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Comptes rendus
De Charles De Coster à Paul Colinet

Maxime Benoît-Jeannin, Georgette Leblanc (1869-1941). Biographie

Bruxelles, Le Cri édition, 1998, 581 p., photos NB.
Laurence Brogniez
p. 129-130
Référence(s) :

Maxime Benoît-Jeannin, Georgette Leblanc (1869-1941). Biographie. Bruxelles, Le Cri édition, 1998, 581 p., photos NB

Texte intégral

1Il n’est pas étonnant que le romancier Maxime Benoît-Jeannin se soit pris de passion pour cette égérie de la Belle Époque que fut Georgette Leblanc, connue principalement pour être la sœur du créateur d’Arsène Lupin et la compagne de Maurice Maeterlinck : sa vie est un véritable roman. Au travers de cette figure éminemment moderne, de chanteuse, d’actrice et d’écrivain, c’est toute une époque que Benoît-Jeannin, déjà auteur d’une biographie d’Eugène Ysaye (Le Cri/Belfond, 1989), s’attache à ressusciter, des cénacles symbolistes bruxellois aux avant-gardes parisiennes des années folles.

2Née en 1869 à Rouen, éprise de liberté et admiratrice inconditionnelle de Sarah Bernhardt, Georgette Leblanc quitte de bonne heure sa province natale pour Paris et décide, après un mariage malheureux, d’embrasser la carrière de cantatrice. Auréolée de ses premiers succès, la ferronnière au front, elle reçoit les hommages de ses admirateurs telle une princesse préraphaélite. Parmi ceux-ci, Camille Mauclair, jeune poète et critique symboliste qui l’introduira auprès de Maurice Maeterlinck avant de se faire éconduire. Lors d’une tournée à Bruxelles, capitale de l’art nouveau où elle fait sensation aux expositions des XX, elle rencontre enfin celui dont l’œuvre l’avait déjà conquise. Le coup de foudre est réciproque et les deux amants célèbrent leurs « noces spirituelles » dans des lettres passionnées. Celles-ci, abondamment citées par Maxime Benoît-Jeannin, révèlent quelques aspects inattendus de la personnalité du Prix Nobel...

3La longue relation amoureuse qui unit Georgette et Maeterlinck occupe une importante partie de l’ouvrage. Littéralement habité par son sujet, le biographe entend réparer les injustices commises à l’égard de Georgette, dont la vocation littéraire aurait été tuée dans l’œuf par un Maeterlinck coupable de l’avoir spoliée de ses meilleures idées sans jamais avoir voulu accoler publiquement son nom illustre à celui de l’actrice. Autorisant sa muse à partager sa vie, le dramaturge se serait avéré intraitable quant au partage de son œuvre.

4Que Georgette ait eu à subir le sort ingrat de nombreuses femmes auteurs de son temps, réduites à être les « sœurs de » ou les « femmes de », il n’en faut pas douter. La lecture de l’excellent ouvrage de Christine Planté (La Petite Sœur de Balzac, Seuil, 1989) confirmera ce type d’analyse qui confère à certaines réflexions de Maxime Benoît-Jeannin quelques résonances féministes : « Georgette Leblanc n’est pas la seule femme de son temps à vouloir échapper au déterminisme socio-culturel qui limite ses possibilités d’émancipation. […] Les rôles sont distribués d’avance, et toute femme qui aspire à l’égalité des chances est forcément déçue » (p. 58). Certes, on peut penser que la cantatrice avait donné le meilleur d’elle-même durant la période où elle soutenait Maeterlinck dans ses projets, jouant un rôle d’inspiratrice autant que d’agent littéraire, mais faut-il pour autant voir en elle une muse muselée par son Pygmalion ? Dans cette perspective, Maeterlinck apparaît comme un homme peu sensible et égoïste, bourgeois et provincial, plus préoccupé par la bonne chère, la bicyclette et la boxe que par les états d’âme de sa compagne. Le roman de cette dernière, Le Choix de la vie (1904), fait cependant pâle figure auprès des premières pièces du dramaturge. Dans ses Souvenirs, crédités avec prudence par le biographe, Georgette explique sa « stérilité » par sa dévotion à un amour qui réclamait le sacrifice de ses propres ambitions. Dans une lettre (malheureusement) perdue, l’écrivain lui aurait proposé de « rester sept ans sans publier afin de [lui] donner le temps de faire paraître [son] œuvre » (p. 149). Ce à quoi elle aurait opposé un « refus ému mais catégorique », déterminée à demeurer dans l’ombre pour laisser le génie s’épanouir en pleine lumière…

5Le rôle réel joué par Georgette Leblanc dans la fameuse histoire du conflit qui opposa Maeterlinck à Debussy lors de la création de Pelléas et Mélisande demeure ambigu. Se voyant refuser un rôle qu’elle estimait lui revenir de droit, elle apparut à nombre de ses contemporains comme une intrigante dont l’influence néfaste portait atteinte à l’œuvre et à la carrière de Maeterlinck. Si la vérité est sans nul doute plus nuancée, on peut regretter que Maxime Benoît-Jeannin n’ait pas versé au dossier de « l’affaire Pelléas » les études récentes sur la question, comme l’ouvrage de François Lesure sur Debussy (Claude Debussy avant Pelléas ou les années symbolistes, Klincksieck, 1992). D’une manière plus générale, l’intégration du point de vue de spécialistes, musicologues ou historiens de la littérature, aurait contribué à donner à certains événements évoqués un caractère moins anecdotique.

6Malgré l’importance de sa dévotion artistique au créateur de L’Oiseau bleu dont elle fut La Lumière, la vie de Georgette Leblanc ne s’arrête pas, loin s’en faut, une fois sa rupture avec Maeterlinck consommée. Franchissant le seuil du xxe siècle, la muse symboliste a su évoluer avec son temps et assurer la reconversion de Mélisande en L’Inhumaine de Marcel L’Herbier (1923). Grâce à l’érudition et au talent de conteur de son biographe, on suit avec intérêt ses tribulations dans le Nouveau Monde où elle connaît une seconde jeunesse et un second amour en la personne de l’écrivain Margaret Anderson, qui lui restera fidèle jusqu’à sa mort en 1941. Parmi ses rencontres, Gurdjieff, D’Annunzio, Claire et Yvan Goll, autant de personnalités d’exception qui prouvent que la vie de Georgette Leblanc sans Maeterlinck ne fut pas pour autant une vie sans intérêt. De la lecture de la biographie de Maxime Benoît-Jeannin, on retiendra une personnalité complexe et attachante qui, faute d’avoir été un grand écrivain, a su faire de sa propre existence une œuvre d’art.

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Pour citer cet article

Référence papier

Laurence Brogniez, « Maxime Benoît-Jeannin, Georgette Leblanc (1869-1941). Biographie »Textyles, 16 | 1999, 129-130.

Référence électronique

Laurence Brogniez, « Maxime Benoît-Jeannin, Georgette Leblanc (1869-1941). Biographie »Textyles [En ligne], 16 | 1999, mis en ligne le 19 juin 2012, consulté le 10 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/textyles/1229 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/textyles.1229

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Auteur

Laurence Brogniez

F.N.R.S.-U.L.B.

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