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AccueilNuméros70L’art de ne pas être lisible

L’art de ne pas être lisible

Les écritures inventées comme outils de résistance en Asie du Sud-Est
Piers Kelly
Traduction de Alice Doublier
p. 38-61
Cet article est une traduction de :
The art of not being legible [en]

Résumé

Discutant la proposition de l’anthropologue James Scott, qui affirme que l’absence de formes d’écritures vernaculaires parmi les minorités des hautes terres de l’Asie du Sud-Est continentale constituerait une des différentes manières de fuir l’État, l’auteur examine neuf écritures retrouvées, créées sur fond de violents conflits avec les basses terres. Reconnaissant l’écriture comme un instrument important du pouvoir étatique, les chefs de ces minorités ne se sont pas approprié ses usages bureaucratiques ordinaires. Préférant réserver ce médium à des fins et à des champs très spécifiques, ils ont fait de leurs écritures des instruments symboliques pour la construction d’institutions de résistance quasi étatiques.

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Texte intégral

Fig. 1. Carte des écritures de la Zomia, 2018

Fig. 1. Carte des écritures de la Zomia, 2018

Carte des royaumes de Siam, de Tunquin, Pegu, Ava Aracan…, 1764 ; enrichie pour Terrain ; en vert, la Zomia.

Source : Gallica / Piers Kelly © Bibliothèque nationale de France

  • 1 Cet article constitue une version traduite et remaniée du texte original de Piers Kelly, publié en (...)
  • 2 Pour un résumé, voir Enwall 1994 ; Rastorfer 1994b et Scott 2013 : 221-222.

1Le motif tragique d’une écriture perdue est très présent dans le folklore des hauteurs de l’Asie du Sud-Est continentale. Dans cette vaste région que l’on appelle aujourd’hui la Zomia (Schendel 2002), on déplore souvent l’absence apparente de systèmes d’écriture indigènes par le biais de légendes dans lesquelles prodigalité, imprudence, trahison ou certains actes de désespoir causent la perte de l’écrit1. On raconte que les Akha conservaient leur écriture sur des peaux de buffles
qu’ils furent finalement forcés de consommer lorsqu’ils ont fui l’invasion des armées taï, que les Wa écrivaient sur le cuir des bœufs qui furent eux aussi mangés en temps de disette, et que les gâteaux sur lesquels les Lahu inscrivaient leurs lettres subirent le même sort. L’écriture des Hmong fut quant à elle détruite par les Chinois ou dévorée par des chevaux et celle des Karènes fut tantôt volée, mangée ou abandonnée à la putréfaction. Kachin, Chin et Khmu racontent des histoires similaires retraçant comment ils ont été dépouillés de leur écriture et de ses avantages présumés2.

2Dans son célèbre ouvrage Zomia ou l’art de ne pas être gouverné (2013), James C. Scott envisage la possibilité que ces récits soient fondés sur des réalités historiques et suggère que les ancêtres des habitants des collines auraient vécu dans les basses terres au sein de communautés capables de lire et d’écrire. Quand les États des vallées ont par la suite étendu leur pouvoir via des régimes agressifs de travail forcé, de conscription et d’impôt, les proto-zomiens auraient fui sur les collines. Entrant de ce fait dans les « zones morcelées » d’une résistance contre l’État, ils auraient développé des pratiques pour lui échapper (que Scott dénomme « statofuges ») telles
que l’agriculture itinérante sur brûlis, des structures égalitaires et des cosmologies fluides. Ces techniques de fuite leur auraient garanti de ne pas être « lisibles » par l’État, pour reprendre l’expression mémorable de Scott. La question acquiert toutefois un sens plus littéral au sein du très justement nommé chapitre 6 ½. L’auteur y défend, non sans équivoque, la thèse selon laquelle l’absence de culture écrite dans les hautes terres aurait aussi pu être un choix politique pour éviter un enfermement dans l’État. Il est vrai que l’usage exclusif de l’oralité comporte des avantages surprenants. Lorsqu’elles sont exemptes de textes, les communautés sont aussi libérées des contraintes d’une orthodoxie qui peut détecter et contrôler les écarts par rapport à un dogme écrit. Scott soutient que, dans les sociétés orales, les généalogies peuvent être recomposées pour justifier une nouvelle organisation du pouvoir et que les histoires officielles inopportunes sont abandonnées aussi facilement qu’un terrain en jachère. En d’autres termes, la pérennité d’un texte écrit serait un frein potentiel au caractère adaptatif du dynamisme culturel. De ce point de vue, la destruction de l’écrit aurait été préférable à la destruction même des peuples le pratiquant. Cette hypothèse est reprise de manière plus affirmative encore dans l’ouvrage Against the Grain (Scott 2017). Selon le chercheur, les premiers États de la vallée du Tigre et de l’Euphrate auraient employé l’écriture à des fins de contrôle des populations, sous la forme bien connue des impôts et de l’esclavage. Pour cette raison, les groupes situés à la périphérie de ces États auraient rejeté l’écrit et tout ce qu’il impliquait jusqu’à ce que celui-ci leur soit imposé de force (Scott 2017, citant Lamberg-
Karlovsky in Algaze 2001).

  • 3 Scott définit la Zomia, après le géographe Willem van Schendel (2002), comme « tous les territoire (...)
  • 4 Pour des raisons de cohérence historique, le texte respecte les frontières des anciens empires bri (...)

3Affirmer que l’écrit est le présage d’une exploitation violente n’est pas sans précédent dans la littérature populaire et académique, de Claude Lévi-Strauss (1955) à Jacques Derrida (1967) ou à Jared Diamond (2000) pour n’en citer que quelques-uns. L’hypo-
thèse provocatrice de Scott néglige cependant de nombreux exemples d’« écritures trouvées » au sein de ces mêmes populations de la Zomia. Parmi les groupes vivant dans les hautes terres d’Asie du Sud-Est, les récits de la perte de l’écrit trouvent parfois leur résolution narrative dans des redécouvertes lumineuses d’une écriture indigène. Depuis 1840, les archives documentaires révèlent en effet au moins neuf réinventions d’écriture en Asie du Sud-Est zomienne. Elles furent presque toujours le fait de chefs charismatiques dont les programmes politiques radicaux étaient fondés sur la révélation et la diffusion de nouvelles écritures. À l’opposé de la vision chère à Scott d’une oralité déracinée, ces écritures retrouvées ont été invariablement utilisées pour réifier les identités des hautes terres et pour sceller des institutions et des orthodoxies nouvelles. Ces nouvelles configurations quasi-
étatiques ont exploité une dynamique « de mimétisme et de rejet » (Rao 2010) leur permettant de devenir reconnaissables en tant qu’entités écrites tout en restant illisibles pour les États auxquels elles s’opposaient. L’introduction d’écritures rebelles comme stratégie de résistance au sein de la Zomia3 a propulsé ces nouveaux mouvements et a investi d’autorité ses partisans tout en rendant ces langues marginalisées littéralement visibles. Il s’agira de retracer ici l’émergence de ces nouveaux systèmes d’écriture4.

La restauration 
de l’écriture dans 
la Birmanie coloniale

  • 5 À ce sujet, voir les travaux de McMahon 1876 ; Stern 1968 ; Saw et al. 1980 et enfin Womack 2005.

