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Repères

La dette des fils

Rupture de classe et mémoire patrimoniale
Jean-Louis Tornatore
p. 140-157

Résumés

Ce serait un texte à deux faces. Sur la première, l’esquisse située d’une réflexion sur la mémoire au carrefour de la dette et de la reconnaissance. Commentant des photographies et des extraits d’entretiens issus d’une enquête sur « l’espace de la mémoire de la “Lorraine sidérurgique” », et qui racontent des actions de fils œuvrant à la mémoire de leurs pères, l’auteur y voit la manifestation du jeu subtil entre continuité et rupture, entre intériorité et objectivation, constitutif du double travail du deuil et du souvenir en situation de perte. Sur la seconde, le questionnement, jusqu’alors centré sur la mémoire individuelle comme mobile d’engagement public, s’étend à la mémoire collective. Commentant les couvertures des deux éditions, à vingt ans d’intervalle, de l’ouvrage de Françoise Zonabend La Mémoire longue – un classique de l’ethnologie monographique –, et soulignant une similarité avec l’une des photographies de la première face, l’auteur décèle une même tension entre intériorité et extériorité. En d’autres termes, cette similarité invite à mesurer à la même aune l’opposition formalisée par l’ethnographie entre la mémoire longue des sociétés traditionnelles et la mémoire fragmentée des sociétés de la modernité. De ces deux faces d’un même objet – la présence du passé dans le présent – surgit la permanence d’une ambivalence de la mémoire : pour faire son deuil, il faut intérioriser la perte, pour soutenir la mémoire, il faut la déposer dans des objets.

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Thème :

patrimoine

Lieu d'étude :

Lorraine
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Texte intégral

  • 1 Ce texte est la version augmentée d’un texte paru sous le titre « La reconnaissance, textes et phot (...)
  • 2 L’essor de la sidérurgie en Lorraine à la fin du xixe siècle est rendu possible grâce à la techniqu (...)
  • 3 Sur les luttes sociales, voir Nezosi (1999) ; sur l’action « culturelle », voir Noiriel (1983). Pou (...)

1Ce serait une esquisse, l’armature sensible d’une réflexion sur la mémoire au carrefour de la dette et de la reconnaissance1. Parcourant sur une trentaine d’années, de la fin des années 1970 à aujourd’hui, « l’espace de la mémoire de la “Lorraine sidérurgique” » (Tornatore 2006b), j’ai été confronté à la présence insistante de la figure du père. Dans l’histoire du démantèlement de la sidérurgie lorraine, celle-ci se remarque au moment où la fin de l’activité est ratifiée par l’extinction des hauts fourneaux, emblèmes de la filière dite chaude de la fabrication de l’acier, et par conséquent du siècle sidérurgique lorrain2. Le temps politique des luttes pour la sauvegarde de l’activité et pour la reconnaissance d’une culture ouvrière3 fait place au temps d’une nouvelle militance : des enfants d’ouvriers, plus souvent des fils, œuvrant à la conservation de traces ou au maintien du fil de la mémoire. Au point que s’est imposée la thématique de la dette comme clé de compréhension des engagements des personnes : des fils engagés dans un travail de justice mémorielle, procédant de l’acquittement d’une dette envers leur père, celle de leur avoir permis, au prix de la souffrance des corps, de transcender leur condition sociale.

  • 4 On peut s’interroger sur l’association de ces termes : elle vaut pour souligner leur proximité en p (...)

2La « dette des fils », comme position morale, serait l’indice d’une ambiguïté constitutive de la relation au passé : au confluent de la double dimension de rupture et de continuité qui lui est associée via le travail de mémoire ou le travail sur les traces. Elle dirait à la fois comment des fils concilient mémoire de classe et rupture patrimoniale et/ou rupture de classe et « mémoire patrimoniale »4, en tant précisément qu’ils sont à la fois sortis de la condition ouvrière et confrontés à son « extinction » locale. Conjoints, le dépassement et la perte révèlent la fragilité de leur action et l’acuité de leur engagement. Celui-ci affronte ce que Paul Ricœur désigne comme « l’énigme de la trace » : un « effet signe de sa cause », une image au présent d’une chose absente, d’un passé révolu, de surcroît sous constante menace d’effacement (Ricœur 2004 : 168-169). Que faut-il garder en mémoire ? De quelles traces sommes-nous les fils ? Dans quelles traces nous reconnaissons-nous et nous faisons-nous reconnaître ?

  • 5 Adaptation libre d’une conceptualisation de l’action publique proposée par Jean-Yves Trépos (2002).

3J’ai repéré deux formes d’acquittement de la dette qui, abstraction faite – par manque de place, ici – de leurs conditions sociales et politiques d’effectuation, seraient symptomatiques de l’ambivalence de l’action sur le passé. D’une part, une activité photographique quasi compulsive, en forme de pratique amateur : l’œil collé au viseur, des fils parcourront les lieux du monde finissant, se donnant pour urgente mission de saisir les ultimes battements de l’usine, de rendre compte de l’éradication des friches livrées aux ferrailleurs ; ils organiseront alors des expositions de commémoration ou en publieront des ouvrages « grand public ». J’ai formulé par ailleurs l’hypothèse que cette intense activité serait venue suppléer à un défaut de travail officiel de mémoire, rendu impossible par une politique de table rase. Activité patrimoniale élémentaire, la photographie vaudrait alors comme « symptôme », au sens freudien du terme : trouble du souvenir et signe d’une blessure non refermée, d’un deuil encore à faire ; mais aussi comme geste de résistance à l’effacement, par politique délibérée ou par impéritie, des traces du passé (Tornatore 2006a). D’autre part, une action, apparentée à la dynamique des « friches culturelles » (Lextrait 2001), caractérisée par le double souci d’agir culturellement sur le territoire et d’engager un travail sur la mémoire collective, ouvrière et immigrée. Ainsi, un groupe de jeunes du lieu, enfants d’ouvriers et d’immigrés, sera à l’origine d’un « café-spectacle », initialement pensé comme un lieu d’expression artistique – musicale principalement – se greffant sur ou prenant pour modèle une forme de sociabilité du monde dont ils sont issus. Il est notoire que le phénomène déclaré alternatif de mise en culture des friches industrielles peut donner lieu à des investissements mémoriels et patrimoniaux également déployés hors des voies instituées de la patrimonialisation (Tornatore 2003). Cette propriété se révèle ici dans la dimension autonomiste, et non pas compensatoire5, de l’action : une volonté de rompre avec la vieille tradition paternaliste qui enserrait les territoires industriels.

  • 6 Référence au titre d’un documentaire tourné par un jeune réalisateur, fils de cadre de la sidérurgi (...)

