Navigation – Plan du site

AccueilNuméros14RepèresL'anthropologie en Grèce

Entrées d’index

Lieu d'étude :

Grèce
Haut de page

Texte intégral

1La situation de l'anthropologie grecque contemporaine ne peut se comprendre qu'au regard de l'histoire récente de la Grèce. Ainsi, l'appartenance de la Grèce à l'ensemble balkanique et son devenir depuis la guerre d'indépendance, ont déterminé deux caractéristiques essentielles : d'une part, l'existence depuis le siècle dernier d'une science du folklore (que l'on va nommer à partir du mot grec laographia, laographie1). D'autre part, la quasi-exclusivité anglo-saxonne des premiers travaux anthropologiques en Grèce et leur influence sur la recherche d'aujourd'hui.

2Une des particularités de la Grèce réside, par ailleurs, dans son relatif isolement culturel et scientifique vis-à-vis des différents pays d'Europe : paradoxalement, ce qui est lointain dans le temps - l'Antiquité - est de ce point de vue presque familier, alors que la Grèce moderne, si proche, souffre d'une méconnaissance certaine. Il est assurément permis d'évoquer la spécificité linguistique ; les problèmes de diffusion sont aussi ceux de la traduction et même si des ouvrages et des articles d'anthropologie ont été traduits en grec2, les échanges restent malgré tout trop rares. Du reste, les ouvrages en provenance d'Europe sont souvent lus dans leur langue originale par les universitaires. Mais plus encore, le passé byzantin du pays, puis ottoman jusqu'au début xxe siècle, et donc la formation récente d'un État national3, constituent autant de traits distinctifs d'une société aujourd'hui européenne qui n'a connu ni l'aventure coloniale, ni la révolution industrielle. En Grèce, l'urbanisation et l'industrialisation qui n'apparaissent véritablement qu'après la Seconde Guerre mondiale, se manifestent sous la forme de changements brutaux : émigration massive intérieure et vers l'Europe, inflation des dots, investissements à la ville, importance accrue de l'éducation.

3A envisager le champ de l'anthropologie en Grèce, on se trouve immédiatement confronté à deux points forts ; d'abord, la tradition laographique s'inscrit dans le cadre du nationalisme ambiant de l'indépendance toute neuve et plus tard des conflits balkaniques. Ensuite, le rôle des puissances occidentales dans le pays, notamment celui de l'Angleterre et des États-Unis dans la période de l'après-Seconde Guerre mondiale marquera pour longtemps l'anthropologie en Grèce. Les contacts diplomatiques ou économiques avec ces pays vont favoriser l'arrivée dans les années 50, d'une vague d'anthropologues anglo-saxons. Ils introduiront une science « du dehors » qui se distingue d'emblée de la laographie. Alors que celle-ci est indigène, l'anthropologie se révèle d'abord en Grèce comme un outil d'analyses appliqué à la population locale, importé par des chercheurs étrangers et ultérieurement par des Grecs formés eux-mêmes à l'étranger. S'il faut distinguer les deux voies que sont la laographie et l'anthropologie, c'est pour les faire finalement coexister au sein d'un même champ. En effet, le foisonnement de son matériau ainsi que sa forte implantation institutionnelle nous interdisent de négliger la laographie, même si on a souvent argué, à juste titre d'ailleurs, de sa faiblesse théorique et de l'idéologie qu'elle véhicule. Il semble qu'on ne puisse bâtir une véritable anthropologie en Grèce en refoulant systématiquement la tradition laographique.

4Enfin, on s'aperçoit en considérant la situation actuelle qu'à cette anthropologie pionnière de la Grèce, élaborée à partir d'autres horizons, commence à se substituer une anthropologie en Grèce, par le biais notamment d'un renouveau institutionnel.

La laographie

5Comment va se constituer en Grèce la théorie laographique, quels en seront les grands moments ? Dans la seconde moitié du xviiie siècle, vont se développer dans le pays, au sein de la bourgeoisie éclairée, deux conceptions du peuple, autour de l'idée de création populaire. La première, dans l'esprit de la philosophie des Lumières, juge les productions populaires comme entachées de superstitions et prône l'éducation des masses. La seconde s'inscrit dans le droit fil de la théorie romantique pour laquelle le peuple est le créateur authentique de la langue de la nation et de son esprit... Ces idées se développeront parallèlement en Allemagne sous l'influence entre autres de J.G. Herder4. Cette attitude consacre simultanément un retournement du rationalisme des Lumières et une première esquisse de démarche ethnologique : en effet, le peuple exprime la poésie originale du langage, mais il est aussi ce Volk, possédant une âme propre et particulière, nationale. Dès lors, les productions populaires et d'abord littéraires, sont naturellement susceptibles d'être étudiées et de caractériser pleinement une culture nationale.

