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Introduction

Le vertige futurologique

Futurological vertigo
Emmanuel Grimaud et Julien Wacquez
p. 2-25
Traduction(s) :
Futurological vertigo [en]

Résumés

Après une reprise critique de l’histoire de la futurologie comme discipline, ce texte propose plusieurs pistes de recherche pour aborder l’activité spéculative en général et le travail d’anticipation des futurologues en particulier. Il en appelle à la constitution d’une science des vertiges ou vertigologie, et examine les manières les plus courantes de se projeter dans un futur vertigineux, de la fin de l’humanité jusqu’au changement d’échelle.

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Texte intégral

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Crédits : Chloé Tsoungui, 2023 - HEAR

« Saviez-vous que le nombre de futurologues croît à la même vitesse que l’humanité tout entière ? », Stanislas Lem, Le congrès de futurologie, 1971.

  • 1 Ossip Kurt Flechtheim, « Teaching the Future », Journal for Higher Education, vol. 16, 1945, p. 460 (...)

1Le futur inspire aujourd’hui bien plus d’inquiétudes, de peur et d’étrangeté que les franges du monde civilisé. Dans « L’humanité, c’est quoi ? », un entretien donné à Madeleine Chapsal pour l’Express le 20 octobre 1960, Claude Lévi-Strauss ne cachait pas sa perplexité face à ce que l’on pourrait appeler un changement de régime de l’inconnu : passage d’un régime où l’altérité est avant tout géographiquement localisée vers un autre où le maximum d’altérité est devant nous, dans notre futur, sous l’effet d’une « exotisation [qui] pousse du dedans » (Viveiros de Castro 2008). Un séisme pour les humanités comparable à l’avènement de la relativité en physique, puisqu’il touchait à la nature même d’un espace-temps que Lévi-Strauss pressentait en pleine mutation. Plus d’un demi-siècle plus tard, le phénomène pointé par Lévi-Strauss n’a fait que se renforcer et l’impression que le monde de demain sera carrément exotique par rapport à ce que nous connaissons s’est décuplée, voire généralisée. Quand toutes sortes d’inconnues surgissent sous des formes inattendues, le seul moyen de conjurer l’incertitude est de s’atteler à une science des vertiges. On aurait pu croire que l’anthropologie s’en charge, elle qui s’était plu à faire jusqu’ici l’inventaire des possibles, mais force est de constater qu’elle s’est fait devancer dans la course au dépaysement par la futurologie. Les plus grands des vertiges ne sont pas passés ou présents, ils sont devant nous. Lorsque le politologue allemand Ossip K. Flechtheim propose, au milieu des années 19401, le terme de « futurologie », il s’agit de constituer une véritable science du futur, capable de diagnostiquer les tendances, de faire l’inventaire des futurs possibles et d’anticiper tout ce qui pourrait bien arriver d’autre.

  • 2 Alvin Toffler, Future Shock, New York, Random House, 1970.
  • 3 William Fielding Ogburn, Social Change with Respect to Culture and Original Nature, New York, B. W. (...)

2Compilant le travail mené au cours des décennies précédentes par lui et ses collègues futurologues, Alvin Toffler publie en 1970, son livre resté le plus célèbre, Future Shock2. Il reconnaît tout ce qu’il doit à Flechtheim et s’inspire de la notion de cultural lag du sociologue William Fielding Ogburn3. Le choc du futur est défini par Toffler comme un mal de l’ère, une maladie mentale, une réponse psychologique à la reconnaissance d’une vérité dérangeante : le futur (synonyme de changement, d’inconnu, de l’avènement du radicalement autre) est déjà parmi nous, en nous-mêmes. Il nous arrive d’un dehors, à un rythme toujours plus effréné, tout en étant le résultat inattendu, insoupçonné et indiscernable de nos propres actions. En fait, nous l’abritons, comme l’exotisation qui pousse du dedans. À cause de ce mouvement irrépressible, cette arrivée frénétique et incessante du futur, les faits historiques eux-mêmes deviennent « périssables » (Toffler affirmait que son livre était déjà obsolète au moment même où il serait publié ; le présent ayant déjà eu le temps de se transformer à l’approche du futur). Dans un tel contexte, être de son temps ne va pas de soi.

3Les experts de ce qu’il est convenu d’appeler « futur » sont donc spécialisés dans la prise en charge de l’inconnu. Ils se disent futurologues (ou futuristes, futures researchers, prospectivistes). Ils peuvent être ingénieurs, scientifiques, administrateurs, mais aussi, et de plus en plus, designers spéculatifs ou écrivains de science-fiction. Leur travail comporte une part de paradoxe, dans la mesure où ces personnes d’horizons variés ne se donnent pas seulement pour tâche aujourd’hui de prédire, de se préparer à des chocs au sens de Toffler, d’extrapoler à partir d’une foule de paramètres, de courbes et d’indicateurs. Ils produisent des feuilles de route, préparent à toutes les éventualités ou encore font entrer dans le domaine de l’appréhendable des possibilités qu’on n’aurait jamais imaginées. Ces professionnels du décentrement font paradoxalement – du fait même qu’ils cherchent à se situer depuis un temps non encore advenu – surgir de nouvelles formes d’inconnues et d’inattendues, mettant en quelque sorte l’impensable et l’improbable au carré.

4On peut toujours accuser ceux pour qui l’innovation est une drogue ou qui n’imaginent pas d’autre rapport au monde qu’en le transformant radicalement et, si possible, par des technologies de rupture, d’avoir coopté l’ensemble des futurs possibles, érigé la futurologie en nouvelle théologie et mis la science-fiction en position démiurgique. Une critique des mauvais rêves d’émancipation s’impose. Les historiens et les anthropologues le savent bien, il suffit de laisser passer quelques mois ou quelques années et les limites à l’exercice spéculatif, situé à une époque donnée, finissent toujours par se révéler, même lorsqu’on redouble d’imagination pour concevoir l’inimaginable.

5Examinons par exemple l’un des tout premiers dossiers de la revue The futurist. La publication de The World Future Society fondée par le célèbre futurologue américain Edward Cornish en février 1967, était intitulée : « Is Man’s Industry Upsetting World Weather ? » Le climatologue Murray Mitchell Jr, constatait que l’industrie humaine produisait tellement de poussière et de fumée qu’elle bloquait les rayons du soleil. Il en avait déduit qu’à terme, les hivers seraient de plus en plus rugueux et que la terre entrerait dans une phase de refroidissement. Dans le numéro de juin 1971, le médecin et colonel Wayne O. Evans, directeur du Military Stress Laboratory de l’Armée américaine, prévoyait la possibilité d’atteindre le bonheur généralisé, mais uniquement grâce à la distribution à grande échelle de nouvelles drogues « that will make man feel happy, cause him to forget his past, arouse his sexual desires, and give him dreams ». Au tournant des années 2000, The World Future Society énumérait les futurs en voie de disparition : les forêts, les espèces et les langues étaient presque toutes vouées à s’éteindre d’ici à 2030 (elles pourraient néanmoins être sauvegardées dans la mémoire mondiale du web). Disparaîtraient également le fondamentalisme religieux, la violence, le machisme, le diagnostic médical opéré par des humains, sans oublier la fin du papier, de l’anonymat, de la réflexion, des files d’attente, du hardware, de l’intimité et des données personnelles, des accidents de la route, des différences de genre, du service humain à la personne, du plastique, du calme dans les lieux publics, du sexe charnel au profit du sexe augmenté, de la honte et du sauvage. Parmi les auteurs de ce tableau démesuré, compilant toutes les fins dont certaines sont malheureusement advenues et d’autres non, on comptait des professeurs, des futurologues d’entreprise, des « resource planners » et autres membres de l’intelligentsia futuriste américaine.

