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Futurs d’ici et d’ailleurs

Quatre nuances de sino-futurisme

Four shades of sinofuturism
Gwennaël Gaffric
p. 112-123

Résumés

À l’heure où la Chine s’impose, économiquement et géopolitiquement, comme la « nation de demain », comment appréhender la production de discours et de représentations imaginaires autour du « sinofuturisme », en prenant en compte l’hétérogénéité d’interprétation de ce concept ? Cet article propose d’examiner quatre façons différentes d’envisager la projection d’un futur « chinois » : « sinofuturisme et techno-orientalisme » ; « sinofuturisme et postorientalisme » ; « sinofuturisme et futurisme d’État » et « sinofuturisme sans la Chine ». Cette étude nous permet de montrer la manière dont ces discours souvent contradictoires et conflictuels se recoupent néanmoins dans une forme de déni de ce que Johannes Fabian appelle la « co-temporalité ».

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Texte intégral

Quatre nuances de sino-futurismeAfficher l’image
Crédits : Chloé Tsoungui 2023 - HEAR

Introduction

  • 1 Stan Abrams, « Looper and the Chinesification of Film Co-productions », Business Insider, 8 octobre (...)

1« I’m from the future: go to China », affirme Jack Abe Mitchell à Joe dans Looper (2012), le thriller de Rian Johnson qui est aussi l’une des premières productions hollywoodiennes à avoir été en grande partie financée par une société de production chinoise1 – et dont l’intrigue futuriste repose sur la possibilité de voyager dans le temps.

2« Le futur est en Chine », « la Chine est le futur » : le discours n’est pas nouveau. Il s’accompagne souvent d’un sous-entendu admirateur (« le chinois est la langue de demain », « l’avenir économique du monde est en Chine »), et plus fréquemment d’une angoisse non dissimulée (« les Chinois vont nous bouffer/nous envahir/nous inonder de leurs produits »), dans un contexte d’essor économique et de montée en puissance diplomatique de la Chine et de bouleversement de l’ordre politique occidental, sans parler de la crise du COVID-19.

3Ces assertions sont largement nourries par des représentations imaginaires circulant dans les sphères médiatique, politique, économique, mais aussi artistique. La rhétorique « sino-futuriste », c’est-à-dire l’association de la Chine au futur, admet de multiples formes et nuances. Elle est tributaire d’imaginaires plus anciens et s’inscrit à la fois dans le prolongement et en réaction à ce qu’Edward W. Said appelait « orientalisme » (Said 2015).

4Le sino-futurisme n’est pas qu’un fantasme occidental, la projection sur une contrée lointaine d’un imaginaire fantasmagorique aussi fasciné qu’angoissé : il s’inscrit dans la continuité du projet moderne chinois dès sa construction en tant que « Chine » au début du xxe siècle. Comme le montre bien Gregory B. Lee (2018), qui analyse dans son ouvrage comment la Chine prémoderne a été imaginée par les sinologues occidentaux, l’entreprise de création de la « Chine » comme État-nation moderne à la fin de la dynastie des Qing (1644‑1911) est un projet qui se conçoit dans une relation de rupture verticale avec un passé mythique impérial pour s’inscrire dans un « futur » historique horizontal. En témoigne par exemple le roman philosophique inachevé du grand intellectuel Liang Qichao : Récit du futur de la Nouvelle Chine, rédigé en 1902, soit dix ans avant la fondation de la République de Chine et qui constitue le premier roman utopique chinois moderne, en rompant avec la référentialité classique à un passé sage et vertueux pour projeter l’État-nation en germe dans un avenir radicalement « occidentalisé ». La Chine mise en scène dans le roman est un État-nation (inexistant à l’époque de son écriture) gouverné par une monarchie constitutionnelle, sur le modèle britannique. Ce souci du futur comme nécessairement progressiste et comme seul unique horizon temporel - ou « régime moderne d’historicité » (Hartog 2003) - a dominé la majeure partie des discours officiels et intellectuels de la Chine du xxe siècle et du début du xxie siècle, jusqu’au début de la gouvernance de Xi Jinping. Cette dernière marque un basculement, un retour - certes, artificiel et utilitariste, mais largement revendiqué - à une supposée continuité historique pour guider un futur désirable « à la chinoise ». Si le sino-futurisme est une construction géopolitique indissociable de jeux de miroir entre Orient et Occident, de quelles logiques spéculaires est-il plus précisément le produit ? C’est souvent par la force de la fiction, et particulièrement dans et via la science-fiction, que ces opérations se saisissent le plus clairement, comme nous allons le voir par la suite.

