- 1 Sur le frontispice est gravé ce postulat de la doctrine : « Naître mourir renaître encore et progre (...)
1Lieu de repos d’illustres personnages, le cimetière du Père-Lachaise (Paris-XXe) abrite, entre autres, la dépouille de Denizard-Hippolyte-Léon Rivail (1804-1869), pédagogue passé à la postérité sous le nom d’Allan Kardec. Sa sépulture, dont l’épitaphe informe les passants éventuellement ignorants de son identité qu’il fut le « fondateur de la philosophie spirite », est constituée d’un imposant dolmen en granit. En son centre trône, accompagné d’énigmatiques citations, un buste en bronze du défunt1. Comme le signalent, non sans fierté, ses visiteurs assidus, cette tombe est bien la plus fleurie du cimetière, et ce, tout au long de l’année : Kardec est en réalité réputé pouvoir exaucer tous types de vœux, et c’est à la gratitude de ses fidèles que se doit cette abondance. Chaque jour, nombreuses sont en effet les personnes qui viennent se recueillir sur sa sépulture, y déposer une bougie, un bouquet, un petit papier sur lequel est inscrit une demande, puis toucher et parfois embrasser le buste, voire le visage du disparu. Un raccourci logique inviterait à penser qu’elles ont, pour la plupart, une affinité quelconque avec la doctrine spirite. C’est pourtant en interrogeant ce lien que toute l’originalité de leurs pratiques apparaît, révélant la dimension d’« entre-deux » du lieu : en dépit de sa complexité historique, la relation entre spiritisme et catholicisme y est en effet concrètement mise en scène. Grâce à la mise en place spontanée d’un culte s’inscrivant pleinement dans la longue tradition des pèlerinages et du culte des saints en Europe, une médiation se réalise, du point de vue des acteurs, entre ces deux systèmes et les pratiques qui leur sont attachées. Cette mise en relation, qui n’est pas sans évoquer le projet initial du spiritisme, est avant tout un mouvement dans le temps et dépend étroitement des modalités d’entrée en relation des fidèles avec le défunt invoqué, de même que de la création progressive d’un lien privilégié avec celui-ci. C’est ici la singularité de ce double processus qu’il s’agit de saisir à travers l’analyse des échanges qui ont lieu entre les fidèles, la description des formes de dévotion et la prise en compte des mécanismes de leur intégration dans les parcours individuels.
- 2 Celui-ci est défini comme la matière élémentaire primitive qui compose le corps charnel et le corps (...)
- 3 Avec Léon Denis (1920), le mouvement prit ainsi une tournure anticléricale, l’Église et le catholic (...)
2Afin de mieux comprendre l’univers dans lequel se meuvent ces pratiques, il nous faut tout d’abord rapidement revenir sur le rapport originel du spiritisme, doctrine articulée autour des notions de médiumnité et de réincarnation, au catholicisme. Dès ses premiers écrits, Kardec – nom adopté par Rivail après qu’un médium lui eut révélé qu’il fut druide en Gaule dans une incarnation précédente – avait étroitement imbriqué ces deux pensées. Dans le Livre des esprits (Kardec 1999), véritable manifeste rédigé à partir de « messages » amassés lors de multiples séances médiumniques et marquant la naissance de la doctrine en France, l’existence d’un dieu transcendant était ainsi posée en introduction et les principes moraux du Nouveau Testament, justice, amour et charité, se trouvaient réaffirmés. Mais plus encore, le spiritisme venait s’inscrire, pour son fondateur, dans la continuité des révélations judéo-chrétiennes, comme la troisième après celles de Moïse et du Christ (Kardec 1996, 1988). Néanmoins, la notion chrétienne de foi n’y avait plus de place, le système tout entier reposant sur l’idée de preuves physiques et expérimentales de l’existence des esprits. Loin de vouloir se substituer à la religion, le kardécisme, profondément marqué par le scientisme de son temps, aspirait donc à la faire basculer du domaine de la croyance à celui de la science et de la foi rationnelle (Aubrée & Laplantine 1990). La position de Kardec à l’égard des miracles est tout à fait représentative de ce glissement : ni ceux-ci ni le surnaturel n’existent. Si certains phénomènes, que le sens commun considère comme « miraculeux », se produisent, telles des guérisons par exemple, c’est qu’ils répondent strictement et nécessairement à une loi naturelle, celle de la circulation du « fluide universel2 » (Kardec 1988). À la mort de Kardec, la radicalisation de certaines tendances, auparavant unifiées par sa présence, modifia pourtant cette position originelle vis-à-vis du catholicisme, et du christianisme dans une plus large mesure. La référence à la religion s’effaça progressivement du discours des nouveaux leaders, au point de parfois disparaître3. L’orientation métapsychiste, attachée à l’aspect scientifique et expérimental des divers phénomènes de médiumnité, triompha alors du spiritualisme à proprement parler, plus préoccupé par l’aspect moral de la doctrine.
