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Se Jurer Complice

Serment collectif et sujet de droit amazighs
Matthew Carey
p. 30-47

Résumé

Les notions classiques de la complicité reposent sur l’idée que la coresponsabilité pour un acte commis par autrui est engagée par la conscience préalable des intentions de l’auteur principal. Or, le pourtour méditerranéen offre des cas de figure qui troublent cette vision des choses en distribuant la responsabilité non pas en fonction d’un état d’esprit, mais d’une identité ou d’une volonté partagée, par exemple la vendetta ou le serment collectif amazigh. Cet article propose d’analyser cette opposition entre les deux systèmes d’attribution de la responsabilité, et surtout entre les visions concurrentes du sujet de droit et donc du sujet tout court qui les sous-tendent.

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Texte intégral

Se Jurer CompliceAfficher l’image
Crédits : @ Alix Aubert-Pérocheau

1Objet pérenne du regard juridique et, dans une moindre mesure, philosophique, la complicité est conçue au départ comme la coresponsabilité portée par une personne ou par un groupe pour un acte, souvent criminel, commis par un tiers. À cette définition technique et introvertie – en ce qu’elle localise la complicité à l’intérieur d’une personne réelle ou morale en la décrivant comme un état interne de culpabilité – s’ajoute une deuxième, plus métaphorique et plus habituelle, qui considère la complicité comme une sorte d’entente profonde qui fleurit entre les personnes. Le fait d’avoir été complice du méfait d’un tiers produirait un état d’implication mutuelle où l’on serait, pour emprunter le néologisme barbare de Paul Celan, ineinanderverkrallt, engriffés l’un dans l’autre. Dans la mesure, d’ailleurs très restreinte, où ils se sont intéressés à la question, ce sont surtout des versions fortement personnalisées de ces deux formes de complicité qui ont retenu l’attention des anthropologues, par nature nombrilistes et dont le principal outil méthodologique, le travail de terrain, repose sur une pratique intersubjective de longue durée et d’intensité inégalée dans la vie quotidienne, qui nous pousse inéluctablement à l’introspection. Ainsi, ce qui nous préoccupe en tant que professionnels du terrain, c’est principalement la complicité que nous sommes susceptibles de cultiver avec nos interlocuteurs à travers le partage de moments empreints d’une certaine ambiguïté légale ou morale (Geertz 1983[1973] ; Marcus 1997). Ou bien, la complicité historique qui nous comprend et nous condamne en tant que ressortissants d’anciens pouvoirs coloniaux (Probyn-Rapsey 2007).

  • 1 La question épineuse de la complicité réelle d’une ou des personnes dans un évènement concret, qui (...)

2Les questions plus larges, et peut-être plus ethnographiquement pertinentes, des conditions d’attribution de la coresponsabilité dans une société donnée, ainsi que des formes de complicité entre les personnes que ces différents procédés d’attribution tendent à produire, ont été abandonnées aux juristes ou laissées en friche1.

3Cet article propose, pour combler cette lacune, une lecture comparative des soubassements analytiques et des présupposés sur la personne présents dans l’attribution pénale, et à un moindre degré, morale de la coresponsabilité. Il oppose, d’un côté, une présentation aux contours quelque peu arrondis de la place centrale qu’occupe l’intention dans la jurisprudence occidentale – sujet quasi infini et maintes fois débattu, mais dont les lignes directrices sont finalement assez claires – et de l’autre, une vision alternative de la coresponsabilité qui la situe non pas sur le terrain de l’intention, mais sur celui de l’identité sociale. Cette dernière se donne à voir dans les idéologies et les pratiques de la vengeance et de la vendetta propres à l’ensemble du pourtour méditerranéen, mais s’exemplifie et se formalise de la manière la plus nette dans le droit traditionnel amazigh du Maroc, et notamment dans la pièce maîtresse de ses dispositifs juridiques : le serment collectif ou tagallit.

4Nous voyons alors s’esquisser une opposition non seulement entre deux systèmes d’attribution de la responsabilité, mais surtout entre deux visions concurrentes du sujet de droit et donc du sujet tout court. Cette opposition, se situe de manière transversale par rapport aux grands débats philosophiques récurrents autour de la subjectivité, dont l’enjeu principal est de savoir qui est l’agent, ou bien l’auteur, de la pensée ou de l’intention qu’on attribue volontiers au sujet. Ici, les questions centrales sont plutôt celles de la lisibilité du sujet – dans quelle mesure sa subjectivité est sondable par autrui – et de sa visibilité – c’est-à-dire la possibilité de le localiser ontologiquement ou pragmatiquement dans un champ de force social. Avant d’y arriver pourtant, il importe de regarder de plus près le phénomène empirique qui nous intéresse – à savoir, les procédés d’attribution de la coresponsabilité. Nous commençons sur le terrain plus familier du droit européen, où mon but, je tiens à le souligner, n’est pas d’apporter ma pierre originale au pyramide du savoir juridique, mais simplement de rendre compte de ses principaux contours afin de faire ressortir l’originalité de la situation amazighe qui est mon objet principal.

