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Un orgasme dans les vers et la gangrène ?

Discontinuités historiques dans les chastes jouissances de la mystique Lydwine de Schiedam (xxe-xve siècle)
Chloé Maillet
p. 46-71

Résumés

La vie de Lydwine de Schiedam fut écrite au xve siècle par un prédicateur franciscain et traduite et adaptée au tout début du xxe siècle par l’écrivain décadent Joris-Karl Huysmans. Elle raconte les horreurs de la vie d’une femme ayant passé plus d’une trentaine d’années alitée, accablée par de terribles maladies, telle une vivante putréfaction. Les auteurs s’accordent pourtant à décrire une vie de plaisir et de joie, sexualisée, posant ainsi la question du masochisme et de l’érotisation de la chasteté. Cet article montre les écarts de mise en scène de cette jouissance médicale : orgasmique et liée à une pénétration corporelle par l’intermédiaire d’une hostie chez Huysmans (1901), d’un érotisme doux et liquide au xve siècle, liée à une complexe gestion de fluides corporels et alimentée par un allaitement masculin et divin.

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Texte intégral

« Je mûris très vite et me montrai fort surexcité lorsque vers dix ans, je crois, je pus lire les Vies des martyrs. Je me souviens avoir éprouvé une horreur qui n’était que du ravissement à ces lectures : ils souffraient les pires tourments avec une sorte de joie, ils se languissaient dans les geôles, étaient suppliciés sur le gril, percés de flèches, jetés dans la poix bouillante, livrés aux bêtes féroces ou cloués sur la croix. »
Léopold von Sacher-Masoch, La Vénus à la fourrure, publié en France en 1902 (Deleuze & Sacher-Masoch 1967 : 179).

  • 1 Léopold von Sacher-Masoch évoque à deux reprises les Vies de martyrs dans La Vénus, et les lie à u (...)

1Une femme sainte est dite avoir vécu le martyr toute sa vie, contrainte par des maladies atroces et un corps en quasi-putréfaction à garder le lit pendant une trentaine d’années. Elle s’appelait Lydwine de Schiedam (parfois traduite en Ludivine), et vécut de 1380 à 1433. On l’a décrite se réjouissant des souffrances que lui infligeait son Père divin qui était aussi son époux mystique. L’idée qu’il y ait du plaisir dans la souffrance nous semble née dans les écrits de Léopold von Sacher-Masoch, mais lui-même en attribuait la paternité aux Vies des martyrs1.

2Gilles Deleuze nous a appris, il y a un demi-siècle, à distinguer la suprasensualité masochiste de son corrélat psychanalytique établi par le médecin Krafft-Ebing, celui du sadique (Krafft-Ebing 1886). Le philosophe prenait appui sur les mémoires autrefois décriés de Wanda von Sacher-Masoch, écrivaine, épouse et maîtresse, que les amoureux du fouet n’avaient pas trouvée assez sadique (Deleuze & Sacher-Masoch 1967 : 21). Deleuze montra que le masochisme fut la création d’un couple, dans lequel le dominé ne sent pas coupable mais désire être puni, tandis que celui qui punit n’est pas un sadique. Le masochisme a ainsi retrouvé avec Deleuze son unité et son originalité. Le philosophe a aussi montré qu’il prenait explicitement ses racines dans les initiations mystico-idéalistes :

« Séverin, le héros de La Vénus, élabore sa doctrine, le suprasensualisme, et prend pour devise les mots de Méphisto à Faust : “Va sensuel séducteur suprasensuel, une fillette te mène par le bout du nez” (Übersinnlich, dans ce texte de Goethe, ce n’est pas suprasensible c’est “suprasensuel”, “supracharnel”, conformément à une haute tradition théologique où Sinnlichkeit désigne la chair, la sensualitas). Que le masochisme cherche ses garants historiques et culturels dans les épreuves d’initiation mystico-idéalistes n’a rien d’étonnant. » (Deleuze & Sacher-Masoch 1967 : 21)

3La sexualisation de la souffrance dans la littérature fin-de-siècle – dont Sacher-Masoch est devenu l’exemple le plus emblématique, mais qui concerne nombre d’auteurs parfois convertis au christianisme – est considérée comme un lieu commun, à tel point qu’elle n’est pas toujours interrogée historiquement, et rarement confrontée à ses référents médiévaux, à des Vies de martyrs où, parfois même, il n’y a ni bourreau, ni sexe ni objets fétiches.