4Le contraste – qu’il convient de ne pas durcir – entre ces deux situations peut servir de grille de lecture au travail de mémoire, selon son point d’ancrage : en deçà de la rupture ou en aval de la relation de continuité. L’activité photographique signe un acquittement douloureux, empreint d’une interrogation sur le monde perdu. Celui-ci, littéralement, « porte » les stigmates de la perte. Mais elle peut aussi, dans un registre plus positif, inviter à une réflexion sur les ruptures qui rythment fatalement le cours du temps social et sur les médiations que celles-ci nécessitent. Avec l’action culturelle, l’acquittement tendrait d’emblée vers le pôle de la mémoire heureuse. Il s’apparenterait à la gestion symbolique des passages, passages générationnel et de classe, et ouvrirait ainsi sur l’avenir : non pas des fils photographes qui foulent « les cendres du vieux monde »6, mais des fils qui avancent et prennent en main leur destinée en emportant dans leurs bagages quelque chose du monde d’hier.

  • 7 À la polysémie du terme « reconnaissance » dans le langage ordinaire – reconnaissance-identificatio (...)

5Le thème de la dette permet sans doute d’éclairer les actions et les engagements qui se revendiquent de quelque manière que ce soit de l’action sur le passé. Pour autant, il laisse intacte la distinction trop appuyée entre ce que seraient les régimes respectifs de la mémoire et du patrimoine, tout en laissant pressentir leur possible brouillage, eu égard à l’inquiétude de notre temps et aux abus – des proliférations – qui le guettent. Il n’est pas inutile alors de laisser en chemin cette dichotomie trop fortement marquée par ses instrumentations politiques et de pousser plus loin, au-delà de la dette, vers la question de la reconnaissance. J’avance pour cela sous les auspices de Paul Ricœur, dont la philosophie de la reconnaissance (Ricœur 2004) m’aide à construire et à raisonner une intuition de terrain. La proximité sémantique des notions se réalise au niveau de la troisième idée souche contenue dans le vocable « reconnaître », celle de la reconnaissance comme gratitude, dont Ricœur a souligné le caractère inattendu, étranger à la plupart des langues autres que le français (ibid. : 21)7. On pressent pourtant qu’on ne saurait s’arrêter à cette seule idée, ou plutôt que cette seule idée ne suffit pas à rendre compte de la richesse de la relation : au-delà, l’acquittement de la dette vient également – en tant que production de traces – comme recherche de reconnaissance : se reconnaître soi-même et (demander à) être reconnu. La pertinence de ce fil conducteur renforcé est mise à l’épreuve au moyen des images sonores et visuelles qui suivent.

Dans l’espace de la mémoire de la « Lorraine sidérurgique »

« Il avait perdu le langage organisé. »

  • 8 Où a également travaillé son épouse, institutrice spécialisée.

6Yvon C. est un fils photographe, dont l’origine italienne remonte à ses grands-parents, immigrés au début du siècle dans le bassin du fer. Sa carrière d’instituteur spécialisé, puis de directeur d’un établissement scolaire pour enfants handicapés8, s’est entièrement déroulée dans l’amont verdoyant et préservé (bien que tout proche de Longwy ) de la vallée de la Moulaine. Là, le tumulte des usines, les fumées et les éclairs de l’acier en fusion ne se laissaient pas deviner. S’il suit voire participe aux événements de 1978-1979 et 1984, ripostes populaires et violentes – des émotions au sens premier du terme – aux plans de démantèlement de la filière chaude à Longwy, son premier contact avec le monde de l’usine se fait en 1987, à l’occasion d’une opération de sauvetage photographique de l’usine de Réhon, qui vient d’être arrêtée, et avant qu’elle ne soit livrée aux démolisseurs. Expérience décisive à l’origine de son engagement patrimonial. « C’est là, dit-il, qu’on a eu effectivement le coup de cœur. Quand on s’est retrouvé devant ces grosses installations qui étaient déjà en grande partie muettes. On s’est dit : “Ce n’est pas possible, ils vont continuer à découper tout ça et le faire disparaître !” Là, ça a été vraiment le déclic [...]. Je m’en souviens très bien, ce matin-là quand on était sur Réhon, cette rencontre avec ce côté monstrueux, monumental de la sidérurgie et la sidérurgie qui était éteinte, déjà quasiment, sans bruit ; sans bruit et sans odeur... De se dire : “Il faut absolument garder quelque chose de ça !” » Il sera donc, l’année suivante, l’un des membres fondateurs et actifs d’une association qui se donne pour but la préservation de traces de cette monumentalité usinière. Dans un premier temps, dans une veine esthétisante, l’association projette de les « installer » – au sens plasticien du terme – dans l’espace urbain ; puis elle s’investit – c’est son projet phare – dans la conservation d’un site usinier en son entier : une sorte de mémorial in situ de la sidérurgie longovicienne. Projet qui ne se concrétisera pas, se soldant par l’arasement de l’usine et le dynamitage, en juillet 1991, des derniers hauts fourneaux du bassin, entraînant la mise en sommeil de l’association.

  • 9 « Composantes culturelles de l’industrie lorraine », ou « Composantes de la culture industrielle lo (...)
  • 10 Il a été chargeur de coke, puis a travaillé « dans les assurances », avant de revenir à l’usine, où (...)

7L’émotion patrimoniale est une émotion « filiale ». Déjà, par son nom, c.cil9 – prononcer Cécile –, l’association est placée sous le signe de la filiation, en référence « à titre personnel », pour Yvon C., à la chanson de Claude Nougaro. Mais surtout, le monde de l’usine est le monde de son père10, qu’il découvre finalement l’année de sa mort, survenue également en 1987, au terme d’une maladie dont la difficulté pour ses témoins prend un relief particulier dans le contexte. Yvon C. l’associe explicitement à son engagement patrimonial. « Il y a eu toute une période où, eh bien, je pense que l’image du père se dégrade parce que ce n’est plus le père qui travaille, qui fait vivre la maison [...]. À l’époque, on ne parlait pas encore beaucoup de ce genre d’affection. Et ça a été vraiment une horreur, les trois dernières années... Donc là, il y a eu une période difficile, et je pense qu’en analysant maintenant mon engagement, enfin c’est même sûr, l’engagement par rapport au mouvement de préservation de mémoire, c’était une forme de rendre un hommage. Pour ne pas oublier. » À l’altération de la personne du père, exprimée dans la perte du langage organisé, correspond la destructuration de son monde. Le monde du père perd son sens, tout comme les phrases qui voudraient le désigner. L’un et l’autre deviennent méconnaissables, voire inconnaissables, non identifiables. La reconnaissance du père comme de son monde, ici la reconnaissance-identification selon la caractérisation philosophique de Paul Ricœur, est « aux prises avec la hantise du «méconnaissable» » (Ricœur 2004 : 102). Alors que se construit dans les mêmes années une voie rapide qui doit contourner Longwy et enjamber l’ancienne vallée usinière, il est « insupportable » à Yvon C. que les vacanciers qui descendront, « des Hollandais en particulier, avec caravane, planche à voile et compagnie », empruntant désormais le viaduc, ne voient plus jamais la vallée et ne sachent jamais « ce qui s’est passé ici pendant un siècle ». En d’autres termes, il est intolérable qu’il puisse y avoir méprise sur ce que « ça a été ».