Se vouloir complice

5Revenons, pour cela, à notre définition préliminaire de la complicité comme une responsabilité partiale ou partagée pour un acte commis par un tiers. Ici, la notion clé est celle de la responsabilité, qui dans un contexte juridique est toujours de nature double. D’une part, elle désigne, comme l’a noté Puccio-Den (2017 : 8), l’obligation de répondre devant la loi pour un acte, d’en rendre compte pour qu’une tierce personne puisse éventuellement y porter un jugement. De l’autre, elle invoque le fait d’avoir été impliqué, que ce soit avant ou après les faits, dans la commission de l’acte – un engagement dans son déroulement. Ainsi, on porte une part de responsabilité pour un vol si l’on a, en connaissance de cause, fourni le malfrat avec les outils nécessaires au crime, tout comme si l’on a recelé les objets volés par la suite. Nous avons donc une responsabilité de rendre compte ou de subir les conséquences d’un acte et une responsabilité qui décrit l’implication d’une personne dans l’acte.

  • 2 Dans la pratique, la situation est plus compliquée encore et la culpabilité dépend, en fait, d’une (...)

6Ce qui relie ces deux formes de responsabilité dans la pensée tant juridique que philosophique est la question de l’intention des acteurs. Celle-ci est primordiale, non seulement pour la complicité, mais pour le droit de manière plus générale. On ne doit répondre pour un crime que si on l’a sciemment commis, non pas en tant qu’infraction à la loi, mais en tant qu’acte susceptible de poursuite. Or, cette distinction est subtile. Le droit se désintéresse de la question des connaissances juridiques de l’acteur : on est censé savoir le droit et on est donc criminellement responsable pour la commission d’un acte illégal qu’on croyait permis2, mais, pour être poursuivi en justice, on doit avoir eu l’intention de commettre l’acte. Le fou est donc irresponsable au sens propre du mot, car il ne sait point ce qu’il fait, mais l’est également le convive qui quitte une fête en emportant le téléphone de son hôte qu’il croyait sien : il n’avait pas l’intention de priver l’autre de son bien.

7Ce qui vaut pour les crimes dont on est l’auteur direct vaut également, quoiqu’avec un degré supplémentaire de séparation, pour la complicité, crime indirect par excellence. Ainsi, le quincailler qui vend un coupe-boulons à un badaud de passage qui l’utilise par la suite pour cambrioler une maison n’est pas complice, mais s’il le prête à un ami qu’il soupçonne de vouloir s’en servir pour voler un vélo, il le devient. Pour les crimes dont on est l’auteur direct, c’est sa propre intention qui établit la responsabilité, tandis que dans le cas de la complicité, c’est la conscience préalable de l’intention de l’acteur principal qui fait porter la coresponsabilité, au sens double de l’implication dans la commission de l’acte ainsi que de l’obligation d’en répondre devant la loi.

  • 3 Des tentatives similaires et tout aussi contestées ont vu le jour, par la suite, en France en 2010 (...)

8Cette vision a priori bien nette de la complicité en tant qu’objet de droit semble, cependant, être troublée par les tentatives à répétition de la part des législatures européennes de criminaliser la simple appartenance à des organisations criminelles. L’Italie, bien sûr, est pionnière en la matière, ayant décidé dès 1982, et face à l’impossibilité juridique de poursuivre la mafia en tant que personne morale (conformément au principe de societas delinquere non potest, ou bien « les sociétés ne peuvent commettre de délit », car elles manquent de volonté, de conscience et d’intention unies), de créer un délit d’association mafieuse – la loi Rognoni-la Torre3. Ceci visait indubitablement à faire porter la responsabilité pénale des actes criminels non seulement aux agents intentionnels desdits actes, mais également à ceux qui partageaient une identité avec eux.

9Or, nous remarquerons que, dans les faits, la pure criminalisation d’une identité était impossible (ou peut-être tout simplement impensable…) et les législateurs étaient obligés de recourir à des subterfuges pour la justifier. Comme le note Puccio-Den, « ce qui caractérise l’association mafieuse [aux yeux de la loi] sont ses méthodes et, notamment, trois d’entre elles : l’intimidation, l’omerta et la soumission » et, plus loin, « Les “mafieux” sont soumis à une sanction pénale […] parce que leur appartenance à une association mafieuse, prouvée par leur conduite, est un délit en soi » (2012 : 23-24 – emphase ajoutée). Autrement dit, les législateurs avaient beau tenter de criminaliser une identité, ils se voyaient finalement obligés de définir cette identité en matière d’actes intentionnels, et criminels, qui la fondaient.

