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Repères

Chassés-croisés dans l’espace montagnard

Chasse et renouvellement des liens à l’environnement en Hautes-Pyrénées
Ludovic Ginelli et Sophie Le Floch
p. 123-140

Résumés

La pratique de la chasse, loin d’être systématiquement le support de conflits entre chasseurs et non chasseurs, peut être le vecteur du renouvellement des liens – matériels et symboliques – entre des groupes sociaux et l’espace géographique. Nous prendrons pour exemple les habitants de Villelongue : ceux-ci font part de leur distanciation avec leur espace montagnard, distanciation qui est à la fois condition et produit du choix de la société locale de tourner le dos à la vie paysanne pour « évoluer » ; simultanément, ils évoquent la requalification de cet espace par et à travers des pratiques de loisirs et, en particulier, la chasse.

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Texte intégral

1Dans le contexte actuel, marqué par des changements majeurs pour nos sociétés (avènement de la société de l’information, globalisation, etc.), la question du rapport entretenu par les hommes à l’espace et aux lieux constitue un enjeu important. Elle oppose notamment ceux qui considèrent que l’espace et les lieux ont perdu de leur pertinence – depuis les premiers travaux sur la notion de « placelessness » (Relph 1976) en passant par les « non-lieux » (Augé 1992), etc. – à ceux qui, au contraire, affirment que les rapports à l’espace sont toujours, voire plus que jamais d’actualité (Gustafson 2001 ; Ward Thompson 2002).

  • 1 Le nombre de chasseurs en France a fortement chuté, passant de plus de 2 400 000 en 1975 à 1 400 00 (...)
  • 2 Citons par exemple : l’Association nationale pour une chasse écologiquement responsable (ancer), cr (...)
  • 3 Valentin Pelosse le faisait déjà remarquer dans un article daté de 1988 : « Sauf oubli de ma part, (...)

2Pour notre part, nous pensons que l’ampleur et la passion des échanges auxquels donnent lieu certaines pratiques sociales de la nature et de l’espace témoignent de cette importance. La chasse en particulier, bien que connaissant une baisse soutenue de sa pratique1, fait l’objet de vifs débats. Ceux-ci peuvent prendre la forme de conflits d’usages locaux ou de conflits idéologiques (chasseurs / groupes environnementalistes), ou encore toucher à la sphère publique de manière assez large (il suffit d’observer les débats passionnés suscités par les lois sur la chasse de 2000 et 2003). Dans ce contexte, on assiste par ailleurs depuis quelques années à des tentatives de légitimation de la chasse et des chasseurs vis-à-vis de l’ensemble de la société, voire à la mise en place de processus d’échanges2. Dans le champ scientifique, l’intérêt assez tardif des sciences sociales pour la chasse3 ferait écho à la mise en débat dans les années 1970 d’une pratique jusque-là considérée comme « évidente et futile » (Pelosse 1988). La chasse a notamment été analysée comme compensation à l’urbanisation et à la « dépaysannisation », en d’autres termes comme une « réserve culturelle » (Chamboredon 1982), terrain d’expression de valeurs (valeurs viriles, code d’honneur, culte du groupe) n’ayant pas (plus) leur place sur d’autres scènes sociales, gagnées par l’urbanisation. L’accent est également mis sur son ancrage territorial (Bozon 1982) ou les fonctions d’« autodéfense collective » (Bages & Nevers 1982) remplies par une société de chasse. Le thème des conflits d’usages, bien évidemment lié à la question du territoire, a été largement abordé (Bozon, Chamboredon & Fabiani 1980 ; Vourc’h & Pelosse 1985 ; Weber 1982). D’autres aspects ont également été approfondis : souvent, la chasse a été analysée comme un « jeu » dont l’objet premier est la quête du « sauvage » (Pelosse & Vourc’h 1982, 1984).

  • 4 « Un territoire est un espace en tant qu’un pouvoir y exerce son emprise, qui commence par l’opérat (...)
  • 5 Le rapport à l’origine de la loi Chasse de 2000 a notamment pour ambition de répondre au conflit ch (...)
  • 6 Sur notre propre terrain, il reste tout à fait pertinent de considérer l’organisation des chasseurs (...)
  • 7 Corsín Jiménez définit l’espace comme une « capacité » : à la fois une étendue et une puissance (ap (...)

3Mais il nous semble toutefois que la dimension spatiale de cette pratique a été peu investie, et seulement a minima. En effet, dans les travaux existants l’espace n’est souvent présent qu’en filigrane derrière la notion anthropologique de « terrain » et/ou celle de « territoire » : c’est l’endroit où les relations sociales ont lieu et qui porte les marques des enjeux de pouvoirs qui s’y nouent4. Nous appuyant sur une idée largement répandue, et parfois traduite en problème politique5, nous avions nous-mêmes formulé l’hypothèse que les rapports chasseurs / autres utilisateurs de la nature pouvaient être conflictuels, notamment à proximité d’espaces protégés tels les parcs naturels. Mais les premiers entretiens auprès d’habitants ou d’acteurs institutionnels ont suffi pour battre en brèche notre hypothèse et la catégorisation classique chasseurs / non-chasseurs sur laquelle elle reposait. Ainsi, une analyse en termes de territoire, sans perdre de sa pertinence6, nous est apparue insuffisante : en se focalisant sur les jeux de pouvoir, une telle approche ne permet pas à notre sens de rendre compte du fait que dans le cas présent chasseurs et non-chasseurs se retrouvent bien plus qu’ils ne s’opposent dans leurs rapports à l’espace environnant et leurs qualifications de celui-ci. C’est ce constat qui nous a amenés d’une part à abandonner l’idée de catégories a priori, et d’autre part à nous appuyer sur une conception de l’espace empruntée à Alberto Corsín Jiménez (2003). Nous considérons l’espace comme une propriété des relations sociales7 ; l’espace n’est plus « où » les gens sont, mais il est « ce » que les gens font. Les pratiques matérielles, la façon dont elles se déploient dans l’espace, les objets physiques qu’elles concernent, sont, tout autant que les significations et les symboles attribués à ces espaces et à ces objets, constitutifs de ce que sont ou veulent devenir les groupes sociaux qui les mettent en œuvre. C’est pourquoi nous attacherons une importance toute particulière à l’examen des (dis)qualifications de l’espace montagnard par les habitants, symptomatiques des changements de leurs pratiques – qu’elles soient professionnelles ou de loisirs – et des relations sociales qui se nouent en ce lieu mais aussi ailleurs, hors des frontières du seul « territoire ». Partant, nous tenterons de démontrer l’hypothèse suivante : la pratique de la chasse, loin de systématiquement cristalliser des conflits entre groupes sociaux, pourrait aussi agir comme « réanimatrice » de nos rapports avec l’étendue terrestre, les phénomènes naturels et les êtres vivants, comme « réserve de matérialité » tout autant que « réserve culturelle » (Chamboredon 1982).

  • 8 Travaux réalisés dans le cadre d’une convention de collaboration entre le parc national des Pyrénée (...)
  • 9 La loi de 1960 à la base de la création des parcs nationaux prévoit la possibilité de créer, à côté (...)
  • 10 Marion Régent (2004) propose une analyse du phénomène fondée notamment sur l’interprétation de phot (...)

4Notre propos s’appuie sur des données empiriques recueillies dans la commune de Villelongue8 (Hautes-Pyrénées). Située dans la zone périphérique9 du parc national des Pyrénées, elle compte 291 habitants, relativement âgés puisqu’un tiers environ a plus de 60 ans (environ 20 % dans la population nationale). Les actifs, au nombre de 106, sont majoritairement employés dans les services (52) et dans l’industrie (36) hors de leur commune de résidence (insee, Recensement de la population 1999). L’agriculture n’emploie plus que quatre personnes à temps plein ; six exploitations utilisent 13,5 % des 2 046 hectares de la commune (Recensement général agricole, 2000). L’usage agricole, associé à des facteurs topographiques (pente et altitude), détermine les partitions spatiales à l’œuvre dans les représentations que les habitants ont de leur environnement et que résume parfaitement cet agriculteur : « On pourrait la classer sur trois étages, ici, la commune. Il y a la plaine, ici [centre-bourg] : on est à […] 450 mètres d’altitude. Y a Ortiac [hameau], 600 mètres d’altitude. Et puis y a les plateaux de Hérou, Prade et Hiou : les estives, à 1 000 mètres. Et puis après, au-dessus, y a la montagne, où on estive les vaches et les brebis l’été, quoi » (agriculteur, 35 ans). Le secteur est en outre marqué par de profondes modifications matérielles de l’espace, liées notamment à une déprise agricole surtout marquée dans les années 1950-196010.