3Si cette première voie définit, aujourd’hui encore, la plupart des cercles spirites, pour les personnes qui affectionnent de se rendre sur la tombe de Kardec, la référence religieuse – chrétienne pour certains, catholique pour d’autres – est au contraire primordiale dans leur travail de construction symbolique de la figure du défunt, de même que dans leur éventuelle adhésion à la doctrine. Deux dimensions, dans lesquelles interviennent, à différents niveaux, des processus d’adhésion mettant en scène les notions de croyance et de foi, s’entremêlent en réalité dans leurs pratiques : celle, commune, de la dévotion, et celle de la « spiritualité », pour reprendre l’un des termes de la doctrine. Évoquons tout d’abord la première.
- 4 Il serait malaisé de faire une typologie des demandes, au demeurant sans grand intérêt. À la différ (...)
4À l’instar des procès de canonisation, officielle ou populaire, traditionnellement entamés par la mise en place d’un culte autour de la tombe du futur saint (Blanc 1995), la dévotion à Kardec s’ordonne en premier lieu autour de la dimension « miraculeuse » du lieu de son inhumation, mais aussi et surtout autour de la notion de « rencontre », caractéristique de l’expérience pérégrine (Dupront 1973). Sur sa sépulture, les visiteurs habitués évoquent en effet d’eux-mêmes, et avec récurrence, les modalités de leur première visite, souvent effectuée sur les conseils d’une connaissance et dans un but propitiatoire4. Elle est alors fondamentalement perçue sur le mode événementiel de la rencontre – la formule « Oh, vous savez, moi, ça fait x années que je le connais » étant préférée par tous à celle de « Ça fait x années que je viens ». Dans les divers parcours individuels, cette rencontre fonctionne invariablement comme un déclic. L’expérience initiale a en effet connu, du moins pour ceux qui reviennent, une issue heureuse : la demande a été exaucée. Celle-ci s’est matériellement concrétisée dans un laps de temps plus ou moins long et, bien qu’on ne sache pas très bien sous l’action de qui ou de quoi, on se doit de revenir au cimetière pour remercier. Dans le même mouvement, la personne, partiellement convaincue de l’efficacité des gestes et prières accomplis, sait qu’en cas de besoin elle pourra de nouveau y recourir. Le mécanisme est ainsi enclenché et chacune des personnes fréquentant régulièrement la tombe a reçu, au moins une fois dans sa vie, une « grâce » d’Allan Kardec. Il ne s’agit souvent pas d’un miracle au sens propre du terme, c’est-à-dire d’un fait de l’ordre de l’extraordinaire, mais il est souvent perçu comme tel par le « demandeur ».
- 5 J’emprunte ici la notion de potentia, de même ensuite que celle de praesentia, à P. Brown (1984). C (...)
5Dans le cadre d’un culte mis en place en marge de toute institution, cette rencontre est avant tout le fruit d’un travail individuel de mise en relation. Elle n’en devient donc une qu’au moment où le fidèle expérimente l’efficacité et la puissance du défunt, c’est-à-dire après l’avoir mis à l’épreuve et s’être assuré qu’il existe bien en tant qu’interlocuteur. Au cours de ce moment inaugural, ce qui est alors en jeu, c’est bien un certain type d’adhésion de l’ordre de la croyance, mais celle-ci porte en premier lieu, selon une logique pragmatique, sur la dimension de potentia de l’entité invoquée5. Les personnes rencontrées soulignent en effet leur ignorance par rapport au spiritisme ou, pour les plus informées, leur scepticisme au moment où elles se sont rendues pour la première fois sur la tombe. Dans un premier temps, la figure de Kardec fonctionne donc de façon autonome du point de vue symbolique, l’adhésion éventuelle à la doctrine étant graduelle et conditionnée avant tout par cette mise en relation initiale attestant le pouvoir posthume de son fondateur.
6L’obtention de la « preuve » de l’efficacité du défunt jouant le rôle de déclencheur dans la mise en place d’une relation soutenue avec celui-ci, il convient d’examiner plus avant son statut. Autour de la tombe, les fidèles de Kardec usent d’un vocabulaire profondément religieux, articulé autour de la notion de foi. C’est ainsi qu’un nouveau venu en quête de conseils sur la façon de procéder s’entendra invariablement répondre : « Priez-le avec votre foi, avec vos mots à vous. » Un leitmotiv : « Il faut avoir la foi. » Pourtant, ceux qui l’énoncent sont eux-mêmes avant tout passés par le stade initial de la preuve (leur « miracle » personnel), c’est-à-dire par un travail de construction de leur propre croyance. Et celui-ci n’est pas définitif : la foi en la potentia du défunt reste en effet soumise à un processus de négociation et de conquête permanent, perceptible dans une volonté d’accumulation des preuves.
