1Le mot « époux » peut éventuellement se substituer à celui de « mari » mais si « époux » a un féminin, « mari » n’en a pas. « Mari », en effet, recouvre une réalité bien spécifique, une fonction sociale déterminée, alors que « femme », notion symétrique à celle de « mari » dans les usages de référence, se dissout dans des significations multiples qui vont de l’être humain de sexe féminin à la féminité. « Epoux » vient du latin sponsus et signifie le « promis », le « fiancé ». Le « mari », quant à lui, est un homme uni réellement à une femme par le mariage. Aujourd’hui, les deux expressions sont concomitantes, « mon mari, mon époux… », même si selon Emile Littré « époux appartient au style élevé alors que mari est de tous les styles ». Le terme « conjoint » (une personne jointe à une autre par les liens du mariage) est très employé dans le langage courant contemporain. Ce terme est utilisé également dans les unions hors mariage.
- 1 Terme consacré dans les pays anglo-saxons pour désigner l’époux ou le conjoint.
2Les couples non mariés rencontrent des casse-tête terminologiques spécifiques. Comment appeler un homme qui vit de façon stable avec une femme qu’il n’a pas épousée ? En France, une femme peut présenter l’homme qui partage sa vie, selon les circonstances et son humeur, comme « son chéri », « son amoureux », « son fiancé », « son ami », « son copain », « son compagnon », « son conjoint », « son concubin », « son partenaire », « le père de ses enfants »… Si on enlève les cinq premières formules qui se rapportent à des unions libres et la dernière qui nie la relation de couple en elle-même, les termes restants ont pour préfixe la syllabe « con » ou « com », du latin com, cum, ce qui signifie avec. « Etre avec » certes, mais aucun de ces termes ne recouvre l’ensemble de la réalité parentale et conjugale qu’il est censé désigner. L’embarras systématique des personnes vivant « maritalement » qui cherchent à se présenter l’une l’autre est tout à fait significatif d’un manque de vocabulaire et surtout de la nouveauté sociale de ce type de situation. Quant à « partenaire 1 », le terme ne convient pas non plus. Comment nommer celui ou celle qui partage sa vie ? Qui sont, au juste, les pères, mères, époux, concubins d’aujourd’hui ?
- 2 Le code civil fut élaboré sous le premier Empire napoléonien (1804-1814).
3Cet article propose une analyse ethnologique des formes de la parenté en France, à travers l’évolution du droit de la famille, du début du xixe siècle 2 aux derniers grands chantiers législatifs. Seules les dernières lois promulguées (1999-2003) font l’objet d’une étude détaillée. Bien que ce soit immédiatement repérable, la famille n’est pas analysée ici selon la problématique de la domination masculine, ni par rapport au droit des enfants. Il ne s’agit pas d’évaluer la réussite de la réforme vis-à-vis de l’égalité des sexes ou sa faisabilité. Les nouvelles données sont observées sous l’angle des structures de parenté (des formes de l’alliance, de la filiation et de la résidence) qui, en Europe occidentale comme ailleurs, sont le fondement minimal d’une société stable, ce qui n’empêche pas qu’elles soient l’objet d’une redéfinition permanente.
- 3 Expression utilisée au xixe et au début du xxe siècle pour désigner une famille patriarcale.
- 4 Citons tout particulièrement l’ouvrage de A.-D. Tolédano, La Vie de famille sous la Restauration et (...)
4L’identification de l’évolution des statuts entre les hommes et les femmes nécessite quelques rappels sur la famille « paternelle 3 », dont l’idéal a nourri les bonnes mœurs et leur versant législatif jusqu’au milieu du xxe siècle, malgré quelques détracteurs romantiques fustigeant le mariage à travers leurs œuvres et vantant les mérites de l’amour libre. De très nombreux textes publiés au cours des deux derniers siècles fixent le visage idéal de la famille : livres religieux, manuels d’éducation, pamphlets moralisateurs, compositions françaises, romans, recueils de correspondance, textes savants (bien que démonstratifs de la nécessité du mariage 4)… Ces repères idéologiques, tout autant que les ressauts législatifs les plus récents, sont utiles à la compréhension de la parenté occidentale. Le « bon mari », la « mère aimante et abstinente » sont des personnages magnifiés dans les représentations contemporaines. Les « nouveaux pères » et les « dernières épouses », bien que déjà très présents, ne les ont pas encore remplacés. Les clichés véhiculés sur la famille patriarcale sont à prendre très au sérieux – malgré leur côté vieilli et l’effet drolatique qu’ils produisent –, car à travers eux se définissent encore le bonheur ou le malheur, l’échec et la réussite. Malgré l’existence de modes de vie alternatifs et concomitants, les individus se classent, et sont classés, sur cette échelle normative qui sanctionne (pour le moins qui signale) le moindre écart.
- 5 Le mariage est présenté comme un choix positif mais bien entendu, dans la réalité, la plupart des f (...)
5Mais qu’est-ce qu’un mari ? Les maris doivent être « bons ». Ils sont, sans cela, décrits comme des êtres grotesques, vils, égoïstes et brutaux. Dans les drames romantiques, les femmes apparaissent comme leurs éternelles victimes. Peut-on blâmer Indiana (héroïne d’un roman de George Sand qui porte le même nom) de ne pas aimer son soudard de vieil époux et de chercher des consolations dans l’adultère ? Le bon mari tient le premier rôle dans les pamphlets moralisateurs, les manuels d’éducation, les recueils de correspondance… Il aime sa femme et ses enfants, comme il aime son pays, pour lesquels il travaille sans relâche, parfois loin de chez lui. Un bon mari, quel que soit l’écart d’âge, souvent important, se montre délicat et attentionné avec son épouse. Il est résigné, raisonnable, prévoyant. Il se soucie de l’établissement et du bien-être de ses enfants. Malgré les séparations, parfois longues et douloureuses, il sait trouver les mots justes pour réconforter les siens. Les extraits de la correspondance du comte Pierre-François-Hercule de Serre à sa femme, au début du xixe siècle, sont assez caractéristiques de la tonalité affective de la famille « paternelle » : « Partout, en nous aimant, nous serons heureux… ; nous serons à nous-mêmes et à nos enfants. Loulette, gaie, sage, bonne ménagère, trouvera un honnête homme qui la prendra plus pour elle-même que pour quelques méchants écus ; Gaston aura de la tête et du cœur, et, avec cela, bien autant vaut se créer son sort que le trouver tout fait ; enfin, leur faible héritage ne sera souillé d’aucune turpitude… Sois préparée aux événements, je n’aurai de peine que la tienne » (Tolédano 1943 : 117). Peu après, précise Tolédano, le roi faisait du comte son garde des Sceaux. Le bon mari met en évidence les qualités du mariage qui apparaît comme l’institution du bonheur. La morale de l’histoire est toujours la même. Les femmes qui se laissent tenter par l’union libre ou qui refusent de suivre les conseils avisés de leur père « se rangent vite », et avec regrets, au « bon sens marital » 5. Les mères mettent en garde leurs filles, comme Marceline Desbordes-Valmore, « victime » de l’amour libre (correspondance publiée en 1896), qui trouva refuge dans l’amour conjugal : « De là viennent tant d’unions mal réfléchies et qui font souvent le malheur de deux existences mêlées à la hâte. De tels rêves coûtent cher ! Et la vie est longue quand on se réveille » (Tolédano 1943 : 105).
- 6 Aucun chapitre n’est consacré aux « épouses » dans le livre de Tolédano alors que deux sont réservé (...)