6Après la pandémie de Covid-19, la World Future Society se fixa un but jugé bien plus raisonnable : « aider à développer et à cocréer une civilisation de type 1 ». Par-là, elle se réfèrait à une échelle des civilisations (valable pour les humains comme les extraterrestres) initialement conçue par l’astronome russe Nikolaï Kardashev en 1964, reprise et affinée par Carl Sagan en 1973, classant les civilisations en fonction de leur niveau technologique et de leur capacité à consommer l’énergie disponible dans leur environnement. Cette échelle distingue les civilisations de type 1, usant de toute l’énergie disponible sur leur planète d’origine (la Terre disposerait théoriquement de 1,74 x 1017 Watts), des civilisations de type 2, captant et exploitant la totalité de la puissance émise par leur étoile, jusqu’aux civilisations de type 3, maîtrisant l’ensemble de leur galaxie (soit 4 x 1037 Watts pour la Voie lactée selon les estimations de Kardashev). S’assurer que notre espèce passera le premier stade de l’évolution sur l’échelle de Kardashev, tel était donc le souhait formulé par cette société de futurologues.

7Fort heureusement la futurologie ne produit pas toujours des feuilles de route aussi extravagantes. Est-il possible d’imaginer le temps autrement ? Pas seulement d’autres futurs (individuels et collectifs), mais autre chose que des fins ou des débuts ? Ruptures ou statu quo ? Progrès ou régressions ? Dépassements, remplacements, inversions ou renversements ? Même lorsque tous les indicateurs sont au rouge comme cela semble être le cas aujourd’hui pour beaucoup d’experts, on n’aura jamais fini d’épuiser tous les scénarios catastrophes, de faire le tour de toutes les possibilités. Spéculons jusqu’au bout. Y compris sur notre propre disparition. Et s’il existait d’autres formes de raisonnement « orientées futur », des formes complexes d’extrapolation, plus à même de relever les défis auxquels nous sommes confrontés, mais encore trop invisibles ou dispersées pour subvertir la futurologie dominante ?

L’histoire des futurs et l’éternelle refondation des « future studies »

  • 4 Citons parmi ces travaux : Norbert Elias (1996 [1984]), Alfred Gell (1992), Reinhart Koselleck (201 (...)
  • 5 H. G. Wells « Wanted! Professors of Foresight », diffusé par la BBC le 19 novembre 1932 et republié (...)

8Les sciences humaines ne se sont engagées que de façon marginale sur le terrain du futur. Lorsqu’elles se risquent à le faire, c’est sous l’angle des « imaginaires sociotechniques » (Jasanoff & Sang-Hyun 2015), des « représentations » (Beckert & Suckert 2021) des « prophétismes » et de plus en plus sous l’angle des façons d’anticiper l’avenir (Tavory & Eliasoph 2013), des techniques d’aide à la décision (Aligica 2009 , Zeitlyn 2012, Dotson, Cook & Zhao Lu 2021). Si elles ont produit un corpus d’œuvres relativement conséquent sur la diversité des expériences du temps4, peu se sont vraiment penchés sur la futurologie en tant que telle, sur les approches du futur qui se présentent comme expertes, les personnes qui y consacrent leur carrière voire leur vie entière, les techniques de prédiction et de spéculation, leurs manières d’ouvrir ou de refermer les possibles. À tel point que les sociologues de l’université de Cardiff Barbara Adam et Chris Groves réitéraient en 2007 dans Future Matters, le fameux appel de l’écrivain de science-fiction H. G. Wells diffusé par la BBC en 1932 Wanted ! Professor of Foresight5, dans un encadré titré Wanted : 21st Century Experts on the Future, comme s’il ne s’était rien passé depuis près d’un siècle. La création en 2014 à Tallinn d’un Future Anthropologies Network par la European Association of Social Anthropologists se traduit par un « manifeste » constatant que l’anthropologie n’arrive que trop tardivement sur la « scène des recherches sur le futur » (Salazar, et al. 2017). Il a fallu attendre les années 2010 pour voir paraître les premières enquêtes sur les techniques d’anticipation de la production agricole et de la météorologie à la fin du xixe siècle (Pietruska 2017), la spéculation financière suite à la crise économique de 1929 (Friedman 2014), les visionnaires américains dans les années 1970‑1980 (McCray 2013) et, finalement, le travail des futurologues de part et d’autre du rideau de fer pendant la guerre froide (Andersson 2018).

  • 6 Dès les années 1960, Wendell Bell pense le futur non seulement comme un objet d’enquête, mais comme (...)
  • 7 En 2008, l’Association of Professional Futurists a désigné ces deux volumes comme étant l’une des d (...)
  • 8 Wendell Bell a toutefois continué à publier des articles et des chapitres d’ouvrages collectifs, ai (...)

9À la toute fin du xxe siècle, le professeur Wendell Bell, après une carrière en tant que chairman du département de sociologie à l’université de Yale (et une vie académique entièrement consacrée à l’étude du futur6), s’engage dans la rédaction d’un manuel en deux volumes, The Foundations of Future Studies, presque immédiatement considéré comme un classique du genre (Bell 1997)7. L’enjeu de cet ultime ouvrage académique8 est de revenir sur l’histoire des études du futur, d’en identifier quelques grandes figures, les concepts et les méthodes qu’elles ont développés et, par-là, de proposer un outil pédagogique inédit afin de mieux les enseigner à l’université. Mais il s’agit également de mieux les instituer. Le premier objectif que Bell assigne à son ouvrage est de « montrer que les études sur le futur existent », qu’elles ont déjà fait « d’importantes contributions pour la connaissance de la société moderne », qu’elles ont déjà produit « une pensée cohérente et des résultats empiriques » et qu’elles peuvent être « prises au sérieux » (Bell 1997 : xxix).

10Au cours d’un premier chapitre d’une soixantaine de pages intitulé « Future Studies : A New Field of Inquiry », Bell retrace l’histoire des « pionniers » (depuis H. G. Wells jusqu’à ses propres contemporains, tels que Arthur C. Clarke, Harold Lasswell ou Edward Cornish) et insiste sur le fait qu’à partir de la seconde moitié du xxe siècle, des cours de future studies sont enseignés dans les lycées et les universités, des programmes et des départements entiers sont apparus ; le nombre de revues académiques spécialisées et de collections éditoriales qui leur sont dédiées a explosé ; les associations de chercheurs, mais aussi différents types d’organisations publiques et privées, think tanks, entreprises et cabinets de conseils, se sont multipliés. Il coche donc une à une toutes les cases qui permettent de montrer l’existence d’un véritable champ, d’un domaine d’expertise, à la fois académique, scientifique, économique et politique. Et cependant, tout au long de son livre, le sociologue se pose de nombreuses questions qui reviennent toujours à la même : « les futures studies existent-elles réellement ? » (p. 58).

