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Les savoirs naturalistes populaires

L'ardoise des Hautes-Pyrénées

Entretien avec Martine Leybold, conservateur de l'écomusée de Saint-Quentin-en-Yvelines, qui vient d'effectuer une recherche sur les « techniques et savoirs minéralistes : l'exemple de l'ardoise des Hautes-Pyrénées » 1
p. 34-37

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Lieu d'étude :

Midi-Pyrénées
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Texte intégral

1Il nous a paru intéressant de retracer avec elle l'itinéraire parcouru jusqu'à cette étude et la manière dont elle a mené celle-ci.

2Terrain : Quelle est votre formation ?

3Martine Leybold : J'ai fait une thèse de 3e cycle d'ethnologie sous la direction de M. Chiva portant sur l'étude du système social d'un village de la vallée de Barèges (Hautes-Pyrénées), notamment sur les stratégies matrimoniales et la transmission du patrimoine. Je me suis particulièrement intéressée au groupe des cadets : l'héritage revenant systématiquement aux aînés dans cette vallée, quel était le devenir des autres  ?La plupart du temps ils émigraient ou devenaient ouvriers, souvent chez des exploitants ardoisiers. J'ai suivi par la suite le séminaire du Laboratoire d'ethnobotanique du Muséum national d'histoire naturelle où j'ai travaillé sur des recherches portant sur la relation de l'homme à son milieu.

4T. : La formation que vous avez reçue au Muséum d'histoire naturelle vous a donc conduit à travailler sur un thème sensiblement différent ?

5M. L. : La relation de l'homme au minéral a été peu étudiée par les ethnologues. Les connaissances acquises en ethnosciences m'ont permis d'entreprendre l'étude des ardoisiers avec l'intention de mettre l'accent sur le milieu, dont l'analyse dans celle région de montagne étagée devait être particulièrement intéressante.

6T. : Comment concrètement vous êtes-vous ainsi reconvertie à un autre domaine de l'ethnologie ?

7M. L. : Par de nombreuses lectures et par des entretiens prolongés avec des chercheurs ayant travaillé sur les techniques. Des lectures très diverses : aussi bien des travaux sur les charpentiers, sur la construction navale, les tisserands lyonnais que des revues techniques. Ils m'ont ouvert à une problématique complètement neuve pour moi. Un article de M. Raulin2 a été particulièrement utile, il est en effet un des rares ethnologues en France à avoir effectué une enquête sur la pierre.

8T. : Quel parti avez-vous tiré de cet article ?

9M. L. : Le travail de Raulin porte sur le grès. Les techniques d'extraction du grès et de l'ardoise sont différentes. Alors que le grès se travaille dans n'importe quel sens, il faut suivre la structure de l'ardoise et mettre à profil des savoirs particuliers. Il y avait donc matière à une comparaison intéressante.

10T. : Votre bibliographie en effet assez étendue comprend aussi bien des travaux de folkloristes que des revues techniques des bibliothèques de l'Ecole nationale des arts et métiers et de l'École des mines : quel a été leur apport respectif ?

11M. L. : Les publications relatives aux techniques d'exploitation de l'ardoise sont peu nombreuses. J'ai donc été amenée à rechercher des informations de caractère général dans des articles sur la pierre qui débordaient le cadre de mon sujet. Les publications sur l'ardoise traitent surtout et de façon détaillée des carrières. On peut disposer ainsi de documents illustrés (avec croquis) sur l'exploitation d'une ardoisière précise à un moment donné3. Les ouvrages de Fougeroux de Bondaroy et de Watrin ont été particulièrement précieux : ce sont des livres d'ingénieurs ayant effectué des monographies d'ardoisières en Anjou et dans les Ardennes. Ils sont très précis et complets, indiquant la nomenclature des termes employés par les ardoisiers pour désigner les différents défauts et qualités de la pierre. Sur les relations de l'homme à la pierre j'ai trouvé peu de travaux d'ethnologues ou de folkloristes. Sébillot aborde cette question à propos des cultes de la pierre. D'une façon générale il est évident que beaucoup de ces travaux n'étaient qu'indirectement en rapport avec mon sujet. Ils avaient pour moi l'intérêt de poser des questions et d'ouvrir à des problématiques.

12T. : Quel est l'apport de l'ethnologue en regard de celui des ingénieurs dans ce type de recherches ?