6La mère, qui plus que l’épouse 6 est le reflet féminin du mari, est dépeinte dans la littérature du xixe siècle comme une sainte, faisant abnégation d’elle-même, modèle de piétié filiale, généreuse, courageuse, aimant sans condition son mari et ses enfants à qui elle consacre chaque instant de sa vie. Arsène Houssaye a tenté de traduire dans Les Confessions, souvenirs d’un demi-siècle (1830-1880) les sentiments que les êtres humains éprouvent pour celle qui leur a donné le jour : « Le père est un père mais c’est un maître. Quelle que soit sa bonté pour l’enfant, l’enfant n’oublie jamais que sous le regard attendri il y a l’œil sévère. Mais la mère ! Si Dieu est un visage sur terre, c’est dans la figure d’une mère… Ce qui donne à la religion chrétienne un si profond caractère humain, sous l’auréole de sa divinité, c’est la présence de la mère de Jésus, c’est son culte pour son fils, c’est sa douleur, sa transfiguration. Je n’ai jamais compris pourquoi les protestants avaient supprimé cet admirable symbole de la divinité dans la mère. » La mère d’Arsène Houssaye, selon la description qu’il en fait, « était debout la première et la dernière, et, bien que la famille fût plus qu’à l’aise, elle fanait, tissait elle-même son linge avec le lin récolté sur ses terres, confectionnait des galettes de fromage qu’elle dorait à un feu doux de bruyère, de sarments et de genêts. Elle était sans cesse à trembler pour son fils mais elle n’hésita pas, quand il eut 6 ans, à l’envoyer seul, à cheval, à l’école éloignée d’une lieue. Elle était avec cela fine, gracieuse, spirituelle » (Tolédano 1943 : 128-144-145.)
- 7 Les sociologues et les ethnologues ont montré que bien souvent la femme était la « maîtresse de mai (...)
- 8 En raison de la modification corrélative des règles bouleversant la communauté de biens entre époux (...)
7Le devoir de bonté du mari n’est que le reflet de sa puissance (qui n’est dévolue à la mère qu’en cas de force majeure). Le code civil de 1804 posait l’inégalité des époux comme un principe fondamental. En matière de régimes matrimoniaux, le mari était « seigneur et maître » de la communauté (Simler 1992 : 555-559). Il pouvait jouir et disposer des biens communs comme des siens propres. La femme se retrouvait, du seul fait de son mariage, dans une situation proche de celle de ses enfants mineurs. Malgré diverses mesures de protection mises en place en faveur de l’épouse (notamment une hypothèque légale sur les biens de ce dernier), cette incapacité rejaillissait également sur sa propre situation patrimoniale puisqu’elle la privait de son indépendance, même lorsque les époux avaient choisi le régime de la séparation des biens 7. Cette puissance maritale sur les biens de la femme s’est maintenue pendant longtemps. La première partie du xxe siècle a été marquée par des réformes ponctuelles : la loi du 13 juillet 1907 a réservé à la femme mariée le droit de disposer librement de ses gains et salaires et des biens acquis avec ceux-ci appelés « biens réservés » ; la loi du 18 février 1938 a aboli (plus en théorie que dans les faits) son « incapacité » 8 ; la loi du 13 juillet 1965 marque une rupture dans la conception de l’égalité entre les hommes et les femmes avec le remplacement de la communauté des meubles et acquêts par la communauté réduite aux acquêts et l’indépendance totale – ou quasi totale – des époux en ce qui concerne leur patrimoine propre. Cependant, la symétrie n’était encore qu’apparente en raison de la rareté des « biens réservés » ; le mari conservait une place prépondérante en qualité de gérant unique de la communauté. Avec la loi du 23 décembre 1985, chaque époux a désormais les mêmes pouvoirs et les mêmes limites sur l’ensemble des biens communs. L’autorité du mari s’exprimait également à propos de la résidence du couple et des enfants. Selon l’article 214 du code civil, la femme était obligée d’habiter avec son mari et de le suivre partout où il jugeait à propos de résider. Dans le domaine de l’éducation, le Code Napoléon donnait au père de famille des pouvoirs également très étendus sur ses enfants, y compris pour faire ordonner leur incarcération pour correction paternelle (Huet-Weiller 1992 : 405). La puissance paternelle était perçue comme un pouvoir individuel, dévolu à la mère uniquement dans des circonstances exceptionnelles (le décès du père ou sa déchéance). Ce n’est qu’en 1970 qu’apparaît la notion d’autorité partagée. Dans les faits, il faudra attendre la loi du 23 décembre 1985, celle du 22 juin 1987 et celle du 4 mars 2002 pour progresser dans la voie de l’égalité parentale vis-à-vis de l’éducation et de l’administration des biens des enfants.
- 9 La gauche et la droite ont fait des « affaires familiales » un objet de clivages tranchés. L’argume (...)
8La réforme de la famille paternelle fut amorcée à partir de 1965. Dans les années 1990, sous la onzième législature, sur l’initiative de la « gauche », un grand chantier fut entrepris par le gouvernement pour mettre en adéquation le droit aux modes de vie réels des Français 9. Les travaux parlementaires se structurèrent autour de deux positions idéologiques fortes : la parité (la non-discrimination entre les sexes dans tous les domaines de la vie sociale y compris au niveau de la famille) et l’égalité citoyenne des sexualités. Les lois qui ont été promulguées précisent les nouveaux termes de l’alliance et de la filiation. Le pacte civil de solidarité fut établi en 1999. Très peu de temps après fut votée la réforme de la prestation compensatoire. Fin 2001, les liens du mariage furent renforcés avec les nouvelles dispositions relatives aux droits des conjoints survivants. Cette loi, qui concerne également le statut des enfants adultérins, a été suivie, en janvier 2002, par un texte sur la réversibilité du secret de l’accouchement sous X. En mars de la même année, le droit de tous les enfants à être élevés par leur père et par leur mère fut renforcé (l’autorité parentale). Le statut des pères fut du même coup précisé. La promulgation de la réforme de la transmission du nom clôtura le chapitre « famille » de la législature.
9– Le pacte civil de solidarité (loi n° 99-944 du 15 novembre 1999).
10– La prestation compensatoire en matière de divorce (loi n° 2000-596 du 30 juin 2000).
11– Les droits du conjoint survivant et des enfants adultérins (loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001).
12– L’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’Etat (loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002).
13– L’autorité parentale (loi n° 2002-305 du 4 mars 2002).
14– Le nom de famille (loi n° 2002-304 du 4 mars 2002 et loi n° 2003-516 du 18 juin 2003).
15– La réforme du divorce, première lecture à l’Assemblée nationale le 10 octobre 2001
16(proposition de loi n° 708).
17Les différentes lois promulguées entre 1999 et 2003, ainsi que le projet de réforme de la loi de 1975 relative au divorce, participent de la distanciation croissante de l’alliance et de la filiation qui suivent dorénavant deux chemins bien distincts alors que la famille traditionnelle les juxtaposait avec force. L’accumulation de ces nouveaux textes questionne sur le sens anthropologique de ce vaste chantier qui met au premier plan des personnages et des images habituellement secondaires (l’enfant adultérin, la mère qui abandonne, la seconde épouse, le père séparé, le matronyme, la non-faute conjugale…).
- 10 On ne sait pas grand-chose de précis sur les retombées sociologiques du pacs car une interdiction d (...)
