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L'argent en famille

Intimité et économie

Viviana Zelizer
p. 13-28

Résumés

L’interférence entre transactions économiques et relations sociales intimes peut être analysée de trois façons différentes : sous l’angle de « sphères séparées » ou de « mondes hostiles » que contamine mutuellement tout contact entre eux ; comme n’étant « rien d’autre que » des échanges commerciaux, des constructions culturelles ou des contraintes ; ou encore en tant que liens différenciés caractérisés chacun par un ensemble spécifique de transferts économiques. À partir du cas concret des litiges portant sur l’indemnisation des décès causés par les attentats du 11 septembre 2001 à New York et à Washington, cet article plaide pour la troisième approche

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Texte intégral

1Le règlement financier des dommages humains causés par les attentats du World Trade Center et du Pentagone, le 11 septembre 2001, a donné lieu à un nombre surprenant de litiges portant sur les rapports familiaux. Deux questions prévalaient : Comment chiffrer la valeur monétaire de la perte d’un proche ? Quels membres de la famille lésée avaient droit à une réparation ?
Les familles des morts du 11-Septembre pouvaient, à titre individuel, intenter un procès ordinaire en dommages et intérêts, et certains le firent. Mais, pour plusieurs raisons – notamment pour épargner aux compagnies aériennes la gestion de controverses interminables –, le gouvernement américain prit le parti de réduire au minimum les poursuites individuelles en créant un Fonds fédéral d’indemnisation des victimes. L’avocat Kenneth Feinberg fut chargé de la tâche délicate de l’administrer, et de décider de la répartition des sommes disponibles aux blessés et aux familles des disparus.
Feinberg bénéficia d’une grande latitude dans la manière de procéder. Ainsi, il pouvait décider d’allouer des montants équivalents aux proches de chacune des victimes, ou encore de négocier individuellement avec chacun d’eux. Au lieu de cela, il se chargea personnellement d’évaluer l’importance de chaque perte, décision qui l’amena à procéder à des calculs et à des tractations extrêmement compliqués.
Feinberg eut à jauger soigneusement la légitimité des requérants, la représentativité de ceux qui les défendaient, le montant de leur indemnisation et la nature des pertes compensables. Il s’appuya, par exemple, sur une estimation variable des pertes à venir pour déterminer les droits des survivants. Il fixa aussi une indemnité forfaitaire par victime, en compensation du deuil et des souffrances endurées par les survivants (250 000 $ par victime, plus 100 000 $ pour chaque conjoint ou enfant survivant).

2À mesure que ces directives se précisaient, les questions morales acquirent une place considérable dans les discussions concernant le Fonds. De violentes polémiques éclatèrent. Pourquoi les parents ou les conjoints de cadres à hauts revenus devraient-ils recevoir plus d’argent que ceux d’un portier ou d’un pompier ? Les partenaires gays ou lesbiens avaient-ils droit à une indemnisation ? Les fiancés et les concubins en deuil étaient-ils éligibles ? Et les conjoints séparés ? Pourquoi fixer un plafond financier au precium doloris ? Et pourquoi une telle primauté accordée aux dommages économiques ? « Le calcul est plus facile à faire en heures de travail qu’en peines de cœur », suggéra un commentateur (Meyerson 2002).
À cette occasion, les familles de victimes d’autres catastrophes – le plastiquage de 1993 au World Trade Center, l’immeuble fédéral à Oklahoma City, l’uss Cole, les ambassades d’Afrique de l’Est – contestèrent la légitimité morale de ce fonds d’indemnisation réservé aux victimes du 11-Septembre. « Pourquoi la veuve d’un courtier en Bourse a-t-elle droit à des millions de dollars et pas la famille d’un pauvre fermier de l’Oklahoma ? » demandait ainsi Kathleen Treamor, qui avait perdu sa fille de 4 ans dans l’explosion d’Oklahoma City. « Pourquoi ma fille vaut-elle moins cher que ces gens-là ? » (Belkin 2002 : 95 ; voir aussi Fund 2002).
Le Fonds cessa son activité le 15 juin 2004. Feinberg parvint à répartir près de sept milliards de dollars d’indemnités entre 2 900 dossiers de décès et 4 400 demandes pour blessures. Comment s’y était-il pris ? Conformément à la jurisprudence, il s’appuya en grande partie sur le calcul du dommage économique occasionné par chaque décès ou chaque atteinte corporelle. Deux problèmes l’amenèrent cependant à pénétrer plus avant dans les affaires domestiques. Il s’agissait d’abord de déterminer lequel des requérants lésés était habilité à recevoir le dédommagement, puis de définir en quoi consistait exactement le dommage subi.