11C’est peut-être là un signe distinctif des études du futur : malgré une histoire déjà relativement longue, l’existence d’un champ avec ses propres institutions, une littérature pléthorique avec ses œuvres classiques, ce n’est toujours pas suffisant. Elles ont du mal à devenir une science à part entière, si bien que la promesse d’un futur pour les études du futur, à laquelle semblent croire quelques « futuristes », pourrait très bien ne jamais s’accomplir. Obligé à perpétuellement se fonder et se refonder, le domaine émerge, mais il le fait continuellement depuis près d’un siècle, sans jamais parvenir, tout en y étant déjà parvenu, à s’établir en tant que profession ou comme discipline à l’université. Ainsi, le dernier livre en date des futurologues se présente, inévitablement, comme étant le premier et, dans cette histoire sans fin, tous les livres précédents deviennent des précurseurs – ou, pour reprendre le mot de Wendell Bell, ils deviennent les derniers d’une liste toujours plus longue de « pionniers ».

Futur, fais-moi rêver, fais-moi peur, fais-moi mal : en finir avec les mauvais rêves ?

12Ce dossier se propose de développer trois pistes de recherches sur la futurologie. Il ne l’approchera pas sur le registre de la vérité ou de la fausseté ; il ne s’agit pas d’adopter une posture d’autorité capable de distinguer le possible de l’impossible, d’identifier des génies qui auraient tout vu à l’avance ou des prophètes autoproclamés qui se seraient complètement fourvoyés. Cela fait bien longtemps que futurologues et écrivains de science-fiction définissent leur activité par ce renoncement initial : personne ne peut savoir à quoi le futur ressemblera. Et lorsqu’on leur dit que l’une de leurs prédictions est tombée juste, ceux-ci admettent volontiers que ce n’était que par accident. Mais alors, à quoi peuvent bien servir des experts du futur si eux-mêmes affirment ne pas être capables de déterminer ce qui (nous) arrive, n’avoir aucune prise sur le temps qui vient ? Que font-ils si ce n’est nous indiquer ce vers quoi nous tendons ?

Piste 1 : L’activité spéculative par elle-même

13Un bon point de départ serait de ne pas voir ici de contradiction. Tout un domaine des sciences humaines et sociales se consacre aujourd’hui aux « ignorance studies » (Abbott 2010, McGoey 2012, Barbier et al. 2021). C’est précisément la reconnaissance de notre incapacité à savoir de quoi demain sera fait qui est motrice pour ces pratiques. Ainsi, la première piste consiste à suspendre notre incrédulité et à prêter attention à l’activité spéculative elle-même ; entrepreneurs, scientifiques ou écrivains ; au cœur des institutions dominantes ou dans les marges de la société. Qu’est-ce qui constitue une bonne anticipation ? Quels sont les critères pertinents ? Doit-on se conformer à des normes de vraisemblance, à des probabilités et des marges d’erreur, ou bien a-t-on intérêt à imaginer les scénarios les plus extravagants, voire les plus choquants ? Et dans quel temps se projette-t-on ? S’agit-il d’un temps linéaire, cyclique ou multiple, qui progresse ou qui régresse, qui se perpétue ou se rompt, ralentit ou s’accélère, qui prend de l’avance ou du retard, qui se répète ou diverge, se dilate ou se contracte, s’inverse ou se renverse ?

Piste 2 : La prolifération des hypothèses folles

14La seconde piste consiste à prêter attention aux effets que les prédictions produisent sur nous : aux limites qu’elles nous amènent à tracer ou à franchir (entre le scientifique et le littéraire, le réel et le fictionnel, le possible et l’impossible), aux déplacements et aux décalages qu’elles provoquent, à la façon dont elles nous ébranlent, aux émotions et aux sensations qu’elles suscitent en nous – de l’émerveillement, de l’effroi, et du vertige.

15Dans La Volonté de croire (1897), Le philosophe William James faisait la distinction entre les hypothèses « mortes » et les hypothèses « vivantes ». Il avait oublié les hypothèses « folles ». Ce sont pourtant elles sur lesquelles il faut s’interroger. Elles pullulent, se banalisent, emportent la conviction et amassent parfois des milliards de dollars. Les hypothèses folles sont-elles le symptôme d’une modernité qui peine à se réinventer ou le signe d’un nouvel âge de la prédiction où elles sont le seul moyen d’augmenter ses chances de tomber juste ? La principale proposition de ce dossier est que la futurologie est un genre (ou un sous-genre) de la vertigologie, elle s’est peu à peu constituée, chez les modernes, comme étant la science des vertiges capable de leur fournir les raisons de croire aussi bien que de refuser ce qui leur arrive.

16Une bonne extrapolation, même lorsqu’elle prend simplement la forme d’une intuition du futur, est de l’ordre d’un acte pictural, tracé d’une ligne, geste de divination. Il se pourrait bien que l’homme s’efface « comme à la limite de la mer un visage de sable » écrivait Foucault en 1966. Il suffit d’une ligne pour tout relativiser d’un coup, palper notre éphémère condition, et aujourd’hui de quelques courbes bien choisies. Notre extinction aura été, si elle a lieu, largement chiffrable. On calcule les dépenses énergétiques des corps, des collectifs, l’empreinte carbone de nos plus petites habitudes, les tonnes de plastique que l’on produit par seconde et les grammes que l’on en ingère par semaine. On calcule le nombre d’heures qu’une population passe au volant et le temps cumulé passé par l’humanité tout entière à jouer à World of Warcraft (un total de 6 millions d’années – soit un temps beaucoup plus long de celui qui nous sépare de l’apparition du genre Australopithèque [McGonigal 2011]9). On traque les distances parcourues par la flotte mondiale de navires commerciaux ou de jet privés et les surfaces de forêts abattues ou brûlées (estimées à 350 millions d’hectares par an selon le planetoscope – soit six fois la France10). On observe et on renseigne la migration des populations humaines, animales, virales et végétales… Dans cette incroyable quantification de soi et du monde, même nos rêves les plus fous et nos peurs les plus souterraines en viennent à prendre la forme de mesures physiques, de tables statistiques et de courbes d’évolution. Le nombre d’agences gouvernementales, d’institutions internationales et de bureaux d’études dédiés au repérage des « signaux faibles » et à l’identification des « megatrends » ; le nombre de futurologues, de designers, de militants et d’écrivains de science-fiction imaginant des futurs « alternatifs » et autres mondes possibles n’a fait que croître depuis que Stanislas Lem a écrit la phrase que nous avons placée en exergue de ce texte. Mais le futur en est-il vraiment devenu plus prévisible pour autant ?