  • 11 Certains des entretiens ont été réalisés par nous-mêmes, d’autres par Marion Régent dans le cadre d (...)
  • 12 Nous avons en outre rencontré des acteurs institutionnels a priori concernés par le thème de la cha (...)

5Nous11 avons conduit vingt-huit entretiens non directifs auprès d’habitants12 les plus diversifiés possible par rapport à un certain nombre de critères, tels que le genre (neuf femmes, dix-neuf hommes), l’âge (de 26 à 92 ans), la profession (actifs, retraités, employés, agriculteurs, propriétaires de gîtes…), les pratiques de nature (aucune, chasse, marche…), et enfin l’origine et la mobilité géographiques : dix-huit personnes originaires de Villelongue, sept de villages environnants, et trois hors département ; parmi elles, deux personnes habitent le village depuis peu (respectivement un et trois ans), et trois sont venues s’installer dans la commune ou sont de retour après une carrière professionnelle à l’extérieur. Les personnes interviewées étaient invitées à témoigner librement, avec leurs mots propres et depuis leurs pratiques propres, des changements qu’elles ont vécu touchant l’espace du village et ses alentours.

Le relâchement des liens entre les hommes et leur milieu

6D’une manière générale, les habitants sont attentifs aux changements de l’espace qui les environne : beaucoup soulignent avant toute chose les changements qui concernent le centre-bourg, le bâti, et qui renvoient à ce qui constitue pour eux les enjeux majeurs de leur territoire, à savoir l’évolution du nombre d’habitants, l’emploi, l’avenir de l’école. Ils ne sont toutefois pas aveugles à l’évolution de la végétation aux alentours du village, même s’ils n’évoquent pas en priorité ce type de changements. Ils notent un développement végétal important à tous les étages de l’espace communal, et distinguent plusieurs étapes (époques et localisations), plusieurs formes dans ce processus. Les versants enserrant le village sont anciennement agricoles mais presque tous les témoins ne les ont connus que boisés. Beaucoup disent également avoir assisté à la colonisation d’autres portions de l’espace par la végétation spontanée, consécutive à la déprise agricole. Cependant, les témoignages ne relèvent à aucun moment du cri d’alarme, du cri de révolte ou d’angoisse. Certes, les enquêtés n’apprécient pas forcément le développement des friches et des bois, mais peu de paroles relèvent d’un réel sentiment de malaise. Ils partagent tous peu ou prou une vision fataliste, même si, comme nous le verrons plus loin, cette évolution suscite une diversité de réactions.

7L’analyse approfondie des entretiens nous a amenés à déconstruire la présentation que les enquêtés font de l’enfrichement comme retour inéluctable et irréversible à l’ordre naturel des choses : l’enfrichement symbolise la distanciation d’avec l’espace montagnard, distanciation qui est à la fois la condition et le produit de l’évolution de cette population rurale vers des conditions de vie qu’elle estime devoir être celles de tout un chacun aujourd’hui, qu’il vive en plaine, en ville, ou même en montagne. Le fait que les préoccupations des habitants concernent avant tout le village et les liaisons que ce dernier entretient avec la vallée plutôt que l’évolution des espaces naturels proches, ainsi que l’insistance avec laquelle ils décrivent, de manière positive, l’amélioration des équipements publics et de l’habitat privé (le terme de « confort », en particulier, est récurrent), nous paraît tout à fait révélateur d’une volonté locale de se définir par cette capacité d’« évolution » (terme également fréquent) des modes de vie.

8Les enquêtés évoquent en effet abondamment le relâchement des liens entre les hommes et l’environnement physique qui se produit depuis la génération de leurs parents ou grands-parents ; à savoir depuis la première moitié du xxe siècle, lorsque la vallée a connu un fort développement des emplois dans les secteurs industriels et miniers. Ils soulignent qu’il y a désormais peu de monde au-dessus du village, alors qu’autrefois les familles vivaient littéralement dans la montagne à certaines saisons. La pression humaine sur le milieu s’exerçait continuellement, et cela sur nombre d’objets et d’espaces : sentiers et prés bien sûr, mais aussi haies, murettes, refus de pâturage dans les estives, sous-bois. Parmi la multitude d’usages que l’homme affectait au milieu et à ses composantes, beaucoup ont disparu : coupe de bois de chauffage, prélèvements de bois pour la confection de menus objets de la vie courante, récolte de châtaignes pour l’alimentation humaine ou animale, récolte de feuillages pour la litière animale, etc. La présence humaine indirecte, par la présence de bétail, s’est également réduite : moins abondant, le bétail a aussi tendance à « monter » moins loin et moins longtemps. D’où des parcelles voire des pans entiers de l’espace abandonnés.

9En outre, les liens subsistant entre les hommes et l’espace laissent de moins en moins de place au contact direct, corporel. Avant, « tout devait se faire à la main, et à pied » (adjoint au maire, 60 ans), aujourd’hui la machine s’interpose entre l’homme et l’environnement physique, que ce soit pour l’accès aux plateaux (on monte à l’aide d’un véhicule) ou pour les actes techniques agricoles (fauchage, transport de foin…). La sélection des espaces travaillés se fait donc en quelque sorte par la machine, tout ce qui n’est pas « mécanisable » est rendu à la nature : « Tout ça maintenant, les haies elles disparaissent, les prés… ils posent pas le pied par terre dans le pré, et ils font tout à la machine, ils touchent pas du tout le foin quoi » (propriétaire de gîte, 45 ans). Et si des espaces sont enfrichés, c’est bien parce que les hommes n’y vont plus, et non l’inverse. L’épouse : « C’est plein d’épines, c’est plein de branches, c’est plein de tout. Mais qui c’est qui va entretenir ce chemin ? […] Plus personne n’y passe ! » Le mari : « Pourquoi aussi entretenir les choses qui ne servent pas ? » (agricultrice, 53 ans ; agriculteur et chasseur, 58 ans).

10Globalement, beaucoup sont satisfaits du renoncement à l’agriculture de montagne, dont ils soulignent volontiers le côté contraignant : « [L’agriculture] j’avais horreur de ça ! hou là là oui, j’aimais pas du tout. Quand on devait partir dans les prés faire les foins, on avait des copines et des copains qui partaient s’amuser et nous on était bloqués en train de travailler et puis y avait les taons qui piquaient, l’herbe qui piquait les jambes, la poussière, c’était pas bien. Il fallait tout le temps travailler. Bon, il faut toujours travailler mais c’est pas pareil, c’est différent, c’est plus agréable » (propriétaire de gîte, 45 ans). Les témoignages sont au plus loin de l’image bucolique de la vie paysanne : « L’évolution s’est faite comme elle devait se faire […] Y a rien à dire ! C’est bien beau l’auréole de l’agriculteur, du berger qui siffle devant son chien, le clair de lune, les étoiles… tout ça c’est bien beau, mais c’est du rêve ! Ça c’était une beauté qui était difficile à vivre ! » (entrepreneur en bâtiment retraité, 70 ans environ). L’abandon de ce mode de vie est présenté comme résultant d’un choix légitime, celui d’accéder à une vie « meilleure » : « Les gens qui vivaient ici en polyculture […], à partir du moment où ils ont pu socialement évoluer, ils se sont tournés vers les entreprises, vers les commerces, ils ont eu une meilleure vie, un meilleur cadre de vie. […] Mais moi je ne reproche rien à personne : ils ont bien fait ! […] Quelque part, ça a arrangé tout le monde. Le pays, il en pâtit un peu : ben tant pis ! C’est nous qui vivons dans le pays ! » (entrepreneur en bâtiment retraité, 70 ans environ).

Le relâchement des liens entre les hommes et les animaux

  • 13 Anne Luxereau (1995), étudiant un village du Couserans, rapporte au contraire que les saint-gironna (...)

