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Comptes rendus
De Caroline Gravière à Jean-Luc Outers

Maeterlinck hors de France

Gand, Fondation Maeterlinck, 1997, 208 p. (= Annales, T.xxx, 1997).
Isabelle Auquier
p. 239-241
Référence(s) :

Maeterlinck hors de France. Gand, Fondation Maeterlinck, 1997, 208 p. (= Annales, T.xxx, 1997).

Texte intégral

1Ce dernier volume des Annales de la Fondation Maurice Maeterlinck est majoritairement consacré à la réception du théâtre de Maeterlinck au-delà des frontières françaises.

2Élisabeth Leijnse s’est, pour sa part, intéressée à « La réception des premières œuvres de Maeterlinck aux Pays-Bas », en nous présentant aussi bien l’aspect moral que l’aspect esthétique de cette réception. En limitant son étude à une période très restreinte — des premières publications des pièces à l’année 1900 —, elle démontre d’autant mieux l’ampleur du rayonnement de Maeterlinck aux Pays-Bas durant cette période.

3Accueilli comme « la figure de proue du néo-mysticisme » (p. 13), Maeterlinck connaîtra, tantôt la reconnaissance artistique et spirituelle, tantôt le blâme idéologique. La critique protestante s’en prend tout d’abord aux essais qui, selon elle, portent atteinte aux piliers de la morale. Pour la critique socialiste, le mysticisme littéraire se place au cœur de la lutte des classes : la littérature mystique, dont Maeterlinck apparaît comme le chef de file, est considérée comme un produit créé et consommé par la caste bourgeoise pour fuir son inévitable extinction. La traduction des Noces spirituelles de Ruysbroeck devient, pour les libéraux, l’expression d’un besoin de dogmatisme religieux. Le critique Flanor voit dans le mysticisme du Trésor des Humbles une atteinte à la santé nerveuse de l’individu. Avec Max Nordau, le « mysticisme » devient un terme clinique et le symbolisme littéraire un symptôme de cette névrose. Mais le rejet de Maeterlinck par les libéraux est aussi de nature sociale et politique : son œuvre affaiblit le « sens de l’entreprise » (pp. 22-23) et devient l’emblème de l’inertie sociale. En 1891, Maeterlinck accède au succès littéraire avec la Princesse Maleine.

4E. Leijnse s’intéresse également au cas particulier de Lodewijk van Deyssel, auteur de l’essai Van Zola tot Maeterlinck. Admirateur de Maeterlinck, le critique fait de l’extase mystique le moyen de se détacher du monde sensoriel et crée une catégorie littéraire dite « mystique ». L’auteur relève aussi l’action ténue des traductions dans la réception du théâtre de Maeterlinck, ainsi que le manque d’études approfondies de son œuvre.

5En ce qui concerne l’évolution de la représentation, il faudra attendre la venue de Lugné-Poe aux Pays-Bas, en 1893, pour que le théâtre symboliste — et en particulier celui de Maeterlinck — puisse réellement trouver une expression scénique. Le succès de la tournée de l’Œuvre fut aussi rapide qu’éphémère en raison de son amateurisme et de son répertoire. Cependant, L’Intruse trouvera ses défenseurs avec la représentation par la troupe de l’Œuvre, même si la majorité de la critique déclara cette pièce inadaptée à la scène. Pelléas et Mélisande, représenté par l’Œuvre, fit une excellente impression, mais fut perçue comme un drame traditionnel. Intérieur, par une mise en scène déficiente, mit fin au succès de l’Oeuvre. Cependant, le premier théâtre de Maeterlinck peut être considéré comme le vecteur essentiel de l’évolution scénique aux Pays-Bas, sous l’influence particulière de Lugné-Poe.

6Anne Ducrey, elle, s’attache dans son étude, « Alexandre Blok, lecteur critique de Maurice Maeterlinck », à définir dans quelle mesure l’écriture maeterlinckienne a modifié le paysage littéraire russe, au début de notre siècle. L’accueil des œuvres de Maeterlinck en Russie s’inscrit dans un climat d’intérêt particulier pour la littérature étrangère. C’est grâce aux revues que Maeterlinck s’intègre dans le paysage littéraire familier des lecteurs russes, et devient un acteur privilégié de cette ouverture aux autres cultures.