Piste 3 : Pour une bonne cure de désintoxication

17Devenu marché spéculatif, le futur se nourrit d’impossibilités, de vertiges à la carte, de toutes nos incapacités à voir plus loin ou mieux, mais aussi de vieux rêves recyclés. Est-on seulement capable d’imaginer autre chose que des chronologies et des généalogies, des récits d’origiines et de fin des temps, de se faire d’autres promesses que celles de lendemains utopiques, d’apocalypses totales ou d’effondrements partiels et, finalement, d’éternels recommencements ? Il s’agit là de notre troisième piste. Elle porte sur les limites et la plasticité de l’imagination spéculative. Quand on se glisse dans un comité d’éthique anticipant la voiture de demain par exemple (Camille Darche), ou bien chez des architectes cherchant à imaginer les maisons vivantes du futur (Juliette Salme), ou que l’on est un collectif détournant le concept de red team pour expérimenter des futurs alternatifs en inventant des jeux de rôle (H-Chronotopium), on peut se poser la question : quel décalage de perspective se placer depuis le futur produit-il au présent ? Tandis que certains futurs se déploient à grand renfort de mises en scène (Laure Assaf), les ateliers dits de « narration spéculative » pullulent, les adeptes du « design-fiction » mettent en circulation d’innombrables dispositifs pour débrider l’imagination, des jeux interactifs, des mises en situation avec supports et artefacts (Nicolas Nova). L’activité spéculative puise-t-elle dans les mêmes ressorts dans ces lieux variés, qu’il s’agisse de projets architecturaux, de think tanks ou de zones de libre spéculation ? Et comment expliquer ce mariage si singulier de la modernité tardive entre hypothèses folles et dispositifs de jeu ? Si tournant ludique il y a dans les pratiques d’anticipation, il faut voir quelles sensations on cherche à éprouver en se mettant « en situation de… » ou en faisant vraiment « comme si… ». Les contributeurs de ce dossier rendent compte de la diversité de ces techniques vertigo-logiques dans un domaine souvent considéré sous le seul angle du récit.

18Autre vertu de ce dossier : on y verra le « futur » se dissoudre comme entité monolithique et se diffracter en autant de jeux de miroir déformants quand on se décale de l’Amérique à la Russie, à l’Afrique, en passant par la Chine, les pays du Golfe ou l’Inde, les terrains où évoluent les auteurs. L’« astro-futurisme », dont les champions de l’économie mondiale que sont Jeff Bezos et Elon Musk (pour ne prendre que ces deux exemples) sont aujourd’hui les dignes représentants, est recontextualisé ici, aussi bien par Arnaud Saint-Martin que par Brad Tabas et Nikolas Schultz. C’est que la colonisation de la planète Mars et de l’ensemble du système solaire, le minage d’astéroïde ou encore la construction de mégastructures spatiales habitables ne sont pas leurs rêves. Ce sont des rêves vieux d’au moins un siècle et dont on retrouve les traces chez des écrivains de science-fiction, des scientifiques, des ingénieurs et intellectuels du tournant du xxe siècle. Bezos et Musk ne proposent rien d’inédit, mais cherchent à réaliser les rêves d’une science-fiction surannée, réactivant un imaginaire du passé, un futur usé, déjà rêvé par quelqu’un d’autre. Les rétrofuturs qui ne cessent de resurgir ne semblent jamais aussi actuels que lorsqu’ils deviennent autre chose que du récit, des expérimentations véritables, des montages financiers, des programmes d’industries lourdes, des courses géopolitiques à l’espace, à la technologie, à l’information et à l’armement.

19Loin de nous l’idée de fournir au lecteur à travers ce dossier l’image d’un futur plausible ou bien une vue du marché des futurs, à un instant T. Le numéro donne un aperçu de la façon dont on se dispute aujourd’hui le futur et sa spéculation. Certains motifs et scénarios apparaissent partagés, parfois subvertis, mais souvent empruntés tels quels, entre, par exemple, professionnels de la modélisation, scientifiques et amateurs, artistes, procapitalistes et « terrestres », mais aussi entre les versions américaines du futur et leurs alter ego décoloniaux (arabo-futurisme, afro-futurisme, sino-futurisme). Comment en définitive faire le tri dans ce contexte entre les rêves de pacotille et les vrais décentrements ? N’est-on pas inévitablement amené, dès lors qu’on se place du point de vue du futur, à se retrouver dans une galerie des Glaces reflétant les angoisses et les espoirs d’une époque ? Il faut faire une typologie des vertiges, petits et grands. Comme les postures de fin de monde se déclinent en de nombreuses variantes (Danowski & Viveiros de Castro 2014), les postures futurologiques mériteraient leur tableau périodique. Sans prétendre à une grammaire générative des futurs qui ne pourrait être que programmatique, ce dossier suggère un chemin, une alternative au cynisme comme à la résignation face aux futurs imposés ou programmés.

20Il s’agit d’abord de se demander si la futurologie ne peut pas être autre chose qu’une usine à produire des rêves qui se transforment en cauchemars ou des futurs d’une autre époque et ce qu’elle serait après une bonne cure de désintoxication. Peut-on trouver dans les futurologies d’ici et d’ailleurs ou chez ceux qui cherchent à la penser autrement des astuces permettant de conjurer la toxicité de certaines visions, d’autres manières de « raisonner au futur » ? Comment s’y prennent ceux qui cherchent à introduire dans notre présent du raisonnement vertigineux ? Comme le propose José Halloy, jonglant avec virtuosité entre des domaines d’expertise. Voilà qui suppose d’assembler une quantité astronomique de données, de naviguer entre des domaines du savoir, de la physique à la biologie en passant par l’économie. Une nouvelle course s’ensuit aux frontières des disciplines, afin d’en opérer la synthèse pour affronter l’improbable. Une quête encore plus essentielle face aux défis écologiques que nous rencontrons. À défis vertigineux, science vertigineuse. Une bonne futurologie est une vertigologie, mais tous les vertiges ne se valent pas.

Vertigologie ou la science des vertiges : un essai de typologie

Vertiges de type 1 : tirer la flèche du temps jusqu’au changement d’espèce

21Commençons par les vertiges aisés à imaginer, ils sont généralement basés sur des extrapolations d’une dimension du présent que l’on va pousser à leur extrême limite. C’est ainsi que l’historien Yuval Noah Harari dans son dernier best-seller (2015) imagine une société algorithmique mue par la « religion du dataïsme ». Il assume ensuite comme acquis et efficace à 100 % des choses qui ne le sont pas forcément à l’heure actuelle, comme la fécondation in vitro qu’il présente comme une preuve de notre « maîtrise de la création », ou encore le transfert d’un cerveau sur ordinateur. Les extrapolations se font souvent en faisceau. Si nous pensons en termes de décennies, nous dit-il, « le réchauffement climatique, l’inégalité croissante et les problèmes du marché de l’emploi […] » sont une priorité, mais si nous prenons vraiment du recul, ce qui doit nous effrayer est le « traitement algorithmique des données », associé au « découplement de l’intelligence et de la conscience » et au fait que « des algorithmes non conscients, mais fort intelligents pourraient bientôt nous connaître mieux que nous-mêmes » (p. 427). Cette hiérarchie des priorités n’est pas très différente de celles qui ont été imposées par les futurologues depuis les années cinquante et qui ont vu dans la technologie l’alpha et l’oméga de l’évolution, souvent découplée d’ailleurs de la question écologique conçue ici comme un problème « contingent ». Et pour bien nous faire comprendre que tout cela se joue ici et maintenant, le futurologue fait un grand bond en avant, simule notre disparition et utilise le futur antérieur : « Rétrospectivement, dit-il, l’humanité n’aura été qu’une ondulation dans le flux de données cosmique ».