Conjoints et concubins

3Feinberg fut ainsi amené à opérer des arbitrages délicats. Les membres du foyer du défunt, conjoints et enfants, étaient des candidats évidents à l’indemnisation. Mais le Fonds eut à affronter d’autres réclamations, venant principalement de concubins et de partenaires homosexuels. Pour compliquer les choses, dans de nombreux cas, les parents et les compagnons des victimes contestèrent vivement les prétentions des uns ou des autres. Finalement, Feinberg résolut que la compagne ou le compagnon homosexuel(le) ne serait habilité(e) à l’indemnisation que si la famille était d’accord (Gross 2002 ; Boston 2004).
Patricia McAneney, par exemple, était une femme âgée de 50 ans qui travaillait à la compagnie d’assurances du 94e étage de la tour 1 du World Trade Center (où elle était aussi responsable de la sécurité-incendie). Elle disparut le 11 septembre. McAneney était lesbienne et vivait depuis près de vingt ans avec une amie, Margaret Cruz. L’État de New York reconnut, dans le cadre de cette tragédie, l’existence de ce genre de foyer domestique. La Commission pour les victimes de crimes de l’État de New York (New York State [nys] Crime Victims Board), la Croix-Rouge et d’autres organisations allouèrent donc 80 000 dollars à Cruz. En revanche, le Fonds fédéral désigna en général un conjoint ou un parent comme seul représentant légal de la victime. Dans l’affaire McAneney, le frère de la victime, James, réclama et obtint une indemnité pour la mort de sa sœur. Cruz contesta vivement le fait qu’il en soit le bénéficiaire exclusif. Elle soumit son propre rapport à Feinberg, décrivant en détail sa relation de couple avec la victime. Une nouvelle estimation fondée sur l’existence d’un foyer de deux personnes amena Feinberg à doubler la somme accordée à McAneney à hauteur d’un demi-million de dollars environ. Mais c’est James qui, en tant que représentant officiel de sa sœur, bénéficiait de ce montant supplémentaire. Il se refusa à en remettre la moindre part à Cruz, qui lui intenta alors un procès et réclama un minimum de 253 000 dollars pris sur la somme allouée. James rejeta sa demande en arguant que la loi de l’État de New York ne reconnaissait à Cruz aucun droit sur les biens de sa sœur : les deux femmes n’avaient pas de lien légalement reconnu puisqu’elles ne s’étaient jamais déclarées comme couple et que Patricia était morte sans laisser de testament.
Cruz répliqua toutefois que « son statut de compagne de la victime était authentifié par le fait que toutes deux vivaient ensemble depuis 1985, habitaient la même maison à Pomona (New York), en remboursaient conjointement les traites, partageaient les dépenses ménagères, disposaient d’un compte joint, adhéraient toutes deux à l’aaa et possédaient en commun un fonds mutuel pour s’être désignées l’un l’autre comme bénéficiaires de leurs polices d’assurance respectives. Mlle Cruz rappela en outre que le nys World Trade Center Relief Fund et le nys Crime Victims Board l’avaient reconnue comme conjoint survivant en lui allouant la somme dont elle aurait bénéficié si elle avait été légalement mariée à Mlle McAneney » (Wise 2004 : 2).
La juge de la Cour suprême de New York, Yvonne Lewis, accepta la réclamation de cette dernière, et repoussa la requête de James McAneney. Au vu de la relation entre la défunte et la plaignante, il lui paraissait juste que Cruz ait droit au moins à une partie des sommes allouées par le Fonds d’indemnisation (Eaton 2004 ; Leonard 2004). Elle suspendit néanmoins sa décision finale en attendant de plus amples informations de maître Feinberg sur les motifs l’ayant conduit à augmenter l’allocation de McAneney. En juillet 2004, les cours américaines en étaient donc encore à statuer sur d’âpres querelles de droit et d’argent entre parents et autres proches.
Les conjoints séparés posèrent également d’épineux problèmes. Mandy Chang, employée à la First Commercial Bank de Taiwan, mourut au 78e étage de la tour sud du World Trade Center. Sa mère, Feng-yu Wu, et James C. Burke, le mari dont elle était séparée, se disputèrent âprement les indemnités du Fonds. Comme Chang et Burke n’étaient pas divorcés, ce dernier en revendiqua le bénéfice. Mais d’après les amis de la victime, le couple n’était resté marié qu’à cause de la réticence de Chang à se lancer dans le combat judiciaire et financier. Sa mère, qui vivait avec elle à Manhattan et était fiscalement à sa charge, contesta le droit moral de son gendre à recevoir un dédommagement. Son avocat, Michael Cervini, s’efforça même d’annuler le mariage (Chen 2002). En tout cas, Burke ne parvenant pas à justifier les pertes qu’il disait avoir subies, Cervini obtint de lui, au terme de négociations serrées, qu’il accepte une allocation moindre et laisse l’essentiel de la somme à sa belle-mère (Cervini 2004).

Évaluer les tâches domestiques

4Définir la nature des pertes représentait également un problème. Le Fonds commença par ne prendre aucune disposition pour indemniser les tâches domestiques non rémunérées. Les organisations féministes déposèrent alors des plaintes et exercèrent de fortes pressions sur Feinberg. En janvier 2002, par exemple, Carolyn Maloney, membre du Congrès de New York, rédigea une protestation avec onze de ses consœurs contre la non-prise en compte par Feinberg « des travaux accomplis par une personne au service de sa famille, tels que les soins aux enfants et l’entretien du foyer » (Maloney 2002). Martha Davis, vice-présidente et directrice juridique du National Organization of Women’s Legal Defense and Education Fund se joignit à Joan Williams, directrice du programme « Genre, travail et famille » à la faculté de droit de Washington (American University), pour déposer un appel détaillé. Elles y mettaient en avant le fait « qu’ignorer les tâches non rétribuées accomplies à plein temps soulevait des problèmes de discrimination sexuelle » – « les victimes femmes, tout particulièrement les mères, étant beaucoup plus susceptibles d’y avoir consacré une part significative de leur temps » (Davis 2002 : 220).
Les féministes triomphèrent et Feinberg modifia sa politique. Dans son ordonnance finale de mars 2002, le Fonds consentit à considérer au cas par cas les demandes d’indemnisation pour « compensation de la perte de services » fournis à sa famille par le disparu (Fund 2002) quel que soit son sexe.
L’approche au cas par cas de Feinberg donna lieu à un calcul détaillé de ces contributions domestiques. Le Fonds prit pour base les dépenses effectuées après le 11-Septembre par les survivants pour des tâches domestiques que la victime aurait accomplies gratuitement, puis estima par extrapolation les frais avérés en fonction de sa longévité normale présumée. Ainsi, dans le cas d’un pompier célibataire de 40 ans au salaire annuel de 71 000 dollars, le montant brut de l’allocation initiale fut estimé à 1,5 million de dollars. Le Fonds inclut dans ses calculs le fait que le défunt aidait ses parents à la santé fragile en exécutant de nombreuses corvées et services divers. Le calcul de l’allocation destinée aux parents s’appuya sur les 3 300 dollars que ceux-ci avaient dépensés pour les réparations de leur toit après le 11-Septembre, au prétexte que le pompier s’en serait chargé lui-même s’il avait vécu. Le Fonds traita cette dépense comme « une part de travail correspondant à un surcroît de services payants » et alloua encore 40 000 dollars aux parents en compensation de la mort du pompier.
Les proches d’un autre pompier marié reçurent quant à eux une indemnisation complémentaire calculée sur les dépenses réelles effectuées en 2002 et 2003, puis reportées sur la longueur estimée de sa durée de vie normale. Les éléments retenus étaient les suivants :
‑ les peintures intérieures de la maison : 700 $
‑ la teinture du bois des fenêtres : 400 $
‑ l’entretien du gazon : 800 $
‑ l’arrachage d’arbres : 1 200 $
‑ le remplacement du toit : 15 240 $
‑ le déblaiement de la neige : 180 $
‑ les peintures extérieures de la maison : 600 $
‑ la plomberie : 125 $
Total : 19 245 $
Les travaux domestiques masculins figuraient donc explicitement au nombre des éléments retenus (Dreher 2004). Dans le cas d’une comptable de 26 ans, membre du service financier d’une société au World Trade Center, touchant un salaire annuel de 50 000 dollars, le Fonds augmenta l’allocation en prenant en compte la valeur économique du soutien apporté par cette femme à sa mère, une immigrante invalide ne parlant pas anglais. Selon l’avocat de la famille, la victime « était un intermédiaire entre sa mère et le monde extérieur. Elle assurait une sorte de rôle parental inversé » (Chen 2004 : 4).
Ces tractations judiciaires concernant le dédommagement des services rendus entre membres d’une même famille, compagnons inclus, soulèvent des questions de grande ampleur sur lesquelles je travaille depuis de nombreuses années. Comment gérer l’interférence de l’activité économique et des relations intimes ? Qu’arrive-t-il quand cette interférence donne lieu à des différends judiciaires ? On ne peut répondre à ces questions qu’après avoir apuré les principaux malentendus pesant sur l’interaction entre intimité et activité économique. Cet article expose, en le synthétisant, l’état actuel de mon approche de ces deux grands problèmes (voir aussi Zelizer 2001, 2002 et 2005).