10Le caractère incontournable de l’intention comme clé de voûte de l’architecture juridique se donne également à voir dans l’ensemble des critiques adressées à ces efforts de diriger le feu juridique sur les associations criminelles (voir, par exemple, Sciascia 1989), ainsi que, de manière quelque peu paradoxale, dans les tentatives de les justifier, qui recourent systématiquement à une idée d’intention pour établir leur bien-fondé. C’est, par exemple, à cette fin, que l’éminent juriste Christopher Kutz (2000) a développé la notion des intentions participatives – c’est-à-dire l’affirmation que les intentions individuelles peuvent avoir un contenu collectif. Dans de telles situations, le lien causal entre une intention individuelle et son issue est remplacé par un lien téléologique entre les multiples intentions superposées des différents acteurs et une issue qui est fonctionnellement indépendante de chacune d’entre elles. On peut donc établir une complicité criminelle à partir de la volonté affichée de participer à un groupe orienté vers une activité illicite dont on est au courant. Dans tous les cas, c’est l’état de conscience des intentions d’autrui qui sert de socle à l’édifice juridique de la complicité ainsi qu’aux critiques formulées à l’encontre des lois individuelles. Nous sommes, pour emprunter le vocabulaire de Foucault, emmaillés dans un régime d’intentions.

11Ceci, il est clair, est une vision fortement psychologisante, et donc individualisante, du crime et de la complicité. La condamnation pénale pour un crime dont on est l’auteur direct dépend d’une lecture de l’intention du criminel de la part d’un juge ; et la condamnation pour complicité dépend d’une lecture au carré : le juge doit adjuger de l’état d’esprit du complice au regard de l’intention de l’acteur principal. La condition de criminel ou de complice ne dépend pas de l’acte commis, mais de la subjectivité de l’acteur et de sa lisibilité. Cette approche juridique va de pair avec des visions dominantes de la morale, en tous points comparables. Le péché et la faute sont des états individuels qui dépendent de l’intention derrière les actes – elles ne sont point transmissibles en dehors d’une imbrication de la volonté des acteurs. Si mon beau-père a battu mes frères et sœurs cadets, je n’en partage la responsabilité, et je n’en suis donc complice, que dans la mesure où, ayant atteint l’âge de la raison et du libre arbitre, j’ai cherché à cacher ses actions à une autorité extérieure qui auraient pu intervenir pour l’en empêcher. Ou bien, de par le fait d’avoir choisi de passer son comportement sous silence et de ne pas le confronter. Les limites de ma coresponsabilité, qui sont identiques avec celles de ma subjectivité, sont décrites par l’extension de mon champ d’intervention intentionnelle, active ou passive. Sans intention, il n’est ni péché ni devoir de répondre de ses actes, devant le droit, devant Dieu, ou au tribunal de la conscience. La possibilité d’une culpabilité non intentionnelle est donc exclue.

  • 4 Pour une discussion plus soutenue de cette question, voir Puccio-Den (2017).

12C’est pour cette raison que des auteurs comme Foucault (1984) ou Niebuhr (1963) situent, quoiqu’à des époques bien différentes, l’émergence de la subjectivité moderne à l’interface des évolutions du droit et de la morale – Lamouche (2009) parle de l’indissolubilité du sujet de droit et du sujet moral4. La confluence de ces notions du sujet propres au droit, à la morale, et à la psychologie, oblige l’individu à porter seul le fardeau de ses actes, à l’exception de ceux où sa volonté a coïncidé avec celle d’un tiers ou concouru à une même fin que lui. Nous ajouterons que cette conception de la coresponsabilité est très extensible, parce qu’il suffit d’avoir une idée des intentions diffuses d’une personne morale dont on fait partie pour être complice de ses actions, mais elle n’est guère négociable. On savait ou l’on ne savait pas. Or, il existe d’autres manières d’aborder la question de la responsabilité légale ou morale, qui ne repose pas sur une lecture des intentions, mais s’intéresse plutôt à l’identité sociale des acteurs.

La complicité identitaire

L’Éternel est lent à la colère et riche en bonté, il pardonne l’iniquité et la rébellion ; mais il ne tient point le coupable pour innocent, et il punit l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération. (Nombres 14:18)

13Dans un bref aparté voué à la considération des identités collectives et l’émergence du sujet de droit, Puccio-Den remarque que « [d]ans la tragédie grecque, les fautes des ancêtres retombent sur la lignée » (2009. : 22) et cite Lévy-Bruhl, qui prétend qu’Hérodote « trouve juste et naturel que les descendants à la cinquième et sixième génération soient punis des fautes de leurs ancêtres. Ils sont regardés comme solidairement responsables » (ibid.). Le même sentiment se retrouvait chez les Hébreux, comme nous voyons dans l’incipit de cette section. Soit dit, en passant, l’Éternel n’était pas toujours d’une parfaite cohérence à ce sujet ; ailleurs, il insiste qu’« on ne fera point mourir les pères pour les enfants, et l’on ne fera point mourir les enfants pour les pères ; on fera mourir chacun pour son péché » (Deutéronome 24 : 16), ce qui montre que le passage d’un régime de responsabilité à un autre peut être long et ardu et que les deux régimes peuvent également coexister. Nous y reviendrons. Mais, il n’est guère besoin de remonter à l’antiquité, ou de se borner au domaine de la morale, pour trouver des exemples de responsabilité solidaire ; l’objet principal des travaux de Puccio-Den, la mafia sicilienne, nous en fournit un dans ses pratiques de représailles, et l’ethnographie méditerranéenne de manière plus large en regorge.