4Une grande partie des cas 
d’illettrisme rebelle auxquels Scott fait allusion dans
son ouvrage sont concentrés à l’intérieur des frontières nationales de la Birmanie coloniale, l’actuel Myanmar.
C’est cependant aussi au sein des minorités des hautes terres de ce pays qu’ont été enregistrés les premiers récits de rétablissement de l’écrit. Dans les années 1820, des villageois karènes ont informé un missionnaire baptiste, Jonathan Wade, que Dieu leur avait donné l’écriture sur un morceau de cuir, qui fut perdu. Depuis cet événement tragique, les villageois seraient « devenus un peuple ignorant, sans livres, sans roi, sans gouvernement propre, assujetti à d’autres rois et à d’autres gouvernements […] une nation d’esclaves, méprisés et malmenés, piétinés par tous comme des chiens » (cité dans Womack 2005 : 68). Il existe de nombreuses versions de cette légende d’une écriture karène perdue ; ce qui suit est donc une tentative de recomposition de celle-ci à partir de différents récits5. La légende raconte que, dans des temps ancestraux, le peuple karène était personnifié par le plus jeune garçon (ou dans certaines versions le plus âgé) d’une fratrie de sept hommes, dotés chacun d’une écriture par la divinité suprême Ywa. Le frère chinois reçut un livre fait de papier, le birman un livre fait de feuilles de palme, le karène un livre fait de peau de bête ou un livre fait d’or. Les autres frères
prirent soin de leur livre et l’étudièrent avec attention. Comme le frère karène était occupé à entretenir ses champs, il confia ce texte divin à un frère « blanc » qui en assura la conservation et l’emporta par-delà les mers en compagnie d’Ywa. Les Karènes
attendent aujourd’hui encore le retour du livre sacré, d’Ywa et du frère blanc. Dans l’une des variantes de ce récit, on raconte que le frère karène aurait été distrait par son travail et aurait manqué d’accorder à ce don l’importance requise. Il aurait déposé cette peau de bête gravée d’inscriptions sur une souche ou au pied d’un arbre à plantains et l’y aurait laissée pourrir durant la mousson. Quand il revint à l’endroit où il l’avait déposée, il découvrit avec un profond désarroi que sa peau de bête, mastiquée par les chiens et les cochons, picorée par les poules, était devenue méconnaissable. Il supposa que, comme les poules avaient mangé le document, celles-ci représentaient désormais la sagesse et les lois disparues consignées dans ce texte. C’est pour cette raison que ses descendants ont commencé à pratiquer la divination par les os de poulets. À la suite de cette perte de leur capacité à lire et à écrire, les Karènes furent aisément dominés par les Birmans maîtrisant l’écriture, qui les ont chassés des plaines des basses terres dans lesquelles ils avaient vécu.

L’écriture leke

5Après la première guerre anglo-birmane (1824-1826), le Myanmar a connu des bouleversements politiques et religieux considérables. Les accords administratifs d’après-guerre ont conduit à d’importants mouvements de population à l’intérieur du pays ainsi qu’à des reconfigurations radicales des structures de pouvoir au sein des institutions monastiques bouddhiques. Dans ce climat, les sectes
bouddhiques aux programmes anticoloniaux ont commencé à proliférer, en particulier en Basse-Birmanie. Les chefs de ces mouvements étaient souvent des prophètes charismatiques se proclamant possesseurs de pouvoirs surnaturels, préconisant une rébellion contre les étrangers et défendant un mode de vie ascétique pour se préparer à la venue d’Ariya, la réincarnation du Bouddha (Hayami 2011 : 1088-1089).

6D’après ceux qui le pratiquent aujourd’hui, l’origine du mouvement religieux leke et de son écriture remonte aux années 1830 lorsque des missionnaires baptistes ont commencé à traduire la Bible dans la langue qui est désormais connue sous le nom de karène pwo de l’Est (Saw et al. 1980), adaptant à cette fin l’écriture birmane. Une écriture dérivée du môn était déjà utilisée à l’époque dans les monastères bouddhiques pour transcrire les langues karènes, mais elle ne fut que peu diffusée avant les années 1850. Pour représenter les phonèmes propres aux langues karènes, ces deux systèmes d’écriture – missionnaire et monastique – ont eu besoin d’ajouter de nouveaux graphèmes ou d’en redéfinir certains.

7Alors que ces nouvelles écritures
se propageaient dans les hautes terres,
un homme karène du nom de Mahn Thaung Hlya s’opposa à la fois au système missionnaire birmanisé et à l’écriture monastique dérivée du môn. En 1844 ou 1845, il escalada donc, avec six autres compagnons, le mont sacré Zwegabin pour y commencer un jeûne de sept jours. Mahn Thaung Hlya fut le seul de l’équipée à réussir cette semaine complète de jeûne et, le septième jour, il fut récompensé par une vision : un personnage vêtu de blanc lui demanda quel était son souhait. Il lui répondit qu’il désirait une écriture karène vernaculaire. Le personnage toucha alors une pierre plate avec sa canne, ce qui fit immédiatement apparaître 47 symboles ressemblant aux empreintes des griffures que les poulets laissent dans la boue (Saw et al. 1980).

  • 6 Je me réfère ici au leit-hsan-wait ou « écriture en griffures de poulet » comme l’écriture leke de (...)

8Mahn Thaung Hlya descendit de la montagne et chercha quelqu’un qui fut capable de déchiffrer ces symboles. Il rencontra bientôt, au village de Hnitya, Mahn Maw Yaing, un homme connu pour avoir assisté les missionnaires baptistes dans leur traduction de la Bible. Bien qu’il fût atteint de la lèpre, une maladie 
marquée par un fort ostracisme social, on lui construisit une maison au village de Don Ying où il continua d’étudier ces symboles. Il finit par fournir les valeurs des 25 consonnes, 13 voyelles et 9 chiffres de ce qui allait être connu comme l’« écriture en griffures de poulet6 ». Mais ce n’est qu’à partir des années 1860 qu’un mouvement spirituel se forma autour de ce nouveau système d’écriture, lorsque des messagers divins révélèrent un livre saint, rédigé dans cette écriture, à deux hommes du village de Hnitya (Womack 2005 : 155). Celui-ci, dont on dit qu’il existe toujours aujourd’hui, devint le texte sacré fondateur du leke, une religion millénariste dont les adeptes attendent l’arrivée d’Ariya, la réincarnation du Bouddha.

9Les praticiens actuels du leke ont ajouté leurs propres épilogues à ce récit de la perte de la capacité d’écrire. Ils identifient le livre saint révélé dans les années 1860 au « livre fait d’or » détourné qui serait finalement revenu à ses propriétaires légitimes (Stern 1968). En parallèle, dans la version où le livre est écrit sur une peau de bête, ils racontent que le légendaire fils karène aurait brûlé la souche sur laquelle il avait abandonné le texte, et qu’il aurait découvert à cette occasion qu’il était capable de prédire l’avenir en interprétant les griffures des poulets dans les cendres. Comme ces animaux sont coupables d’avoir mangé ou effacé le message divin, cette écriture représenterait une émanation dénaturée, mais néanmoins puissante, du don originel de l’écriture (Saw et al. 1980).

10Destinée au départ au dialecte karène pwo oriental, l’écriture leke se révèle être un alphasyllabaire de type brahmique qui possède quelques caractéristiques inhabituelles le faisant ressembler davantage à un alphabet classique. L’inventaire complet de ses graphèmes comprend 25 consonnes, 16 voyelles, 3 tons, 
10 chiffres et un marqueur de fin de section (Fickle & Hosken 2013). Le taux d’alphabétisation en écriture leke n’a jamais été estimé, bien qu’il existe des écoles où elle est enseignée depuis au moins 1930 (Marin 1943). Yoko Hayami (2011) a estimé qu’il existait environ 200 leaders et plus de 
60 lieux de culte leke dans l’État karène et les camps de réfugiés karènes à la frontière thaïlandaise.

