est fétichisé et idéalisé et où le patient peut « s’abandonner à une pulsion de mort enfin au service de son moi, qui lui permette d’accéder à sa propre fin selon des voies aussi naturelles que possible » (Patrick Ajchenbaum, « Défi et déni », dans L’Homme contaminé. La tourmente du sida. Autrement, coll. Mutations n° 130, 1992, pp. 136-137).
4 « Le sida et les lettres », Équinoxe, n° 5, printemps 1991,
5 Sida-fiction. Essai d’anthropologie romanesque. Préface de François Laplantine. Lyon, Presses Universitaires de Lyon, Centre de Recherches et d’Études Anthropologiques, 1994.
6 Ibid., p. 21.
7 Hervé Guibert, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie. Paris, Gallimard, coll. Folio, 1993, p. 232 [1re éd. Paris, Gallimard, 1990] : « j’attends avec impatience le vaccin littéraire qui me délivrera du sortilège que je me suis infligé à dessein par l’entremise de Thomas Bernhard, transformant l’observation et l’admiration de son écriture [...], en motif parodique d’écriture, et en menace pathogène, en sida, écrivant par là un livre essentiellement bernhardien par son principe, accomplissant par le truchement d’une fiction imitative une sorte d’essai sur Thomas Bernhard, avec lequel de fait j’ai voulu rivaliser, que j’ai voulu prendre de court et dépasser dans sa propre monstruosité, [...] moi pauvre petit Guibert, ex-maître du monde qui avait trouvé plus fort que lui et avec le sida et avec Thomas Bernhard ».
8 Joseph Lévy et Alexis Nouss, Sida-fiction, op.cit., p, 16 et p. 79.
9 Hervé Guibert, Le Protocole compassionnel Paris, Gallimard, coll. Folio, 1993, p. 195 [1re éd. Paris, Gallimard, / N.R.F., 1991].
10 Timothy F. Murphy, « Testimony », dans Timothy F. Murphy et Suzanne Poirier (èds.), Writing AIDS. Gay Literature, Language and Analysis. New York, Columbia University Press, coll. Between Man – Between Women. Lesbian and Gays Studies, 1993, p. 307.
11 John D’Emilio, Sexual Politics, Sexual Communities : The Making of Homosexual Minorily in the United States 1940-1970. Chicago, University of Chicago Press, 1983.
12 Gregory M. Herek et Beverly Greene, AIDS, Idenlity, and Community. The HIV Epidemic and Lesbians and Gay Men. Thousand Oaks – Londres – New Delhi, Sage Publications, 1995. Il s’agit du deuxième volume de Psychological Perspectives on Lesbian and Gay Issues.
13 Voir notamment l’analyse de Franck Pierobon, « “Vivi ancora...” Lecture de Philadelphia », dans Jacques Sojcher et Virginie Devillers, Face au sida, Revue de l’Université de Bruxelles, 1993, n° 1-2, pp. 183 et suivantes, où l’auteur démontre comment le film de Jonathan Demme est un déni du sida et de son lien à l’homosexualité, pour mettre en avant une éthique consensuelle sur la fidélité conjugale et le respect des droits politiques.
14 Paula A. Treichler, « AIDS Narratives on Télévision : Whose Story ? », dans Writing AIDS, op.cit., pp. 208-210.
15 Voir les positions insidieusement politiques et morales qu’a générées le discours sur la prévention et sur l’identification médicale des causes de la pandémie, telles qu’elles sont rassemblées et critiquées dans le collectif d’Act Up, Le Sida. Paris, Dagorno, coll. Combien de Divisions ?, 1994, pp. 358 et suivantes : les médecins, les hommes politiques en charge du dossier et leurs conseillers ont identifié le sida comme le prix humain à payer aux progrès – trop rapides – de la science et à la nature qui a été déséquilibrée autant par la neutralisation médicale de maladies écrans au sida que par l’intensité des contacts sexuels dans un groupe humain quantitativement restreint, telle une fiole bactériologique (c’est l’explication émise par Mirko D. Grmek dans la première somme en français sur le sida : Histoire du sida. Début et origine d’une pandémie actuelle. Paris, Payot, coll. Médecine et Société, 1989, pp. 8-10 et p. 252). Ces mêmes acteurs instillent, dans tous les lieux de leur prise de parole (revues scientifiques, directives ministérielles ou discours publics), un consensuel retour à l’ordre, à la décence et à la retenue, faisant du sida un espace idéologique d’une manière d’autant plus larvée que ce consensus est occulté dans sa visibilité idéologique par des prises de positions politiques « caricaturales » (cf. les deux amendements des sénateurs Sourdille et Joli-bois qui furent votés au Sénat, mais rejetés par l’Assemblée Nationale, en sa séance du 21 juin 1991, et qui prétendaient réinstituer la loi de discrimination de seuils d’âge légaux entre une pratique homosexuelle et une pratique hétérosexuelle, au détriment de la première – loi promulguée sous Vichy et abrogée au début du premier septennat de François Mitterand).