11Il est frappant de constater que les enquêtés expriment préférentiellement ce relâchement de leurs liens à un milieu par le biais de discours sur l’animal. L’amoindrissement des liens homme/animal est largement décrit, et prend plusieurs déclinaisons. D’une part, ce relâchement concerne le domestique : les effectifs des espèces ou des races traditionnelles diminueraient. En particulier le mouton, base traditionnelle de l’élevage local, n’intéresserait plus personne : « Et pourtant, c’est les moutons qui entretenaient la montagne, c’est pas les vaches ! Parce que les vaches, elles ne montent plus » (chasseur, ouvrier, 49 ans). Quant aux vaches, les « gentilles » et « braves lourdaises » (agricultrice, 50 ans) ont été abandonnées pour des blondes d’Aquitaine13. Un autre aspect de ce relâchement, très développé dans les entretiens, concerne le sauvage. Les habitants ont le sentiment que ce que nous appellerons « mauvais sauvage » – un ensemble d’animaux qualifiés négativement – progresse, comme s’il approchait des habitations avec la végétation : « L’environnement du village, […] ça devient le repaire de l’ours. C’est déjà le repaire des sangliers, des blaireaux, des renards, tout ça. Et on ne peut plus y aller ! Même les chasseurs ont du mal à y aller » (non-chasseur, entrepreneur du bâtiment retraité, 70 ans environ).

  • 14 Les journaux locaux relaient cette inquiétude en titrant « Les vautours fauves ont encore frappé », (...)

12De plus, certaines espèces aujourd’hui protégées (rapaces, vautours) sont parfois jugées « nuisibles » parce qu’elles s’attaquent aux troupeaux14. Ce « mauvais sauvage » est considéré tantôt comme impur (mêlé au domestique ou étranger), tantôt comme « malade » ou anormal : ours déséquilibré car plus carnivore, renard « affreux » lorsqu’il a la gale et si abondant qu’» on le trouve même en ville » (chasseur, retraité, 52 ans) ; sangliers « asthmatiques » (!) (agriculteur, 58 ans), vautours devenus prédateurs… Ce « mauvais sauvage » a très souvent pour caractéristique d’avoir été manipulé par l’homme, qu’il s’agisse des ours lâchés ou des vautours avec lesquels « on a joué aux apprentis sorciers » en faisant des nourrissages « massifs » puis arrêtés « du jour au lendemain » (technicien, fédération départementale des chasseurs).

  • 15 La question des conflits chasseurs / agriculteurs est un objet d’étude désormais bien connu et un p (...)
  • 16 Valentin Pelosse (1993) évoque une anecdote similaire.

13Les sangliers sont l’animal nuisible par excellence aux yeux des non-chasseurs. Pour certains, « ils démolissent tout. Ça c’est une nuisance » (employée retraitée, propriétaire d’une grange rénovée, 75 ans), un autre souhaiterait « les foutre tous par terre » (employé, 26 ans). Deux agriculteurs du village – dont l’un est chasseur – dénoncent vertement la présence de ces « bestioles », qui endommagent leurs cultures et leurs prairies15. Des enquêtés, chasseurs ou non, ajoutent qu’il s’agit de « faux sangliers » (agriculteur, 35 ans), croisés avec des cochons domestiques16, qui n’auraient pas le même comportement que les « vrais sangliers [qui] ne descendaient pas jusqu’ici » (chasseur, cheminot retraité, 73 ans) et présenteraient l’énorme inconvénient de se multiplier beaucoup plus. La confrontation avec ces « faux sangliers » ne fuyant pas devant l’homme devient pour certains troublante voire périlleuse : « J’ai essayé moi de le faire partir, le sanglier, avec des cailloux. Quand j’y suis allé, il [mon chien] était tout ouvert. Enfin, je suis descendu lui faire faire dix-sept points à Argelès. Alors, soi-disant, on a dit après que c’était une truie qui était dans le coin avec les petits. Mais est-ce qu’un sauvage serait venu à nous alors qu’il nous voyait devant le ruisseau, là ? et le chien était là, à côté de nous, pas loin. Alors… » (chasseur, cheminot retraité, 73 ans).

  • 17 La capture du vieil ours autochtone Papillon, mort de vieillesse en septembre 2004 dans le village (...)

14Une autre illustration de cette idée est la façon dont des personnes distinguent les « bons » ours des « mauvais » ours : les premiers sont les ours pyrénéens, les seconds sont les ours introduits, qui se caractériseraient par leur comportement jugé anormal et notamment une tendance à devenir beaucoup plus carnivores. Pour certains, l’ours présent sur le terrain à l’époque de notre enquête, parfois décrit comme « déséquilibré » et n’ayant « pas peur de l’homme » (chasseur, ouvrier, 49 ans), ne pouvait qu’être étranger17 : « Soi-disant – on sait pas trop non plus, on n’est pas des spécialistes –, mais les ours des Pyrénées sont essentiellement omnivores. Que les ours slovènes sont essentiellement carnivores. D’où se pose un gros problème » (agriculteur, 35 ans).

Chasse désenchantée et regret du « bon sauvage »

15Comme les autres, les chasseurs sont loin de se réjouir de la prolifération de ces animaux. Ils sont d’ailleurs particulièrement attentifs à l’évolution de la faune. Premièrement, ils soulignent davantage la disparition du « bon sauvage », selon eux liée à celle du « bon domestique », en particulier du mouton. Quatre d’entre eux associent explicitement le sort de celui-ci à celui du « bon sauvage », notamment la perdrix : « [À] la société [de chasse], on est sûrs d’une chose et on est formel là-dessus : la disparition du perdreau, elle est due au manque de bétail dans la montagne, surtout au manque de moutons. […] Si les gens amenaient davantage de moutons sur la montagne de Villelongue, ça serait mieux pacagé par les moutons, on reverrait le perdreau » (chasseur, ouvrier, 49 ans). Deuxièmement, le « bon sauvage » est selon eux victime du « mauvais » : rapaces, corbeaux, fouines, martres et renards nuisent au petit gibier de montagne (perdrix, lagopède, grand tétras) ou à leurs couvées. En outre, le piégeage de ces « nuisibles », présenté comme une pratique autrefois répandue, est aujourd’hui entravé par des « réglementations draconiennes » (chasseur, employé, 52 ans), voire rendu impossible pour les espèces désormais protégées : « Il faut faire des demandes à la préfecture, à la mairie [ton las], bon, partout, quoi. Pour faire un piégeage, il faut passer huit jours à faire des papiers ! Il faut attendre des réponses, et… Et puis c’est pas comme avant, quoi » (chasseur, retraité, 60 ans).

  • 18 « Ce partage de la même passion se retrouve avec le sacrifice des congés consacrés en totalité ou e (...)
  • 19 Par exemple la « maladie bleue » des chasseurs de palombes du Sud-Ouest, ou le « jagdfierber » (fiè (...)
  • 20 Il fait ici référence aux conflits récurrents, au niveau départemental, avec les agriculteurs au su (...)

16Alors qu’il n’y a plus de « vrais » sangliers pour la majorité des non-chasseurs, les avis sont plus partagés dans les rangs des chasseurs. Cette remise en cause est uniquement le fait de quatre chasseurs, au profil atypique (anciens chasseurs, chasseur agriculteur) par rapport à la chasse dominante à Villelongue aujourd’hui : la chasse au sanglier. Dans la commune, cette dernière a lieu « tous les samedis et dimanches » (chasseur et président de la société de chasse communale, 51 ans) de mi-octobre à fin janvier, et huit des onze chasseurs interrogés la pratiquent. Mais, alors que les chasseurs décrivent souvent leur pratique comme une « passion »18 voire une « maladie »19, la plupart semblent ici bien désabusés et évoquent volontiers son côté « contraignant » (président de la société de chasse communale). De plus, alors qu’au dire de tous cette espèce bénéficie de l’enfrichement, pour les acteurs institutionnels du secteur le constat est sans ambiguïté : « Mais nous, que le milieu se bouche, il faut bien se mettre dans la tête que ça ne nous arrange pas du tout du tout ! […] On va à la chasse comme si on allait au boulot, on se fait engueuler tous les jours. On est masos mais quand même20 ! » (administrateur de la fédération départementale des chasseurs, et chasseur de sangliers dans une commune proche de Villelongue).

  • 21 Nom local du merle à plastron.