Deux écritures 
de Kyebogyi

11Un autre récit de la perte de la capacité d’écrire relate qu’un groupe ancestral de frères karènes voyageait vers l’ouest en compagnie de leurs frères aînés chinois. Ayant la capacité de se déplacer plus rapidement, les Chinois laissaient fréquemment leurs frères karènes à la traîne. Ces derniers, arrêtés auprès d’un ruisseau pour ramasser des coquillages, firent bouillir leur butin sans parvenir à le ramollir. 
Certains d’entre eux continuèrent donc leur route afin d’observer comment leurs frères chinois les préparaient. Après avoir remarqué que ces derniers les faisaient bouillir jusqu’à ce qu’ils soient complètement cuits, ils retournèrent au camp karène pour transmettre ces informations. Lorsque le groupe reprit la route vers l’ouest, les Chinois continuèrent de les devancer et finirent par décider de les abandonner derrière eux. Avant cela, ils déposèrent l’héritage de leurs frères cadets sur la route, afin que ceux-ci le récupèrent. Les Karènes découvrirent donc un paquet contenant une bride, un mors et une faucille pour couper le fourrage d’un cheval, ainsi qu’un livre gravé sur une tablette faite de cuivre et d’or. Ils décidèrent alors de s’installer à cet endroit précis et d’y construire des villages, des villes et un palais. Les Birmans vinrent ensuite détruire leur civilisation, forçant les Karènes à fuir et à se regrouper dans les montagnes (Cross 1871 ; Bunker 1872).

  • 7 Kai-pho-gyee en revendiquait la propriété exclusive et, selon certaines rumeurs, possédait cinq pl (...)

12Comme dans le cas du « don perdu » évoqué plus haut, cette légende possède un épilogue qui confère au récit une teinte d’histoire vraie. Parmi les nombreux objets hérités de leurs frères aînés chinois, le livre gravé sur le métal devint un élément clé à transmettre au sein des lignées de chefs, quand bien même les écritures qu’il contenait ne pouvaient plus être déchiffrées. Le pasteur karène Quala, d’obédience baptiste, examina en effet physiquement la tablette et mentionna son existence à E. B. Cross en 1866. Trois ans plus tard, Alonzo Bunker et J. B. Vinton visitèrent 
Kyebogyi, le village principal kayah de l’ouest où le livre était conservé, et reçurent tous deux la permission d’en faire quelques croquis (Bunker 1872 ; Brown 1879). Kai-pho-gyee, le chef fondateur du village et propriétaire de la tablette de métal, venait de mourir, sa femme et les fidèles avaient repris le contrôle du culte, dont cet objet constituait la principale relique7. Selon le compte-rendu des missionnaires, celle-ci était investie d’un pouvoir sur la vie et la mort et pouvait déclencher famine ou abondance. Chaque année en mars, un jour de fête drainait les habitants des villages
voisins venus s’attirer les faveurs du plat sacré avec des offrandes de bétail abattu ou d’argent (Bunker 1872 ; McMahon 1876). Les traces de cet artefact ont disparu des archives après 1870 et sa localisation physique demeure inconnue à ce jour. Rien ne laisse penser que cette écriture ait jamais été lue ou diffusée.

13Près d’un siècle après que le révérend Quala eut rendu publique l’existence de la « tablette gravée karène », une autre écriture émergea exactement au même endroit. En mars 1962, Htae Bu Phae, un enseignant du village de Kyebogyi, de formation universitaire, passa la nuit à inventer une nouvelle écriture censée représenter et unifier les langues karènes du Myanmar, connue aujourd’hui comme l’écriture kayah li. Celui-ci n’entreprit ni de lier sa création au folklore régional ni de revendiquer une inspiration surnaturelle. Sa visée était laïque et politique : « Je réfléchis à la possibilité d’un alphabet propre aux peuples kayah depuis mon enfance […]. Je voulais montrer notre spécificité face aux Birmans. Je dois dire qu’aucune des solutions existantes n’avait reçu mon approbation. Ni le birmano-
karène, ni l’écriture romanisée ne parvenaient à offrir un panel complet des sons kayah que je connaissais » (Bennett 1993). Il affirma cependant que son écriture était fondée, d’après les « conseils de certaines personnes âgées du village », sur du « karenni ancien » (Rastorfer 1994a).

Fig. 2. Carnet d’écriture, c. 1962

Fig. 2. Carnet d’écriture, c. 1962

Cette nouvelle écriture (kayah li) a pour vocation de représenter et d’unifier les langues karènes du Myanmar.

Crédit : Htae Bu Phae © Droits réservés

14Les racines religieuses de ces deux écritures décriées par Htae Bu Phae sont incontestables. Avant les années 1950, une graphie romanisée du kayah de l’ouest avait déjà été introduite par les missionnaires catholiques dans quelques écoles et dans la liturgie. En 1962, un Karène catholique de la ville de Hpruso créa une écriture fondée sur le birman avec le soutien des autorités gouvernementales (Bennett 1993 ; Sproat 2004). Celle-ci, dérivant directement de l’orthographe baptiste du karène sgaw, fut utilisée dans les écoles du dimanche, les activités des jours fériés et les projets d’alphabétisation. Il est possible que ce soit l’avènement de cette écriture, et ses prétentions à représenter la Birmanie « des origines », qui ait incité Htae Bu Phae à agir. Il n’existe pas de preuve qu’il se soit inspiré de la tablette gravée karène, ni même qu’il ait eu connaissance de son existence.

Fig. 3. Tablette gravée karène, 1872

Fig. 3. Tablette gravée karène, 1872

Les inscriptions de cette écriture, d’inspiration divine, sont une trace de celle des Karènes qui aurait été perdue.

Crédit : Alonzo Bunker

15Htae Bu Phae commença rapidement à enseigner l’écriture kayah li et, en 1975, celle-ci était suffisamment répandue pour justifier la création de l’Association de la littérature kayah, un organisme dédié à la fois à la promotion de l’écriture et à la documentation du folklore local. L’année suivante, le Parti progressiste national karène, un parti séparatiste dont Htae Bu Phae allait devenir le secrétaire général, fit de cette écriture l’alphabet officiel et national de l’État kayah.

16Dans sa forme, elle fut conçue pour se distinguer visuellement à la fois de l’écriture romaine, associée aux Occidentaux, et de l’écriture birmane, promue par le gouvernement national. Le kayah li ne fait en effet pas automatiquement penser aux principales écritures de la région comme le birman, le taï ou le shan, même si 9 de ses caractères sont proches ou identiques au birman. Sa structure sous-jacente est censée s’adapter aux répertoires de phonèmes de toutes les langues karènes, lui permettant ainsi d’incarner l’unité politique de la région. En pratique, l’alphasyllabaire kayah li est conforme à d’autres écritures brahmiques en ce qu’il utilise un caractère principal pour les consonnes initiales et des figures satellites plus petites pour les voyelles et les tons.

17Dans les années 1980, des fonctionnaires de l’État kayah ont commencé à imprimer et à diffuser des livres scolaires, des dictionnaires et des magazines utilisant cette écriture, mais le milieu dans lequel celle-ci connut le plus grand succès reste les camps de réfugiés du côté thaïlandais de la frontière. Le contexte politique turbulent dans lequel l’écriture kayah li a émergé se reflète dans les deux dénominations utilisées pour la décrire : elle est tantôt une « écriture rebelle », car née au sein d’un mouvement séparatiste, tantôt une « écriture de camp », de par sa grande diffusion dans les camps de réfugiés karènes. En 2001, un sondage du gouvernement thaïlandais a estimé que le taux d’alphabétisation en écriture kayah li dans les camps frontaliers de réfugiés était de 48 %, avec un nombre total d’environ 10 000 personnes l’écrivant (Sproat 2004).