16 Arnaud Mercier, « Les médias comme espace scénique. Information sur le sida et émergence dans le champ politique », dans Pierre Favre (dir.), Sida et politique. Les premiers affrontements (1981-1987). Paris, L’Harmattan, coll. Dossiers sciences humaines et sociales, 1992, pp. 109 et suiv.
17 Frédéric Martel « Guibert, Koltès, Copi : littérature et sida », dans Esprit, n° 206, novembre 1994, p. 166b.
18 Voir Dennis Altman, AIDS in the Mind of America : The Social, Political, and Psychological Impact of a New Epidémie. New York, Anchor Press, 1986,
19 Jean-François Sirinelli, Intellectuels et passions françaises (manifestes et pétitions an XXe siècle). Paris, Fayard, 1990, pp. 296 et suivantes, lie le déclin de la place et des interventions des intellectuels à l’arrivée des socialistes et des communistes au pouvoir après le 10 mai 1981, en même temps qu’à la déréliction des pays communistes de l’Europe de l’Est, espace fantasmagorique de référence et d’espoir.
20 Dans Le Nouvel Observateur, qui en fait la page de couverture de sa livraison du 30 octobre 1987 (n° 1199), pp. 126a-131b.
21 C’est pourquoi, en France, les hommes politiques prennent enfin en considération publique le phénomène, dès lors qu’il est établi qu’il touche aussi les hétérosexuels ; voir Arnaud Mercier, « Les médias comme espace scénique », art.cit., p.125, et Éric Agrikoliansky, « “Prendre la parole". Les logiques des interventions de Laurent Fabius et de Georgina Dufoix (1985) », dans Sida et politique, op.cit., pp. 159 et sv.
22 « Et puis, au bout du compte, voyez-vous, tous ces aveux me procurent un immense soulagement. C’est important en ce moment précis où je devine une relation de distance, peut-être provisoire ou superficielle, avec mon œuvre, je pense à ma mère qui connaissais mes mœurs. Elle est morte. Si elle devait lire ce texte aujourd’hui dans votre journal, je vous affirme que je n’y changerais pas un mot ».
23 Voir Philippe Ariès, L’Homme devant la mort. 2 : La Mort ensauvagée. Paris, Seuil, coll. Points Histoire, 1985, p. 179 [1re éd. 1977].
24 Voir les quelques interventions médiatiques qu’Ana Paul a Fialho Lopes (« Du silence à “l’aveu” : les intellectuels et le sida. De la mort de Foucault (1984) à la mort de J.-P. Aron (1988) », dans Sida et politique, op.cit., p. 154) a repérées et qui font suite à la confession de Jean-Paul Aron.
25 La Dernière Heure, le 27 janvier ; Grand Angle, le 31 janvier ; Le Nouvel Observateur, le 18 février ; Globe Hebdo, le 10 mars, et VSD, le 11 mars.
26 Ex libris, le 13 janvier (TF1), et La Marche du siècle, le 3 mars (France 3).
27 La Dernière Heure, 27 janvier 1993, p. 4, Cette dernière volonté est reprise à Cargo vie, Paris, Librairie Générale Française, coll. Le Livre de Poche, 1994, p. 43 [1re éd. Paris, Jean-Claude Lattès, 1993].
28 Ibid. La dernière phrase reproduit texte l’affirmation posée dans Cargo vie, op.cit., p. 45. C’est également quasi dans les mêmes mots que Pascal de Duve situera sa mission de témoin dans Le Nouvel Observateur, qui consacre son n° 1476, 18-24 février 1993, au sida (voir p. 9a-b).
29 Voir Roger Chartier, « La pendue miraculeusement sauvée. Étude d’un occasionnel », dans Roger Chartier (dir.), Les usages de l’imprimé (XV e-XIX esiècle). Paris, Fayard, 1987, pp. 92 et suivantes.