Continuité et unité depuis l'Antiquité

6La publication de l'ouvrage de l'Allemand J.F. Fallmerayer, De l'origine des Grecs en 1835, va consacrer une nouvelle période et accélérer la production d'une génération de travaux savants fleurissant déjà spontanément dans le climat d'une Grèce indépendante, développant l'idée d'une continuité de la race grecque depuis l'Antiquité. Ce que l'on appellera désormais la « théorie de Fallmerayer » fera l'effet d'une petite bombe dans le milieu des érudits : l'auteur infirme la thèse précédente en invoquant les effets des invasions slaves des viie et viiie siècles. La réponse ne tardera pas à venir sous la forme de divers travaux essentiellement fondés sur des analyses linguistiques, mais aussi de plus en plus, sur la comparaison des pratiques et des croyances des Grecs de l'Antiquité avec ceux de la société contemporaine. Ce corpus est formé d'études réalisées par des philhellènes et des savants grecs ; dans cette période se constituent des collections de chansons populaires (après la publication des chants populaires de la Grèce moderne de Fauriel en 1825), de proverbes et de dictons, à la fois en Grèce et à l'étranger5. On rencontre également des comptes rendus de militaires ayant participé à la guerre d'indépendance, sous la forme de souvenirs présentant souvent un intérêt ethnographique6.

7C'est donc au lendemain de l'indépendance et dans un climat passionné d'exacerbation nationaliste que se constitue la laographie. Dans les premiers temps de son élaboration, ses deux idées maîtresses sont celles de la continuité (de la Grèce antique à nos jours) et de l'unité : loin de souligner les particularismes régionaux, la laographie des premiers temps prouve que tous les Grecs participent d'une même conscience. C'est en cela qu'elle se pose comme une science nationale : au peuple moderne qui se constitue en nation, il faut des racines (l'Antiquité) qui fondent un solide présent (l'unité) et le justifient dans toutes ses manifestations, telles les limites géographiques, les institutions, la langue, les coutumes. Cependant, la laographie n'acquiert ses véritables lettres de noblesse qu'à l'arrivée de N. Politis dans le monde académique7. C'est en effet à lui que revient la paternité du terme laographie et c'est encore lui qui va donner ses bases institutionnelles à la discipline naissante en créant en 1907 la Société d'études laographiques, puis la revue Laographika en 1909 ; il centralise en outre les informations et les études jusque-là éparses avec la création en 1918 des Archives laographiques, et enfin propose les premières directions théoriques : une systématisation des thèmes à étudier8 qui inclut les aspects de la vie spirituelle et matérielle, une définition du folklore introduisant la notion de survivance culturelle, et l'idée de la méthode comparative au niveau international (Kyriakidou-Nestoros 1977).

8A la fin du xviiie siècle, et sous l'influence d'un mouvement en faveur de l'usage de la langue démotique, est apparue l'idée que l'âme du peuple, la culture populaire peuvent ne plus être recherchée et identifiées seulement à partir de la lointaine Antiquité, mais également puisées au sein d'une tradition qui va de Byzance à la guerre d'indépendance. Pour les universitaires grecs, cette avancée est importante car elle signifie l'acceptation que le développement de la langue aussi bien que des coutumes est à prendre en considération dans leurs travaux et non plus systématiquement à ressourcer dans l'Antiquité.

L'explosion de la vie folklorique

9Enfin, et ce sera le troisième temps à distinguer, l'arrivée en 1922 d'un million et demi de réfugiés (après ce que l'on appelle la catastrophe d'Asie mineure et l'échange de populations qui s'en est ensuivi), marque une étape fondamentale pour la pensée et l'activité laographiques ; en effet, ces derniers seront en partie à l'origine, de par les sociétés et les revues multiples qu'ils fondent quelque temps après leur arrivée, d'un développement folklorique régional qui touchera de plus en plus de communautés, gagnées par l'émulation. Notons, pour l'heure, quelques-unes de ces sociétés et leurs revues fort vivantes aujourd'hui : la Société d'études de Thrace (revue Thrakika) en 1928 ; les Archives du trésor laographiques et linguistiques de Thrace en 1934 ; l'Union des Smyrniotes (revue Chroniques d'Asie mineure) en 1938...

10Les années qui suivent voient cette tendance s'accentuer, notamment après la Seconde Guerre mondiale. Les bouleversements sociaux de la Grèce d'après-guerre s'accompagnent d'une floraison de sociétés laographiques locales, revues, collections, petits musées, associations folkloriques. Dans cette période d'homogénéisation culturelle où les phénomènes d'exode rural, d'émigration, d'industrialisation sont en plein essor et où la société a enfin acquis une certaine maturité nationale, c'est l'explosion de la vie folklorique. Cependant, celle-ci s'inscrit toujours dans la perspective de la théorie des origines et de la continuité grecque : chaque groupe ethnique prétend incarner le plus authentiquement la grécité ou l'esprit de la nation (Herzfeld 1982 et 1985). L'enseignement de la laographie se poursuivra à partir de trois universités, à Athènes, Thessalonique et Ioannina. Il est en outre dispensé dans les académies pédagogiques - l'équivalent de nos écoles normales (Loukats 1970).