7Entre 1905 et 1907, au moment où Maeterlinck occupe le devant de la scène littéraire, Alexandre Blok se tourne vers l’écriture dramatique. Cette nouvelle orientation littéraire témoigne de l’apport certain de la dramaturgie maeterlinckienne dans l’élaboration du théâtre de Blok. De 1906 à 1912, Blok publie cinq pièces, et, pendant cette période, il traduit Maeterlinck et le mentionne fréquemment dans ses carnets. Blok devient plus critique à l’égard des mises en scène des drames de Maeterlinck qui, selon lui, ne sont pas en accord avec le texte. Quant au succès de Maeterlinck en Russie, Blok le justifie par l’indigence d’une littérature russe de qualité, permettant à Maeterlinck de s’imposer au bon moment. Cependant, Alexandre Blok dénie l’intériorité du théâtre de Maeterlinck, qui a « volé au drame occidental le héros » (cité p. 79). Par ailleurs, les drames maeterlinckiens sont trop éloignés de toute contingence pour pouvoir faire écho aux aspirations populaires : Maeterlinck utilise un langage inadéquat, impropre à générer, selon Blok, un théâtre moderne. « Mais Maeterlinck en faisant tout cela a ouvert une petite porte » (cité p. 80), celle de l’art.

8À l’inverse de l’approche critique de Blok, la Jeune Pologne semble avoir vu davantage de prophétisme littéraire dans la dramaturgie de Maeterlinck. C’est le sujet abordé par Wlodzimierz Szturc dans son article sur « Maeterlinck et la Jeune Pologne ». Grâce à la génération de la Jeune Pologne, Maeterlinck deviendra le point de départ d’un renouveau de l’expression dramatique. L’auteur gantois est à l’origine de l’apparition d’une dramaturgie symboliste en Pologne, où la critique a salué la nouveauté de ce « théâtre de l’âme ». La dramaturgie de Maeterlinck fécondera les drames de Wyspianski, dans lesquels on retrouve la « dialectique de l’intérieur et de l’extérieur », propre aux drames maeterlinckiens. Szturc définit cette dialectique en utilisant tout un réseau d’oppositions entre « ici et là-bas », « clarté et pénombre », « maintenant et immédiatement après », « langage et silence ».

9Les écrivains de la Jeune Pologne ont également été séduits par le jeu musical du langage maeterlinckien et par le décalage temporel entre théâtre et réalité. Enfin, le divorce du drame avec la dimension religieuse passe aussi par Maeterlinck : le théâtre relève désormais du domaine de l’art. Szturc constate donc à quel point Maeterlinck a marqué le théâtre polonais : l’abondance de théorisations de son œuvre, suivies des représentations de ses pièces, ont fait de lui un véritable phénomène dans l’histoire du théâtre en Pologne.

10Écrivain et critique aguerri, le Roumain B. Fondane contribua au rayonnement du symbolisme belge et français en Roumanie. Très tôt, il admire le théâtre de Maeterlinck qui correspond à son idéal dramatique d’un « théâtre sans paroles » ( cité p. 98). En 1922, Fondane crée un théâtre d’avant-garde à Bucarest, qui revendique « une purification spirituelle du théâtre » (cité p. 99). De manière significative, c’est avec la Mort de Tintagiles que ce théâtre ouvre ses portes.

11Admirateur de Schopenhauer, Fondane retrouve dans les drames de Maeterlinck un univers familier où la puissance du fatum l’emporte sur la volonté humaine. Mais ce qu’il admire au-dessus de tout, c’est l’usage que Maeterlinck fait du silence, instrument privilégié de la communication avec l’âme. En ce sens, Fondane réagit contre le théâtre bavard qui sévit sur les scènes roumaines. Il note, à la suite de Blok, l’absence de héros dans ce théâtre, et l’absurdité qui régit la destinée des personnages, reconnaissant du même coup dans ces drames un enrichissement de l’art théâtral. C’est ce qui transparaît à travers les deux articles de Fondane, que Monique Jutrin a eu l’heureuse idée d’ajouter à son analyse, « Un admirateur roumain du théâtre de Maeterlinck : B. Fondane ».