Première nuance : sino-futurisme et techno-orientalisme

5La thèse bien connue d’Edward W. Said repose sur l’idée que l’Orient, en tant qu’espace géographique et culturel, est une construction occidentale, une création du colonialisme européen nourrie en grande partie par l’orientalisme savant du xixe siècle. Said identifie un certain nombre de dogmes propres à l’orientalisme, parmi lesquels la question de la temporalité est centrale : l’Orient se situerait dans un temps différent, éloigné, s’appuyant sur un héritage culturel ancestral, issu d’un passé présenté comme cyclique ou immuable. Selon le dogme orientaliste, l’Orient authentique serait en effet un Orient mystérieux, religieux et archaïque (par opposition à un Occident rationnel, scientifique et moderne), tandis que l’Orient moderne, enfin entré dans l’histoire grâce à l’intermission de l’Occident, ne serait qu’un enfant bâtard ayant perdu sa raison d’être, pour n’être qu’un pâle imitateur de l’Occident, pour qui il représenterait même une menace (militaire, économique ou intellectuelle). Si dans son ouvrage, Edward W. Said ne parle pas de la Chine, mais du monde musulman, les dogmes identifiés demeurent valables (Heurtebise 2020) pour tout l’espace non occidental.

6Le concept de « déni de cotemporalité » proposé par Johannes Fabian (2006) s’applique largement dans notre cas. La Chine s’est trouvée figée, à la manière d’un de ces « dioramas vivants » des expositions coloniales qui donnaient à voir des êtres humains figés dans un temps distant. De ce fait, dans les expositions ethnographiques, ce qui apparaissait alors comme colonisé n’était pas seulement d’autres territoires et d’autres vies humaines, mais aussi le temps lui-même. En « défuturant » les colonisés, se trouvait aussi niée toute possibilité pour les « objets » exposés de prendre le contrôle de leur futur, entièrement confié au bon vouloir des colonisateurs. Le déni de cotemporalité, qui prenait la forme d’un déni d’historicité des populations colonisées, faisait au mieux débuter cette « histoire » avec la modernité coloniale (la rencontre avec le colonisateur). Le regard (anthropologique) occidental apparaissait comme la seule autorité susceptible d’attribuer de l’historicité à l’individu regardé, le situant tantôt dans un passé immuable, tantôt dans un éternel « présent ethnographique » (selon les mots de Johannes Fabian 2006), voire, dans le cas qui nous intéresse, dans un futur fantasmé.

7Le déni d’historicité rejoignait alors certains postulats de l’évolutionnisme social, longtemps dominant dans les sciences humaines européennes, et dont la conséquence a longtemps été de situer les autres cultures sur un axe temporel et technologique en position inférieure.

8La différence notable entre la projection orientaliste traditionnelle et celle induite par le discours sino-futuriste « occidental » est évidente : il ne s’agit plus de considérer la Chine comme appartenant à un éternel passé immobile, mais de l’identifier à un temps, certes toujours hors d’atteinte, mais placé cette fois à l’autre extrême de la frise temporelle.

9Cependant, il ne s’agit ni plus ni moins, pour reprendre les mots de Gabriele de Seta, que d’un orientalisme inversé : « un orientalisme opérant sa négation de la cotemporalité par l’attribution d’une futurité » (de Seta 2020).

10L’une des matérialisations les plus marquantes de cette projection futuriste de la Chine, et plus largement de l’Asie du Nord-Est, se retrouve dans l’esthétique que David Morley et Kevin Robins ont désigné par le terme « techno-orientalisme » (Morley & Robins 1995).

  • 2 Jeffrey Wasserstrom, « The Future is a Different Country: On William Gibson », Los Angeles Review o (...)