  • 2 La société des bollandistes, société savante fondée en 1615 et toujours active, s’est spécialisée (...)

4Un écrivain contemporain a tenté de pénétrer plus profondément dans ce plaisir fait de souffrance, alors que l’acte sexuel ne lui inspirait que des descriptions de dégoût. Il s’agit de Joris-Karl Huysmans, fer de lance de la littérature dite fin-de-siècle en France : Huysmans fait partie de ces auteurs qui présentaient la vie conjugale comme un cauchemar et la vie sexuelle comme une déception (Huysmans 2007). Il brossait des portraits de femmes (et d’hommes) d’une noirceur infinie (Huysmans 2000), et se tourna vers le passé pour y trouver une femme courageuse qui jouissait dans d’horribles délices, au lieu de se complaire dans une sexualité réduite à la sordidité. Il se passionna pour la vie de Lydwine de Schiedam, jusqu’à entreprendre d’en faire un travail hagiographique, dans la pure tradition critique et savante2. Malade toute sa vie, ou presque, Lydwine souffrit les pires tourments sans jamais avoir de bourreau. Considérée comme martyre, elle n’eut pourtant point de persécuteur et se situait plutôt dans un mouvement fervent entre le xive et le xve siècle, celui des mystiques : des hommes ou (plus nombreuses encore) des femmes, qui se caractérisaient par une relation intime, charnelle et corporelle avec le surnaturel (Albert 1996). La Vie de Lydwine est bien connue des spécialistes des études de genre depuis qu’elle a fait l’objet des travaux de Caroline Walker Bynum (Bynum 1992 ; 1994), mais elle fut surtout popularisée par le texte de Huysmans.

5On peut lire le texte de Huysmans comme un « dérapage » : celui d’un homme en cours de conversion au catholicisme, voulant revenir aux textes médiévaux et qui choisit la vie la plus horrible qui ait jamais été écrite, se délectant de la description des organes en putréfaction grouillant au milieu des vers, et exhalant des cassolettes de parfums délicats. La fausse continuité instaurée par la référence au christianisme mystique dissimule mal l’écart de cadre de références en matière de définition du mariage et du célibat, de la chasteté et de la sexualité. Huysmans, contemporain de Sacher-Masoch, écrivait dans un monde littéraire fasciné par la littérature hagiographique et avide d’y trouver le plaisir dans un monde désespéré, dégoûté par le sexe et marqué par la philosophie de Schopenhauer (Huysmans 1977, « Préface écrite vingt ans après »). Les hagiographes qui rédigèrent la Vie originale n’avaient pour but que de faire canoniser cette héroïne locale ; ils étaient des clercs sans sexualité, ne connaissant pas le corps féminin, mais soucieux de mettre la vie de la mystique en continuité avec une série de femmes saintes.

6Si le moment de la jouissance est réputé « indicible » (Corbin 2010 : 83‑84), il s’agira dans les lignes qui suivent de le traquer sur le lit d’une malade, chaste, dont l’histoire fut réécrite au xve et au xixe siècle. La position prise dans cet article consiste à prendre au sérieux ce que nous disent les textes, écrits dans une visée précise, et différente selon l’époque concernée, mais pensés comme sincères, digne d’attention, et proposant une véritable proposition de plaisir alternatif. J’étudierai les Vies de Lydwine du point de vue de son étrange jouissance au milieu des vers et de la gangrène, mais à rebours dans le temps, en remontant de l’orée du xxe siècle au tournant du xve siècle, afin de comprendre combien elle nous permet de retracer un chapitre de l’histoire du plaisir dans deux mondes sexuels et sexualisés bien différents. L’hypothèse n’est pas uniquement d’éclairer ce cas extrême et isolé, mais plutôt de complexifier notre connaissance des orgasmes par l’étude historique d’une jouissance fondée sur une relation intime avec un être surnaturel.