Le contenu de l’intimité

  • 1 Pour un panorama et une synthèse de la place dévolue à la confiance dans la structure sociale, voir (...)

5Nous concevrons les relations comme intimes dans la mesure où les interactions qu’elles recouvrent dépendent d’une connaissance et d’une attention particulières apportées au moins par une personne et ne s’étendant pas à une tierce partie. Ainsi définies, les relations intimes reposent à divers degrés sur la confiance. L’aspect positif de la confiance est qu’elle suppose l’acceptation d’une influence mutuelle face au risque ; son aspect négatif est de procurer à chacun des partenaires une connaissance et une considération de l’autre qui, si elles venaient à se propager, pourraient nuire à son statut social. Sous ces deux aspects, la confiance est souvent asymétrique – un jeune enfant fait davantage confiance à ses parents que l’inverse, par exemple –, mais la véritable intimité implique un degré minimal de réciprocité dans la confiance1.
Cette définition large de l’intimité couvre un champ de relations personnelles comprenant les rapports entre parents et enfants, parrains et filleul(e)s, germains, amants ou encore ami(e)s proches. Il comprend aussi les différents degrés et genres d’intimité présents dans les rapports entre psychiatre et patient, avocat et client, prêtre et paroissien, domestique et employeur, prostituée et client, espion et sujet espionné, garde du corps et personnalité, garde d’enfants et parents, patron et secrétaire, concierge et tenancier, entraîneur et stagiaire, coiffeur et client. Toutes ces relations donnent lieu, de surcroît, à des formes spécifiques de transferts économiques.
Certains juristes ont reconnu la diversité de ces genres d’intimité, présents à la fois dans un large éventail de relations personnelles et dans certains aspects particuliers des services professionnels. Kenneth L. Karst (1980), par exemple, distingue deux sortes d’intimités. La première suppose le transfert d’une information confidentielle et potentiellement nuisible, tandis que la seconde recouvre les liens étroits et durables existant entre deux personnes. D’un point de vue juridique, la seconde suppose habituellement la première, souligne Karst, qui poursuit : « L’information personnelle livrée en exclusivité à un conseiller ou à un médecin peut contenir des données intimes ; de même, une relation sexuelle épisodique implique une certaine intimité au sens où des informations intimes sont livrées de manière sélective » (Karst 1980 : 634, note 48).
Cet article considère les deux sortes d’intimité – transfert d’information personnelle et liens durables étendus – et montre la manière dont elles s’articulent et interfèrent.
En fait, les relations intimes sont loin de se ramener à deux classes. Elles varient en nature et en degré. Entre conjoints, l’information est, en quantité et en qualité, différente de celle qui circule entre des parents et la personne qui s’occupe de leur enfant, ou entre un prêtre et son paroissien. De même, la mesure de la confiance varie en conséquence. La variation étant continue, la limite exacte entre relations intimes et relations impersonnelles reste arbitraire. Il faut bien comprendre que, à certains égards, même un gardien qui est au courant de ce qu’un foyer domestique jette chaque jour à la poubelle a accès à une information comparable à celle qui circule dans le cadre de relations manifestement plus intimes.

Sphères séparées ? Mondes hostiles ?

