1Les théories du patrimoine, dans la diversité des approches historiennes, géographiques, sociologiques ou anthropologiques, se sont principalement appuyées sur une perspective holiste qui aligne les pratiques et les valeurs patrimoniales avec des collectifs au nom desquels sont menées la sélection et la conservation des éléments culturels classés. Reprenant à leur compte les prémisses qui forment l’essentiel des définitions institutionnelles des biens protégés et valorisés en tant que patrimoine culturel ou naturel, les analyses des sciences sociales sont fondées, sans doute à juste titre, sur la centralité de l’échelle collective qui anime les conventions internationales, les législations nationales et les innombrables labels de qualification patrimoniale. Penser le patrimoine comme un bien choisi et partagé par et au nom de l’humanité, de la nation ou d’une « communauté patrimoniale », au sens de la Convention de Faro, demande, en bonne méthode, de l’inscrire dans une forme de holisme méthodologique. Dans l’analyse comme dans la pratique, il est donc nécessaire d’envisager le patrimoine au pluriel. L’application récente du concept et des pratiques sociales des « communs » au champ du patrimoine culturel (Cornu, Orsi & Rochfeld 2017) ne constitue qu’une nouvelle déclinaison de la prégnance du collectif sur les approches, si critiques soient-elles, qui tendent à saisir ce que les patrimonialisations et les usages du patrimoine veulent dire aujourd’hui pour les sociétés humaines.
2Les premières tentatives de ce positionnement scalaire de l’observation des pratiques patrimoniales, notamment en France, touchent à la continuité formelle et idéologique entre les trésors des cathédrales et les musées royaux de l’Europe moderne (Pomian 2020) et à la mise en place de l’administration des biens d’exception à la fin du XVIIIe siècle par les Révolutionnaires (Poulot 1997). Ces analyses indexent les pratiques, les législations et les dynamiques patrimoniales à des groupes de référence qui déterminent le contexte de performance de la patrimonialisation et définissent un horizon qui est avant tout pluriel, s’agissant de l’Église en tant que communauté de croyants ou de la nation comme rassemblement des citoyens. L’institutionnalisation plus tardive du Patrimoine mondial par l’Unesco réplique, à l’échelle de l’humanité entière, le souci et le soin du patrimoine, en modifiant alors l’échelle de l’attention, de la nation vers l’espèce humaine. En descendant ensuite au niveau des communautés manifestant un sentiment d’appartenance via des biens à protéger, la convention de Faro ou la convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel mettent en avant un groupe à une échelle plus réduite, mobilisant alors un collectif qui semble encore une fois l’alpha et l’oméga du fait patrimonial dans ses déclinaisons les plus récentes. Ces dispositifs rejoignent d’ailleurs des lectures microsociales des patrimonialisations, qui sont contemporaines de ces conventions, en saisissant le patrimoine en train de se faire en deçà des administrations (Micoud 2004, Rautenberg 2003, Saez & Glévarec 2002), ou qui, au niveau de l’État, ont mis en place la politique étatique du patrimoine ethnologique de la France (Tornatore 2004, Hottin 2017).
3Pour autant, les dimensions proprement démographiques auxquelles les politiques et les pratiques du patrimoine font référence pourraient sembler incommensurables et difficilement comparables. L’écart en nombre entre un groupe d’artisans constituant un dossier pour l’inventaire national du patrimoine culturel immatériel et l’humanité elle-même transforme les dynamiques de groupe, les hiérarchies des acteurs et les cadres législatifs et rend difficile une appréhension unifiée de patrimonialisations qui fonctionne à des échelles bien distinctes. Mais c’est précisément dans ces écarts, dans ses ajustements, dans ces courts-circuits entre niveaux que réside une heuristique de l’approche scalaire dont le numéro de L’Espace géographique fait, à raison, un point d’observation de référence pour l’étude des patrimonialisations. Par des jeux d’échelles, classiques en histoire (Revel 1996) ou en géographie (Moore 2000, Orain 2004, cité in Debarbieux & Hertz 2020), on retrouve des jeux sociaux exemplaires, avec des individus et des groupes d’intérêt qui mobilisent des lois ou les transgressent, d’autres acteurs qui empruntent des passages et font circuler les dossiers, ou circulent eux-mêmes, d’un échelon à l’autre. La lecture du patrimoine au pluriel semble ainsi tout à fait pertinente et place les sciences sociales du patrimoine dans la perspective classique d’une sociologie qui cherche à saisir les faits sociaux dans leur dimension collective, relationnelle et holiste.