8C’est face à ce risque de la reconnaissance que prend sens également la modalité photographique de l’engagement : significativement, l’association organise en 1989 à Longwy un cycle de manifestations en forme de spectacle « multivision », incluant des expositions de peinture et de photographies,des projections de films et de diaporamas, sous le titre : « La parole est à l’image : hommage aux hommes du fer ». Au moment où la sidérurgie entre dans le passé longovicien, où ses acteurs n’ont plus, ou ont perdu la parole, celle-ci est donnée à l’image. Image photographique : le monument portatif par excellence et la forme élémentaire de la patrimonialisation. « Le monument, écrit Jacques Rancière, est ce qui parle sans mots, ce qui nous instruit sans intention de nous instruire, ce qui porte mémoire par le fait même de ne s’être soucié que de son présent » (Rancière 1997 : 55). La parole donnée à l’image inaugure une période sans paroles, du moins où la parole n’est plus le médium nécessaire : les acteurs de l’usine ont laissé la place à leurs fils, à charge pour eux, le temps d’un deuil, d’assurer une présence. La chute (la mort) du haut fourneau scelle la fin de l’engagement patrimonial d’Yvon C. et clôt la période active de l’association qu’il animait.

La fille du photographe

9« C’était l’occasion ou jamais de fixer de l’événement. On avait sans arrêt l’appareil en bandoulière, prêt à partir de jour comme de nuit, en dehors des périodes de classe bien sûr. Il y a des événements qu’on n’a pas pu suivre parce qu’on était bloqué à l’école, mais dès qu’il y avait quelque chose, comme on dit, on allait couvrir l’événement. » Enseignant – aujourd’hui principal de collège –, fils d’ouvrier machiniste sarde, Sylvain Dessi a fait de la photographie le moyen et le but du travail de reconnaissance du monde paternel. Elle lui permet de pénétrer une sorte de « ville interdite », qu’enfant il ne pouvait que deviner depuis la cité où il a grandi : « Un moment, j’ai eu besoin de savoir ce qu’il y avait derrière ces murs. D’autant plus qu’on voyait ce qui surgissait au-dessus des murs mais pas ce qu’il y avait au ras du mur. » Il enregistre les derniers instants de l’usine laborieuse et fixe les ultimes soubresauts du monde ouvrier. Il en tire le sentiment tout personnel d’un privilège unique, non partageable, « d’être là quand les choses disparaissent ». Que la photographie médiatise le monde et par là le mette à distance – une distance à la fois spatiale et temporelle – est peut-être à l’origine de sa fascination jubilatoire pour le monde de l’usine, au regard de laquelle la douleur de la perte semble marquer le pas. Elle lui permet de pousser à son terme l’esthétisation du passé – et donc d’assurer le passage du document au monument. « J’ai toujours fait partie des gens qui ont trouvé belle la ville, c’est-à-dire une ville sidérurgique dans sa poussière, dans sa grisaille, ses fumées. C’est un spectacle. Je photographiais ça. Et les gens, les ouvriers, me disaient : “Ce n’est pas juste, parce que tu nous renvoies de belles images et nous, on ne voit pas comme ça.” Et les gens de l’extérieur me disaient : “Ah c’est ça ! C’est quand même un spectacle, ce n’est pas que de la poussière !” » Moyen d’une expression originale, qui veut imprimer sa marque sur le monde décrit, la photographie devient un vecteur de l’épanouissement personnel, elle participe alors à la reconnaissance de soi.

  • 11 Ils ont également publié ensemble un ouvrage en hommage aux mineurs de fer (Dessi & Truba 1993).

10Partageant avec Yvon C. le même engagement, militant et membre fondateur de la même association, Sylvain Dessi déploie une démarche toute différente, placée sous le signe de la positivité de la trace. D’une part, il publicise sa production dans des publications régionales ; d’autre part, il mobilise l’acte photographique même pour mettre en œuvre une sorte de pédagogie des relations générationnelles. Ce dernier trait est lisible dans la structure même d’un ouvrage « grand public », Rumeurs d’usines (Dessi & Truba 1998), dans lequel il associe ses photographies aux textes de Serge Truba, ouvrier sidérurgiste et écrivain11. Usant d’un procédé littéraire courant, l’histoire d’une famille, Serge Truba invente des situations – sous forme de lettres, d’articles de journaux, de discours, d’extraits d’entretiens, de conversations rapportées, etc. – qui lui permettent de couvrir l’histoire de la sidérurgie lorraine, de 1880 à 1998. Les photographies en regard – hommes au travail, matières, machines, usines, paysages ou architectures industriels, manifestations, ruines – ne se soucient guère d’une concordance historique, elles ne sont pas datées, et tout au plus entretiennent-elles une relation thématique avec le texte. Dans son ensemble, l’ouvrage procède d’un travail d’impressions qui tente de fixer, comme son titre le suggère, les traces d’un monde en voie de disparition. Le choix de la fiction historique est motivé par un souci didactique affiché dès les premières lignes : « Les enfants, je vais vous raconter l’histoire des hommes dans la sidérurgie. Vous la faire découvrir, c’est vous dévoiler aussi l’histoire de votre famille » (Dessi & Truba 1998 : 5) ; en l’occurrence, une famille métaphorique de la France rurale devenue ouvrière. Sensibilisant le jeune lecteur – j’allais écrire spectateur – à l’idée d’une rupture de continuité, d’un accroc dans le flux temporel et générationnel, il lui offre la possibilité de la mesure des destinées individuelles à l’aune d’un destin collectif.

  • 12 Le « haut fourneau couché de Senelle », aux portes de Longwy, est à ce jour encore en place au cœur (...)

