- 1 Par exemple, le taux d’activité féminine était de 53,8 % en 1965, de 67,9 % en 1975 et de 76,2 % en (...)
1En Suède, dès les années 1960, une question domine tous les débats politiques : l’égalité des sexes. Ce thème touche tous les domaines de la politique, mais plus particulièrement celui de la politique familiale puisque celle-ci reflète de façon explicite la place attribuée aux hommes et aux femmes dans la sphère familiale et sur le marché du travail. Par conséquent, d’importantes réformes étaient nécessaires pour y intégrer le principe d’égalité entre hommes et femmes. La généralisation du modèle du couple à deux revenus, depuis l’entrée massive des femmes sur le marché du travail 1, devait avoir son équivalent dans le domaine des responsabilités familiales. Autrement dit, si les femmes participent au même titre que les hommes au revenu du ménage, les hommes, de leur côté, doivent assumer leur part dans l’éducation des enfants. La question de l’égalité dans la parentalité, notamment en termes de soins apportés à l’enfant, s’est donc posée très tôt en Suède.
- 2 L’Assemblée nationale suédoise.
2C’est ainsi qu’en 1974 le congé de maternité est remplacé par un congé parental. Celui-ci est intégré dans un régime d’assurance parentale, fonctionnant sur le même principe que l’assurance-maladie, c’est-à-dire l’attribution d’une compensation financière (allocation parentale) calculée en fonction du salaire antérieur. Le congé parental signifie concrètement que les hommes et les femmes ont exactement les mêmes possibilités de s’absenter de leur travail en percevant une rémunération pour s’occuper d’un enfant. Mais il s’agit seulement d’une possibilité théorique, puisque ce congé parental est commun aux deux parents et qu’ils peuvent le partager ou non. Comme pour tout nouveau dispositif de la politique familiale, une commission d’enquête, réunie en 1972, avait publié un rapport (SOU 1972) qui préparait les débats parlementaires. Les propositions du rapport de mettre en place un système d’assurance parentale sont votées au Riksdag 2 en 1973, pour entrer en vigueur l’année suivante. Les principaux objectifs de la nouvelle assurance parentale sont clairement énoncés dans le rapport. D’abord le soutien financier à court terme des couples qui viennent d’avoir un enfant, qui est assuré par l’allocation parentale perçue durant le congé. Puis, le soutien financier à long terme, garanti par le maintien du parent bénéficiaire de l’allocation sur le marché du travail. Le troisième objectif souhaité était une plus grande égalité entre les sexes sur le marché du travail et dans la vie familiale. Le fait qu’un homme aussi bien qu’une femme puisse demander un congé parental allait, selon les législateurs, atténuer les discriminations que rencontrent les jeunes femmes dans la vie professionnelle. Ici, un partage possible du congé parental était donc censé produire des effets concrets. Finalement, la nouvelle loi était également supposée favoriser le bien-être de l’enfant, mais le rapport ne donne pas plus de précisions à ce sujet. Il semble en effet implicitement admis que le bien-être de l’enfant repose en premier lieu sur un investissement parental exclusif, tout au moins les premiers mois.
3Depuis sa mise en place, le régime de congé parental fait l’objet d’un large consensus parmi les différents partis politiques. De la même façon, l’idée que le père a, lui aussi, sa part de responsabilité dans la prise en charge du petit enfant est également très largement approuvée par l’opinion publique. Telle que la loi sur l’assurance parentale est formulée, plus aucune différence ne subsiste entre le père et la mère, et d’ailleurs le terme général « parent » est toujours employé. En quelque sorte, cette loi a même voulu gommer les différences biologiques entre hommes et femmes en supprimant le congé de maternité, donc le repos après l’accouchement. Hommes et femmes sont officiellement considérés comme interchangeables sous tous les points de vue en matière de soins à l’enfant.
4Toutefois, si les pères suédois ont depuis trente ans la possibilité d’avoir recours au congé parental pour prendre soin de leur enfant, toutes les statistiques montrent que les mères sont encore les principales bénéficiaires de cette prestation. De plus, grâce à une enquête, à la fois quantitative et qualitative, que j’ai menée dans la ville d’Uppsala, en 2000 et 2001, il est apparu qu’il existe des différences significatives dans la façon d’être en congé parental entre les hommes et les femmes. Cet article propose une description de la manière dont hommes et femmes ont recours au congé parental. Puis, nous tenterons d’expliquer ces différences et aussi de mettre en évidence la persistance d’inégalités de fait qui sont souvent ignorées, aussi bien au niveau politique que par les parents eux-mêmes.
- 3 Par exemple, en 1979, la proportion de jours d’allocation utilisés par les pères est de 5 % (les mè (...)
5Dès 1974, un congé parental de six mois est instauré. Ce congé était offert pour tous les enfants, quel que soit le rang de naissance, et il pouvait être utilisé par la mère, par le père ou partagé entre les deux. Les parents bénéficiaires percevaient une allocation à hauteur de 90 % du salaire antérieur durant le congé. Dans les toutes premières années qui suivent la mise en place de ce congé, le nombre de pères bénéficiaires est très faible et n’augmente que très lentement 3. Les législateurs, qui visiblement avaient tablé sur une plus grande participation des pères, débutent alors une série de modifications du dispositif initial, afin de rendre le congé plus long, mieux adapté à la vie professionnelle, et son utilisation plus flexible. On espérait ainsi faciliter le recours au congé parental chez les pères.