4Le gain de l’application de l’approche scalaire réside donc autant dans la mobilité du point de vue sur les territoires physiques dans lesquels le patrimoine s’inscrit, ce qu’affectionne par tradition disciplinaire la géographie, que dans la possibilité de voir se modifier la taille, la forme et la légitimité politique des communautés qui se saisissent du patrimoine. Les corrélations que le patrimoine induit entre collectif et territoire, et les jeux sociaux qui en découlent, impliquent une réflexion croisant intimement deux axes géométriques qui structurent et indexent le champ du patrimoine qui se dessine alors, la dimension spatiale et la dimension sociale. Il apparaît nécessaire de faire varier les curseurs de l’approche scalaire à la fois sur les espaces territoriaux et sur les espaces sociaux, et de penser, dans le même mouvement, les modalités d’articulation entre groupes et espaces que le patrimoine permet, interdit ou délimite.
5Dans cette perspective, la question de la patrimonialisation ne se résume pas seulement à la définition de la territorialité (le patrimoine de quel lieu) ou de la propriété (le patrimoine de quel groupe), mais elle impose de prendre en compte l’articulation entre le groupe et son point de vue, au sens géographique et sociologique de l’expression : depuis quelle place, sur quelle étendue et jusqu’à quelles frontières, sociales et spatiales, le patrimoine est-il mobilisé ? En bref, il s’agit de socialiser l’échelle, afin de contourner le risque d’une lecture bornée par les limites géographiques à l’intérieur desquelles les actions patrimoniales se déroulent. Comme cela arrive souvent en sciences sociales, décrire un milieu donné sans prendre en compte les relations qu’il entretient avec son contexte ne permet pas de nommer et de prendre en considération ce qui lui est frontalier ou limitrophe, mais qui en est toutefois l’un des déterminants majeurs. Proposer la monographie d’une candidature d’inscription sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO ne peut pas se réduire à une lecture critique du dossier rédigé par les porteurs et validé par le comité intergouvernemental. Encore faut-il dénouer les interactions entre ces productions typiques du processus patrimonial et les autres niveaux qui déterminent la candidature et dont les interventions ne sont pas lisibles directement dans le dossier écrit. Une plongée ethnographique au sein de la « communauté » qui est à l’origine de l’inscription de l’île de Djerba sur la liste du Patrimoine Mondial de l’Unesco, comme l’a menée Mathilde Bielawski (2022), nous apporte une vision feuilletée et complexe des enjeux, des groupes et des objets qui sont mis en présence localement, régionalement, nationalement et internationalement, afin de produire le dossier et de faire valider la candidature. La position des experts étatiques de l’État tunisien n’est pas réductible à celle des consultants internationaux, alors même que les demandes des habitants et celles des associations défendant ou contestant le projet d’inscription ne correspondent pas, voire apparaissent opposées et contradictoires. De plus, si les membres du collectif djerbien « montent et descendent », pour reprendre les mots de Nicolas Adell, et si l’État tunisien ne sait pas répondre aux attentes des acteurs impliqués régionalement, comme le définit Aurélie Condevaux avec la notion d’État-écran, il faut en conclure que ce ne sont pas seulement les positions scalaires des acteurs qui importent pour saisir leurs motivations et leurs résultats, mais que leurs positions sociales, politiques et culturelles éclairent également leurs choix et leurs orientations.