11Pendant ces années, la laographie accompagne les changements sociaux et politiques de la Grèce, se constituant finalement comme une de ses expressions mêmes. Autrement dit, elle naît et se développe indépendamment de l'anthropologie, et en tant que « science de l'intérieur » plus qu'elle ne se mobilise, comme l'ont analysé A. Kyriakidou-Nestoros (1977, part. A) et S. Damianakos (1985) entre autres, comme idéologie dominante au service de l'État.

L'école anglo-saxonne : culturalisme et fonctionnalisme

12La présence anglo-américaine en Grèce, après la Seconde Guerre mondiale, se justifie dans de nombreux domaines et à plusieurs titres. Metaxas fera, en avril 39, garantir l'indépendance par l'Angleterre qui s'engagera ensuite dans la lutte contre les communistes au côté du gouvernement grec lors de la guerre civile qui dure jusqu'en 1949. Les Américains, quant à eux, vont d'abord apporter au pays une aide technique et économique ; dans ce cadre, seront effectuées des missions donnant lieu à des rapports qui, malgré leur caractère non anthropologique, contiennent encore pour les chercheurs d'aujourd'hui des éléments de compréhension essentiels de la société - essentiellement rurale - grecque. En relation avec l'aide américaine, notons l'étude de W.H. Mac Neil concernant la période allant de 1947 à 1956. L'auteur y analyse notamment l'organisation sociale et politique de six communautés agricoles dispersées en Thessalie, Epire et Péloponnèse en soulignant les changements notables sur la décennie. Les travaux de I.T. Sanders, sociologue américain, constituent une source de renseignements précieux sur la Grèce agricole de l'après-guerre, autant d'un point de vue descriptif, avec l'apport de données statistiques et de références juridiques, que par une approche sensible des comportements culturels des populations rurales - agriculteurs, éleveurs - en face d'un État central perçu au début des années 50 comme de plus en plus envahissant. La principale originalité de ces travaux, en contraste avec les études anthropologiques aussi bien américaines qu'anglaises qui viendront ensuite, tient dans le regard qu'ils portent sur une Grèce non statique, en transformation. Du côté américain, la première étude à caractère anthropologique est due en 1953 à D. Lee, dans le cadre d'une recherche plus large de l'Unesco et dans l'esprit de l'anthropologie culturelle américaine propre à l'école de M. Mead (Personnalité et Culture [Lee 1953]). Notons que l'auteur introduit pour la première fois les notions de honte et d'honneur. C'est ici en termes de traits culturels que sont exprimées les pratiques et les institutions. Ce courant espérait ainsi mieux analyser les problèmes liés à l'aide technique d'organismes étrangers en Grèce et au développement économique et industriel.

13Dans les années 50, apparaissent les premiers spécimens d'une série de travaux anglo-saxons purement anthropologiques. Une étude fait date, celle de J. Campbell sur les pasteurs nomades sarakatsans dans la région de Zagori en Epire en 1954. Elle est immédiatement suivie en 1955 du travail d'une ethnologue américaine, E. Friedl, à partir de la population du village de Vassilika en Béotie. Ces deux grands classiques vont, chacun à leur manière, dominer le champ et devenir des références obligées : le travail de Campbell constitue un modèle anthropologique à l'aune duquel les chercheurs vont ensuite mesurer les données de leurs propres terrains. L'ouvrage de E. Friedl, paru en 1962, restera longtemps un des plus fameux exemples d'études de cas d'anthropologie culturelle aux États-Unis.