1901 : Huysmans et Lydwine : la maladie et l’orgasme

Un fétichisme médical ? Lydwine et ses emplâtres odorants

  • 3 En hagiographie (écriture des vies de saints), on appelle « Vie » (vita) la biographie écrite en v (...)
  • 4 La bibliographie concernant l’écrivain est très conséquente et les récentes parutions sont relayée (...)

7La Vie de Lydwine parue en 1901 s’inscrit au cœur du processus de conversion au christianisme vécu par l’écrivain. On parle de « conversion esthétique » pour englober des aspects religieux, esthétiques et un goût pour l’archaïsme en littérature. Le texte se lit comme un récit hagiographique explicitement appuyé sur les Vies médiévales3. Les relations de ce texte à l’esthétique néo-chrétienne et sa place au sein du mouvement de conversion fin-de-siècle sont bien connues : elles sont liées à un renouveau d’intérêt pour le primitivisme aussi bien dans la littérature française (Guillerm 1996) que britannique (Masurel-Murray 2012) de l’époque4. Chacun des ouvrages produits par Huysmans durant la deuxième partie de sa vie, après son livre le plus célèbre, À rebours, constitue d’ailleurs une étape dans la conversion de l’auteur.

  • 5 John Ruskin (1819-1900), écrivain, critique d’art et peintre, est considéré comme le théoricien du (...)
  • 6 La plus récente édition parue chez Jérôme Million en 2015 donne cette présentation : « Cette épopé (...)

8Huysmans fit paraître de nombreux romans dont il affirma, dans la préface écrite en 1903 (« Préface écrite vingt ans après »), qu’ils étaient tous contenus en germe dans À rebours. Il les réinterpréta à la lumière de sa nouvelle foi et ne renia partiellement que Là-bas, son roman flirtant avec le satanisme, par trop « scélérat et sensuel » selon ses nouveaux goûts (Huysmans 1977 : 65). Il ne cita guère dans cette préface son hagiographie, Sainte Lydwine de Schiedam, sans doute parce qu’il la considérait avant tout comme une œuvre pieuse, et non comme un roman. Ce texte de Huysmans est parfois méprisé par les études littéraires, à la fois pour son médiévalisme perçu comme déjà démodé – Huysmans rejouerait Ruskin5 avec un demi-siècle de retard (Guillerm 1996) – et pour la naïveté des visions de la sainte. Pourtant, la Vie de Lydwine est souvent appréciée par nos contemporains et fait l’objet de rééditions qui vantent les qualités « gore » de ses descriptions6.

  • 7 Les chrétiens parlent de Mariage mystique pour décrire les relations amoureuses mais chastes qui l (...)

9Lydwine de Schiedam naquit en Hollande en 1380. À la suite d’un accident de patin à glace, un os brisé la conduisit sur un chemin de maladies et d’infections enchaînées qui durèrent trente-huit ans, et plus jamais elle ne quitta son lit de malade. Le parcours de la mystique tel que le décrit Huysmans peut être résumé en trois étapes : l’accident et le début de la maladie, les années de souffrance, la vie de martyre heureuse. Deux retournements sont donc visibles dans son parcours : celui, accidentel, qui la plonge dans la maladie, et celui, né d’une rencontre amoureuse et maritale avec le surnaturel7, qui transforme douleur en plaisir et en joie. Afin de marquer plus nettement le contraste entre les étapes, la violence des douleurs est mise en exergue avec des effets de style propres à l’écrivain :

« La veille de la Nativité de saint Jean-Baptiste, ses tourments atteignirent leur paroxysme ; elle sanglotait sur son lit, dans un état d’énervement affreux ; à un moment, elle n’y tint plus ; les douleurs s’accélérèrent si déchirantes qu’elle jaillit de sa couche et tomba, cassée en deux, sur les genoux de son père qui pleurait, assis auprès d’elle. Ce saut fit éclater l’abcès ; mais, au lieu de crever au dehors, il perça en dedans et elle rendit le pus à pleine bouche. Ces vomissements la secouaient de la tête aux pieds et ils étaient avec cela si abondants qu’ils emplissaient des écuelles que l’on avait à peine le loisir de vider à mesure qu’elles débordaient, dans un grand coquemar. Finalement, elle s’évanouit dans un dernier hoquet et ses parents la crurent morte.
[…] Trois ans se passèrent de la sorte ; pour parfaire son martyre, elle fut abandonnée par ceux qui venaient encore, de temps en temps, la saluer. » (Huysmans 2002 : 86
87)

