1Un siècle après la constitution des premières collections ethnographiques sur le domaine français, dix ans après la naissance de la mission du Patrimoine ethnologique du ministère de la Culture, les documents collectés et conservés dans les institutions les plus diverses se comptent par centaines de milliers. Leur accès reste pourtant difficile et pour le moins aléatoire. Les moyens affectés à l'organisation et à la gestion de ce patrimoine sont sans doute insuffisants ; plus gravement, peut-être, par ses orientations et ses méthodes actuelles, la recherche ethnologique se détourne de ces documents. Un immense gisement de sources pour l'ethnologie est ainsi relégué dans ces « greniers » que sont en passe de devenir les collections ethnographiques, ou livré à la seule gestion et exploitation à des fins culturelles.
2En divers lieux, aujourd'hui, se font jour des expériences de gestion informatisée de telles masses documentaires. La présentation de ces expériences, dans leurs principes et leurs méthodes, revêt donc désormais une importance capitale. Il y va en effet de la pérennité de la fonction de témoignage de ces documents, mais aussi de la possibilité de leur exploitation à des fins de recherche et de mise en valeur culturelle dans les années qui viennent. Si la période n'est plus à la centralisation des données et à la stricte compatibilité des systèmes de gestion, du moins doit-on s'orienter vers une transparence et une « communicabilité » réelle des données à l'échelle française, avant de préparer les confrontations devenues indispensables à l'échelle européenne.
3Faut-il aujourd'hui tenir pour acquise, ou imminente, la séparation de fait entre recherche en ethnologie de la France et travail sur le patrimoine ethnologique ? Sans doute cette tendance est-elle déjà ancienne, remarquable dans les sujets de prédilection de la recherche (organisation sociale, parenté, littérature orale, anthropologie urbaine, du symbolique, etc.), et le désintérêt pour les thèmes relevant de la culture matérielle, de la technologie, tous producteurs de ces collectes d'objets et de documents matériels qui constituent le « noyau dur » du patrimoine ethnographique. Mais cette distinction est aussi notable à travers les méthodes en vigueur dans la recherche actuelle, avec l'abandon des grandes enquêtes extensives, des principes mêmes du comparatisme qui ont fait les beaux jours de l'ethnologie naissante.
4Ce qu'il faut bien caractériser comme un divorce entre des modalités différentes de la recherche mériterait sans doute une analyse approfondie. Du moins doit-on noter que ce divorce se manifeste au moment où le travail de collecte et de conservation est devenu en lui-même « fait social », qu'il est l'objet de multiples applications culturelles échappant en grande partie au contrôle de la discipline. L'engouement généralisé pour le patrimoine ethnographique entre de fait en concurrence avec une recherche qui se voit dans l'obligation de se démarquer, de se distinguer clairement de l'activité d'amateurs et autres pré-retraités qui ont investi le terrain ethnographique. Distinction d'autant plus nécessaire que la légitimité scientifique de l'ethnologie, dans l'ensemble des sciences sociales, n'est à l'évidence pas encore bien établie.
5Le divorce n'avait toutefois jamais été prononcé dans les formes : il est vrai qu'une part importante des moyens de la recherche proviennent du ministère de la Culture, pour lequel l'activité de recherche est étroitement liée à la dimension patrimoniale et à la mission de conservation. Sensible sous maints aspects, la séparation semble aujourd'hui reconnue et formalisée de façon plus claire et plus précise.
6Dans un article paru dans cette même revue, Daniel Fabre (1986) pose les principes d'une nette distinction entre l'ethnologie, discipline scientifique, et ces « entreprises de collectage », auxquelles peut être ramené le travail sur le patrimoine ethnographique. Que l'ethnologie soit autre chose que la seule collecte-conservation-mise en valeur du patrimoine, cela va sans dire. Mais que le rassemblement de « témoignages d'un passé révolu et d'une culture laminée (obéisse) à une logique qui lui est propre et qui (...) n'entretient pas de relation nécessaire avec l'ethnologie comme science sociale », pose au moins problème. Et revient à considérer sous un angle nouveau la question du statut scientifique de ces objets, œuvres et documents de toute nature rassemblés — et protégés — sous le label de patrimoine ethnologique.