18L’élaboration du pacte civil de solidarité redéfinit la notion de couple conjugal, en l’élargissant à l’homosexualité. La proposition de loi cristallisa les oppositions gauche-droite. Elle fut rejetée par le Sénat. Le gouvernement demanda à l’Assemblée nationale de statuer malgré tout sur le texte sans qu’il puisse être modifié, ce qu’elle fit le 13 octobre 1999. Les trois groupes de droite (UDF, DL, RPR) l’ont alors déférée au Conseil constitutionnel qui donna finalement un avis favorable 10.
19Les sociétés européennes contemporaines ne sont pas les premières à avoir institutionnalisé les alliances homosexuelles (Handman 1999 : 251-258). La modernité qui peut être associée au pacs tient davantage à la parité des sexes qu’il met en œuvre. Il s’agit d’un contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexes différents ou de même sexe, pour organiser leur vie commune. Il ne peut y avoir de pacte civil de solidarité entre ascendants et descendants en ligne directe, entre alliés en ligne directe, et entre collatéraux jusqu’au troisième degré inclus. Le pacs est impossible si l’une des deux personnes est engagée dans les liens du mariage ou si l’une des deux personnes est déjà liée par un contrat identique. Le couple pacsé se construit essentiellement sur une volonté réciproque qui peut être aussi éphémère que durable. Les personnes qui concluent un pacte font une déclaration conjointe au greffe du tribunal d’instance de la ville dans laquelle la résidence commune est fixée. Le pacte est rompu par le décès de l’un des partenaires ou par le mariage de l’un d’eux, mais également par la simple volonté individuelle d’y mettre fin sans qu’aucune bonne ou mauvaise raison ne soit à avancer. Il suffit d’écrire au tribunal d’instance qui a reçu l’acte initial. A la rupture d’un pacte, les partenaires procèdent eux-mêmes à la liquidation des droits et des obligations. A défaut d’accord, le juge statue sur les conséquences patrimoniales de la rupture, sans préjudice de la réparation du dommage éventuellement subi.
- 11 Les transmissions entre personnes non parentes sont taxées à 60 % quel que soit le montant de la su (...)
20Les partenaires ont des obligations spécifiques qui font écho aux principes de la solidarité et du partage. Ils s’apportent une aide matérielle et sont responsables mutuellement des dettes contractées par l’un d’eux pour les besoins de la vie courante et pour les dépenses relatives au logement commun. Une convention précise s’ils ont décidé de soumettre au régime de l’indivision les meubles dont ils feraient l’acquisition après la conclusion du pacs. Le couple a également des droits. Le pacte civil est considéré comme l’un des éléments d’appréciation des liens personnels en France pour l’obtention des titres de séjour et les regroupements familiaux. Il ouvre, à la troisième année, une imposition commune des revenus. Au bout de deux ans, il donne des avantages fiscaux dans le cadre des transmissions patrimoniales. Ces droits ne sont pas à la hauteur de ceux des couples mariés mais ils sont supérieurs à ceux des personnes non apparentées 11. Le pacs permet de bénéficier de la qualité d’ayant droit de l’assurance-maladie et du capital décès du partenaire. Ce contrat permet aussi de prendre en compte les liens du couple, dans le cadre du travail, pour la fixation des congés, et pour les affectations mutuelles s’ils sont fonctionnaires. La résidence est également protégée. Si l’un des partenaires quitte, par exemple, le domicile, alors qu’il est titulaire du bail, ou si le titulaire du bail décède, le contrat de location est transféré au partenaire restant.
21Malgré tous ces avantages, le pacte civil de solidarité n’est pas une union calquée sur le mariage. Les dispositions fiscales, comme la protection juridique des personnes et des conjoints survivants, sont inférieures à celles données aux couples maritaux. De plus, et c’est là une question essentielle, le pacs ne donne pas droit à la filiation. Il n’institue pas l’établissement de liens verticaux. Seuls les Pays-Bas et la Suède en Europe permettent, depuis peu de temps, aux couples homosexuels d’adopter des enfants. Les députés britanniques se sont prononcés également en faveur de cette réforme en mai 2002, amendement qui devra encore affronter l’hostilité de la Chambre des lords. L’événement que représentent ces réformes est toujours noté avec force par les médias, comme en témoigne cet extrait du Monde relatant le vote du Parlement suédois : « Stockholm. Le Parlement suédois (Riksdag) a étendu, mercredi 5 juin, aux couples homosexuels la possibilité d’adopter des enfants, approuvant ainsi une proposition du gouvernement présentée en février. Une large majorité des députés – ex-communistes, écologistes, sociaux-démocrates, centristes et libéraux – ont repoussé, par 198 voix contre 39 et 71 abstentions, une opposition totale des chrétiens-démocrates au texte gouvernemental. Ces partis ont également repoussé les objections des conservateurs, qui voulaient réserver l’adoption aux enfants de l’un des conjoints du couple et s’opposaient aux autres formes d’adoption par des homosexuels, notamment des adoptions d’enfants étrangers par des Suédois. Les couples homosexuels suédois vont désormais pouvoir, à compter du 1er août, poser leur candidature à l’adoption : un couple pourra adopter un enfant, ou l’un des partenaires pourra adopter l’enfant de l’autre. Un concubin homosexuel pourra également être désigné pour assurer conjointement la garde d’un enfant » (Le Monde, 8 juin 2002).
22En France, l’absence de dispositions légales permettant à un couple homosexuel d’adopter ou de reconnaître ensemble un enfant est vivement dénoncée. Ce sujet divise l’opinion publique. Il fut dernièrement encore au cœur des débats avec le jugement de la Cour européenne des droits de l’homme du 26 février 2002 qui a confirmé le refus d’agrément opposé par la France à un homosexuel voulant adopter un enfant. Les ruses et le bricolage de la parenté font que les homosexuels réussissent, quand ils y tiennent vraiment, à devenir parents (insémination artificielle, coparentalité, adoption…), mais seul l’un d’entre eux sera le père ou la mère légale. L’autre père ou l’autre mère légale, si cette seconde parenté existe, sera forcément dans un autre couple.
- 12 Ces pactes sont inaugurés par des rites plus ou moins marqués, l’échange des sangs ou des armes, ou (...)
23Le contrat d’union n’est pas tourné vers la fabrication des générations, vers les liens verticaux, mais plutôt vers la construction de liens horizontaux qui, d’ailleurs, peuvent très bien se passer de la sexualité. Le pacs s’adresse également à un « troisième public », c’est-à-dire à ceux qui sont amis et non amants, ou qui ont intérêt à vivre ensemble et à être solidaires l’un de l’autre, sans être pour autant « parents ». Ce troisième public rappelle, sous certains aspects, les compères et les commères et les fraternités rituelles, ou des fraternités jurées, que l’on retrouve en Europe méridionale et septentrionale (Fine 1994). Le pacte civil se distingue néanmoins des fraternités traditionnelles 12 par le fait que les compères/commères ou les frères de sang ne partageaient pas le même logement, qu’ils étaient mariés par ailleurs, et que les fraternités étaient jurées jusqu’à la mort, ce qui n’est pas le cas du pacs, puisque le contrat n’a pas vocation à être éternel.
- 13 Le maire du Xe arrondissement à Paris offre, par exemple, lors d’une cérémonie solennelle, un extra (...)
- 14 A quel type de fête sont conviés les invités, que sert-on au repas, quels sont les cadeaux, les tém (...)
