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Jeux de langues, jeux d’écritures

A cura di Anna Soncini Fratta. Bologne, Clueb, Belœil : Atti del Centro Studi sulla Letteratura Belga di Lingua Francese n°5-1995, coll. Bussola n°16, 1995, 268 p.
Paul Dirkx
p. 225-226
Référence(s) :

Jeux de langues, jeux d’écritures. A cura di Anna Soncini Fratta. Bologne, Clueb, Belœil : Atti del Centro Studi sulla Letteratura Belga di Lingua Francese n°5-1995, coll. Bussola n°16, 1995, 268 p.

Texte intégral

1À travers ce cinquième volume de la collection « Belœil » (seizième de la collection « Bussola »), le Centre d’études de la littérature belge de langue française de l’Université de Bologne entend « rendre hommage au mythe de la spécificité “linguistique” de la littérature belge de langue française » (p. 7). « Mythe », explique Ruggero Campagnoli, en ce sens que ladite spécificité n’est pas l’apanage du corpus littéraire belge francophone, mais constitue la clef de voûte du discours de légitimation, scientifique ou non, tenu à son propos. Et le directeur du Centre de se féliciter que ce « choix tactique admirable » lui ait par ailleurs servi d’assise pour construire son mythe de la « belgité » : « Ceux qui ont proposé la “belgité” comme catégorie interprétative devaient donc bien cet hommage » (p. 7). L’on est alors en droit de se demander à quoi ou plutôt à qui cet hommage est ainsi rendu. Il y a en tout cas lieu de faire remarquer, d’une part, que les stratégies d’homogénéisation d’un corpus textuel (génériques etc., et surtout de type communautaire) ne doivent pas accéder au statut de présupposés heuristiques, mais faire partie des questions ouvertes posées en permanence à ce corpus ; d’autre part, que le chercheur n’a pas vocation à s’y intéresser autrement que pour des motifs scientifiques, tout en interrogeant sans cesse les effets politiques de son travail.

2La première partie du volume comprend sept études (dont trois en langue italienne), classées selon la date de naissance de l’auteur, dont chacune examine l’une ou l’autre particularité scripturale. Guglielmo Adilardi a conçu sa contribution comme « un acte de réparation à la mémoire de Charles De Coster, franc-maçon malheureux », ainsi que de son « éditeur franc-maçon Formiggini », premier à avoir fait connaître en Italie le « chef-d’œuvre de pure tradition belge francophone » (pp. 13-14, 21). Après avoir évoqué les aspects maçonniques dans la trajectoire de l’écrivain, l’étude dégage avec précision une véritable trame de symboles et de motifs « ésotériques », mais en la rapportant directement à l’auteur (en termes de « reflet » et de « message ») plutôt que de l’insérer d’abord dans l’économie du texte. Udinji  : chez les riverains de la Buschimaie, récit publié en 1905 par le frère d’un agent de la Compagnie de Kasaï, Charles Cudell, est généralement considéré comme le premier roman colonial belge francophone. La lecture qu’en donne Licia Reggiani fait bien apparaître la place centrale qu’y occupe la fonction métalinguistique dans l’élaboration des rapports entre protagonistes blancs et noirs. Tout en illustrant le genre documentaire comme moyen de propagande, cette œuvre enregistre l’opposition stéréotypée entre langue européenne logique et langage africain prélogique, mais pour y voir une possibilité offerte au colonisateur de se ressourcer au contact de l’Autre et de se réintégrer à la mère-patrie. Une prise en compte d’autres dimensions textuelles s’avère toutefois nécessaire pour préciser les contours idéologiques de ce type de productions. Une remarque analogue vaut pour l’étude de Nancy Delay, qui se propose de « “revisiter” » deux clichés concernant l’œuvre d’André Baillon, son caractère autobiographique et son rapport particulier à la langue. Baillon, dans le but de « maintenir et entretenir les “légendes” de son histoire personnelle », se serait trouvé confronté au problème de dire cette spécificité ambiguë au travers de modèles dans lesquels il ne se reconnaissait pas vraiment (p. 68). Cette hypothèse, pertinente en ce qu’elle relie une position socioculturelle et une opération littéraire tout en préservant leur irréductibilité, incite l’auteur à rejeter comme « un faux problème » (p. 69) la fonction thérapeutique de l’écriture autobiographique. Mais à surévaluer les processus de subversion linguistique et de mythification de soi, l’on finit par réduire à une occultation ou à un « désir de transgression » — qui plus est selon une perspective volontariste : Baillon a « l’intention » d’« assurer le succès de l’entreprise subversive », « choisit de se raconter », etc. — le « délire » baillonnien qui apparaît toutefois aussi comme une interrogation ouverte, originale au point d’évoquer quelque théorisation cachée, d’un dérangement non maîtrisé de l’ordre signifiant. Annamaria Laserra, qui s’inspire de Maurice Blanchot, prend mieux en compte les silences de l’écriture, les absences riches de possibles signifiées par le texte et que les « micro-récits » d’un « puriste de la langue » (p. 108) comme Marcel Lecomte permettent de circonscrire avec clarté. Peut-être aura-t-on du mal à rapporter à la “belgité” les vertus auto-analytiques des « poèmes-rêves » d’Henry Bauchau, du moins tels que les interprète, avec du reste beaucoup de compétence, Chiara Elefante par un recours un peu trop direct au discours autobiographique de l’écrivain et à une « symbologie » toute faite (« les trains, habituellement, symbolisent » X, les roses blanches « sont en fait le symbole de » Y, etc.). La « désinvolture » (p. 126) que Georges Coppel a mise à écrire le texte aussi sympathique qu’hagiographique sur son ami Michel Seuphor ne fait qu’ajouter à l’espoir de voir un jour ce poète faire l’objet de recherches de longue haleine. Un militantisme comparable conduit Armand Olivennes à affirmer plutôt qu’à analyser la « flamme révolutionnaire » qui anime Théodore Koenig dans sa tentative de « remettre le langage dans le chemin de la poésie » (p. 154, 158). Le style choisi, mimant l’« énergique refus des clauses de style » de la part du poète (du reste, très peu cité dans le texte), dessert également l’objectif, louable, de légitimation scientifique.

3On ne regrette pas d’avoir accès, dans une seconde partie de ce collectif, à la voix de quelques écrivains ou critiques, à commencer par celle de Baillon se livrant un peu plus dans un texte très intéressant intitulé « Mes souvenirs d’Anvers ». Suivent un poème de Théodore Koenig, des pensées d’« irrégulier » dues à André Balthazar, une « Lettre à l’acteur au pied de nez » de Paul Emond et un précieux commentaire de Marc Quaghebeur sur son œuvre poétique et les racines de celle-ci, qui plongent notamment dans cette ville de Tournai où « [l]e complexe à l’égard de la France et du français n’existe pas » et qui reste « foudroyée par le désintérêt de la Belgique ». Après un texte semblable du poète et traducteur bilingue Frans De Haes, le volume se ferme sur un entretien mené par Joseph Duhamel avec Éric Clémens sur son livre La Fiction et l’apparaître (1995).

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Pour citer cet article

Référence papier

Paul Dirkx, « Jeux de langues, jeux d’écritures »Textyles, 15 | 1999, 225-226.

Référence électronique

Paul Dirkx, « Jeux de langues, jeux d’écritures »Textyles [En ligne], 15 | 1999, mis en ligne le 25 juillet 2012, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/textyles/1226 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/textyles.1226

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Auteur

Paul Dirkx

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