7Si en effet, selon Daniel Fabre, l'ethnologie est caractérisée avant tout par la singularité de l'expérience du chercheur sur son terrain et le travail d'interprétation auquel il se livre, les documents collectés n'ont guère de valeur. La notion même de patrimoine ethnologique, qu'il s'agisse de biens matériels ou immatériels, se trouve invalidée. Ce ne sont pas des sources pour l'ethnologie que l'on collecte ; et les seules sources de la recherche tiennent dans la production du chercheur, au-delà de son expérience et de son interprétation, dans « cette aventure singulière qu'est la relation du chercheur et du groupe qu'il s'est choisi ». A travers la collecte de documents, « ce ne sont pas des faits sociaux qui sont ainsi rassemblés mais des objets précieux que collecteurs et spectateurs reconnaissent immédiatement, avec émotion et plaisir ».
8Le conservateur-ethnologue — si tant est que cette qualification soit encore de mise — y perd son latin. Son activité tout entière est en effet fondée sur le postulat que l'objet, le document entré dans les collections, n'a de valeur que s'il se réfère à un fait social, s'il porte véritablement un témoignage sur un fait de culture. A l'inverse du conservateur du musée d'art, il ne conserve aucune œuvre, aucun document sans référence, ou ne se référant qu'à lui-même. Une toile de Matisse, dans la conception actuelle de l'histoire de l'art et de la muséologie de l'art, se suffit à elle-même, ne porte aucun autre sens que celui que l'artiste a voulu consigner dans ces quelques centimètres carrés de toile ; et n'a d'autre valeur que celle que le goût contemporain, ou le marché de l'art, lui accordent au moment où elle est exposée. Dans le musée d'ethnologie, il n'y a pas de trésor comparable, ou le trésor ne prend sa valeur que par les divers témoignages, les divers sens que le muséographe tente de conserver et de restituer.
9Si l'on veut bien convenir que sources pour la recherche il y a, ou peut y avoir, dans ces ensembles constitués de collections ethnographiques, alors la nécessité se fait jour de les organiser pour qu'elles remplissent leur fonction, portent la part d'information qui a été consignée par l'enquêteur-collecteur. Que les questions posées par l'ethnologie évoluent de façon permanente ne modifie en rien leur fonction de source : aucune discipline scientifique ne peut faire abstraction d'une critique préalable de ses sources, incluant, dans le cas de l'ethnologie, les méthodes de l'enquête et jusqu'au contexte idéologique qui a présidé aux opérations de collecte.
10Il est sans doute inutile d'insister sur les difficultés rencontrées pour la seule gestion du patrimoine ethnographique. Les collectes et les collections se multiplient, le travail de recherche qui doit impérativement accompagner ces opérations est plus ou moins complet, plus ou moins effectué dans le respect des méthodes de la discipline. Enfin, les musées n'ont pas su, à l'instar de la plupart des autres institutions liées à la recherche, se doter des moyens nécessaires à la gestion de fonds aussi riches. Le cahier d'inventaire des musées de France reste encore le seul outil disponible pour traiter des dizaines de milliers de données par établissement. Les efforts déployés par les plus zélés d'entre tous les conservateurs pour classer, au moyen de simples fiches cartonnées, les documents par thème ou par origine géographique, paraissent aujourd'hui bien dérisoires.
11Ainsi donc, par un simple travail de compilation informatique des documents, pouvait-on espérer ouvrir déjà de nouvelles perspectives, au demeurant fort modestes, en matière de gestion du patrimoine. Mais au prix de quelques précautions méthodologiques, il était imaginable de créer un instrument utile à la recherche, permettant de traiter des documents divers par leur situation et leur nature, ouvrant des possibilités de rapprochements et de comparaisons nouvelles pour la discipline. Toutes proportions gardées, l'exploitation de ce gisement de sources pour l'ethnologie pourrait renforcer la dimension comparatiste d'une recherche trop souvent atomisée, et dont les résultats sont si personnalisés, autour de l'œuvre de chercheurs, qu'ils paraissent quelquefois menacés d'une dérive littéraire.