17L’analyse approfondie des entretiens révèle clairement que les chasseurs apprécient leurs pratiques actuelles à l’aune de celles du passé. Toutes les chasses dominantes jusque dans les années 1970 – perdrix grise, coq de bruyère, lièvre, lagopède, pies de mars21 et isards – avaient en commun de toujours se pratiquer à pied, seul ou par petits groupes d’affinités, et d’emmener les chasseurs dans la montagne, parfois pour plusieurs jours. La chasse en battue au sanglier s’oppose en tout point à ces dernières. Tout d’abord, il s’agit d’une chasse collective, point de quête avec son chien contrairement à la chasse « devant soi » : à l’exception du piqueur, les participants sont « placés à leur poste » (chasseur, ingénieur retraité, 52 ans) et passifs, et passent parfois la matinée « à se geler au poste » (chasseur de sanglier, ancien piqueur, retraité, 70 ans).

  • 22 À l’exception de la chasse à l’isard, mais après réintroduction et plan de chasse.
  • 23 Même si un certain flou règne en la matière. Selon la fédération des chasseurs des Hautes-Pyrénées, (...)

18Cette forme de chasse ne leur permet guère de parcourir comme autrefois le milieu naturel ; c’est d’ailleurs typiquement la chasse par défaut de chasseurs âgés qui ont des difficultés à marcher : « J’ai eu pas mal d’opérations, je ne peux pas monter en montagne, alors je vais au sanglier encore par ici, avec les types, là. Alors, on me marque dans des postes… J’y vais pour passer le temps, mais ça ne me dit plus rien » (chasseur, mécanicien retraité, 74 ans). Les chasses anciennes ont également en commun d’avoir quasiment disparu22 : les effectifs de ces espèces ont, au dire des chasseurs, chuté de manière dramatique ces dernières années23. Même les palombes, oiseaux migrateurs emblématiques des Pyrénées, ne passent plus dans le secteur, ce que regrette cette épouse de chasseur : « Alors ça, ce sont des choses qu’on ne voit plus, tiens ! Voilà. Ça c’est un changement. Ça oui, ça c’est un changement. Oui. Et ça, ça m’avait beaucoup plu » (épouse de chasseur, retraitée, environ 70 ans). Tous, ou presque tous, sont nostalgiques de ces chasses, d’un passé qui n’est pas si lointain. Certains, inconsolables et captivés par un seul type de chasse, ont préféré arrêter, comme l’explique ce jeune homme passionné par le coq de bruyère : « Maintenant ils seraient tristes quoi, tous mes oncles seraient tristes par rapport à ce qu’ils ont connu quoi. […] Ils ont commencé à chasser après la guerre, c’était la pléthore quoi… la pléthore c’était, c’était… c’était Pagnol ! […] je pense, même ceux qui peuvent encore chasser, ils veulent plus quoi, ils veulent plus c’est… ils restent avec leurs souvenirs, […] et maintenant, ils appelleraient même pas ça de la chasse » (ex-chasseur, employé, photographe amateur, marcheur, 33 ans).

  • 24 « Par extension, le désenchantement devient le corollaire du processus de rationalisation caractéri (...)

19La battue au sanglier relève donc souvent d’un choix par défaut, « parce qu’il n’y a plus que ça » (chasseur, ouvrier, 49 ans). À Villelongue, la chasse est largement « désenchantée », au sens où l’entend Hubert Pérès (Pérès 1998), s’inspirant du concept forgé par Max Weber24. D’une manière générale, la chasse est l’objet d’un processus de rationalisation et ces changements sont souvent perçus comme « des innovations regrettables qui attentent au plaisir » (Pérès 1998). Certains chasseurs villelonguais déplorent « l’Europe et la France des technocrates » (chasseur, 55 ans, ex-militant cpnt) qui viennent s’immiscer dans la gestion de la faune sauvage. Et même si, contrairement au cas du chevreuil et du cerf, la chasse du sanglier n’est pas soumise à un plan de chasse départemental, les chasseurs doivent appliquer un certain protocole de sécurité lors de chaque battue (signature de registre, carnet de battue, port de gilets fluorescents), ce qui fait dire au président de la société de chasse que la chasse en battue, c’est « ce qui demande le plus d’organisation et de responsabilité, surtout au niveau de la sécurité ».

  • 25 Une perte de contrôle en partie attribuée à la présence du parc national des Pyrénées (zones de non (...)

20C’est donc un sentiment de crise multiple qui domine, lié à la perte de contrôle sur la faune et la végétation, mais aussi à la baisse du nombre de chasseurs. Plusieurs des chasseurs rencontrés témoignent ainsi de leur crainte d’être les derniers : « L’autre jour, j’écoutais à la télé [Roselyne] Bachelot qui disait que dans vingt ans ou trente ans y aurait plus de chasseurs, que c’était programmé. Mais c’est vrai qu’y a plus beaucoup de jeunes. Moi je vois aux battues là, ils sont deux à venir, […], et y a beaucoup de chasseurs qui sont âgés quand même » (président de la société de chasse de Villelongue, 51 ans). Au final, le déclin du « bon sauvage » et la prolifération du « mauvais sauvage » viennent signifier à tous la perte de contrôle sur leur espace et l’affirmation d’autres logiques, le plus souvent institutionnelles et non locales. Paradoxalement, l’abandon de l’agriculture entraîne un retour de la nature, mais une nature que les habitants jugent déréglée et mauvaise : n’est-ce pas là une manière d’exprimer que cette nature-là n’est pas la leur, que sa gestion leur échappe25 ? Certaines espèces jugées nuisibles sont protégées ou réintroduites, quand d’autres déclinent ou disparaissent, comme récemment le bouquetin des Pyrénées, fait remarquer un ex-chasseur, selon lui dans l’indifférence générale. D’autres nemrods ont le sentiment d’être délaissés par la plupart des institutions. Cependant, de manière assez surprenante, le parc national des Pyrénées tout proche est peu mis en cause par les chasseurs. À leurs yeux, les responsabilités sont diluées, ils désignent pêle-mêle « les politiciens », les « personnes haut placées », « la France et l’Europe des technocrates » plutôt que le parc lui-même, y compris dans le cas de l’ours des Pyrénées : « Quand on sait ce que coûte le lâcher d’un ours, au niveau des Pyrénées, cinq cent millions de francs comme ça a été dit, et quand ça a été commencé les lâchers, que ça a été couvert pendant l’Europe pendant x temps, et puis qu’ensuite naturellement c’est revenu à la France et puis avec toutes les emmerdes pour les gens du pays comme je dis, c’est quand même pas mal ! » (chasseur, 55 ans, ex-militant cpnt).

21Le cas de l’ours est en effet pour tous le signe le plus flagrant de leur sentiment de dépossession, alors même qu’« on voudrait savoir ce qui se passe ! […] tout le monde est intéressé ! […] Mais les gardes, ils ont changé de comportement, eux aussi ! [depuis qu’il y a l’ours]. Avant, ils nous voyaient dans le pré, ils venaient discuter, voir si on avait vu passer du bétail, du gibier, quelque chose… Maintenant non, c’est fini ça. Et ils ont du mal à dire bonjour, maintenant ! » (non-chasseur, agriculteur, conseiller municipal, 35 ans). Un ex-chasseur, passionné de randonnée, de photographie témoigne de la même rupture avec les acteurs institutionnels : « J’suis désolé, j’peux pas m’empêcher d’y monter quoi. Le soir j’ai le temps, des fois je vais faire du vélo, […] j’fais des photos, j’monte là-haut pour faire des photos, des photos de coucher de soleil, je vais pas quand même m’empêcher de monter là-haut parce qu’y a des politiciens qui ont décidé qu’il fallait essayer de choper l’ours pour lui mettre un collier… »

  • 26 Comme l’a montré Hubert Perès (1998) en Chalosse, l’activité à laquelle se livrent les chasseurs ne (...)
  • 27 Pour faire un écobuage, « il faut que tout le monde soit prévenu », alors qu’autrefois : « Ils en f (...)

22Même si eux non plus ne souhaitent pas un retour à la société paysanne d’il y a quelques décennies, les chasseurs sont donc les plus sensibles au relâchement des liens hommes / animaux. Certains sont plus attentifs aux conséquences de la dynamique de la végétation (« fermeture » des chemins, et actions sporadiques d’entretien, début d’embroussaillement, y compris dans les estives) puisqu’elle affecte leurs pratiques, directement – « la montagne de loin, c’est très beau, quand on est dedans, c’est pas pareil » (chasseur, ouvrier, 49 ans) – et indirectement, en créant un milieu défavorable à leurs gibiers de prédilection. Mais il s’agit là de nuances entre chasseurs et non-chasseurs, en aucun cas d’oppositions catégorielles. Il y a, tout au plus, des relations à l’espace d’intensités variables. À écouter simplement nos enquêtés, toutes les pratiques – quand elles n’ont pas purement et simplement disparu – sont marquées du sceau du désenchantement : la chasse26, l’agriculture, le piégeage, l’écobuage27… seraient soumis au même processus de bureaucratisation.

