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Comptes rendus
De Charles De Coster à Paul Colinet

Charles De Coster, De Legende en de heldhaftige, vrolijke en roemruchte avonturen van Ulenspiegel en van Lamme Goedzak in Vlaenderlandt en elders. Vertaling en nawoord door Chris van de Poel

Amsterdam, Houtekiet; Baarn, De Prom, 1998, 584 p. [ISBN 90 5240 458 5]
Lieven D’Hulst
p. 128-129
Référence(s) :

Charles De Coster, De Legende en de heldhaftige, vrolijke en roemruchte avonturen van Ulenspiegel en van Lamme Goedzak in Vlaenderlandt en elders. Vertaling en nawoord door Chris van de Poel, Amsterdam, Houtekiet; Baarn, De Prom, 1998, 584 p. [ISBN 90 5240 458 5]

Texte intégral

1On a beau s’entourer des habituelles précautions de principe et de méthode en lisant une traduction littéraire : lorsqu’il s’agit du premier chef-d’œuvre des lettres belges, élevé au rang que l’on sait, il est difficile de ne pas laisser affleurer une perspective qui accorde, au moins implicitement, l’avantage à la confrontation unilatérale de deux textes : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au pays de Flandre et ailleurs (1867) projette loin son ombre, au point qu’elle paraît concentrer le regard critique. C’est là, certes, mettre entre parenthèses la nature de la communication traductive, et ses différents enjeux qui consistent à compter avec les ressources de la langue adoptive, avec l’interprétation renouvelée de l’original, avec la poiésis de l’acte traducteur, les attentes du public, etc. ; bref, avec l’ensemble des déterminants d’un processus qu’il convient d’envisager comme une pratique culturelle complexe, autant assujettie à l’original qu’aux contraintes spatio-temporelles qui accompagnent sa translation — en l’occurrence en une langue qui conserve évidemment des rapports intimes avec l’univers narré comme avec la narration elle-même.

2En tête de ces déterminants, la traductrice Chris van de Poel cite, dans une postface remarquablement éclairante, la correspondance optimale des effets produits sur le lecteur « moyen ». Mais il y a fort à parier qu’il s’agit là d’une simple déclaration d’intention, sinon d’une concession un peu légère à l’ancienne illusion phénoménologique des distances franchies : comment démontrer que le texte traduit est à même de convoquer aujourd’hui des effets similaires à ceux qu’avait produits l’original sur les lecteurs de 1867 (à supposer même qu’on puisse reconstituer le profil de ces derniers, que ce profil soit uniforme, etc.) ?

3En second lieu, la traduction doit à ses yeux conserver une bonne lisibilité, sans sacrifier les « différents aspects » du texte original. Or, ces aspects ne sont guère dissociables de leur contexte, ni modulables selon leur nature, leur taille ou leur fonction. On pense évidemment à l’archaïsme, catégorie vaste et indifférenciée d’occurrences discursives de plusieurs types, qui traversent le texte de part en part, imprégnant, en un équilibrage délicat et parfaitement maîtrisé, aussi bien les dialogues que la narration. Il serait vain de se livrer à une typologie : ainsi, les soi-disant flandricismes sont plus souvent des lexèmes et tournures dotés d’une fonction archaïsante qu’un procédé banal de « couleur locale ». Précisément, l’archaïsme représente une technique de sursaturation littéraire du texte, celle-ci étant soulignée à loisir au moyen de gloses lexicales et syntaxiques, faisant émerger au sein du texte sa propre auto-réflexivité. Cette auto-réflexivité est un des traits latents des lettres belges de cette époque, et elle doit sans doute être rapportée à la problématique identitaire que l’on a régulièrement observée à propos d’autres écrivains et textes contemporains. Si, comme l’écrivait naguère J.-M. Klinkenberg, « […] chez De Coster, le style c’est l’archaïsme » (Style et archaïsme dans la “Légende d’Ulenspiegel” de Charles De Coster. Bruxelles, Palais des Académies, 1973, 2 vol. ; p. 245), on pourrait en filigrane y percevoir aussi une posture critique.