12Le principe de la constitution d'une banque de données « de gestion et de recherche documentaire appliquée aux collections et sources ethnographiques de la région Rhône-Alpes » est né en 1985. Il se fondait, dès l'abord et selon son premier intitulé, sur deux notions essentielles : la gestion et la recherche documentaire ; la complémentarité des collections et des sources ethnographiques.
13Considérer que le système informatique à produire n'était pas un outil de recherche en lui-même, mais un simple outil d'assistance à la recherche, par la seule gestion raisonnée des documents, impliquait déjà un choix important. A l'inverse de plusieurs expériences de banque de données, la gestion informatisée des documents n'était pas appelée à produire de nouvelles classifications, à mettre en évidence des typologies ou des systèmes classificatoires que la recherche empirique n'aurait pu percevoir. Autrement dit, le chercheur ne devait attendre de cet instrument que sa capacité à manier des sources ethnographiques, sa facilité pour la gestion et la recherche des documents ; mais, en aucun cas, il n'était pas appelé à remplacer le retour au document original qui s'impose pour la recherche. Enfin, en opposition avec la muséologie classique, les collections n'étaient pas distinguées au sein de toutes les sources ethnographiques. L'objet inscrit à l'inventaire du musée était considéré à valeur égale avec la photographie ou l'estampe, mais aussi avec la publication, le manuscrit ou la bande magnétique, tous documents habituellement secondaires dans les musées et relégués dans ces arrière-boutiques que sont les documentations.
14Nourri de ces deux premiers principes, ce projet devait aussi répondre à des ambitions sans doute plus pragmatiques, mais à tous égards déterminantes pour engager sa réalisation. Ainsi s'agissait-il tout autant de coordonner des établissements jusqu'alors distincts, quelquefois au point d'être concurrents. Cinq musées1 devaient constituer les principaux partenaires et les maîtres d'ouvrage de l'opération ; au total, dix-neuf établissements2 auront participé à l'opération et livré des données à la banque commune. Aucune unité culturelle ne peut être appelée pour justifier ce regroupement. Sans doute les documents relevant des Alpes du Nord (Dauphiné et Savoie), sont-ils les plus nombreux ; mais l'introduction de collections en provenance de la Bresse ou du Bugey, ou des régions proches de Lyon, interdisent toute référence à une unité régionale, hormis celle, administrative, qui a facilité le déroulement des travaux. Ce regroupement, cet élargissement de l'échelle géographique pour la gestion des collections, est en soi un moment important, en Rhône-Alpes, pour le patrimoine ethnographique ; comme l'est le travail engagé sur un domaine régional plus large et sans doute plus homogène, à travers la collaboration internationale sur les Alpes occidentales3.
15On ne peut faire état de cette expérience sans se référer au travail imposant réalisé par le musée national des Arts et Traditions populaires sous la direction de Ph. Richard. Le système créé par cette institution repose sur des principes bien différents de celui qui a été élaboré en Rhône-Alpes. Il est en effet fondé sur l'analyse typologique des seules collections, dans le cadre d'une division par ensembles cohérents ; objets domestiques, costume, etc. Dépassant largement la seule gestion et recherche documentaire, il s'agit véritablement d'un outil de recherche, qui a requis l'élaboration de lexiques descriptifs complexes pour la désignation des formes, des matières, des fonctions4. Cette expérience est et sera encore longtemps mise à profit. Mais le résultat obtenu n'a pas convaincu les praticiens gestionnaires du patrimoine ethnographique, et au premier rang les conservateurs des musées dits « de province ». Œuvre de spécialistes, il reste réservé à des spécialistes, tant les compétences qu'il réclame pour l'analyse des documents ou la simple interrogation paraissent incompatibles avec la gestion quotidienne des collections ; tant aussi les perspectives de recherche qu'il ouvre dépassent la demande habituellement adressée aux institutions.
16Autour de cette œuvre pionnière, diverses tentatives ont vu le jour, auxquelles il faut encore rendre hommage. Ainsi l'expérience conduite, au début des années 80, par les musées de la Nièvre, autour de S. Rénimel, a-t-elle mis en évidence les possibilités de la micro-informatique appliquée à la gestion des collections de musées. Mais la réflexion conduite en Italie, autour de vastes projets considérant le patrimoine in situ, ou autour des musées d'ethnologie (Grimaldi 1988), a été tout autant profitable ; de même les choix qui ont été faits pour la gestion des données de l'Inventaire général5, en France, ont permis une avancée dans cette réflexion d'ensemble.
