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Le Diable

Satan, agent musical

Le pouvoir ambivalent de la musique chez les Tsiganes évangéliques de la péninsule Ibérique
Ruy Llera Blanes
p. 82-99

Résumés

À partir d’une enquête de terrain au sein d’un mouvement évangélique, l’Iglesia filadelfia, implantée depuis les années 1960 chez les Tsiganes du Portugal et d’Espagne, on discute ici du rôle du Diable dans les doctrines et les rhétoriques des croyants et des musiciens qui en font partie. On cherche à démontrer comment l’invocation du Diable – en tant que promoteur de territoires d’ambiguïté et d’ambivalence – permet de débattre et de négocier simultanément des notions d’identité religieuse et d’identité ethnique.

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Texte intégral

  • 1 Bien entendu, ces visions globales ne s’accordent ni avec la forte variabilité qui caractérise cett (...)

1La seconde moitié du xxe siècle a été le théâtre d’événements d’une importance capitale pour comprendre le sentiment religieux contemporain (et tout particulièrement le christianisme) en Europe. Non seulement la prédite « sécularisation » des sociétés européennes ne s’est pas confirmée, mais on a observé au sein de l’institution « traditionnelle » une reconfiguration du sentiment religieux grâce à ce que d’aucuns ont appelé le « réveil religieux » (Martin 1996 ; Coleman 2000). L’une des particularités de ce mouvement réside dans l’importance croissante et l’emprise progressive d’un aspect historiquement non hégémonique du christianisme, le « renouveau charismatique ». Ce renouveau charismatique, bien que s’inspirant de la doctrine pentecôtiste (protestante), a traversé tous les courants du christianisme et a été l’un des principaux agents de ce que certains auteurs ont identifié comme un « nouveau christianisme » (Poewe 1994 ; Jenkins 2002) ou ailleurs comme une (inédite) « diversité chrétienne » (Cannell 2006) – panoplie de mouvements grassroots originaires d’anciens territoires de mission chrétienne comme l’Afrique, l’Amérique du Sud, l’Asie, et de contextes européens non hégémoniques. Ces mouvements ont produit de nouvelles formes de croyance, d’attitude et de consommation au sein de la doctrine et de la pratique chrétiennes1. Je me réfère ici à des formes de christianisme non associées à un « traditionalisme européen » catholique ou protestant (Willaime 2004 ; Davie 2000 ; Hervieu-Léger 2005) qui défendent des modèles d’expériences religieuses et des pratiques rituelles « actualisés », tels que le développement d’une expérience charismatique non hiérarchisée de la foi chrétienne, passant souvent par l’utilisation et la promotion de nouveaux médias, de musique pop, de marchés et de réseaux globaux, par une doctrine littéraliste, une doctrine du salut, etc.

2C’est le cas des Tsiganes du Portugal et d’Espagne convertis aux mouvements évangéliques. Considérés traditionnellement comme pratiquant un « catholicisme diffus, superficiel et marginal » (Acton 1997) ou comme ayant des croyances superstitieuses, ils connurent à partir des années 1960 un élan extraordinaire, né d’un mouvement concret d’évangélisation pentecôtiste charismatique. Cet élan, dont ils furent eux-mêmes, et tout à la fois les agents, les protagonistes et les objets, avait débuté une décennie auparavant en France, grâce à l’action missionnaire d’un pasteur français des Assemblées de Dieu – Clément Le Cossec – qui décida de consacrer sa vie et son œuvre à l’évangélisation des Tsiganes à l’échelle mondiale, en fondant la Mission évangélique tsigane de France (Williams 1984, 1987, 1989). Dans la péninsule Ibérique, cette action prendra la forme et le nom d’Iglesia filadelfia. Cette Église fondée en Catalogne se répandra dans toute l’Espagne avant de se propager, dès les années 1970, au Portugal (Cantón Delgado et al. 2004 ; Rodrigues & Santos 2004 ; Llera Blanes 2006a).

  • 2 Bien souvent ce taux est supérieur à 50 % (Llera Blanes 2006a : chap. i).
  • 3 Rappelons que, contrairement à ce qui se produit dans des pays comme la France ou la Hongrie, il n’ (...)
  • 4 C’est dans ces contextes urbains et suburbains des villes de Lisbonne et de Madrid que j’ai mené me (...)

3L’Iglesia filadelfia, malgré sa vocation et son discours universalistes, se caractérisa dès le début par une fréquentation à prédominance ethnique, et obtint un fort taux d’adhésion et de conversion dans les divers groupes tsiganes de Portugal et d’Espagne2. Ses fidèles, ses pasteurs et ses évangélisateurs sont eux-mêmes tsiganes3 dans leur grande majorité. Par ailleurs, le mouvement s’est distingué par une forte implantation de « proximité » dans les communautés tsiganes, accompagnant le processus de transition des Tsiganes portugais et espagnols qui passaient de contextes ruraux semi-nomades à la résidentialité et à la mobilité urbaine4. C’est ainsi que, tout en se réclamant d’une doctrine fondée sur des catégories faisant appel au charisme, à l’interprétation littérale de la Bible et au salut, l’Iglesia filadelfia s’est également érigée en mécanisme de « conscience » et de « réponse » aux problèmes et aux concepts contemporains des Tsiganes ibériques, en cherchant de nouvelles façons de réagir face à leur marginalisation historique dans ces deux sociétés nationales (Gay y Blasco 2002, 2004). L’une de ces réactions a été de s’autoconstituer comme mouvement de salut chrétien et de participer à des courants protestants plus vastes, à but associatif et revendicatif, dans les deux pays – Aliança Evangélica Portuguesa, Federación de Entidades Religiosas de España, etc.

  • 5 Cajón : instrument à percussion qui consiste en une caisse en bois sur laquelle le joueur s’assied (...)

4D’autre part, cette participation active et identifiable dans le milieu protestant local trouve son expression dans une particularité : l’usage spécifique attribué par l’Iglesia filadelfia à la musique. Lorsqu’on demande à un croyant chrétien (protestant ou catholique) suffisamment informé s’il a déjà entendu parler de l’Iglesia filadelfia, ses premières références seront ethnique et musicale : « N’est-ce pas cette Église des Tsiganes, avec cette sorte de musique ? » Et de fait, l’Iglesia filadelfia incorpore de manière inédite des sonorités et des pratiques musicales caractéristiques des Tsiganes d’Espagne et du Portugal : la guitare espagnole, le cajón5, les claquements de mains, le cante, etc., ce qui lui confère un cachet distinctif à l’intérieur de l’univers protestant et évangélique lusitano-espagnol.

5Dans ce contexte empirique, ma recherche au sein de l’Iglesia filadelfia a eu pour objectif de percevoir les croisements (discursifs et pratiques) entre la musique gitane, la foi évangélique et l’identité ethnique. Autrement dit, j’ai cherché à comprendre quelle était l’incorporation, dans le cadre rituel et doctrinal de l’Iglesia filadelfia, d’un élément historiquement aussi chargé de notions d’identité et d’ethnicité que la « musique tsigane ». Cette recherche est passée, en grande partie, par l’analyse des situations de production discursive touchant la musique elle-même. Cela impliquait par exemple de comprendre les mécanismes idéologiques et doctrinaux qui encadrent celle-ci dans le contexte religieux.