7Dans ce contexte cultuel, la foi et la preuve, comprises comme « deux régimes de construction de la présence » (Claverie 1990 : 65) et correspondant en général à des modalités d’attestation mises en œuvre dans des mondes différents (le monde des croyants / celui des autres), s’interpénètrent dans un seul et même espace, le cimetière, dans une seule et même « communauté », celle des « croyants » et, plus profondément d’abord, dans un seul et même monde, celui, psychique, du possible « croyant ». Plus que jamais, la preuve fonctionne pour le fidèle comme « une interface avec le monde » (ibid. : 66), le sien propre, intérieur, composé d’un mouvement oscillant entre l’adhésion et le scepticisme. Dans le cadre assez marginal de cette dévotion, le fidèle est en effet soumis, plus que de coutume, à la possibilité de contestation de sa foi. La tombe bordant une des principales allées du cimetière, le passage et les arrêts des curieux sont fréquents, assortis de toutes sortes de commentaires, regards, parfois rires, fort désobligeants pour les fidèles. Allant du simple « Moi, j’y crois pas à ces trucs-là » lancé à la cantonade à la franche invective, ces réactions mettent les fidèles en butte à la fragilité de leur foi et les contraignent à interroger celle-ci sur le lieu même du culte. Or, si la « croyance » est certes une « assertion malgré elle dubitative, relativisée » (Pouillon 1979 : 50), elle est également en quête d’assises toujours plus solides : la personne, malgré le doute qui l’encombre, ne semble pas prête à invalider l’assertion en question et à y renoncer. Elle vise au contraire à la soustraire à la contingence et à l’incertitude, à la rendre plus tangible encore, et ce, en la soumettant et en la confrontant à d’autres jugements que le sien propre. Sur la tombe de Kardec, une question ou un simple commentaire font ainsi circuler informations et connaissances et débouchent toujours sur une mise en commun des expériences, les siennes propres et les autres, celles que l’on a, pour les habitués, recueillies auparavant dans des conversations similaires. Chacun y va alors de son propre récit, relatant le plus souvent le premier « miracle » dont il a été témoin, celui qui l’a attaché à ce lieu. Dans cet échange, on accumule alors les versions, les détails, les histoires, on confronte les siennes aux autres, on se délecte à raconter, tout comme on s’émerveille de ce qu’on entend, comme si, tout à la fois, le fait d’écouter l’autre et d’énoncer soi-même participait d’un mécanisme unique d’affermissement de la croyance. Les conclusions données à ces conversations témoignent d’un processus de négociation de la potentia du défunt tendant vers une solidification de la croyance. Elles convergent en effet toutes vers une affirmation finale unique et explicite : « Il est bon », « Il est puissant », « Il faut avoir la foi », et celle-ci acquiert dans ce contexte une force singulière précisément du fait qu’elle est énoncée à deux au moins.
8Selon la même logique, l’offrande votive de fleurs constitue un gage matérialisant aux yeux des fidèles la croyance de leurs pairs dans une rencontre cette fois-ci différée : elle leur permet là encore d’attribuer des fondements supplémentaires à la leur. Contribuant à la renommée du culte, et plus fondamentalement à son existence et à son maintien (Vidal 1993), ces offrandes permettent une mise en scène de la potentia du défunt s’inscrivant précisément dans cette logique de recherche de la preuve : on tente d’asseoir la croyance des autres en même temps que la sienne propre. La notion de « croyance en bascule » proposée par A. Piette (1996) semble donc particulièrement appropriée pour désigner le phénomène en question. Dans ce mouvement réciproque, une sorte de tension vers la communauté est perceptible. Une communauté impalpable, éphémère, changeante – d’ailleurs caractéristique des formes de sociabilité pèlerines –, mais qui a un poids certain dans le mécanisme d’élaboration de son propre univers de croyances et de représentations. La principale dimension de validation de la croyance réside en effet, on l’a vu, dans la conscience qu’ont les acteurs de former une unité avec d’autres, souvent invisible, mais se matérialisant parfois lorsqu’on en rencontre les membres. Le problème de la relation des fidèles à leur propre foi permet donc de résoudre la question plus large de leurs modalités d’entrée en relation entre eux. Les échanges qui ont lieu autour de la tombe sont effectivement fondamentalement structurés par cette logique de recherche de la preuve, ici synonyme du recueil de témoignages oraux et matériels de la puissance du défunt auxquels il est possible d’intégrer le sien propre. La recommandation faite par les habitués aux nouveaux venus prend alors tout son sens : leur propre foi en Kardec, à eux qui se trouvent précisément là sur la tombe, est censée acquérir valeur de preuve aux yeux du néophyte.
- 6 Les demandes écrites témoignent également du statut d’intercession accordé au défunt : par exemple, (...)
- 7 « Les offrandes, à condition qu’elles contribuent à soulager les misères, loin de toute idée d’écha (...)