6Comment expliquer la multiplicité des distinctions, des pratiques, des histoires et des injonctions morales concernant l’interaction entre transactions économiques et intimité ? Pourquoi les participants, les critiques, les moralistes, les juristes et les observateurs se soucient-ils tant de trouver la façon adéquate de dédommager les diverses relations intimes ? Quelles sortes d’effets sociaux participants et observateurs contribuent-ils ou s’essaient-ils du moins à produire ?
Les tentatives de réponse à ces questions ont une longue histoire. Il existe une solide tradition qui affirme l’existence de « sphères séparées » et de « mondes hostiles ». Selon cette conception, une différence radicale existerait entre les relations intimes et les transactions économiques. On aurait d’un côté une sphère d’affectivité et de solidarité, de l’autre une sphère de calcul et de recherche de l’efficacité. Laissée libre, chacune de ces sphères fonctionne de façon à peu près automatique et satisfaisante. En outre, ces deux sphères sont hostiles l’une à l’autre : tout contact entre elles est une source de pollution morale. Pour prendre un exemple, la rétribution monétaire des soins personnels dégrade la relation de soin en prestation de service commercial. La doctrine des « mondes hostiles » repose (de manière parfois imperceptible) sur celle des « sphères séparées ».
L’intimité ne pourrait donc s’épanouir qu’entourée de barrières solides. Les « sphères séparées » deviennent des mondes dangereusement hostiles et soigneusement disjoints, dont la saine gestion requiert que l’on veille à bien préserver leurs frontières. Les acteurs sociaux eux-mêmes parlent volontiers ce langage, et soutiennent que l’introduction du calcul économique dans la sphère de leurs relations intimes ne manquerait pas de les corrompre. Les commentateurs et les théoriciens suivent souvent leur avis.
Dans sa version normative, la conception des « mondes hostiles » érige de solides frontières morales entre le marché et les domaines de l’intimité, toute interférence entre l’argent et l’intime représentant une menace de corruption. L’amour et le sexe, affirme Michael Walzer (1997 : 97), appartiennent par excellence à ces sphères « d’échange bloqué » de la vie où les transactions monétaires sont « bloquées, proscrites, offensantes et conventionnellement déplorées ». Aux yeux de notre morale et de notre sensibilité communes, explique Walzer (1997 : 103), hommes et femmes ont beau se marier pour l’argent, ce ne sont pas des mariages sincères. Le sexe est à vendre, mais sa vente ne donne lieu qu’à des relations fausses. Selon la formule plus caustique de Fred Hirsch (1976 : 101), « traité comme un droit du consommateur, l’orgasme sort du domaine des expériences sublimes ».
Ce genre de conception concernant l’incompatibilité, l’incommensurabilité ou la contradiction entre relations intimes et relations impersonnelles est ancien et récurrent. Depuis le xixe siècle, des chercheurs en sciences sociales ont affirmé à différentes reprises que le monde social s’organisait autour de principes concurrents et mutuellement exclusifs : Gemeinschaft et Gesellschaft, statut assigné et statut accompli, sentiment et rationalité, solidarité et intérêt personnel. Tout mélange est potentiellement corrupteur. L’invasion du monde des affects par la rationalité instrumentale le dessèche, tandis que l’introduction d’affects dans les transactions rationnelles engendre de l’inefficacité, du favoritisme, du copinage et autres formes de corruption. Seul un marché épuré de tout sentiment peut atteindre à l’efficience véritable.
Le capitalisme industriel du xixe siècle a engendré des réactions qui ont renforcé cette théorie. Alors que certains théoriciens antérieurs à cette époque admettaient la coexistence de la solidarité et de l’intérêt personnel, les penseurs du capitalisme industriel présumèrent tous que la rationalité industrielle devait tenir la solidarité, les sentiments et l’intimité hors d’atteinte des marchés, des entreprises et des économies nationales (Hirschman 1977 ; Tilly 1984). Qu’ils déplorent l’avancée du capitalisme, la célèbrent ou la tiennent pour un mal nécessaire, ils s’accordèrent en général sur le risque de pollution. Les sentiments engendraient le favoritisme et introduisaient de l’inefficacité dans l’univers économique, tandis que la rationalité vidait de toute solidarité l’univers des sentiments. Chaque sphère tirait avantage de sa séparation rigoureuse d’avec l’autre.
Au xixe siècle, l’idéologie de la famille fournit une justification supplémentaire à la doctrine des sphères séparées. Malgré les critiques de quelques féministes, les théoriciens des sciences sociales défendirent le principe des « sphères séparées » et des « mondes hostiles » comme essentiel à la préservation du caractère sacré de la famille. Selon un schéma sexiste, l’espace du foyer, les femmes et les enfants devaient être protégés contre les dangereux empiètements d’un marché agressivement masculin (Boydston 1990 ; Cott 1977 ; Welter 1966).
En outre, la théorie réapparut sous une forme déguisée lorsque les spécialistes des organisations constatèrent l’émergence, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de nouvelles formes de capitalisme. Alors que, jusque-là, les entreprises, les marchés, les réseaux d’amis, les familles, les gouvernements et les associations semblaient avoir accusé leurs différences, de nouvelles formes d’organisation donnaient naissance à des notions de « production flexible », de « société hybride » et de « configuration en réseaux ». Comme le note Paul DiMaggio, « nonobstant leur diversité, les entreprises sur lesquelles les chercheurs attiraient l’attention partageaient plusieurs traits remarquables : une plus grande souplesse que leurs homologues à tradition bureaucratique, une volonté accrue de faire confiance aux salariés et associés, une préférence pour le “contrat relationnel” à long terme sur l’échange marchand à court terme dans de nombreuses transactions, un engagement à de constantes améliorations technologiques et enfin un abandon apparent des caractéristiques principales du modèle wébérien (de bureaucratisation) » (DiMaggio 2001 : 19).
Rapportées au clivage théorique affectivité-rationalité, ces nouvelles formes d’organisation suscitaient la perplexité : ces manières inédites de faire des affaires n’allaient-elles pas ouvrir la porte à l’inefficacité, au favoritisme et à la corruption, puisqu’elles brouillaient la ligne de partage entre raison et sentiment ? La majorité des observateurs du changement économique s’en tenait en effet à l’idée de sphères séparées et incompatibles.
Les spécialistes des processus économiques ont donc introduit des versions un peu plus sophistiquées de cette même doctrine dans leurs analyses de la globalisation, de la marchandisation et de la rationalisation économiques. Ils ont imaginé que l’essor du marché allait éroder inexorablement les liens sociaux intimes et diminuer le nombre des niches propices à leur développement. Simultanément, le décalage entre ces niches et le monde froid de la rationalité économique allait croître. Ils rejoignirent donc souvent les penseurs critiques en pronostiquant que la globalisation allait saper au xxie siècle les activités de soin non marchandes, appauvrir la vie sociale et mettre en péril l’esprit de solidarité.
L’analyse provocatrice que Robert Kuttner (1997) livre des marchés contemporains illustre cette perspective. Dans Everything for Sale, il s’inquiète : « Avec la mode du marché, des domaines auparavant régulés par des normes et des institutions non marchandes vont à présent faire l’objet d’une marchandisation accélérée » (ibid. : 55). Cet « empiétement implacable du marché et de ses valeurs transforme, selon Kuttner, l’image superficielle de l’Homo economicus en une prophétie autoréalisatrice » (ibid. : 57).
Jean Bethke Elshtain (2000 : 47) en convient : « Alors que certains objets, et certains secteurs entiers de la vie humaine, étaient autrefois soustraits à la sphère de la consommation, plus rien aujourd’hui, déplore-t-elle, n’est sanctifié, ni sacré, ni hors d’atteinte dans cet univers où tout se vend. » Les doctrines des « mondes hostiles » sont bien vivantes au xxie siècle. Elles continuent à tenir le mélange courant de l’intimité et des transactions économiques pour une dangereuse anomalie, appelant des mesures de protection contre une pollution réciproque.
En outre, examinés attentivement, les arguments en faveur de la théorie des « mondes hostiles » ne peuvent être écartés comme de simples fantasmes. Lorsqu’ils défendent vigoureusement l’existence de « sphères séparées », les gens font quelque chose de sensé. Comme nous le verrons plus en détail, ils invoquent la doctrine des « mondes hostiles » lorsqu’ils s’efforcent d’instaurer ou de maintenir une barrière dans des relations intimes qui prêtent à confusion. Par exemple, prenons le cas d’un père qui emploie sa fille dans son entreprise, ou bien celui d’un avocat qui s’occupe du divorce d’un vieil ami. Dans ce genre de circonstance, les acteurs recourent souvent à des pratiques instaurant des « mondes hostiles ». Ils adoptent des façons de parler, des langages corporels, des types de vêtements ou d’uniformes et des dispositions spatiales destinés à bien marquer – pour prévenir tout malentendu – que la relation entre Untel et Unetelle est celle de patron à secrétaire, de mari à femme, de souteneur à prostituée, d’amant à maîtresse, de père à fille ou bien de client à serveuse, entre autres exemples.

Tout ou rien ?