6La plus grande souplesse du système a nécessité des règles plus complexes. Une description de l’assurance parentale telle qu’elle est aujourd’hui s’impose si l’on veut saisir la manière propre à chaque sexe d’utiliser le congé parental. Dans sa forme actuelle, le congé suédois comprend 480 jours rémunérés à 80 % du salaire du parent bénéficiaire, ainsi que 90 jours rémunérés selon un forfait minimum garanti, à hauteur de 60 couronnes par jour (environ 9 euros). C’est aussi ce montant, appelé « niveau garanti », que percevaient les parents inactifs (et étudiants) pour toute la durée du congé jusqu’en 2002, date à laquelle ce niveau a été doublé, à 120 couronnes par jour. Chaque parent a droit à la moitié des jours (soit 240) mais il peut choisir de les transférer à l’autre parent, à l’exception de 60 jours réservés à chaque parent. Concrètement, cela signifie que si, par exemple, le père n’utilise pas au moins 60 jours, ceux-ci seront « perdus ».
7L’allocation parentale peut être perçue à plein-temps ou à temps partiel, de façon continue ou discontinue, de la naissance de l’enfant jusqu’à ses 8 ans. Si un congé rémunéré à plein-temps correspond à une durée de 16 mois, le cas le plus fréquent est, en réalité, de réduire le niveau de l’allocation, par exemple à mi-temps, pour prolonger la durée, qui atteindra alors 30 mois. Les parents choisissent en fait le nombre de jours d’allocation hebdomadaire, où un plein-temps équivaut à 7 jours. Le parent bénéficiaire peut alors être en congé à plein-temps tout en percevant l’allocation parentale à temps partiel, afin de prolonger la durée totale. Cette pratique doit être mise en relation avec une norme sociale très forte en Suède qui établit que le bien-être de l’enfant nécessite une présence parentale exclusive le plus longtemps possible. Par conséquent, l’entrée en collectivité (par exemple en crèche) doit intervenir le plus tard possible. Le parent peut évidemment aussi être en congé à temps partiel et travailler à temps partiel. En d’autres termes, pour percevoir l’allocation parentale, il faut être en congé, alors que le contraire n’est pas vrai. La grande souplesse de ce système permet aux parents d’élaborer de véritables stratégies en déterminant eux-mêmes le rapport qui leur convient le mieux entre le niveau de l’allocation et la durée de congé, selon leurs possibilités financières et leurs préférences en matière d’éducation. Les parents peuvent également alterner des périodes de congé et de retour au travail dans la limite de trois périodes de congé par an ou plus avec l’accord de l’employeur.
8Pour bénéficier de l’allocation parentale proportionnelle au salaire, il suffit d’avoir exercé une activité rémunérée au moins 270 jours avant la naissance. L’allocation est imposable et ouvre droit aux congés annuels et aux points retraite. Pendant la période du congé, la sécurité de l’emploi est garantie. Les deux parents ne peuvent pas percevoir l’allocation en même temps pour le même enfant. En revanche, s’ils le souhaitent, ils peuvent tous les deux utiliser l’allocation à mi-temps.
9Presque trente ans se sont écoulés depuis la mise en place du congé parental et force est de constater qu’il s’agit toujours, essentiellement, d’une affaire de femmes : 86 % des jours de congé indemnisés sont utilisés par les mères. A la fois plus nombreuses à en bénéficier et sur des périodes plus longues que les hommes, les femmes assument donc seules la majeure partie de l’éducation de leur enfant. L’absence prolongée du monde du travail qu’implique le congé ainsi que le recours fréquent au temps partiel après la première naissance contribuent alors à maintenir, voire à renforcer, les comportements traditionnels du modèle de « l’homme pourvoyeur, la femme au foyer ». L’égalité entre les parents face aux responsabilités éducatives qu’était censée produire la loi sur l’assurance parentale est donc encore loin d’être atteinte. Pour les enfants, cette loi a toutefois considérablement modifié la situation quotidienne, puisque la très grande majorité des enfants est gardée à domicile par un parent en congé parental, au moins toute la première année. Les structures d’accueil publiques ne reçoivent généralement les enfants qu’à partir de 1 an.
- 4 Les données présentées ici sont disponibles sur le site Web de l’Office national de la sécurité soc (...)
10L’Office national de la sécurité sociale fournit chaque année des données sur l’utilisation des jours d’allocation parentale selon le sexe. Les pères participent aujourd’hui un peu plus qu’avant, mais, comparé à celui des mères, leur rôle est secondaire. Etant donné que les statistiques publiées sont toujours annuelles, donc transversales, on dispose de deux mesures pour rendre compte de la participation des pères : d’abord la proportion des pères parmi l’ensemble des bénéficiaires de l’allocation parentale chaque année, qui avoisine les 40 % en 2002 4 contre 5 % dans les années 1970. Puis, la proportion de jours d’allocation payés utilisés par les pères, qui est de 14 % aujourd’hui et inférieure à 5 % dans les années 1970. La différence entre ces deux mesures pour l’année 2002 s’explique par le fait que, pour figurer parmi « l’ensemble des bénéficiaires », il suffit d’avoir utilisé une seule journée d’allocation durant l’année en question. D’une façon générale, comme la proportion de pères bénéficiaires est beaucoup plus élevée que la proportion de jours utilisés par ceux-ci, on comprend que beaucoup de pères utilisent le congé parental mais sur des périodes très courtes. L’évolution de la participation des hommes est donc celle d’une réelle augmentation du nombre de pères bénéficiaires, mais accompagnée d’une diminution de la durée du congé, puisque, rappelons-le, à l’origine le congé était seulement de 6 mois, tandis qu’aujourd’hui il est d’au moins 16 mois.