14Qu’est-ce qu’en effet que la vendetta ou la vengeance de sang, telle qu’on les retrouvait encore en Albanie (Bardhoshi 2017) ou en Sardaigne (Pigliaru 1975 [1959]) au xxe siècle, sinon une formalisation protojuridique d’une idée de la transmissibilité de la culpabilité ? Vous serez puni pour la faute de votre homicide frère, parce que vous en portez la responsabilité de par votre commun sang. Les grandes lignes de l’anthropologie traditionnelle de la vendetta ou du « blood feud » sont, bien sûr, axées autour des questions des échanges entre groupes (Verdier 1980 ; Jamous 1981) ou de ses effets homéostatiques (Evans-Pritchard 1940 ; Black-Michaud 1975). Mais le problème de la responsabilité y a également sa place : Pigliaru, par exemple, analyse l’héritabilité d’une responsabilité de se venger et les liens de solidarité de groupe que cette obligation produit (1975 [1959] : 145-150). L’importance de la responsabilité inverse, celle des agnats du meurtrier qui doivent subir les conséquences de son crime, est d’une telle évidence que nous hésitons à la relever : c’est la prémisse même du système.

15Cette forme de responsabilité, propre à la vendetta, se distingue nettement de celle des systèmes de droit moderne européens, qui, comme nous l’avons vu, comportent deux niveaux distincts : le devoir de répondre pour un acte et l’implication intentionnelle dans sa commission. Dans le cas de la vengeance de sang, les agnats doivent répondre pour le crime d’un des leurs, mais ils n’ont point été engagés dans son déroulement. L’intention, ici, est hors du sujet, dans tous les sens possibles de la phrase. Au contraire, vous êtes coresponsable, et donc complice, du crime d’un tiers, parce que vous partagez une identité, parce que sur le terrain implacable de la vengeance, la mort de l’un vaut celle de l’autre. La complicité, qui dépend de l’identité est, au moins en partie, établie d’avance.

16Or, comme le souligne Pigliaru, ce n’est pas la fin de la question. Il subsiste toujours des doutes quant aux limites des groupes ou, dans le cas des identités multiples, sur l’alignement d’un individu spécifique dans la guerre des cousins. Une certaine forme de complicité peut être provisoirement imputée aux agnats d’un accusé grâce à leur identité sociale, mais cette identité n’est jamais totale et la complicité des individus spécifiques reste floue et contestée. La poursuite collective de la vendetta sera l’occasion pour les différents groupes d’affirmer la coresponsabilité du groupe opposé, mais cette responsabilité n’est pas forcément revendiquée ni admise, et la sentence sociale reste en suspens. Pour voir ce qu’il advient quand la complicité identitaire est insérée dans un contexte de droit au sens plein du terme, nous devons nous tourner vers un troisième cas de figure : le serment collectif amazigh (tagallit), que Gellner décrit, paraphrasant Clausewitz, comme la continuation de la vendetta par d’autres moyens (1969 : 122 – cité aussi dans Hart 1999 : 49).

La complicité (de) jurée

17Commençons par une brève description du phénomène tel qu’il était présenté dans les ethnographies de l’époque (Adam 1948 ; Marcy 1949 ; Berque 1955). Comme le remarque David Hart (1999 : 48), dans son magistral survol de cette littérature, le serment collectif a toujours été écarté par le système de droit officiel du Maroc, la charia de l’école malikite, qui, en conformité avec le Coran, cherche à individualiser la pratique des serments. Or, les diverses formes de droit traditionnel amazigh (appelés « ’urf, izirf or abrid ; respectivement droit, voie, et chemin), qui ont subsisté par endroits jusqu’à la fin du protectorat en 1956, avaient gardé le serment collectif comme pièce centrale de leur système de la preuve, bien que son rôle officiel n’était que supplétif. En effet, tandis que le droit amazigh privilégiait systématiquement le témoignage dans la résolution des affaires juridiques, il faisait souvent défaut – dans huit ou neuf cas sur dix, selon les données de Marcy (1949 : 69) – et en son absence, le serment collectif était la seule preuve admissible.

18Les modalités précises du serment différaient selon les régions, mais la structure générale était la suivante : en cas de différend ou de violence à la personne, l’accusé était sommé par le conseil local (tajma‘t) de comparaître ou bien à la mosquée, le vendredi, (dans le Rif ou dans la zone tachelhit au sud) ou bien sur le tombeau d’un saint protecteur local (dans l’Atlas central), en compagnie d’un nombre variable d’agnats, selon les régions et selon la gravité du crime. Ce nombre était plutôt restreint dans la zone rifaine, de l’ordre de cinq à dix, mais pouvait s’élever jusqu’à cent personnes, pour les crimes les plus sérieux dans l’Atlas central. Une fois sur place, l’accusé prononçait, main sur le coran, une auto-imprécation proclamant son innocence. Voici l’exemple que nous en donne Marcy (1949 : 76) :

Par ce saint marabout, que je ne mange, ne boive, ne dorme, ne cohabite avec mon épouse si ce qu’a dit mon adversaire est vrai !