11À la toute fin du livre, sur deux photos, se révèle une insolite présence : sur la première, une adolescente au look vestimentaire punk contemple la carcasse enchevêtrée d’un haut fourneau ; sur la seconde, la même jeune femme pose, adossée à la paroi en briques réfractaires de la cuve du fourneau. Il s’agit, selon la légende de la première image, du « haut fourneau de Senelle », celui-là même dont l’association s’était faite le champion et qui vient d’être dynamité. Ce que ne dit pas la légende, c’est qu’il s’agit de la fille du photographe. « J’ai travaillé un peu avec ma fille sur le haut fourneau couché12. [...] Elle avait quinze ans. Maintenant elle travaille au Luxembourg, elle gagne bien sa vie. Elle est quand même habillée spéciale. [...] Ça, ça fait partie de son expérience, c’était une adolescente un peu révoltée, et donc j’ai fait toute une série sur le haut fourneau arrêté. Et on voit la structure, elle est fabuleuse, les éclairages, les engins, ce n’est pas un travail de pro, et en même temps, l’idée c’était de faire le pont entre une adolescente, donc un jeune en devenir, une femme dans un monde d’hommes, et puis une usine qui mourait. La vie, la mort... Une photo extraordinaire comme ça. Là, c’est le haut fourneau couché. Donc je l’ai ramenée le lendemain [du dynamitage]. On a refait un travail complètement... superbe ! complètement évocateur sur la fin du haut fourneau. Une façon de tirer la révérence, quoi ! Il y a des choses fabuleuses comme ça. C’est vraiment hyper photogénique ! » La photographie devient alors le support privilégié d’une réflexion sur la transmission et la mémoire intergénérationnelle. Photo de ruine, trace de la trace : l’homme photographie sa fille contemplant la trace du monde révolu de son propre père. Filiation et mise en abîme, ou la filiation inversée.

12Le photographe, sa fille, un emblème du monde perdu de son père : sont finalement représentées ici les trois générations de la mémoire vive, le nombre minimal du flux générationnel sur lequel se construit l’ordre social et s’imprime le sens du temps. Le père-photographe-pédagogue, ego moderne des sociétés industrielles, fait le passeur : il se sert du monde de son père pour contenir la révolte de sa fille ou permettre qu’elle lui donne du sens. Il la met en position, comme lui, de se reconnaître. Avant qu’elle ne trouve sa voie dans son propre monde, il l’initie à la reconnaissance des pères, à l’ordre de la tradition. Voilà qu’elle jette un regard en arrière et en prend la mesure. Avec les mots de Ricœur : dans la dynamique de la reconnaissance de soi, lui se tient au point de rencontre de la mémoire et de la promesse, l’une tournée vers le passé, l’autre vers l’avenir, sous la menace constante de leurs négatifs respectifs, l’oubli et la trahison (Ricœur 2004 : 165). Son geste augure un message que d’autres, les « enfants du Gueulard », déclineront à leur compte : ne pas oublier ses origines, c’est ne pas trahir ses engagements.

Intermède : l’objet de la mémoire

13Le travail de production d’images repose sur l’alliance de l’écriture et de la photographie, de l’image photographique et de l’image poétique. « J’écris des textes assez courts, dit Serge Truba, très imagés pour avoir un petit peu, comme en photo, un flash. » Serge Truba n’a pas changé de condition. Tout au plus son destin de mineur – comme son père, d’origine supposée ukrainienne et décédé alors qu’il n’a que sept ans – est-il infléchi par la fermeture des mines de fer : il deviendra lamineur. Il déclare deux passions, son métier et l’écriture, à la fois poétique et historienne : mais si le lamineur travaille la matière, c’est le fils de mineur qui se collette aux mots, une activité en partie consacrée à la restitution du monde passé.

14Les circonstances de sa participation aux activités de c.cil, qui sont celles de sa rencontre avec Sylvain Dessi, éclairent cette dimension mémorielle de son travail d’écriture. Vers la fin des années 1980, un de ses amis, poète, animait une « mission poésie » à Longwy : « Dans son magasin il avait mis des photos, entre autres, de Sylvain Dessi. Et en regardant celle du crassier de Longwy, qui est juste derrière, là [l’entretien se déroule chez lui, dans son salon], je dis au copain, qui est poète aussi : “Tu vois, ce tableau-là, celui qui l’a fait – je ne savais pas qui l’avait fait –, eh bien, tu sais ce qu’il a fait ? Il a pris une photo complètement en négatif de ce qu’il y a maintenant.” Il ne comprenait pas ce que je voulais dire. “Tu vas le voir le crassier, et ce que tu vois là-dessus [sur la photo], c’est ce qui n’existe plus. Et ce qui existe maintenant, tu ne le vois pas sur la photo.” Cette photo représentait justement en négatif l’inverse de ce qu’il y avait à l’époque. Et c’était vraiment ça, parce que ce qui émerge du brouillard, c’est une partie qui n’existait plus […]. Pour moi, dans ma tête, c’est comme si Sylvain Dessi avait réussi à photographier ce qui n’était plus, et justement à ne pas faire apparaître sur la photo ce qui existait encore. » Le crassier qui dominait Longwy n’est pas anodin : cet emblème des luttes, au sommet duquel brilla un immense sos en 1979-1980, fut l’objet d’une première émotion patrimoniale avant d’être livré aux mains d’un entrepreneur de travaux publics pour être exploité. C’est donc un haut lieu local que célèbre le photographe, mais au moment où Serge Truba découvre la photographie, il est en voie d’arasement – à l’instar de la sidérurgie longovicienne. Aussi reconnaît-il que le photographe, par son acte, a anticipé le cours du temps : il a photographié ce qui « aujourd’hui » manque. Serge Truba donne acte à la présence de la photographie qui tout entière représente la trace d’une absence. Celle-ci le plonge au cœur de la problématique de la mémoire : la présence d’une absence, un pur souvenir.

15Dans un acrostiche dédié à Sylvain Dessi, Serge Truba évoque cette alchimie photographique, qui n’est autre que la manifestation du punctum barthésien, sous le titre éloquent de « sublimation » :

Si les cruels engins dédaignent le relief,

Yeux d’appareils photo, vous savez les usages :

La montagne jadis ayant chez vous son fief

Vous nous la sublimez au pays des nuages.

Alors que tout s’éteint, même l’ultime espoir,

Isolés dans nos nuits sans lueur et sans rêve,

Ne songeons-nous jamais, rien que pour tout surseoir,

De raviver l’esprit du dernier feu qui crève ?

Et dans le bleu serein, la pointe du crassier

S’offre toutes les fois qu’on ouvre les paupières !

Seul le silence étrange où s’essouffle l’acier

Illustre au fond des cœurs la loi des cimetières.

16En reconnaissant l’image de la photographie, Serge Truba reconnaît son alter ego : débute ainsi une longue complicité dans le travail de mémoire. La photographie est exposée sur le mur de son salon. En bas, à gauche du cadre, figure un acrostiche dont il est l’auteur et qui désigne un objet concret de leur mémoire commune :

Le cancer aurait pu négliger ce beau sein

Outragez bulldozers, vous avez le blanc-seing !

N’oubliez jamais que vous rasez notre emblème !

Grand temple de la forge, il était clair et sain.

Wendel et Petits-fils n’étaient pas du bassin !

  • 13 Reproduit dans Hublau (1999 : 125).

Yeux, post-mortem, songez souvent au crassier blême13.

Les enfants du Gueulard

  • 14 Parti communiste français, Parti socialiste unifié, Parti communiste révolutionnaire, Parti communi (...)