L’écriture de Pau Cin Hau

18Chez les Chin, qui vivent dans les hautes terres du nord-ouest du Myanmar et du Bangladesh voisin, l’incapacité à lire et à écrire est rapportée à travers l’histoire suivante. Hlinyu, la mère ancestrale, aurait pondu une couvée de laquelle auraient éclos 101 frères,
dont le plus jeune était le Chin. Il voyagea dans le lointain et, quand il rentra chez lui, le monde avait déjà été partagé entre ses frères. Pour compenser son infortune, sa mère lui offrit les montagnes en même temps que des éléphants, des chevaux et du bétail puis le plaça sous la tutelle d’un frère birman plus âgé. Ce dernier feignit de lui enseigner l’art de l’écriture, mais ne lui montra en fait que l’envers de la tablette d’écriture. Par la suite, il fit usage d’autres ruses qui dépouillèrent son jeune frère de tout son bétail. Le frère birman, attentif à bien délimiter son territoire à l’aide de pierres et de piliers, persuada son frère chin de se contenter de touffes d’herbe qui brûlèrent bientôt dans des feux de jungle. Le Chin se trouva donc sans ressource, illettré et apatride dans les montagnes (Shway 1910 [1882] : 443-444).

19On décrit les Chin comme un peuple perpétuellement en guerre contre les Birmans, et avant eux contre les Shan (Banks 1967). Le Front national chin, fondé en 1988, poursuit aujourd’hui encore une campagne militaire pour l’autonomie régionale. La perte mythique de l’écriture par les Chin a cependant trouvé une issue autre que guerrière grâce à un prophète légendaire du nom de Pau Cin Hau. En 1888, alors qu’il était en apprentissage chez une prophétesse, cet homme souffrit d’une longue maladie. En 1900, il commença à avoir une série de visions qui 
l’élevèrent bientôt lui-même au rang de prophète. Celles-ci prédisaient de nouvelles technologies comme les chemins de fer et les bateaux à vapeur ainsi que des guerres dévastatrices entre les nations. Au cours de ces visions, un Anglais apparut et tint un miroir devant le visage de Pau Cin Hau pour le forcer à se confronter à ces calamités. En 1902, l’Anglais revint le visiter pour lui enseigner l’art d’écrire en utilisant des pierres en forme de lettres. Quand il eut fini de maîtriser ce système, Pau Cin Hau se réveilla de son rêve et se mit à recopier frénétiquement les lettres. L’adjoint au préfet des Chin Hills, impressionné par son invention, l’encouragea à la publier, mais celui-ci décida de continuer à peaufiner ce système jusqu’à ce qu’il en termine une version finale en 1931.

  • 8 Le terme paliki est en effet dérivé de l’anglais police (police) via le birman, une étymologie rec (...)

20L’année suivant son rêve, Pau Cin Hau eut une autre vision qu’il interpréta comme un ordre divin préconisant d’abandonner les rites pour se concilier les nats (esprits animistes)
et de ne vénérer qu’un seul Dieu tout puissant. C’est ainsi qu’a débuté le mouvement monothéiste laipian, une tradition religieuse inspirée du christianisme et centrée autour de rituels de guérison. Les hommes se consacrant à ces pratiques sont nommés paliki8 et portent des uniformes officiels quand ils administrent leurs soins. Si la maladie ne recule pas après les soins de paliki de bas rang, on fait appel à des officiers de plus haut rang jusqu’à ce que le patient aille mieux. La guérison s’explique par le fait que les mauvais caractères cèdent devant ceux qui font respecter la loi (Bennison 1933 : 218).

21L’écriture révélée à Pau Cin Hau
aurait connu trois versions : la première, une écriture logographique d’au moins 923 graphèmes représentant des morphèmes monosyllabiques ; la deuxième n’ayant pas survécu ; la troisième et dernière, celle de 1931, un alphabet de 21 consonnes, 7 voyelles, 9 symboles de coda et 
20 marques de tons (Bennison 1933 ; Pandey 2010). Bien que l’écriture de Pau Cin Hau ait été conçue pour le chin tedim, l’inclusion de signes représentant des consonnes qui sont non phonémiques au sein de ce type linguistique est une indication forte que ce système a été créé pour être utilisé avec des langues chin plus répandues, comme le mizo (Pandey 2010).

Des rebelles lettrés en Indochine française

22Bien que les empires coloniaux français et anglais de l’Asie du Sud-Est continentale apparaissent comme deux mondes différents, ils étaient unis géographiquement par le massif qui s’étend des Chin Hills jusqu’aux hautes terres du sud du Laos. Leurs marges zomiennes résistèrent, culturellement et militairement, de façon similaire. Comme nous allons le voir, les Zomiens soumis au gouvernement putatif français furent aussi enclins à des soulèvements millénaristes et à des réappropriations stratégiques de l’écriture.

L’écriture khom

23De la même manière que les Karènes décrivent avoir voyagé par le passé en compagnie de leurs frères chinois, les ancêtres de tous les Kha, Jru compris, auraient effectué un périple depuis le nord. Dans l’un des récits, les Kha quittent Vientiane guidés par des magiciens qui portent une épée dotée de pouvoirs et accompagnés par les Lave qui sont à la tête du cortège. Les Jru, à l’arrière, décident, emportés par la fatigue, de s’installer là où ils vivent actuellement.

24En 1924, les militaires de l’Indo-
chine française interceptèrent des lettres d’insurgés en provenance du plateau des Bolovens au sud du Laos, qui s’étaient propagées jusqu’au Vietnam et au Cambodge. Le point commun entre ces messages diffusés sur les milliers de kilomètres des 
hautes terres était l’écriture inhabituelle dans laquelle ils étaient rédigés. Ceux qui savaient écrire en romain, taï, chinois ou birman ne purent se repérer dans cette écriture, même si un fonctionnaire supposa qu’elle devait être en lien avec le pali. Ces mystérieuses missives émanaient du chef rebelle « immortel » Ong Kommadam qui s’était fait connaître parmi les Jru et les groupes voisins du sud du Laos grâce à son programme de rébellion contre l’État colonial.

25Kommadam avait reçu cette écriture miraculeuse après être tombé dans des transes involontaires. On raconte qu’il répétait un son sans relâche jusqu’à ce que celui-ci se manifeste sur la peau nue de sa poitrine. Un scribe le recopiait et attendait que le son suivant apparaisse. Ces sessions épuisaient Kommadam qui passait parfois le lendemain à dormir (Sidwell 2008). Même si ce dernier allait bientôt se proclamer « Roi des Khom » ou « Roi des cieux des Khom », il n’était pas du tout unique en son genre. Au tournant du siècle, le plateau des Bolovens fut le foyer de nombreuses révoltes éphémères menées par des messies autoproclamés qu’on appelait des Phou Mi Boun, soit littéralement des « hommes de valeur ». En 1902, Kommadam n’était qu’un homme saint parmi une centaine d’autres (Gunn 1988 ; Ileto 1992). Si la majorité de ces micro-mouvements
furent abandonnés ou vaincus militairement, ce chef et une poignée d’autres insurgés finirent par rallier leurs successeurs et menèrent une révolte unifiée des groupes des hautes terres du Sud qui dura plusieurs décennies.