12Aïda Holtmeier a choisi de comparer deux opéras : Pelléas et Mélisande et Tristan et Isolde, par le biais du mythe. Selon cet auteur, Tristan et Isolde est un mythe, surtout parce qu’il transgresse les « lois spatio-temporelles » (p. 111), mais Pelléas est un « anti-Tristan », un « contre-mythe ». Pelléas, comme le mythe, cherche à expliquer l’indicible, mais par la non-communication. Par contre, dans l’opéra de Wagner, la communication a lieu, grâce au regard qui permet aux deux amants de se rejoindre dans la mort. Dans l’opéra de Debussy, il n’y a pas de communication, sauf entre Pelléas et Mélisande. Les personnages baignent donc dans la solitude infligée par le péché originel, mais la rédemption — par la mort ou l’amour — est impossible. Dans Tristan, la rédemption a lieu dans la « mort d’amour », alors que chez Maeterlinck, l’amour est christianisé : l’homme, chassé du paradis, est en exil sur la terre et ne peut s’en échapper. Néanmoins, Pelléas et Mélisande pourront se rejoindre : ils meurent dans la foi en l’innocence de leur amour. L’amour est donc rédempteur du péché originel, parce qu’il l’abolit, mais il ne sauve pas de la condition mortelle. C’est pourquoi Pelléas est un « anti-Tristan ».

13Pelléas s’oppose également au mythe parce que les personnages sont l’objet de leur destin ; ce ne sont pas des héros, alors que Tristan lutte pour échapper à son destin et s’ériger en héros. A. Holtmeier oppose donc le volontarisme des héros wagnériens à l’infantilisme des personnages maeterlinckiens qui refusent la connaissance pour retrouver le paradis. Il me semble que cette affirmation prête à discussion et qu’elle remette en question l’interprétation christianisante de Pelléas.

14Enfin, Anne Laure Vignaux s’est attachée à nous décrire un manuscrit de Maeterlinck resté inédit : sa traduction de cinq poèmes préraphaélites de Rossetti et Swinburne. Dans sa description, A.L. Vignaux constate l’état fragmentaire de ce manuscrit, dont elle relève cependant l’intérêt. Son investigation permet de situer cette traduction en 1888, la même année que Le Cahier bleu. Ces poèmes offrent en fait la preuve tangible que Maeterlinck s’est intéressé de très près aux Préraphaélites. D’après A.L. Vignaux, les quelques failles prouvent que ce manuscrit était plutôt un instrument de travail que l’état abouti de son travail. Néanmoins, Maeterlinck ne semble pas avoir trahi le sens des poèmes.

15A.L. Vignaux replace ensuite la traduction de Maeterlinck dans la mouvance préraphaélite qui, à la fin du xixe siècle, engendra de nombreuses traductions faites par des poètes ou des anglophiles. Enfin, ces traductions sont les premières effectuées par Maeterlinck ; il est également le premier traducteur en langue française de trois poèmes de Rossetti. Suivent les traductions annotées des différents poèmes.

16En somme, ce recueil d’études prouve que la reconnaissance de Maeterlinck à l’étranger dépasse largement le succès français, et démontre ainsi la profonde influence des drames maeterlinckiens aussi bien sur l’écriture dramatique que sur la représentation théâtrale. Souhaitons d’ores et déjà un volume qui s’intéresserait au succès de Maeterlinck dans son propre pays ; de nombreuses études restent à faire pour éclairer ce sujet.

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Pour citer cet article

Référence papier

Isabelle Auquier, « Maeterlinck hors de France »Textyles, 15 | 1999, 239-241.

Référence électronique

Isabelle Auquier, « Maeterlinck hors de France »Textyles [En ligne], 15 | 1999, mis en ligne le 25 juillet 2012, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/textyles/1289 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/textyles.1289

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Auteur

Isabelle Auquier

F.N.R.S.-U.L.B.

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