22Les figures d’extrapolation les plus courantes comportent toujours, à leur extrême limite, une fin, mais cette fin peut cacher un « monde d’après », être un point de bascule, comporter une inversion de rapport de force (dominant/dominé), un renversement de valeur voire un changement d’espèce. Vertige à bascule. Leroi Gourhan s’était amusé à moquer la prédiction des anticipateurs de la fin du xixe siècle qui s’étaient inspiré du fœtus pour imaginer, vers la fin du xxe siècle, nos contemporains sous la forme d’« individus au cerveau énorme, à la face minuscule et au corps étriqué » (1964 :184). Cela ne l’empêcha pas de faire sa propre prédiction. L’humanité n’en a pas fini de s’extérioriser dans ses outils, nous dit-il et elle a atteint un moment critique où la technologie n’est plus un simple prolongement du corps, mais se développe pour elle-même. Contre l’optimisme technologique de Teilhard de Chardin, il imagine alors « une humanité anodonte [..] qui vivrait couchée en utilisant ce qui lui resterait de membres antérieurs pour appuyer sur des boutons. » Et il s’empresse d’ajouter : « Est-on en mesure d’affirmer qu’il s’agirait encore de l’homme ? » Dans 1000 ans, prévient-il, une fois que toutes ses fonctions cognitives auront été externalisées, mais aussi le flux de ses images intérieures, l’humanité ne pourra pas aller « plus loin », l’homme ne sera plus qu’un « fossile vivant », dépassé par son double artificiel qui finira bien par se débarrasser de son hôte biologique.

  • 11 Samuel Butler, « Darwin parmi les machines », The Press, 13 juin 1863, édité en français par Thierr (...)

23Leroi-Gourhan n’est pas le seul à pousser l’extrapolation jusqu’au changement d’espèce. La guerre interespèces (vivants contre cyber) est un vieux motif. L’humain n’est qu’un habitacle pour des machines qui se développent comme des parasites avec la complicité de leurs hôtes jusqu’au jour où elles n’auront plus besoin de lui, avertissait Samuel Butler en 1863. « L’homme sera devenu pour la machine ce que le cheval et le chien sont pour l’homme », un « aboutissement » qui n’est « qu’une question de temps et dont aucune personne douée d’un esprit sincèrement philosophique ne peut douter un seul instant que l’heure viendra [..]11 ». Les extrapolations ne sont jamais aussi efficaces que lorsqu’elles forment des mondes de possibilités imminentes qui n’en finissent pas d’arriver, de s’incarner, comme la prophétie de Butler, toujours en train d’advenir un siècle et demi plus tard. Si l’on constate un changement de monde, il est toujours déjà trop tard.

  • 12 Aîné J. H Rosny, La mort de la terre, Paris, Plon, 1912.

24Libération de virus inconnus, émergence de champignons du futur, ne sont-elles pas au fond des variantes sur le thème de la guerre interespèces où la fin d’une espèce est le début d’une autre, la mort de l’une l’occasion pour une autre de proliférer ? Les prophéties, les imaginaires apocalyptiques ou dystopiques comportent tous des seuils de rupture, de type inversion ou grand remplacement (Danowski & Viveiros de Castro 2014, Aubin Boltanski & Gauthier 2014, Carrey 2019), mais la futurologie des modernes invoque plus volontiers la théorie de l’évolution que des références religieuses, ce que nous savons de la disparition des civilisations, ou encore des projections savantes de l’âge de la Terre. Les extrapolations les plus intéressantes ne se contentent pas d’imaginer des fins, elles figurent des mondes derrière les fins, qui dépassent l’alternative de la chute ou de la rédemption. Adossées à des imaginaires évolutifs, elles guettent les signaux faibles de la libération d’espèces nouvelles. La fin de monde est toujours la fin du monde de quelqu’un et le début du monde d’un autre (celui des machines ou d’autres êtres qui vont proliférer dans les ruines de l’homme). Dans La mort de la Terre de Rosny Aîné12, le maître oublié du roman d’anticipation à la française avait eu l’audace d’imaginer une lente agonie, terrain d’une imperceptible renaissance : sur une terre desséchée, une couche minérale (les ferromagnétaux) se développe dans les ruines de la civilisation, jusqu’à envahir tel un champignon la peau du dernier homme, elle devient de plus en plus vivante.

Vertiges de type 2 : les devenirs non explorés ou tout ce que nous ne sommes pas encore ou que nous n’avons jamais été

  • 13 Olaf Stapledon, Les derniers et les premiers : une histoire du proche et lointain future (traduit d (...)

25Les vertiges classiques restent anthropocentrés. Il y a une limite à la propension de vertige atteignable par cette voie. Olaf Stapledon, par exemple, dans son roman13 pousse loin l’exercice, jusqu’à lui donner un tour baroque. Restant dans les limites spéculatives autorisées de l’humanisme du xxe, Stapledon imagine dix-huit formes d’humanité après la nôtre qui se succèdent, mais ne se ressemblent pas. Les devenirs non explorés sont donc poussés à l’extrême, et l’humain persiste à disparaître et réapparaître sous des formes à chaque fois totalement nouvelles. À chaque disparition, à chaque cataclysme, l’humanité repart de zéro, sur de nouvelles bases morphologiques, biologiques, écologiques et sociétales, qui n’ont rien à voir avec la précédente. La construction est majestueuse. L’espèce devient une expérimentation dans un univers lui-même conçu comme une création expérimentale sans auteur, la flèche du temps est désorientée, sans but, une suite de hasards qui n’a pas d’autre explication que la réalisation d’un potentiel infini de possibilités qui auraient pu prendre d’autres formes. Dans ce paradigme, le maximum de vertige est atteint par la prise de conscience de la relativité de l’espèce humaine comme forme éphémère, moment expérimental d’une « vie cosmique » qui n’a d’autre fin que l’accomplissement de sa propre exubérance.

  • 14 Voir Hernan Khan & Anthony J. Wiener, L’An 2000, la bible des 30 prochaines années (traduit de l’an (...)

26Stapledon est l’un de ceux à avoir poussé le plus loin l’anticipation comme prise de conscience de l’espèce comme variante éphémère, du devenir humain resitué dans une arborescence de trajectoires possibles. Cette conception d’un futur arborescent a d’ailleurs largement survécu dans la prospective américaine des années soixante, alors que d’autres conceptions de l’espace-temps teintées d’astrophysique gagnaient en popularité, autour du physicien et célèbre futurologue Herman Khan, employé d’abord par la RAND corporation avant d’inventer le concept de « think tank » et l’Hudson Institute. Sa méthode inspirée de théorie des jeux ne débouchait jamais sur un seul scénario, mais toujours plusieurs, elle visait d’une certaine façon à épuiser tous les scénarios possibles quitte à les enchaîner dans des listes incroyables de narrations alternatives14. Elle ne rompt pas avec la flèche du temps, toutes les bifurcations sont possibles en théorie seulement. Mais justement, n’est-ce pas cette conception-là de l’anticipation (comme art des possibles) et que R. John Williams appelle les world futures (2016) qui est en train d’être sérieusement repensée, à l’aune de la crise écologique que nous traversons ? On peut se demander dans quelle mesure les futurologues d’aujourd’hui ont vraiment changé de paradigme, entre flèche du temps et possibles multipliables à l’infini (Cornish 2004). Les vieux paradigmes perdurent, comme celui qui consiste à effectuer de grands sauts, à peupler le futur d’images et brasser tous les scénarios possibles et pas seulement dans le monde des planificateurs, acquis aux entreprises et au marché, mais aussi du côté des collectifs d’artistes, d’activistes qui, face aux futurs imposés, s’efforcent à raison de faire exister des espaces spéculatifs. La vie, disait Bergson, n’est pas une « armoire des possibles ».