6Là, j’ai vite compris que le Diable – élément central, comme nous le verrons, dans la définition de l’expérience religieuse – était un « personnage » récurrent de cette production discursive, comme s’il s’agissait d’un « agent musical » : son invocation participe (en les influençant) à la construction de pratiques musicales en contexte rituel et au développement de carrières musicales chrétiennes.

  • 6 Voir par exemple Liégeois (1989) ; Williams (1993) ; Pasqualino (2002) ; Gay y Blasco (2002) ; Cant (...)
  • 7 Voir par exemple Friedson (1996) ; Reily (2002) ; Dianteill (2004) ; Helmlinger (2005).Nous entendo (...)

7Le Diable fait ici partie d’une histoire particulière qui englobe les croyances traditionnelles tsiganes, les notions de spiritualité et leur relation avec le christianisme (catholique ou protestant) dans la péninsule Ibérique et en Europe6 ; les configurations chrétiennes, en particulier évangéliques et pentecôtistes, de la spiritualité et du Mal au cours de l’histoire (Russell 1977, 1988 ; Birman, Novaes & Crespo 1997) ; l’attribution d’un aspect spirituel à la musique ; et, découlant du point précédent, l’assignation d’un rôle important au Diable7. Dans les lignes qui suivent, je décrirai les points où (pour ce qui est de la musique produite par l’Iglesia filadelfia) ces mouvements se croisent ; j’avancerai en outre des arguments tendant à montrer que le Diable est ici investi d’une fonction concrète d’« agent » qui, traduisant et transmettant activement ou passivement des façons de voir le monde, une expérience religieuse et une pratique comportementale, influence irrémédiablement l’activité musicale ainsi que la carrière des musiciens et des interprètes tsiganes évangéliques.

8J’emploierai alors le mot « agent » aussi bien dans son sens général habituel – entité autonome qui produit des actions – que dans le sens que lui réserve l’industrie musicale contemporaine – personne qui gère ou qui participe à la carrière d’un musicien ou d’un groupe musical. À travers cette double optique, je chercherai à exposer de quelle façon le Diable, dans le contexte de l’Iglesia filadelfia, se trouve directement lié à des éthiques comportementales, à des notions de « vérité spirituelle » et de « vérité ethnique », et comment la musique est l’un principaux acteurs des débats par lesquels ces « vérités » prennent forme. Nous verrons ainsi comment le Diable se retrouve à la fois dans l’idéologie, dans l’épistémologie, dans la phénoménologie et dans les émotions inhérentes aux catégories d’actions de l’expérience religieuse, à travers des ressources discursives concrètes : les paroles des musiques, les sermons, les commentaires sociaux, etc. Par suite, nous observerons comment l’activité musicale et les carrières artistiques de ses interprètes sont bâties et discutées en fonction de ces discours et de ces configurations.

Les « Alléluias » : musique tsigane et chrétienne

9J’ai déjà mentionné la double référenciation (ethnique et musicale) construite autour de l’image dont jouit l’Iglesia filadelfia dans les contextes religieux et chrétiens, tant espagnols que portugais. Cette référenciation s’étendait également à l’épithète sous laquelle étaient connus, dans les premières années du mouvement, les Tsiganes convertis : les « Alléluias ». Cette dénomination était souvent employée avec une connotation péjorative qui cherchait à satiriser le caractère « excessivement festif » de leurs célébrations rituelles (Jordán Pemán 1991 ; Bellido Caro 1996 ; Gutiérrez López 1998). Il s’agit toutefois d’une catégorisation intellectuellement stimulante, puisqu’elle implique un certain pouvoir expressif et une pratique rituelle. Si l’on s’en tient à l’étymologie, le terme signifie en hébreu « louons [hallelu] Dieu [Yah] ». Dans la tradition chrétienne, ce sens s’est maintenu, on emploie « alléluia » pour signifier louange, grâce et remerciement. Les croyants évangéliques l’utilisent en outre comme expression émotionnelle de ces sentiments – ce qui explique que ce mot revienne souvent dans leurs cultes, et d’où l’épithète qui leur est attribuée : les « Alléluias ».

10De fait, dans les cultes de l’Iglesia filadelfia, l’oraison et l’adoration se mêlent et se superposent souvent : interprétés par des « groupes de louange », les cantiques et les chœurs guident les moments de louange et les prières. Même les moments consacrés à la prédication – le sermon – sont ponctués d’éléments mélodiques – paysages sonores – destinés à compléter le discours des orateurs. La musique non seulement rythme et détermine les passages entre les moments de louange, d’oraison et de prédication, mais permet encore une expérience plus intense de ces moments, en stimulant le ressenti émotionnel et corporel sous diverses formes : le chant en chœur, la mélodie, les paroles, accelerandos et ritardandos, les claquements de mains, etc. (Llera Blanes 2006a : chap. iv).

  • 8 Nous entendons aussi, il est vrai, des mélodies et des rythmes récupérés de la musique chrétienne c (...)

11Les groupes de louange eux-mêmes sont considérés comme des éléments d’attraction ou d’insertion des individus dans les cultes. Les groupes sont en effet constitués dans la plupart des cas de jeunes adolescents, garçons et filles qui débutent ainsi leur vie religieuse active. Ces groupes intègrent les particularités socioculturelles locales urbaines et suburbaines des endroits où sont insérés les Tsiganes de la péninsule Ibérique : depuis les dynamiques relationnelles familiales et de voisinage en vigueur dans les environs des lieux de culte jusqu’aux pratiques et habitudes de consommation, de travail et de loisir qui y sont en usage, en passant par les traits musicologiques eux-mêmes. La guitare espagnole, le cajón, les percussions, le tambourin, la technique vocale et même l’orgue synthétiseur sont importés de contextes d’apprentissage musical intérieurs et extérieurs à la dynamique des cultes. C’est la raison pour laquelle on y entend des rumbas et autres sous-genres du flamenco (régimes musicaux préférés des Tsiganes ibériques)8.

12La plupart du temps, les groupes de louange offrent le cadre à partir duquel se développent des carrières autonomes d’« artistes tsiganes évangéliques ». Ceux-ci s’engagent dans une activité discographique tout en se rendant dans divers lieux de culte de l’Iglesia filadelfia afin d’y présenter leurs créations. Cette production / diffusion, vue sous l’angle de l’industrie musicale contemporaine (chrétienne ou non), est plutôt restreinte et relève de l’amateurisme. Cette activité n’entre pas dans les circuits commerciaux habituels mais vit de l’échange entre croyants et musiciens lors des visites aux « cultes », des rencontres, des festivals et des concerts chrétiens. Elle est d’ailleurs omniprésente dans les pratiques de consommation des fidèles de l’Iglesia filadelfia, qui collectionnent et font circuler entre autres choses cd et dvd (Llera Blanes 2006a : chap. vi).