11Ce mouvement, dont on peut trouver des prémisses dès la première trilogie de Star Wars, et déjà en creux chez les écrivains de science-fiction Ursula K. Le Guin ou Philip K. Dick, connus pour leur intérêt pour une Asie fantasmée (Huang 2008), se déploie avec la plus grande force visuelle dans l’esthétique cyberpunk. C’est sans doute le film Blade Runner (1982) de Ridley Scott, adaptation très libre de la nouvelle « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques » (Dick, 1966), qui pose les fondements visuels du techno-orientalisme : une vision d’un futur ultra-technologisé mais débordant de références visuelles à l’Orient : écritures asiatiques, échoppes de nouilles, baguettes, ombrelles, publicités télévisées projetées sur de grands écrans, etc : images destinées à rappeler les grandes métropoles japonaises. Pape du mouvement cyberpunk, c’est aussi dans le Japon que puise l’écrivain William Gibson. Dans Le Neuromancien (1984), il affirme : « le Japon est le cadre par défaut de l’imagination globale pour le futur2 ». Si le cyberpunk des années 1980 et 1990 s’inspire principalement du Japon, et non de la Chine, c’est lié au contexte d’émergence économique des deux pays, mais comme l’exprime parfaitement Huang, Niu et Roh : « Tous deux apparaissent comme des concurrents ou des menaces pour l’ordre américain ; mais tandis que le Japon est en concurrence pour la domination de l’innovation technologique, la Chine est en concurrence en termes de main-d’œuvre et de production. Pour le dire autrement, le Japon crée la technologie, mais la Chine est la technologie. Aux yeux de l’Occident, les deux sont des moteurs cruciaux du futur : le Japon innove et la Chine fabrique » (Huang, Niu & Roh 2015 : 4).

12Toujours est-il que l’Orient futuriste et technologique de Scott et de Gibson aura fait de nombreux émules et posé les bases d’une esthétique visuelle « cyberpunk » techno-orientaliste, de la série des films Matrix au récent jeu vidéo Cyberpunk 2077. Point commun récurrent de ces représentations occidentales de l’Asie de l’Est : la figure de l’Oriental y est souvent invisibilisée, ce sont bien régulièrement des personnages blancs et caucasiens qui sont investis d’une identité techno-orientaliste, car affublés d’attributs traditionnellement associés à l’Orient (dans leurs vêtements – kimono, qipao, robes de moines bouddhistes ; maîtrise des arts martiaux ; discours vaporeux censé rappeler des préceptes bouddhistes ou taoïstes ; usage de baguettes ou d’ombrelles ; maîtrise d’une langue asiatique…) Ce qui importe, en fin compte, ce n’est pas tant de donner à voir l’individu « oriental » dans le futur, mais « l’orientalité » de ce futur. Le techno-orientalisme est en cela l’héritier des discours sur le péril jaune du xixe et du xxe siècle : il exprime une crainte d’un avenir asianisé, qui contribuerait ou profiterait de l’effondrement d’une civilisation supposée européenne, perdant le monopole « culturel » de son devenir.

13Dans le sino-futurisme techno-orientaliste, la Chine n’est plus enfermée dans son passé intemporel ni condamnée ou sommée de se synchroniser avec la modernité : elle habite déjà le futur, ou elle en vient. Il s’agit toujours de dénier à la Chine la possibilité de partager un même espace-temps, et donc un même monde. En d’autres termes, l’avenir est pour les sino-futuristes ce que le passé était pour les orientalistes : un fantasme de l’Autre qui se construit dans un déni de cotemporalité, c’est-à-dire selon une temporalité à travers laquelle l’altérité peut être fantasmée et contrôlée.

Deuxième nuance : sino-futurisme et post-orientalisme

14P aradoxalement, l’angoisse d’un effondrement culturel devant la technologie rappelle la peur éprouvée par les intellectuels chinois du début du xxe siècle qui s’inquiétaient d’une dénaturation de leur civilisation, conséquence de la considérable avance scientifique, technologique et militaire occidentale de l’époque. Ces intellectuels en appelaient ainsi à une assimilation de la technologie exogène, tout en conservant un fondement culturel indigène, appel illustré par le célèbre slogan popularisé par le lettré Zhang Zhidong (张之洞) en 1898 : « la culture chinoise comme principe fondamental, le savoir occidental comme instrument pratique ».