7Certains critiques, agacés par le dualisme des « mondes hostiles », lui ont opposé les arguments réductionnistes du « tout ou rien ». Selon eux, le monde apparemment distinct de l’intimité ne serait que la réalisation particulière d’un principe plus général. Cela dit, les partisans du « tout ou rien » diffèrent quant aux principes : il y a ceux du « tout rationnel », ceux du « tout culturel » et ceux du « tout politique ».
Pour les partisans du réductionnisme économique, les soins donnés à autrui, l’amitié, la sexualité et les relations parents-enfants ne sont que des réalisations particulières de calculs individuels d’avantages en situation de contrainte. Bref, de la rationalité économique.
Les réductionnistes culturalistes, eux, considèrent que les relations intimes sont l’expression de croyances ou de schèmes idéologiques indépendants des implications économiques qu’ils peuvent avoir.
D’autres enfin invoquent les fondements politiques, les rapports de force et d’exploitation qui sous-tendent ces mêmes phénomènes.
De temps à autre, les acteurs sociaux adoptent eux-mêmes le « tout ou rien » : « Nous devons gérer cette relation avec rationalité », « Votre comportement offense notre religion », ou « Si vous ne faites pas ça… je vous causerai du tort », et les spécialistes reprennent en chœur.
Dans tout le champ des sciences sociales, c’est le réductionnisme économique qui a mis en cause de la façon la plus cohérente et la plus convaincante la théorie des « sphères séparées ». Richard Posner, par exemple, à la suite de Gary Becker, affirme l’équivalence de tous les transferts ; ce sont tous des échanges quid pro quo parfaitement rationnels. Posner s’est fait le champion du fameux paradigme de l’« analyse économique du droit » en étant le premier à l’appliquer à la sexualité. Dépouillé de son camouflage culturel, explique-t-il, tout transfert de nature personnelle, qu’il s’agisse de sexe, de bébés ou de sang, opère selon des principes analogues aux transferts d’actions en Bourse ou de voitures d’occasion. Posner justifie « la possibilité et la fécondité d’une approche économique de la sexualité » en ces termes :
« L’entreprise peut sembler donquichottesque, car le bon sens affirme que la passion sexuelle est du domaine de l’irrationnel ; mais le bon sens se trompe. C’est un fait que l’appétit sexuel n’obéit pas plus à la volonté que la sensation de faim. Mais le premier n’exclut pas davantage la possibilité d’une économie de la sexualité que la seconde n’exclut la possibilité d’une économie de l’agriculture » (Posner [1992] 1997 : 4-5).
De même, David Friedman, autre partisan du modèle de l’économie du droit, explique les raisons pour lesquelles les contrats de longue durée fonctionnent aussi bien dans le cas du mariage que dans celui des affaires :

Quand un couple est marié depuis un certain temps, il a investi beaucoup dans cette relation très particulière et a engagé des dépenses qui ne produiront de retour que si les partenaires restent ensemble. À grands frais, chacun des deux est devenu un expert en relations avec l’autre. Tous deux ont investi matériellement et affectivement dans leur progéniture. Même si, au départ, ils sont partis d’une situation de marché ouvert, ils se trouvent à terme liés par un monopole mutuel, avec les coûts de transaction que représente sa rupture (Friedman 2000 : 172).

8Les tenants de cette école avancent donc que le marché fournit des solutions efficientes et que ces dernières viennent à bout des problèmes juridiques posés au sein des relations intimes. Selon eux, l’intimité pose les mêmes problèmes de choix sous contrainte que les transactions commerciales ordinaires.

Culture, politique et sexualité

  • 2 Pour un autre exemple de l’approche culturaliste, voir Laqueur (1992). Pour une excellente recensio (...)

9Les théoriciens du « tout culturel », en revanche, remplacent les notions d’« efficience », de « rationalité » et d’« échange » par celles de « sens », de « discours » et de « symbolique ». Les plus radicaux considèrent que les représentations culturelles non seulement déterminent le contenu de l’intimité, mais aussi subordonnent la place des transferts économiques. C’est par exemple le cas de Noah Zatz (1997 : 306) qui caractérise la prostitution comme « un lieu de pluralisme sexuel fort, capable de remettre en cause les constructions hégémoniques de la sexualité qui semblent de prime abord les plus éloignées : le transfert du sexe anatomique à la sexualité et à l’identité, et l’entretien de la distinction public / privé par la séparation de la sphère sexuelle intime d’avec celle du travail productif et de l’échange marchand ». Alors qu’il acquiesce aux effets institutionnels, Zatz (1997 : 281) soutient, sur le point de conclure, que la prostitution n’a pas de lien nécessaire avec le génital ou la gratification sexuelle. « Les théories constructivistes de la sexualité doivent prendre en compte le fait que la sexualité peut être non génitale et que les organes génitaux peuvent n’être pas sexuels2. »
Une troisième version influente du « tout ou rien » soutient que les relations intimes sont dominées par des structures de pouvoir contraignantes, en particulier patriarcales. L’analyse que Kathleen Barry propose par exemple de la « prostitution sexuelle » fait découler la subordination sexuelle des femmes « des rapports de domination sexuelle entre genres » (Barry 1995 : 78). Dans cette perspective, le commerce du sexe ne diffère guère de la sexualité non marchande, du viol, du dating ou même du mariage. Le problème n’est pas la vénalité des rapports, mais la contrainte exercée par les hommes sur les femmes.
Ces diverses interprétations des interactions entre échange économique et relations intimes couvrent donc un large spectre d’approches, allant des inquiétudes morales des théoriciens des « mondes hostiles » au pragmatisme du « tout économique », en passant par le constructivisme du « tout culturel » et les vues critiques du « tout politique ». Dans le monde des « sphères séparées » et des « mondes hostiles », les sphères des transactions économiques et de l’intime demeurent à la fois moralement irréconciliables et, en pratique, antagonistes. Dans l’optique du « tout ou rien », une seule sphère importe.
Les différentes approches en « tout ou rien » représentent, à certains égards, un progrès par rapport à la formule des « mondes hostiles ». Elles soulignent au moins le fait que l’activité économique, le pouvoir et la culture jouent tous un rôle significatif dans les relations intimes. Les relations personnelles interviennent en effet souvent de manière cruciale dans l’activité économique : il en va ainsi des envois de fonds au sein des familles de migrants et de la production domestique. Il arrive aussi que certains modèles d’interaction entre économie et intimité ne s’expliquent bien que par la culture, comme dans le cas des prestations de mariage. Enfin, les relations intimes peuvent aussi poser des problèmes de domination, comme dans les affaires de séduction d’une employée par son patron. Toutefois, aucune des solutions avancées ne donne à elle seule d’explication plausible à la diversité des combi­naisons observables entre transactions économiques et relations intimes. Comment ces interférences se négocient-elles dans la vie quotidienne ?