13Ce caractère central de la musique (dont par ailleurs nous admettons qu’il ne soit pas propre au milieu tsigane) doit également être envisagé dans le cadre de notions plus élargies sur les idéologies développées autour de l’activité musicale. En un certain sens, la musique est pour les Tsiganes un instrument d’ethnicité explicite, qui traduit une histoire de valorisation culturelle (et commerciale) de l’individu en tant que musicien « unique », propriétaire d’un duende, d’une capacité innée (technique d’exécution, rythmique, de composition) pour la pratique artistique (Pasqualino 2002 ; Williams 2000). Transposée au sein de l’Iglesia filadelfia, cette idéologie est en quelque sorte reconfigurée par l’idée que le duende est accordé par Dieu au musicien comme un « don », et qu’ainsi les Tsiganes, dans la mesure où ils le possèdent, jouissent d’un talent unique pour « répandre la Parole de Dieu ».

14Cette reconfiguration est un bon exemple de la façon dont la doctrine universaliste pentecôtiste d’un mouvement comme l’Iglesia filadelfia développe des réponses ou des langages locaux : elle a incorporé un instrument de valorisation identitaire, la « musique tsigane », dans la logique déterministe qui prétend définir ses croyants comme des « chrétiens cibles ». En outre, elle l’a fait en assumant la corporalité ethnique dont elle est issue : au lieu d’importer des logiques discursives et des structures de pratique prédéfinies, elle a utilisé les concepts tenus à sa disposition.

15Pour en revenir au contexte évangélique chrétien, la musique est aussi, comme nous le signalions, un instrument explicite d’adoration et d’évangélisation. D’adoration non seulement parce qu’elle stimule le ressenti corporel, mais aussi parce qu’elle encourage, dans le cadre de la perception charismatique de la foi, un contact direct, sans intermédiaire, entre le croyant et Dieu :

Ne me laisse pas seul
Car sans Toi je me meurs
Tu es quelque chose de très fort
Que vraiment je ne mérite pas
Dis-moi que Tu me veux
Dis-moi que Tu m’aimes
Et n’éloigne pas de moi Ton regard
Je demeure dans cette sainte onction
Et je vais jusqu’au mont de la consécration
Tu me mènes par la main
Tu me protèges bien
C’est pourquoi je mets pour toujours
Ma confiance en Toi
(Chœur, église du Sinaï, Madrid, 2004.)

16Ces paroles illustrent le mode d’expérience divine que les musiciens et les fidèles de l’Iglesia filadelfia encouragent. Les musiciens chrétiens décrivent souvent, en effet, leur activité comme le fruit de l’inspiration divine. Cette conception de la musique en tant que médiatrice relève de l’idée que, puisqu’il s’agit d’une forme de louange, la musique est un « exercice de foi », une action de promotion de l’expérience religieuse. Elle suggère encore d’autres perceptions, comme la responsabilité morale et sociale du musicien-interprète en tant que divulgateur de la « Parole » et promoteur public d’une idée déterminée de « spiritualité chrétienne », et également agent transmetteur, qui fixe ou modifie les morceaux de musique et leurs paroles. Le musicien, qu’il se trouve dans le contexte du groupe choral ou dans celui du projet discographique, participe en permanence aux dynamiques de constitution et d’évolution des répertoires musicaux ecclésiastiques.

17Ainsi la musique est-elle investie d’un engagement éthique et moral associé à la distinction discursive essentielle entre l’« Église » et le « monde ». Un croyant de Madrid me disait par exemple : « Même si tu étudies beaucoup, même si tu décris le plus possible notre musique, tu ne vas jamais la comprendre complètement, car tu ne vas pas la sentir comme nous, nous la sentons. Tu peux connaître la Bible par cœur, mais tu ne vas jamais la sentir de la même manière que nous. » Associant la consommation musicale à une notion de foi et distinguant les territoires de la musique sacrée de ceux de la musique « du monde », ce type d’argument est revenu constamment au cours de mes recherches sur le terrain, me mettant de ce fait dans la condition de non-croyant, hors du spectre d’une compréhension « véritable » de la musique (Llera Blanes 2006b).

Le Diable dans l’expérience religieuse et musicale chrétienne pentecôtiste

18L’une des principales professions de foi d’un croyant évangélique est que Dieu, à travers l’Esprit saint, a légué à son Église des dons et des ministères pour que l’on puisse proclamer sa « vérité » sur terre. Cette proclamation est cependant aussi une « réclamation », dans le sens où elle se construit à partir de l’identification d’un « monde » qui a besoin d’être sauvé par cette Église (la communauté des croyants) et donc à partir d’une distinction binaire entre deux terrains spirituels. Le « monde », selon la doctrine évangélique, est entendu comme le terrain où se meut le Diable, celui-ci cherchant à corrompre, avec l’aide de ses démons, ceux dont le cœur n’a pas encore été réclamé. À travers cette cartographie cognitive, Diable et démons prennent diverses configurations dans les discours et les récits des croyants évangéliques, constituant un noyau central spécifique de la doctrine de ces derniers. C’est ainsi, comme nous le verrons plus loin, que la figure des démons présente une relation directe avec la théologie du salut évangélique.

  • 9 Voir par exemple Campbell (1988) et Stewart (1991) pour le contexte grec ; Pina-Cabral (1992) pour (...)

19Sur le plan historique, Satan est bien évidemment une figure importante de la tradition chrétienne orthodoxe et catholique. Au prétexte de son existence, de nombreux bûchers ont par exemple été dressés au temps de l’Inquisition (Muchembled 2003). Au sein de l’éthique sociale de source judéo-chrétienne, le Diable et les démons appa-raissent intimement liés à une configuration du « Mal » (Parkin 1985), et sont ainsi associés à des notions de moralité. L’anthropologie l’a rapporté à de nombreuses reprises9. Comme l’a affirmé Michael Taussig, il est impossible de séparer l’histoire sociale du Diable de la codification symbolique de l’histoire qui l’a produit en tant que symbole (Taussig 1980 : chap. xi).

  • 10 Voir par exemple Birman, Novaes & Crespo (1997) dans le cas brésilien. Dans ce contexte, l’Église u (...)

20De nos jours, on a coutume de dire que le Diable est absent de la conscience sociale « occidentale » moderne et postmoderne (Taussig 1980 : chap. xii). Néanmoins, comme nous le verrons, les mouvements de renouveau charismatique (dans lesquels nous incluons l’Iglesia filadelfia), sans rejeter nécessairement les concepts historiques d’association entre le Diable et le mal, en proposent de nouvelles configurations, qui attribuent au premier une fonction d’agent et une « personnalité » distincte – ces configurations étant liées aux particularités de l’expérience pentecôtiste et, par conséquent, aux visions du monde ou codifications éthiques et morales qui en découlent. Divers auteurs – dont la plupart se perçoivent eux-mêmes comme « born again », autrement dit sauvés et nés une seconde fois – décrivent comment ces nouvelles formes chrétiennes et pentecôtistes reposent sur des conceptions selon lesquelles le Diable et les démons sont des esprits qui cherchent à « posséder » ou à « attaquer » des corps ou des esprits humains afin de les corrompre contre la volonté de Dieu10. Aussi la satanologie apparaît-elle souvent liée à des notions de santé, de maladie et de guérison : la guérison est une forme de salut et le salut, une victoire contre le Diable.

  • 11 Voir par exemple Luc 8, 12 ; Éphésiens 6, 11 ; Apocalypse 20, 3. J’ai recueilli ces éléments doctri (...)