  • 9 Voir en particulier Gunn 1990.

26Les causes de ces rébellions ont
été longuement discutées et la plupart des études pointent les changements brutaux affectant les modèles économiques à la suite de l’intégration dans la colonie française9. Après l’occupation coloniale du plateau des Bolovens en 1893, les Jru et leurs voisins furent soumis à de plus lourds impôts et les moyens à leur disposition pour accumuler des ressources furent simultanément restreints (Murdoch 1967). L’interdiction du commerce des esclaves, l’introduction de la corvée obligatoire et le détournement des marchés locaux d’Ubon et de Bangkok vers le centre colonial 
de Saigon engendrèrent de fortes tensions économiques chez les communautés des hautes terres. De plus, les relations coutumières tributaires avec le royaume de Champasak furent interrompues lorsque les élites lao perdirent leurs cycles d’impôts et leur statut politique au profit de bureaucrates coloniaux (Jacq 2001). Tous ces éléments ont constitué les conditions d’une crise politique majeure dans les hautes terres. Ceux qui avaient tout perdu avec le nouveau régime n’avaient qu’à gagner à s’y opposer de toutes leurs forces, ce qui a mené à une « crise de l’autorité, des relations de pouvoir et des relations sociales » (Murdoch 1967).

  • 10 Si l’écriture khom est documentée de manière si complète et archivée, c’est grâce aux efforts de P (...)

27En 1910, Kommadam survécut à une tentative d’assassinat quelque peu théâtrale d’un fonctionnaire français, qui, sous couvert de diplomatie pacifique, tira sur sa poitrine à l’aide d’un pistolet caché dans son casque colonial. La réputation d’immortalité du chef rebelle demeura intacte jusqu’à ce que les autorités françaises prennent la décision de mettre fin, une fois pour toutes, au « problème Kommadam ». En 1936, il fut tué lors d’un raid sur le plateau des Bolovens dans une mise en scène anachronique mêlant bombardements aériens et brigades à dos d’éléphants (Gunn 1988). L’utilisation de l’écriture s’interrompit après sa disparition et les forces françaises auraient détruit tous les manuscrits sur lesquels elles purent mettre la main. Une histoire locale raconte que, après la mort de Kommadam, ses fils transcrivirent les caractères khom tatoués sur son dos avant de l’enterrer. Dans une autre version, un homme – peut-être Kommadam lui-même – se serait fait tatouer l’écriture khom avant de fuir au temple Wat Phu ; les rumeurs disent qu’il s’y fit moine (Jacq 2001)10.

Quatre écritures hmong

  • 11 Voir Lemoine 1972 ; Tapp 1989 ; Enwall 1994 et Duffy 2007.

28Les histoires d’une écriture perdue racontées par les Hmong d’Asie du Sud-Est sont liées au contexte plus large d’un exode de Chine. Ces derniers soutiennent qu’ils ont eu jadis leur propre roi, leur propre territoire et leur propre système d’écriture jusqu’à ce que ceux-ci soient détruits par les invasions des Han les forçant à fuir vers le sud. Dans un autre récit, les Hmong ont pu emporter leurs livres mais furent contraints de les manger pour éviter la famine, ou bien, fatigués de leur voyage, se sont endormis pour découvrir à leur réveil que leurs chevaux les avaient dévorés. Une variante connue raconte qu’ils ont perdu leur écriture alors qu’ils traversaient une rivière en compagnie de leurs frères chinois. Par peur de mouiller leurs livres, les Hmong les auraient mangés, tandis que les Chinois les auraient portés sur la tête. On relate encore qu’un jeune Hmong aurait mis le livre dans sa bouche afin de pouvoir porter son frère aîné chinois sur le dos et passer la rivière à gué mais qu’il aurait avalé l’écriture en trébuchant. Dans l’une des versions, les Hmong essaient de conserver leur écriture en brodant ses caractères sur leurs vêtements, une pratique dont on trouverait la trace dans la broderie hmong contemporaine. Dans toutes ces légendes, la destruction ou l’ingestion de l’écriture explique les bonnes capacités mémorielles de ce peuple, mais sa perte est aussi associée à celle d’un territoire, d’un statut politique et de la possibilité de devenir agent de l’État. Une prophétie prédisant qu’une écriture hmong authentique venue du ciel tomberait dans les mains d’un prophète qui unirait cette population dispersée et ouvrirait la voie à un royaume hmong rétabli vient compléter ces récits tragiques11.

  • 12 Voir Jiang Yongxing cité et discuté dans Enwall 1994 : 65, qui avoue être sceptique quant à la fia (...)

29Il est possible que ces histoires aient au moins quelques fondements historiques. De nombreuses mentions d’écritures antiques hmong ont été signalées au fil des siècles mais aucune n’a été formellement documentée (Enwall 1994 : 59-72). Les armées de la dynastie conquérante mandchoue ont néanmoins envahi et déplacé des milliers de communautés hmong en Chine et au moins une source mentionne un décret leur interdisant d’utiliser ou d’enseigner leur écriture12.

30L’écriture fut pour la première fois restituée aux Hmong grâce à Pa Chay Vue, connu pour avoir mené une révolte en 1918 contre le pouvoir français au Laos, qui fut nommée la « guerre du Fou ». Pa Chay Vue prétendait être le roi hmong tant attendu et il chercha à établir la capitale de sa nation à Diên Biên Phu. Notons que les réfugiés hmong venant de Chine ont commencé à migrer au Laos et au Vietnam entre 1810 et 1820. La légende veut qu’il soit né avec un livre et un stylo et qu’il ait visité les cieux. Là, il aurait rencontré quatre fous connaissant l’écriture avec lesquels il aurait communiqué au moyen d’une seule lettre. Plus tard, il mit ce système d’écriture céleste au service de sa cause pour rédiger des tracts de propagande incitant les Hmong à se soulever. Écrits à l’encre naturelle sur de l’écorce de bambou traitée, ces pamphlets relataient aussi l’histoire du peuple hmong, de la création à l’arrivée du roi, que des messagers devaient vraisemblablement expliciter dans les villages. Pa Chay Vue distribuait par ailleurs des carrés de tissu portant des inscriptions servant d’amulettes protectrices lors des batailles. Comme dans le cas de la tablette gravée karène, il légua à sa femme une tablette en cuivre gravée avec son écriture avant de mourir (Tapp 1989 ; Duffy 2007). Aucun échantillon de cette écriture n’a subsisté et il est donc possible qu’elle ait été un code mnémotechnique plutôt qu’un véritable système de transcription d’une langue parlée.