17Capitalisant ces diverses expériences, les musées d'ethnologie de Rhône-Alpes ont pu élaborer un premier cahier des charges pour leur système informatisé, reposant sur quelques principes simples :
18Découlant de la notion de sources pour l'ethnologie, le premier principe repose sur une conception globale de la documentation. Objets en trois dimensions, tous supports de l'iconographie, de l'écrit, de l'oral, devaient pouvoir être analysés et gérés sur les mêmes grilles descriptives et accessibles dans un même ensemble documentaire. Ce qui imposait le principe d'une fiche commune à tous les supports et la création d'une seule et unique banque de données. A toute question posée au système, la réponse devait pouvoir considérer les données sans distinction aucune. Bien loin des seules collections de musée, cet ensemble documentaire doit encore s'élargir, à terme, au patrimoine conservé hors des musées, que ce soit chez des collectionneurs ou amateurs ou que ce soit, pour le patrimoine immobilier notamment, in situ.
19S'agissant d'un outil de gestion et de recherche documentaire, il ne pouvait être question d'élaborer des outils de description spécialisés pour chaque domaine de l'ethnologie régionale. Une fois reconnu le principe d'un retour nécessaire, pour la recherche, au document original, la simplicité du système s'imposait autant pour l'analyse des documents que pour l'interrogation des données. On sait le développement qu'ont connu, au cours des dernières années, les machines et systèmes dits « conviviaux » ou « conversationnels », à très grande facilité d'accès. A ces techniques, il fallait encore ajouter une simplicité de conception qui contredisait partiellement l'ambition première de gestion de sources. Le travail sur la fiche d'analyse, mais surtout l'élaboration d'un lexique descriptif limité et évolutif (cf. infra) devaient répondre à cette double exigence.
20Enfin, l'irruption des banques d'images, avec la technique du vidéodisque interactif6, ouvrait une voie nouvelle et autorisait un développement considérable vers la communication, par l'image, du patrimoine ethnographique. Le formidable intérêt, pour la recherche, de ces compilations d'images, a déjà été démontré, à propos de l'expérience novatrice de la bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris (Baryla 1983). Aucune analyse écrite d'un document visuel ne peut entièrement satisfaire la demande du chercheur ; seule la visualisation, et surtout la confrontation visuelle de quantité de documents, peut autoriser des découvertes, de nouvelles interprétations, des rapprochements jusqu'alors jamais tentés. Mais à l'égard du public, ce partenaire premier du musée et du patrimoine ethnographique, cette nouvelle dimension autorisait toutes les perspectives. On sait en effet le peu d'intérêt que présentent la plupart des publics pour les données brutes, quelle que soit la forme retenue pour leur présentation. A l'inverse, l'image, fixe ou animée, retient le regard et favorise l'attention. Du simple « feuilletage » des images, classées par grands thèmes, à la recherche de documents par origine géographique ou par lieu de conservation, diverses procédures d'accès ont été conçues à destination d'un public non spécialiste.
21L'intention première des promoteurs de ce projet était de réaliser une banque de données qui, respectant les principes précédemment énoncés, resterait un instrument classique, réservé aux « clients » habituels - érudits, chercheurs, conservateurs, étudiants - des documentations de musées. Il faut donc reconnaître le cheminement effectué vers les techniques de stockage et de consultation de l'image, et rendre hommage à cet égard au travail de conviction effectué par le Programme pluriannuel de recherches en sciences humaines Rhône-Alpes (PPSH). Cet organisme régional de financement de la recherche, qui a soutenu ce projet et l'a « porté » durant les deux premières années, a fort heureusement mesuré les difficultés de la création d'une nouvelle banque de données, dont l'usage serait sans doute resté confidentiel : l'expérience de la bibliothèque Sainte-Geneviève et le projet similaire des bibliothèques de Rhône-Alpes (Vidéralp-Bibliothèque) ont facilité ce développement vers le vidéodisque.