21C’est également le cas dans la doctrine de l’Iglesia filadelfia,qui défend concrètement, à partir d’une approche littéraliste de la Bible, l’idée que le Diable est un chérubin, c’est-à-dire un être doté de sagesse, d’émotions et de volonté créé par Dieu, mais corrompu par son ambition de devenir Dieu lui-même, raison pour laquelle il fut expulsé des Cieux (Ézéchiel 28) et condamné plus tard, dans l’eschatologie de l’Apocalypse, au jugement final et à la mort dans le lac de feu (Matthieu 25, 41). Le Diable, quoique limité – il n’est ni omniscient ni tout-puissant –, est donc un être spirituel, et il peut être combattu par les chrétiens dotés de la force et de la foi nécessaires. En ultime instance, il est un adversaire de la foi chrétienne qui cherche à aveugler les incrédules, à arracher la Parole du cœur, à soumettre à la tentation, à semer la discorde, à posséder les corps, à entraver l’œuvre des croyants, à tromper les « nations », à faire la guerre aux croyants11 – ces intentions sont mentionnées dans les procès d’accusation de ceux qui croient avoir été « tentés » par le Diable. Comme j’entends le démontrer dans les pages qui suivent, les croyants tsiganes de l’Iglesia filadelfia, qui s’instituent eux-mêmes chrétiens sauvés,soumettent leurs cadres théoriques ethniques à cette idéologie, en délimitant les notions de « bonne » ou « mauvaise » tsiganité à partir de la cartographie binaire qui distingue le territoire de Dieu du territoire du monde.

22Le Diable est présent non seulement dans le support doctrinal, mais encore dans les divers médias de l’univers évangéliste pentecôtiste : textes autobiographiques, sermons, témoignages personnels et paroles de chansons évangéliques. Les configurations doctrinales que nous venons de décrire y trouvent leur développement expérimental et pratique : depuis les prédicateurs qui cherchent à expliquer la « vraie foi » aux croyants jusqu’aux témoignages personnels de perdition et de salut (à travers la conversion, par exemple) et, finalement, jusqu’à des paroles comme celles-ci :

Pour écraser la tête du Diable
Il faut le pouvoir de Dieu
L’écraser, l’écraser, l’écraser
Avec le pouvoir de Dieu.
(Madrid, mai 2005.)

23Comme je l’ai soutenu ailleurs, les paroles des chants constituent l’un des principaux véhicules de transmission de concepts – tout particulièrement dans des contextes religieux comme celui de l’Iglesia filadelfia (Llera Blanes 2006a). Mais elles sont aussi des expressions concrètes du caractère émotionnel et spirituel accordé à la musique : partant du principe selon lequel la musique est une façon de rendre le culte à Dieu – invocation, contact avec le divin, recevoir l’Esprit saint –, les croyants de l’Iglesia filadelfia investissent dans la subjectivité de la pratique musicale, en l’utilisant comme expérience religieuse. Par conséquent, la musique est un moyen de combattre l’« ennemi » :

Si tu rends gloire à Dieu
L’ennemi sortira en courant
Car terrible est le pouvoir de Dieu
En rendant gloire à Dieu, plus fort tu seras.
Et le mur est tombé, tombé, tombé [ter]
Car le peuple de Dieu à Celui-ci a rendu gloire.
(Lisbonne, septembre 2003.)

  • 12 L’une des formules les plus souvent véhiculées dans les médias évangéliques est : « En Jésus nous s (...)

24Cette attitude de « combat », souvent invoquée dans les sermons, les témoignages et les textes, traduit une « politique des émotions » (Vale de Almeida 1994) et une grammaire des sentiments, des sensations et des attitudes, qui, liées à l’esthétique et à la sonorité de la pratique musicale de l’Iglesia filadelfia, renvoient à une certaine perception de cette pratique. À travers la musique, on obtient l’investissement physique et l’état d’esprit nécessaires pour faire l’expérience du divin, de même que l’on déclare la guerre à ce qui s’y oppose. La figure du Diable, faisant partie des émotions véhiculées par la participation musicale, en devient un élément significatif : d’y être présentée comme l’« ennemi », elle provoque l’attitude de combat nécessaire pour parvenir à la « victoire de la foi »12. La figure du Diable est, pour ainsi dire, productrice de motivation et de contexte (Roueff 2001).

25Par suite, l’une des fonctions d’agent attribuées au Diable opère précisément au sein des débats portant sur la « musique chrétienne » et sur le rôle de cette musique dans la liturgie, dans l’interaction et dans les politiques d’évangélisation des divers mouvements chrétiens. Erwan Dianteill parlait de « danse du diable et du bon dieu » pour décrire comment, historiquement dans les Églises protestantes nord-américaines, le Diable a toujours fait parties des doctrines sur la « moralité musicale » (Dianteill 2004 ; voir également Martin 2001 ; Oliver 1990). Toute musique considérée comme « extérieure » à la sphère de l’Église est jugée potentiellement dangereuse pour celle-ci, dans la mesure où elle tire son origine du « monde » et se trouve susceptible d’être corrompue par Satan. En effet, l’histoire de la musique populaire occidentale est jalonnée par nombre de « satanisations » – ou plus exactement d’accusations de satanisme –, décrétées par les milieux religieux, depuis le blues lui-même jusqu’au rock’n’roll et au heavy metal (Blanchard, Anderson & Cleave 1983). Ces accusations continuelles dérivent, en fin de compte, d’une perception fondamentale : l’idée d’une opposition entre une musique « sacrée », dédiée au culte et à la louange divine, et une musique « profane », en dernière instance œuvre de Satan.

26Un pasteur de Madrid m’expliquait en avril 2004 l’« origine » de la musique : « L’origine de la musique nous est relatée par Isaïe, dans le passage qui parle de l’ange déchu, de la façon dont ce dernier a emporté la harpe au ciel, pour être ensuite brûlé et tomber en disgrâce. Ce passage nous explique comment la musique, en tant que méthode d’adoration de Dieu, a été corrompue, détournée au profit de l’ambition et de l’appât du gain, devenant à partir de là un instrument de Satan. D’où, comme tu l’apprendras, le fait que de nombreux groupes de musique rock moderne se servent de leurs disques en les passant à l’envers pour transmettre des messages sataniques. C’est pourquoi notre musique n’est pas la même que celle des autres, la musique mondaine. »

27Ici, non seulement nous comprenons comment l’émotion (et à travers elle, le Diable) fait partie de la pratique musicale, mais en outre nous voyons comment se définit une topographie morale et religieuse propre à cartographier espaces sacrés et espaces mondains – si ce n’est qu’en lieu et place d’indices géographiques, les critères sont éthiques et comportementaux. L’ambition, l’appât du gain et la corruption sont des traits de la personnalité humaine instrumentalisés par Satan dans son « attaque » de la foi chrétienne. On comprend que la musique (et sa pratique) représente(nt) l’un des espaces de plus grande ambivalence morale.

Le Diable comme agent musical

  • 13 Traduit de l’espagnol en portugais par l’auteur.