6Une fois la sociologisation des échelles posée comme principe, il reste que l’étalon de l’analyse de ces jeux d’échelles se fixe toujours sur des collectifs, qui vont du groupe local à l’humanité tout entière, qui se donnent le patrimoine comme projet ou dont le patrimoine constitue le cœur de l’activité professionnelle. Certes, ces groupes peuvent parfois être mouvants, instables ou hétérogènes ; certes, on leur associe des entités non humaines – des objets, des bâtiments ou des éléments de l’environnement (et l’on pense à l’initiative récente sur le fleuve Loire par exemple [Toledo 2021]) ; certes, ils sont animés par une visée morale de défense d’un bien commun indexé à leurs histoires et leur projection dans l’avenir (Hertz et Chappaz-Wirthner 2012, Alévêque et Chandivert 2023) ; certes, le discours que ces différents groupements d’acteurs produisent, performent, transmettent ou contredisent repose sur une forme de holisme par destination du patrimoine (Smith 2006). Leur hétérogénéité, leurs relations et leurs positionnements sociaux en font ainsi des objets d’étude tout à fait légitimes pour les sciences humaines et sociales. Pourtant, si la littérature n’hésite pas à jouer des échelles et à analyser ce qu’il se passe d’un bout (intergouvernemental) à l’autre (local) de la chaîne patrimoniale, on sent toujours comme une gêne à pousser encore plus loin le curseur scalaire, jusqu’à l’extrémité terminale de l’échelle, jusqu’à l’individu proprement dit, en tant que lieu, réceptacle et nœud de la fabrique du patrimoine. La valence pour le pluriel patrimonial, au-delà de la dynamique sociale propre des lectures sociologiques et géographiques en termes d’échelle et de jeux d’échelles, ne cache-t-elle pas cet autre niveau de lecture et d’observation du patrimoine en train de se faire, l’ultime boîte noire de la patrimonialisation, l’individu ? Il ne s’agit pas de regretter le manque d’approches individuelles dans la littérature sur le patrimoine, ni de décrire cette dernière comme le règne de sociologues holistes forcenés, mais de proposer de raffiner le modèle théorique des sciences sociales du patrimoine. Décrire et analyser l’horizon des programmes patrimoniaux, non pas depuis la performance du collectif qu’ils visent à instituer, mais depuis l’élément de base de l’action de défense du patrimoine et de construction de la conscience patrimoniale, l’individu engagé – ou peu ou pas – dans un tel projet.
7La distinction entre holisme et individualisme méthodologique est classique, et elle parcourt l’histoire des sciences sociales : l’une des impasses dont les sciences sociales ont mis du temps à sortir consistait à devoir choisir entre une perspective individuelle et une conception holiste de l’expérience des êtres humains en société. En prônant la sociologie comme science du social, l’individu est souvent apparu comme le pendant problématique et inconfortable du tout formant la société, scindant le champ disciplinaire entre différentes traditions, portées par Durkheim, Weber, Dumont ou Boudon. Sans revenir sur ces épisodes de l’histoire des sciences sociales, la difficile institutionnalisation de l’anthropologie des sens témoigne sans doute des limites et des difficultés que les régimes de scientificité imputent à l’observation de l’individu : comment peut-on retrouver les déterminismes, les normes et les valeurs communes lorsque l’on s’appuie sur des ressentis et des perceptions dont une seule personne, dans sa singularité, peut témoigner (Gélard 2017) ? Malgré les réticences et les doutes, l’essor de cette anthropologie de l’expérience sensorielle est issu d’un long cheminement de la place de l’individu comme objet et comme terrain des sciences sociales, que le holisme, fantasmé ou réel, semblait ne pas pouvoir atteindre.
8Bien après les pères fondateurs, Michel Foucault a mis au jour les logiques de la construction du soi, formé et travaillé par les normes collectives, et dont les expressions historiques projetaient l’individu – et l’historien – dans la dimension sociale de l’expérience humaine à partir de l’analyse de la formation de conscience individuelle (Foucault 1984). Par la suite, l’approche biographique (Loriga 2010, Fabre 1991, 2008, Adell 2022), l’étude par les cas individuels exceptionnels (Bromberger & Mahieddin 2016), ou plus précocement la microhistoire (Ginzburg 1980, Levi 1989), ont traversé la frontière méthodologique entre individualisme et holisme, en prônant une science de la société qui décrit et pense le monde collectif grâce à la clé de lecture d’un individu. Inscrit dans sa propre histoire, sa propre temporalité et son propre usage du monde, l’individu devient alors révélateur des fonctionnements et dysfonctionnements du système social dans lequel il est plongé.