19Ensuite, c’était aux cojureurs (ingilla) de le compurger (c’est-à-dire de proclamer son innocence) à tour de rôle – selon la proximité de leur lien agnatique avec l’accusé –, en invoquant de nouveau le saint garant du serment, en affirmant la vérité de la parole du principal accusé, et en acceptant de partager son sort en cas contraire. Si tout se déroulait dans l’ordre, l’accusé était lavé de toute responsabilité terrestre pour le crime, quoiqu’il subsistât toujours la possibilité, voire la certitude, d’un châtiment céleste ultérieur, dans le cas où il s’était parjuré. Il arrivait, cependant, que le serment fût « cassé » (tirza tagallit), ou bien parce que l’un des cojureurs n’arrivait pas à prononcer la formule correctement – dans certaines contrées, le camp de l’adversaire charriait systématiquement les jureurs pour provoquer une telle éventualité – ou bien parce que l’un d’eux ne se présentait pas chez le marabout. Dans ce cas, l’accusé devait payer les réparations demandées par la partie lésée ou fixées par le conseil. Il n’était pas, cependant, seul responsable de cette amende ; le paiement de la diyit, ou prix du sang incombait en fait au lignage agnatique dans son ensemble (Hart 1999 : 60) – c’était lui la personne morale qui portait la responsabilité du crime.

  • 5 Nous constatons un même privilège analytique accordé à l’enjeu spirituel dans la littérature sur le (...)

20Nous voyons, donc, que le serment comportait deux enjeux essentiels : l’un d’ordre spirituel (le châtiment divin voué au parjure et à ses complices) et l’autre d’ordre social (le rassemblement du quorum de cojureurs requis). Pour Marcy, qui envisage le serment collectif comme « une épreuve psychique, à base d’émotivité religieuse » (1949 : 71), le premier enjeu prime absolument sur le second et garantit l’adhésion unanime de la population à la pratique. Pour eux, « la justice […] est extrahumaine ; le vrai drame judiciaire n’est pas autour du prétoire de la jma‘a [conseil local], il est dans l’intervention attendue, espérée, des puissances supraterrestres, toujours présentes, chargées de châtier celui qui plaide de mauvaise foi » (Marcy 1949 : 79)5. Ce qui suppose un alignement parfait, et parfaitement improbable, du psychisme des cojureurs sur celui de l’accusé, car sinon, pourquoi joueraient-ils leur salut sur la simple parole d’un agnat ? L’épreuve sociale, par conséquent, est présentée, tant chez Marcy que chez Hart, comme une question surtout technique de priorisation des cojureurs et de la distribution des responsabilités en cas de non-comparution de l’un d’entre eux. Autrement dit, ils présument que la coresponsabilité juridique des cojureurs est largement établie d’avance.

21Ils expliquent, ainsi, que, la tigzdist (rangée) de l’accusé devrait impérativement être composée de ses plus proches agnats, dont l’ordre était établi par la coutume : père, fils, frère, oncle paternel, cousin paternel, etc. Un proche agnat ne pouvait être remplacé par un plus lointain cousin que dans des cas bien spécifiques (les mourants, par exemple, en étaient exempts). Pour les crimes nécessitant un nombre élevé de cojureurs, cependant, le lignage agnatique pouvait être renforcé par des parents utérins, des parents par alliance ou simplement par d’autres hommes du même village – ces serments composites étaient appelés lhaqq n tiwizi, le serment d’entraide. Dans certaines régions, l’accusé pouvait même se rendre dans un village voisin, y sacrifier une tête de bétail et demander son secours, une procédure appelée lhaqq n tigharsi ou le serment du sacrifice.

22Ce que les auteurs de l’époque soulignent, avec force, est que dans la quasi-totalité de ces configurations, la participation au serment n’était pas élective, mais obligatoire – une fois de plus, l’épreuve sociale est réduite à une simple fonction de l’épreuve spirituelle. Les agnats, par exemple, n’étaient pas en mesure de se soustraire à cette obligation, et le sacrifice d’un animal dans un village voisin imposait une contrainte morale absolue aux destinataires de répondre à l’appel. En effet, si un agnat refusait de se porter cojureur, ou si un cojureur se dérobait à l’audience, il se rendait, ce faisant, et en l’absence d’une excuse valable, responsable pour l’ensemble des réparations – parmi les Aït Yazza, toujours selon Hart (1999 : 73), il pouvait même être mis à mort.