24Qu’est-ce qu’un couple ? De quels liens se nourrit-il ? C’est finalement les questions que pose le pacs. Poursuivant les travaux sur l’amitié (Ravis-Giordani 1999) ou sur les notions d’amis, d’amants et de mariage, chez les Pachtouns de l’Afghanistan, par exemple, (Centlivres 2002), une typologie des différents types de couples pacsés serait l’occasion de déterminer l’entrelacs de l’amitié et de l’amour dans ces relations à deux. Certains maires (bien que cela soit très rare) ont décidé de reconnaître les couples pacsés dans une certaine solennité en les invitant à l’hôtel de ville et en célébrant leur union par un discours et par des objets symboliques 13. Une ethnographie des rituels qui accompagnent le dépôt d’un pacte au tribunal d’instance serait l’occasion de mieux saisir les usages et les représentations 14.
- 15 Ne pas confondre la prestation compensatoire, destinée à l’épouse, et la pension alimentaire, desti (...)
- 16 D’après la chancellerie, sur les 120 000 divorces qui sont prononcés chaque année, 13,7 % sont asso (...)
- 17 Les condamnations allèrent parfois jusqu’à des peines d’emprisonnement (Guyot & Jeanson 2002 : 14).
25Quelques mois après l’élaboration du pacte civil de solidarité, la loi de réforme de la prestation compensatoire 15 en matière de divorce fut mise en application. Contrairement au pacs, cette loi fut votée à l’unanimité. Institution inspirée du droit allemand de la famille, la prestation compensatoire est une compensation financière que l’un des conjoints doit verser, après le divorce, à l’autre conjoint pour compenser le préjudice de la séparation tant sur le plan financier que sur celui, plus symbolique, du standing social 16. « Sauf lorsqu’il est prononcé en raison de la rupture de la vie commune, le divorce met fin au devoir de secours prévu par l’article 212 du code civil ; mais l’un des époux peut être tenu de verser à l’autre une prestation destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives » (code civil, art. 270). Le devoir de secours à l’égard de l’ex-conjoint n’est pas remis en cause. C’est le caractère immuable de la rente qui a été supprimé. En effet, l’attribution de cette prestation compensatoire sous forme de rente viagère a provoqué, durant ces vingt-cinq dernières années, des drames individuels et familiaux dont les plus médiatiques (footballeurs célèbres, stars du showbiz…) ont été dernièrement relatés par la presse people. Contraints par la loi de 1975, bon nombre de débiteurs se sont trouvés liés pour la vie (c’est-à-dire jusqu’au décès de la créancière) à une dette immuable. Ils en léguaient l’obligation à leurs héritiers, à leur deuxième épouse simple héritière de l’usufruit du domicile conjugal, à leurs enfants, ceux du premier lit, ceux du deuxième… En raison de la variabilité des ressources au cours d’une vie, certains ex-maris ne purent honorer les versements sur le long terme et furent sévèrement condamnés par le tribunal correctionnel 17. De nombreux observateurs (députés, sénateurs, sociologues, journalistes…) ont dénoncé les dérives de la loi de 1975. L’attribution de la prestation compensatoire sous forme de rente est maintenant l’exception. Cette prestation prend dorénavant la forme d’un capital dont le montant est payé une fois pour toutes (code civil, art. 274). Les mesures transitoires permettent de réviser, de supprimer, de diminuer ou de suspendre les rentes attribuées avant le 30 juin 2000.
26Selon les observations conduites par Jean-Claude Guyot et Georges Jeanson relatives aux rectifications des prestations compensatoires permises par la nouvelle loi, les débirentiers qui demandent aujourd’hui la révision de leur dette se retrouvent au tribunal parfois vingt ans après leur divorce. La révision de la compensation porte en elle un enjeu existentiel fort. Il s’agit de renégocier le contrat « avec leur ex-conjoint, la première famille, la deuxième, les enfants du premier mariage, ceux du deuxième ou tout simplement avec eux-mêmes […]. Il devient urgent de se libérer de ce fardeau matériel et moral de la dette pour espérer vieillir et mourir en paix » (Guyot & Jeanson 2002 : 6). Les incidences de la révision de la dette sur la nouvelle configuration familiale du débiteur sont importantes car « pour la majorité des débiteurs et leur nouvelle compagne, c’est le service d’une dette sans fin qu’il faut gager sur les revenus du nouveau couple et de la nouvelle configuration familiale. L’ombre portée de l’ex-épouse ne cesse alors de s’inscrire dans l’économie quotidienne de la famille recomposée de l’ex-mari » (Guyot & Jeanson 2002 : 110).
27La mise en application de ces nouvelles dispositions connaît des résistances. La jurisprudence montre qu’en dépit du remariage de l’ex-épouse le premier mari est toujours investi d’un devoir de protection. Les arguments des juges pour maintenir les rentes s’appuient sur la fragilité supposée de la première épouse divorcée dont le mari initial reste responsable malgré séparation et remariage. Le caractère plus ou moins stable de la deuxième union est mis en avant dans l’argumentation des juges, comme l’hypothèse du décès du deuxième mari ou encore l’idée que la créancière ne pourra plus obtenir de révision à son profit en cas de substitution d’un capital à la rente. La rente transforme le premier mariage en un contrat partiellement indissoluble et instaure un rapport hiérarchique entre le premier mariage et les suivants. Dans d’autres pays européens, le remariage de la créancière fait perdre le bénéfice de la pension alimentaire. En France, l’ex-époux remarié se trouve dans une sorte de situation de bigamie ; l’ex-épouse, dans la situation d’une femme liée par un rapport matériel de dépendance à deux hommes à la fois (Guyot & Jeanson 2002 : 112). L’hypothèse de l’expiation d’une faute morale à travers la rente est posée par les auteurs qui s’interrogent sur la fonction symbolique de cette compensation financière que la justice maintient parfois alors qu’elle n’est pas toujours nécessaire pour conserver le niveau de vie des intéressées. « Comment expliquer le maintien de la dette si ce n’est par la fonction symbolique du rachat de la faute, celle commise lors de la conception de l’enfant “né du péché”, c’est-à-dire avant que le divorce ne soit prononcé officiellement par la justice » (Guyot & Jeanson 2002 : 133).
28Le divorce a été institué en 1792 en même temps que le mariage civil. Il fut aboli le 8 mai 1816, puis rétabli en 1884, avant d’être réformé par la loi du 11 juillet 1975. Il y a actuellement quatre procédures : le divorce pour faute ; le divorce sur demande acceptée (très peu utilisée) ; le divorce pour rupture de la vie commune ; le divorce par consentement mutuel. La proposition de loi qui fut adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 10 octobre 2001 (mais qui n’a pas été promulguée avant le changement de législature) suggérait de ne retenir que deux procédures : le divorce par consentement mutuel et le divorce par rupture irrémédiable du lien conjugal qui pourrait être prononcé s’il y a une séparation de fait depuis plus de trois ans ou si les époux constatent cette rupture mutuellement ou séparément.
29Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi de Paul Colcombet (PS), la perversité du divorce pour faute est dénoncée. Selon ses observations, la procédure mobilise l’énergie des parties sur la recherche des responsabilités passées, au détriment de l’organisation de l’avenir. Faire reconnaître par la société la culpabilité de l’autre époux envenime la procédure jusqu’à l’insupportable. Les ravages personnels – occasionnés par la procédure elle-même – sont très importants. Les mensonges, les humiliations, la production de journaux intimes, de correspondances privées, de certificats médicaux, de documents concernant la sexualité des époux ont des effets destructeurs. Tout l’entourage est sollicité : la famille, les amis, les collègues de bureau, les connaissances diverses. En outre, la loi attache aux torts des effets juridiques disproportionnés (dommages et intérêts, perte de la prestation compensatoire) qui incitent les époux à poursuivre le combat jusqu’au bout. « Comble de l’absurde, il arrive que des procédures de divorce pour faute, mettant fin à des unions de courte durée, s’éternisent plus longtemps que la durée de vie commune car une procédure avec appel et pourvoi en cassation peut durer cinq à dix ans. » (Colcombet 2001). Le divorce pour faute est en lui-même la cause d’un profond désordre et prend l’allure d’un « véritable fléau social »… Le rapporteur souligne en outre que le constat des fautes est devenu purement formel, et que les juges, le plus souvent, prennent la précaution de ne pas détailler jusqu’à l’absurde les griefs invoqués car ils savent que les jugements et les arrêts restent dans les archives familiales, et qu’il est néfaste pour les enfants et pour les conjoints eux-mêmes de rappeler dans le détail « les griefs parfois abominables, souvent faux, toujours excessifs et déformés qu’ils ont été amenés à invoquer l’un contre l’autre ». La procédure actuelle exacerbe le caractère dramatique du divorce pour ceux qui le subissent. Supprimer le divorce pour faute aurait pour conséquence, selon Paul Colcombet, de ne pas envenimer inutilement le climat de la séparation dans l’intérêt des enfants et de chacun des époux. Cela permettrait de faire disparaître les procédures pénales destinées à prouver ces fautes, et les procédures en retour pour dénonciations calomnieuses et faux témoignages qui sont actuellement très présentes.
- 18 Quels sont les chemins, les mots, les objets du processus ? Quelles avaient été les recommandations (...)
30Le divorce est un événement marquant, socialement très encadré (par la famille, les amis, les collègues, les avocats et les juges, les médiateurs, les travailleurs sociaux…), qui s’accompagne d’une comptabilité minutieuse des choses à partager, des plus importantes (la maison par exemple) aux plus ténues (bibelots, meubles, disques, livres, draps, vêtements, cadeaux de mariage, photos…). La séparation a des conséquences sur la vie de famille, même quand il n’y a pas d’enfants (certaines belles-mères regretteront éternellement ce gendre qu’elles aimaient tant…), sur les réseaux amicaux (les amis sont sommés de choisir leur camp), sur le patrimoine et le train de vie des ex-conjoints… L’ethnologie du divorce est amorcée par des études portant sur la beau-parenté et les familles recomposées, mais il n’y a que peu de travaux d’ethnographie fine sur la séparation des époux 18. A travers le divorce se profile la problématique des mariages « mal arrangés » et des unions successives.
31La transmission des biens est au cœur de la loi du 3 décembre 2001 relative aux droits des conjoints survivants et des enfants adultérins. Les places relatives des époux vis-à-vis des héritiers et celles de tous les enfants issus d’une même personne y sont redéfinies. Les nouvelles dispositions marquent une rupture forte dans les pratiques successorales. Avec cette loi, qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2002, éclate la force du mariage qui protège, au-delà de la mort, les époux et, de façon concomitante et paradoxale, affirme la prévalence de l’individu sur le couple, les enfants d’une même personne (légitimes ou adultérins) étant tous égaux en droits quels que soient les engagements conjugaux de leurs père et mère.
32Le statut de l’enfant adultérin a été réformé en 1972 par des dispositions qui facilitaient la reconnaissance par le parent adultère de l’enfant, mais ce dernier restait un descendant de seconde catégorie, puisqu’il n’héritait que de la moitié de ce que recevaient ses frères et sœurs légitimes. La nouvelle loi a supprimé ces discriminations successorales. Désormais, la part de l’enfant adultérin est identique à celle des autres enfants du défunt. Il peut recevoir des libéralités en plus de sa part héréditaire. Sa quotité n’est plus réduite en présence du conjoint survivant et il peut demander, comme les enfants légitimes, la conversion de l’usufruit du conjoint en une rente viagère. De ce fait, la créance alimentaire dont il bénéficiait jusqu’à présent contre la succession, afin de tempérer la discrimination dont il était l’objet, a été supprimée (Grillon 2001 : 2233).
33Le conjoint survivant est maintenant sur un pied d’égalité avec les père et mère du défunt, au deuxième rang de la succession. Il était, auparavant, placé en quatrième position (derrière les enfants, les parents, les frères et sœurs). Avant la réforme, en présence d’enfants ou de descendants, le conjoint recueillait un quart des biens en usufruit (la moitié s’il était en concurrence avec un enfant adultérin). Avec la nouvelle loi, le conjoint survivant se voit attribuer le quart des biens en pleine propriété s’il y a des enfants issus de précédentes unions (qu’ils soient légitimes, naturels ou adultérins). Si tous les enfants sont issus des époux, le conjoint peut opter pour la totalité de la succession en usufruit. Si, à défaut d’enfants ou de petits-enfants, le défunt laisse ses père et mère, le conjoint survivant recueille la moitié des biens ; l’autre moitié est dévolue pour un quart au père, pour un autre quart à la mère.
34En l’absence de descendants et de père et mère, le conjoint survivant recueille toute la succession, à l’exception des « biens de famille » pour éviter que tout un héritage (maisons de famille, œuvres d’art…) glisse vers les parents alliés au lieu de revenir dans le lignage initial. Les biens « en nature » que le défunt avait reçus de ses parents sont dévolus pour moitié aux frères et aux sœurs ou à leurs descendants, eux-mêmes descendants des parents décédés à l’origine de la transmission.
- 19 La veuve ou le veuf dans le besoin peut également demander une pension que les héritiers sont tenus (...)
35Point essentiel de la réforme, le conjoint survivant dispose d’un droit sur le logement occupé par les époux lors du décès (art. 4 de la loi). L’habitation qui appartenait aux époux ou au défunt sera gratuite pendant une année. Le droit au logement se prolongera jusqu’au décès du conjoint survivant. Les héritiers ne peuvent plus demander leur part et occasionner par là même le départ du conjoint. S’il s’agit d’une location, le conjoint survivant devient le bénéficiaire exclusif du droit au bail et la succession remboursera le montant des loyers pendant un an 19.
- 20 Une ethnographie du veuvage contemporain, des secondes ou des troisièmes noces telles qu’elles se d (...)
36Les conséquences de cette réforme sur la transmission du patrimoine et sur les liens formels entre les générations sont considérables. Selon le Conseil supérieur du notariat, le logement représente aujourd’hui 80 % de la valeur des successions. L’habitation étant réservée jusqu’au décès de la dernière épouse ou du dernier époux, c’est toute la succession qui est bloquée. Les remariages tardifs des hommes avec de jeunes femmes (ou l’inverse, bien que ce soit moins fréquent) risquent de déshériter les enfants du défunt. La loi laissant la possibilité de supprimer par testament authentique le droit au viager en faveur du conjoint, les notaires invitent les personnes remariées qui ont des enfants issus d’unions antérieures, et dont la maison ou l’appartement constitue la majeure partie du patrimoine, à établir un testament afin de laisser à la jeune conjointe survivante un droit au logement de cinq ans, par exemple, pour qu’elle ait le temps de se retourner, mais pas sa vie durant. Les notaires signalent également que les enfants auront probablement intérêt à convertir les droits d’habitation et d’usage en rente viagère, ou en capital, pour « récupérer le bien » (Creneau-Jabaud 2002 : 1150). Le statut du second mariage (ou du troisième…) est considérablement renforcé par la loi. La dernière épouse (ou le dernier époux) est protégée par rapport à l’ensemble des héritiers. Associé à la réforme de la prestation compensatoire qui rompt les liens de dépendance matérielle entre les ex-conjoints, le renversement du poids symbolique des mariages successifs est remarquable 20.