9Que faire donc du sujet dans le champ du patrimoine ? À quelles conditions mobiliser cette approche antagonique d’un holisme contraint par l’idéologie et la pratique patrimoniales ? Quelle méthodologie mettre en œuvre pour faire dialoguer ce dernier échelon de l’approche scalaire avec les classiques jeux d’échelles ? Enfin, peut-on déterminer ce que nous empêche de voir le holisme et ce que nous permet de comprendre le renversement vers l’individu dans le domaine patrimonial ? Un chantier collectif sur les figures de sauveurs culturels, mené avec Sylvie Sagnes et une dizaine d’autres anthropologues, sociologues, historiens et historiens de l’art, propose quelques pistes de réflexion autour de ces questions (Isnart et Sagnes 2024). Il déploie l’analyse des liens et interactions entre les échelles classiques du patrimoine, mais y ajoute le niveau micro de l’observation en partant volontairement de l’individu. Il montre ainsi ce que l’analyse de l’expérience individuelle peut apporter à la compréhension du fait patrimonial comme fait collectif et, inversement, comment la prégnance du commun dans le champ patrimonial influence et détermine les parcours de vie, les inflexions biographiques et la construction des légitimités personnelles. On passe donc ainsi du patrimoine au pluriel au patrimoine au singulier.
- 1 Par bien des aspects, le cadre de l’action des sauveurs culturels se rapproche formellement de celu (...)
10La figure du sauveur est sans doute familière à de nombreux chercheurs qui pratiquent l’ethnographie des processus de valorisation de la culture. Le sauveur surgit en effet dans presque tous les contextes culturels, religieux ou politiques des sociétés contemporaines. On peut ici en rappeler quelques caractéristiques1. Le sauveur est avant tout le propagateur d’une parole de la fin et du renouveau. Il se dote d’une mission qui consiste à révéler la vulnérabilité d’un édifice, d’un rituel, d’un savoir-faire, d’un paysage, d’une espèce dont il prédit la fin prochaine, et dont il propose la défense nécessaire et la sauvegarde impérieuse pour les générations futures. Les discours qu’il met en scène pour justifier sa mission empruntent à la rhétorique de la perte ou de l’effondrement, et à celles de la transformation et du futur. Ces discours, leurs vocabulaires et leurs grammaires, sont d’ailleurs en partie partagés par les institutions patrimoniales nationales et internationales, mais également par les associations et les groupements de citoyens engagés dans le champ culturel ou environnemental. Le sauveur se situe, ensuite, dans une position sociale à la frontière entre plusieurs mondes sociaux. Il ne fait pas nécessairement partie de ces différents mondes, mais leur fréquentation le dote d’une variété d’habitus qui lui permet d’intervenir dans plusieurs sphères, depuis les cercles coutumiers de la communauté locale jusqu’aux bureaux des agents administratifs et politiques. Enfin, la reconstitution des carrières des sauveurs montre que la prise de position individuelle dans l’espace public par l’engagement dans une cause patrimoniale les conduit parfois à se déplacer dans la hiérarchie sociale, symbolique et économique des sociétés dans lesquelles ils évoluent. Les sauveurs endossent alors des fonctions politiques, prennent la tête d’institutions culturelles publiques, ou entament une œuvre érudite, scientifique ou littéraire. Depuis une première localisation marginale, frontalière ou hétérodoxe, les sauveurs passent ainsi du rôle de lanceur d’alerte à celui de personnalité publique reconnue. Cependant, l’incertitude même des processus de sauvetage et la fragilité initiale du statut social du sauveur n’assurent ni le succès de toutes les entreprises ni l’ascension sociale de tous les porteurs de projets.