9Ce mouvement de « basculement » des états de croyance prend cependant une autre portée au regard des pratiques dans lesquelles sont enchâssées les visites faites par les habitués à Allan Kardec. En effet, la « foi » à laquelle se réfèrent ses visiteurs renvoie également à son acception ordinaire dans le contexte européen chrétien. À travers la recherche des preuves de l’efficacité de cette figure, et au-delà d’elles, c’est la recherche des preuves de l’existence et de la clémence de Dieu qui motive les fidèles. C’est cette foi-là qu’il s’agit fondamentalement d’affermir et d’entretenir au jour le jour. De toute évidence, Kardec n’est pas efficace en lui-même mais en tant qu’il participe en quelque sorte du divin. « Venir ici, ça n’empêche pas. Ça ne va pas contre Dieu, ni contre le Christ, au contraire… Moi, quand je viens là, je sais que derrière il y a Dieu. […] Disons que quand les gens viennent là, sur Allan Kardec, c’est comme… un prétexte. On vient là demander à Dieu », me rappelle un fidèle6. Les discours mettent l’accent sur la qualité d’intercesseur de Kardec, sur sa relation à Dieu, présent sur sa sépulture, et accentuent donc la logique d’autonomisation symbolique du défunt. Le processus d’intégration de cette pratique cultuelle à la culture catholique, rendue possible par la tradition de médiation de celle-ci, se voit de plus favorisé par le panneau accolé, il y a quelques années, au dos de la tombe. L’Union spirite française et francophone (usff), seul cercle spirite actuellement représentatif de la tendance spiritualiste (Aubrée 2000), y insiste justement sur ce rôle de médiation, soulignant clairement les relations de la doctrine au catholicisme7.
10Pour les fidèles, un parallèle évident, quoique souvent implicite, est ainsi fait avec le culte des saints. Un visiteur quotidien de Kardec, plus loquace que d’autres sur le sujet, évoque avec moi différents lieux, tels que la chapelle Sainte-Rita près de la place Blanche (Prado 1993) ou Lourdes, et soulève le problème de la représentation : « Chacun a ses représentations de prédilection, moi c’est le Sacré-Cœur de Jésus. J’ai une très grande attirance pour lui. Mais comme il y en a très peu, et qui ne me conviennent pas forcément, je viens sur Kardec, parce que j’y trouve mon compte […]. D’ailleurs, quand je suis ici, j’ai très souvent des clichés du Christ en tête. » Les personnes qui se rendent sur la tombe affirment en effet haut et fort une sensibilité chrétienne et une pratique assidue (prières quotidiennes, lecture des Écritures, surtout des Psaumes, mais aussi fréquentation des églises, etc.). Leurs conversations consistent d’ailleurs souvent en échange d’adresses de lieux parisiens : parfois centres proprement spirites, mais aussi et surtout églises et lieux de culte chrétiens. Il est d’ailleurs significatif que, dans leur grande majorité, les fidèles entament et/ou mettent fin à leurs visites par un signe de croix. Les objets déposés sur la tombe proviennent également d’un univers chrétien : au détour d’une visite, la lueur vacillante d’une bougie sur laquelle on peut lire « Rien ne nous séparera de la Parole de Dieu » témoigne du passage matinal d’un fidèle, une autre fois, le curieux découvre, joint à une demande écrite, un chapelet, etc. Se présentant comme sceptiques au départ, les personnes rencontrées sont donc en réalité profondément religieuses et cumulent, pour la plupart, des pratiques complémentaires qui, toutes, s’agencent sur un même horizon conceptuel.
- 8 Ce terme est employé par les adeptes du spiritisme pour désigner son fondateur, son œuvre étant ava (...)
11L’attribution de ce statut de médiateur à Kardec, personnage intrinsèquement en marge de l’Église, n’est pourtant pas sans poser problème. Une octogénaire m’explique ainsi que les premières fois où elle est venue, elle avait « un peu peur ». Les termes de « médium » et de « spirite » la faisaient presque trembler : « Moi j’étais croyante, je veux dire, j’allais à l’église et tout ça. Donc je ne savais pas trop si c’était bien de faire ça, enfin… par rapport au Seigneur. » Cette crainte de l’hétérodoxie, nombreux sont ceux qui l’ont au départ. « Après j’ai compris, continue cette même dame. Parce que lui, Allan Kardec, il est là-haut au ciel, avec le Seigneur. C’est pour ça qu’il peut nous aider. L’important, dans tout, c’est la foi. Et ça, moi la foi, je l’ai, et je l’ai toujours eue. » D’une part, cette « compréhension », impliquant le dépassement du doute, a lieu lorsqu’on entre en relation avec les autres visiteurs de la tombe. D’autre part, ce sont ces rencontres qui vont progressivement orienter le néophyte vers la lecture des écrits de Kardec. Autour de la tombe ne circule aucun récit, ni oral ni écrit, concernant la vie de Kardec. Il est probable que l’écriteau apposé au dos de la tombe par l’usff, comportant une biographie succincte du « Codificateur »8, fasse l’économie aux visiteurs d’un travail d’élaboration symbolique entourant le disparu, voire les en empêche. À l’image des passants intrigués, tout le monde a en effet, un jour ou l’autre, jeté les yeux sur ce panneau, au demeurant peu complaisant avec les pratiques des visiteurs assidus de la tombe qui y sont qualifiées « d’un autre âge », les « gens avertis et les spirites s’interdisant ces actes ». Abattant d’emblée la légende, ce message semble pourtant tenter d’orienter la curiosité du public dans une direction : l’étude de la doctrine. C’est qu’en effet, Kardec, du fait même de son œuvre, possède une dimension symbolique qui supplante nettement l’importance de son existence terrestre et gouverne implicitement les formes que prend son culte.