14Ce déploiement de l'anthropologie en Grèce est en partie lié à la disparition des sociétés exotiques ou « primitives » : après la Seconde Guerre mondiale, s'ouvre une période post-coloniale au cours de laquelle certains anciens territoires s'érigeant en État-nation, l'intérêt anthropologique se déplace rapidement vers les espaces périphériques des sociétés développées : la discipline s'attaque aux sociétés historiques, notamment méditerranéennes. Mais cette anthropologie - parce qu'elle est une ouverture et constitue une avancée - contient en elle-même les bases de sa propre contestation. Après l'époque évolutionniste, Malinowski et Radcliffe-Brown s'étaient proposés, à travers un empirisme fonctionnaliste, de travailler à une « science naturelle de la société » : ainsi, les chercheurs de ce courant tentent d'analyser les sociétés exotiques, non pas à travers - ou même tout simplement en prenant en compte - les transformations que la situation coloniale a pu amener, mais comme un modèle idéal d'avant ces changements (Couroucli 1978). Le fonctionnement des sociétés primitives, leur culture, doivent être restitués et analysés en tant que système clos. Dès lors, même si sous l'impulsion d'Evans-Pritchard, elle prend en compte la dimension historique des groupes étudiés, l'école anglo-saxonne débarque en Grèce avec des modèles, une méthode, des outils élaborés et éprouvés auprès de ces peuples exotiques, en Afrique, Océanie ou Amérique, et utilisés en outre dans l'analyse de communautés relativement étroites et isolées. les présupposés théoriques qui découlent d'une telle démarche et qui sont à l'œuvre dans l'anthropologie ainsi appliquée à la Grèce, en marquent à la fois les limites et les innovations.

15Les chercheurs issus du département d'anthropologie sociale d'Oxford, dirigé par Evans-Pritchard, formés à l'anthropologie exotique, sont confrontés en Grèce à une toute nouvelle réalité ethnographique : celle d'une nation moderne possédant une administration centralisée, une histoire et un savoir constitué, écrit. Il existe donc des interactions ou en tout cas de nombreuses relations entre les divers niveaux de la réalité sociale : la vie de la communauté locale grecque n'est pas dans les années 50 indépendante de l'État central ni des autres groupes sociaux.

16On comprend mieux le choix des chercheurs qui s'attachent à des lieux ou des sociétés permettant de réunir les conditions optimales pour l'exercice de l'anthropologie synchronique et qui sont ceux de l'exotisme9 des villages de montagne, dans le Péloponnèse notamment, des villages de la mer Egée et des communautés de bergers (Allen 1976, Lineton 1971, Campbell 1964, Du Boulay 1974, Peristiany 1965, Andromedas 1976...). A cet égard, il faut comprendre ce qu'a pu représenter la société des pasteurs nomades grecs - le plus pur et le plus traditionnel - pour un imaginaire anthropologique partagé en l'occurrence par la laographie. Seront donc choisies et déterminées des sociétés stables, aux limites clairement définies où chaque institution a sa raison d'être et sa fonction. Le dilemme méthodologique des chercheurs réside dans la conscience de l'importance de ces nouveaux facteurs sur leurs terrains, conjuguée à une difficulté pour les intégrer véritablement à leur méthode10. Ils travaillent à partir de communautés réduites, les plus traditionnelles, les plus représentatives d'une Grèce idéale. C'est pourquoi la lecture de ces travaux évoque une image un peu irréelle, déconnectée, de sociétés dont on définit les valeurs comme si elles existaient en dehors de tout, surtout du temps, et dont on décortique pourtant si minutieusement le fonctionnement social.

Limites et innovations

17Les apports de cette période sont toutefois extrêmement nombreux. Les chercheurs, notamment l'école anthropologique d'Oxford, travaillant sur le domaine méditerranéen sous l'égide de J. Peristiany, en inventent peu à peu l'anthropologie. Si donc au sein de l'ensemble national, grec en tout cas, chaque étude semble traitée comme un cas isolé, le comparatisme s'élabore sûrement entre chercheurs de différents pays de l'aire méditerranéenne. Notons que deux ouvrages collectifs sont le fruit d'un colloque organisé dans cet esprit par J. Pitt-Rivers en 1959, intitulé Peuples ruraux de la Méditerranée. Le premier, Mediterranean Countrymen, publié en 1963, consiste comme son nom l'indique en une série d'« essais en anthropologie sociale de la Méditerranée » (y figurent pour la Grèce J. Campbell et E. Friedl). Le deuxième, en 1965, dirigé par J. Peristiany, s'intitule Honneur et honte, Les valeurs de la société méditerranéenne. Le thème du premier de ces ouvrages qui est, selon J. Pitt-Rivers, « la relation entre la communauté locale et le monde extérieur », ainsi que le contenu des contributions grecques, est tout à fait significatif du dilemme méthodologique évoqué plus haut et des avancées/limites de ces recherches. Ainsi, J. Campbell s'engage dans une élaboration théorique nouvelle en abordant les relations des pasteurs nomades sarakatsans avec des membres de la société élargie - avocats, marchands - et en définissant de véritables relations de clientélisme. Mais, en situant les Sarakatsans nettement à part, par exemple dans leur méfiance envers les organismes d'État, il justifie son analyse en fonction des seules caractéristiques de la population étudiée (caractère, valeurs...). Le même auteur développera des notions clés pour la compréhension de l'ensemble méditerranéen, comme celles de l'honneur et de la honte. En outre, il définira pour le groupe des Sarakatsans une bilatéralité de principe proposant, par une analyse fouillée et minutieuse de la parenté, un modèle formel et idéal de la famille et un modèle réel relativement souple et adaptable. E. Friedl et J. du Boulay à sa suite offrent également de riches descriptions que le chercheur en Grèce aujourd'hui ne peut ignorer.