30 D’autres traces plus implicites peuvent en être trouvées, médiatement dérivées de cette dichotomie paradoxale, dans les analyses inspirées d’une phénoménologie husserlienne qui invitent à un déni de la réalité dans l’élimination prochaine du sujet percevant (Cargo vie, op.cit., p. 33), en contraste avec l’exaltation du statut du sidéen pour qui s’ouvrent les voies d’une appréhension intensive de la réalité du monde et du temps (ibid, pp. 96 et suivantes).
31 Ibid., p. 1 1.
32 Ibid . Voir aussi les pp. 87 et 92.
33 Ibid., p. 64. Le cas de Pascal de Duve n’est pas unique dans le fait de cette rencontre entre une mimésis de l’horreur et le souci éthique de ne pas donner au texte les charmes rassurants de la mystification littéraire ; ainsi, Alain Emmanuel Dreuilhe a fait, de la narration de son combat contre le sida, le lieu d’une tension entre la revendication de la spécificité du discours sur la maladie et l’aliénation apparente d’un texte attrape-tout de citations multiples, dès lors que le sida est identifié à une « brute illettrée » (Corps à corps. Journal de sida. Paris, Gallimard, coll. Au Vif du Sujet, 1987, pp. 13- 14 et p. 83.
34 Sur la pertinence objective de cette caractérisation du sujet comme sidéen ou, si l’on préfère, sur la résurgence de la question du sujet par l’apparition du sida, voir Lee Edelman, « The Miror and the Thank : “AIDS", Subjectivity, and the Rhetoric of Activism », dans Writing AIDS, op.cit., pp. 12-13.
35 Voir Paul a A. Treichler, « AIDS, Homophobia, and Biomedical Discourse : An Epidémic of Significations », dans Douglas Crimp (éd.), AIDS : Cultural Analysis / Cutural Activism. Cambridge, Massachusets Institute of Technology Press, 1988, p. 199.
36 Si nous faisons ici explicitement référence au livre justement bien connu de Susan Sontag (AIDS and its Metaphors. New York, Ferrar, Strauss and Giroux, 1988, traduit en français chez Christian Bourgois, 1989), la métaphorisation apparaît toutefois, chez Pascal de Duve, en contre-exemple de l’explication matricielle qui distingue le sida, comme métaphore du temps, par rapport au cancer, dont le réseau métaphorique est celui de l’espace.
37 On trouvera dans Izo (Paris, Librairie Générale Française, coll. Le Livre de Poche, 1994 [1re éd. Paris, Jean-Claude Lattès, 1990]), un bel exemple de la lexicalisation de l’acronyme U.R.S.S., qui ouvre à une recomposition loufoque de la destinée politique de cet État (p. 72).
38 C’est ce que l’on peut inférer des réflexions de Pascal de Duve sur sa maladie dans Cargo vie, op.cit., p. 29 et p. 70.
39 L’orage de vivre, op.cit., p. 87.
40 Cargo vie, op.cit., p. 110 ; voir aussi L’Orage de vivre, op.cit., p. 104.
41 Pour une analyse de la congruence de la première maladie rétro-virale avec un espace de représentations post-modernes, voir la contribution de Roberta Mac Grath et celle de Jeffrey Weeks, dans Ecslatic Antibodies : Resisting lhe AIDS Mythology. Londres, Rivers Oram, 1990.
42 Cargo vie, op.cit., pp. 22-23.
43 Voir la retranscription de ce rêve que nous tenons pour fondateur de la genèse d’Izo, dans L’Orage de vivre, op.cit., p. 44.
44 L’Orage de vivre, op.cit., p. 49.
45 Sur le rapport génétique qu’entretient spécifiquement la littérature avec Paris, voir Walter Benjamin, Sens unique précédé de Enfance berlinoise et suivi de Paysages urbains. Paris, Maurice Nadeau, 1988, p. 289 [trad. Jean Lacoste].
46 Izo, op.cit., p. 25 et p. 178.
47 L’Orage de vivre, op.cit., p. 73.
48 Hervé Guibert, Le Protocole compassionnel, op.cit, , p, 130 : * le sida m’a fait accomplir un voyage dans le temps, comme dans les contes que je lisais quand j’étais enfant ».