15De fait, la Chine a connu depuis la fin du xixe siècle de nombreux moments historiques durant lesquels ses plus grands écrivains l’ont projeté dans un futur technologique. Il resterait à faire une archéologie des futurismes chinois, tant le xxe siècle chinois est traversé par des tentatives d’imagination du futur dont les modalités varient nécessairement selon les périodes historiques. Ces narrations ne sont bien souvent pas marginales, mais l’œuvre d’auteurs et d’intellectuels majeurs de leur temps (comme Liang Qichao et Lu Xun à l’époque de la Chine républicaine) (Aloisio 2020).

16Malgré la divergence importante de ces projections futuristes (les futurismes républicains, maoïstes ou inspirés par la « pensée de Xi Jinping » diffèrent en bien des points), une certaine permanence est toutefois observable : une remise en cause – et bien souvent un rejet – d’un futur façonné par le regard occidental.

  • 3 Lawrence Lek, « Sinofuturism (1839–2046 AD) », Center for Art and Media Karlsruhe, 2016, 60 min. En (...)

17Une remise en cause similaire de l’imaginaire techno-orientaliste occidental contemporain se retrouve chez Lawrence Lek, artiste né en Allemagne de parents sino-malaisiens, et désormais basé au Royaume-Uni dans une œuvre visuelle justement intitulée « Sinofuturism 1839‑2046 AD3 ». Dans ce film long d’environ une heure, une voix féminine à synthèse vocale affirme : « Le sino-futurisme est un mouvement invisible. Un spectre déjà intégré dans un trillion de produits industriels, et par un milliard d’individus. » Le film de Lek compose de manière ludique une satire des représentations répandues de la Chine en Occident : paysages urbains futuristes modélisés en 3D à la Blade Runner ou encore images d’actualité de la Chine contemporaine. Les dates (1839 et 2046) choisies par Lek correspondent respectivement au déclenchement de la première Guerre de l’Opium et au titre du célèbre film du réalisateur hongkongais Wong Kar-wai, comme si le mouvement sino-futuriste décrié par l’artiste s’inscrivait dans un processus déjà ancien, mêlant histoire géopolitique et coloniale et production artistique.

  • 4 Gary Zhexi Zhang, « Where Next? Imagining the Dawn of the “Chinese century”. Whether or not the 21s (...)

18Comme l’exprime bien Gary Zhexi Zhang sur l’œuvre de Lek : « Jouant sur des stéréotypes familiers, le montage documentaire de Lek intériorise et inverse ironiquement le récit techno-orientaliste, supposant que le sino-futurisme est une conspiration mondiale ou, plutôt, la conspiration de la mondialisation elle-même. Dans le récit de Lek, la Chine, superpuissance en plein essor qui se défait de sa réputation d’usine du monde, est réimaginée comme une intelligence posthumaine : un réseau distribué de corps et de cerveaux plus créatifs, disciplinés et collectivisés que n’importe quel descendant des Lumières européennes4. »

  • 5 Xueting Christine Ni, « Interview: Xueting Christine Ni on Chinese SF », One More, 4 novembre 2021. (...)

19Si l’œuvre de Lek ne nous semble pas en soi porteuse d’un regard alternatif proposant une variation « chinoise » du sino-futurisme occidental, il est remarquable de noter l’émergence depuis quelques années sur la scène artistique chinoise et sino-américaine de récits et d’œuvres (notamment de science-fiction) explorant l’idée d’un futur (et parfois d’un rétro-futur) chinois, s’inscrivant en contre-point de la représentation dénoncée par Lek. Ce mouvement encore naissant et représenté outre-Atlantique par des écrivains sino-américains comme Ken Liu (avec un genre comme le silkpunk) ou Xueting Christine Ni, fait émerger sur la scène de la « speculative fiction » américaine un imaginaire futuriste chinois tranchant avec la représentation techno-orientaliste. Xueting Christine Ni, traductrice et éditrice de science-fiction chinoise en langue anglaise, affirme ainsi qu’elle souhaite participer à faire entendre les voix d’une nouvelle génération d’auteurs chinois qui « commencent à orienter leur propre tradition de SF dans la direction qu’ils souhaitent, loin des perspectives futuristes orientalistes5 ».

  • 6 De la même façon qu’il faut faire la différence entre afro-futurisme et futurisme africain (african (...)