31Pa Chay Vue fut assassiné en 1921 mais d’autres messies hmong ont ensuite émergé lors des violents tourments de la guerre du Vietnam. Le premier a apporté deux systèmes d’écriture dont l’un a survécu jusqu’à ce jour et constitue, pour certains de ses fidèles, une restitution de l’écriture de Pa Chay. Ce nouveau messie était un paysan illettré hmong du nom de Shong Lue Yang qui fit un rêve durant lequel deux jeunes hommes lui demandèrent s’il avait déjà appris à écrire à son peuple. Celui-ci insista sur le fait qu’il était illettré, mais les jeunes hommes lui révélèrent qu’ils lui avaient déjà enseigné l’écriture. Shong Lue Yang se maria et eut des enfants. En mai 1959, il entendit une voix forte qui lui ordonna de construire un temple circulaire, de fabriquer du papier à partir de bambou, de l’encre à partir de la plante indigo et de préparer son matériel à opium. Il fuma jusqu’à minuit et les deux jeunes visiteurs éthérés de son enfance se manifestèrent de nouveau. Ils lui donnèrent deux systèmes d’écriture : l’un pour les Hmong et l’autre pour les Khmu (langue de sa mère). Après l’enseignement des écritures, deux nouveaux hommes vêtus avec l’uniforme noir des fonctionnaires et parés de médailles sont apparus et ont apporté des offrandes à Shong Lue Yang et à ses professeurs. Les jumeaux de Shong Lue Yang – qui moururent alors qu’ils étaient encore nouveau-nés et qui sont identifiés aux deux visiteurs éthérés de son enfance – délivrèrent à leur tour un message post-mortem rédigé dans cette graphie céleste. Celui-ci rappelait comment, par le passé, l’écriture hmong avait été détruite par les autres nations ; il prédisait aussi l’anéantissement de celles qui tenteraient de poursuivre cette œuvre de destruction. Dès lors, Shong Lue Yang entreprit d’enseigner les deux écritures aux peuples hmong et khmu. La version hmong, appelée hmong pahawh, subit quatre révisions progressives et de plus en plus compactes entre 1959 et 1971, date de l’assassinat de Shong Lue Yang. L’écriture khmu n’eut pas de succès et aucun manuscrit n’a survécu. Avant son décès, Shong Lue Yang dessina un drapeau pour la nation hmong à venir et prédit l’arrivée de nouvelles technologies (Smalley, Vang & Yang 1990).

  • 13 Culas 2005 ; Smalley & Wimuttikosol 1998.

32Une dernière écriture hmong entre en scène en 1965 aux abords du village de Muang Pieng, dans la province laotienne de Sayaboury. Là, une mystérieuse divinité aurait révélé à un garçon de 8 ans nommé Nga Va une écriture sainte et plusieurs textes sacrés. Pendant sept ans, Nga Va étudia pour apprendre à déchiffrer les textes dont on découvrit plus tard qu’ils étaient les documents fondateurs d’une nation hmong à venir. Les huit volumes illustrés regroupaient un guide pour apprendre le système d’écriture, des commentaires philosophiques et sociaux, des instructions pour un futur gouvernement et pour l’éducation, ainsi que des traités moraux et les plans pour un drapeau, une monnaie et des bâtiments gouvernementaux. Par contraste avec le hmong pahawh, la connaissance du système d’écriture de Sayaboury reste très règlementée, comme l’est tout accès à un texte sacré, et l’on ne sait pas s’il est encore en usage aujourd’hui13. On ignore également si Nga Va et son père qui l’a aidé dans son entreprise étaient illettrés. Smalley et Wimuttikosol (1998) ont émis l’hypothèse que l’écriture de Sayaboury était peut-être une sorte de code de substitution de l’Alphabet populaire romanisé des langues hmong. Peu avant sa mort, Smalley rapporta l’existence de trois systèmes d’écriture hmong supplémentaires et de deux « écritures brodées » créées entre les années 1960 et 1990, bien que celles-ci n’aient apparemment pas été diffusées au-delà de leurs inventeurs et qu’on ne dispose d’aucun échantillon.

Chapitre 6 ¾

33Ces neuf cas éloquents d’écritures réinventées dans la Zomia invitent à nuancer la proposition de Scott – l’illettrisme dans les hautes terres serait une manœuvre politique réfléchie visant à se soustraire à l’influence des régimes lettrés des basses terres. Certes, le folklore des hautes terres est rempli de récits relatant comment l’écriture ancestrale a été perdue, à la suite de fautes morales
commises par ceux qui la possédaient ou de la domination des peuples des basses terres. Mais, comme nous l’avons vu, ces histoires sont rarement des cris de ralliement à une résistance antiétatique ; elles relèvent plutôt du registre du regret et de l’humiliation. Les exemples développés ici semblent néanmoins détenir une promesse anticipatrice : le rétablissement final de l’écriture est formulé en termes de rédemption morale, provoque un réagencement des relations de pouvoir et restaure un passé glorieux.

34Le retour de l’écriture chez les Karènes, les Jru, les Chin et les Hmong a été porté par des chefs charismatiques aux avant-postes de nouveaux mouvements politico-religieux. Ces hommes se sont stratégiquement réapproprié l’écriture parmi d’autres marqueurs d’indépendance, afin de construire de nouvelles formes de société, une écriture qui soit identifiable et néanmoins indéchiffrable pour leurs ennemis des basses terres.
À la différence des écritures missionnaire et monastique, l’écriture leke n’arborait pas les couleurs birmanes et restait incompréhensible pour les non-initiés. Sa forme graphique portait par ailleurs les traces de ses origines mythiques, laissant présager le retour du légendaire livre karène disparu, derrière les traits d’une nouvelle tradition scripturale. Un peu plus au nord et quasiment à la même époque, un chef charismatique prétendit récupérer l’écriture des Karènes comme elle leur avait été transmise par leurs frères chinois qui les avaient « dépassés » depuis longtemps en termes de prouesses technologiques. Bien qu’indéchiffrable, le livre perdu devint un élément central du dispositif rituel de la chefferie de Kyebogyi, au moment où celle-ci était menacée par les Birmans au sud et par des mouvements politico-religieux rivaux à l’est. Un siècle plus tard, alors que reprenaient les hostilités avec le pouvoir militaire birman, un autre système d’écriture émergea au sein du même village. L’écriture kayah li, bien qu’ouvertement laïque, fut investie de hautes responsabilités : unir symboliquement les groupes linguistiques karènes et consolider une institution séparatiste instable.

35En dehors du Myanmar, l’écriture khom du Laos apparut au plus fort d’une guerre brutale grâce à un rebelle charismatique ayant reçu cette révélation par l’intermédiaire d’une transe. Malgré sa création par un faiseur de miracles renommé, cette écriture 
n’allait cependant pas devenir le fondement d’une tradition écrite sacrée. Se développant comme médium d’une propagande politique, elle a plutôt eu des applications pratiques : elle a contribué à l’unification des populations
 des hautes terres de l’Indochine française s’opposant à l’État colonial. Les écritures hmong du Laos et du Vietnam font partie des écritures messianiques les plus connues d’Asie du Sud-Est. Ces systèmes, conçus dans la tourmente des soulèvements anticoloniaux et des guerres d’Indochine, ont prédit le retour d’un roi hmong et programmé l’utopie de la construction d’une nation.

  • 14 Voir par exemple les événements discutés dans Jacq 2001 : 12-13.

36Les mêmes schémas sont à l’œuvre dans tous ces cas : des conteurs font état d’un événement critique durant lequel la capacité à écrire et ses avantages présumés ont été perdus ; est prédite l’arrivée d’un messie ou d’un roi ; les bouleversements externes révèlent une crise interne d’autorité et d’allégeance ; un individu charismatique s’élève du chaos et attire des fidèles en appelant à la restauration d’un ordre passé ; des scènes de révélation font revenir l’écrit au sein des communautés sous la forme d’une écriture particulière ; l’écriture est diffusée par une institution politico-religieuse émergente. Cette formule est bien sûr réductrice. Après tout, seuls quelques-uns des innombrables mouvements millénaristes de la Zomia ont fait de l’écriture un élément de leur programme rituel ou politique. Dans ces mouvements non lettrés, le cycle prophétique est cependant généralement similaire, quand bien même d’autres symboles remplacent l’écrit. Ainsi, les manques et les défauts déplorés dans le folklore – comme la lenteur, la maladie ou une déficience technologique – sont souvent compensés grâce à des talismans ou à des gestes surnaturels qui permettent dans le même temps de rétablir une suprématie perdue14.