49 Le ludisme parodique ou l’analogisation burlesque ne sont pas rares dans les productions littéraires du sida : pour exemples nord-américains Tungled up in Bleu de Larry Duplechan (1989) ou Eighty-Sixed de David Feinberg (1989). Voir Joseph Lévy et Alexis Nouss, op.cit., p. 27 et pp. 105 et suivantes.
50 Izo, op.cit., p. 8.
51 Ibid., pp. 88-89.
52 Ibid, p. 122.
53 Ibid., p. 134. Sur l’empathie du flâneur avec la marchandise, voir Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle. Le livre des passages. Paris, Éditions du Cerf, coll. Passages, 1989, pp. 65 et suivantes [trad. Jean Lacoste).
54 Ibid., p. 40 et p. 165.
55 Ibid., p. 188.
56 Ibid., p. 95.
57 Ibid, pp. 186-187.
58 Lee Edelman, « The Miror and the Thank », art.cit., p. 16. À noter que le correspondant « réaliste » de cette généalogie allégorique du sidéen est circonscrit dans la description du corps sidéen réduit par la maladie à la maigreur et à la fragilité du corps de l’enfant ; pour exemple, les derniers mots d’Hervé Guibert, dans À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, p. 284 : « La mise en abîme de mon livre se referme sur moi. Je suis dans la merde. Jusqu’où souhaites-tu me voir sombrer ? Pends-toi Bill ! Mes muscles ont fondu. J’ai enfin retrouvé mes jambes et mes bras d’enfant ».
59 Voir Joseph Lévy et Alexis Nouss, Sida-fiction, op.cit., p. 194.
60 De la sorte, se comprend la citation, reprise à Nietzsche, qui ponctue Cargo vie : « je t’aime, ô Éternité ».
61 Izo, Op.cit., p. 192.
62 Ibid., p. 188.
63 Ibid., p. 170.
64 Ibid, p. 184.
65 C’est le constat de Joseph Lévy et d’Alexis Nouss, Sida-fiction, op.cit., p. 35, posé à la suite des analyses de Walter Benjamin sur l’oeuvre de Charles Baudelaire.
66 Voir Rainer Rochlitz, Le Désenchantement de l’art. La philosophie de Walter Benjamin. Paris, Gallimard, coll. N.R.F. Essais, 1092, pp. 243 et suivantes.
67 L’Orage de vivre, op.cit., p. 77.
68 Izo, op.cit., p. 60.
69 Cargo vie, op.cit., p. 99.
70 Ibid., p. 47.
71 Ibid., p. 46.
72 Ibid., pp. 56-61.
73 Ibid., p. 94.
74 Corps à corps, op.cit., pp. 178, 182 et 188.
75 Notamment dans À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, op.cit., pp. 192-193 : « C’était certes une maladie inexorable, mais elle n’était pas foudroyante, c’était une maladie à paliers, un très long escalier qui menait assurément â la mort mais dont chaque marche représentait un apprentissage sans pareil, c’était une maladie qui donnait le temps de mourir, et qui donnait à la mort le temps de vivre, le temps de découvrir le temps et de découvrir enfin la vie, c’était en quelque sorte une géniale invention moderne que nous avaient transmise ces singes verts d’Afrique »,
76 L’Orage de vivre, op.cit., p. 116,
77 Voir Joseph Lévy et Alexis Nouss, Sida-fiction, op.cit., p. 28.
78 Voir le collectif dirigé par Douglas Crimp et Adam Ralston, AIDS Demo Graphics. Seattle, Bay, 1990.
79 Frédéric Martel, « Guibert, Koltès, Copi », art.cit., p. 167a.
80 Joseph Lévy et Alexis Nouss, Sida-fiction, op.cit., p. 47 et p. 112.
81 Paris, Christian Bourgois, 1988.
82 Paris, Maren Sell, coll. Document, 1989.
83 P. 15.
84 Raymond Bellour, « Trompe-la-mort », dans Magazine littéraire, n° 276, avril 1990, p. 54 b.
85 Paris, Seuil.
86 Raymond Bellour, « Double jeu », dans Magazine littéraire, n° 292, octobre 1991, p. 84b.
87 Le premier est publié chez Régine Desforges ; le second chez Jacques Bertoin.
88 C’est par exemple le cas de Cyril Collard dont l’œuvre littéraire a été reconnue par la critique, par effet de ricochet avec la consécration des Nuits fauves lors de la distributions des Césars du cinéma français (le samedi 6 mars 1993).