18Pourtant, l'anthropologie rejoint involontairement la laographie dans son refus de prendre en compte le changement. R. Hirschon se demande dans son intervention au cours du symposium inaugurant l'université de Mytilène en 1986 si les chercheurs étrangers ne tenaient pas de leurs informateurs cet hellénocentrisme à l'œuvre chez les chercheurs grecs et attribué au fait que certaines analyses sont menées dans un strict contexte grec. En réalité, cette anthropologie comme la laographie méconnaissent dans leur analyse les facteurs du changement et de l'histoire. Tout se passe comme si une même idée sous-tendait les deux démarches : la Grèce cesserait d'être elle-même — ou d'être signifiante — dans la modernité.

Les écoles françaises

19Les années 60 inaugurent la période suivante dominée par les écoles géographique et anthropologique françaises. Les géographes français collaborent en outre avec le Centre national des études sociologiques à Athènes et publient l'Atlas économique et social de la Grèce. Ils étudient les régions des îles et de la Thessalie. Ces études qui s'apparentent à certains égards à la tradition des premiers Américains, offrent de très nombreux centres d'intérêt : elles ne se limitent pas à la stricte vision synchronique des lieux, mais intègrent les données historiques ; le lieu étant le résultat d'un processus socio-historique, apparaît ici pour la première fois la notion d'histoire locale liée à celle d'environnement (Kayser 1964, Péchoux et Sivignon 1971, Péchoux 1969). Dans la deuxième vague anthropologique française d'inspiration marxiste, émergent des travaux qui accordent cependant une place importante aux pratiques symboliques (Handman 1983, Vernier 1977).

20Signalons les travaux récents de M.E. Handman dans une région jusque-là très peu étudiée, la Chalcidique, ainsi que son ouvrage concernant les relations d'exploitation économique et symbolique entre habitants d'un village du mont Pilion. En outre, sa collaboration avec J. Peristiany a donné lieu récemment à la publication d'un ouvrage d'anthropologie méditerranéenne (1989). Alors que les anthropologues anglo-saxons s'intéressent à la spécificité du lieu à travers le comportement des habitants, le sens de chaque institution et son rôle dans le fonctionnement de l'ensemble, les anthropologues français s'occupent, à partir des années 70, à découvrir et analyser des relations d'exploitation insérées dans les mécanismes sociaux traditionnels.

Lieux, tendances, formes originales

21L'aboutissement d'un tel développement de la discipline en Grèce se conjugue finalement avec l'apparition d'une nouvelle génération d'anthropologues grecs. A l'heure actuelle, les chercheurs n'ont pu suivre une formation d'anthropologie en Grèce : distinguons ceux qui, issus d'autres branches scientifiques, particulièrement de l'université de lettres, ont été sensibilisés à la discipline en suivant des cours de laographie à l'université, et les chercheurs qui ont acquis leur formation à l'étranger, avec encore une fois une certaine prédominance de l'école anglo-saxonne. Une des particularités de l'anthropologie grecque actuelle réside dans le rapport inversé des chercheurs vis-à-vis de la discipline : alors qu'en France on l'étudie « à la maison » pour l'appliquer (jusqu'à présent et de préférence) ailleurs — et même si cet ailleurs se réduit de plus en plus —, les Grecs l'ont étudiée à l'étranger pour l'appliquer ensuite « à la maison ». Citons pour cette nouvelle génération d'anthropologues grecs J. Béopoulou pour son travail au mont Pilion, S. Capetanakis à Karpathos, N. Skouteri pour ses recherches sur la dot et les pratiques matrimoniales, E. Alexakis dans la région du Magne, E. Papataxiarchis sur les pêcheurs d'éponges, I. Kalafati-Papagalani à Leucade et M. Couroucli dont il faut signaler l'originalité de l'approche historique et socio-économique des travaux à Corfou. La mise en place de l'université de Mytilène dans la mer Egée et de son département d'anthropologie sociale constitue l'événement majeur de ces toutes dernières années. Les projets et les thèmes exposés lors de son inauguration contiennent un bilan critique de l'anthropologie, principalement anglo-saxonne, et témoignent de l'apparition de problématiques nouvelles qui sont le fruit de la collaboration des chercheurs issus des différentes filières. R. Hirschon insiste à cette occasion sur les points suivants :

22- Le constat d'une anthropologie indigène invite à se poser la question du rapport de l'observateur à l'observé ;

23- l'importance d'une anthropologie comparative (avec les pays méditerranéens, les Balkans) et l'inquiétude quant à l'hellénocentrisme des deux populations de chercheurs et au danger « d'inceste culturel ». Il s'agit pour les Grecs de ne pas passer seulement d'une anthropologie de la Grèce à une anthropologie en Grèce, mais d'appliquer leur outil aux populations voisines. R. Hirschon récuse la coupure tradition-modernité qui a souvent fait choisir les communautés ou les populations que l'on croyait, ou voulait, les plus marginales ou représentatives d'un État « authentique » ;

24- enfin, l'introduction de l'histoire.