11Les pouvoirs politiques s’intéressent depuis longtemps au rôle du père dans l’éducation des enfants. Les chiffres relatifs à l’usage du congé parental constituent évidemment une source d’informations précieuses sur l’investissement paternel pour fixer des objectifs nationaux à court et à moyen terme. De plus, l’intervention politique est relativement aisée dans ce domaine, que ce soit par des changements législatifs plus « contraignants », comme les 30 jours réservés à chaque parent et non transférables en 1995, puis 60 jours réservés en 2002, ou par une politique de sensibilisation. Cette dernière s’est développée dès les années 1970, principalement sous la forme de campagnes d’information dans le but d’inciter les hommes à prendre un congé parental.
12Ainsi, les caisses d’assurance, qui gèrent, entre autres, les prestations relatives à l’assurance parentale, ont explicitement pour mission d’augmenter la participation des pères au congé parental. Elles envoient, par exemple, chaque année des lettres à tous les pères pour leur rappeler combien de jours d’allocation il leur reste, alors que les mères n’en reçoivent pas. Mais leur principale forme d’action est la diffusion d’informations sur les droits du père en matière de congé et des campagnes publicitaires. Le contenu de ces programmes de sensibilisation souligne les effets positifs pour l’enfant comme pour le père. Dans une brochure datant de 1999, intitulée « 10 Bonnes Raisons pour les pères d’être en congé parental », et très largement diffusée, on peut lire entre autres : « L’enfant a besoin de son père autant que de sa mère. Les liens les plus profonds entre le parent et l’enfant se tissent lorsque l’enfant est encore tout petit. La période où se nouent ces liens est irrécupérable ultérieurement. Un père absent devient vite une figure secondaire pour l’enfant. S’occuper d’un enfant augmente les capacités sociales et relationnelles. Affronter et résoudre des problèmes de la vie quotidienne avec un enfant feront apparaître des nouvelles compétences. Etre en congé parental développe l’instinct paternel. »
13Comme l’avait déjà remarqué Ulla Björnberg (Björnberg 1997), les effets bénéfiques annoncés correspondent aux compétences professionnelles de plus en plus demandées sur le marché du travail. Pour paraître attractive, la paternité active doit donc apporter des atouts professionnels.
14Une autre forme d’action qui a l’avantage du contact direct avec les futurs pères est le programme de formation parentale mis en œuvre dans les années 1970 selon des directives nationales. Cette formation est proposée par les centres de protection maternelle à tous les futurs parents et la participation est rémunérée pour les parents actifs. La formule utilisée est celle de groupes de discussion, animés par des spécialistes de la petite enfance (pédiatres, sages-femmes, psychologues de l’enfant, etc.). Ces groupes comportent six ou sept couples de futurs parents qui se réunissent environ six fois, en général vers la fin de la grossesse. Le contenu de cette formation est progressivement passé d’une simple préparation à l’accouchement et aux soins à donner à l’enfant à une préparation à être parent. La parentalité est problématisée : l’aspect psychologique et social du futur rôle de parent ainsi que les changements que connaîtront les parents dans leur relation de couple sont des thèmes abordés. Le bénéfice du congé parental pour le père comme pour l’enfant est inscrit au programme. Le taux de participation à cette formation atteint presque 100 % parmi les parents attendant un premier enfant (Socialstyrelsen 1996). Des groupes de discussion spécifiques pour les futurs pères ont aussi vu le jour dans plusieurs communes.
15Au début des années 1990, le gouvernement crée le groupe Papa, qui devient rapidement un acteur important dans les débats sur le congé parental chez les hommes. Ce groupe devait, par ses prises de position sur cette question, et principalement à travers les médias, agir sur les attitudes et les représentations du rôle du père. Les réflexions et les propositions des membres de ce groupe sont matérialisées dans deux rapports (Pappagruppen 1993 et 1995) où on peut lire, entre autres, que le congé paternel est un instrument indispensable pour atteindre l’égalité des sexes. Outre la question de l’égalité entre le père et la mère, le congé paternel contribue, toujours selon les membres du groupe, à une meilleure relation entre l’enfant et le père, et ce dernier se sentira plus assuré dans son rôle de père. Le droit de l’enfant à ses deux parents est également mis en avant pour inciter les pères à prendre un congé parental.
16Du point de vue de l’employeur, le congé parental – de courte ou de longue durée – peut au premier abord paraître compliqué à gérer au quotidien. Sur les lieux de travail à dominance féminine (métiers de la santé, de l’éducation, etc.), les départs en congé sont évidemment très fréquents et, en conséquence, les dispositifs pour y faire face sont bien rodés. En revanche, là où les employés masculins sont majoritaires, la gestion des départs en congé est sans doute épineuse, par le simple fait que ces absences prolongées sont plus rares. Toutefois, le consensus général sur les bienfaits du congé parental pour les hommes et l’intervention des autorités publiques dans ce domaine ont créé un climat « officiellement » favorable à ces absences dans un nombre grandissant d’entreprises. Il est, en quelque sorte, devenu « politiquement correct » d’encourager les employés masculins à prendre un congé. Ainsi, certaines entreprises ajoutent pendant quelques mois 5 ou 10 % de l’allocation (qui atteint alors 85 ou 90 % du salaire), d’autres s’engagent à payer la différence pour les parents dont le salaire est supérieur au plafond compensé à 80 %, et d’autres encore offrent quelques semaines de congés annuels supplémentaires pour les hommes qui utilisent au moins trois mois de congé parental (Haas & Hwang 1999). Il s’agit cependant d’initiatives privées et éparses qui ne concernent qu’une minorité d’entreprises, et aucune statistique globale à ce sujet n’est disponible.