89 Frédéric Martel, « Guibert, Koltès, Copi », art.cit., p. 173b.
90 Paris, Librairie Générale Française, coll. Le Livre de Poche, 1988 [1re éd. Paris, Grasset, 1987], p. 84, la caractérisation même des dialogues entre les deux amis héros du roman assigne clairement le didactisme au livre. Pour exemple, p. 89 ; « J’ai l’impression de te faire un cours, Bernard ! Mais les gens parlent à tort et à travers du sida, sans posséder un minimum d’informations ».
91 Ibid., pp. 16-17.
92 Ibid, p. 24.
93 Ibid, p. 69.
94 Joseph Lévy et Alexis Nouss, Sida-fiction, op.cit., p. 100,
95 La Gloire du paria, op.cit., p. 139.
96 Sur celle dichotomie entre les innocents et les coupables dans la contamination par le sida, voir Geneviève Paicheler, « Society facing AIDS », dans AIDS : A Problem for Sociological Research, op.cit., pp. 18 et suivantes.
97 Sur les perversions de la raison, dans le livre de Dominique Fernandez, comme chez d’autres auteurs, voir Joseph Lévy et Alexis Nouss, Sida-fiction, op.cit., pp. 32-33.
98 Dominique Fernandez, La Gloire du paria, op.cit., p. 141.
99 De ce fait, Dominique Fernandez oblitère un fait, qui s’est confirmé après 1986 : le sida a été l’occasion, pour les homosexuel (le) s d’exiger un supplément de droits civiques, notamment dans la reconnaissance des couples et dans la revendication d’une égalité de taxation entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels, en matière de droits d’héritage, sans parler des changements législatifs dans les conditions légales pour l’adoption d’enfant(s) (voir Michaël Pollak, « Histoire d’une cause », dans L’Homme contaminé, op.cit., pp. 31-33). Dans La Gloire du paria de Dominique Fernandez, l’obsolescence des prophéties idéologiques n’atteint pas le produit littéraire dans la littéralité de son énonciation, mais dans l’ensemble de ses options esthétiques.
100 La Gloire du paria, op.cit., p. 80 : « Marc remarqua que Bernard avait posé cette question nullement affligé ni soucieux ; d’une voix au contraire animée et rajeunie, comme si l’éventualité d’un retour à l’intolérance lui paraissait une nouvelle stimulante ». Ou p. 124 : « On eût dit qu’il entretenait des rapports amicaux avec le germe corrupteur qui travaillait à le détruire ».
101 Ibid., p. 90.
102 Ibid, pp. 97-98.
103 Paris, Gallimard, 1990.
104 Au sens que lui confèrent les analyses, convergentes pour notre propos, de Joseph Lévy et d’Alexis Nouss, Sida-fiction, op.cit., pp. 118-119.
105 Voir Les Quartiers d’hiver, op.cit., p. 93, coll. Folio, 1992.
106 Ibid., p. 44.
107 Michel Vovelle, Les Âmes du purgatoire ou le travail du deuil Paris, Gallimard, coll. Le Temps des Images, 1996, montre – par des analogies suggestives – combien le dédale est l’espace fédérateur de la représentation de l’intersection entre le monde des vivants et celui des morts, sous le sceau du purgatoire, depuis les enluminures du Moyen-âge jusqu’aux jeux vidéo de l’époque contemporaine.
108 Ibid., pp. 280 et suivantes,
109 Arnaud Mercier (« Les médias comme espace scénique », art.cit., p. 123) a analysé le clivage fortement apparent qui, dans le suscitement et l’entretien sensationnaliste de la psychose du sida, départageait Libération et Le Nouvel Observateur, du Monde et du Figaro.
110 Voir les réflexions d’Hervé Guibert, Le Protocole compassionnel, op.cit., p. 31.
111 Le Monde, jeudi 11 mars 1993, p. 16 : « La douleur d’un combat médiatisé ».
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Éric Van Der Schueren, « Pascal de Duve : les Izotopies du sida », Textyles, 14 | 1997, 49-76.
Référence électronique
Éric Van Der Schueren, « Pascal de Duve : les Izotopies du sida », Textyles [En ligne], 14 | 1997, mis en ligne le 12 octobre 2012, consulté le 08 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/textyles/2159 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/textyles.2159
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