- 21 Sur le statut des veuves en Europe, voir les travaux de Jack Goody (1985 : 72).
37Le conflit d’intérêt entre le conjoint survivant et les héritiers a donné lieu à de très nombreux commentaires, mais les émotions qui ont été suggérées par cette réforme ne sont pas seulement liées à une question de disponibilité de patrimoine. Il s’agit en effet d’un changement radical du statut de la veuve (cas le plus fréquent) qui n’est plus dépendante, pour survivre au décès de son mari, de la compassion de ses enfants, d’un remariage ou de la société, grâce à l’institution d’un véritable « douaire » (biens assurés par le mari à sa femme survivante) 21. Pour les sociétés européennes, davantage structurées autour du principe de la dot (biens apportés par l’épouse pour contribuer aux charges du ménage), il s’agit d’une mutation symbolique importante, l’institution du douaire étant, quant à elle, plus fréquemment mise en œuvre dans les sociétés islamiques.
38La loi sur l’accès aux origines personnelles redéfinit les liens biologiques entre les enfants et leurs parents. La souffrance des personnes concernées par la rupture radicale de ce lien s’exprime depuis quelques années de façon importante à travers les médias (reportages télévisés, télé-réalité…) et les travaux scientifiques. Les associations de défense des enfants nés sous X ou placés comme pupilles de l’Etat se sont montrées très actives, rassemblant leurs membres autour d’objectifs précis, assistant aux lectures successives du projet à l’Assemblée nationale et au Sénat, distribuant des informations et commentant le cours des choses dans les corridors donnant sur les hémicycles parlementaires.
- 22 Chiffre donné dans le rapport d’information sur le secret des origines réalisé au nom de la délégat (...)
39La réforme adoptée le 22 janvier 2002 marque une rupture forte dans les traditions nationales. L’accouchement anonyme et l’abandon d’enfant ont une longue histoire étroitement liée aux législations sur les techniques contraceptives et abortives ainsi qu’à la condamnation sociale et religieuse des naissances hors mariage. Avec la libéralisation des moyens de contraception (autorisés depuis plus de trente ans) et de l’avortement (légalisé depuis plus de vingt-cinq ans), le nombre des femmes accouchant sous X et des abandons d’enfant a considérablement diminué. A la fin du xixe siècle, on estimait à 300 000 le nombre de femmes qui demandaient l’accouchement secret chaque année. Entre 1941 et 1991 (cinquante ans), 50 000 enfants seraient nés dans le secret (soit à peu près 1 000 naissances par an). A la fin du xxe siècle, le nombre annuel des naissances sous X n’avoisinerait plus que 600 enfants. Cette diminution s’explique aussi par l’évolution des mentalités qui, depuis trente ans à peu près, a progressivement fait admettre les naissances hors mariage 22. L’idée que le secret des origines était favorable à l’adoption de l’enfant car il favoriserait l’établissement rapide d’une nouvelle filiation a été affirmée par la loi de 1966, qui institue l’adoption plénière, et celle de 1993, qui interdit la recherche en maternité naturelle en cas d’accouchement secret. Ce secret a même été présenté comme l’ultime expression de l’amour maternel. Récemment, les points de vue ont changé. Les progrès de la pédopsychiatrie ont remis en cause le principe prônant la rupture radicale comme facteur essentiel de la reconstruction. Les associations de parents adoptants ont reconnu, de leur côté, que la vérité exprimée constituait un gage de sérénité pour la construction psychologique des enfants.
40La loi du 22 janvier 2002 a maintenu l’accouchement sous X, mais organise la réversibilité du secret de la naissance. De la même manière, les enfants confiés aux services de l’aide sociale pourront remonter à leurs origines. La levée du secret, dans un cas comme dans l’autre, reste toujours subordonnée à l’accord exprès de la mère de l’enfant. Avant la réforme du 22 janvier 2002, la place du père était entièrement subordonnée à celle de la mère. Lorsque le secret de l’accouchement avait été demandé par la mère, ce secret empêchait un père de reconnaître son enfant, même s’il avait fait une reconnaissance anténatale. Le père peut aujourd’hui laisser son identité sous pli fermé, au même titre que la mère.
- 23 L’accès aux origines personnelles va sans doute se reposer très prochainement avec le statut des do (...)
41Un conseil national a été créé afin de recueillir l’identité des femmes qui accouchent anonymement et celle des personnes qui déposent un enfant à un organisme d’adoption ou qui le font admettre comme pupille de l’Etat. Les femmes qui accouchent sous X sont informées de l’importance, pour l’enfant, de connaître ses origines et son histoire. Elles peuvent consigner leur identité sous pli fermé, laisser une lettre, une explication, diverses informations, comme leur état de santé, celle du père, les origines de l’enfant et les circonstances de sa naissance… Les prénoms de l’enfant, la mention du fait qu’ils ont été donnés par la mère ou pas, son sexe, sa date d’anniversaire, le lieu et l’heure de sa naissance sont inscrits à l’extérieur du pli confidentiel. Lorsque les parents, indépendamment l’un de l’autre, et les enfants acceptent de se retrouver, le conseil leur communique l’information nécessaire à leur rencontre 23.
42La loi sur l’autorité parentale pose la question des liens quotidiens entre les enfants et leurs parents. Quelques notions clefs ont été réformées comme le « droit de garde », qui devient un concept désuet, ou encore les enfants « légitimes » et « naturels » qui sont des qualificatifs du plus mauvais goût, plus aucune discrimination ne devant être faite à leur égard. Le concept d’autorité parentale affirme la permanence du couple parental sur le couple conjugal. Cette réforme s’appuie sur les propositions d’Irène Théry (1998) ainsi que sur celles formulées par Françoise Dekeuver-Défossez (1999) qui concluent à la nécessité de renforcer le principe de coparentalité en donnant plus de souplesse aux aménagements familiaux et en favorisant les relations des enfants avec chacun des parents.
43L’ « autorité parentale » est un ensemble de droits et de devoirs des parents destinés à assurer la protection de leur enfant, sa santé, sa moralité, son éducation et son développement. Cette notion, qui a été introduite en 1970, a connu depuis vingt ans plusieurs réformes qui sont toutes allées dans le sens d’une plus grande égalité : égalité entre le père et la mère lorsque la loi de 1970 a remplacé la « puissance paternelle » par l’ « autorité parentale » ; égalité entre les parents séparés, qu’ils aient été ou non mariés, avec les lois de 1987 et de 1993 qui ont dissocié la résidence de l’enfant de l’exercice de l’autorité parentale ; égalité enfin entre tous les enfants, avec la dernière loi, qui renforce le principe selon lequel il est dans l’intérêt de l’enfant d’être élevé par ses deux parents, même lorsque ceux-ci sont séparés. Pour cela, le temps passé avec l’enfant doit être réellement partagé.
- 24 Etablies par des sociologues et des démographes, ces données sont empruntées au rapport officiel du (...)
- 25 La place des tiers, parents ou non, est introduite très succinctement par l’article 4 : « Si tel es (...)
44Quelques données chiffrées donnent une idée des usages familiaux consécutifs aux séparations 24. En 1994, deux millions d’enfants de moins de 18 ans ne vivaient pas avec leurs deux parents, soit 17,2 % des mineurs. La résidence de l’enfant était fixée chez la mère dans 86 % des cas, chez le père dans 13 %. La résidence alternée ne concernait que 1 % des décisions judiciaires. Le modèle dominant voulait que l’enfant réside chez sa mère, le père bénéficiant d’un droit de visite fixé à un week-end sur deux et à la moitié des vacances scolaires. Seuls 10 % des enfants résidant avec leur mère voyaient leur père toutes les semaines, 20 % tous les quinze jours. Un enfant sur deux dont les parents étaient séparés avait au moins un beau-parent, le plus souvent une belle-mère, le père se remettant en couple plus rapidement. Les rapports d’études préalables avaient suggéré de renforcer la place des tiers 25, mais cette proposition n’a pas été véritablement traitée, l’objectif de la nouvelle loi étant de renforcer prioritairement le rôle des pères.