17En tout cas, il existe une réelle volonté politique de rééquilibrer les rôles parentaux à travers le dispositif de l’assurance parentale. Les statistiques officielles, qui, on l’a vu, vont dans le sens d’une augmentation du nombre de pères en congé parental, sont alors fréquemment utilisées pour mettre en avant la réussite relative de la politique globale d’égalité des sexes. Or, comme nous allons le voir, l’usage très différencié selon le sexe de ce congé parental constitue dans les faits une source d’inégalités qui aurait plutôt tendance à s’aggraver au fur et à mesure que les règles s’assouplissent et que la durée du congé se prolonge.
18La particularité du système de congé parental en Suède implique certaines limites quant aux données statistiques disponibles sur l’usage du congé par la mère et par le père. Par exemple, la proportion des pères bénéficiaires de l’allocation parentale (environ 40 % en 2002) est, comme on l’a vu, « faussée » par le fait que la durée du congé n’est pas prise en compte, autrement dit tous les bénéficiaires, quel que soit le nombre de jours utilisés, comptent autant. Etant donné que les mères utilisent le congé sur des périodes plus longues, en moyenne, le congé des pères est largement surestimé. En plus, la possibilité d’utiliser le congé jusqu’à ce que l’enfant ait 8 ans rend impossible l’estimation du nombre moyen de jours par père pour les enfants nés ces dernières années.
19Les statistiques officielles se révèlent donc rapidement trompeuses lorsqu’on cherche à saisir des différences plus fines entre les mères et les pères. En outre, l’interprétation qui en est faite assimile un peu trop vite l’augmentation du congé chez les hommes à une plus grande égalité entre les sexes. Par exemple, les données officielles ne permettent pas de savoir ce que fait le parent qui n’est pas en congé et qui, par conséquent, s’occupe réellement de l’enfant. De plus, il n’est pas possible d’évaluer la prégnance des normes éducatives impliquant un « surinvestissement » parental, et qui se traduit concrètement par une réduction de l’allocation parentale, afin de prolonger la durée du congé, puisque aucune statistique sur le congé parental n’existe si celui-ci n’est pas accompagné d’une allocation parentale. Effectivement, le congé seul est négocié entre le parent et son employeur selon une règle simple : chaque parent a droit à un congé d’au moins 18 mois pour chaque enfant, puis le droit au congé est accordé automatiquement chaque fois que l’allocation parentale est perçue.
20La souplesse du système et les nombreuses possibilités d’utilisation pratique sont occultées dans les statistiques. Or, on peut supposer que, outre les différences dans le nombre de jours de congé utilisés entre hommes et femmes – les seules qui apparaissent dans les chiffres officiels –, d’autres divergences d’autant plus significatives qu’elles sont mal connues pourraient contribuer à une meilleure compréhension du partage inégalitaire. Un exemple concret va illustrer les nombreuses possibilités d’utilisation qui échappent aux statistiques existantes. Si un père utilise 30 jours d’allocation parentale sur une année donnée, plusieurs situations concrètes peuvent en effet correspondre : il peut être en congé pendant un mois, avec une allocation parentale à plein-temps. La mère de l’enfant peut pendant ce temps travailler, être au chômage ou en congé parental pour un autre enfant, être en congé maladie, et le père n’est alors pas forcément celui qui s’occupe effectivement de l’enfant, ou en tout cas il n’est pas toujours seul avec l’enfant. Les 30 jours de congé peuvent aussi être utilisés pendant une période de deux mois, si le père réduit son niveau d’allocation à 50 %, tout en étant en congé à plein-temps. Il peut aussi, pendant deux mois, travailler à mi-temps et être en congé à mi-temps (par exemple en alternant le congé avec la mère). Il peut aussi travailler à 80 %, soit 4 jours par semaine, et bénéficier du congé parental pendant 3 jours (on peut être en congé le week-end, à condition d’utiliser au moins un jour de la semaine en connexion directe avec le week-end, donc le vendredi ou le lundi). La durée est alors de 10 semaines mais en discontinu. Finalement, et le cas est très fréquent, le père peut prendre 30 jours de congé parental au mois de juillet pendant les vacances familiales, c’est-à-dire en même temps que la mère sera en congé.
21Beaucoup d’autres possibilités existent, mais dans les statistiques toutes ces situations sont identiques, puisque dans tous les cas il s’agit de 30 jours d’allocation utilisés sur une année donnée. Pour le père, la mère et l’enfant en question, ces différentes façons d’utiliser les jours d’allocation n’ont évidemment pas du tout le même sens.
22Nous partons de l’hypothèse que l’utilisation que font les parents du congé parental est révélatrice à la fois des rapports sociaux entre hommes et femmes dans le domaine de l’éducation des enfants, mais aussi des normes et principes pédagogiques en vigueur, véhiculés par les autorités politiques et qui jouent un rôle important dans les pratiques éducatives.
- 5 L’échantillon a été constitué à partir des fichiers de la caisse d’assurance contenant les demandes (...)
23Afin de pallier les insuffisances des statistiques officielles et de connaître un peu mieux les différences qualitatives de l’usage du congé parental, une enquête a été réalisée entre octobre 2000 et janvier 2001, dans la ville d’Uppsala, auprès d’un échantillon représentatif de 145 couples 5. Le questionnaire est élaboré dans le souci d’avoir une information très détaillée sur les jours de congé de la naissance de l’enfant jusqu’à ses 3 ans. La population est constituée de parents ayant eu un enfant entre 1995 et 1997 à Uppsala. Cette période a été retenue pour que tous les enfants aient au moins 3 ans, et pour que tous les parents aient connu le même système de congé parental (il n’y a pas eu de changements majeurs depuis 1995).