17Ce serait l’histoire exemplaire d’un groupe de copains qui, transférant leur utopie dans la réalité, créent dans la vallée usinière de la Fensch un lieu à vocation culturelle, devenu, vingt ans plus tard, une institution de référence. Ils ont vingt ans au début des années 1980. Ils sont un peu plus d’une dizaine – au moins quatre filles et sept garçons. Ils sont presque tous enfants d’ouvriers – l’un est cependant fils d’un ingénieur de la sidérurgie –, et, pour une partie, issus de l’immigration – italienne, maghrébine, espagnole –, conformément à la sociologie de la vallée. Plusieurs de leurs pères vivent un engagement syndical ou politique ; l’un d’eux est maire d’une commune de la vallée, Nilvange. Ils ont pour la plupart grandi dans la vallée, aussi le groupe résulte-t-il de l’agrégation d’amitiés survenues en divers lieux de la vallée et à différents âges de la jeunesse : la cité du Konacker, un ensemble pavillonnaire et ouvrier de Nilvange, est un premier lieu fédérateur ; le lycée de Fameck en est un autre et le lieu privilégié de l’expérience de l’engagement politique : pcf, psu, pcr, pc(m-l)…14 ; d’aucuns se rencontrent autour d’une activité sportive, le basket ; d’autres, dans la lutte antimilitariste : trois d’entre eux fondent une association pour l’objection de conscience qui organise à Thionville, quatre années de suite, la « Fête antibeaufs ». Lorsqu’ils élaborent leur projet, et même si pour beaucoup l’avenir est indécis, tous sont orientés vers une voie professionnelle hors de leur milieu d’origine. Aujourd’hui, ils travaillent dans l’enseignement, le culturel, le social : institutrice, enseignants en lycée, universitaire, directeur de médiathèque, représentant littéraire, chargé de développement culturel, chargé de mission dans un organisme d’aide aux immigrés… Un seul est resté dans la métallurgie : il est aujourd’hui ingénieur de production.

  • 15 Je me suis limité, pour l’économie de cet article, à sélectionner des motifs selon le fil conducteu (...)

18« Je pense qu’on s’est retrouvé parce que personne ne se retrouvait là où il était lui-même. » Comme en écho : « Pour moi, c’était la volonté de mettre en place un lieu où on pouvait peut-être reproduire ce qui nous a manqué […], la volonté d’essayer de retrouver une espèce de solidarité, ça va faire très mao, une solidarité de classe. » Enfin : « Faire quelque chose par nous-mêmes tout en valorisant le milieu dans lequel on était15. » Le nom du café porte cette inquiétude, celle de ne pas s’y retrouver, et la volonté d’y remédier : construire un lieu d’où s’exprimer, et donc se localiser. Un gueulard, c’est la partie supérieure du haut fourneau par où s’effectue le chargement ; c’est aussi, dans le parler des mineurs, la cloche ou la sirène qui rythme la journée de travail. Enfin, non sans provocation, le mot dit le souci de se faire entendre. Le statut juridique du café, hautement revendiqué par ses fondateurs, une « société coopérative de travailleurs », réfère au monde d’origine – et à son utopie égalitaire. L’établissement se double d’une association complémentaire de programmation, dont le nom renvoie, lui, au versant de la prise de parole : « Pour une alternative vers l’expression », ou pave. Bref, le point de départ, c’est un entre-deux : entre un monde révolu ou en voie de l’être et le rêve d’autres lendemains, un aujourd’hui incertain où puiser la volonté de faire quelque chose par soi-même, de prendre sa destinée en main. Dans les années 1980, si le processus de démantèlement de la sidérurgie n’y est pas aussi dramatique que dans le bassin de Longwy, il est devenu évident que cette activité industrielle ne sera plus l’avenir de la vallée.

  • 16 Tels auraient été les premiers mots du tout premier argumentaire écrit du projet.

19« On avait toujours en parallèle la volonté d’organiser des expressions pour des gens comme nous, leur donner accès à un lieu, et cette idée de montrer ce que la culture ouvrière avait pu apporter. » Tel un Janus bifrons, le projet s’organise sur ces deux versants : l’un se déploie dans une activité de café, voulant construire une sociabilité sur le mode de la sociabilité ouvrière ; l’autre, dans une activité culturelle, de diffusion et de création musicales, d’expositions et de forums. Après une recherche de l’amont à l’aval de la vallée, leur choix se porte sur un bar en liquidation à Nilvange, dont ils achètent le fonds de commerce : non pas une friche industrielle, mais une friche de la sociabilité ouvrière. « Les vieux, quand ils sortaient de l’usine, ils allaient boire un coup au café. » Le choix du café n’est pas fortuit : il s’agit bien de se poster dans le temps du hors-travail de manière à donner sa puissance à la dimension culturelle du projet. Un lieu de culture, comme production d’œuvres et comme agent actif d’une identité collective. L’utopie s’installe sur cette difficile crête : « donner aux jeunes un lieu d’expression » et « faire venir les anciens ». En d’autres termes, sur le versant de la promesse : contre la fatalité de la crise et du délitement social, donner accès à la culture, à toute la culture ; sur le versant de la mémoire : accueillir des pères fatigués, qui viendraient s’asseoir aux tables servies par des fils. « Garçon, un café16 ! »

  • 17 Programme de soutien du ministère de la Culture à des équipements structurants sur le secteur des m (...)

20C’est l’histoire, parfois cruelle, d’une utopie qui se confronte à l’épreuve de la réalité. Le Gueulard ouvre ses portes en décembre 1984 : le groupe reste aux commandes du café et de la programmation culturelle jusqu’en juillet 1985, puis jette l’éponge. Trop de tension nerveuse, l’épuisement, des dissensions qui apparaissent : impossible d’être à la fois patron de bar et acteur culturel. Comment faire face à des jeunes – de jeunes ouvriers – qui, faisant fi de ce qui leur est offert, viennent, comme dans tout bar, faire de la provocation ? Comment faire évoluer le projet ? Faut-il sacrifier à la raison marchande ? Dans quelle mesure la « pureté » culturelle originelle – une culture hors des voies académiques – peut-elle être préservée ? La réponse est à certains égards cinglante. Au terme d’un été incertain, le café rouvre en septembre 1985, repris en main par deux frères, plus jeunes, immigrés de première génération, qui vont s’imposer comme patrons et déployer, parallèlement à l’activité culturelle, une véritable activité de bar – boissons et jeux : billard, baby-foot, juke-box. Le groupe originel gardera un temps la maîtrise de la programmation culturelle et continuera à s’investir dans l’association. Puis le désengagement des personnes sera progressif, en fonction des destinées professionnelles, et accompli au début des années 1990. L’aventure du Gueulard se poursuit avec la « deuxième génération » du projet, Enzo et Maurice Albanese, Emmanuelle Mathern, véritables chevilles ouvrières qui vont lui donner son assise institutionnelle et affermir son identification culturelle. Une reconnaissance officielle – symétrique du souci de reconnaissance dont il est porteur – par l’État et les collectivités territoriales : en 1992, la labellisation « café-musique », puis aujourd’hui celle de Scène de musique actuelle (smac)17. La suite, d’autres péripéties, une fermeture sous le coup de la loi antibruit, l’« itinérance » dans la vallée (« Le Gueulard s’éclate ! »), le projet de construction d’un lieu ad hoc, le réinvestissement récent de trois des membres du groupe originel, sera racontée ailleurs.