22Le principe de complémentarité des fonds imposait, même pour l'image, l'utilisation de supports différents. Ainsi aux photographies d'objets issus des collections, devaient s'ajouter des documents iconographiques fixes (peintures, cartes postales, estampes, affiches, etc.) ou animés (films cinéma ou vidéo réalisés par les établissements partenaires7). Sans doute ce vidéodisque, parce qu'il constitue la première expérience sur le patrimoine ethnographique, contient-il trop de documents prestigieux (par leur caractère esthétique, leur force de témoignage) et sa représentativité réelle du patrimoine régional en souffre-t-elle quelque peu.
23Un premier scénario du vidéodisque a été élaboré, précisant l'organisation de la banque d'images. Chaque établissement se voyait doté d'un nombre d'images à réaliser, en fonction de l'importance des collections. Un tableau donnant des indications générales sur les choix thématiques a guidé la sélection des documents dans chaque établissement, de façon à constituer un large éventail de domaines sur le patrimoine ethnographique régional, et à favoriser la confrontation des données.
24Le produit final, le vidéodisque, utilise cette division thématique. Afin de faciliter la consultation de la banque d'images, sans le recours à la banque de données associée, le classement des images respecte une division par grands thèmes, permettant la lecture au moyen d'un système de références sommaire appelé à être imprimé et livré en complément du disque.
25Cette opération constitue sans doute la plus difficile de toutes celles qui ont dû être menées à bien au cours de cette expérience. Une campagne de photographies (au format ektachrome 24 x 36) a été conduite sur près de 30 000 documents8, dont une large part sur des objets, documents en trois dimensions à manipuler des rayonnages des réserves au studio installé dans chaque établissement. Deux sociétés privées9 ont effectué cette tâche, assistées par quatre ou cinq agents dans chaque musée, et au prix de réels efforts d'organisation et de manutention. La campagne a duré un an. Des contraintes très strictes avaient été données aux photographes, quant aux conditions techniques de la prise de vue, à la forme et au rendu des images, afin de préserver une unité d'ensemble de présentation. Parmi les tâches les plus lourdes encore, opérées cette fois par les agents chargés de la coordination des travaux10, figure le classement préalable des images, réalisé manuellement, selon l'ordonnance générale retenue.
26Des opérations complexes de fabrication du disque, toutes réalisées par des sociétés spécialisées11, il faut surtout retenir la difficulté de gestion de grandes quantités de photographies. Des systèmes de références complexes, tous provisoires, ont été élaborés, avec les risques inhérents à ce type de manipulations, qui plus est réalisées à distance, de Grenoble à Paris. Il faut aussi mentionner la parfaite collaboration qui a présidé aux relations avec la société retenue : elle a permis plus qu'un soutien technique, un véritable échange sur de nombreux points de méthode, et surtout la correction de nombreuses erreurs ou défaillances des opérations préalables.
27Cet outil, il faut le rappeler, dépasse largement la seule application liée à la banque d'images. Ainsi, des données doivent être saisies sans pour autant faire référence à une image sur le vidéodisque : ce sera le cas pour les documents sonores, pour les publications, pour les manuscrits, etc., tous documents qui ne sont pas reproductibles à l'image. Mais plus largement, ce premier disque contient 54 000 images, quand les collections et documents des établissements concernés se comptent par centaines de milliers. Il faut donc imaginer - le travail est largement amorcé dans certains musées - un caractère exhaustif pour la banque de données, alors que la banque d'images, même si l'on peut espérer la réalisation d'autres disques, ne sera jamais que partielle et représentative de la diversité des fonds.
28Sa constitution a fait l'objet d'un long rassemblement de documents similaires, de fines comparaisons des avantages et des inconvénients des uns et des autres ; elle reprend aussi, sans doute, des traditions de gestion propres aux établissements concernés. Elle se décompose en deux parties : une fiche principale (24 rubriques), accessible au public ; une fiche secondaire (15 rubriques), en accès réservé. La première est attachée aux fonctions de localisation, de description et d'analyse ; la seconde concerne la « vie » du document et sa gestion par le personnel des musées. Pour chaque champ, a été défini un contenu précis et des règles d'écriture afin de tendre vers une normalisation minimale de l'analyse et surtout une lecture homogène à la consultation. L'ensemble de ces règles est formalisé dans un guide général d'indexation.