24Uppsala, situé à 70 kilomètres au nord-ouest de Stockholm, est la quatrième ville de la Suède et compte 188 000 habitants. C’est une ville universitaire, avec environ 34 000 étudiants, et 43 % de la population a fait des études supérieures (contre 29 % au niveau national).
25L’activité économique est dominée par l’industrie pharmaceutique où plus de 2 000 personnes sont employées. Dans le secteur public, les plus grands employeurs sont la commune et le département (plus de 20 000 employés), viennent ensuite l’université et l’université agricole (7 400 employés).
26Les statistiques sur l’usage du congé parental, disponibles pour chaque commune, montrent que les pères à Uppsala sont un peu plus souvent en congé parental que la moyenne nationale.
27Le questionnaire est de type biographique puisqu’il permet de retracer les événements relatifs au congé parental, à l’allocation parentale ainsi qu’à l’activité salariée concernant les deux parents pour une durée de 36 mois. Chaque questionnaire comporte ces informations à la fois pour le père et pour la mère. On connaît également la situation de l’enfant mois par mois sur la même durée. Sur plusieurs points, ces informations échappent aux statistiques officielles alors qu’elles sont pertinentes et indispensables pour appréhender la parentalité. L’intérêt de cette enquête est donc qu’elle fournit des renseignements très détaillés sur la façon dont le congé parental est utilisé. Pour compléter ces informations, 38 entretiens ont été réalisés dont quelques extraits seront cités ici afin d’illustrer les propos.
28Nous allons maintenant nous intéresser aux différences dans la façon d’utiliser le congé parental selon le sexe révélées par cette enquête. Outre la durée de congé pris par chaque parent, à quel moment intervient le père (s’il intervient) ? Que fait la mère pendant que le père est en congé, autrement dit qui garde réellement l’enfant ? Qui utilise le congé avec une allocation réduite ? A quoi ressemble le retour au travail pour le père et pour la mère ? Quelles sont les implications pour la mère du congé paternel ?
29Rappelons d’abord les trois caractéristiques de l’assurance parentale qui rendent celle-ci particulièrement appropriée pour une analyse en termes de genre. Premièrement, les 480 jours d’allocation parentale sont communs aux deux parents, et donc à partager comme ils le souhaitent (à l’exception de 60 jours chacun). Cela signifie que le congé de l’un détermine et limite le congé de l’autre. Deuxièmement, les structures d’accueil publiques de l’enfance ne reçoivent pas d’enfants de moins de 1 an, ce qui implique que l’enfant est nécessairement gardé à la maison au moins la première année par un parent (le recours à une tierce personne pour la garde de l’enfant est très rare). Le choix d’être en congé parental est donc tout relatif, puisque les deux parents ne peuvent pas choisir de ne pas y avoir recours (il faut bien que quelqu’un garde l’enfant). Et finalement ce congé parental a bel et bien remplacé le congé de maternité. En théorie, il n’y a donc pas de repos obligatoire après l’accouchement pour la mère active, mais en pratique c’est toujours la mère qui commence le congé parental après la naissance. Pour la mère, le repos durant les mois qui suivent la naissance est évidemment nécessaire, et, dans la pratique, 100 % des mères sont effectivement en congé pendant les premiers mois. On peut alors se demander si cette volonté politique de mettre les deux parents sur un pied d’égalité en négligeant le facteur biologique ne conduit pas à créer de l’inégalité, puisque seul le père peut véritablement choisir d’avoir recours ou non au congé parental. Il est aussi le seul à pouvoir choisir le moment de son congé, puisque pour la mère celui-ci débute impérativement avec la naissance de l’enfant. Et, de la même façon, seul le père peut choisir la durée, étant donné que l’enfant est toujours gardé à domicile par un parent durant sa première année.
30Précisons, pour commencer, qu’entre 1995 et 1997 l’allocation parentale pouvait être perçue pour 450 jours, soit 15 mois, et que 30 de ces jours étaient réservés à chaque parent. Le niveau de compensation était égal à 75 % du salaire du parent bénéficiaire.
31Regardons maintenant l’usage du congé parental des hommes et des femmes. Si, pour commencer, on fait la distinction entre le congé à plein-temps et le congé à temps partiel, on s’aperçoit que toutes les mères, sans aucune exception, ont eu recours au congé à plein-temps, contre moins de la moitié des pères. La durée moyenne de ce congé à plein-temps est de 3 mois pour les pères alors que les mères avaient pris 16 mois.
32En revanche, le congé parental à temps partiel, c’est-à-dire une réduction du temps de travail accompagnée du congé parental payé quelques jours par semaine, a été utilisé par autant de pères que de mères, environ un tiers, et la durée moyenne était de 9 mois. La différence ici est que le père en congé parental partiel travaille beaucoup plus qu’il n’est en congé : dans la plupart des cas, l’allocation parentale est perçue pour un seul jour (très souvent le vendredi). Comme l’explique ce père : « C’est plus intéressant de prendre le vendredi parce que comme ça je peux avoir l’allocation parentale pendant tout le week-end aussi. Alors, financièrement, c’est plus intéressant » (père, 31 ans, agent commercial, deux enfants).
33Du côté des mères, c’est l’inverse, elles sont plus en congé et l’activité salariée ne concerne qu’un jour ou deux dans la semaine. De plus, dans de nombreux cas, ces mères travaillent le soir ou le week-end, et il s’agit en fait d’un autre poste que celui qu’elles occupaient avant la naissance de l’enfant. Les mères qui sont dans ce cas ont, après une période de congé à plein-temps, repris une activité salariée mais de façon discontinue et souvent en assurant des remplacements, dans le but explicite de « sauvegarder » des jours d’allocation : « Comme ils ont toujours besoin de personnel à l’hôpital, c’est très facile. Je leur donne mes disponibilités pour la semaine et comme ça ils me téléphonent s’il y a besoin. Ça permet de prendre moins de jours d’allocation. Le but est que je puisse rester à la maison jusqu’au mois de juillet, après c’est les vacances » (mère, 34 ans, aide-soignante, en congé parental pour son troisième enfant).