  • 18 On a déjà cité la gestion municipale pour l’un. Tel autre s’est également fortement investi dans la (...)

21Au cours de mon enquête, je les ai appelés « les enfants du Gueulard » – reprise inconsciente d’une expression attribuée par Fabrice Lextrait (2001) à un autre collectif de friche –, appellation qu’ils ont tous, ou presque, acceptée et comprise dans ses deux sens : enfants du gueulard, c’est-à-dire du monde de la sidérurgie, mais aussi enfants du « Gueulard », en tant qu’ils sont le produit de l’objet culturel qu’ils ont créé et parce que celui-ci les fait agir. Cette désignation, un peu lourde certes, dirait bien cependant la double dimension, privée et publique, des engagements, ou plutôt le passage, pressenti précédemment, de l’une à l’autre sphère que négocient les engagements. La présence remarquée de pères – que ce soit par leurs engagements politiques et citoyens18 ou en tant que figure discursive associée à l’ascension sociale et sujet, exprimé comme tel, d’une reconnaissance-gratitude – contribue à la construction d’une première forme de « reconnaissance mutuelle » (Ricœur 2004) : une « reconnaissance dans le lignage », dans le flux des générations (ibid. : 281). Au-delà, la référence familiale sert d’appui à l’engagement public, dont elle contribue à signifier la continuité. L’acuité revendiquée de celui-ci devant le constat patent d’une région en déshérence et d’une population mise au rebus, après avoir été sous les feux des Trente Glorieuses, dit la dimension de combat contenue de bout en bout dans l’aventure du Gueulard, de la volonté de naître sur le terreau de la culture ouvrière au souci de ne pas s’y limiter et de la dépasser – par une programmation voulue éclectique et un mélange recherché des publics. Le Gueulard participe de la lutte pour la reconnaissance mutuelle placée sous l’égide de « l’estime sociale » (ibid. : 294 sq.). Il est la réponse à l’expérience du mépris et au sentiment de déni de reconnaissance suscité par l’arrêt brutal de l’activité industrielle et l’effacement programmé de ses traces. Axel Honneth (2000) s’est attaché à restituer aux conflits sociaux leurs mobiles moraux : les expériences individuelles du mépris sont à l’origine d’un engagement politique qui manifeste une volonté de recouvrer le respect de soi perdu (ibid. : 196) ; elles sont en même temps identifiées, dans un cadre d’interprétation intersubjectif, « comme des expériences typiques d’un groupe tout entier » (ibid. : 194). Vécues au départ sur un plan privé, elles « fournissent les motifs moraux d’une lutte collective pour la reconnaissance » (ibid. : 195). Ainsi le collectif du Gueulard s’est-il constitué en public, au sens de John Dewey (2003), c’est-à-dire en sujet politique.

La reconnaissance de la personne

22Revenons sur ce qui peut – ce qui a dû – être considéré comme un échec. Le rapide constat qu’ils ne réussiront pas « à faire venir les anciens » et leur difficulté symétrique à faire face à certains jeunes mettent le groupe devant l’évidence qu’ils ont franchi une frontière qui désormais les sépare de leur monde d’origine. Le succès de la reprise par des jeunes « de terrain », selon l’expression de l’un d’eux, en sera la preuve flagrante. Pour autant, vingt ans plus tard, nul sentiment d’échec n’émane du discours rétrospectif et bien au contraire un sentiment de fierté : fierté d’avoir été à l’origine d’une réalisation qui dure, qui impose le respect et qui continue à porter leurs valeurs ; une réalisation dans laquelle ils se reconnaissent toujours. L’idée d’échec serait une imputation de l’extérieur. Au niveau du groupe et des personnes, le Gueulard est vécu comme une initiation, une expérience fondatrice pour vivre le deuil du monde d’origine et accompagner la transition symbolique du passage de classes. Un autre indice concernerait le travail de mémoire. L’association pave vise toujours, parmi ses objectifs statutaires, à « la mise en valeur de la mémoire et de la culture ouvrières ». Ses membres sont aujourd’hui associés à l’élaboration d’une politique de la mémoire par les pouvoirs publics locaux – ici, la communauté d’agglomération du val de Fensch. Pour autant, la programmation artistique et musicale, au fil des années, a constitué le cœur de l’aventure, et même si on a tenu à fêter le cinquantième anniversaire du Front populaire, à organiser des expositions autour de la sidérurgie, le versant culture l’a toujours emporté sur le versant mémoire.

23C’est moins la mémoire qui importe que ce qui lui donne sa dynamique. Un fil conducteur et qui relie. Daniel M. relève la difficulté constitutive du travail de mémoire en tant que procès d’objectivation. En revanche, la mémoire peut se réaliser à moindre coût, c’est-à-dire sans le risque de la trahison, dans un travail de reconnaissance de la personne. Derrière cette traduction libre, non contraignante de ce qui doit rester, se profile un principe de production des identités, individuelles et collectives, considérées dans leur condition historique. « La tenue risquée l’ipséité » préférée à la « sécurité de la mêmeté » (Ricœur 2004 : 155).

« Qu’est-ce que demeurer pour une chose qui dure ? »19

  • 19 Ricœur 2004 : 174.

24J’élargis cette interrogation – formulée à l’occasion du commentaire d’un texte de Husserl sur le souvenir, à propos d’une chose qui dure sur le modèle du son qui résonne puis de la mélodie remémorée (ibid. : 174) – à la mémoire collective. Le parcours de l’espace de la mémoire de la « Lorraine sidérurgique » montre à l’œuvre le double travail du deuil et du souvenir en situation de perte. Dans ces quelques illustrations se lisent des médiations – la filiation, l’esthétisation, la traduction… – qui instruisent le passage du temps sur les choses et les hommes, et des régimes singuliers de prise de parole qui fixent le souvenir et conditionnent la remémoration. On en vient alors à relativiser le modèle explicatif fondé sur le partage à la fois historique et logique entre les régimes de fonctionnement symbolique de la mémoire et du patrimoine : celui qui distinguerait trop facilement entre la continuité mémorielle des sociétés traditionnelles et la rupture patrimoniale des sociétés de la modernité (Guillaume 1980, repris par Davallon 2000 ou Rautenberg 2003). On ne saurait repérer de manière aussi nette d’un côté l’entretien du fil de la mémoire et de l’autre la reprise – au sens de couture – de la rupture avec le passé, mais plutôt une tension permanente entre rupture et continuité qui pourrait être résumée dans un détournement de l’expression « solution de continuité », en jouant sur « solution » : résoudre ou dissoudre ? Notons cependant que, dans un cas comme dans l’autre, c’est l’idée de détachement qui prévaut.