23Toutefois, il serait simplificateur d’en conclure à une crise de la chasse, et/ou à une crise du paysage, c’est-à-dire des rapports des hommes à un certain environnement physique. Nous voudrions maintenant montrer que la façon dont les enquêtés parlent de la fermeture des espaces agricoles par l’extension de la végétation, si elle renvoie pour eux à la mort d’une société paysanne traditionnelle, ne signifie pas la mort pure et simple de la société villageoise. De même, la fin de chasses traditionnelles ne signifie pas pour eux la fin pure et simple de la chasse.

« Sortir » du territoire

  • 28 Plus exactement, c’était la condition sine qua non pour qu’un agriculteur (alors conseiller municip (...)
  • 29 Selon lui, la création de la piste aurait un temps fait reculer l’implantation des cerfs sur la com (...)

24Si les habitants ont globalement tourné le dos à l’espace situé au-delà du village en tant que support de travail et de vie d’une société paysanne qu’ils ont quittée sans regret, ils ne considèrent pas pour autant cet espace comme mort : au contraire, ils le voient vivant dans la mesure où il fait l’objet d’une nouvelle qualification en termes de loisirs. Cette qualification ne provient pas seulement de l’existence d’une fréquentation touristique : les habitants eux-mêmes y contribuent largement, en transformant granges et cabanes en résidences secondaires, en adoptant de nouvelles façons d’emprunter les chemins : certains d’entre eux s’adonnent à la pratique de la randonnée dans les mêmes termes que n’importe quel visiteur. Deux nouveaux espaces ouverts apparaissent comme emblèmes de cette nouvelle ère dans laquelle entre la montagne : les granges restaurées et leurs clairières jardinées, et la piste pour engins motorisés reliant le village aux plateaux. Cette dernière est un objet matériel majeur sur lequel s’est appuyée la requalification de l’espace montagnard : voulue par et pour les habitants28 qui refusaient d’en faire une « autoroute à Bordelais » (agriculteur, conseiller municipal, 35 ans), sa réalisation a été entièrement financée par la commune. Repère temporel important, l’arrivée de la piste structure certains témoignages avec un « avant » et un « après » piste. Aux yeux de tous, elle a assurément « sauvé » le plateau : « Parce que sans la piste, […] c’était fini, il n’y avait plus rien. Il s’est trouvé que les gens ont pu y monter avec les tracteurs, avec les machines. Ça va. S’ils avaient dû le faire à la main, c’était fini », explique un chasseur (ouvrier, 49 ans). Pour lui, le maintien de l’agriculture permis par la piste prime sur les considérations cynégétiques29. Selon lui, cette piste a de plus ouvert la voie à un tourisme diffus qui « fait un peu d’animation » sur la commune : « La nature, elle est à tout le monde. […] Il ne faut pas dire que ce sont les gens qui foutent le bordel, c’est pas vrai. Parce que de ceux qui se baladent, il y en a d’aussi respectueux que des gens du coin. Peut-être même plus. » Un autre chasseur, d’abord opposé à la création de la piste, met en balance de la même manière considérations esthétiques et cynégétiques : « Au départ, j’étais contre la piste, en tant que chasseur, parce que ça allait détruire le milieu. Mais ça a eu du bon pour la beauté, et pour l’entretien du terrain » (chasseur, employé, conseiller municipal, 52 ans).

25Notons que les avis nuancés de ces deux personnes montrent bien que les catégories classiquement opposées – chasseurs versus non-chasseurs – ne sont pas pertinentes ici : manifestement, ces deux chasseurs ne fondent pas uniquement leurs jugements sur des considérations cynégétiques, d’autres motivations (esthétiques et autres) interviennent, que l’on ne peut ignorer : « Et puis moi, en tant qu’individu de Villelongue, je préfère qu’il y ait trente vaches de plus dans la montagne, au moins ça nettoie » (chasseur, ouvrier, 49 ans).

Le réenchantement de la chasse 

26De la même manière que nous avons vu que de nouvelles pratiques dessinent un nouvel espace, il faut dépasser le constat du désenchantement de la chasse. Comme le fait remarquer Hubert Pérès, celle-ci est aussi l’objet d’un « réenchantement » (Pérès 1998), qui se manifeste selon lui par la « réjouissance communautaire » : la chasse est alors analysée comme un « rite festif exprimant et recréant un lien communautaire », et comme un « rite gestuel et oratoire » servant « à proclamer la nécessité de chasser ainsi même si on ne le fait pas » (Pérès 1998 citant Tramond 1982). En d’autres termes l’aspect festif prendrait le pas sur l’acte de chasse lui-même. Il est vrai que, à Villelongue, les chasses en battues multiplient les occasions de rencontres. Les entretiens donnent quelques indications à ce sujet, mais nous voudrions insister sur un autre aspect du réenchantement que n’aborde pas Hubert Pérès : l’intérêt renouvelé de certaines chasses, qui dans le cas présent correspond précisément à un rapprochement des hommes avec l’espace montagnard.

27Premièrement, certaines chasses dites traditionnelles, comme celle de l’approche de l’isard, revivent à Villelongue. Interdite pendant quelques années pour cause d’effectifs jugés trop faibles, cette chasse est aujourd’hui pratiquée par vingt-deux des trente-sept chasseurs « sociétaires » de Villelongue, suite à des réintroductions importantes à l’échelle du massif des Pyrénées et à la mise en place de plans de chasse. Paradoxalement, la bureaucratisation dénoncée par certains chasseurs est donc à l’origine du réenchantement de la chasse, avec le retour d’un gibier « pléthorique » (ex-chasseur, employé, 33 ans) : « Les isards ici ils pensent que… actuellement ils en ont jamais vu autant quoi, même à l’époque où il y en avait, après-guerre, c’est le plan de chasse, c’est le plan de chasse qui fonctionne bien » (ex-chasseur, employé, 33 ans).

  • 30 À Villelongue comme ailleurs, le nombre de chasseurs extérieurs à la commune est limité et leur cot (...)

28Deuxièmement, la rationalisation a contribué à la création de nouvelles chasses : c’est le cas pour le chevreuil, soumis à un plan de chasse départemental, dont beaucoup se souviennent qu’il a été introduit dans les années 1950. Depuis cinq ans à Villelongue, la battue a été abandonnée au profit de l’approche, par équipe de deux. Cette forme de chasse – notons qu’elle se pratique par groupes d’affinités – est jugée « plus intéressante » (ex-chasseur, employé, 33 ans), et aujourd’hui « 90 % des chasseurs participent au plan de chasse pour le chevreuil » (chasseur et président de la société de chasse, employé, 51 ans). Ajoutons qu’à Villelongue, les chasses les plus valorisées sont accessibles aux seuls chasseurs « sociétaires ». Ainsi, pour la saison 2003-2004, la société de chasse comptait quatre ou cinq personnes « que certains appellent “étrangers” »30 – le président de chasse refuse d’employer ce terme – n’ayant accès qu’à la chasse au sanglier : « Parce que le chevreuil, on considère qu’ils peuvent le chasser dans leur société de chasse d’origine » (président de la société de chasse). Mais n’en va-t-il pas de même pour le sanglier ? Les chasseurs locaux ou considérés comme tels préfèrent visiblement se réserver le monopole des chasses à l’approche, d’autant plus qu’elles sont soumises à des quotas, contrairement à la contraignante battue au sanglier…

  • 31 Sur les significations et les rôles des trophées de chasse, voir Dalla Bernardina (1995). La thèse (...)