4Dès lors qu’il ne pouvait être question pour la traductrice de reproduire pareils impliqués littéraires de La Légende, c’est avant tout au plan discursif que portera son effort, constitué par l’agencement des deux options qu’elle cherche à concilier (lisibilité et respect du texte original). Si l’on songe que toute traduction comporte une étape analytique et une étape productrice, au cours desquelles les formes langagières sont détachées de leurs fonctions, puis remotivées, souvent moyennant des déplacements, des compensations, voire des redondances dépourvues de leurs fonctions d’origine, il serait difficile de prétendre que la traductrice n’est pas allée aussi loin qu’il lui a été donné de le faire dans son désir de reproduire, sinon la profusion verbale de l’Ulenspiegel, du moins la trace visible du travail intense sur les graphèmes, les tournures, etc. ; en somme, d’apporter au texte ce qu’elle appelle, à l’instar de J. Hanse, une « patine » archaïsante. Elle met en œuvre un faisceau de techniques, toujours assorties aux effets qu’elle cherche à produire sur le lecteur néerlandophone. On ne peut les détailler ici ; voici deux exemples de sa manière : (1) Les graphies archaïsantes sont limitées au domaine des noms propres ; la syntaxe et le lexique comportent une réduction sensible des occurrences archaïques, pour les raisons de lisibilité que nous avons indiquées ci-dessus. (2) La polyphonie du texte original est intentionnellement mimée, lorsque la traductrice transpose des passages empruntés par De Coster à des sources externes (sous forme de pastiche), en recourant à des traductions anciennes de ces mêmes sources : une version de Gargantua et Pantagruel datant de 1932 (trad. J.A. Sandfort), une version des Légendes Flamandes par St. Streuvels (1914) ; parallèlement, elle préfère puiser dans le texte original (néerlandais) de L’Histoire des Pays-Bas ou Recueil des guerres et choses mémorables d’E. Van Meteren (1612), plutôt que traduire la version française (1670) dont s’était servi De Coster ; le cas échéant, c’est le fonds ancien des lettres flamandes qui lui procure force proverbes, chansons, et autres éléments qui lui semblent devoir tenir lieu d’une traduction textuelle. On pourra se demander si un tel enrichissement du texte ne va pas accentuer la distance narrative jusqu’à la faire passer pour une recherche délibérée d’effets ironiques.

5N’empêche, en contrepartie, que tant de sagacité mérite aussi notre admiration, d’autant plus qu’il y a lieu de croire qu’une partie du lectorat adhèrera malaisément à l’ensemble des solutions proposées, sinon au principe même de la stratégie adoptée : en est cause, précisément, l’attachement scrupuleux au texte, un attachement qui rend à De Coster tout le magistère de l’artiste, s’inscrivant en faux contre les représentations simplifiées qui faisaient de La Légende l’un des témoins historiques de l’imaginaire populaire (voir Marnix Beyen, Held voor alle werk : de vele gedaanten van Tijl Uilenspiegel. Antwerpen, Houtekiet, 1998). Pour cette raison même, on ne peut que se réjouir de la belle ambition de Chris van de Poel : sa traduction – et c’est chose rare – a suscité commentaires et débats, au point de donner à la parution de cette nouvelle Légende néerlandaise l’attrait d’un véritable événement littéraire.

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Pour citer cet article

Référence papier

Lieven D’Hulst, « Charles De Coster, De Legende en de heldhaftige, vrolijke en roemruchte avonturen van Ulenspiegel en van Lamme Goedzak in Vlaenderlandt en elders. Vertaling en nawoord door Chris van de Poel »Textyles, 16 | 1999, 128-129.

Référence électronique

Lieven D’Hulst, « Charles De Coster, De Legende en de heldhaftige, vrolijke en roemruchte avonturen van Ulenspiegel en van Lamme Goedzak in Vlaenderlandt en elders. Vertaling en nawoord door Chris van de Poel »Textyles [En ligne], 16 | 1999, mis en ligne le 20 juin 2012, consulté le 10 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/textyles/1227 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/textyles.1227

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