25Faut-il d’ailleurs durcir à tout prix l’écart entre la mémoire « longue » des sociétés traditionnelles – objet classique de l’ethnologie – et la mémoire « proliférante », « saturée », « fragmentée » des sociétés de la modernité, puis de la globalisation ? Comment le mesurer ? Travaillant à l’occasion sur ce classique de l’ethnologie du domaine français qu’est La Mémoire longue, publié voici un quart de siècle, je tombai en arrêt devant la photographie illustrant la couverture de la deuxième édition (Zonabend 1999) : un homme, d’âge mûr, regardant la photographie exposée sur un mur d’un jeune couple du début du xxe siècle, posant. Je lui trouvai un air de ressemblance avec la photo de la jeune femme au pied de la carcasse du haut fourneau couché : du moins ce même regard contre-plongeant dans le passé. Or, la photographie sur laquelle l’homme porte son regard est celle illustrant vingt ans plus tôt la couverture de la première édition (Zonabend 1980). Examinons plus en détail la présentation de ces deux éditions. La jaquette de 1980 marque une différence entre la couverture et la quatrième de couverture. Sur la couverture, ce jeune couple de 1900 : elle est assise, lui debout, une main posée sur son épaule, ils fixent l’objectif. Au dos du livre, une photographie prise par l’auteur en 1972 au cours de son enquête : une vieille femme – est-ce la même, seule, quelques décennies plus tard ? – assise à côté du poêle, dans la « salle », pièce principale selon la terminologie de la maison traditionnelle locale. La structure de la jaquette renvoie à l’objet du livre, la mémoire longue d’hier ou d’autrefois à aujourd’hui (les années 1965-1970) malgré les mutations, et au balancement constant de la démonstration entre ces deux pôles. En effet, les deux tiers de l’ouvrage sont consacrés à l’examen du temps de la collectivité combinant l’autrefois et l’aujourd’hui du temps du vécu et du temps de la vie. Mais le lieu même de la mémoire longue, soit un composé de temps collectif et de temps familial, figure bien sur la couverture : une image de l’idéal-typique de la société traditionnelle et de sa temporalité circulaire. Changement net en 1999 : c’est alors une seule photo qui « enveloppe » le livre. Celle-ci est reproduite dans la préface de la nouvelle édition, avec une autre photographie, sous la légende : « La mémoire regardée et commentée. Les habitants de Minot visitant l’exposition de photographies, anciennes et contemporaines, présentées à l’école du village en juillet 1973 ». Toutes deux ont été prises à cette occasion par Françoise Zonabend. La focale s’élargit, on constate bien que l’homme de la couverture n’est pas seul : ils sont deux, peut-être trois, autour de la photographie. On imagine les commentaires : un travail de reconnaissance-identification des personnes.

  • 20 Cette relation en miroir est soulignée par le fait que, sur la couverture de 1999, la photographie (...)

26L’édition de 1999 met en scène un homme d’« aujourd’hui » (de 1973) regardant la photographie figurant sur la couverture de l’édition de 1980 : une photographie qui donc représente une monographie ayant pour objet la construction de la mémoire collective locale – mémoire à laquelle il émarge. Doit-on en conclure qu’en 1980 l’identification des villageois à leur mémoire (au passé) est considérée comme totale : ils sont (dans) la mémoire longue ; tandis qu’en 1999 l’identification est jugée spéculaire20 : l’homme se regarde dans la photographie et reconnaît son passé ? Françoise Zonabend a écrit une préface à la deuxième édition, dans laquelle elle traite des changements survenus depuis la première : quant à son objet, la mémoire orale, et quant à la méthode canonique de sa discipline, la monographie. Entre-temps est advenu « le règne de la mémoire généralisée », selon le mot de Pierre Nora (1992 : 1011), auquel elle semble adhérer. La préface a pour titre « Mémoire de la mémoire ». L’effet de miroir se double d’un effet gigogne. Mémoire de La Mémoire longue ? Mémoire de l’ethnologue ? Cette dernière a photographié un homme regardant une image de son passé, dont elle rend compte comme mémoire. L’ethnologue fait office de mémoire (du village). Ce n’est pas nouveau, mais le geste n’est pas sans risque : il peut être mal reçu, comme en a témoigné l’auteur (Zonabend 1994 ; 1999 : 32), et ce qu’il restitue peut être perçu comme un déni de reconnaissance, une méprise confinant au mépris (Ricœur 2004 : 371). N’était cet écueil, inhérent au régime scientifique, le geste s’apparente à celui de Sylvain Dessi photographiant sa fille contemplant le monde mort, passé, de son père (à lui) : même mise en abîme ; même extériorité de la chose, regardée. Par contraste, semble-t-il, les enfants du Gueulard, quant à eux, ne regardent pas la mémoire, ils la portent en eux.

27L’opposition centrale « intériorité / extériorité » offre une grille de lecture qui permet de tempérer une perspective historiciste de la relation au passé. « La mémoire regardée et commentée », que cette photo de l’édition de 1999 illustre, veut signifier que depuis vingt ans on assiste à des phénomènes massifs d’extériorisation de la mémoire par des demandes de réparation face à des abus d’oubli, des abus de silence ou de manipulation. Ce temps de la mémoire est alors stigmatisé dans ce qui est vu comme des débordements, de l’insistance de l’injonction du devoir de mémoire à sa saturation. Dans sa préface, Françoise Zonabend en prend acte paradoxalement : en soulignant la persistance remarquable de son objet, la mémoire orale, dans nos sociétés et en mettant en représentation son extériorisation.

28Dans l’espace de la mémoire de la « Lorraine sidérurgique », les deux configurations sont présentes. Le photographe, sa fille et le haut fourneau : la question posée est celle de la perte de la mémoire, et que les poubelles du monde soient encombrées de déchets, d’objets ayant perdu leur sens, devenus insignifiants. La mémoire demande alors à être revivifiée par les objets – au moins des photographies et des livres. Quant aux enfants du Gueulard, ils ont dans leurs bagages leur culture de classe, incorporée et inscrite comme valeur. Se dessinent là les deux manifestations apparemment contradictoires de la mémoire en tant que dynamique. Pour faire son deuil, il faut intérioriser la perte. Pour soutenir la mémoire, il faut la déposer dans des objets.