34En additionnant les pères qui ont utilisé le congé à plein-temps et ceux qui ont opté pour le temps partiel, deux tiers des pères ont eu recours au congé parental, mais dans plus d’un tiers des cas la mère était alors à la maison (en congé non payé, étudiante à distance ou au chômage), ce qui signifie que le père n’était pas seul avec l’enfant. Pour la période retenue dans cette enquête, c’est-à-dire de 1995 à 1997, 30 jours d’allocation parentale étaient réservés à chaque parent (contre 60 aujourd’hui). La majorité des pères qui avaient eu recours au congé parental avaient pris uniquement ces 30 jours, sous forme d’un congé à plein-temps correspondant à un mois. Et ce mois est fréquemment pris durant les vacances familiales, lorsque la mère est aussi en congé.
35L’enfant a, en moyenne, 13 mois lorsque le père commence son congé parental. Il y a assez peu de variations ici puisque aucun père n’a utilisé le congé les six premiers mois de l’enfant, ceux-ci étant toujours assumés par les mères. Dans les entretiens, il apparaît clairement que, même lorsqu’il y a partage du congé, la première période est attribuée d’office à la mère et qu’une autre solution n’a dans la plupart des cas jamais été discutée : « C’était évident qu’il fallait partager 50-50, je n’aurais pas accepté autre chose. Il n’y a pas de raison que ce soit plus la mère… Mais évidemment, c’est elle qui prenait le début… Moi j’ai commencé à six mois » (père, 43 ans, chercheur en biologie, un enfant). « Comme il n’y a que la mère qui peut allaiter, la fonction du père apparaît un peu plus tard, c’est normal. Puis, personnellement, c’est plus intéressant après… » (père, 36 ans, infirmier, un enfant).
36L’allaitement est très fréquent en Suède, et souvent de longue durée (Brachet 2000). Dans notre échantillon, les mères ont allaité, en moyenne, neuf mois. On comprend aisément que l’allaitement implique la présence de la mère. Des études ont montré que, en outre, l’allaitement est souvent un argument avancé a posteriori par les parents pour expliquer/justifier le non-partage du congé (SOU 1978). Or, étant donné que l’allaitement n’est jamais exclusif au-delà de six mois, il ne devrait pas, en théorie, constituer un obstacle au congé paternel.
37L’allocation parentale peut, comme on l’a vu, être utilisée à temps partiel, de un à sept jours par semaine, quel que soit le nombre de jours de congé. Les parents diminuent volontairement leur allocation pour que le congé dure plus longtemps et que l’entrée en collectivité soit le plus tardive possible. Or, ici aussi on trouve d’importantes divergences entre les pères et les mères : le congé à plein-temps accompagné d’une allocation réduite est presque exclusivement utilisé par les mères. Par exemple, durant les tout premiers mois, plus de deux tiers des mères ont une allocation à taux réduit, alors qu’elles sont toutes en congé à plein-temps. Chez les hommes en congé parental à plein-temps, la grande majorité reçoit une allocation pour sept jours par semaine.
38En résumé, ce qui caractérise le congé parental des mères est que la durée va souvent bien au-delà des 15 mois. Donc la grande majorité des mères opte pour une réduction de l’allocation combinée avec le congé à plein-temps. Quant au père, lorsque celui-ci choisit le congé parental à temps partiel, combiné avec une activité salariée, le cas le plus fréquent est qu’il est en congé pendant un seul jour par semaine (presque toujours le vendredi) et travaille donc quatre jours. Et lorsqu’il est en congé à plein-temps, il préfère le plus souvent prendre son congé durant l’été.
39Parmi les 145 couples de l’échantillon, seulement deux ont partagé d’une façon parfaitement équitable le congé parental : les durées du congé à plein-temps comme celui à temps partiel étaient alors identiques. Dans le premier couple, le père et la mère occupaient exactement le même emploi (chercheurs en biologie), dans le même institut, avec des salaires identiques. Ils avaient un seul enfant et n’en voulaient pas d’autre (ils avaient tous les deux plus de 40 ans au moment de l’enquête). Dans le deuxième couple, l’homme était étudiant et la femme architecte d’intérieur ayant sa propre entreprise. Ils avaient trois enfants. Ils avaient pris chacun 6 mois et gardé les journées restantes pour prolonger les vacances d’été. L’homme de ce couple, qui a été interviewé, signale toutefois que ce n’est pas le souci d’égalité dans les tâches familiales qui a déterminé la durée de son congé : « Quand on est étudiant, c’est plus logique de s’absenter pendant tout le semestre… Et on reprend là où on en était six mois plus tard. On ne peut pas prendre un mois de congé comme ça en plein milieu de l’année, évidemment » (père, 29 ans, étudiant, trois enfants).
40Les différentes façons d’utiliser le congé parental sont presque infinies, puisqu’on peut « jongler » avec le niveau de l’allocation, le congé continu ou discontinu, le partage ou non-partage entre mère et père, et on peut également alterner les périodes de congé et de retour au travail. Or, quelques « modèles » plus fréquents que d’autres sont apparus rapidement. Nous en avons retenu quatre qui représentent environ deux tiers des cas. Ils sont intéressants car ils montrent que la souplesse de la législation du congé parental profite avant tout aux hommes ; les femmes doivent donc être souples afin que les hommes puissent avoir de la flexibilité et de la souplesse. En d’autres termes, les hommes choisissent le moment de leur congé et les femmes s’y adaptent.