25La lecture du programme d'enseignement d'anthropologie à Mytilène est suffisamment éloquente en ce qui concerne l'apparition de ces thèmes. Cette ouverture institutionnelle, dont on est en droit d'espérer beaucoup, présente une nette convergence avec la laographie d'aujourd'hui. Soulignons à cet égard la comparaison avec les Balkans, l'introduction de l'histoire récente, l'abandon des vieux fantômes, même si la laographie a la vocation de s'intéresser plus à la culture matérielle, à la collecte et à la mise en ordre des techniques et savoirs populaires. Ainsi, aussi bien à l'université de Thessalonique (École philosophique) qu'à Sciences-po à Athènes — où les premiers cours en anthropologie sociale ont lieu en 1982-1983 et sont assurés par M. Couroucli —, l'anthropologie est enseignée dans le cadre d'un développement de la laographie d'une part et de la sociologie de l'autre (Tsaoussis 1985).

26A Thessalonique, A. Kyriakidou-Nestoros assurait à l'université des cours de laographie, pour la première fois fondés sur une recherche ethnologique concernant la population des réfugiés d'Asie mineure. En outre, N. Skouteri-Didaskalou dispense un enseignement purement anthropologique néanmoins placé sous les auspices institutionnels de la laographie.

27On peut dernièrement observer un moindre cloisonnement entre les deux disciplines et d'une manière générale entre les divers secteurs qui peuvent les représenter. Ainsi, le musée folklorique et ethnologique de Thessalonique est en contact permanent avec les petits musées locaux, les associations culturelles et folkloriques ; il leur propose une aide technique et scientifique et joue auprès de l'Etat le rôle de conseiller en matière de financement de projets. L'accent est mis par N. Kephala, l'actuelle directrice, sur l'intérêt pour la culture matérielle, fondé sur l'histoire locale et, du reste, plus sur une curiosité ethnographique pour les pays balkaniques ou méditerranéens que sur des méthodes interprétatives.

28Du point de vue institutionnel, la laographie est enseignée en tant qu'option dans trois universités : à Athènes, la chaire de laographie est fondée en 1947, les cours sont assurés par G. Megas et sont dispensés aux étudiants des départements de philologie, d'archéologie et d'histoire byzantine ; à Thessalonique l'enseignement est assuré à partir de 1926 par S. Kyriakidis et à Ioannina à partir de 1964 par D. Loukatos.

29Si l'énumération des revues ne peut en aucune manière constituer un bilan de santé de l'anthropologie en Grèce, il faut cependant noter les plus anciennes : Laographia créée en 1909 par N. Politis, O Anthropos, celles créées par les réfugiés d'Asie mineure et déjà nommées pour certaines et celles émanant d'autres groupes ou régions (Chroniques épirotes en 1926, Chroniques chypriotes en 1923...). En 1939, commence la publication de l'Annuaire des archives de l'académie d'Athènes sous la direction de G. Megas. Plus tard naissent de nouvelles revues : Makedonika en 1940, La Revue du Dodécanèse en 1947... Il faut saluer Ethnographika, la revue née en 1978 au musée laographique de Nauplie, qui rend compte d'une véritable activité ethnologique. Citons encore Anthropologika, dont les thèmes traités relèvent cependant plutôt de l'anthropologie physique.

30S'il n'existe pas encore de réelle politique patrimoniale dans le domaine de la recherche ethnologique, on note un certain dynamisme du côté des initiatives privées ; citons l'exemple d'une banque impliquée dans le développement industriel, et qui finance des recherches sur les techniques traditionnelles ; elle publie d'ailleurs depuis 1987 un bulletin d'information sur la recherche techno-ethnologique.

31Enfin, pour compléter le tableau des formes d'activité « anthropolaographiques » en Grèce, il faut évoquer un cas rare de mécénat dont on peut penser qu'il ouvrira des voies. Le contrat passé entre l'entreprise vinicole Boutari et une petite équipe de chercheurs — dirigée par S. Papadopoulos et dont l'anthropologue, A. Brouskou, a été formé en France — doit aboutir à la création d'un musée du vin dans la ville de Naoussa. Pour l'heure, la formule semble satisfaire les deux parties. Les chercheurs sont animés de la volonté et de l'enthousiasme que confèrent aussi bien des moyens financiers importants qu'une grande indépendance de travail, même si le commanditaire a imposé les lieux de l'enquête qui correspondent aux villages de Macédoine orientale dont l'entreprise achète la production vinicole. Ce projet qui s'organise sur trois ans, comporte une phase de recherche et de connaissance de l'objet (techniques traditionnelles, cycle des travaux vinicoles, système de relations dans le monde des vignerons), une phase technique d'organisation et de classement du matériel recueilli et enfin la préparation propre du musée.