13M. L. : On peut observer sur le terrain des techniques plus ou moins différentes de celles qu'ils ont décrites. Par exemple la « lèche » qui est une technique utilisée dans les Hautes-Pyrénées : elle n'est décrite dans aucune bibliographie. De même les caractéristiques du matériau, fonction de conditions géologiques précises, imposent des procédés et des savoirs particuliers dont on doit rendre compte. Cela n'est pas facile car il s'agit de savoir non dit, que les ardoisiers n'expliquent pas : « vous voyez bien... » disent-ils.

14Peut-être faut-il, pour rendre compte de ces savoirs, posséder à fond soi-même la technique  ?Est-il possible sinon d'en faire ressortir les particularités  ?Ce type de recherche suppose donc un gros investissement.

15T. : Qu'en a-t-il été pour vous ?

16M. L. : Après deux mois de recherches bibliographiques, je suis partie pour les Hautes-Pyrénées pendant 10 mois au cours desquels je passais 15 jours par mois sur ce terrain. Les ardoisières étant très visibles dans le paysage, dès que j'en détectais une j'y allais. Par ailleurs une association locale, la « Société d'étude des 7 vallées », avec laquelle j'avais établi un contact étroit, publiait régulièrement dans son bulletin des textes sur l'évolution de mon travail. J'ai donc reçu des lettres de gens me signalant des ardoisiers ou des carrières fermées. J'ai pu ainsi avoir connaissance de certaines exploitations anciennes, non portées dans les archives et les registres du Service des mines (ardoisières non déclarées ou dont les traces s'étaient perdues). J'ai eu accès, grâce aussi à l'association qui m'a mise en relation avec les fils d'anciens exploitants, à des archives privées : livres de comptes, d'exploitation, registres du personnel conservées dans leur grenier.

17Les procès-verbaux d'inspection des ardoisières conservés aux Mines sont très riches : d'autre part, les procès-verbaux d'accidents étaient souvent l'occasion de la découverte, donc de la description d'une exploitation ; ils faisaient l'objet d'un rapport très complet notamment sur les types d'explosifs employés et leur maniement.

18Ces recherches d'archives étaient inséparables d'une présence régulière dans les carrières exploitées où je travaillais en collaboration avec les ardoisiers.

19T. : Les ardoisières font-elles maintenant partie du passé des Hautes-Pyrénées ?

20M. L. : Oui et non, les habitants de la région restent très sensibles à l'ardoise malheureusement trop chère pour la plupart d'entre eux, contraints d'utiliser de l'ardoise importée d'Espagne ou des succédanés. Mais les ardoisières ne représentent qu'une part de plus en plus faible de l'activité économique et elles meurent à petit feu. La Chambre de commerce et d'industrie des Hautes-Pyrénées fait énormément d'efforts pour maintenir une des rares activités artisanales encore vivante, mais elle se heurte à un découragement des ardoisiers eux-mêmes dont la plupart sont, proches de la retraite. Ce n'est pourtant pas faute de demande.

21T. : Comment a été perçu votre travail par les habitants de ces vallées ?

22M. L. : Comme pouvant faire prendre conscience au public de l'importance de cette activité et pouvant aider à la maintenir. A la fois comme une opération d'information et de communication. J'avais des relations suivies avec le responsable des Mines à la Chambre de commerce et d'industrie et les exploitants des ardoisières.

23T. : Quelles suites envisagez-vous à votre étude, notamment sur le plan de la restitution du savoir recueilli ?

24M. L. : Mon rapport va être publié par la « Société d'étude des 7 vallées ». Quant aux documents rassemblés ils doivent servir à une exposition que nous avions préparée mais qui n'a pu être montée faute de salles disponibles. Je vais sans doute les donner au Musée pyrénéen avec lequel j'ai travaillé et j'espère que l'exposition sera réalisée bientôt et présentée aux habitants en février-mars, période où ils sont le plus disponibles, et non pendant les mois d'été où seuls les touristes la verraient.

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Bibliographie

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Notes

1Référence 80.63.
2Raulin H – 1961.
3Fougeroux de Bondaroy, 1770 Watrin, 1897.
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Pour citer cet article

Référence papier

« L'ardoise des Hautes-Pyrénées »Terrain, 1 | 1983, 34-37.

Référence électronique

« L'ardoise des Hautes-Pyrénées »Terrain [En ligne], 1 | 1983, mis en ligne le 23 juillet 2007, consulté le 09 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/2786 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terrain.2786

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