20Cette recherche militante (post-orientaliste ?) d’une façon proprement chinoise de produire un discours fictionnel sur le futur rappelle en bien des points le courant afrofuturiste, à la fois dans ses objectifs et dans son modus operandi. Porté par des personnalités artistiques souvent issues des communautés diasporiques américaines, l’afrofuturisme fait émerger pour reprendre les mots d’Ingrid LaFleur, « des futurs possibles à travers une perspective culturelle noire (black cultural lens) » (cité dans Womack 2013)6. La démarche des écrivains évoqués par Xueting Christine Ni relève d’une approche postcoloniale similaire. Elle n’interroge pas tant « l’après » de la colonisation, que ses permanences et ses mutations, dont le techno-orientalisme (variante de l’orientalisme originel) serait une illustration probante. Et face à cette représentation coloniale, il s’agit d’opposer un contre-imaginaire indigène. L’artiste et anthropologue culturel Masanori Oda observe dans un essai sur ce qu’il appelle « le moment post-orientaliste actuel » (2022) que les productions culturelles asiatiques (comme les animes, les mangas ou les jeux vidéo) doivent être pensées comme une « zone de contact », qu’elles sont le lieu d’où émergent désormais les visions hybrides d’un futur d’inspiration asiatique.

Troisième nuance : sino-futurisme et futurisme d’État

21Un même effort, bien que poursuivant un agenda politique bien différent, est entrepris depuis au moins une dizaine d’années par un autre acteur fondamental d’une projection futuriste authentiquement « locale » : le Parti communiste chinois.

22Depuis 2012 et l’accession de Xi Jinping au sommet de l’État chinois, les discours sur le « futur » ont pris une centralité inédite depuis le début des années maoïstes. L’illustration la plus évidente de cette tendance est sans doute l’omniprésence de la rhétorique du « rêve chinois » (中国梦) qui s’affiche dans toutes les sphères de la vie publique et diplomatique chinoises actuelles, depuis son usage par Xi Jinping au lendemain de son arrivée au pouvoir. Pendant du rêve américain, le rêve chinois prendrait la forme d’une « grande renaissance de la nation chinoise » (中华民族伟大复兴) : en d’autres termes, d’un futur qui s’inscrirait dans une forme de réconciliation (ou de continuité) d’un héritage antique fantasmé, nourri par le recours la plupart du temps artificiel, par Xi Jinping et par l’appareil discursif d’État, aux grands sages de l’Antiquité. En cela, ce sino-futurisme officiel diffère fondamentalement du futur imaginé tant à l’époque de la Chine républicaine (années 1920‑1930) qu’à l’époque des années maoïstes (1940‑1970), où le futur désirable officiel était envisagé dans une rupture radicale avec les pratiques féodales et impérialistes de la Chine prémoderne.

23La rhétorique officielle autour du « rêve chinois » ne se destine d’ailleurs pas seulement à sa propre population, mais nourrit largement la politique extérieure de la République Populaire de Chine : au-delà de l’usage récurrent de la notion d’un « rêve » partagé par l’humanité en tant que « communauté de destins » (命运共同体), il n’est pas rare que le président Xi ou les acteurs de la diplomatie chinoise fassent la promotion d’une « solution chinoise » (中国方案). Utilisée pour la première fois en public par Xi Jinping lors du 95e anniversaire de la fondation du PCC en juillet 2017, cette notion est régulièrement reprise lors de grandes rencontres mondiales autour de la crise environnementale ou de la sécurité globale. Elle suggère l’existence d’une voie proprement chinoise permettant de mener vers un futur souhaitable, voie qui ne se destinerait pas exclusivement à la RPC, mais à toute nation acceptant de confier à cette dernière l’architecture de son avenir politique. Prenant l’exemple de l’usage de cette expression dans le domaine de la lutte contre le changement climatique, Jean-Paul Maréchal rappelle ainsi que « [cette expression] en dit long sur la détermination de l’empire du Milieu à exercer son leadership sur les affaires du monde » (Maréchal 2018 : 74).

  • 7 François Godement, « Xi Jinping, le totalitaire pragmatique », Institut Montaigne, 13 janvier 2022. (...)
  • 8 Li Yongjie, « Academics Explore sci-fi’s Soft Power Potential », Chinese Social Sciences Today, 20  (...)