41Le premier modèle est celui où la femme a utilisé seule le congé parental. Elle a, en outre, réduit le niveau de l’allocation pendant son congé continu, et celui-ci a duré au moins 16 mois (la moyenne étant 18 mois). A 18 mois, l’enfant commence la crèche ou la nourrice, et la mère retourne au travail à temps partiel. Donc, pour ces mères, on a une longue absence du lieu du travail, suivie d’une réduction de son temps de travail, afin que la journée à la crèche ne soit pas trop longue pour l’enfant. C’est la modalité la plus courante (41 couples sur 145). Pour les femmes comme pour les hommes dans cette situation, l’explication a posteriori du non-partage est d’ordre professionnel : « Je pense qu’il aurait bien aimé [être en congé parental] mais avec le travail qu’il a ce n’était pas possible. C’est vrai qu’il y a des postes où on ne peut pas s’absenter plusieurs mois. Ou alors, il y a des conséquences… on perd des clients par exemple » (mère, 30 ans, enseignante à l’école primaire, le mari est agent commercial, deux enfants). « Nous, on n’avait pas le choix. Comme il est à son compte le congé c’est hors de question ! Ou alors, on n’a plus qu’à fermer la boîte. Sinon, c’est bien que le père puisse être en congé aussi, mais ce n’est pas possible dans tous les domaines. Enfin, le système ne peut pas fonctionner pour toutes les situations » (mère, 36 ans, vendeuse, le mari est plombier à son compte, deux enfants).
42Une vingtaine de pères dans l’échantillon avaient leur propre entreprise et aucun d’entre eux n’avait utilisé le congé parental. Il paraissait en effet évident pour tout le monde, aussi bien les femmes que les hommes, qu’un père ayant sa propre entreprise ne peut pas être en congé. Curieusement – ou fallait-il s’y attendre ? – les femmes qui étaient dans ce cas (il y en avait 4) ne voyaient pas d’incompatibilité entre leur situation professionnelle et le congé parental, puisqu’elles avaient toutes pris au moins 6 mois de congé. Encore une fois, cet exemple montre bien que, puisqu’il n’y a pas de choix pour la mère, elle trouve une solution. Etre patron d’une entreprise est donc un argument largement suffisant pour justifier le non-recours au congé pour un homme, mais pas pour une femme.
43Dans le deuxième modèle, le père a eu recours au congé parental à plein-temps et la mère a alors repris son activité salariée durant le congé paternel. A priori, ces couples semblent avoir choisi un usage un peu moins inégalitaire, même si le congé du père est beaucoup plus court que celui de la mère. Mais la particularité de ces couples est que le congé paternel est « intercalé » entre deux périodes de congé à plein-temps pour la mère et qu’il intervient durant les mois d’été. Autrement dit, la mère travaille à plein-temps pendant le congé du père, ou encore prend ses vacances annuelles. Le congé du père dure, dans ce cas, généralement un mois, et la mère prend ensuite le relais, c’est-à-dire reprend le congé parental lorsque le père retourne à son travail. On peut donc supposer que c’est ici le père qui choisit le moment de son congé (c’est plus agréable pendant l’été !), et que la mère s’y adapte. Seize couples ont choisi ce modèle. « Lui [le père], il a pris son mois, c’était en juillet quand elle [l’enfant] avait 11 mois. Comme c’est plus calme au travail pendant l’été ça tombait bien » (mère, 27 ans, étudiante en multimédia, le mari est ingénieur informatique, deux enfants).
44Cette citation est intéressante, et assez caractéristique, car elle repose sur une forme de malentendu. Effectivement, un mois du congé est réservé au père (tout comme un mois est réservé à la mère) mais chaque parent a droit à la moitié des 450 jours, c’est-à-dire 225. Si le père ne veut pas les utiliser, il est obligé de faire une lettre officielle à la caisse d’assurance pour demander le transfert de ses jours au bénéfice de la mère. Pour beaucoup de couples, il semble toutefois que le « partage » du congé signifie que la mère utilise 14 mois et le père seulement « son mois » non transférable.
45Le troisième cas est celui où le père prend le relais à la fin du congé de la mère. On a donc une seule période de congé continu pour la mère (toujours beaucoup plus longue que pour le père évidemment) et, en plus, le congé paternel n’intervient pas forcément durant l’été. Ici aussi, la mère reprend alors le travail à plein-temps durant le congé du père, mais à la fin de celui-ci elle diminue son temps de travail. Donc ici la mère aménage ses horaires de travail : d’abord en travaillant à plein-temps lorsque l’homme est en congé, et ensuite en réduisant son temps de travail, lorsque l’enfant entre en crèche ou chez la nourrice. Ce modèle est utilisé par 15 couples.
46Finalement, le quatrième modèle est celui qui semble le moins inégalitaire : le père utilise uniquement le congé à temps partiel. Après la première période de congé à plein-temps (que la mère utilise toujours, rappelons-le) suit une période où les deux parents travaillent à temps partiel tout en percevant l’allocation pendant les jours où ils ne travaillent pas. Lorsque les jours d’allocation sont terminés, c’est la plupart du temps la mère qui continue son travail à temps partiel, le père travaillant presque toujours à plein-temps. Chez ces couples, la première période de congé continu pour la mère dure rarement plus de 8 mois, donc un retour au travail assez rapide. Même si, comme toujours, la mère assure la majeure partie des soins à l’enfant, on ne peut pas dire qu’elle adapte son usage du congé aux priorités du père. Dix-neuf couples ont choisi cette solution. Ces couples ont souvent l’impression d’avoir partagé équitablement le congé : « Oui, on a partagé 50-50. On travaillait tous les deux à mi-temps… ça a duré 8 mois. C’était très bien pour tout le monde. Si on en a un autre [enfant] je pense qu’on fera pareil. Quand on a fini l’allaitement, il n’y a plus de raison de ne pas partager » (mère, 32 ans, cadre commercial, un enfant).