29Les rubriques concernant l'analyse proprement dite des documents connaissent des règles descriptives identiques et se réfèrent à un vocabulaire normalisé, utilisé quel que soit le support du document traité. Il s'agit là des critères documentaires, des clefs d'accès communes à l'ensemble de la documentation ethnographique. Par contre, les rubriques permettant de décrire et d'analyser les supports physiques (la zone d'analyse technique) présentent des règles de contenu spécifiques.
30Le double usage d'un tel outil doit être constamment rappelé : il intéresse certes le travail d'analyse et d'indexation, mais tout autant la manipulation du système, la lecture documentaire par le public. Dans un premier temps, un repérage des termes les plus utilisés a été réalisé à partir des inventaires ou des compilations de systèmes existants. Le recours fréquent au Lexique raisonné de la photothèque du musée national des Arts et Traditions populaires, et au Thésaurus iconographique de F. Garnier, a largement facilité l'élaboration du lexique de Vidéralp. Ce travail a été opéré dans un souci permanent de simplification, portant autant sur la hiérarchie interne des désignatifs, que sur les formulations et les termes retenus.
31Le caractère évolutif du lexique, posé comme principe préalable, n'a pas évité la création d'un outil descriptif à vocation encyclopédique, recouvrant les principaux aspects de l'activité humaine. Les répartitions thématiques, à l'intérieur des grands champs génériques, ne connaissant pas toutefois le même développement. Les clés d'accès sont donc ouvertes, et susceptibles d'être complétées en fonction de l'introduction de données spécifiques. Ainsi les champs relatifs à l'ethnologie urbaine, ou au patrimoine industriel, sont-ils à ce jour incomplets. Reste une précaution toute subjective, qui concerne la « profondeur » de l'analyse, le recours à des distinctions de plus en plus fines, dans la hiérarchie des termes retenus. Le lexique actuel compte près de 2 500 descripteurs, répartis dans trente-trois rubriques génériques. Il est souhaitable qu'à terme, après mise à jour, les descripteurs ne dépassent pas le total de 3 000, composant ainsi des dictionnaires facilement consultables à l'écran et maîtrisables pour l'indexation. Plusieurs améliorations restent encore à apporter, notamment pour la gestion des hiérarchies entre les termes. Une liste de près d'un millier de synonymes est venue récemment faciliter l'interrogation, avec le renvoi sur les termes retenus dans le lexique.
32L'une des applications les plus élémentaires de la gestion automatisée du patrimoine ethnographique concerne la possibilité de localiser, aussi précisément que possible, le contexte d'origine (lieu de collecte, de fabrication et d'utilisation) du document. De la localisation précise (commune, lieu-dit), à l'échelle micro-régionale ou régionale, chacun mesure la difficulté de normaliser les correspondances. Les difficultés n'ont pas manqué, comme prévu, pour distinguer ces « pays », chers aux ethnologues, et ces régions naturelles, propres aux géographes. Le découpage par communes de ces unités reste, et restera, imprécis.
33Ces différents outils ont été largement testés autour de l'application liée au vidéodisque, sur près de 54 000 documents (images ou objets). Aujourd'hui, le travail se poursuit pour la constitution des fichiers relatifs aux collections et documents qui ne figurent pas sur le vidéodisque : 32 000 références sont ainsi venues se joindre aux premières (auxquelles il faut encore ajouter 14 500 références relatives au patrimoine archéologique). Reste à expérimenter cet instrument pour l'analyse et la recherche sur les sources sonores et l'image animée, pour lesquels seuls quelques tests préparatoires ont été réalisés.
34Outil d'archivage des documents iconographiques, outil de recherche documentaire, outil de valorisation et de communication du patrimoine, le vidéodisque cumule de nombreux avantages autour d'une très grande simplicité d'utilisation. Au terme du projet Vidéralp, ce sont donc deux produits distincts qui peuvent être proposés, ou deux usages autour du même produit : un vidéodisque « catalogue d'images » sur le patrimoine ethnographique régional ; un vidéodisque « interactif », outil de gestion et de recherche documentaire.