- 9 Cette librairie, siège des éditions Vermet, se revendique « ésotérique ». On y trouve, au milieu de (...)
12À la disposition des intéressés se trouve ainsi, à la sortie du cimetière, une singulière librairie rappelant les commerces se développant autour des grands sites de dévotion9. En devanture, l’appât du chaland : les livres de Kardec. Sorte de relais du culte, j’y ai plusieurs fois rencontré des habitués de la tombe achetant des portraits du défunt ou feuilletant ses ouvrages. Le premier d’entre eux qui est conseillé par tous sur la tombe – eux-mêmes ont débuté par là – est un livret intitulé Instructions et recueil de prières. Sa vente chez tous les fleuristes bordant le cimetière révèle par ailleurs son succès auprès du public. La première des prières que l’on y trouve est le « Notre-Père », rebaptisé par Kardec « Oraison dominicale ». Souvent, les fidèles ne se préoccupent pas d’aller plus loin dans leur connaissance de l’œuvre de Kardec, ou alors beaucoup plus tard : ils ne s’intéressent pas, pour la plupart, à la partie de celle-ci relative à la doctrine des esprits, mais à son versant religieux et chrétien. Ceux qui, par la suite, entreprennent la lecture des autres écrits restent profondément marqués avant tout par ce recueil et l’ouvrage duquel il est tiré : L’Évangile selon le spiritisme (Kardec 1996). « C’est superbe, m’explique ainsi une jeune femme m’incitant à sa lecture. Moi depuis que je l’ai, je n’ai même plus besoin d’ouvrir ma bible. » Si ces écrits sont nettement préférés à d’autres, c’est précisément parce qu’ils offrent un pont entre le spiritisme et le catholicisme, et permettent à la majorité une alliance et une intégration de la nouvelle pratique dans des représentations personnelles préexistantes au moment de la rencontre. Mais dans un même mouvement, il est logique que leur lecture modifie sensiblement celles-ci ou, du moins, leur superpose une autre dimension.
13Qu’on le caresse avec attention ou qu’on lui donne, au passage, une accolade comme à un vieil ami, l’élément central sur lequel s’appuie la dévotion à Kardec est le buste de celui-ci. Tout comme les reliques ou les images des saints, il contribue largement à faire advenir la praesentia du défunt. En tant que support élémentaire d’un mécanisme de construction de la figure surnaturelle, sa représentation physique joue de toute évidence, et a certainement joué au départ, un rôle fondamental dans la constitution et le maintien du culte. Cette personnification, rapprochant le défunt de ses fidèles, permet en effet la « rencontre » et sa répétition, en rendant loisible l’entrée en relation directe, voire l’interaction quasi humaine avec la figure invoquée. Alors qu’il n’existe pas de codification de la gestuelle, tous les fidèles, lorsqu’ils viennent, imposent les mains sur le buste, désormais poli par ces nombreux attouchements. Si ces gestes revêtent bien les formes coutumières de la dévotion aux saints, c’est pourtant dans les représentations qui les entourent que la dimension spirite du culte apparaît : s’y entremêlent en effet les deux dimensions du culte, la dévotion et la « spiritualité ». Certains fidèles emploient ce dernier terme pour désigner à la fois, conformément à son acception dans le cadre catholique, un travail sur soi par la prière et une dimension plus proprement spirite qui renvoie à la notion d’« évolution spirituelle », favorisée par le développement de la médiumnité.
- 10 C’est aussi dans cette logique que l’on frotte parfois la photo d’un être cher, un courrier, un tis (...)
14La visée d’entrée en contact avec le défunt que l’on vient solliciter s’inscrit à première vue dans la croyance commune en l’efficacité intrinsèque des reliques : ce toucher, injonction à entendre la demande, met directement en branle la potentia du défunt (Brown 1984). Toutefois, celui-ci possède une signification supplémentaire que l’explication précédente n’épuise pas. Pour les habitués, le buste de Kardec est en effet conçu comme un accumulateur de ce qui est, tour à tour, désigné par les termes d’« énergie », de « vibration », de « force », ou encore de « fluide magnétique » ou « universel ». Il possède des facultés d’émission, tout autant que la sépulture elle-même. C’est pourquoi on touche aussi fréquemment le granit du dolmen ou les chaînes qui relient entre elles les colonnes du mausolée. Par ce contact, on vise avant tout à recueillir cette force, chargée de positivité10. Prescription directement issue de cette conception, il faut éviter de toucher en même temps qu’un autre le buste ou la sépulture, pour ne pas recueillir des énergies étrangères, éventuellement néfastes. Par ce geste, on se charge donc autant d’énergies positives que l’on se déleste des plus négatives. Il s’agit en quelque sorte d’une forme d’échange : les représentations liées à ce geste, de même qu’une seconde forme d’investissement physique de la sépulture, accordent effectivement à Kardec le statut d’interlocuteur véritable.