10Au milieu de ces malheurs, dont l’auteur annonce déjà qu’ils dureront toute une vie, le texte de Huysmans ajoute par contraste de véritables recettes de cuisine médicale :

« Bientôt, Lydwine ne put même plus se traîner sur les genoux et s’agripper aux huches et aux sièges ; il lui fallut croupir sur sa couche et ce fut, cette fois, pour jamais ; la plaie qui n’avait pu se cicatriser, sous les côtes, s’envenima et la gangrène s’y mit ; la putréfaction engendra les vers qui parvinrent à se faire jour sous la peau du ventre et pullulèrent dans trois ulcères ronds et larges comme des fonds de bols ; ils se multiplièrent d’une façon effrayante ; ils paraissaient bouillir, dit Brugman, tant ils grouillaient ; ils avaient la grosseur du bout d’un fuseau et leurs corps étaient gris et aqueux et leurs têtes noires.
L’on rappela des médecins qui prescrivirent d’appliquer sur ces nids de vermines, des cataplasmes de froment frais, de miel, de graisse de chapon, auxquels d’aucuns conseillèrent d’ajouter de la crème de lait ou du gras d’anguille blanche, le tout saupoudré de chair de bœuf desséchée et réduite en poudre, dans un four. » (Huysmans 2002 : 88-89)

11Cette cuisine s’avère d’ailleurs efficace pour les vers qui grouillent dans les plaies et dont l’auteur souligne qu’on parvient à en retirer entre cent et deux cents par vingt-quatre heures. Après ce passage, on en revient à la question de l’harmonie aromatique, car c’est quelques pages plus loin que se déploie la description des odeurs exhalées par ces chairs en putréfaction :

« En un constant miracle, il [Dieu] fit de ces blessures des cassolettes de parfums ; les emplâtres que l’on enlevait, pullulant de vermines, embaumaient ; le pus sentait bon, les vomissements effluaient de délicats arômes ; et de ce corps en charpie qu’il dispensait de ces tristes exigences qui rendent les pauvres alités si honteux, il voulut qu’il émanât toujours un relent exquis de coques et d’épices du Levant, une fragrance à la fois énergique et douillette, quelque chose comme un fumet bien biblique de cinnamome et bien hollandais, de cannelle. » (Huysmans 2002 : 97, chap. 3)

12Les trois sens s’opposent. Si les yeux sont offensés par l’apparence de la personne et les oreilles déchirées par ses cris, c’est l’odorat, sens privilégié par l’auteur, qui se trouve ravi. La conjonction entre souffrance et arômes délicats rappelle pour tous ceux qui les ont lues les descriptions de À rebours. L’historien Alain Corbin, dans son histoire de l’odorat, Le Miasme et la jonquille, prend appui sur les cas très particulier de « fétichisme olfactif » décrits dans À rebours (Corbin 2016, chap. 4,  « L’ivresse et le flacon »). En effet, le terme fétichisme a été inventé dans son sens moderne par Alfred Binet (Binet 1888), alors même que Huysmans devenait le type même du fétichiste des parfums et des odeurs humaines et mécaniques :

« Il manipulait tout cet attirail autrefois acheté sur les instances d’une maîtresse qui se pâmait sous l’influence de certains aromates et de certains baumes, une femme détraquée et nerveuse, aimant à faire macérer la pointe de ses seins dans les senteurs, mais n’éprouvant, en somme, une délicieuse et accablante extase, que lorsqu’on lui ratissait la tête avec un peigne ou qu’elle pouvait humer, au milieu des caresses, l’odeur de la suie, du plâtre, des maisons en construction, par les temps de pluie, ou de la poussière mouchetée par de grosses gouttes d’orage, pendant l’été. » (Huysmans 1977 : 226, chap. 10)