23Nous pouvons, toutefois, conjecturer que l’épreuve sociale était souvent plus onéreuse que ne le laisse entendre cette ethnographie exclusive de l’avant-scène du drame juridique. Ayant assisté, longuement, aux tentatives de récolte de fonds pour des projets communs dans les conseils villageois contemporains, je peux affirmer que les négociations publiques, et surtout les négociations dans les coulisses, ne correspondent que très approximativement à la vision idéaliste qu’en proposent les protagonistes à l’ethnographe. Tandis qu’on m’expliquait que pour financer un projet d’intérêt général, il suffisait de se mettre d’accord et ensuite de lever une somme identique auprès de chaque famille concernée, dans la pratique, il arrivait souvent que six mois plus tard, la moitié des familles n’eût pas payé leurs dus et le capital avait été « mangé » par le bou soundouq (maître du coffre ou trésorier). Il en était de même pour les conflits inter ou intravillageois : tandis que la règle officielle voulait que les agnats se rangent derrière un des leurs, ceci ne se faisait jamais sans de longues tractations préalables, et très souvent ne se faisait pas du tout.

24En lisant entre les lignes de l’ethnographie classique, nous pouvons d’ailleurs entrevoir le spectre de telles tractations. Ainsi, Hart signale (1978 : 59-60) que si une majorité des cojureurs manquait à l’appel du serment collectif, il incombait à l’accusé de se charger seul des réparations, sans le soutien de ses agnats – ce qui fait planer la possibilité de coups montés. Ailleurs, il écrit également que même si les agnats affirmaient que soutenir l’accusé moralement, en jurant à ses côtés, et financièrement, en partageant le fardeau des réparations, était un devoir, « il existait quand même des limites au-delà desquelles l’aide et la protection ne s’étendaient pas. Des récidivistes incorrigibles, qui avaient déjà ruiné leurs agnats, étaient parfois tués ou, plus habituellement, poussés à l’exil » (1991 : 73). Or ceci n’a pas de sens. Si les agnats se portaient cojureurs, comme ils étaient supposément obligés de le faire, il n’y aurait pas de réparations à payer, parce que l’accusé serait blanchi, et personne ne serait donc ruiné. On doit alors admettre que les agnats qui soupçonnaient l’accusé d’avoir bien commis le crime dont il était accusé, qui ne voulaient pas mettre leur salut en péril, ou qui tout simplement ne l’aimaient pas, avaient la possibilité officieuse de le dissuader ou bien de l’empêcher de jurer – ce qui signifiait qu’ils auraient tous à régler le prix des réparations. L’épreuve sociale était donc réelle et peut-être probante.

25Nous voyons donc ici une formalisation juridique, en même temps qu’une complexification, du principe identitaire qui sous-tend la vengeance de sang. Tout comme dans la vendetta, la coresponsabilité des agnats de l’accusé, dans le sens d’un devoir de répondre pour un acte, est régie non pas par les des intentions partagées, sinon par une identité collective et socialement reconnue. Nous voyons également que tout comme dans la vendetta, cette identité collective n’est jamais totalement acquise d’avance. Au contraire, les questions de la limite des groupes, de l’alignement social de tel ou tel individu, ou du jeu des alliances étaient, sans doute, débattues, négociées et contestées dans les coulisses de la scène sociale. Ce qui le distingue la tagallit de la vendetta est l’affirmation explicite de la coresponsabilité et donc de la complicité lors de l’épreuve du serment. Ici, la comparaison avec le serment collectif, tel qu’il existait dans le droit européen prémoderne est peut-être instructive.

26Survivance de l’ancien droit germanique, le serment collectif, ou « purgatoire » a fait partie intégrante de divers systèmes de droit européen jusqu’au xviiie (Fiori 2017 : 152). Tout comme au Maroc, la procédure voulait que le défendeur puisse se blanchir d’une accusation en prêtant serment à côté des cojureurs, typiquement désignés selon des critères de co-résidence et d’appartenance à un même ordre social. Pour Fiori, les cojureurs (compurgatores) étaient des témoins de credulitate, qui prétendaient donc croire l’accusé. Selon Lemesle, cependant, qui cultive la fâcheuse habitude de ne pas citer ses sources, ces cojureurs ont « habituellement » été présentés comme de simples témoins de moralité, ce qu’il appelle des « cautions d’honorabilité », pour ensuite se transformer, avec le temps, dans des témoins oculaires ou auriculaires (car rapportant le « ouï-dire ») de vérité, qui correspondent grosso modo à nos témoins modernes (op cit. : 7). Lemesle conteste la distinction nette entre ces deux idéaux types de témoins, mais dans tous les cas, il n’est pas question que les cojureurs mêlent leur honneur ou leur responsabilité à celles du défendeur ; ils se contentent de lui porter caution ou d’affirmer la vérité. Dans le cas d’un parjure, ce sera l’accusé seul qui porte la peine céleste et la sentence sotériologique.

  • 6 Terme juridique pour décrire la retroactivité.