24Par-delà des discours d’intention, l’ambition « futuriste » de l’État chinois prend une forme très concrète : investissements massifs dans les domaines des énergies renouvelables, de l’intelligence artificielle ou encore du spatial, mais elle entreprend de s’inscrire aussi dans une dynamique discursive et culturelle. Comme l’indique François Godement, « la Chine de Xi exalte l’innovation technologique et veut façonner la société avec celle-ci. Après des décennies d’admiration des prouesses occidentales dans ce domaine, la société chinoise adopte ses propres mythes, comme en témoigne la popularité du romancier [de science-fiction] Liu Cixin, devenu sur le tard un apologue de Xi7 ». Si cette dernière affirmation serait sans doute à nuancer, un épisode intéressant relatif à l’écrivain Liu Cixin (刘慈欣) marque en effet le début d’un intérêt des idéologues du régime pour le genre science-fictionnel. Le 14 septembre 2015 – soit quelques jours après la remise à Liu Cixin du prix Hugo de science-fiction pour la traduction anglaise du premier tome de sa trilogie du Problème à trois corps, une épopée commençant avec la Révolution culturelle en Mongolie-Intérieure et qui s’achève avec la fin de l’Univers physique (Gaffric 2017) – Li Yuanchao, alors vice-président de la République Populaire de Chine, rencontrait à Pékin une délégation d’écrivains de science-fiction, parmi lesquels Liu Cixin lui-même. À l’occasion de cette visite, le vice-président Li appelait les écrivains chinois de science-fiction à « alimenter leur foi et celle des jeunes Chinois dans la réalisation du rêve chinois » (Gaffric 2017). Quelques mois plus tard, dans un discours prononcé lors d’un congrès de l’Association de Science et de Technologie, le même Li Yuanchao proclamait que les « écrivains de science-fiction et d’ouvrages de vulgarisation scientifique doivent assumer la mission primordiale de leur temps : élever le niveau d’instruction scientifique des citoyens et participer à l’édification d’un pays scientifiquement et technologiquement puissant » (Gaffric 2017). Cet appel et ce soutien, régulièrement renouvelés depuis (à travers la subvention publique de festivals, d’expositions, de fondations dédiées, de traductions ou encore d’adaptations cinématographiques d’œuvres de science-fiction), témoignent d’une ambition étatique consistant à se servir du potentiel culturel et économique de la science-fiction dans une logique de soft power, comme le recommandait un rapport dressé par le site internet Chinese Social Sciences Today en 20158.

  • 9 Guojia dianying ju 国家电影局 (Administration chinoise du cinéma) & Zhongguo kexie 中国科协 (Association des (...)

25Dans un pays comme la République Populaire de Chine où la planification culturelle est extrêmement centralisée, la science-fiction est néanmoins désormais contrainte de rentrer dans le moule de la rhétorique officielle sur le « rêve » chinois (Riemenschnitter, Imbach & Jaguscik 2023). En 2020, la toute-puissante Administration chinoise du cinéma (国家电影局) cosignait avec l’Association des écrivains de science-fiction (中国科协) des « directives pour la production de films de science-fiction ». Parmi les recommandations des deux institutions, le cinéma de science-fiction est ainsi appelé à « étudier avec profondeur et à mettre en œuvre la pensée de Xi Jinping sur le socialisme aux caractéristiques chinoises de la nouvelle ère » ainsi qu’à « insister sur les racines et les valeurs culturelles chinoises, et à transmettre une esthétique chinoise enracinée dans l’innovation et la créativité chinoises contemporaines9 ». Si la science-fiction est ainsi invitée à participer à la concrétisation artistique d’un sino-futurisme, puisant autant dans le passé antique chinois que dans sa contemporanéité technologique, elle a surtout vocation dans cette perspective à promouvoir la vision officielle du « rêve chinois ».

Quatrième nuance : un sino-futurisme sans la Chine ?

26Dernière nuance ébauchée dans le cadre de cette étude : un sino-futurisme en langue chinoise d’où la Chine serait non pas fantasmée, mais tout simplement absente.