Croisements

10Il nous faut donc dépasser l’ensemble de ces solutions. Je propose une troisième voie, l’analyse des « croisements ». Il est en effet possible de combler le fossé entre ces univers de relations à condition de reconnaître qu’il existe différents types de liens et qu’ils n’appartiennent pas à un unique contexte social. Quelle que soit la situation, les gens établissent des distinctions fortes entre diverses sortes de relations interpersonnelles en les nommant différemment ou en les associant à des symboles, à des pratiques et à des moyens d’échanges distincts. La nature même de ces liens va de l’intime à l’impersonnel, du durable à l’éphémère. Pratiquement tout contexte social présente un mélange de ces genres. Souvent, dans les relations personnelles, les partenaires reconnaissent indirectement l’existence de ces croisements. Ils le font de deux manières. D’abord, en relevant la spécificité de leur relation : rapport mère / fille, relation médecin / patient, par exemple. Ensuite, en adoptant des pratiques (formes de paiement, habitudes de partage de travail, participation commune aux achats, etc.) qui correspondent à l’idée qu’ils se font de leur relation.
Les gens déploient en général de grands efforts pour se mettre d’accord sur le sens de leurs relations et pour en fixer les limites, mais c’est surtout vrai de celles qui mêlent des transactions d’ordre économique et intime. Ils s’engagent alors dans deux sortes de travail relationnel. D’abord, ils créent des liens privilégiés, qui distinguent leur relation d’autres relations avec lesquelles elle pourrait se confondre au détriment de l’une ou l’autre partie. Ensuite ils entretiennent, restaurent et renégocient ces liens à mesure que surgissent de nouvelles circonstances, menaces ou difficultés. Le travail relationnel comprend donc l’instauration de liens sociaux privilégiés, leur préservation, leur reconfiguration, leur démarcation des autres relations, et parfois leur dissolution.
Ces liens privilégiés peuvent se nouer dans toutes sortes de milieux : à l’école, à l’armée, à l’église, dans le monde des affaires comme dans celui des associations bénévoles. La relation de clientèle opère ainsi au sein des entreprises de la même façon que les réseaux d’amitié à l’école produisent de l’inégalité. Puisque les formules des « mondes hostiles » ou du « tout ou rien » ont le plus souvent introduit de la confusion dans l’analyse des transactions intimes, je me concentrerai ici sur les problèmes soulevés par les relations de soin dévolus à autrui, l’amitié, la sexualité et les relations parents-enfants. Au sein des sciences humaines, ce sont surtout les sociologues et les ethnologues qui se sont chargés de décrire et d’expliquer ce type de relations. Je ferai donc appel aux analyses anthropologiques, mais plus spécialement à la sociologie.
Les sociologues ont longtemps balancé entre les approches des processus économiques inspirées des « mondes hostiles » et celles inspirées du « tout ou rien ». Certains théoriciens comme Talcott Parsons ont considéré que la société imposait un cadre normatif et social aux mécanismes du marché. Mais ils ont aussi soutenu que les sphères économique et personnelle étaient séparées l’une de l’autre et fonctionnaient sur la base de principes contraires. À propos des rapports entre famille et marché, Parsons a repris cette opposition courante : « Le marché est le prototype institutionnel de l’économie moderne mais, au sein de la famille, tout ce qui ressemble trop à des rapports marchands, en particulier s’ils sont concurrentiels, est totalement exclu, ou du moins fortement limité » (Parsons 1978 : 15).
Plus récemment, certains sociologues de l’économie ont fait de gros efforts pour tenter de dépasser cette opposition, ainsi que le réductionnisme économique. Ils ont rapporté les fonctionnements économiques et les postulats qui les sous-tendent (le marché, la rationalité, l’intérêt personnel) à des processus sociaux sous-jacents. Pour Harrison White (1988 : 232), l’activité marchande est « intensément sociale, tout aussi sociale que les réseaux de parenté ou les armées féodales ». Pour autant, la sociologie économique actuelle n’a pas tout à fait abandonné la tradition des « mondes hostiles ». Elle privilégie volontiers l’étude de l’entreprise et des affaires incarnant les « vrais marchés », et tient pour marginales d’autres formes d’activités comme les transferts de dons, la consommation ou les économies informelle et domestique.
Les spécialistes qui développent des approches alternatives se démarquent toutefois plus radicalement de ces façons classiques d’aborder l’économie de l’intime. Ils procèdent de plusieurs manières : certains élargissent la définition du travail ; d’autres mettent l’accent sur la reconnaissance de liens sociaux privilégiés ; d’autres encore s’intéressent au contenu réel des transactions entre acteurs économiques ; enfin, certains placent la culture au cœur même de ces transactions au lieu de la traiter comme une externalité. Leurs démarches ont en commun de reconnaître les croisements opérant entre les relations personnelles et les activités économiques.
Chris et Charles Tilly (1998), par exemple, donnent une définition du travail qui met directement en cause la conception clivée des « sphères séparées » et des « mondes hostiles ». « Le travail, soulignent-ils, inclut tout effort humain qui augmente la valeur d’usage des biens et des services. » « Seul, un préjugé engendré par le capitalisme occidental et ses marchés du travail industriel a conduit à définir le “travail véritable” comme consistant exclusivement dans les efforts déployés contre rétribution à l’extérieur du foyer, et a ravalé les autres types d’efforts au rang de divertissement, d’activité délinquante ou de simple occupation ménagère » (Tilly & Tilly 1998 : 22). « Les multiples mondes du travail » incluent donc, selon eux, non seulement l’emploi salarié mais aussi les tâches domestiques non rémunérées, le troc, la production de petites marchandises, ainsi que les activités bénévoles.
L’analyse par Paul DiMaggio et Hugh Louch (1998) des comportements de consommation illustre le second déplacement vers la reconnaissance de liens sociaux privilégiés. En étudiant les rapports non commerciaux qui préexistent entre acheteurs et vendeurs dans des transactions d’achat d’automobiles et de maisons, de services juridiques ou de réparations à domicile, DiMaggio et Louch mettent en lumière l’importance de ce qu’ils appellent les « échanges intraréseaux ». Bon nombre de ces transactions prennent place non pas dans des marchés ouverts, mais entre parents, amis ou connaissances. Remarquant qu’il s’agit essentiellement de transactions ponctuelles et hasardeuses, et par conséquent très incertaines quant à leur qualité et à leur exécution, DiMaggio et Louch concluent que les consommateurs ne se montrent jamais plus enclins à recourir à ces liens non commerciaux que lorsqu’ils sont incertains du résultat.
Nicole Woolsey Biggart, elle, s’intéresse au contenu réel des transactions entre acteurs économiques, et étudie le fonctionnement des liens intimes dans les organisations de vente directe. Les sociétés Amway, Tupperware ou Mary Kay Cosmetics, loin de s’en tenir aux relations professionnelles, s’appuient sur des réseaux de relations intimes pour commercialiser leurs produits. Les parents proches (conjoints, mères, filles, sœurs, frères, cousins ou neveux) servent de parrains pour entrer dans l’organisation. La vente directe est en outre conçue comme un moyen de consolider les liens conjugaux et familiaux. Selon Biggart, les femmes de condition modeste présentent souvent la vente directe comme un « à-côté » et non un véritable travail. C’est pour elles un compromis satisfaisant, permettant de se faire de l’argent tout en restant des mères au foyer. Biggart rapporte le témoignage révélateur d’une vendeuse Tupperware : « Je conduisais mon fils et quatre de ses amis à une fête d’anniversaire et je les ai entendus parler à l’arrière des mères qui travaillent. L’un des enfants a demandé : “Dis, est-ce que ta mère travaille ?” Et mon fils a dit : “Non.” C’est ce que je veux ! Je ne veux pas qu’ils pensent que je travaille. Ils n’imaginent même pas que j’ai un job parce que je ne quitte pas la maison entre 8 heures et 17 heures » (Biggart 1989 : 82). Ironie en retour, les acteurs eux-mêmes, lorsqu’ils expriment leur point de vue, peuvent donc réactiver les idées et les pratiques des « sphères séparées » et des « mondes hostiles ».
Passons maintenant à l’analyse culturelle. Mes propres travaux sur les transferts monétaires ont placé la culture au cœur des liens sociaux. Par exemple, j’ai montré que les distinctions capitales qu’ils établissent entre les dons, les dédommagements et les acquis de droit indiquent bien que les gens différencient les formes de paiement conformément aux définitions qu’ils ont du genre de rapports existant entre les parties. Ils ont recours à des symboles, des rituels, des pratiques et des monnaies d’échange matériellement distinctes pour bien marquer qu’il s’agit de relations et de transferts monétaires de genres différents (Zelizer 1994).
Les sociologues de l’économie ont donc longtemps hésité entre les formulations inspirées par la théorie des « mondes hostiles » et celle du « tout ou rien ». S’ils ne sont jamais parvenus à trancher de façon satisfaisante entre ces conceptions, c’est que la réalité sociale en question exige non que l’on choisisse entre elles, mais qu’on les dépasse. La reconnaissance de liens différenciés impliquant des formes distinctes de transaction économique permet de sortir de cette impasse.