32On observe donc, aujourd'hui, les signes d'un renouveau certain : si laographie et anthropologie se sont longuement caractérisées par leurs divergences et leur volonté d'indépendance d'une part, de l'autre part leur relative simplicité théorique respective, on s'oriente vers un échange entre les deux disciplines de même qu'au sein de chacune d'entre elles, on note une diversification ou complexification des méthodes. La Grèce moderne, européenne, possédant ses propres chercheurs, impose en quelque sorte des vues pluridisciplinaires aux scientifiques, et bascule peut-être enfin du lieu où l'on « va appliquer » au lieu où l'on élabore.

Haut de page

Bibliographie

Alexakis E., 1980. Les clans et la famille dans la société maniote traditionnelle, Athènes*.

Allen P.S. et P.A. Bialor, 1976. « Bibliography of Anthropological Sources on Modern Greece and Cyprus », in Modern Greek Society : a newsletter tome 1, New Hampton.

Allen P.S., 1976. « Aspida : a Depopulated Maniat Community, in Dimen et Friedl, Regional Variation... New York, The New York Academy of Sciences.

Andromedas J., 1976. « Maniat Folk Culture », in Regional Variation.

Belmont N., 1986. Paroles païennes, Paris, Imago.

Beopoulou J., 1981. « Trikleri : mobilité et rapports d'appartenance », in Revue des études sociologiques, Athènes.

Boulay J. du, 1974. Portrait of a Greek Mountain Village, Oxford, Clarendon Press.

Campbell J., 1964. Honour, Family and Patronage. A Study of Institutions and Moral Values in a Greek Mountain Community, Oxford, Clarendon Press.

Capetanakis S., 1979. Parenté et organisation sociale à Elymbos de Karpathos, thèse de 3e cycle, Paris, EHESS.

Couroucli M., 1978. « Les recherches anthropologiques en Grèce », in Synchrona themata, t. 2, Athènes*.

1985. Les oliviers du lignage, Paris, Maisonneuve et Larose.

Damianakos S., 1985. « Représentations de la paysannerie dans l'ethnographie grecque », in Paysans et nations d'Europe centrale et balkanique, collectif, Paris, Maisonneuve et Larose.

Dimen M. et E. Friedl, 1976. Regional Variation in Modern Greece and Cyprus : Toward a Perspective on the Ethnography of Greece, New York, The New York Academy of Sciences.

Friedl E., 1962. Vassilika. A Village in Modern Greece, New York, Holt, Rinehart and Winston.

Handman M.E., 1983. La violence et la ruse. Hommes et femmes dans un village grec, Aix-en-Provence, Edisud.

Herzfeld M., 1982. Ours Once More. Folklore, Ideology and the Making of Modern Greece, Austin, University of Texas Press.

1985. The Poetics of Manhood : Contest and Identity in a Cretan Mountain Village, New Jersey, Princeton University Press.

Kassomoulis N., 1939. Souvenirs militaires 1821-1833, Athènes, éd. Vlachoyannis*.

Kayser B., Thompson K. et B. Kouki, 1964. Atlas économique et social de la Grèce, Athènes, Centre d'études économiques, Centre de sciences sociales.

Kovani E., 1986. Les recherches de terrain dans la Grèce rurale, éd. du Centre national de recherches sociologiques, Athènes*.

Kyriakidou-Nestoros A., 1977. La théorie de la laographie grecque, Société d'études de la civilisation grecque moderne et de l'éducation générale, Athènes*.

Lee D., 1950. « Greece », in Cultural Patterns and Technical Change, M. Mead, Paris, Unesco.

Lineton M., 1971. « Mina », Past and Present : Depopulation in a Village in Mani Southern Greece, University of Kent, Kent.

Loukatos D., 1970. Etat actuel des études folkloriques en Grèce, Corapport, IIe congrès international des études du Sud-Est européen, Athènes.

1978. Introduction à la laographie grecque, Athènes*. Fondation culturelle de la Banque nationale.

Mc Neil W.H., 1957. Greece : American Aid in Action 1947-1956, New York, The Twentieth Century Fund.

Papagalani I., 1985. « La loi et son application à Aghios Petros, île de Leucade, du XIIIe au milieu du XXe », in Familles et biens en Grèce et à Chypre, sous la dir. de Piault C., Paris, L'Harmattan.