29Fondées sur la recherche du trophée31 et supposant un long travail d’approche, les chasses au chevreuil et à l’isard permettent aux chasseurs d’arpenter à nouveau pleinement le territoire. Surtout, la pratique se déploie bien au-delà du temps et du terrain de chasse proprement dits. Elle commence avec le temps du repérage : « Les deux trophées que j’ai eus, je les avais repérés l’été » (chasseur, ouvrier, 49 ans). Elle se poursuit avec le « tirage au sort » pour la répartition des animaux mâles, femelles – le mâle chevreuil ou isard étant clairement le trophée par excellence : « Des fois, il y a quatre ou cinq mâles à tuer : “Putain, celui-là il a un mâle”, “Tiens, toi tu as un mâle.” Alors on se fait la guerre : “J’en sais [sic] un…” “Moi aussi, j’en sais un.” C’est à celui qui y va le premier, quoi » – et s’achève parfois par la reconnaissance institutionnelle du trophée : « Je l’avais présenté [le chevreuil] aux gardes onf pour contrôle, et je l’ai présenté à la Fédé [des chasseurs]. […] Le trophée, c’est un animal qui sort du lot. […] Tant qu’à chasser pour le plaisir, autant chasser pour le trophée. Et là, on a plaisir, parce que qui dit trophée dit un animal vieux ; qui dit vieux dit malin. Ah oui ! Dans la nature c’est ça ! [rires] » (chasseur à l’approche, ouvrier, 49 ans).

30La distinction entre espace et territoire nous paraît ici tout à fait éclairante : la notion d’espace permet de mieux saisir la pratique de chasse, en englobant des pratiques hors du lieu de chasse, où la chasse puise une grande part de sa signification. Enfermer la chasse dans les limites du territoire et du temps cynégétiques conduirait entre autres à négliger le temps de l’observation de la faune, dimension très présente dans les entretiens, et selon nous irréductible à une stratégie de légitimation. Un jeune ex-chasseur raconte ainsi ses sorties passées : « On était quoi ? Quatre, cinq… Des gros passionnés qui y allaient même quand il faisait mauvais […] Moi j’y allais quoi qu’il arrive, quoi [rires]. On y montait, des fois on n’avait pas le droit d’y être mais on y était quand même, quoi. Y avait de la neige, et puis bon en fait tu faisais pas grand-chose, mais […] l’important c’était d’y être… » (employé, photographe amateur, 33 ans). Cet homme se passionne toujours pour l’observation de la faune, en particulier le coq de bruyère, et continue à participer aux comptages avec les chasseurs de la commune : « Peut-être que j’ai pas le droit, mais bon je vois par rapport à… bon apparemment ça pose pas de problèmes dans la société [de chasse] donc, j’avais commencé, je chassais, ou à la rigueur moi j’aime bien quoi. »

31Les pratiques et les discours de plusieurs chasseurs nous conduisent à penser que l’observation a toute sa place dans l’espace de chasse : ainsi, un chasseur retraité, rencontré hors période de chasse, monte tous les jours sur les plateaux au-dessus du village pour observer les isards au mois d’avril ; un autre, marcheur aguerri, explique qu’il lui arrive de repérer un chevreuil à la faveur d’une randonnée… Chasseurs et randonneurs / promeneurs, si classiquement opposés, sont donc parfois les mêmes. De plus, certains habitants sont épouses ou enfants de chasseurs, et « vivent » la chasse par procuration, en accompagnant ou en écoutant et échangeant autour de récits de chasse : « Mon mari m’avait amenée une fois à la chasse à la palombe, dans un coin… Et… ça passait ! Les palombes passaient, passaient ! Il me dit : “Baisse-toi !” Et je me suis baissée derrière ce tas de pierres, et les palombes sont toutes passées comme ça ! […] On les voyait monter et il me dit : “Baisse-toi ! Baisse-toi !” Et c’est vrai ! Heureusement que je me suis baissée, elles sont… pffuit ! […] Alors vous entendiez un : “pfui, pfui, pfui !” Alors elles vous passent toutes sur la tête ! Ah oui, ça c’est un bon souvenir ! » (épouse de chasseur, retraitée, environ 70 ans).

  • 32 À ce sujet, à Villelongue, tous les chasseurs rencontrés sont fils de chasseurs : comme ailleurs, l (...)

32De la même manière que de nombreux auteurs ont démontré que l’accès ou non à la pratique était le fruit d’une socialisation familiale spécifique32(Fabre 1986 ; Hell 1985 ; Mauz 2002 ; Pinçon & Pinçon-Charlot 1993), on ne peut comprendre les rapports sereins entre chasseurs et non-chasseurs qu’en sortant du territoire de chasse proprement dit pour prendre en compte l’espace de la chasse, notamment le cercle familial, amical, où se joue la légitimité de la pratique : « Toutes les familles qui sont dans le village depuis longtemps, y a toujours eu, ont plus ou moins un chasseur » (ex-chasseur, employé, 33 ans).

33Nous pouvons même poser l’hypothèse que, à Villelongue, les chasseurs apparaissent comme les garants d’un rapport privilégié à la nature, que les agriculteurs locaux auraient perdu en se modernisant. En 1980, Jean-Claude Chamboredon se demandait si la campagne ne fonctionnait pas de plus en plus comme une « réserve culturelle, cadre d’un style de vie non prédateur et non destructeur, affranchi des habitudes de consommation urbaines, respectueux des rythmes et des équilibres naturels ; ceci au prix, évidemment, d’une disqualification symbolique de l’agriculteur, condamné à se “moderniser” pour survivre, donc à s’éloigner de cette définition urbaine de la simplicité et du “naturel” de la vie paysanne » (Chamboredon 1980). Cette hypothèse pourrait s’appliquer à Villelongue, à ceci près que ce nouveau lien à l’espace (montagnard) est le fait d’habitants, y compris les plus « autochtones ». Dans ce contexte, la chasse paraît être le vecteur privilégié d’un rapport étroit à la montagne, y compris pour les chasseurs eux-mêmes. Loisir désormais plus rural que paysan, elle permet à ses adeptes « d’exprimer une relation particulière au territoire villageois comme compensation à la dépaysannisation » (Bozon & Chamboredon 1980) : la plupart des chasseurs de Villelongue sont salariés (un seul est agriculteur) et c’est à travers leur loisir, non leur activité professionnelle, qu’ils entretiennent la particularité de leur rapport à la nature : « Ah, lui il connaît tout. Vous pouvez aller partout, hein ! Vous pouvez aller en Espagne avec lui. […] oui, il connaît vraiment le coin, et puis c’est qu’il y a… il connaît bien la chasse quoi » (chasseur, ingénieur retraité, 52 ans, habite la commune depuis un an).

34Les non-chasseurs leur reconnaissent aussi ce rapport privilégié, d’autant plus que la plupart ont une idée précise de ce que doit être la chasse. D’accord en cela avec les chasseurs puristes, ils ne manquent d’ailleurs pas de souligner que les chasseurs d’aujourd’hui s’écartent parfois de l’idéal valorisant le sens de l’effort. L’épouse d’un chasseur rappelle qu’un jour son mari a dû redescendre à pied au village en portant un sanglier tué dans la montagne, et il n’y avait « pas de route, pas de téléphones portables. […] qu’est-ce qu’il y a comme marche ? Avant, vous partiez à pied depuis ici ! Ça, c’était la chasse. Maintenant c’est du gâteau » (épouse de chasseur, retraitée, environ 70 ans). Un autre stigmatise la chasse en battue : « Quand je vois des fois le matin trente chasseurs qui sont prêts à partir pour aller chasser le sanglier, on dirait l’armée qui se prépare ou un truc comme ça » (non-chasseur, employé, 60 ans). Cela ne correspond pas avec la « culture de la chasse » héritée de son père, qui « d’abord… partait toujours seul, il avait pas l’arsenal qu’y a maintenant » : « C’est l’évolution de la chasse qui me gêne un peu. Ce qui me gêne surtout c’est quand je vois – et c’est le sanglier qui fait beaucoup ça ici – des groupes de chasseurs qui se permettent tout parce que l’esprit de groupe c’est jamais… c’est jamais terrible, et ça, ça me gêne quelque part. »