- 26 Certaines conditions sont posées pour l’exercice de l’autorité parentale, notamment lorsque la fili (...)
45La grande nouveauté de la loi sur l’autorité parentale consiste en un rééquilibrage du rôle du père dans l’éducation des enfants et en une égalisation des droits des enfants, quelles que soient leur filiation et la situation conjugale de leurs parents. Pour la loi, « tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et devoirs dans leurs rapports avec leurs père et mère. Ils entrent dans la famille de chacun d’eux 26 ». Lorsque l’autorité parentale est partagée, le père et la mère sont tenus de fabriquer des liens réels avec leurs enfants. Le nouvel article 373 du code civil précise : « La séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale, que chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent, que tout changement de résidence de l’un des parents, dès lors qu’il modifie les modalités d’exercice de l’autorité parentale, doit faire l’objet d’une information préalable et en temps utile de l’autre parent… »
46La notion de résidence est centrale dans ce nouveau dispositif. Jusqu’à présent, les juges considéraient que l’intérêt de l’enfant était d’avoir un foyer principal, pensé comme source de repère et d’équilibre, généralement celui de la mère. L’esprit de la loi de 2002 propose une « résidence alternée », à égalité si possible, entre le père et la mère. Les liens avec les parents sont jugés plus importants pour le bien-être des enfants qu’un lieu de résidence principal. En cas de conflit, les juges sont tenus de fixer la résidence de l’enfant en alternance au domicile de chacun des parents (proposition initiale) ou au domicile de l’un d’eux (proposition secondaire). Jusqu’à présent, la résidence alternée était l’exception. Elle devient la règle. Elle n’est pas pour autant une obligation.
- 27 Ces mesures de médiation (qui ne vont pas sans poser tout un tas de questions sur le statut et la f (...)
47« Convention » et « médiation » accompagnent le processus de décision. La nouvelle loi prévoit que les parents signent entre eux une convention dans laquelle ils organisent leurs contributions respectives à l’entretien et à l’éducation des enfants. Cette convention sera homologuée, s’ils le souhaitent, par le juge aux affaires familiales. Le juge peut proposer une mesure de médiation pour faciliter l’exercice conjoint de l’autorité parentale (art. 5 de la loi) 27.
48La réforme de l’autorité parentale s’est accompagnée d’un certain nombre de mesures annoncées le 3 mai 2001 par le ministre délégué à la Famille, à l’Enfance et aux Personnes handicapées (Ségolène Royal). Les résultats scolaires seront adressés dorénavant aux deux parents, les enfants affiliés à la Sécurité sociale de leur mère et de leur père (prévue par la nouvelle loi). Les parents séparés, comme les familles recomposées de trois enfants, bénéficieront des avantages SNCF « familles nombreuses ». Quelle que soit leur résidence habituelle, les enfants seront pris en considération pour fixer les droits des personnes aux logements sociaux (pour qu’un père de deux enfants, par exemple, puisse les recevoir dans des conditions acceptables). En outre, un congé de paternité de quatorze jours a été accordé en 2002. Un livret rappelant les droits et les devoirs des pères a été annoncé ainsi qu’une cérémonie solennelle de naissance pour les couples non mariés, avec lecture par le maire des articles du code civil relatifs à l’autorité parentale.
49Avec l’autorité parentale, deux grands domaines de la parenté sont en œuvre : la résidence (non plus du couple mais des enfants) et la filiation. Dans les faits, le régime français est plutôt « dysharmonique » (pour reprendre un concept proposé par Claude Lévi-Strauss) puisque la filiation indifférenciée s’accompagne, en cas de séparation des parents, d’une résidence maternelle. La loi annonce aujourd’hui que la résidence doit s’harmoniser au système de filiation en œuvre, que l’enfant doit habiter, idéalement, chez ses deux parents. Les règles relatives à la filiation et à la résidence dans les pays occidentaux sont animées par une mythologie de l’ « indifférentiarcat », tendance déjà très nette dans les nouvelles lois réglant la transmission du nom de famille.
50En France, le patronyme est héréditaire depuis le xiie siècle, époque marquant la fixation des noms de famille. Jusqu’alors, le nom de baptême était la seule dénomination individuelle. Dans un silence médiatique paradoxal, une réforme importante des usages vient de s’achever. La France n’est pas venue elle-même à cette réforme. Elle a été sollicitée, avec d’autres pays, en 1978 et en 1985, par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, pour corriger son système patrilinéaire qui établissait, selon leurs termes, une « discrimination dans la transmission du nom de famille entre les hommes et les femmes ». Les partisans de cette réforme ont dénoncé, en outre, une inégalité relative au statut marital des parents, les couples mariés ayant, dans ce cas, moins de liberté que les parents vivant en union libre. Avant la réforme, le mariage contraignait les parents mariés à une transmission patrilinéaire, alors que l’union libre laissait plus d’égalité entre les sexes dans la transmission du nom puisqu’il suffisait de jouer sur l’antériorité des déclarations de paternité ou de maternité à la mairie pour donner le nom du père ou de la mère à l’enfant.
- 28 L’élaboration des nouvelles dispositions fut marquée par deux temps forts : une première loi (promu (...)
- 29 A partir du 1er janvier 2005, « lorsque la filiation d’un enfant sera établie à l’égard de ses deux (...)
51Les principes de la nomination des individus ont été profondément bouleversés par les lois promulguées en 2002 et 2003 28. Le nouveau système propose une transmission alternative ou bilatérale 29. Le concept de patronyme a disparu au profit de celui de « nom de famille » ; les notions d’enfants légitimes et naturels (qui découlent du principe de l’alliance) passent au second plan derrière le principe de la reconnaissance mutuelle (c’est-à-dire derrière l’établissement de la filiation) ; la « déclaration conjointe du nom » est la pièce maîtresse du nouveau dispositif. Cette déclaration permet aux parents (mariés ou non) de transmettre le nom de la mère ou un nom composé. Malgré cette libéralisation des usages, la préférence patrilinéaire est nettement marquée. A partir du moment où le couple parental s’identifie lui-même comme tel, c’est-à-dire que les enfants ont été reconnus par leurs deux parents, dans le cadre du mariage ou lors d’une reconnaissance en mairie, en cas d’absence de déclaration sur le choix du nom, la priorité sera donnée au nom du père. Cette préférence paternelle est justifiée « au nom du renforcement du principe de paternité », le statut des pères étant jugé fragilisé dans l’évolution des formes de la famille contemporaine.
- 30 Ce type d’adoption confère le nom de l’adoptant à l’adopté en l’ajoutant au nom de ce dernier. En r (...)
52Si l’enfant n’a pas été reconnu simultanément par ses deux parents, il portera le nom de celui qui se présentera le premier à la mairie pour établir la filiation (art. 2 de la loi du 18 juin 2003). Toutefois, si les parents le souhaitent ultérieurement, l’enfant pourra prendre par substitution, pendant sa minorité, le nom de famille de celui à l’égard duquel la filiation a été établie en second ou les noms accolés de ses deux parents, dans l’ordre choisi par eux, dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux (art. 12 de la loi du 4 mars 2002). Le choix du nom, par déclaration conjointe des parents, ne pourra s’effectuer qu’une seule fois. La dation du nom du conjoint a été supprimée par les nouvelles dispositions juridiques. L’adoption simple constitue actuellement, jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, l’unique hypothèse (avec le « relèvement » du nom des citoyens morts pour la France) dans laquelle le double nom est autorisé à titre officiel (art. 363, deuxième alinéa, du code civil) 30.