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Bibliographie

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Tornatore J.-L., 2003 [avec la collaboration de Sébastien Paul]. « Publics ou populations ? La démocratie culturelle en question, de l’utopie écomuséale aux “espaces intermédiaires” », in Donnat O. & P. Tolila (dir.), Le(s) Public(s) de la culture. Politiques publiques et équipements culturels, Paris, Les Presses de Sciences Po, vol. 2 (textes sur cédérom), pp. 299-308.

2006a. « Impressions patrimoniales. Topologie de la perte et photographie », in Roux J. & M. Peroni (dir.), Sensibiliser. La sociologie dans le vif du monde, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, pp. 281-297.

2006b. « Trou de mémoire. Une perspective post-industrielle de la Lorraine sidérurgique », in Daumas J.-C. (dir.), La Mémoire de l’industrie. De l’usine au patrimoine, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, coll. « Les cahiers de la msh Ledoux », pp. 49-80.

Trépos J.-Y., 2002. « L’expertise comme équipement politique de la société civile », Questions de communication, n° 2, pp. 7-18.

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1999. La Mémoire longue. Temps et histoires au village, deuxième édition, Paris, Jean-Michel Place, coll. « Les cahiers de Gradhiva ».

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Notes

1 Ce texte est la version augmentée d’un texte paru sous le titre « La reconnaissance, textes et photos », in Barbe N. & E. Jallon (dir.), 2005, Vous avez dit « âges de la vie » ?, actes des journées d’études des 24 et 25 novembre 2004, Champlitte, musée départemental d’Arts et Traditions populaires.

2 L’essor de la sidérurgie en Lorraine à la fin du xixe siècle est rendu possible grâce à la technique de déphosphoration du minerai de fer local (la « minette ») qui permet sa transformation en fonte. En son âge d’or, au milieu des années 1960, la sidérurgie lorraine comptait 98 000 salariés et produisait 66 % de l’acier français. En 2005, elle ne fournissait plus que 22 % de la production française, pour un effectif, en constante érosion, de 8 500 salariés. L’effondrement de l’emploi se réalise en moins de vingt ans, dans les années 1970-1980. Mes observations portent particulièrement sur deux secteurs où j’ai enquêté : le bassin de Longwy, où cette activité a cessé, et la vallée de la Fensch, à l’ouest de Thionville, dernier carré de la sidérurgie lorraine : il y subsiste, pour quelques années encore, les deux derniers hauts fourneaux en activité de la filière fonte.

3 Sur les luttes sociales, voir Nezosi (1999) ; sur l’action « culturelle », voir Noiriel (1983). Pour un examen approfondi des étapes du « temps de la perte » et des épreuves successives (politique, esthétique, historienne) dans lesquelles sont engagés les personnes et les objets, voir Tornatore 2006b.

4 On peut s’interroger sur l’association de ces termes : elle vaut pour souligner leur proximité en pratique. Le patrimoine, comme catégorie de l’action publique, n’est-il pas déjà une politique de la mémoire ? Le ministère de la Défense n’a-t-il pas sécrété l’étonnante notion de « patrimoine de mémoire » ? Si le foisonnement contemporain en matière d’usages du passé est venu augmenter leur « confusion », on peut alors regretter que les sciences sociales hésitent à les appréhender de concert : sociologie de la mémoire ici, histoire du patrimoine là…

5 Adaptation libre d’une conceptualisation de l’action publique proposée par Jean-Yves Trépos (2002).

6 Référence au titre d’un documentaire tourné par un jeune réalisateur, fils de cadre de la sidérurgie originaire de la vallée de la Fensch : Laurent Hasse, Sur les cendres du vieux monde, Iskra, Arte France, rtbf Carré noir, Tarentula, Centre vidéo de Bruxelles, Sombrero production, 2001, 73 min.

7 À la polysémie du terme « reconnaissance » dans le langage ordinaire – reconnaissance-identification, reconnaissance-admission, reconnaissance-gratitude –, Paul Ricœur propose « un équivalent philosophique » (Ricœur 2004 : 359) fondé sur le passage, d’un point de vue grammatical, de la voie active à la voie passive du verbe « reconnaître ». Construit sur ce renversement, son parcours de la reconnaissance se fait en trois étapes : la reconnaissance comme identification, la reconnaissance de soi, la reconnaissance mutuelle, la progression étant marquée par « un affranchissement croissant du concept de reconnaissance par rapport à celui de connaissance » (ibid. : 38).

8 Où a également travaillé son épouse, institutrice spécialisée.

9 « Composantes culturelles de l’industrie lorraine », ou « Composantes de la culture industrielle lorraine ».

10 Il a été chargeur de coke, puis a travaillé « dans les assurances », avant de revenir à l’usine, où il a terminé sa vie active comme machiniste.

11 Ils ont également publié ensemble un ouvrage en hommage aux mineurs de fer (Dessi & Truba 1993).

12 Le « haut fourneau couché de Senelle », aux portes de Longwy, est à ce jour encore en place au cœur de la friche, monument « populaire » protégé par une nouvelle association. Voir Tornatore (2006b).

13 Reproduit dans Hublau (1999 : 125).

14 Parti communiste français, Parti socialiste unifié, Parti communiste révolutionnaire, Parti communiste marxiste-léniniste.

15 Je me suis limité, pour l’économie de cet article, à sélectionner des motifs selon le fil conducteur retenu. Une histoire fine de l’aventure du Gueulard nécessiterait de faire ressortir la diversité des mobiles de chacun des membres du groupe, et obligerait alors à identifier leurs propos – à l’instar des autres « illustrations ».

16 Tels auraient été les premiers mots du tout premier argumentaire écrit du projet.

17 Programme de soutien du ministère de la Culture à des équipements structurants sur le secteur des musiques actuelles et amplifiées.

18 On a déjà cité la gestion municipale pour l’un. Tel autre s’est également fortement investi dans la conservation d’un haut fourneau dans la vallée.

19 Ricœur 2004 : 174.

20 Cette relation en miroir est soulignée par le fait que, sur la couverture de 1999, la photographie qu’il regarde est inversée par rapport à la version figurant sur la couverture de 1980. Cette inversion a une raison technique : la comparaison avec la version de la page 11 montre que c’est toute la photo de 1973 qui a été inversée de manière que le « regard », son sujet et son objet, soit sur la première de couverture.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Louis Tornatore, « La dette des fils »Terrain, 50 | 2008, 140-157.

Référence électronique

Jean-Louis Tornatore, « La dette des fils »Terrain [En ligne], 50 | 2008, mis en ligne le 15 mars 2012, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/9293 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terrain.9293

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Auteur

Jean-Louis Tornatore

Université Paul-Verlaine, Metz / Laboratoire d’anthropologie et d’histoire de l’institution de la culture, Paris

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