37Outre ces différentes dimensions du cycle millénariste, d’autres aspects de la restauration de l’écriture dans la Zomia convergent de façon notable. Dans quasiment tous les récits, les conflits interethniques sont le fait d’un état ancien qui est relaté sous la forme d’une rivalité entre frères inégaux : le frère dominant a accès à des ressources dont son protégé illettré est privé. Une crise violente met à l’épreuve ces relations de pouvoir établies. Elle conduit à l’intercession d’un étranger qui possède le don de l’écriture – un thème d’ailleurs repris par certains inventeurs d’écriture ouest-africains. Lorsque le frère oppressé reprend possession de son héritage et de son autorité, les rapports de pouvoir s’équilibrent et l’arrivée d’autres technologies est prédite. La nouvelle tradition écrite qui émerge dans ces mouvements est cependant radicalement différente de celle des basses terres. Les prophètes zomiens n’utilisent pas l’écriture pour organiser ou contrôler leurs fidèles au sein d’institutions bureaucratiques et l’emploient même rarement à des fins de communication ordinaire : sa raison d’être est plutôt de signaler un nouveau lieu de pouvoir. L’écriture identifie d’abord publiquement ceux qui la pratiquent en tant que représentants d’une ethnicité spécifique aux hautes terres. Son utilisation consolide et stabilise ensuite une nouvelle institution politico-religieuse d’inspiration nativiste.

38Comment les écritures des peuples de la Zomia parviennent-elles à ces fins ? L’enquête ethnographique fondatrice menée par Edmund Leach (1954) dans les hautes terres de Birmanie a souligné la nature ambivalente des affiliations ethno-politiques au sein des groupes de la Zomia. Selon lui, un habitant des hautes terres pouvait affirmer conjointement son appartenance à plusieurs groupes linguistiques, religieux ou claniques. Loin d’affaiblir les revendications identitaires, ces « incohérences » étaient, pour Leach, essentielles au maintien du système social. Cette incertitude capitale n’était résolue que temporairement – et stratégiquement – quand il fallait exprimer ou montrer l’idée d’une différence culturelle à des témoins ou dans des situations particulières (voir aussi Giddens 1987).

39« À moins qu’ils parlent, nous ne pouvons aujourd’hui pas connaître la terre d’origine de nos ancêtres » déplorait Nyo Min, officiel kayah, en 1986. Ce commentaire était une réponse à la disparition progressive de la robe traditionnelle qui distinguait jadis un sous-groupe karène d’un autre et les Karènes des autres ethnies. Les systèmes indigènes d’écriture peuvent être vus comme une forme de robe nationale qui fait du langage un objet d’exposition visible et tangible (de la même manière que, selon les conteurs hmong, les motifs brodés sur les robes traditionnelles sont des traces de leur écriture disparue). Tout ce que ces non-lettrés sont capables de « lire », c’est l’expression de la différence elle-même, tandis que les langues qui demeurent non écrites ou sont représentées par un système d’écriture étranger sont condamnées à demeurer audibles mais invisibles. Dans les faits, ce travail de la langue comme marqueur identitaire, familier des socio-
linguistes laboviens, s’observe ici à la manière dont les sonorités particulières de ces langues sont reproduites dans les caractéristiques graphiques de leurs écritures. Le fait même que langue parlée et écriture soient si souvent perçues comme indissociables dans les idéologies linguistiques courantes est une démonstration éloquente du fait que les systèmes d’écriture contribuent, comme les langues, à marquer des affiliations. En témoigne le fait que les dénominations conventionnelles des écritures – comme l’arabe, le birman, le chinois, le thaï, etc. – sont souvent dérivées de la langue utilisée par le groupe dominant indépendamment de toutes les langues qui y sont véritablement représentées. Cet amalgame permet en partie de comprendre pourquoi les charismatiques Zomiens ont choisi de ne pas adopter les écritures existantes qui étaient plus immédiatement disponibles et dont ils avaient certainement pour partie la maîtrise. Cela explique aussi pourquoi leurs écritures sont radicalement différentes dans leur graphie de celles de leurs voisins, un phénomène que Houston et Rojas (dans un article à paraître) décrivent en termes de « rupture » par rapport à un modèle dominant.

40Les prophètes de la Zomia ont créé de nouveaux systèmes d’écriture comme des marqueurs irréductibles de leur identité karène, chin ou hmong, mais cet acte d’essentialisme stratégique entre en tension avec la nécessité d’unifier les communautés des hautes terres au sein de mouvements utopiques. Les inventeurs de ces écritures ont trouvé une solution indigène pour dépasser ce dilemme, en étendant le spectre phonologique de leurs systèmes. De cette manière, ces larges répertoires de graphèmes furent à même de représenter les contrastes sonores des langues voisines tout en les maintenant sous un même drapeau. De leur côté, les écritures étrangères et missionnaires sont restées attachées aux formes prestigieuses auxquelles elles étaient originairement destinées.

41Le défi permanent auquel tout mouvement nativiste est confronté est de trouver un compromis entre ethnocentrisme fort et utopies plus inclusives. Au sein des populations traditionnellement égalitaires et acéphales, la mission qui consiste à construire une nation est presque littéralement un projet partant du néant. Les symboles et les technologies que de telles communautés choisissent de s’approprier dans ces circonstances sont donc particulièrement révélateurs. Les uniformes officiels des guérisseurs laipian, les récits d’origine hmong pahawh et khmu et les manifestes de Sayaboury traduisent un désir vis-à-vis du pouvoir des États bureaucratiques. Pour poursuivre l’analogie avec les styles vestimentaires ethniques évoqués plus haut, l’écriture apparaît aussi comme un moyen d’incorporer les valeurs du pouvoir institutionnel. Après tout, elle requiert presque toujours un investissement institutionnel lors de sa création, de son apprentissage ou de sa diffusion.

42À l’inverse des langues, aucune écriture ne peut s’acquérir naturellement par infusion. Cela signifie donc que les individus sachant lire et écrire se distinguent par le fait qu’ils ont traversé un processus institutionnellement médié. Ils ne sont plus de simples membres d’une société, comme le sont les locuteurs natifs d’une communauté, mais des initiés faisant montre d’un savoir difficilement acquis. Pierre Déléage, qui insiste sur la « relation nécessaire ou constitutive entre une écriture, un genre discursif et une institution » (2013 : 12), a décrit combien les codes graphiques inventés par les prophètes messianiques indigènes en Amérique du Nord coloniale étaient liés à des rituels particuliers médiés verbalement. En réaction au programme rituel rival du christianisme qui se développait à partir d’une puissante écriture imprimée, les nouveaux discours autochtones furent conçus comme un moyen de s’approprier le prestige de la Bible et de placer les prophètes amérindiens sur un pied d’égalité avec les prosélytes 
missionnaires. La pérennité de ces codes dépendait cependant de la stabilité des institutions rituelles auxquelles
ils étaient attachés. De la même manière, les prophètes de la Zomia ont créé des systèmes d’écriture liés aux écritures canoniques (leke, Sayaboury, Pau Cin Hau), à des objets rituels (tablette gravée karène, Pa Chay) ou à des projets militaires (kayah li, khom, hmong pahawh, khmu pahawh). Le devenir de ces écritures, qu’il soit marqué par des ascensions ou des déclins, a toujours été lié aux institutions qui les ont développées.