27La tagallit amazighe, nous l’avons vu, se différencie du serment moyenâgeux européen en ce qu’elle insiste que les cojureurs n’aient pas directement connaissance des faits – on ne fait appel à eux qu’en l’absence de tout témoin – et surtout en ce que les cojureurs acceptent de partager le sort de l’accusé en cas de parjure, se rendant ainsi se rendant ainsi ex post facto6 complices devant Dieu, l’arbitre absolu, tout en ignorant, par force, ce qui s’était véritablement passé. Ceci peut étonner dans un contexte social que j’ai ailleurs décrit comme caractérisé par une méfiance généralisée, y compris envers les parents, et par une vision largement partagée de la personne et de la communication fondée sur l’idée que l’esprit des autres est insondable et donc que la valeur de vérité de leurs énoncés est invérifiable ; en particulier, celle des personnes qui ont un rapport avec la personne et les faits du locuteur reste toujours en suspens (2017 : 27-28 et 35-36).

28Nous pouvons, je crois, exclure d’emblée la possibilité que les cojureurs acceptaient de prêter serment à côté de l’accusé parce qu’ils le croyaient sur parole – une affirmation de la sorte ferait tordre de rire mes interlocuteurs du Haut Atlas Central. Ce qu’ils faisaient, au contraire, en s’alignant publiquement avec l’accusé, en en endossant la coresponsabilité et donc la complicité que cela implique, était d’assumer une identité sociale qui dans la vendetta reste toujours implicite et contestable. Cette identité, qui dans le cours quotidien des choses n’est que tacite et n’existe que comme potentialité, toujours susceptible de discussion ou de contestation, est définitivement établie lors du serment. Ils se rendaient ainsi visibles, localisables dans un champ de force fait de relations sociales. Cette explicitation, cet acte de définition, est d’ailleurs le propre de tout système de droit. Là où la vendetta garde le flou, le droit tranche. Celui-ci n’est donc pas, comme le voulait Gellner, une continuation de celle-là par d’autres moyens, mais une véritable transformation : une clarification de ses supposés sur le plan social.

Conclusion

29Pour résumer, nous avons deux régimes de la complicité légale – l’un basé sur une idée psychologisante de la personne, dont la sphère de responsabilité s’arrête aux limites de l’action intentionnelle, et l’autre fondé sur une identité collective, partiellement acquise d’avance mais définitivement établie lors du serment, et qui doit assumer les actes de ses membres. Il serait facile d’y voir une opposition, qui aurait toute sa place dans le discours colonialiste du xixe siècle, entre l’individu et le collectif. D’un côté, nous avons les sociétés modernes où règne l’individu-roi, et de l’autre les sociétés « archaïques » où l’individu ne s’est pas encore dépêtré du groupe dont il dépend pour son identité et pour son existence. C’est un leurre, comme le remarque aussi Puccio-Den, dans son bel article sur la responsabilité, où, suivant Malinowski, elle insiste qu’il n’y a pas de « grand partage » entre les sociétés modernes et traditionnelles, parce qu’elles reconnaissent toutes des formes de responsabilités individuelles et collectives. Certes ! Mais ce balayement de la problématique laisse en suspens la question de la signification réelle d’une telle diversité des formulations juridiques de la responsabilité et de la complicité dans les sociétés différentes.

30J’aimerais donc finir par suggérer que cette disparité dans les conceptions et les pratiques de la complicité renvoie non pas à une opposition entre individualisme et collectivisme, mais à des notions différentes du sujet. Comme nous l’avons déjà vu, la culture publique du Haut Atlas Central du Maroc est caractérisée par une vision de la personne qui contraste notamment avec celle propre au droit et à la philosophie européens, et qui minimise la place accordée à l’intention des acteurs sociaux. Ceci produit « une philosophie d’autonomie robuste et d’égalité morale, qui présume que les personnes sont libres et fondamentalement immaîtrisables » (Carey 2017 : 10). Ce sont, je soutiens, des individus au sens plein du terme, pour qui l’autonomie pratique et psychique est prisée par-dessus toute autre considération. Cette autonomie est construite à partir d’une vision du sujet comme psychiquement impénétrable. Mes interlocuteurs insistent qu’il est en même temps impossible et immoral de sonder les intentions d’autrui ou de discerner son caractère : Dieu les cache (isntl-tn rbbi) et les personnes sont donc illisibles. L’individu est responsable de ses actions, mais l’intention, comme dans les systèmes de droit qui l’encadrent, est hors du sujet.

  • 7 Il est important de souligner que c’est précisément à partir d’une telle lecture qu’elle est produi (...)

31Il va presque sans dire qu’il serait impensable, dans un tel contexte, de produire la coresponsabilité juridique à partir d’une lecture des intentions ou des états d’âme des personnes7. La complicité de droit ne résulte donc pas de la subjectivité des personnes, mais d’une attribution partialement objective à partir d’une identité sociale (la parenté agnatique) aux contours encore flous, secondée par une assomption publique et voulue de cette coresponsabilité lors du serment collectif. Quant à la complicité comme état intersubjectif, elle est peut-être moins extensible que son équivalent intentionnaliste, parce qu’elle dépend, au départ, du partage d’une identité commune qui n’est pas infiniment extensible, mais elle est beaucoup plus sujette à négociations. Le passage obligatoire à travers l’épreuve sociale de la solidarité la reconfigure selon les contextes et selon les résultats des pourparlers. Nous voyons donc se profiler quelque chose qui ressemble bel et bien à une opposition fondamentale, un grand partage, entre deux régimes de la coresponsabilité : l’un, herméneutique et épistémologique, présume que la complicité des acteurs est un fait psychologique réel qui peut être lu et donc su, tandis que l’autre, pragmatique, présume que la complicité des personnes dépend de leur situation sociale, laquelle existe à l’état potentiel dans les identités socialement reconnues, mais qui est définitivement assumée et rendu visible lors du serment collectif.