Acheter l’intimité

  • 3 À propos d’autres types de marchés, voir par exemple Abolafia (2001) ; Weber, Gojard & Gramain (200 (...)

11Comment les relations intimes et les activités économiques interagissent-elles ? Toute relation sociale dépend, pour devenir durable, de la création de soutiens institutionnels culturellement significatifs. La relation conjugale, par exemple, tient pour acquise, entre autres, l’existence d’un impôt sur le revenu discriminant entre gens mariés et célibataires ; celle d’avantages financiers particuliers offerts aux conjoints, et celle d’abonnements de couple aux clubs de santé. Toutes les relations sociales intimes reposent sur de telles dispositions institutionnelles et leur doivent en réalité leur survie.
C’est également vrai de plusieurs sortes de rapports commerciaux, qui dépendent de supports institutionnels significatifs d’une autre nature. Prenons, par exemple, les ventes aux enchères, que les économistes présentent souvent comme le modèle même du mécanisme impersonnel d’ajustement parfait des préférences des acheteurs et des vendeurs. Les observations de Charles Smith (1989) sur des ventes contemporaines ont montré que tout un ensemble de relations et de conventions institutionnelles entraient en jeu, et en réalité déterminaient les prix3.
Les relations sociales varient donc sur l’échelle allant de l’intimité à l’impersonnel, et la qualité des transactions en leur sein diffère de manière significative. Mais les relations sociales varient également en termes de durée, d’ouverture, d’activité dominante et de risque. Nous nous occupons ici du continuum allant de l’intime à l’impersonnel, et n’examinons qu’accessoirement les autres dimensions. C’est sur tous ces plans, cependant, que les gens prennent soin d’établir des lignes de partage entre des relations significativement différentes, par étiquetage et mise en œuvre de pratiques symboliquement efficaces. Ces lignes de partage sont établies par négociations interpersonnelles et varient en intensité au fur à mesure des interactions internes ou transfrontalières. Ainsi, les gens instaurent, négocient et réaménagent les frontières entre amis, parents et voisins.
Quatre éléments entrent donc en jeu : les relations, les transactions, les moyens d’échange et les lignes de partage. Les relations sont constituées d’ensembles durables et nommés d’accords, de pratiques, de droits et d’obligations liant entre elles deux ou plusieurs personnes. Les transactions consistent en interactions limitées à court terme entre des personnes ; les moyens d’échange en systèmes comptables recourant à des formes de monnaies symboliques. Les lignes de partage correspondent, dans ce contexte, à des périmètres reconnus qui délimitent des combinaisons singulières de relations, de transactions et de moyens. Le travail relationnel consiste à réaliser des ajustements viables entre les relations, les transactions, les moyens et les lignes de partage.
Dans le secteur de l’activité économique (celui des transactions impliquant la production, la distribution et la consommation de biens et de services onéreux), les acteurs marquent les lignes de partage en identifiant des ensembles adéquats de relations, de transactions et de moyens d’échange. Il en va de même pour les transferts de droits sur des biens et des services, comme dans le cas de l’héritage. Les gens distinguent différentes sortes de relations sociales, établissent les types de transactions qui s’accordent convenablement à elles, choisissent les moyens appropriés à ces transactions et spécifient les combinaisons au moyen de noms, de symboles et de pratiques. Une vieille tradition américaine veut ainsi qu’un dirigeant récompense un salarié qui part à la retraite en lui offrant une montre en or. Les moyens d’échange sont souvent des devises reconnues, mais comprennent aussi diverses formes de troc et de systèmes de crédit, ainsi que des monnaies symboliques n’ayant qu’un lointain rapport avec le cours légal.
On attribue volontiers aux moyens d’échange et aux transactions le pouvoir de transformer les relations. Ainsi, on dira que le développement de la rémunération des soins aux enfants réduit forcément la qualité de ces soins, en comparaison de ceux qui étaient auparavant donnés par les parents. Un tel point de vue nous ramène en arrière. Car le choix des moyens et des transactions détermine celui des relations. Prenons le cas d’un célibataire qui achète un diamant et le passe à l’annulaire gauche d’une femme également célibataire : le symbole est évident. Dans le contexte américain contemporain, le couple est fiancé. Ce n’est pas le diamant qui fait que la relation du couple a changé mais le couple qui, au moyen d’un diamant, informe de l’évolution de sa relation.
Il arrive néanmoins que des changements internes dans les moyens et les transactions modifient les termes des relations qu’entretiennent les gens. Lorsqu’un gouvernement impose un cours légal à la monnaie par exemple, les dons d’argent et de titres garantis par l’État entre intimes deviennent plus fréquents. De même, certains genres de transactions, lorsqu’ils se développent, transforment les relations en bousculant les catégories préalables. Ainsi, par exemple, l’essor de l’adoption par l’intermédiaire de services commerciaux, le développement de la rémunération des soins aux enfants et le placement des enfants adoptés par le biais d’agences publiques affectent la définition dominante de la parentalité. Dans ces circonstances, les gens se mettent en fait à renégocier les marqueurs, les lignes de partage et les relations. Ils élaborent de nouvelles distinctions entre « vrais » enfants, enfants de clients, enfants adoptés, enfants placés, enfants issus de rapports antérieurs, et ainsi de suite.