  • 15 Voir sur ce point le dossier « Futurologie », Revue internationale des sciences sociales, vol.xxi, (...)
  • 16 Paul Valéry, Regards sur le monde actuel, Paris, Librairie Stock, 1931.
  • 17 Henri Bergson, Le possible et le réel, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2015 [1930].

27Williams retrace la rencontre improbable entre la futurologie américaine de la guerre froide, les théories du chaos et les conceptions orientales et néo-bouddhistes d’un temps ouvert, imprévisible, mais plein d’une infinité de possibilités. Il montre comment ce paradigme a essaimé bien au-delà de l’Amérique15 jusqu’aux cercles de prospectivistes français (Berger 1964) et la revue Futuribles (Jouvenel 1972). De l’Orient, on peut déplorer que ces visions n’aient retenu que l’idée que tout peut arriver dans toutes les combinaisons les plus aléatoires, pas vraiment la spéculation sur les types de karma et d’effets à long terme de nos actions (Kapani 1993). Ces conceptions de l’anticipation fondées sur un temps ouvert, infiniment désordonné, génèrent une inflation de scénarios qui, à peine produits, sont relégables au rang de rétrofuturs ou de « rétrotypes » (Bublex & During 215). Si « l’avenir, par définition, n’a point d’image16 », faut-il alors persister à lui en donner ? Bergson assimilait la perception du temps à un dispositif d’illusion (et même de distorsion) optique qu’il faut replacer à l’endroit, car l’intelligence humaine est faite « pour prendre les choses par l’autre bout ». Tandis que d’avant en arrière se poursuit un remodelage constant du passé par le présent, de la cause par l’effet, « le possible est l’effet combiné de la réalité une fois apparue et d’un dispositif qui la rejette en arrière17 ». C’est donc rarement en extrapolant des tendances existantes ou en multipliant les « et si.. » que l’on arrive au vertige maximal. Il y a d’autres moyens logiques de le produire (Rescher 2009). Parce que, comme le dit Cornish (2004), « nous vivons psychologiquement dans un monde du passé, le monde actuel est tout à fait différent de ce que nous pensons », des futurologues se sont donnés pour mission de nous faire changer de conception du temps et de redresser ainsi notre perception. Il n’est pas forcément besoin d’aller chercher très loin dans d’autres systèmes culturels, par exemple la langue aymara pour qui le futur est derrière, le passé devant ou encore les modèles de temps karmique pour qui les logiques du passé sont bien plus intéressantes à analyser que le futur. La physique et l’astrophysique regorgent d’expériences de pensée pour nous faire comprendre que le temps n’est pas ce que l’on croit. Une forme d’estrangisation de notre rapport au monde s’opère alors. Les meilleurs vertiges, ceux aux effets somatiques les plus forts, sont de cet ordre.

Vertiges du 3e type : Aspirés dans un trou noir ou le vertige cosmique

  • 18 Stephen Hawking, Une brève histoire du temps : du big bang aux trous noirs, Paris, Flammarion, 1989 (...)
  • 19 L’image est empruntée à Nigel Calder, The Key to the Universe, Londres, British Broadcasting, 1977.

28Quand ils cherchent à intégrer à tout prix les événements imprévisibles que l’on appelle les wild cards ou, avec un vernis plus moderne les cygnes noirs (Taleb 2008), les futurologues ne rompent pas avec l’idée d’« armoire des possibles ». Si l’on veut avoir une chance d’entrevoir d’autres conceptions de l’anticipation, vers où ou vers qui faut-il se tourner ? Les futurologies ordinaires tirent la flèche du temps de l’évolution, généralement jusqu’à l’entropie, mais ils la triturent aussi d’autres manières, en allant chercher dans la physique, voire même l’astrophysique, des sources d’inspiration. Ce n’est pas un hasard si beaucoup puisent dans des analogies cosmiques, vont chercher dans la vie intergalactique leurs modèles de référence, par exemple les trous noirs. Stephen Hawking18 imagine qu’un astronaute intrépide s’approchant à la surface d’une étoile en effondrement finirait étiré comme un spaghetti, soumis à un fort champ gravitationnel19. Si Hawking avait utilisé cette image de vertige cosmique pour décrire notre situation terrestre, il aurait fait acte de futurologie. Changement radical d’échelle, jusqu’au vertige métaphysique. C’est ainsi que Gaston Berger, l’un des promoteurs de la prospective à la française, a une intuition sur la modification même du temps. Pour lui, le temps non seulement s’accélère – le Bouddha Gautama faisait le même constat d’une amplification du désordre au vie av. J.-C. d’où la nécessité de pratiquer la méditation, bien avant Hartmut Rosa (2010) –, mais aussi s’inverse et l’homme au lieu de vieillir, rajeunit : à l’image classique d’une dégénérescence primordiale, « il faut substituer celle d’une “aspiration” constante qui accroît sans cesse – et de plus en plus vite – la complexité, l’organisation, “l’information” [..]. Si, au lieu d’être poussés, nous sommes attirés, il est naturel que notre mouvement aille sans cesse en s’accélérant. La raison de nos actes est en avant de nous : nous allons vers notre jeunesse. Prendre conscience de cette “inversion du temps” risque de produire un choc. Mais la réflexion doit utiliser la surprise au lieu d’en être déconcertée. » Berger dit plus loin sa dette vis-à-vis de Teilhard de Chardin pour imaginer cette figure. Comme lui, il est persuadé que « l’univers se concentre », qu’il « se ramasse autour d’un centre comme le font les nappes d’un cône. » « Cela veut dire que le monde tend vers un point précis, il a une fin », nous dit-il. Rien d’autre au fond que ce que Teilhard de Chardin appelait le point « Oméga », vers lequel convergerait l’évolution humaine. La prospective suppose alors, selon Berger, tout un travail d’abstraction, d’extirpation hors de nos modèles courants du temps :

« un travail assez analogue à celui que, dans le domaine de la représentation spatiale, effectuèrent les inventeurs de la perspective. [..] Il s’agit, maintenant comme alors, de parvenir à une vision nouvelle du monde, aussi nouvelle que l’est un paysage de Léonard par rapport aux tapisseries de Bayeux ou aux estampes chinoises : une vision en profondeur, qui, cette fois, ne sera plus dans l’espace, mais dans le temps. »

  • 20 Voir Williams (2016).

29S’enfoncer dans un trou noir pour se retrouver finalement dans un espace en perspective ? Voilà qui relève de la prouesse acrobatique. La flèche du temps retombe, s’inverse, tourne en spirale et voilà que surgissent d’autres images. Labyrinthes, plans à plusieurs dimensions, escaliers, cercles concentriques se sont imposés depuis bien longtemps pour figurer l’au-delà, un arrière-monde ou un autre monde. On les retrouve, empruntées, détournées, en futurologie. Les images fractales, les motifs et figures inspirés de théorie du chaos se sont largement imposées dans les cercles de la futurologie américaine des années 1950‑1960, mais aussi chez les designers et architectes futuristes comme Buckminster Fuller, largement documentés20. On trouve d’ailleurs parmi ces images, de nombreux diagrammes d’inspiration orientale et ésotérique (notamment les « ennéagrammes » de Gurdjieff repensés en arbres de possibles) qui continuent à persévérer aujourd’hui comme des outils de visualisation du futur. Cartes, cosmogrammes et autres mandalas qui visent à figurer le temps autant qu’à le conjurer ne cessent de se recycler et de circuler. La prospective est une affaire de figuration, d’images et de diagrammes. Elle contribue à perpétuer l’idée qu’il existe potentiellement des myriades de futurs possibles devant nous. Cornish, après plusieurs décennies passées à faire des modèles et des prédictions à la tête de la World Future Society, nous dit qu’il en est venu à reconnaître l’existence d’une figure de temps très particulière qui pourrait bien avoir pris le pas sur l’accélération. Il s’agit d’un temps erratique, imprévisible et doté d’autant de réactions en chaîne qu’un mécanisme à la Rube Goldberg, « discontinuous, nonlinear, or even quirky », « subject to the forces of chance and chaos. » Mais ce constat débouche sur une conception au final assez classique d’un futur ouvert, qui ne diffère pas de ses prédécesseurs des années soixante : « Our future is not singular; it is multitudinous. Myriad potential futures lie before us » (Cornish 2004).

