Max Elskamp, La Chanson de la rue Saint-Paul et autres poèmes. Édition présentée par P. Gorceix
Max Elskamp, La Chanson de la rue Saint-Paul et autres poèmes. Édition présentée par P. Gorceix. Paris, Gallimard, coll. Poésie, 1997, 356 p.
Texte intégral
1On doit déjà à Paul Gorceix une édition du principal recueil d’Elskamp, parue dans la collection Espace Nord (n°41) en 1987. Celle que publie Gallimard en « Poésie » est toute différente. Tout d’abord parce que La Chanson de la rue Saint-Paul (1922) est suivie de deux recueils qui, à l’exception d’Aegri somnia (1924), ne figurent pas dans l’édition Labor : Chansons d’Amures, Les Délectations moroses, tous deux publiés confidentiellement en 1923. L’autre différence tient au principe même de la collection française : précédé d’une présentation, le volume est suivi d’une chronologie, d’une bibliographie et d’une « note sur les manuscrits », laquelle justifie le fait de ne pas avoir établi une édition critique, l’objectif étant, « avant tout, [de] faire connaître Max Elskamp » (p. 348). Occasion manquée, regretteront certains, de mettre à la disposition du public un texte et ses variantes, d’autant qu’il n’existe à ce jour aucune édition critique d’aucun recueil important d’Elskamp. Mais on sait que les éditeurs répugnent de plus en plus à mettre sur le marché des éditions savantes et coûteuses, surtout dans un secteur, la poésie, qui n’a guère de rentabilité. Qu’importe : avec La Louange de la vie (malheureusement publié en extraits) qu’a présenté Guy Goffette dans la collection Orphée (n°62, La Différence, 1990) et l’édition Labor, le lecteur dispose à présent de trois volumes de poche qui reprennent les œuvres majeures du poète anversois ; s’il peut se les procurer, il se réfèrera aussi à ses Œuvres complètes, publiées par B. Delvaille chez Seghers en 1967.
2La présentation de Paul Gorceix est donc résolument destinée à faire connaître Elskamp au public français. Il y rappelle efficacement les grandes étapes de la vie du poète-collectionneur en scindant sa production en deux grandes périodes. La première va de 1892 à 1898 (de Dominical à Enluminures) ; elle correspond à la reconnaissance parisienne du poète par les milieux symbolistes bien assis qui voient débarquer un autre nouveau disciple du Nord : en 1898, le Mercure de France regroupe des plaquettes dans Les Louanges de la vie, Mallarmé est enchanté par cet art « illustrateur de visions et musicien à l’écho secret ». La seconde période va de 1921 à 1931, année de la mort d’Elskamp. Après un silence de 23 ans et un exil en Hollande de 1914 à 1916, il écrit ses principaux recueils — ceux que reprend la présente édition et qui ont fait sa notoriété tant en France (Gide, Cocteau, Éluard, entre autres, l’admiraient) qu’en Belgique. La suite de la présentation est consacrée à la poétique elskampienne. P. Gorceix, très efficacement, prévient le retour des deux préjugés qui escortent cette œuvre singulière : sa soi-disant naïveté flamande et ses accents populaires qui l’ont souvent réduite à une production sympathiquement folklorique. Comme il en avait déjà fait la démonstration dans l’édition Labor, Gorceix réaffirme le caractère savant et très construit des recueils d’Elskamp dont la simplicité de ton et de langue est toujours trompeuse.
3Là où le débat mériterait d’être repris sur nouveaux frais, c’est à propos de l’unité de l’œuvre que le commentateur met en avant. Si l’on perçoit effectivement dans la carrière d’Elskamp la cohérence d’un cheminement spirituel, voire mystique, il n’est pas sûr que l’écriture en soit l’expression privilégiée. On voit assez clairement ce qui, biographiquement parlant, unit la quête du poète, mais cette congruence est comme démentie par l’écriture très bariolée d’Elskamp. Il est donc discutable d’affirmer que « l’œuvre est organiquement une » (p. 19), d’autant plus que, lorsque P. Gorceix aborde sa poétique, il montre avec subtilité tout le caractère kaléidoscopique d’un « verbe qui s’affole », pour reprendre la belle expression d’un poème d’Aegri somnia. Autrement dit, le point de vue biographique et l’approche poétique du texte sont pris dans un discours de la nécessité qui a le mérite de faire apparaître ce qu’une œuvre doit à l’histoire et à la biographie mais qui pêche par un excès de causalité. D’ailleurs, mis à part cette réserve, la lecture pénétrante et richement documentée de Paul Gorceix nous montre — peut-être malgré elle — un Elskamp extrêmement baroque tant dans sa vie que dans son œuvre : ce qui fait sens et unité chez lui est moins, me semble-t-il, le projet mystique qui le tenaille toute sa vie que les tourments et les contradictions qui sont au cœur de l’écriture et de la langue qu’il réinvente.
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Pierre Bertrand, « Max Elskamp, La Chanson de la rue Saint-Paul et autres poèmes. Édition présentée par P. Gorceix », Textyles, 15 | 1999, 246-247.
Référence électronique
Jean-Pierre Bertrand, « Max Elskamp, La Chanson de la rue Saint-Paul et autres poèmes. Édition présentée par P. Gorceix », Textyles [En ligne], 15 | 1999, mis en ligne le 25 juillet 2012, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/textyles/1296 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/textyles.1296
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