28Marcos Witt, chanteur évangélique mexicain contemporain qui a vendu des millions de disques dans le monde entier – et référence importante pour les croyants et les musiciens de l’Iglesia filadelfia qui interprètent fréquemment ses musiques lors des cultes–, a publié un livre intitulé ¿ O qué hacemos con estos músicos ? (« Que faire avec ces musiciens ? ») (Witt 1995), dans lequel il aborde les « problèmes » auxquels sont confrontés quotidiennement les musiciens contemporains. « Je crois fermement que l’une des armes que Satan a utilisée avec la plus grande ruse pour nous maintenir anémiques et débiles dans la bataille de la foi a été la musique séculière. Ce que l’ennemi prône à travers cette musique, c’est d’entrer inconsciemment dans notre esprit jusqu’à faire partie de notre propre vie, car cela participe du pouvoir qui existe dans la musique même. La musique est une communion d’esprit à esprit et Satan le sait parfaitement […], et il l’utilise pour maintenir de nombreuses personnes dans une position de vulnérabilité à ses attaques et à ses mensonges »13(Witt 1995 : 165-166).

29L’argument traduit deux idées, à la fois essentielles et antagonistes, concernant les attitudes des croyants évangéliques face à l’activité musicale dans leur communauté. D’un côté, le musicien est une personne qui, parce qu’il assume un caractère public et qu’il est capable de communiquer d’« esprit à esprit », possède un pouvoir, un don qui le rend particulièrement important dans l’activité du culte et dans la louange en général. De l’autre, et précisément pour cette raison, il est une personne particulièrement vulnérable aux vices du pouvoir. Comme je l’ai mentionné plus haut, la musique est un important instrument d’évangélisation pour l’Iglesia filadelfia (de même qu’il l’est pour d’autres Églises, bien sûr). Elle est la raison pour laquelle de nombreux jeunes, par le biais de leur participation aux chœurs ecclésiastiques, ont adhéré au mouvement : ils se sont sentis attirés par la possibilité de participer à un projet musical. Néanmoins, comme en font mention plusieurs critiques et théologiens chrétiens, nombre d’entre eux ne possèdent pas la formation biblique nécessaire pour remplir la fonction qui leur est attribuée (Witt 1995 ; Miller 2000).

30C’est ainsi que le surgissement de ce qu’on appelle la « musique chrétienne contemporaine » (« contemporary christian music ») n’a modifié en rien le ton accusateur employé à l’égard des pratiques musicales effectives. Pis, concernant les musiques jouées dans les églises elles-mêmes, il a instillé le doute quant à savoir si elles sont ou non le produit de l’action du Diable.

31La musique chrétienne contemporaine renvoie en général à une dynamique de production et de circulation musicale développée à partir des années 1960 aux États-Unis, avant de s’internationaliser en quelques décennies et de s’installer à l’échelle mondiale. Elle repose sur l’adaptation de pratiques, de genres et de styles musicaux « séculiers » à des paroles et à des usages chrétiens, dans un éclectisme qui va de nos jours de la musique rock jusqu’au punk, en passant par le rap (Martin 2001 ; Gooch 1996), et en développant des genres comme le white metal, le christian reggae, etc. Ce phénomène a mené à un tournant radical dans la perception collective de la pratique musicale cultuelle chrétienne, désormais marquée par l’abandon des hymnologies classiques et en général acoustiques, en faveur de répertoires musicaux modernes amplifiés électriquement.

  • 14 La Jesus music se réfère à la musique produite au sein d’un mouvement lancé dans les années 1960 pa (...)

32Encore qu’il ne soit pas simple de localiser l’origine et les causes tangibles d’un phénomène de si grand impact à l’échelle mondiale, il est cependant possible d’avancer quelques arguments qui nous aideront à contextualiser le phénomène ainsi que la relation que les croyants et les musiciens de l’Iglesia filadelfia entretiennent avec lui. Du point de vue musicologique, la musique chrétienne contemporaine se trouve étroitement liée à la popularisation et à la diffusion progressives de genres de musique sacrée de fondement chrétien comme le gospel (Burnim 1980 ; Burnim & Maultsby 2004) ou ce que l’on appelle la Jesus music des années 196014. À son tour, ce fait n’est pas étranger au développement, tout au long du xxe siècle, d’une « industrie phonographique » qui a irrémédiablement transformé les modes d’exécution, d’interprétation, de production et de diffusion de la musique.

33Les mouvements du renouveau charismatique – auxquels sont affiliés des mouvements pentecôtistes comme l’Iglesia filadelfia – ont participé eux aussi à cette nouvelle conceptualisation de la musique, par leur façon de promouvoir une mise en musique systématique des messes et des cultes, fondée – une fois de plus – sur l’idée du pouvoir de la musique comme mode d’adoration et de louange. Ces mouvements considèrent la capacité de « musiquer » comme un charisme, un don. Ce don, en tant que caractéristique de l’expérience charismatique du sacré, transcen-derait la dimension « politique » des divers courants chrétiens. C’est ainsi que la musique chrétienne contemporaine – et les artistes qui y sont impliqués – apparaît rarement liée à un mouvement religieux spécifique, mais s’assimile plutôt à une spiritualité, à une universalité chrétiennes non identifiées à une ligne doctrinale précise. Il n’est pas facile, par exemple, lorsque l’on achète un disque de musique chrétienne contemporaine, de reconnaître, du moins immédiatement, l’origine et le lien du projet ou de l’artiste à une Église en particulier.

34Quoi qu’il en soit, cette nouvelle perception musicale a donné lieu à une intense activité discographique intégrée aux politiques de production caractéristiques des médias, avec l’inauguration de canaux (radio, télévision, publications) propres à la diffusion globale du « message chrétien » (Chesnut 1997 ; Schultze 1996 ; Stout & Buddenbaum 1996). Ce qui autorise aujourd’hui à parler d’une « industrie de la louange » (Garma-Navarro 2001) pour définir les productions et les mécanismes de diffusion et d’interprétation de la musique chrétienne.

35C’est par ces canaux encore que se développe, en concomitance avec le phénomène lui-même, un processus de réflexion critique sur la musique chrétienne contemporaine. L’apparition de cette dernière comme fer de lance du renouveau chrétien est considérée à la fois comme « la plus grande révolution dans l’Église moderne » et comme « la plus grande source de controverse » en son sein (Miller 2000 : 19).

  • 15 On pourra avancer, avec raison, que le débat public sur la musique religieuse ne sont pas l’apanage (...)

36Comme je l’ai avancé plus haut, avec le surgissement de la musique chrétienne contemporaine, le problème du « satanisme musical » a cessé de concerner uniquement la pratique musicale extérieure à l’Église pour affecter de l’intérieur la pratique musicale chrétienne15. Tous les musiciens, théologiens et orateurs chrétiens ne partagent pas forcément un avis positif sur la musique chrétienne contemporaine. Dans son ouvrage, Marcos Witt cherche à décrire, sur le mode de la réflexion, le problème du « ministère musical » à la lumière de cette discussion et il illustre le « dilemme » sous-jacent au débat. Il mentionne ainsi que le « bon psalmiste » sera celui qui est capable de se défendre des « influences négatives du monde et de la musique séculière » (Witt 1995 : 165). Cette idée fait suite à la reconnaissance du fait que les musiciens chrétiens contemporains sont souvent tentés par des actions ou envahis par des sentiments peu « chrétiens » – c’est-à-dire peu en accord avec l’idéal éthique et moral type défendu par un bon chrétien : être humble, serviable, discret, respectueux de ses engagements, mû par l’esprit de sacrifice, et non pas ambitieux, aimant le gain, vaniteux, corrompu, spirituellement faible –, ce qui, nous l’avons vu plus haut, est considéré comme la marque d’une interférence satanique.