L’argent et l’intimité

12La monnaie légale a certainement des propriétés spécifiques. Mais elle est loin d’être un solvant dévastateur, standardisant et universel. À l’heure actuelle, l’idée que l’argent fonctionnerait comme un média universalisant et normalisateur est très attaquée. Les chercheurs en sciences sociales, les commentateurs critiques et les acteurs économiques admettent que, d’un point de vue pratique sinon théorique, les bons d’alimentation, les jetons de métro, les monnaies locales et les traites équivalent tous d’une certaine manière à des formes de monnaies, mais circulent dans des circuits limités, plutôt que de se fondre en un équivalent universel.
En matière monétaire, les conceptions des « sphères séparées » et des « mondes hostiles » occupent, dans les analyses économiques, une place plus importante encore que n’importe où ailleurs. Une idée voisine a la vie dure : l’argent et l’intimité seraient des principes opposés et leur interférence générerait conflits, confusion et corruption. C’est pourquoi la rétribution des dons d’ovules, la vente de sang ou d’organes humains, la rémunération des soins aux enfants et aux personnes âgées, et le salaire de la ménagère soulèvent d’aussi vifs débats publics.
Ces discussions surprennent, tant leur incapacité est grande de reconnaître que les transactions sociales entre intimes se mêlent ordinairement avec des transactions monétaires. Ainsi, les parents rémunèrent des nourrices ou des puéricultrices pour s’occuper de leurs enfants, ils paient pour obtenir un bébé en adoption, les conjoints divorcés versent ou reçoivent des pensions alimentaires pour l’éducation des enfants, les parents donnent de l’argent de poche aux enfants, financent leurs études, garantissent leurs premiers emprunts et leur lèguent des fortunes par testament. De même, amis et parents envoient souvent de l’argent en cadeau de mariage, et les amis se prêtent volontiers de l’argent.
À l’échelle de la collectivité, ces transactions entre proches ne sont pas anodines. Elles ont de lourdes conséquences macro-économiques. Elles génèrent, par exemple, de grands flux de devises allant des pays riches vers les pays pauvres. Elles transfèrent des richesses importantes d’une génération à l’autre. De plus, ces transactions intimes (c’est clair dans le cas de l’héritage) créent ou entretiennent de sérieuses inégalités de classe, de race, de statut ethnique et même de sexe.
Pour les acteurs, le problème consiste à adopter la forme appropriée de paiement à la transaction sociale en question. Cette adéquation tient pour une grande part à la définition de relations plus globales entre les parties. La signification et les conséquences de transferts monétaires aussi semblables que les subventions, les envois de fonds, les honoraires, les pots-de-vin, les pourboires, les remboursements, les aumônes et les cadeaux occasionnels ne procèdent en fait que de l’identification des liens sociaux établis. Tous ces paiements, ainsi que d’autres, interviennent fréquemment dans les transactions intimes, tirent leur sens des liens sociaux plus durables au sein desquels elles interviennent, et ont des conséquences variables en fonction de ces liens, le cas limite et exceptionnel étant celui du lien ponctuel.
Mes arguments concernant l’argent ne constituent ainsi rien d’autre qu’un cas particulier de la thèse générale de cet article. Je soutiens d’abord la thèse que la discrimination des relations sociales signifiantes, dont les plus intimes, est une tâche à laquelle les gens se livrent tous les jours. Ils se livrent à un travail relationnel. Entre autres marqueurs, ils recourent à différents systèmes – ou moyens – de paiement pour créer, définir, affirmer, remettre en question ou bouleverser ces distinctions. Il est vrai que, lorsqu’un paiement est en discussion, le litige porte souvent sur le montant des sommes dues. Mais il est frappant de constater à quel point la discussion porte aussi sur la forme de ce paiement et sur sa conformité à la relation existante. On discutera, par exemple, de ce qui fait d’un paiement une indemnisation, un droit ou un don. « Quand vous m’avez remis ce billet de 100 dollars, étiez-vous en train de rétribuer mes services, de me verser ma pension hebdomadaire ou de faire montre de générosité ? »
En second lieu, je soutiens que ces distinctions s’appliquent aussi aux relations sociales entre intimes. Les gens s’emploient couramment à différencier les types de transferts monétaires qui conviennent à leur relation telle qu’ils la définissent. Ils usent de symboles, de rituels, de pratiques et de formes de monnaies concrètement reconnaissables pour bien spécifier la nature de la relation. Dans la sphère intime, la confiance et la prise de risque rendent ce travail relationnel encore plus délicat et lourd de conséquences.
Bien que la doctrine des « mondes hostiles » pousse à croire que les transactions monétaires dénaturent les relations entre intimes, et peuvent même les transformer en rapports d’exploitation mutuelle, des études précises ont abouti à la conclusion contraire : dans l’ensemble du champ de l’intime, les gens s’arrangent pour intégrer les transferts monétaires dans des réseaux plus durables d’obligations mutuelles sans détruire les liens sociaux existants. Au sein des familles tout comme à l’extérieur, l’argent cohabite régulièrement avec l’intimité. Au point même de l’entretenir.

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Notes

1 Pour un panorama et une synthèse de la place dévolue à la confiance dans la structure sociale, voir Barber (1983) ; pour un point de vue opposé, voir Weitman (1998).

2 Pour un autre exemple de l’approche culturaliste, voir Laqueur (1992). Pour une excellente recension des études consacrées à la prostitution et comprenant des analyses culturalistes, voir Gilfoyle (1999). Une influente contribution culturaliste figure dans Butler (1990, 1993).

3 À propos d’autres types de marchés, voir par exemple Abolafia (2001) ; Weber, Gojard & Gramain (2003) ; Hochschild (2003b) ; Ingram & Roberts (2000) ; Keister (2002) ; Knorr, Cetina & Bruegger (2002) ; Uzzi & Lancaster (2004) ; Velthuis (2003) ; White (2001).

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Pour citer cet article

Référence papier

Viviana Zelizer, « Intimité et économie »Terrain, 45 | 2005, 13-28.

Référence électronique

Viviana Zelizer, « Intimité et économie »Terrain [En ligne], 45 | 2005, mis en ligne le 15 septembre 2009, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/3512 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terrain.3512

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Auteur

Viviana Zelizer

Princeton University, Étas-Unis

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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