Conclusion

43Que reste-t-il de la théorie de Scott selon laquelle l’écriture serait une entrave dangereuse pour les minorités sans État ? Si celle-ci se vérifie, cela expliquerait la relative lenteur de la diffusion de l’écrit dans les hautes terres, au-delà des cas précis abordés dans cet article. La méfiance envers l’écrit n’est pas nouvelle au sein des populations indigènes et son rejet catégorique ne l’est pas 
non plus. Le pouvoir attribué à l’écriture peut aussi s’avérer désirable même s’il est redouté et, qu’il soit recherché ou honni, aucun groupe n’y est jamais totalement indifférent. Il est par 
ailleurs remarquable que la capacité d’écrire constitue une norme universelle dans le folklore de la Zomia, tandis que son absence appelle toujours une justification, et ce malgré le fait que les taux mondiaux d’alphabétisation n’ont atteint les 50 % qu’en 1970 dans la région (Roser & Ortiz-Ospina 2018). Comme je l’ai montré, les mouvements qui ont promu une écriture indigène s’inscrivaient dans une profonde transformation des relations entre les communautés des hautes et des basses terres, elles-mêmes médiées par de nouvelles formes de contact colonial. Ces agents venus d’ailleurs ont constitué, par les impôts et les régimes de travail qu’ils ont mis en place, les guerres qu’ils ont menées ou l’introduction du christianisme – dans le cadre d’une globalisation rapide aux xixe et xxe siècles –, une menace envers les modes de vie traditionnels. Dans ces conditions, les Zomiens ont pu ressentir la nécessité d’affirmer leur différence ethnique en des termes plus concrets, tout en résistant à une « lisibilité ».

44Les nouvelles traditions d’écriture zomiennes ne se sont que peu consolidées et n’ont que rarement étendu leur portée discursive. Dans ce cadre, l’hypothèse d’un rejet de l’écriture serait plus convaincante si l’on accordait plus d’attention aux différents régimes en vigueur, plutôt que de s’attarder sur le simple binôme écriture/illettrisme. Les États des basses terres utilisent l’écriture pour des services de comptabilité, d’administration, et à des fins de communication ordinaire. Pendant ce temps, les habitants des hautes terres ont tendance à expérimenter des formes
de « littératie restreinte » (Goody 1968a, b) qui résistent à l’universalisation et sont peut-être intrinsèquement passagères, ce qui est certainement en accord avec les autres modes d’évasion culturelle décrits par Scott.

45Il ne fait néanmoins aucun doute que les Zomiens, lettrés comme illettrés, ont conçu l’écriture comme une technologie politique avec sa propre densité matérielle capable de fédérer des identités, des relations et des institutions. Il est révélateur que, dans une grande partie du folklore décrit dans cet article, celle-ci soit définie comme une possession tangible que l’on peut recevoir et détenir, mais qui peut aussi être volée, consommée, gâtée et redécouverte. Ceux qui réussissent à acquérir et à protéger le « livre » sont récompensés par des pouvoirs politiques et spirituels, tandis que la possession de cet objet par des ennemis explique leur capacité à dominer. L’anthropologue Frederic K. Lehman, qui se rendit à Kyebogyi (où deux écritures apparurent) pour son terrain initial, a noté que les messies karènes gagnaient leur succès « en manipulant une connaissance, réelle ou imaginée, et une expérience des rouages du monde civilisé » (1967 : 34). De la même manière, les mouvements charismatiques zomiens ne relèvent pas d’un rejet de l’État et des technologies de domination qui y sont associées, mais d’une capacité manifeste à les canaliser pour leurs fidèles.

46Traduit de l’anglais par Alice Doublier (aldoublier@yahoo.fr)

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Notes

1 Cet article constitue une version traduite et remaniée du texte original de Piers Kelly, publié en anglais sur notre site conjointement à cette version. Nous avertissons le lecteur sur les différentes qui peuvent exister entre les deux versions.

2 Pour un résumé, voir Enwall 1994 ; Rastorfer 1994b et Scott 2013 : 221-222.

3 Scott définit la Zomia, après le géographe Willem van Schendel (2002), comme « tous les territoires situés à des altitudes supérieures à environ 300 m, des hautes vallées du Vietnam aux régions du nord-est de l’Inde, et traversant cinq pays d’Asie du Sud-Est […] ainsi que quatre provinces chinoises […]. Il s’agit d’une étendue de 2,5 millions de km2 abritant environ 100 millions de personnes appartenant à des minorités d’une variété ethnique et linguistique tout à fait sidérante. » (2013 : 9)

4 Pour des raisons de cohérence historique, le texte respecte les frontières des anciens empires britannique et français et examine d’abord quatre cas de nouvelles écritures dans la Birmanie britannique puis cinq écritures qui ont émergé en Indochine française.

5 À ce sujet, voir les travaux de McMahon 1876 ; Stern 1968 ; Saw et al. 1980 et enfin Womack 2005.

6 Je me réfère ici au leit-hsan-wait ou « écriture en griffures de poulet » comme l’écriture leke de manière à conserver une cohérence avec les travaux académiques anglophones qui la mentionnent.

7 Kai-pho-gyee en revendiquait la propriété exclusive et, selon certaines rumeurs, possédait cinq plats d’ivoire gravés de la même écriture, que les missionnaires ne purent cependant pas voir.

8 Le terme paliki est en effet dérivé de l’anglais police (police) via le birman, une étymologie reconnue par les fidèles laipian eux-mêmes (Banks 1967).

9 Voir en particulier Gunn 1990.

10 Si l’écriture khom est documentée de manière si complète et archivée, c’est grâce aux efforts de Pascale Jacq et de Paul Sidwell. En 1998, le binôme a interviewé le plus ancien secrétaire de Kommadam, toujours capable de la lire et de l’écrire. Ils furent ensuite contactés par la petite-nièce du chef rebelle qui avait réussi à conserver les carnets de son grand-oncle et les autorisa à les copier. Jacq réussit aussi à retrouver des extraits de cette écriture dans les archives françaises.

11 Voir Lemoine 1972 ; Tapp 1989 ; Enwall 1994 et Duffy 2007.

12 Voir Jiang Yongxing cité et discuté dans Enwall 1994 : 65, qui avoue être sceptique quant à la fiabilité de cette source.

13 Culas 2005 ; Smalley & Wimuttikosol 1998.

14 Voir par exemple les événements discutés dans Jacq 2001 : 12-13.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1. Carte des écritures de la Zomia, 2018
Légende Carte des royaumes de Siam, de Tunquin, Pegu, Ava Aracan…, 1764 ; enrichie pour Terrain ; en vert, la Zomia.
Crédits Source : Gallica / Piers Kelly © Bibliothèque nationale de France
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/docannexe/image/17151/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 554k
Titre Fig. 2. Carnet d’écriture, c. 1962
Légende Cette nouvelle écriture (kayah li) a pour vocation de représenter et d’unifier les langues karènes du Myanmar.
Crédits Crédit : Htae Bu Phae © Droits réservés
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/docannexe/image/17151/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 1,4M
Titre Fig. 3. Tablette gravée karène, 1872
Légende Les inscriptions de cette écriture, d’inspiration divine, sont une trace de celle des Karènes qui aurait été perdue.
Crédits Crédit : Alonzo Bunker
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/docannexe/image/17151/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 614k
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Pour citer cet article

Référence papier

Piers Kelly, « L’art de ne pas être lisible »Terrain, 70 | 2018, 38-61.

Référence électronique

Piers Kelly, « L’art de ne pas être lisible »Terrain [En ligne], 70 | 2018, mis en ligne le 06 novembre 2018, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/17151 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terrain.17151

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Auteur

Piers Kelly

Minds and Traditions Research Group, Max Planck Institute for the Science of Human History, Jena

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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