11Il n’en reste pas moins qu’observer les activités, analyser les discours et décrire les interactions de ces personnages dans un contexte social, historique ou culturel donné, offrent l’opportunité de saisir des jeux d’échelles à partir du niveau de l’intervention des sauveurs eux-mêmes. On en donnera deux illustrations rapides. Premièrement, le sauveur endosse, par définition, le rôle de révélateur de la valeur patrimoniale d’un bien. Il se positionne par là comme l’embrayeur d’un processus collectif, que son action de dénonciation et de persuasion va transformer, en cas de succès, en cause publique partagée. Mais le fait que le sauveur en soit le propagateur, à son propre compte, renverse alors le sens de la circulation des récits et des motifs rhétoriques patrimoniaux entre les administrations, les groupes d’intérêt et les sauveurs. Il arrive que la dénonciation de la ruine d’une église portée par un sauveur atteigne les échelons des gouvernances locales ou nationales. On peut repérer dans ce jeu de circulation de discours et d’actions des logiques d’incarnation individuelle du sauvetage, avant même le déclenchement de la patrimonialisation officielle, et que seule l’échelle du singulier permet de saisir.
12Deuxièmement, cette phase initiale, dans laquelle le sauveur apparaît comme l’annonciateur isolé d’un meilleur futur, ne constitue pas nécessairement un processus linéaire et sans accrocs. Au contraire, elle témoigne de la mise en place complexe de la légitimité de l’action de sauvetage et de la personne du sauveur lui-même. L’individu devra en effet subir des revers dans sa quête, verra sa parole contestée par des opposants réactifs, son objet d’attention sera comparé avec d’autres éléments culturels mieux identifiés, ou identifiés par d’autres sauveurs mieux écoutés, sa moralité pourra être mise en cause, et l’élément culturel à sauver n’obtiendra pas nécessairement le classement patrimonial espéré. Bref, le sauveur devra faire montre d’une résistance à toute épreuve et se montrer digne, pour ses suiveurs comme pour les décideurs, de la mission à laquelle il s’est soumis. La contestation et le soupçon font ainsi partie intégrante de la fabrication sociale du sauveur et en dévoilent sans doute les ressorts collectifs et scalaires. Si ce type de contestations montre finalement les dimensions morales que le patrimoine véhicule, les difficultés que rencontre le sauveur prouvent également que c’est par l’articulation, voire la superposition, de l’action du sauveur et de sa reconnaissance collective en tant que sauveur que se jouent et le destin patrimonial d’un bien et la réputation d’un individu qui le défend. Il ne s’agit pas ici d’une circulation d’une revendication de reconnaissance culturelle entre plusieurs échelles, ou d’un jeu d’échelles qui nous révèlerait des actions complémentaires, mais bien d’un recouvrement des niveaux individuel et collectif qui fusionnent et confondent les différents degrés d’analyse en une seule et même personne.
13Entrer dans le processus patrimonial par la boîte noire de l’individu offre la possibilité d’ajouter un nouveau degré aux jeux d’échelles que les sciences sociales du patrimoine mobilisent déjà. En ce sens, le jeu se trouve enrichi et sans doute plus complexe. La singularité fonctionne comme une extension de l’analyse en poussant à une extrémité nouvelle l’éventail de l’observation. La mise en œuvre de ce nouvel échelon des pratiques patrimoniales dans l’arsenal méthodologique n’efface cependant pas les dynamiques collectives du patrimoine. Elle leur donne plus de profondeur temporelle, en ancrant l’individu dans son monde, et plus d’épaisseur sociale, en analysant la position et la dynamique de mobilité des sauveurs. Elle les inscrit dans des contextes locaux selon les préceptes de la tradition ethnographique et montre que si les jeux entre les échelles sont éclairants, l’approche par l’individu donne accès à des logiques qui déterminent également les degrés supérieurs. Il ne s’agit donc pas de rejeter les lectures collectives des pratiques patrimoniales ni les jeux que les acteurs mettent en place dans leurs actions entre les niveaux scalaires, mais en poussant vers l’une des pointes de l’échelle, d’éprouver l’hypothèse selon laquelle le patrimoine peut également se penser au singulier.