27Dans le sillage des travaux de la chercheuse Shih Shu-Mei sur la notion de diaspora (Shih 2010), les études dites « sinophones » (Sinophone Studies) font remonter à partir des années 2010 toutes les productions culturelles marginales en langue chinoise, et dénoncent le colonialisme interne de la Chine (colonialisme continental et colonialisme de peuplement) et des communautés sinophones, partout où les immigrants de Chine se sont installés. Comme l’énonce leur profession de foi, les études sinophones visent « à perturber la chaîne d’équivalence établie, depuis l’avènement des États-nations, entre la langue, la culture, l’ethnicité et la nationalité, et explorent les marges protéiformes et kaléidoscopiques de la Chine » (Shih 2011 : 710‑711). Rejetant la centralité de la Chine dans la littérature ou encore le cinéma en langue chinoise, leur approche critique et militante s’inscrit dans le sillage des études postcoloniales. En opposant – de façon peut-être un peu caricaturale – la Chine aux autres lieux de production en langue chinoise (Taïwan, Hong Kong, Malaisie, Singapour, communautés diasporiques d’Amérique, d’Europe ou d’Asie), elles ne se reconnaissent donc ni dans le sino-futurisme du PCC, ni dans le techno-orientalisme occidental, ni même d’ailleurs dans la promotion d’un sino-futurisme alternatif tel qu’évoqué par Xueting Christine Ni. Celles-ci situent leur « sino-futur » dans un en-dehors excluant la Chine. Dans cette perspective, le « sino » apparaît moins comme un référent culturel que comme le résultat d’un éclatement archipélique.

  • 10 Deng Yuwen, « Why China will wait until 2030 to take back Taiwan – unless the island forces Xi Jinp (...)

28Au centre de cet archipel sinophone : Taïwan, où nombre d’œuvres contemporaines de science-fiction font la part belle à un futur dystopique où la Chine aurait colonisé ou envahi l’île et soumis sa population au bon vouloir de ses dirigeants. Dans 2069 de l’écrivain taïwanais Kao Yi-feng 高翊峰(2019), des tremblements de terre de grande magnitude ont provoqué des fissures sismiques lourdes de conséquences sur l’île d’Itopie : des catastrophes nucléaires liées aux défaillances des centrales ont conduit la communauté internationale à isoler l’île et à la mettre sous tutelle de quatre nations voisines pour une période de cinquante ans, à l’issue de laquelle elle pourrait théoriquement retrouver son autonomie. Ce roman fait bien sûr écho à la situation géopolitique actuelle : bien que jamais nommée ainsi, l’île d’Itopie rappelle inévitablement Taïwan et son isolement diplomatique, et l’influence permanente sur elle des grands pays voisins (des quatre nations imaginaires décrites par Kao Yi-feng, on devine sans peine le Japon, les États-Unis, la Corée du Sud et naturellement la Chine). Comme les Taïwanais, les Itopiens s’avèrent incapables de s’autodéterminer, à l’image de cyborgs – hybrides par excellence de la technologie et de l’organique. Pourtant, sous ses atours de dystopie chinoise, l’auteur laisse de façon subtile croire à une alliance rebelle possible entre les cyborgs itopiens et le mystérieux docteur HK – qui rappelle de façon transparente Hong Kong et sa mise sous tutelle chinoise. Aussi, le sino-futurisme de Kao Yi-feng s’exprime dans son roman à la fois sous la forme d’une critique d’une narration chinoise officielle faisant de l’annexion de l’île de Taïwan un aboutissement naturel dans le futur10, mais aussi en esquissant la possibilité (la nécessité ?) de composer un futur sinophone sans la Chine.

 

29Des quatre formes, souvent contradictoires et en opposition parfois frontale, prises par le discours sino-futuriste esquissées ci-dessous, on retiendra une constante : l’une des armes privilégiées de cette lutte pour la primauté d’imaginer et de narrer le futur est la science-fiction. L’écrivain Zheng Wenguang (郑文光), auteur majeur de la science-fiction de l’époque maoïste définissait ainsi la science-fiction : « La science-fiction est une forme littéraire décrivant comment, dans le futur, l’humanité lutte contre la nature » (Zheng 1958 : 159). Cette définition qui prêterait aujourd’hui à sourire tant elle s’inscrit dans une conception maoïste de la nature – perçue comme un obstacle contre-révolutionnaire dressé devant l’avancée des masses laborieuses, annonce pourtant bien la puissance rhétorique et performative du genre. La science-fiction, comme elle l’était dès la fin du xxe siècle en Chine (Aloisio 2020 ; Gaffric 2017), est appelée en renfort d’un combat à mener dans le présent pour l’avènement d’un futur désirable et l’accomplissement d’un rêve supposé collectif. Gary Zhexi Zhang affirme que « le sino-futurisme n’est pas tant un projet utopique qu’une opportunité géopolitique » (Zhang 2017) : en embrassant la centralité des marges de « l’empire ». En cela, les études sinophones et le roman de Kao Yi-feng illustrent bien le combat qui s’observe aujourd’hui pour l’imagination du futur, entre une science-fiction d’État et la nécessité de provincialiser le sino-futurisme, tout en évitant de reproduire, encore, le schème orientaliste qui consiste à dénier aux peuples concernés la possibilité de penser leurs propres avenirs.