37Il est possible de distinguer dans ces arguments des positions anti-éthiques reposant sur deux perceptions différenciées :

38une perception positive, qui considère la musique chrétienne contemporaine comme un « mouvement démontrant la vivacité de l’Esprit saint » (Miller 2000 : 17), un renouveau sous forme d’évangélisation, de louange et d’inculturation, dans un langage adaptable à tous les âges, groupes, ethnies, etc. Dans cette perception se trouve renforcée l’importance du langage et de la communicabilité de la musique en tant qu’armes de prosélytisme puissantes : une autre manière de combattre le Diable ;

39une perception négative, qui voit dans la musique chrétienne contemporaine l’intro-duction dans les églises des vices et des corruptions (vanité, orgueil, appât du gain, etc.) identifiés dans la musique « du monde », ou musique profane, nettement dominée par l’œuvre de Satan (Blanchard, Anderson & Cleave 1983). De nombreux auteurs défenseurs de cette perception alertent sur le fait que la musique rock – qui contribue le plus au phénomène de la musique chrétienne contemporaine – intègre, tout comme le blues, des rythmes « démoniaques » utilisés ailleurs (notamment dans la musique africaine) pour la possession et la transe (Miller 2000 : 41 et suivantes).

40Ces perceptions confèrent un rôle d’agent particulier à Satan, en le faisant participer à une altérité identifiée comme l’opposé du salut : la perdition. Par ailleurs, elles ne font que refléter le problème essentiel de la relation entre ceux qui sont l’« Église » – autrement dit, ceux qui ont été sauvés – et le reste du « monde ». En incorporant des choses « du monde » (la musique profane) pour les amener à l’« Église », la musique chrétienne contemporaine se place automatiquement au centre de ce qui est souvent désigné comme une « bataille spirituelle » : la communauté de croyants, qui se place « en Dieu », considère le monde comme le lieu où résident ceux qui n’ont pas été sauvés – lieu qui constitue, nous l’avons vu, le territoire de Satan. Ce monde toutefois est également envisageable comme une « terre de mission » comptant de nombreuses âmes à sauver, pour l’évangélisation desquelles la musique chrétienne contemporaine peut être une arme décisive.

41Ainsi la carrière de musicien est-elle souvent envisagée comme un paradigme de cette bataille spirituelle. Elle aussi peut être frappée d’ambiguïté : le musicien est considéré comme bénéficiant d’un « charisme », d’un don concret, mais si ce charisme n’est pas bien interprété et assumé, l’artiste court le risque de devenir, à l’opposé, une personne trop « charismatique », de prendre une place excessive au regard de l’éthique comportementale des évangéliques. Lorsque cela se produit, c’est que l’artiste s’est laissé corrompre par Satan.

42Les artistes évangéliques tsiganes n’échappent pas à ces logiques. Ils se livrent eux aussi à des dynamiques particulières, incluant le débat sur la bataille spirituelle contre Satan dans leur activité musicale. Les Tsiganes évangéliques ne s’interrogent pas, du point de vue du genre musical, sur la pertinence d’une rumba ou d’un fandango – ni même d’une sonorité plus « pop » ; en revanche, ils débattent, en terme de « musique du Diable », les implications morales de ces musiques. C’est le cas par exemple des artistes professionnels tsiganes convertis au mouvement évangélique qui se heurtent à la difficulté de faire coïncider deux styles de vie que l’Iglesia filadelfia considère comme inconciliables (Llera Blanes 2006a : chap. iii et vi). Les difficultés surgissent aussi bien, en sens inverse, pour les croyants-musiciens qui bâtissent des carrières musicales à partir de l’Église. Je propose ainsi de suivre l’un des cas que j’ai suivis au cours de mon travail de terrain.

Le pouvoir ambivalent de la musique : une étude de cas

  • 16 Nom fictif.

43En 2004, j’assistais à un festival évangélique à Getafe, municipalité au sud de Madrid. Y participait Joaquı́n16, l’un des principaux artistes tsiganes évangéliques d’Espagne – l’un des seuls du moins à développer un répertoire discographique distribué commercialement, et à entrer dans un circuit international de concerts et de festivals chrétiens. Il s’agissait donc d’une personne très connue et très sollicitée au sein de l’Iglesia filadelfia.

44À la fin du festival, je me mis à sa recherche afin de faire sa connaissance. Attendant mon tour pour lui parler, j’entendis une conversation entre un croyant et lui. Le croyant racontait à Joaquı́n comment, assistant à son concert, il avait eu une vision. Il avait vu planer au-dessus de l’artiste deux anges, puis Dieu avait parlé au croyant, lui demandant de transmettre ce message à Joaquı́n : que celui-ci soit sûr que chaque fois qu’il monterait sur scène Dieu enverrait ses anges pour le protéger et bénir ceux qui l’écouteraient. La conversation se termina par une chaleureuse accolade entre Joaquı́n et le fidèle.

45Les artistes, en tant que personnages publics, sont souvent exposés à des manifestations de soutien et d’amabilité comme celle que je viens de décrire. Par ailleurs, nous l’avons vu, au sein de l’Iglesia filadelfia (espace de croyance pentecôtiste et charismatique) l’activité de musicien est interprétée comme un don et s’affirme en cela propice à l’intervention divine. Dans ce cas concret, la certitude était transmise que les anges aideraient Joaquı́n à « proclamer la gloire de Dieu ». Comme nous le constaterons plus loin toutefois, cette assurance est loin d’être partagée par l’ensemble de ceux qui prêtent attention à la carrière de Joaquı́n.

46Joaquı́n est né dans une famille de croyants et, tout petit, il fréquentait un lieu de culte dépendant de l’Iglesia filadelfia des environs de Madrid. Sa carrière musicale n’a cessé de progresser. Il a commencé par enregistrer des cassettes à la maison, dans sa chambre, et à jouer dans un groupe de louange local, pour ensuite enregistrer dans le studio renommé d’Adolfo Rivero  – le « grand studio de musique chrétienne à Madrid » – et se déplacer de plus en plus souvent dans des festivals évangéliques très fréquentés. Il ne s’est pas engagé pour autant dans la voie du professionnalisme. Malgré les gains financiers tirés de son activité (qui lui permirent notamment d’acheter une belle maison dans les environs de Madrid et d’y monter un studio privé), Joaquı́n continuait à vendre ses disques sur les marchés de la région. C’est ainsi que la notoriété dont il jouissait était plus médiatique que financière. Comme il n’a eu de cesse de me l’affirmer, son « don » a été d’être « au bon endroit et au bon moment » et de connaître les bonnes personnes. Cet exposé, plutôt pragmatique et quelque peu hors du cadre des récits d’inspiration divine – que Joaquı́n ne rejetait pas, bien au contraire –, montre une personne intégrée à certains univers déterminés, médiatiques et commerciaux, ayant même une vision assez désenchantée de ce qui l’entoure – vision dont j’ai pu percevoir qu’elle dérivait des conséquences de son succès artistique dans le milieu religieux.