35La première fonction, « catalogue d'images », permet une utilisation du disque sans environnement informatique, et s'appuie sur l'ordonnancement interne des images. Vingt-deux grands thèmes ont en effet été retenus pour classer physiquement les images ; une recherche simple, utilisant la seule télécommande du lecteur et un catalogue imprimé12, est donc possible et susceptible de recevoir de multiples développements, pour des utilisations pédagogiques notamment.
36La seconde fonction s'appuie entièrement sur la banque de données associée. L'interrogation documentaire simple se déroule sous forme de menus, avec des renvois permanents au dictionnaire des termes utilisés dans chacune des rubriques (thématique, technique, géographique, historique) et à un index de synonymes. Selon un mode de consultation désormais généralisé, la recherche peut être lancée sur un critère simple, ou sur la combinaison de plusieurs critères ; le résultat consiste en la présentation simultanée de l'image et de la fiche descriptive qui lui est associée. Cette application est actuellement en présentation permanente dans les salles publiques du Musée dauphinois, après avoir été longuement testée dans les salles de documentation. Il est sans doute trop tôt pour tirer des conclusions de ce premier contact avec le grand public. Tout au plus peut-on noter que l'usage du clavier d'un ordinateur reste encore un facteur de sélection sévère ; et qu'il faut imaginer, pour dépasser le seuil des initiés, des applications plus simples encore, utilisant notamment un système de consultation par écran tactile.
37Parmi les perspectives de développement qui s'annoncent, outre ces améliorations techniques, il faut imaginer sans doute la mise à disposition de la banque de données à distance, pour des utilisateurs particuliers (musées, milieu scolaire, documentations). Les essais réalisés avec le serveur universitaire de L'Isle-d'Abeau ont montré la parfaite cohérence du système, le simple Minitel pouvant transmettre une recherche documentaire et piloter localement le lecteur de vidéodisque.
38Devant l'accroissement constant des collections et autres rassemblements de documents de toute nature sur le patrimoine ethnographique, deux attitudes peuvent être adoptées. L'une consiste à prendre acte de la progressive dérive culturelle de l'ethnologie, de son immersion dans les préoccupations quotidiennes de nos contemporains, et à l'abandonner à son sort. L'autre demande une intervention pressante de la communauté des ethnologues pour irriguer le milieu des amateurs d'un certain nombre de principes et de méthodes, grâce auxquelles ce patrimoine pourrait conserver toute sa valeur de source pour l'ethnologie. Sans doute est-il difficilement imaginable d'obtenir, pour le patrimoine ethnographique, les lois et règlements qui protègent très efficacement le patrimoine archéologique des interventions spontanées. Du moins peut-on espérer rassembler, en premier lieu dans les collections publiques, des documents dont les sens et témoignage restent préservés.
39Il reste que la multiplication des documents, l'élargissement de la notion même de patrimoine, la spécialisation quelque peu excessive dont font l'objet chacune des administrations chargées du patrimoine (Direction des musées de France, Inventaire général, Archéologie, Monuments historiques, Patrimoine ethnologique, etc.), rendent aujourd'hui pour le moins difficile une appréhension d'ensemble du patrimoine collectif. Les outils existent pourtant pour une gestion tout à la fois respectueuse des spécialités et ouverte à l'accès du plus large public. Plus que tous les autres, les musées d'ethnologie régionale seront appelés, dans les prochaines années, à proposer un tel service public du patrimoine, garant autant des principes et méthodes des disciplines concernées que de la finalité pédagogique et culturelle de tous ces efforts de connaissance et de conservation.
40DON Disque Optique Numérique : support inscriptible, permet l'archivage ou la saisie en masse d'informations. Il s'applique particulièrement aux stations d'archivage documentaire.
41Vidéodisque : produit éditorial, permet de stocker des images (54 000 images par face disque laservision), du son (deux pistes sonores), des images animées (36 minutes par face). CD-ROM Compact Disc Read Only Memory : support éditorial pour la diffusion de données textuelles.
42CD-V Compact Disc Vidéo : support éditorial, diffusion grand public (clip vidéo, concert...) son numérique, image analogique.
43Denis Vidalie, Hélico-Presto (Annecy) a réalisé la campagne photographie des Musées de Haute-Savoie et du Musée savoisien (Chambéry).