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Bibliographie

ALOISIO LOÏC, 2020.
« Les Mémoires hérétiques : Han Song face à la politique mémorielle chinoise ou la science-fiction comme littérature de témoignage », thèse en littérature chinoise sous la direction de Pierre Kaser, Université Aix-Marseille.

DE SETA GABRIELE, 2020.
« Sinofuturism as Inverse Orientalism: China’s Future and the Denial of Coevalness », SFRA Review, vol. 50, no 2‑3. En ligne : https://sfrareview.org/2020/09/04/50‑2-a5deseta/

FABIAN JOHANNES, 2006.
Le temps et les autres : comment l’anthropologie construit son objet (traduit de l’anglais par Estelle Henry- Bossonney et Bernard Müller), Toulouse, Anacharsis.

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Notes

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2 Jeffrey Wasserstrom, « The Future is a Different Country: On William Gibson », Los Angeles Review of Books, 5 mai 2012. En ligne : https://lareviewofbooks.org/article/the-future-is-a-different-country-on-william-gibson/

3 Lawrence Lek, « Sinofuturism (1839–2046 AD) », Center for Art and Media Karlsruhe, 2016, 60 min. En ligne : https://zkm.de/en/sinofuturism-18392046-ad

4 Gary Zhexi Zhang, « Where Next? Imagining the Dawn of the “Chinese century”. Whether or not the 21st Century Turns out to be China’s, a new set of Global Conditions is Emerging », Frieze, 22 avril 2017. En ligne : https://www.frieze.com/article/where-next

5 Xueting Christine Ni, « Interview: Xueting Christine Ni on Chinese SF », One More, 4 novembre 2021. En ligne : https://onemore.org/2021/11/04/xueting-christine-n/

6 De la même façon qu’il faut faire la différence entre afro-futurisme et futurisme africain (african futurism), on peut distinguer un sino-futurisme porté par des auteurs nés en vivant en Chine et un sino-futurisme promu par des auteurs sino-descendants vivant aux États-Unis.

7 François Godement, « Xi Jinping, le totalitaire pragmatique », Institut Montaigne, 13 janvier 2022. En ligne : https://www.institutmontaigne.org/expressions/xi-jinping-le-totalitaire-pragmatique

8 Li Yongjie, « Academics Explore sci-fi’s Soft Power Potential », Chinese Social Sciences Today, 20 avril 2015. En ligne : http://www.csstoday.com/Item/1968.aspx

9 Guojia dianying ju 国家电影局 (Administration chinoise du cinéma) & Zhongguo kexie 中国科协 (Association des écrivains de science-fiction), « Guanyu cujin kehuan dianying fazhan de ruogan yijian » 关于促进科幻电影发展的若干意见 (Recommendations sur la promotion et le développement des films de science-fiction), 2020. En ligne : https://www.chinafilm.gov.cn/chinafilm/contents/141/2533.shtml.

10 Deng Yuwen, « Why China will wait until 2030 to take back Taiwan – unless the island forces Xi Jinping’s hand », South China Morning Post, 26 novembre 2018. En ligne : https://www.scmp.com/comment/insight-opinion/united-states/article/2174705/why-china-will-wait-until-2030-take-back

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Pour citer cet article

Référence papier

Gwennaël Gaffric, « Quatre nuances de sino-futurisme »Terrain, 79 | 2023, 112-123.

Référence électronique

Gwennaël Gaffric, « Quatre nuances de sino-futurisme »Terrain [En ligne], 79 | 2023, mis en ligne le 06 novembre 2023, consulté le 29 novembre 2023. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/26219 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terrain.26219

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Auteur

Gwennaël Gaffric

Université Jean Moulin Lyon 3

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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