47Cette mère était en fait en congé à plein-temps durant les 7 premiers mois, avant que le père intervienne. En pratique c’est donc comme s’il y avait d’abord un congé de maternité, que la mère utilise dans tous les cas, suivi d’un congé parental, qui peut être partagé ou non.
48Si l’assouplissement des règles relatives à l’usage du congé parental a certainement contribué à attirer les hommes, les femmes n’ont pas les mêmes possibilités d’en profiter, puisque l’enfant nécessite évidemment une présence à plein-temps toute la première année au moins. Au contraire, la souplesse du congé des hommes contraint les femmes à s’adapter à celui-ci, à la fois en ce qui concerne l’usage du congé lui-même, mais aussi dans leur activité professionnelle. Des recherches qualitatives, à partir d’entretiens, ont d’ailleurs souligné le fait que le congé paternel est négociable et flexible, alors que celui de la mère ne l’est pas (Bekkengen 1996).
49Outre les différences, déjà bien connues, du nombre de jours d’allocation utilisés par les hommes et les femmes, nous avons pu montrer, grâce à l’enquête biographique, que le congé des hommes se distingue de celui des femmes à d’autres niveaux aussi. Le choix d’être en congé n’est possible que pour les hommes : ils choisissent le moment, la durée, le plein-temps ou le temps partiel. Le congé masculin est donc négociable et flexible. Pour les femmes, le congé débute forcément à la naissance de l’enfant, aucun report n’est possible quelles que soient les circonstances professionnelles du moment. Comme le congé parental est commun aux deux parents, les choix de l’un réduisent les possibilités de l’autre, et telle que la législation actuelle est formulée, la grande souplesse du système ne peut s’appliquer qu’aux hommes, alors que pour les femmes elle constitue plutôt une contrainte : celle de s’adapter au congé des hommes.
50Certains auteurs (Ahrne & Roman 1997, Björnberg 1997, Bekkengen 1997) ont aussi souligné que l’objectif du congé parental n’est pas le même pour les hommes et pour les femmes. La femme est en congé pour prendre soin de son enfant, tandis que l’homme en congé espère, en plus, s’enrichir d’une nouvelle expérience qui pourrait lui servir dans la vie professionnelle. Cette différence expliquerait pourquoi la proportion des pères en congé diminue avec le rang de naissance de l’enfant : l’expérience est alors déjà faite, et une nouvelle période de congé n’apporterait pas autant que la première. Comme le dit ce père qui a pris trois mois de congé avec son premier enfant, le renouvellement de l’expérience ne semble pas indispensable : « C’était une très bonne expérience, je ne regrette rien. Ça nous a vraiment rapprochés [en parlant de l’enfant]. Pour le prochain, je ne sais pas [sa femme est enceinte], on n’en a pas encore parlé. Mais je crois que cette fois-ci elle prendra tout le congé » (père, 38 ans, chercheur en sociologie, un enfant).
51On comprend entre les lignes que le rapprochement entre lui et son premier enfant, rendu possible par le congé parental, fut ressenti comme une expérience positive, mais pas au point de désirer connaître ce même rapprochement avec son deuxième enfant.
52Dans la façon d’utiliser le congé parental, il apparaît clairement que l’objectif des femmes est bien souvent de prolonger au maximum la durée, pour que la rentrée en crèche soit le plus tardive possible. Elles connaissent d’ailleurs beaucoup mieux que les hommes les « astuces » pour économiser des jours d’allocation. Par exemple, il y avait dans l’échantillon trois femmes enseignantes qui systématiquement « retournaient au travail » durant les vacances scolaires, et reprenaient le congé à la rentrée des classes, afin de gagner trois ou quatre mois de congé parental par an. « C’est une collègue qui m’a expliqué, parce qu’à la caisse d’assurance ils n’informent pas sur ça. Après la fin des classes, je reprends mon poste, jusqu’à mi-août. Ça me fait gagner 10 semaines d’allocation parentale. Puis, je fais pareil à Noël et à Pâques. Ça a râlé un peu à l’école, mais c’est un droit, ils ne peuvent rien dire. On a droit à trois retours au travail par an » (mère, 33 ans, enseignante, deux enfants).
53Les hommes en congé semblent plus soucieux de ne pas gêner leur activité salariée, en prenant le congé parental durant l’été par exemple, ou encore, s’il s’agit d’un congé à temps partiel, choisir une journée à faible activité, comme le vendredi. Dans ce dernier cas, le père bénéficie d’un week-end de trois jours et en plus il peut percevoir l’allocation pendant tout le week-end. Autrement dit, c’est un congé plus facile à gérer pour l’employeur et qui, en outre, rapporte plus gros (trois jours à 75 % du salaire au lieu d’un jour de salaire).
54En conclusion, il semble que cette enquête a bien montré que l’augmentation du congé parental chez les hommes suédois ne signifie pas automatiquement une plus grande égalité dans la parentalité. A la symétrie parfaite des rôles du père et de la mère dans la conception de l’assurance parentale correspond une réalité tout autre. Les mères continuent non seulement à assumer presque seules l’éducation des enfants – et ce, sur des périodes de plus en plus longues en fonction des prolongations successives du congé parental – mais subissent aussi les contraintes liées à la flexibilité du congé des pères.