- 31 Henri de Richemont, Rapport du Sénat relatif à la dévolution du nom de famille, n° 231, session ord (...)
- 32 La réversibilité s’apparente à un changement de nom selon une procédure extrêmement facilitée par r (...)
53La réversibilité, qui est déjà au cœur de nombreuses lois européennes, fut fixée par l’article 2 de la loi du 4 mars 2002 mais aussitôt abrogé par la nouvelle législature, « au nom du principe de l’unité de la fratrie, de celui de la prééminence supplétive du nom du père, de la sécurité de l’état des personnes, l’immuabilité du nom de famille et de la stabilité de l’état civil » 31. Ce principe, véritablement révolutionnaire, mérite attention. En effet, la loi du 4 mars 2002 donnait la possibilité aux personnes qui ont reçu leur nom selon les nouvelles dispositions, à leur majorité et avant la naissance de leur premier enfant, d’ « adjoindre en seconde position le nom de l’autre parent dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux ». Le nouveau nom aurait été porté en marge de l’acte de naissance. Les conséquences de ce principe de réversibilité, s’il avait été maintenu, auraient été très importantes. Les Français n’auraient pas pu supprimer de leur nom le nom de leur père, comme cela est souvent réclamé par des descendants mécontents, mais ils auraient eu la possibilité, en associant le nom de leur mère à leur patronyme, de transmettre ensuite le nom de leur choix à leurs enfants 32.
54Il est difficile de prédire la mise en œuvre de ces nouvelles structures qui rattachent la France aux pays européens autorisant le nom composé et l’inscrivent de ce fait dans une tradition plutôt méridionale que septentrionale (Feschet 2004). Le modèle de transmission patrilinéaire sera sans doute mis en concurrence avec d’autres modèles : modèles « patrimoniaux » quand le nom donné sera celui d’un donateur important ; modèles « pénaux » ou « réparateurs » qui sanctionneront le parent défaillant par la non-retransmission du nom reçu et qui honoreront les personnes méritantes… Le système anthroponymique français relatif au nom de famille (comme la grande majorité des systèmes anthroponymiques des pays de l’Europe occidentale) glisse nettement vers un processus d’identification et non plus seulement de classification. Le nom de famille va devenir le support de l’expression individuelle, de toute la dimension sociale mais aussi affective qui la caractérise. L’individu était jusqu’à présent l’enfant d’une lignée, célibataire, marié, éventuellement divorcé ; il pourra dorénavant s’affranchir de la marque qui lui a été assignée à travers le choix qu’il fera du nom à donner à son enfant, être quelqu’un de reconnaissant ou de révolté.
55La redéfinition des rôles entre les hommes et les femmes ne se pose pas véritablement en ces termes dans les dernières réformes du droit de la famille. Le brouillage des frontières entre les sexes (qui apparaît nettement à travers l’éducation des enfants mais plus discrètement dans les autres lois) se fond dans un processus plus général sous-tendu par les principes – ici fondamentaux – d’égalité et de liberté (égalité entre les hommes et les femmes, certes, mais aussi égalité des couples, des lignées, des générations, des sexualités). Le principe de l’égalité des couples, quelle que soit l’orientation sexuelle, est posé bien que cette égalité ne soit pas totalement établie (le pacs ne donne pas droit à l’adoption). L’égalité des couples issus de mariages successifs est également affirmée, la rente de la prestation compensatoire étant révisable et ayant été substituée à un capital donné une fois pour toutes. Les parents mariés et ceux vivant en union libre sont à égalité vis-à-vis de la transmission du nom de famille à l’enfant. En ce qui concerne la filiation, l’égalité des lignes verticales est également un principe moteur (les enfants de parents séparés ont les mêmes droits que ceux dont les parents vivent ensemble ; les enfants adultérins les mêmes droits que les enfants légitimes et naturels ; les enfants nés sous X ou pupilles de l’Etat ont le droit de connaître, comme les autres, leurs parents biologiques). L’égalité des sexes est à l’origine de la loi relative à la transmission du nom de famille, même si les discriminations n’ont pas été radicalement abrogées, puisqu’en cas de conflit entre les parents le nom du père reste prioritaire. Quoi qu’il en soit, même si le processus n’a pas encore complètement abouti, la rupture dans les usages légaux est considérable. Quant à l’égalité des générations, c’est peut-être là que les distinctions sont le plus fortes. Les enfants restent sous l’autorité de leurs parents par rapport à leur nom de famille. Ils sont également tributaires des décisions de leurs père et mère en matière d’héritage, le conjoint survivant ayant des droits renforcés.
56Ces grands principes d’égalité n’ont pas pour autant confondu les différentes réalités entre elles. Si dans le domaine de la filiation, tous les enfants, quelles que soient les formes de l’amour dont ils sont issus, sont théoriquement identiques entre eux, dans celui de l’alliance, un couple marié n’est pas un couple pacsé, un couple hétérosexuel n’est pas un couple homosexuel, une personne divorcée, une fois la compensation réglée, n’est plus liée par des liens conjugaux… Le mariage gagne en puissance. Il impose le conjoint aux héritiers et s’oppose à toute autre forme de solidarité entre deux personnes. Les nouvelles lois – bien que pensées à travers le principe de l’égalité – appuient les écarts symboliques entre les différentes réalités conjugales.
- 33 L’amour n’a jamais été banni du mariage mais, comme Jack Goody le fait remarquer, si pour l’Eglise (...)
57Mais l’amour dans tout ça ? Les deux formes de l’amour, conjugal et filial, sont mises en valeur à travers la réforme du droit de la famille. C’est sans doute là qu’il faut lire la transformation qui est en train de s’opérer. Entre le droit à l’enfant, les droits des enfants, les « dernières épouses » et les « nouveaux pères », le cadre législatif actuel montre que les relations de parenté ne se structurent plus autour d’un mariage initial, fondateur, déterminant les relations au sein d’une famille et interdisant symboliquement, après lui, le recommencement. Le nouveau cadre législatif atteste, au contraire, la force de l’amour « libre », si décrié au xixe siècle, qui structure aujourd’hui la famille autant qu’il la déstructure. La réforme opère en effet une rupture dans le système de parenté traditionnel, d’une part parce que l’alliance et la filiation suivent aujourd’hui deux chemins bien distincts alors que la famille traditionnelle les juxtaposait avec force, mais aussi parce que l’ « amour-passion », et même l’ « amour-désir » (Schurmans 2003 : 34) sont maintenant réhabilités parmi les motifs honnêtes 33 de la conjugalité et de la parentalité. Alors, bien sûr, le respect de l’individu et la liberté (encore toute relative) ne sont pas synonymes de bonheur. Le paradis est parfois bien loin des amours romantiques et de leurs conséquences. Mais à côté du modèle familial traditionnel, d’autres histoires ont aujourd’hui juridiquement le droit d’exister, puisque leurs conséquences (divorces, remariages, enfants adultérins…) sont légalement reconnues, les hommes et les femmes ayant la possibilité d’aimer, une nuit, une vie, plusieurs fois, peut-être même à la folie, sans être pour cela chassés du code civil.