13Selon Corbin, le livre de Huysmans était symptomatique d’une révolution dans l’odorat qui consista à valoriser les odeurs de la modernité, de l’artificialité de l’industrie, autrefois réputées nauséabondes. À rebours fut aussi une étape cruciale pour la description de l’importance de l’odorat dans les plaisirs sexuels, qu’on retrouve dans la Vie de Lydwine. Alain Corbin oppose séduction par le toucher, réputée appartenir aux classes populaires (embrassades, étreintes furtives) et séductions retardées par l’odorat dans les milieux bourgeois (Corbin 2016, chap. 4). En jouant sur l’odorat, sens réputé plus sophistiqué, Lydwine s’élève : elle se montre en odeur de sainteté dans sa putréfaction, conformément au destin des saints (Albert 1990) mais, dans un sens très contemporain, elle s’élève aux séductions du monde bourgeois et raffiné qui sied à l’auteur. C’est cette conversion des puanteurs en parfums qui marque la première étape de la conversion de la douleur en plaisir. Huysmans place ce transfert olfactif au cœur d’un processus qu’il nomme « substitution mystique », concept huysmanien résumant la transposition des états charnels en états spirituels.

Substitution mystique et pénétration par l’hostie ?

14La Lydwine de Huysmans accomplit presque seule le chemin vers la sainteté, faisant écho en cela à la méfiance de l’écrivain pour la hiérarchie catholique, bien perceptible dans Là-Bas comme dans les déboires d’En Route, écrits pendant son propre processus de conversion. Le curé du village de Lydwine, décrit comme avare et peu pieux, refusa à la pauvre alitée de céder la graisse de ses chapons pour lui en faire des emplâtres. Seul un confesseur plus pieux et sage que les autres tenta de la mettre sur la voie de la foi, mais cette tâche lui sembla encore plus difficile que de supporter ses douleurs. Le temps de l’attente fut important et Huysmans semble retarder volontairement le moment de la rencontre surnaturelle par un effet de suspension. Ainsi le lecteur attend et est tenu en haleine. Et c’est seulement à ce prix qu’on peut bénéficier de la description d’une conversion au plaisir sans qu’il y ait aucun changement de situation, ni amélioration ni accalmie dans les blessures. Le plaisir advient par la communion, un acte médié apporté par deux hommes, l’un humain – le prêtre, qui dépose l’aliment dans la bouche de la jeune femme – et l’autre à la fois surnaturel et charnel – par le mystère de la transsubstantiation – qui s’introduit littéralement dans le corps :

« Et il la communia.
Immédiatement son âme craqua et l’amour jaillit en une explosion, fusa en une gerbe de feux qui nimbèrent la suradorable Face qu’elle contemplait, au plus profond de ses aîtres, dans la source même de sa personne ; et folle de douleur et folle de joie, elle ne savait même plus ce qu’était son malheureux corps ; les gémissements que lui arrachaient ses tortures disparaissaient dans l’hosanna de ses cris. Ivre, de l’ébriété divine, elle divaguait, ne se souvenant plus d’elle-même que pour penser à lier précipitamment un bouquet de ses souffrances, afin de les offrir, en souhait de bienvenue, à l’Hôte. Puis ses larmes coulèrent durant deux semaines ; ce fut une pluie d’amour qui détrempa enfin ce sol aride et quasi mort ; le céleste Jardinier épandit à la volée ses semailles et aussitôt les fleurs de la Passion levèrent. » (Huysmans 2002 : 115, chap. 4)

15On a ici affaire à une description – littérale – d’un orgasme provoqué par une relation para-sexuelle entre une femme humaine et un être surnaturel descendu sur terre sous forme d’hostie. Les souffrances de la jeune femme ne cessent pas après cette union, mais leur perception s’en trouve modifiée :

« Et cependant ses tourments corporels croissaient encore. Ses rages de dents étaient devenues si féroces que sa tête tremblait ; les fièvres la minaient, avec des alternances de chaleurs violentes et de grands froids ; quand ces accès atteignaient leurs degrés extrêmes, elle crachait une eau rougeâtre et tombait dans un tel affaissement qu’il lui était impossible de proférer un seul mot et d’entendre parler les gens ; mais, au lieu de s’abandonner, ainsi que jadis, au désespoir, elle remerciait Dieu d’étancher enfin sa soif de tortures. On lui demandait quelquefois si elle désirait toujours, comme autrefois, être guérie et elle répondait : non, je ne souhaite plus qu’une chose, c’est de ne pas être dénuée de mes désaises et de mes peines. » (Huysmans 2002 : 117, chap. 4)