- 11 Dans le cas de personnes possédant des facultés médiumniques, comme celui de Jacques dont il va êtr (...)
- 12 Cette possibilité de communication se distingue fondamentalement des apparitions mariales, entre au (...)
15L’autre modalité de mise en relation avec le défunt à travers sa représentation physique est le regard, associé, tout comme le toucher, à la prière. Alors qu’ils sont sur la tombe, tous les fidèles conservent les yeux rivés sur le buste, dans une attitude de face-à-face, s’apparentant clairement à une situation d’interlocution11. Les différentes formes d’invocation (gestuelle, offrande, parole, écriture, toucher, regard) qui, dans un contexte coutumier, répétées et associées, contribuent à la construction de l’entité supranaturelle et l’animent en quelque sorte, acquièrent ici une autre dimension. Du fait de l’insertion de cet interlocuteur surnaturel dans une vision du monde tout à fait particulière où est faite une place centrale à la médiumnité existe, en théorie, la possibilité que celui-ci sorte de son mutisme et manifeste sa présence autrement que par sa seule efficacité à accéder aux demandes. L’esprit de Kardec peut ainsi envoyer des signes, et ceux-ci peuvent parvenir à ses fidèles, par l’intermédiaire de ces contacts avec le buste ou par le biais de la pensée. Le phénomène n’est bien sûr pas si courant, mais il est possible de dire que les visites régulières des fidèles, qui n’ont pas toujours pour objet une demande, visent à aménager les conditions de possibilité d’une interaction véritable, incluant une réciprocité directe, avec le défunt. Si certaines dates, telle la Toussaint, voient affluer les visiteurs, comme en pèlerinage, sur la sépulture de Kardec, le temps véritable qui rythme la relation des fidèles au défunt est en effet un temps quotidien, marqué par la périodicité. Ceux-ci se rendent, pour beaucoup, une à deux fois par semaine sur sa tombe, certains y allant tous les jours ou presque. C’est donc à travers la multiplication des visites et l’initiation graduelle à une certaine vision du monde spirite qu’à la dimension de dévotion s’ajoute celle de la « spiritualité » au sens spirite du terme. Progressivement, à l’idée de la prière sincère s’adressant à un médiateur de Dieu, va se superposer l’idée d’une nécessaire concentration visant l’établissement des conditions de réception d’un éventuel message. Ce n’est cependant souvent qu’après de longues années de fréquentation du site que certains fidèles acquièrent de telles facultés, réalisant ainsi l’idéal de la doctrine : l’« évolution spirituelle » relève d’une véritable prise de conscience et d’un « travail » sur soi. Néanmoins, nombreux sont ceux qui, lors d’une prière ou au cours d’une demande, disent ressentir un picotement, un fourmillement ou une douce chaleur envahir leurs mains posées sur le buste ou le granit. Ces phénomènes marquent en quelque sorte des étapes dans leur cheminement spirituel, qui souvent ne déboucheront sur aucune expérience médiumnique, mais sont toujours accueillies avec effervescence et joie, participant là encore d’une logique de l’accumulation des preuves – preuves cette fois-ci plus orientées en direction d’une adhésion au principe spirite de médiumnité. De l’avis de tous, ces phénomènes émanent de l’esprit de Kardec, ce sont des signes de sa part signifiant que « le courant est passé », que « la demande a été entendue », qu’une communication véritable a eu lieu. Cette éventualité de la réponse amplifie donc la praesentia du défunt sur un fond de représentations qui, s’il ne se revendique pas toujours comme tel, est en réalité proprement spirite12. Le culte rendu à Kardec par ses « disciples » improvisés est donc tout à fait fidèle aux principes édictés par celui-ci, bien qu’à première vue il ne diffère pas sensiblement d’autres formes de dévotion.
- 13 Il existe cependant des ponts entre la vision chrétienne et la vision spirite de l’après-mort. Kard (...)