47Joaquı́n a toujours eu pour stratégie de collaborer étroitement avec d’autres agents et d’autres milieux évangéliques non tsiganes (en participant à des festivals, à des émissions télévisées, radiophoniques, etc.), dans le but d’assurer une promotion aussi bien individuelle (du projet artistique, de l’artiste) que collective (de l’Iglesia filadelfia, du peuple tsigane). Cette stratégie a été interprétée de diverses manières au sein du mouvement. Il est arrivé par exemple qu’on accuse Joaquı́n de « se mélanger à des païens » par pur égoïsme. J’ai d’ailleurs moi-même entendu plus d’une fois des commentaires méprisants sur sa personne, le décrivant comme quelqu’un de vaniteux et d’excessivement ambitieux. Cela donne une idée de la façon dont il pouvait être considéré en tant qu’« objet public ».

48De fait, il y a environ cinq ans, de vives discussions avec certains dirigeants du mouvement l’avaient amené à abandonner provisoirement son église locale et à en fréquenter une autre qui n’appartenait pas à l’Iglesia filadelfia. Il fallut plusieurs années pour que les divergences se résolvent par le dialogue et que Joaquı́n décide de revenir au sein de l’Iglesia filadelfia. Son histoire est celle de quelqu’un qui a dû « payer pour son succès ». Elle est révélatrice de l’attitude méfiante avec laquelle les personnages publics – les artistes notamment – sont considérés dans ce contexte religieux.

49On trouve en Espagne un exemple encore plus flagrant de ce type de divergences. Le Tsigane catalan Pere Pubill i Calaf, surnommé « Peret », était dans les années 1960-1970 l’un des artistes les plus populaires de ce qu’on appelle la rumba catalane. Peret était un musicien internationalement reconnu, avec comme points forts de son succès la chanson Borriquito et sa participation au concours Eurovision de la chanson en 1974. Alors qu’il semblait incarner, par son style de vie, le « Tsigane artiste » (combinant l’alcool, les drogues et les femmes), il annonça en 1982 qu’il s’était converti à l’Iglesia filadelfia et qu’il abandonnait totalement son activité musicale pour s’appliquer à devenir « ouvrier de Dieu ». Ce moment fut important pour le mouvement lui-même, auquel il fournit une visibilité jusqu’alors inédite. Dix ans plus tard cependant, le chanteur réapparaissait sur la scène publique, chantant au cours de la cérémonie de clôture des jeux Olympiques de Barcelone en 1992, et critiquant durement le mouvement Filadelfia. Peret accusait les dirigeants de l’Iglesia filadelfia de tromper ses fidèles en tirant profit de leurs fragilités émotionnelles et en agissant comme une secte (Sánchez-Mustich 2005). Aujourd’hui, sa position est moins accusatrice, mais il reste le souvenir de la divergence qui a marqué sa sortie du « culte » et des problèmes éthiques soulevés tout au long de ce processus. Les pasteurs, les « ouvriers » et les croyants avec lesquels j’ai parlé de cet épisode sont d’accord pour dire que Peret a souffert d’être « entré d’une façon si radicale » dans le culte – au bout d’un an, fait exceptionnel, il était déjà pasteur – sans avoir eu le temps de se préparer physiquement et psychologiquement à abandonner les plaisirs du « monde » et à accepter pleinement le plaisir de la « présence de Dieu ». C’est-à-dire sans avoir eu le temps de parvenir à une compréhension correcte de la doctrine et de la spiritualité de l’Iglesia filadelfia. Par excès d’ambition, il avait voulu accéder trop rapidement au sommet du pouvoir.

50Il existe ainsi dans l’activité des artistes une composante publique assimilable à un « territoire d’ambiguïté » : un espace où l’artiste engrange l’admiration, le respect, la reconnaissance et le progrès économique, mais qui peut également se révéler un espace de divergence et d’accusation. Des artistes tsiganes évangéliques comme Joaquı́n, même s’ils agissent à une échelle qui n’est ni celle du secteur commercial formel ni celle du marché international, sont conscients de ces ambiguïtés et connaissent les vicissitudes de la vie des « personnages publics ». Cette conscience est inhérente à l’activité discographique même et à la représentation en direct des artistes ; elle est visible, par exemple, dans le soin mis pour élaborer les pochettes des disques, sur lesquelles sont privilégiés les paysages sources d’inspiration, les éléments bibliques, les attitudes corporelles de louange, etc.

51Nous voyons comment les options professionnelles de Joaquı́n, comment l’histoire de Peret, parce qu’elles s’écartent de la norme reconnue par l’Iglesia filadelfia, en viennent à être interprétées à la lumière de discussions plus vastes touchant la musique religieuse. On identifie au schéma d’action de Satan la vanité, l’ambition, la corruption – autant de signes que le Diable essaie de « conquérir le terrain » des sauvés. Mais on comprend également comment cette identification n’est pas limitée à la sphère du combat spirituel : nous lisons entre les lignes, dans le cas de Joaquı́n, que ce qui, à un certain moment, fut mis sur le compte d’un « excès d’ambition » – le paradigme de l’ange déchu – était en fait une question d’orthodoxie ethnicitaire. Si sa production musicale n’a jamais été remise en cause – ne suscitant rien d’autre que de l’admiration –, la stratégie de Joaquı́n pour devenir un professionnel a été en quelque sorte interprétée comme un rejet de son origine tsigane. Nous comprenons ainsi que dans le contexte de l’Iglesia filadelfia la notion de « moralité musicale » est liée également à une idée de religiosité ethnique – ou mieux encore : de religiosité tsigane. En somme, sortir de la sphère tsigane pour entrer dans la sphère du « Blanc » (même si ce Blanc est également chrétien) a été interprété comme une démonstration d’égocentrisme – précisément l’un des principaux résultats de la corruption encouragée par le Diable. La musique est ainsi instrumentalisée comme s’il s’agissait d’une frontière entre territoires sacrés et territoires mondains, entre territoires tsiganes et territoires non tsiganes.

Conclusion : le Diable, identité et ambiguïté

52À aucun moment de son parcours, que je sache, Joaquı́n n’a été accusé de satanisme. Il n’est pas même considéré persona non grata aux yeux des croyants de l’Iglesia filadelfia, bien au contraire. Simplement, il a pénétré dans le « territoire de l’ambiguïté » et en a subi les conséquences : être un musicien chrétien de nos jours. La visibilité découlant de son activité a appelé sur lui l’Esprit saint (les apparitions des anges, l’inspiration divine), mais aussi le Diable (la corruption supposée, le rejet de la tsiganité).

53C’est ainsi que les débats sur la musique et la spiritualité sont producteurs de notions de croyance et d’identité plus vastes. La conflictualité et les divergences inhérentes à toute discussion publique embrassent inévitablement des visions du monde, des idéologies, des notions de « vérité ». Nous l’avons vu, la musique joue un rôle central dans la doctrine, les rituels et la vision du monde des croyants de l’Iglesia filadelfia : « s’échapper » de cette sphère entraîne incompréhensions et accusations. Joaquı́n a été « jugé » non seulement en tant qu’artiste, mais aussi en tant que croyant et en tant que Tsigane.

54Ce « territoire d’ambiguïté » existe déjà dans la mesure où l’expérience religieuse charismatique dichotomise la cartographie morale du croyant (établissant une distinction entre « Église » et « monde »). Il existe aussi dans la mesure où la musique, du point de vue chrétien évangélique, est imprégnée d’un pouvoir ambivalent : celui d’évangéliser et d’adorer, mais aussi celui de corrompre. Ce territoire est en grande partie dessiné par l’action contra natura du Diable dans son plan d’attaque contre l’« Église ». 