16Huysmans insiste sur la transformation, substitution qui advient par la communion comme un gant qui se retourne : chaque malheur devient alors un bonheur, et l’intensité des premiers augmente celle des seconds. On voit aussi qu’il existe une certaine continuité entre les plaisirs dits « détraqués » de la maîtresse de Des Esseintes humant les parfums nauséabonds pendant l’extase dans À rebours, et celui de l’union mystique de Lydwine et du Christ :

« Après qu’elle fut entrée dans cette voie de la substitution mystique et qu’elle se fut, de son plein gré, offerte pour être la brebis émissaire des péchés du monde, Jésus jeta son emprise sur elle et elle vécut cette existence extraordinaire où les douleurs servent de tremplin aux joies ; plus elle souffrit et plus elle fut satisfaite et plus elle voulut souffrir ; […]
Lydwine, elle, avait été arrachée d’une terre inerte pour être transplantée dans le sol ardent de la mystique ; et la sève jusqu’alors engourdie bouillonnait sous le souffle torride de l’Amour, et elle s’épanouissait en d’incessantes éclosions d’impétueuses délices et de furieux tourments.
Elle pantelait, se tordait, crissait des dents ou gisait à moitié morte et elle était ravie, au même instant ; elle ne vivait plus, dans un sens comme dans l’autre, que d’excès ; l’exubérance de sa jubilation compensait l’abus de ses peines ; elle le disait très simplement : “les consolations que je ressens sont proportionnées aux épreuves que j’endure et je les trouve si exquises que je ne les changerais pas pour tous les plaisirs des hommes”. » (Huysmans 2002 : 117-118, chap. 4)

  • 8 Si le mot « extase » apparaît, c’est dans une énumération : « Ils virent, durant ce temps, Lydwine (...)

17L’on nomme communément extase cette sensation de joie mystique. Mais le terme, quelque peu galvaudé, ne semble pas suffire à Huysmans pour décrire l’éventail de ces sensations8. On comprend toutefois, par l’analyse contemporaine qu’en fait Léopold von Sacher-Masoch, que cette douleur est érotique. Le souci de Huysmans de décrire son arrivée explosive en fait un réel orgasme, tant il la rend « folle de douleur et folle de joie ». Cet orgasme n’est pas seulement mental ou spirituel : son extase/jouissance est vécue par le corps, et les souffrances charnelles les amplifient. En faisant cela, Huysmans exalte l’abstinence à l’époque où tous les médecins dénonçaient alors la chasteté, considérée comme nocive. La seule exception, si l’on suit Alain Corbin, aurait été le docteur Dufieux, qui était profondément imprégné de théologie morale. Le mariage des prêtres avait par ailleurs été autorisé pendant la Révolution française et le corps médical semble avoir réclamé qu’il redevienne possible pendant tout le xixe siècle (Corbin 2010 : 150). Malgré la disparition progressive de la théorie des humeurs et de l’éjaculation féminine, on continuait à s’inquiéter du trop-plein non déchargé, et des problèmes médicaux entraînés par l’abstinence.