Papataxiarchis E., 1978. A Hypothesis on the 1965-1977 Transition in the Socio-economic Structure of the Sponge Fishing Industry in Kalymnos, Greece, London.

Péchoux P.Y., 1968. « Les paysans de la rive orientale du Bas-Nestos », Athènes, in Etudes rurales, n° 28, Paris, EHESS.

Peristiany J.G., 1965. Honour and Shame : the Values of Mediterranean Society, London, Weidenfeld and Nicolson.

Peristiany J.G. et M.E. Handman, 1989. Le prix de l'alliance en Méditerranée, Paris, Ed. du CNRS.

Pitt-Rivers J., 1976. Mediterranean Countrymen : Essays in the Social Anthropology of the Mediterranean, Paris-La Haye, Mouton.

1986. « Anthropologie méditerranéenne », in Les sociétés rurales de la Méditerranée, Aix-en-Provence, Edisud.

Sanders I.T., 1954. « The Nomadic People of Northern Greece. Ethnie Puzzle and Cultural Survival » in Social Forces, Volume 33.

1962. Rainbow in the Roch. The People of Rural Greece, Cambridge, Harvard University Press.

Sivignon M., Péchoux P.Y. et B. Kayser, 1971. Exode rural et attraction urbaine en Grèce, Centre national de recherches sociologiques, Athènes.

Skouteri-Didaskalou N., 1984. La question anthropologique de la femme, Athènes, O Politis*.

Tsaoussis D., 1985. « L'anthropologie sociale en Grèce », in Linhart G., Anthropologie sociale, trad. Petronotis M., Athènes*.

Vernier B., 1977. Rapports de parenté et rapports de domination, thèse de 3e cycle, Paris, EHESS.

Xanthakou M., 1989. Idiots de village, Conversations ethnopsychiatriques en Péloponnèse, Toulouse, Presses universitaires du Mirail.

Zoïa G., 1989. Tradition et modernité en Grèce aujourd'hui. Un groupe de pasteurs nomades sédentarisés : les Sarakatsans, doctorat de l'EHESS, Paris.

  • Les références suivies d'un astérisque sont en langue grecque.

Haut de page

Notes

1Laographia : du grec laos, peuple et grafo, écrire.
2Citons notamment C. Lévi-Strauss, La pensée sauvage, 1970, Le totémisme aujourd'hui, 1974 et La voix des masques, 1984 ; M. Mauss, l'Essai sur le don, 1979, G. Balandier, Anthropologie politique, 1971, B. Malinowski, Sexualité et oppression dans les sociétés primitives, 1976.
3Les étapes de sa constitution sont les suivantes : l'indépendance est acquise à partir de 1827, puis en 1881 c'est l'annexion de la Thessalie, en 1913 de la Macédoine et d'une partie de la Thrace et en 1920 de la Thrace orientale et des îles de la mer Egée.
4J.G. Herder, écrivain allemand, 1744-1803 ; celui-ci voit dans l'histoire « le jeu contrasté d'individualités culturelles dont chacune constitue une communauté spécifique, un peuple, Volk », cf. « Le peuple et la nation chez Herder et Fichte » in Dumont L. Essais sur l'individualisme, 1983, Paris, Le Seuil, pp. 115-131.
5Se reporter pour les détails bibliographiques au chapitre 7, partie A, de l'Introduction à la laographie grecque de D.K. Loukatos.
6Cf. notamment les souvenirs militaires de N. Kassomoulis, commandant de place, pour les distinctions intéressantes qu'il fait entre les groupes ethniques d'éleveurs nomades et semi-nomades.
7N. Politis, fondateur de la laographie est nommé en 1890 professeur à l'université d'Athènes où il enseigne jusqu'à sa mort en 1921.
8L'organisation en est la suivante : 1) Les monuments de la parole (chants, épodes, énigmes, formules de vœux, mythes, récits, contes, langage) ; 2) les pratiques traditionnelles du peuple (construction, alimentation, genre de vie agricole, pastoral, marin, etc., droit, médecine, divination, instruments de musique, art).
9Voir pour une bibliographie anthropologique exhaustive des études anglo-saxonnes en Grèce, P.S. Allen, 1976.
10Se reporter à l'introduction de J. Pitt-Rivers et B. Kayser en 1986.
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Geneviève Zoïa, « L'anthropologie en Grèce »Terrain, 14 | 1990, 143-151.

Référence électronique

Geneviève Zoïa, « L'anthropologie en Grèce »Terrain [En ligne], 14 | 1990, mis en ligne le 17 juillet 2007, consulté le 02 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/3641 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terrain.3641

Haut de page

Auteur

Geneviève Zoïa

Centre d'anthropologie des sociétés rurales CNRS-EHESS, Toulouse

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search