32Cette opposition entre le sujet psychologiquement lisible et le sujet socialement visible est surtout intéressante en ce qu’elle se situe de manière transversale par rapport aux grands débats académiques autour de la question. Comme l’a montré, par exemple, Alain de Libera, l’histoire de la longue durée du sujet philosophique est celle du passage d’une vision du sujet comme support passif des accidents, des propriétés et des qualités – un simple substrat – à une idée du sujet-agent moderne, auteur de ses propres pensées, qu’on associe volontiers à Descartes, mais que Libera retrace jusqu’à Saint Augustin (2007 : 128). Les interminables débats actuels, mais qui datent en fait du XIXe, entre le sujet libéral, qui détermine son propre esprit, et le sujet (post-)structuraliste, produit du es denkt in mir (ça pense en moi) nietzschéen, peuvent être considérés comme une énième reprise de ces controverses, qui cherchent toutes à répondre à l’interrogation thomiste : qui pense ? Or, les questions ontologiques de l’agentivité du sujet ou de sa nature, qui intéressent tant les philosophes, ne sont pas pertinentes pour notre opposition entre les deux régimes de droit, qui acceptent tous les deux la possibilité d’un sujet-agent. Ce qui les distingue est la réponse qu’ils apportent à la question : comment faire en sorte qu’un sujet puisse porter la coresponsabilité pour l’acte d’autrui ? Pour le droit européen, la réponse est de fouiller dans son esprit pour le rendre lisible et donc transparent à la justice ; pour l’izirf amazigh, le sujet a le droit de rester opaque, mais il doit, par contre, se rendre visible sur le plan social et donc transparent à sa manière.

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Notes

1 La question épineuse de la complicité réelle d’une ou des personnes dans un évènement concret, qui a, par exemple, tant occupé les historiens de la Shoah ou de l’occupation nazie de l’Europe (Arendt 2002 [1963]), est peut-être moins adaptée à une discipline comme l’anthropologie, qui a transformé le refus de juger ses interlocuteurs en blason d’honneur.

2 Dans la pratique, la situation est plus compliquée encore et la culpabilité dépend, en fait, d’une combinaison d’intention et de la capacité de prévoir les conséquences d’un acte. Ainsi, si l’on jette une pierre par la fenêtre et défonce le crâne d’un passant, on n’est pas coupable d’homicide, parce qu’on n’avait pas l’intention de tuer, mais on est bien coupable d’homicide involontaire parce qu’on avait l’intention de jeter la pierre par la fenêtre et une personne dotée de raison aurait pu, et dû, en prévoir les conséquences.

3 Des tentatives similaires et tout aussi contestées ont vu le jour, par la suite, en France en 2010 (la loi no 2010-201, dite « loi sur les violences en bande »), et au Danemark en 2017 (« Bandepakke III - Bander bag tremmer » - Paquet relatif aux bandes III – les bandes derrière les barreaux).

4 Pour une discussion plus soutenue de cette question, voir Puccio-Den (2017).

5 Nous constatons un même privilège analytique accordé à l’enjeu spirituel dans la littérature sur le serment collectif en Europe, où, pour citer Lemesle, « sa dimension sacrée, évidente, [a eu] tendance à oblitérer une autre facette, celle du lien social » (2002: 3) dans les travaux des historiens.

6 Terme juridique pour décrire la retroactivité.

7 Il est important de souligner que c’est précisément à partir d’une telle lecture qu’elle est produite dans le droit islamique. En effet, l’école malikite privilégie la lecture de l’intention (niya) dans l’attribution de la faute criminelle. Lawrence Rosen cite un juge qui lui explique que si on lui pose suffisamment de questions, « un homme ne peut pas cacher ses pensées : son intention (niya) sera évidente » (1984 : 53). Mes interlocuteurs rejettent catégoriquement cette possibilité.

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Pour citer cet article

Référence papier

Matthew Carey, « Se Jurer Complice »Terrain, 77 | 2022, 30-47.

Référence électronique

Matthew Carey, « Se Jurer Complice »Terrain [En ligne], 77 | 2022, mis en ligne le 23 octobre 2022, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/23764 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terrain.23764

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Auteur

Matthew Carey

Matthew Carey travaille depuis une quinzaine d’années autour des communautés tachelhitophones du sud du Maroc, principalement celles du Haut Atlas Central. Il a également réalisé des recherches de terrain à Tanger et en Ukraine. Il s’intéresse particulièrement aux questions relatices à la méfiance, l’incertitude, le mensonge et l’intimité personnelle et communicationnelle.

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