35Nous l’avons vu, les critiques concernent aussi la gestion du sanglier. Par ailleurs, certains non-chasseurs disent hésiter à partir se promener durant les battues. Cependant, au dire de tous, il n’y a pas de conflits. Des responsables de la fédération départementale des chasseurs et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage rencontrés indépendamment n’ont pointé aucun conflit majeur du type chasseurs / randonneurs. Surtout, deux responsables de l’association Union Midi-Pyrénées nature environnement qualifient Villelongue de « secteur calme ». Un calme qu’ils attribuent surtout à une configuration spatiale particulière : l’habitat villelonguais est regroupé exclusivement autour du bourg, et la chasse a lieu en montagne, loin des habitations, contrairement à certaines communes de plaine. Cette explication nous paraît insuffisante : certes, chasseurs et randonneurs, qu’ils soient « du coin » ou non, se croisent rarement car les périodes de chasse et de randonnée se chevauchent peu. Il n’empêche que ces rares rencontres pourraient être conflictuelles. Ce n’est pas du tout le cas : « On avait trouvé un gars qui descendait, mais qui avait passé la nuit, c’est arrivé une fois… Au lac d’Isaby, tiens, c’était cette année. Il descendait, le gars. Mais généralement, ils se font repérer et tous les chasseurs ici […], ça se passe bien. Qu’est-ce qu’il foutait, là ?… Oui, il avait passé la nuit dans une espèce de tente, il était allé dormir. On lui disait : “Mais vous n’avez pas rencontré l’ours ?” Alors au début on blaguait, on lui disait qu’on allait à la chasse à l’ours [rires], alors le mec il rigolait évidemment : “Je vais vous aider, moi”, il a dit. Non, c’est sympa » (chasseur, retraité, 52 ans). Précisons que les chasseurs, en quête de légitimité, cherchent à établir à tout prix de bonnes relations avec les autres usagers de la nature : « J’ai pas eu de problèmes, non, non, même des randonneurs. On s’est croisé avec des randonneurs… Bon, on engage la conversation. Mais de toute façon, il faut être courtois : déjà que la chasse est menacée, donc si en plus on y met de la mauvaise volonté : pas bon ! » (chasseur, employé, 52 ans).

  • 33 Une enquêtée (employée edf retraitée, 75 ans) dit en substance qu’on voit toujours l’un des dernier (...)

36D’aucuns accordent peu de validité à ces paroles qui mériteraient, il est vrai, d’être confrontées aux actes. Plusieurs éléments nous conduisent cependant à leur donner du crédit : outre les affirmations des acteurs institutionnels de tous bords, les chasseurs et agriculteurs rencontrés n’ont pas hésité à faire part aux enquêteurs de leur difficulté à « cohabiter » : « Nos plus grands problèmes, c’est les sangliers. Il détruit tout ce qui est nettoyé, voyez les prairies où vous êtes allés, il vient presque toutes les nuits. C’est pas des sangliers, c’est des bêtes achetées par les viandards locaux, oui, oui » (non-chasseur, agriculteur, 60 ans). Auraient-ils hésité à faire de même en cas de conflit avéré avec les touristes, les néoruraux… ? Un chasseur établi depuis un an dans la commune mesure le contraste de la situation locale avec celle des Landes, où il a l’habitude de chasser : « Par contre, dans les Landes j’ai vu que ça se passe beaucoup plus mal entre les… Mais ce n’est pas avec les touristes, c’est avec les chercheurs de champignons. Les chercheurs de champignons qui passent dans les palombières, qui cassent tout, qui font brûler… […] L’année dernière, il y en a une [palombière] qui a brûlé » (chasseur, retraité, 52 ans). Enfin, les paroles des non-chasseurs ont achevé de nous convaincre qu’au niveau communal, le bien-fondé de la chasse n’est à aucun moment remis en cause. Les chasseurs sont plutôt considérés comme de bons gestionnaires et d’authentiques connaisseurs de la nature, ou encore comme des personnes « utiles », qui de plus « animent le pays », quand les agriculteurs de leur côté ont pris une distance vis-à-vis du mode de vie paysan et « ne descendent plus de leurs tracteurs »33 : « C’est tous des copains, des gens que je connais ! Moi je suis content qu’il y ait les chasseurs. D’une part pour chasser, pour diminuer un peu les sangliers, parce qu’il y en a beaucoup, et deuxièmement parce que ça fait une activité. Parce qu’ici, quand la saison est terminée le pays est plutôt calme, comme il y a de moins en moins d’animaux. Donc les chasseurs animent le pays, ils font du bruit, on entend les chiens, et ça fait du spectacle quand ils ont tué… Si, c’est bien, oui ! C’est la vie ! » (non-chasseur, entrepreneur en bâtiment retraité, 70 ans environ).

Conclusion

37En nous appuyant sur un travail empirique, nous pensons avoir contribué à montrer que l’espace peut être considéré non pas seulement comme un cadre, mais aussi comme un aspect des relations des personnes entre elles. Nous pensons avoir contribué ainsi à affirmer que la question du contact direct de l’homme avec la matérialité de l’environnement et avec la nature reste d’actualité.

38À partir du cas d’habitants d’un village pyrénéen, nous avons montré d’une part que certains liens à l’espace montagnard tissés par une société paysanne traditionnelle peuvent, après la « mort » de cette dernière, trouver une nouvelle forme. En l’occurrence ici, une qualification de la montagne en tant qu’espace de loisirs. Nous avons montré d’autre part que c’est au travers et autour de la pratique de la chasse, notamment dans ses formes « réenchantées », que la population locale  –et nous dépassons largement là le seul cercle des chasseurs – maintient et renouvelle des liens étroits à la montagne. Cela participe de la remise en question d’une catégorisation classique, qui consiste à opposer assez facilement chasseurs et non-chasseurs : il ne s’agit bien évidemment pas de nier l’existence de conflits entre ces deux catégories, mais bien d’attirer l’attention sur le fait que ces oppositions ne sont pas systématiques.

  • 34 Par exemple : « La pratique de la chasse, activité à caractère environnemental, culturel, social et (...)

39Enfin, en préférant le concept d’espace à celui de territoire, nous souhaitions aussi montrer que les conflits – lorsqu’ils existent – ne sont pas obligatoirement réductibles à des conflits d’usage : la légitimité de la chasse se joue aussi et surtout ailleurs que sur le « terrain ». Les représentants des chasseurs l’ont d’ailleurs bien compris, et ne cessent de promouvoir l’idée d’un chasseur gestionnaire, respectueux des équilibres naturels34.

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Notes

1 Le nombre de chasseurs en France a fortement chuté, passant de plus de 2 400 000 en 1975 à 1 400 000 environ aujourd’hui.

2 Citons par exemple : l’Association nationale pour une chasse écologiquement responsable (ancer), créée en 1989 en réaction au mouvement Chasse pêche nature traditions (cpnt), qui se veut résolument tournée vers les non-chasseurs ; ou encore les Journées de la Maison de la culture de Larrazet (15-16 novembre 2003) : « Comprendre la chasse, c’est changer son regard sur la nature », qui visaient à « élargir la surface de contact entre la chasse et la société ».

3 Valentin Pelosse le faisait déjà remarquer dans un article daté de 1988 : « Sauf oubli de ma part, rien au-delà d’une quinzaine d’années », et expose les raisons de cette « tardive prise en considération » (Pelosse 1988 : 123).

4 « Un territoire est un espace en tant qu’un pouvoir y exerce son emprise, qui commence par l’opération de sa délimitation » (Micoud 2004 : 16).

5 Le rapport à l’origine de la loi Chasse de 2000 a notamment pour ambition de répondre au conflit chasseurs / non-chasseurs (Patriat 2000).

6 Sur notre propre terrain, il reste tout à fait pertinent de considérer l’organisation des chasseurs en association comme une stratégie d’autodéfense collective. Avec les sociétés de chasse, la pratique s’ancre dans un territoire dont tous connaissent les limites, ce qui n’était pas le cas sous le régime de la chasse banale. Avec Michel Bozon, nous pouvons donc conclure : « De toutes les associations locales, c’est la société de chasse qui s’identifie le mieux à la commune dont elle dépend, puisqu’elle se définit strictement par la portion de territoire qu’elle contrôle » (Bozon 1982 : 337).

7 Corsín Jiménez définit l’espace comme une « capacité » : à la fois une étendue et une puissance (aptitude à contenir, aptitude à agir). Pour lui, les relations sociales sont fondamentalement spatiales et l’espace est un instrument et une dimension de la socialité.

8 Travaux réalisés dans le cadre d’une convention de collaboration entre le parc national des Pyrénées et le Cemagref.

9 La loi de 1960 à la base de la création des parcs nationaux prévoit la possibilité de créer, à côté de la réserve intégrale et de la zone centrale, une zone périphérique où le parc serait chargé d’une mission d’animation et de développement.