16Si la majorité des visiteurs ne fréquente pas régulièrement de cercles spirites, elle y est en tout cas allée au moins une fois, certains s’y rendant par la suite, occasionnellement. En revanche, peu de personnes rencontrées sur la tombe se définissent spontanément comme spirites. Ainsi, tout en affirmant qu’elle a « initié » des gens au spiritisme en les amenant sur la tombe de Kardec, l’une de mes informatrices n’use pas de ce terme pour elle-même. En réalité, si le premier pilier de la doctrine, la médiumnité, est accepté par beaucoup, le second, la réincarnation, est, quant à lui, plus problématique. Il est en effet difficile d’évaluer le degré d’adhésion des visiteurs de la tombe à ce dogme spirite13. Néanmoins, le fait que ce sujet ne soit jamais spontanément abordé révèle qu’il ne fait a priori pas partie de leurs préoccupations. À mon sens, la médiumnité et la notion de fluide sont les principaux éléments que les fidèles reprennent à leur compte et allient à leurs conceptions catholiques. Cela est perceptible dans la confiance que nombre d’entre eux accordent à un « médiateur » humain, qui, en règle générale, est lui-même médium, voire guérisseur. Le passage des représentations associées au toucher et au regard dans la dévotion coutumière aux conceptions proprement spirites, repose en effet, là encore et en dernière instance, sur des mécanismes relationnels.
- 14 Ainsi cette dame qui a un jour senti sa main vibrer sur le granit de la sépulture et voulait s’assu (...)
17Si, pour les fidèles, le passage de l’univers au départ exclusif de la « dévotion » à celui de la « spiritualité » peut se réaliser par la lecture des écrits de Kardec, des relais humains leur sont en effet nécessaires. Aux relations avec les autres fidèles s’ajoutent donc celles que l’on peut entretenir avec des « médiateurs » vivants de Kardec, qui se revendiquent cette fois-ci, tout comme ce dernier, spirites. Les fidèles, pour la plupart, apprécient les échanges instaurés avec ces spécialistes de la doctrine, ardents disciples de Kardec se rendant presque quotidiennement sur sa tombe et endossant auprès de beaucoup une fonction d’initiateur. Nombreux sont ceux qui insistent sur le rôle qu’ont joué et continuent de jouer pour eux ces personnages. Dans une position de recours au départ, l’aide qui peut leur être apportée d’un point de vue humain est rarement refusée. Dans une certaine mesure, ils en sont en quête. Lors de leurs premières visites, beaucoup ont effectivement été guidés par ces « médiateurs », établissant peu à peu avec eux des relations plus soutenues, bien qu’ils ne se rencontrent qu’exceptionnellement hors du cimetière. Ils sont d’ailleurs parfois déçus de ne pas les trouver là pour leur soumettre leurs doutes sur tel ou tel point ou obtenir une interprétation relative à un phénomène dont ils ne sont pas sûrs eux-mêmes d’évaluer à juste titre la portée14. Ces spécialistes ont en effet élaboré un cortège de représentations rationalisées relatives au lieu et pouvant, à l’occasion, se révéler d’un grand secours pour les autres. Leur présence aide par ailleurs en un sens à la création de cette communauté de croyants à laquelle aspirent les fidèles, leur microcosme se faisant plus palpable à travers ces individus.
18J’évoquerai ici un seul d’entre eux : Jacques, le plus populaire à mon sens chez les habitués. Fondamentalement chrétien, comme beaucoup de fidèles, il est également médium : il entre en contact avec Kardec et entretient donc un rapport tout à fait privilégié, personnel, avec celui-ci. Sur la tombe du « Codificateur », la démultiplication de la médiation, de l’invisible à l’humain – phénomène somme toute caractéristique des cultes se développant dans un contexte non institutionnalisé (Charuty 1995) –, conduit en effet à la reconnaissance de la médiumnité. Ne vivant pas de ses facultés médiumniques, Jacques apporte aux autres, conformément au principe de « charité spirituelle » (Kardec 1999), une aide désintéressée. Il se sent en réalité investi d’une mission qui le dépasse, d’une vocation de conversion, de « spiritualisation ». S’il cherche à les rationaliser, il ne tente pas de « scientificiser » les phénomènes qui se produisent sur la tombe. Pour lui, la présence, à un degré élevé, du fluide magnétique autour de celle-ci doit être comprise comme un message de l’au-delà destiné à éveiller l’intérêt des gens pour le spiritisme. Lui-même a eu à interpréter dans son cheminement personnel des signes similaires. Alors qu’il imposa pour la première fois les mains sur le buste de Kardec, il y a plus de trente ans, il ressentit des battements de cœur distincts. Peu préparé à décrypter ce genre d’indices à l’époque, il n’y avait pas prêté attention. Il pense aujourd’hui que ceux-ci, loin de signaler la présence de Kardec, constituaient un message de l’esprit qui « le guide, l’instruit et l’éduque dans son évolution spirituelle », destiné à orienter son intérêt vers la doctrine spirite. Mais ce n’est qu’au terme d’une longue quête qu’il en est finalement venu au spiritisme, pensée de laquelle il s’était jusque-là tenu à l’écart à cause d’expériences décevantes au sein de divers cercles spirites parisiens. Selon lui, la « véritable spiritualité » y manquait, de même que l’aspect proprement religieux : aucune place n’y était faite à la foi. C’est donc seul qu’il s’est attelé à l’étude de la doctrine, après qu’un presque inconnu lui eut offert le fameux « recueil de prières »15 de Kardec. C’est sur la tombe de celui-ci qu’il commença à développer des facultés médiumniques, à force de « travail »et de concentration. Jacques aime à rappeler, en se riant du paradoxe, que grâce au spiritisme, il a « redécouvert [sa] propre religion », celle du Christ. Il se félicite de pouvoir constater que, bien que des gens de toute origine affluent sur la tombe du Maître, on y trouve une majorité de chrétiens ; cela lui semble en accord avec la volonté du défunt et la vocation œcuménique du spiritisme. Tout comme les autres fidèles, il inscrit donc profondément son engagement spirite dans une culture chrétienne et c’est cette affiliation revendiquée qui lui permet de faire figure de médiateur entre eux et Kardec, mais aussi, plus largement, entre eux et le spiritisme. Il use en ce sens de la fibre religieuse pour « convertir » progressivement d’autres personnes à la doctrine spirite16.