  • 21 Sur l’effet Papillon, voir le fameux article du météorologue Edward Lorenz (1972).

30L’idée d’un imprévisible qui ne ferait que s’amplifier est ancienne. Paul Valéry qui observait dans Regards sur le monde actuel (1931) qu’« un choc qui nous atteint dans une direction imprévue nous donne brusquement une sensation nouvelle de l’existence de notre corps en tant qu’inconnu », se plaignait aussi que l’imprévu a changé de nature. « Je vous disais que l’imprévu lui-même était en voie de transformation et que l’imprévu moderne est presque illimité. L’imagination défaille devant lui », dit-il. Ce qui doit nous frapper, ce n’est pas que tout ce que dit Valéry en 1931 pourrait s’appliquer mot pour mot en 2023, autrement dit que le « désordre de résonances dans une enceinte fermée » qu’il a pointé, n’a jamais fini de se réaliser21. C’est que, quatre-vingts ans plus tard, nous n’avons bien souvent à opposer à l’imprévisible et à l’accroissement de l’entropie, qu’un retour à des rêves d’antan ou en guise de parade à la peur, qu’une frénésie de calculs.

Vertige de type 4 : Changement d’échelle et temps profond

31On ne s’étonnera pas dans ce contexte que d’autres voix s’élèvent, à l’instar de Nicolas Schultz ou encore du physicien José Halloy, pour se désintoxiquer d’une certaine futurologie et imposer d’autres formes de raisonnement proprement vertigineuses, capables de passer de l’échelle nanométrique à l’échelle planétaire. Parler du point de vue du futur aujourd’hui revient de plus en plus à parler des dimensions oubliées de notre présent, de tout ce qui peut à tout moment prendre une ampleur inhumaine ou surhumaine. Il faut changer de conception à la fois du temps, de l’espace et du présent. Asseyez-vous confortablement. Vous pensez, comme les astro-futuristes, qu’après avoir tiré tout ce que nous pouvions de cette planète-ci, nous pourrons tous nous réfugier sur Mars ? Vous savez maintenant que ce rêve n’est pas le vôtre, que la vie sur Mars n’a rien d’un rêve, c’est un cauchemar et qu’il faut revenir sur terre. Ceux qui s’y opposent le font au nom d’une autre conception du temps, invoquant les rythmes planétaires ou ce qu’on appelle « temps profond » (Irvine 2020, Chakrabarty 2021). Ramener de la profondeur de temps dans la vie des modernes n’est pas aisé, c’est comme si on demandait à des fourmis de gérer une montagne ou à des chats de moduler le trafic aérien, car tout a été fait dans leur quotidien pour invisibiliser les sources d’énergie, les câbles, les compositions des choses, l’hétérogénéité et la complexité des rythmes à grande échelle, et les maintenir dans l’ignorance des flux. Dans ce contexte où la bulle des modernes est entrain de se fissurer, les futurologies les plus intéressantes ne sont plus celles qui se contentent de jouer sur les caractéristiques morphologiques de l’être humain pour se projeter à des années lumières de distance. Elles manient autrement la longue durée et nous font voir tout le trajet effectué jusqu’à maintenant, nous dévoilent l’intrication des phénomènes, bref tout ce qui se joue à notre insu, dans les basses couches de la vie terrestre et de l’atmosphère, sans que nous en ayons eu la moindre idée. Les bonnes futurologies redimensionnalisent le présent.

32À l’échelle de l’homo sapiens, on peut s’interroger : l’oubli de notre éphémère condition justifie-t-il qu’on se soit pensé dans des temporalités aussi mal tournées, abstraites à ce point de l’évanescente condition qui est la nôtre, oublié les dimensions spatiales de notre propre complexité, inventé autant de systèmes à défier le temps, l’éternité, un futur réduit à sa dimension technologique ou encore un éternel présent dépourvu de tout cataclysme (Ghosh 2016) ? Maintenant que l’ordinaire cataclysmique est redevenu notre présent, une nouvelle espèce de visionnaires et de prophètes a fait son apparition pour nous aider à changer de perspective, re-spatialiser et re-dimensionner les dangers, à l’intérieur d’une futurologie dont l’art s’était volontiers réduit à imposer à tous des rêves qui n’en sont pas, des rêves qui tournent au « bad trip », ou bien des scénarios à N possibilités aussi efficaces que la drogue du colonel O Evans pour susciter une sensation d’infini.

  • 22 José Halloy, « L’épuisement des ressources minérales et la notion de matériaux critiques », La Revu (...)
  • 23 Voir par exemple Adrien Marck, et al., « Are we reaching the limits of Homo sapiens ? », Frontiers (...)
  • 24 Jean-François Lyotard, L’inhumain, Paris, Galilée, 1988.

33Est-il possible dans ce contexte de faire le tri entre les bons et les mauvais rêves, entre les possibles souhaitables et ceux qui ne le sont pas, quand ceux qui rêvent ne le savent pas et ceux qui vivent dans le rêve d’un autre ne savent pas faire autrement ? Une puissante cure de réveil suffit-elle pour se sortir de là ? Quand la futurologie aspire au contraire à la conquête d’une forme de lucidité, c’est au prix d’un vertige encore plus grand, comme le montre si bien José Halloy, plus spatial que temporel : il s’agit d’attraper des dimensions oubliées du présent, de manier les échelles avec virtuosité, de faire des allers et retours entre le plus lointain passé, le futur le plus extrapolé et le présent le plus profond22. Formé à la physique de Prigogine, Halloy ne propose pas seulement une reprise de ses intuitions – le vivant comme système hors équilibre, les structures dissipatives, le métabolisme énergétique, la flèche du temps et la nécessité d’une nouvelle alliance entre les savoirs –, il développe des formes complexes de raisonnement physico-chimiques, voyageant à des échelles rarement tenues ensemble. Le vertige absolu, sublime ne s’obtient plus aujourd’hui en prolongeant telle ou telle courbe (par exemple la courbe de Moore pour prédire l’avènement de la Singularité), ou en faisant des simulations de la surpopulation avec quelques outils statistiques, mais à force d’imbriquer l’infra- et le meta-, en faisant des allers et retours entre le plus lointain passé de la Terre et son futur, en pratiquant les décalages, zoom in et zoom out, des données sur l’histoire des exoplanètes à celles sur le vivant et la photosynthèse, en intégrant tout ce qui se déroule dans les angles morts de notre vision et de nos actions, vitesses et rythmes non envisagés dans les flux de matière, émergence de nouveaux niveaux d’imbrication, dans un « temps profond » et dilaté. « Deep time » = « Deep space ». Dans l’intention, cette futurologie du troisième type ne rompt pas complètement avec les précédentes, mais dans la méthode, elle monte radicalement en gamme dans l’échelle du vertige, combinant et maniant avec élasticité les échelles, les techniques de scénarisation et de calcul des précédentes, montrant que la question des limites et des seuils au-delà desquels nous sommes dans l’inconnu n’est pas une chose future, qu’elle se joue ici et maintenant dans la complexité de rapports d’intrication23. On comprend mieux dans ce contexte la raison pour laquelle les raisonnements « orientés futur » supportent en fait toutes les erreurs de prédiction et qu’ils se doivent d’être en perpétuelle refondation. Imposant changements d’échelle et décalages temporels, le futur s’est imposé aux modernes comme un véritable laboratoire du décentrement. Avec l’explosion du soleil dans 4,5 milliards d’années, il en sera fini de toutes nos questions insolubles, disait J.F. Lyotard (L’inhumain, 1988)24. Ultime avertissement. Du futur, on vous parle et sachez que nous ne vivons pas seulement dans un cimetière de rétrofuturs, d’hypothèses mortes, de scénarios cataclysmiques et de prophéties excentriques. Le futur est là où l’humain fait l’apprentissage du maximum de clairvoyance sur sa condition. Et au royaume des futurologues, le vertige est roi.