10 Marion Régent (2004) propose une analyse du phénomène fondée notamment sur l’interprétation de photographies faites par satellites.

11 Certains des entretiens ont été réalisés par nous-mêmes, d’autres par Marion Régent dans le cadre d’un stage de dess (Régent 2004).

12 Nous avons en outre rencontré des acteurs institutionnels a priori concernés par le thème de la chasse et/ou de l’évolution des milieux naturels : fédération départementale des chasseurs, section locale de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (oncfs), Union Midi-Pyrénées nature environnement (uminate).

13 Anne Luxereau (1995), étudiant un village du Couserans, rapporte au contraire que les saint-gironnaises – des vaches anciennes de race rustique – suscitent des discours négatifs chez les agriculteurs : « Elles donnaient plus de coups de pied que de lait ». Seuls les bergers vivant avec elles dans les estives pouvaient approcher ces vaches « sauvages ». Quant aux « vaches de maintenant » (limousines, blondes d’Aquitaine), les plus anciens les considèrent comme des « bâtardes ».

14 Les journaux locaux relaient cette inquiétude en titrant « Les vautours fauves ont encore frappé », ou « Les nouvelles proies des charognards : les vautours fauves ne se contentent plus des bêtes mortes. Une vidéo l’atteste ». La Dépêche du Midi datée du 4 et du 11 juin 2004.

15 La question des conflits chasseurs / agriculteurs est un objet d’étude désormais bien connu et un problème récurrent, compte tenu de la prolifération du grand gibier en France. Villelongue n’échappe pas à la règle. Au sujet du divorce entre agriculteurs et chasseurs, voir par exemple Vourc’h & Pelosse (1985).

16 Valentin Pelosse (1993) évoque une anecdote similaire.

17 La capture du vieil ours autochtone Papillon, mort de vieillesse en septembre 2004 dans le village voisin de Luz-Saint-Sauveur, leur aura très vraisemblablement donné tort.

18 « Ce partage de la même passion se retrouve avec le sacrifice des congés consacrés en totalité ou en partie aux laisser-courre de la saison, l’hiver, la seule qui compte véritablement » (Pinçon & Pinçon-Charlot 1993 : 42).

19 Par exemple la « maladie bleue » des chasseurs de palombes du Sud-Ouest, ou le « jagdfierber » (fièvre) décrit par Bertrand Hell (1985) pour la chasse à l’approche dans la France de l’Est.

20 Il fait ici référence aux conflits récurrents, au niveau départemental, avec les agriculteurs au sujet des dégâts de sangliers.

21 Nom local du merle à plastron.

22 À l’exception de la chasse à l’isard, mais après réintroduction et plan de chasse.

23 Même si un certain flou règne en la matière. Selon la fédération des chasseurs des Hautes-Pyrénées, concernant les perdrix grises, « aucun chiffre réaliste (dont la marge d’erreur ne serait pas importante) ne peut être donné. »

24 « Par extension, le désenchantement devient le corollaire du processus de rationalisation caractérisant la modernité occidentale. […] En suivant cette piste, nous pouvons dire que la réglementation contribue à désenchanter la pratique de la chasse dans la mesure où celle-ci s’en trouve codifiée et planifiée de bout en bout » (Pérès 1998 : 100).

25 Une perte de contrôle en partie attribuée à la présence du parc national des Pyrénées (zones de non-chasse) mais surtout aux réglementations nationales ou européennes. (Natura 2000, modifications des modalités de piégeage…). Le parc national des Pyrénées n’intervient pas dans les orientations cynégétiques locales. En revanche, sa présence peut avoir des répercutions indirectes : certains chasseurs reprochent au parc des Pyrénées de « pas savoir gérer l’abondance » (cas actuel des vautours, des grands corbeaux et des isards dans le passé) et de concentrer tous les moyens humains (mobilisation des gardes de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage) et financiers à l’ours, sans se préoccuper d’autres espèces (perdrix grise des Pyrénées, coq de bruyère, bouquetin des Pyrénées).

26 Comme l’a montré Hubert Perès (1998) en Chalosse, l’activité à laquelle se livrent les chasseurs ne correspond plus à la chasse paysanne traditionnelle : elle est plutôt l’échelon local d’une politique de gestion cynégétique départementale (plans de chasse pour la plupart des gibiers) et nationale, elle-même en partie contrainte par la réglementation européenne.

27 Pour faire un écobuage, « il faut que tout le monde soit prévenu », alors qu’autrefois : « Ils en faisaient pas les histoires qu’ils font maintenant. Maintenant, ils voient un feu : les gendarmes, les pompiers, le préfet, l’hélicoptère… » (chasseur, agriculteur, 58 ans).

28 Plus exactement, c’était la condition sine qua non pour qu’un agriculteur (alors conseiller municipal) poursuive son activité.

29 Selon lui, la création de la piste aurait un temps fait reculer l’implantation des cerfs sur la commune : « Et dès le moment où ils ont fait la piste […] ça a été fini, ils ont disparu. Et […] ils ont mis une bonne dizaine d’années avant de revenir. »

30 À Villelongue comme ailleurs, le nombre de chasseurs extérieurs à la commune est limité et leur cotisation est plus élevée. Nous retrouvons ici la distinction entre chasseurs « étrangers » et « autochtones » fondée sur des critères de naissance, et/ou d’interconnaissance, et commune à de nombreuses sociétés de chasse. C’est pourquoi la chasse a été analysée à juste titre comme moyen de manifester son autochtonie : « Aucune association ne matérialise plus méticuleusement les degrés d’intégration à la communauté locale, à travers une stricte hiérarchie de statuts et de cotisations qui instituent une inégalité pratique et symbolique face à la chasse » (Bozon & Chamboredon 1980 : 71).

31 Sur les significations et les rôles des trophées de chasse, voir Dalla Bernardina (1995). La thèse centrale de l’auteur dans cet article est que le goût pour le trophée est une pratique relativement récente, « et empruntée au modèle aristocratique ». L’auteur explique notamment que le chasseur « paysan » traditionnel n’a guère besoin de trophée pour se « protéger psychologiquement » : « Dans la mesure où la chasse paysanne ne se prétend pas dépourvue de motivations alimentaires, cette exigence de sublimation, de réconciliation imaginaire se fait moins pressante ». À l’inverse, le chasseur « citadin » (nous parlerions plus volontiers du chasseur contemporain en général, qui ne peut plus se justifier en expliquant qu’il « chasse pour manger ») justifie ainsi son goût pour les trophées : « Comment ne pas conserver quelques traces de la rencontre fortuite avec un si noble antagoniste, cette hypostase de la nature incontaminée […] d’autant plus que la viande de cet être admirable ne nous intéresse guère ? » Une justification à laquelle Sergio Dalla Bernardina n’adhère pas et qui l’amène à rechercher, comme dans nombre de ses travaux sur la chasse, les fonctions cachées des discours et des pratiques. À ce sujet, voir aussi Dalla Bernardina (1996).

32 À ce sujet, à Villelongue, tous les chasseurs rencontrés sont fils de chasseurs : comme ailleurs, la chasse reste « une affaire de famille » (Hell 1985).

33 Une enquêtée (employée edf retraitée, 75 ans) dit en substance qu’on voit toujours l’un des derniers agriculteurs actifs sur son tracteur, qu’il n’en descend jamais (recueilli hors micro, lors de la visite à sa cabane).

34 Par exemple : « La pratique de la chasse, activité à caractère environnemental, culturel, social et économique, participe à la gestion durable du patrimoine faunistique et de ses habitats » (extrait de la Charte de la chasse en France, document en ligne sur le site de la fédération nationale des chasseurs, www.chasseurdefran ce.com), ou encore le « Petit livre vert du chasseur » édité par la fédération nationale des chasseurs (2005), intitulé : Le Chasseur, quelqu’un de bien !

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Pour citer cet article

Référence papier

Ludovic Ginelli et Sophie Le Floch, « Chassés-croisés dans l’espace montagnard »Terrain, 47 | 2006, 123-140.

Référence électronique

Ludovic Ginelli et Sophie Le Floch, « Chassés-croisés dans l’espace montagnard »Terrain [En ligne], 47 | 2006, mis en ligne le 15 septembre 2010, consulté le 17 avril 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/4282 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terrain.4282

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