19En véritable guide spirituel, il insinue ses interlocuteurs dans une sorte de parcours initiatique. Il insiste en effet sur l’aspect démocratique du spiritisme, la connaissance de la doctrine ne devant pas être le fait d’une élite, mais de tous. La médiumnité aussi peut se travailler. Ainsi décourage-t-il les gens de se rendre chez des médiums professionnels, ce qui, au final, ne les avancerait en rien dans leurs problèmes : « Qu’ils essaient de se mettre à l’écoute, de s’aider eux-mêmes, tout le monde peut y arriver. On n’a pas besoin des autres pour ça, ça ne sert à rien de chercher des guides comme ça. Bon, des gens pour aider un peu au début, oui, mais l’essentiel on le fait soi-même. Il n’y a que la foi qui sauve. » L’endroit étant propice à la tranquillité le matin, il incite vivement ses interlocuteurs à s’y rendre à ce moment-là pour formuler avec ferveur une demande et pour essayer, tout comme lui, de « travailler la spiritualité », d’entrer dans des « états de conscience plus élevés ». Ce n’est donc que progressivement qu’il incite ses relations à s’intéresser plus avant au spiritisme, commençant toujours par leur indiquer la lecture du « recueil de prières », les aidant à interpréter les signes, les orientant d’une voie où la dévotion prédomine à celle de la « spiritualité », la première n’étant jamais totalement abandonnée. Kardec, même lorsque les visites qui lui sont faites s’inscrivent dans le cadre d’un « développement spirituel », n’en perd jamais pour autant sa qualité de médiateur.
20L’examen des différentes étapes qui rythment la construction de la relation des fidèles à la figure qu’ils invoquent révèle donc la singularité de ce culte au regard des processus ordinaires de canonisation populaire. D’une autonomie symbolique initiale, la majorité des fidèles passe en effet à l’intégration progressive de la dimension spirite du défunt. À travers l’attribution de facultés d’intercession à Kardec et l’adoption d’une gestuelle rituelle relevant tant du catholicisme dit « populaire » que du spiritisme, les fidèles peuvent inscrire cette pratique cultuelle dans un fond chrétien tout en mobilisant des représentations qui lui sont étrangères et avec lesquelles eux-mêmes se familiarisent progressivement grâce aux formes de sociabilité propres à l’espace de cette tombe, de même qu’aux relations entretenues avec des médiateurs humains spirites. Ces pratiques, fondamentalement individuelles, sont donc pourtant largement déterminées par des interactions se nouant à l’intérieur d’un réseau de fidèles.
21Plus que par les développements théoriques du spiritisme, les fidèles, de sensibilité chrétienne, semblent plutôt attirés, au-delà de la demande, par la possibilité de la rencontre, et d’une rencontre directe, voire dialogique, avec l’autre monde. Celle-ci est partiellement rendue possible par le fait qu’il n’existe pas d’institution régissant ce face-à-face et par le premier pivot de la doctrine auquel adhère la majorité : la médiumnité. En associant étroitement leurs pratiques à des représentations catholiques, les fidèles renouent alors avec un spiritisme originel, tel qu’il fut codifié par Kardec, sans pour autant en reprendre toutes les interprétations (l’idée du spiritisme comme troisième révélation par exemple). De façon détournée, l’affirmation de Kardec selon laquelle le spiritisme pourrait se muer en « le plus puissant auxiliaire de la religion » (Kardec 1999) se vérifie donc ici dans diverses trajectoires personnelles. L’ironie du sort consiste peut-être en la disparition de l’aspect scientifique de la doctrine, essentielle pour son fondateur, et en l’accentuation, dans les représentations des fidèles, de sa dimension religieuse. Dans ce processus de conquête de la croyance, la preuve n’est plus du ressort de la science mais bien du miracle. Elle n’existe alors que pour alimenter une foi au contenu pluriel, reposant avant tout sur une série de mises en relation, tant avec la figure invoquée qu’avec ses fidèles et disciples.