55De ce point de vue, la figure du Diable peut être interprétée comme celle d’un gestionnaire de typographies idéologiques et identitaires, comme celle enfin d’un configurateur de moralité. Sur le plan de l’activité musicale, le Diable opère tel un agent, dans la mesure où il participe à la définition et au classement des comportements et des discours des personnages publics que sont les musiciens. Cet agent a pour fonction, en premier lieu, d’influencer les comportements et le quotidien des croyants – en particulier des musiciens eux-mêmes, bien sûr. Il a également pour objet d’offrir  une antithèse du mode de vie chrétien. Ainsi comprenons-nous comment le musicien peut être l’objet aussi bien d’admiration que de rejet, suivant une logique qui finit par dépasser la seule sphère musicale – le dilemme portant tout à la fois sur ce qu’est un « véritable musicien » que sur ce qu’est un « véritable croyant » et, pour finir, un « véritable Tsigane ».

56S’il est certain que la catégorie d’« ethnicité tsigane » est fragmentée et tout sauf consensuelle (Gay y Blasco 2002 ; Mayall 2004), il n’en est pas moins vrai que les Tsiganes eux-mêmes établissent des catégories de distinction ethnique, que ce soit au moyen de la notion de « culture » (musique, coutumes) ou de celles de mémoire, de famille, de croyance, de consommation, etc. La musique, en raison de son fort caractère opératif, tant du point de vue identitaire que du point de vue religieux, est l’un des principaux instruments de négociation utilisés au sein de l’Iglesia filadelfia. À leur tour, comme j’ai cherché à le démontrer ici, ces catégories de distinction sont régulièrement soumises à la médiation du Diable, l’« agent musical », qui participe au processus par le biais des territoires de l’ambiguïté, de l’ambivalence et du conflit.

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Notes

1 Bien entendu, ces visions globales ne s’accordent ni avec la forte variabilité qui caractérise cette panoplie ni avec la diversité des caractérisations « ethniques » et « éthiques » qui les accompagnent (chrétienne, évangélique, charismatique, pentecôtiste, néo-pentecôtiste, du renouveau, etc.). Bien que les termes et les contextes détectés ici soient fortement contestables, nous adopterons dans ce texte une formulation se résumant à l’épithète « évangélique » – une épithète souvent invoquée par les croyants eux-mêmes dans des contextes semblables à ceux dont il s’agit ici.

2 Bien souvent ce taux est supérieur à 50 % (Llera Blanes 2006a : chap. i).

3 Rappelons que, contrairement à ce qui se produit dans des pays comme la France ou la Hongrie, il n’existe pas de différenciation ethnique entre les Tsiganes du Portugal et ceux d’Espagne (Llera Blanes 2006a).

4 C’est dans ces contextes urbains et suburbains des villes de Lisbonne et de Madrid que j’ai mené mes recherches, de 2002 à 2005. Celles-ci se sont déroulées dans le cadre d’une thèse de doctorat soutenue en 2006, intitulée « Aleluia ! Música e identidade num movimento evangélico cigano na Península Ibérica » (« Alléluia ! Musique et identité dans un mouvement évangélique de la péninsule Ibérique »), conduite sous la direction de João de Pina Cabral à l’Instituto de Ciências Sociais. Je profite de cette note pour remercier Catarina Fróis, pour sa lecture attentive du présent texte ; Rita Jorge, pour m’avoir fourni les images qui le complètent ; João de Pina Cabral et Ramon Sarró, pour nos intéressantes discussions sur le diable chrétien. Je tiens également à remercier Colette Guillot da Costa pour son excellent travail de traduction.

5 Cajón : instrument à percussion qui consiste en une caisse en bois sur laquelle le joueur s’assied et qu’il frappe avec ses mains. (Ndt.)

6 Voir par exemple Liégeois (1989) ; Williams (1993) ; Pasqualino (2002) ; Gay y Blasco (2002) ; Cantón Delgado et al. (2004) ; Llera Blanes (2006a).

7 Voir par exemple Friedson (1996) ; Reily (2002) ; Dianteill (2004) ; Helmlinger (2005).Nous entendons aussi, il est vrai, des mélodies et des rythmes récupérés de la musique chrétienne contemporaine. Dans ce sens, de nombreux morceaux de musique mêlent l’aspect pop avec l’aspect « ethnique » (Llera Blanes 2004).

8 Nous entendons aussi, il est vrai, des mélodies et des rythmes récupérés de la musique chrétienne contemporaine. Dans ce sens, de nombreux morceaux de musique mêlent l’aspect pop avec l’aspect « ethnique » (Llera Blanes 2004).

9 Voir par exemple Campbell (1988) et Stewart (1991) pour le contexte grec ; Pina-Cabral (1992) pour le contexte portugais ; Taussig (1980 ; 1987) pour le contexte sud-américain.

10 Voir par exemple Birman, Novaes & Crespo (1997) dans le cas brésilien. Dans ce contexte, l’Église universelle du royaume de Dieu, néopentecôtiste, est aussi un bon exemple de la position du Diable au centre de la doctrine (Mafra 2002 ; Corten, Dozon & Oro 2003). Pour le contexte africain, voir Meyer (1999) ; pour le contexte nord-américain, Csordas (1997).

11 Voir par exemple Luc 8, 12 ; Éphésiens 6, 11 ; Apocalypse 20, 3. J’ai recueilli ces éléments doctrinaux dans les études bibliques disponibles dans les différents sites de l’Iglesia filadelfia au Portugal et en Espagne. Notons également que dans cette configuration n’entrent pas d’éléments associés aux croyances traditionnelles tsiganes : mauvais œil, mauvais sorts, etc. La doctrine évangélique de l’Iglesia filadelfia rompt avec celles-ci de façon explicite (Llera Blanes 2006a : chap. iii).

12 L’une des formules les plus souvent véhiculées dans les médias évangéliques est : « En Jésus nous sommes plus que vainqueurs. »

13 Traduit de l’espagnol en portugais par l’auteur.

14 La Jesus music se réfère à la musique produite au sein d’un mouvement lancé dans les années 1960 par des groupes de hippies nord-américains convertis au christianisme évangélique (Howard & Streck 1999 ; Kavanaugh 1999).

15 On pourra avancer, avec raison, que le débat public sur la musique religieuse ne sont pas l’apanage de ce contexte et de ce moment historique – cela fait partie de toute réflexion de caractère théologique, indépendamment de la croyance ou de la confession. Il faut reconnaître cependant que cela ne s’est jamais fait à une telle échelle globale et avec autant de publicité que dans le cas de la musique chrétienne contemporaine.

16 Nom fictif.

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Pour citer cet article

Référence papier

Ruy Llera Blanes, « Satan, agent musical »Terrain, 50 | 2008, 82-99.

Référence électronique

Ruy Llera Blanes, « Satan, agent musical »Terrain [En ligne], 50 | 2008, mis en ligne le 15 mars 2012, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/9003 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terrain.9003

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Auteur

Ruy Llera Blanes

Instituto de Ciências Sociais, université de Lisbonne / université de Leyde

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