Remerciements

Ce numéro est le fruit d’une aventure collective, né dans le cadre de l’atelier de futurologie et de narration spéculative du Labex Passés dans le Présent – Histoire, Patrimoine, Mémoire. Nous tenons à remercier les chercheurs, écrivains de SF et artistes qui y ont participé et dont la réflexion a nourri cette introduction.

Voir le site du Labex: http://passes-present.eu/​fr

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Anthropologies and Futures: Researching Emerging and Uncertain Worlds, Londres, Bloomsbury.

Taleb Nassim Nicholas, 2008.
Le Cygne noir : la puissance de l’imprévisible, Paris, Les Belles Lettres

Tavory Iddo & Nina Eliasoph, 2013.
« Coordinating Futures: Toward a Theory of Anticipation », American Journal of Sociology, vol. 118, no 4, p. 908‑942.

Viveiros de Castro Eduardo & Marc Kirsch, 2008.
« Claude Lévi-Strauss vu par Eduardo Viveiros de Castro », La lettre du Collège de France, Hors-série 2, p. 34-35.

Williams R. John, 2016.
« World Futures », Critical Inquiry, vol. 42, p. 473‑546.

Zeitlyn David, 2012.
« Divinatory Logics: Diagnoses and Predictions Mediating Outcomes », Current Anthropology, vol. 53, no 5, p. 525‑546.

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Notes

1 Ossip Kurt Flechtheim, « Teaching the Future », Journal for Higher Education, vol. 16, 1945, p. 460‑465.

2 Alvin Toffler, Future Shock, New York, Random House, 1970.

3 William Fielding Ogburn, Social Change with Respect to Culture and Original Nature, New York, B. W. Huebsch Inc., 1922.

4 Citons parmi ces travaux : Norbert Elias (1996 [1984]), Alfred Gell (1992), Reinhart Koselleck (2016 [1979]), François Hartog (2003) ou encore Ian Hacking (2006 [1975]). Pour une fascinante lecture de l’œuvre d’Andrew Abbott (2010), voir Jean-Louis Fabiani (2015).

5 H. G. Wells « Wanted! Professors of Foresight », diffusé par la BBC le 19 novembre 1932 et republié dans R. Slaughter (dir.), Studying the Future, Australian Bicentennial Authority/Commission for the Future, Melbourne, 1989, p. 3‑4.

6 Dès les années 1960, Wendell Bell pense le futur non seulement comme un objet d’enquête, mais comme un véritable point de vue, une manière d’approcher les phénomènes sociaux. Ce qui l’amène à renverser l’ordre temporel grâce auquel nous comprenons toute causalité. D’après lui en effet, le présent n’est ni le résultat du passé, ni ce qui détermine tout futur possible. C’est au contraire depuis le futur que nous pouvons mieux comprendre et expliquer le présent dans lequel nous vivons. Voir notamment : Bell (1966), ainsi que l’ouvrage collectif : Bell & Mau (1971).

7 En 2008, l’Association of Professional Futurists a désigné ces deux volumes comme étant l’une des dix publications les plus importantes de leur domaine.

8 Wendell Bell a toutefois continué à publier des articles et des chapitres d’ouvrages collectifs, ainsi qu’un tout dernier livre, cette fois autobiographique (Bell 2012).

9 Selon les dernières estimations scientifiques, Australopithèque aurait vécu entre –4,2 et 2 millions d’années.

10 Voir le lien de l’association : https://www.planetoscope.com/forets/903-.html

11 Samuel Butler, « Darwin parmi les machines », The Press, 13 juin 1863, édité en français par Thierry Hocquet : Samuel Butler, Darwin parmi les machines et autres textes néo-zélandais, Paris, éditions Hermann, 2014.

12 Aîné J. H Rosny, La mort de la terre, Paris, Plon, 1912.

13 Olaf Stapledon, Les derniers et les premiers : une histoire du proche et lointain future (traduit de l’anglais par Claude Saunier), Paris, Terre de Brume, coll. « Terra Incognita », 2021 [1930].

14 Voir Hernan Khan & Anthony J. Wiener, L’An 2000, la bible des 30 prochaines années (traduit de l’anglais par Henriette Joële, Yves Malartic et Laurent de Vilmorin, sous la direction de Marc Gilbert), Verviers, Gérard, 1972.

15 Voir sur ce point le dossier « Futurologie », Revue internationale des sciences sociales, vol.xxi, no 3, Unesco, 1969.

16 Paul Valéry, Regards sur le monde actuel, Paris, Librairie Stock, 1931.

17 Henri Bergson, Le possible et le réel, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2015 [1930].

18 Stephen Hawking, Une brève histoire du temps : du big bang aux trous noirs, Paris, Flammarion, 1989 [1988].

19 L’image est empruntée à Nigel Calder, The Key to the Universe, Londres, British Broadcasting, 1977.

20 Voir Williams (2016).

21 Sur l’effet Papillon, voir le fameux article du météorologue Edward Lorenz (1972).

22 José Halloy, « L’épuisement des ressources minérales et la notion de matériaux critiques », La Revue Nouvelle, vol. 4, no 4), 2018, p. 34‑40.

23 Voir par exemple Adrien Marck, et al., « Are we reaching the limits of Homo sapiens ? », Frontiers in Physiology, vol. 8, 2017, p. 812.

24 Jean-François Lyotard, L’inhumain, Paris, Galilée, 1988.

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Pour citer cet article

Référence papier

Emmanuel Grimaud et Julien Wacquez, « Le vertige futurologique »Terrain, 79 | 2023, 2-25.

Référence électronique

Emmanuel Grimaud et Julien Wacquez, « Le vertige futurologique »Terrain [En ligne], 79 | 2023, mis en ligne le 06 novembre 2023, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/25613 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terrain.25613

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Auteurs

Emmanuel Grimaud

Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative, CNRS

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Julien Wacquez

Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative, IHTP, ComUE Université Paris Lumières

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    Entretien avec José Halloy
    The great vertigo: interview with José Halloy
    Paru dans Terrain, 79 | 2023
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