18Plus important encore, cette vision est profondément genrée. Huysmans, en homme de son temps, décrit les femmes comme plus propices que les hommes à la séduction, mais il ne fait pas de différence fondamentale entre le goût pour les plaisirs chez les uns et chez les autres, si l’on en croit les descriptions sordides de À vau-l’eau et En ménage. Là-bas présente même de concert les vices de Gilles de Rais et la débauche démoniaque de son héroïne. On pourrait argumenter sur le genre de Des Esseintes, complexe à déterminer, et dont les parcours aromatiques rejoignent parfois ceux de Lydwine. Et pourtant, d’après les médecins, si les deux maladies existent en cas de chasteté prolongée, le satyriasis masculin d’une part et la nymphomanie féminine d’autre part, la seconde s’avère plus fréquente. La dissymétrie est sans doute liée au fait qu’en réponse au dilemme de Tirésias – prophète ayant connu l’amour en tant qu’homme et en tant que femme, qui osa dévoiler contre l’avis d’Héra le secret des femmes –, les médecins arguaient, comme l’aveugle transgenre, que le plaisir féminin était plus grand que celui des hommes. Aussi la privation de sexualité est-elle généralement décrite comme plus problématique chez les femmes que chez les hommes : c’est ce que montre Alain Corbin en comparant les écrits médicaux, dont il conclut que les femmes souffrent plus du manque que de l’excès de sexe, contrairement aux hommes (Corbin 2010 : 186). Huysmans est finalement loin de Sacher-Masoch quand il décrit ce plaisir entièrement chaste, et lorsqu’il exalte ce que les médecins appelaient frustration.

19Nous vivons sans doute encore dans une construction anthropologique où la privation sexuelle est considérée comme un mal pouvant entraîner une série de manques bien dommageables pour la santé physique et mentale. Le concept complexe de frustration, en vogue depuis Sigmund Freud et commenté tout au long du xxe siècle, a été usé de toutes parts pour expliquer divers comportement déviants et violents – créateurs aussi (Stute-Cadiot 2009).

20L’orgasme que Huysmans décrit chez Lydwine provoque un plaisir érotique dans toutes les souffrances subséquentes, et rejoint en cela la suprasensualité décrite par Sacher-Masoch. Mais il s’en éloigne en refusant totalement la sexualité conventionnelle. Comment la société du xve siècle, qui ne connaissait ni Freud, ni le masochisme, ni la frustration, comprenait-elle les plaisirs de Lydwine ?

1433 : une vierge jeûnante et allaitante, malade mais sans douleur

21En écrivant la Vie de Lydwine, Huysmans a traduit et rétabli les sources disponibles, qui correspondent à celles dont nous disposons aujourd’hui. Il dit avoir simplement remis dans l’ordre les événements. En effet, les Vies médiévales étaient classées par vertu et par miracles et non par ordre chronologique, car elles étaient destinées à donner des arguments pour un futur procès de canonisation et devaient suivre un schéma prédéterminé (Vauchez 2014).

  • 9 Les Acta Sanctorum (AASS ; Savreux et al. 1668) la nomment ainsi : « Lidwina v. Schiedamensis, mor (...)

22Jean Gerlac avait écrit une Vie de la sainte, qu’il avait connue : son texte fut repris par Johannes Brugman, qui l’amplifia en y ajoutant des détails fournis par Jan Walter de Leyde, le dernier confesseur de Lydwine. C’est ainsi que les bollandistes, éditeurs de toutes les Vies de saints, ont repris les différentes versions de la Vie de Brugman, l’auteur le plus connu9. De fait, Johannes Brugman (circa 1400-1473) était un prédicateur franciscain très fameux à son époque, qui appartenait à la tendance observante, des prêcheurs ayant renoué avec la pratique de la prédication itinérante (Taylor 2001 : 335‑336). Surnommé parfois le Bernardin de Sienne du Nord, il contribua par sa renommée à faire connaître la Vie de Lydwine. Brugman raconta de plus dans ses prédications qu’il était lui-même un converti ayant mené une vie de débauche avant de devenir franciscain, ce qui lui donne un point commun avec Huysmans.

23L’édition de Huysmans – passionné de littérature néerlandaise – se voit assortie d’une bibliographie copieuse et érudite : elle n’est pas contestable au premier regard ; seulement, l’écrivain accuse les éditeurs d’une « extravagante pudibonderie » et interprète la Vie en s’identifiant à la sainte pendant son propre parcours de conversion. Le travail de Huysmans est essentiellement un travail de monteur, mais le montage peut changer l’orientation d’un texte.

Une gestion médiévale des fluides

24Ce qui est le plus frappant à la lecture de la Vie médiévale de Lydwine, c’est l’insistance répétée sur la gestion des fluides corporels de la sainte. Cette question a été soulignée par Caroline Walker Bynum, pionnière des études féministes sur la sainteté (Bynum 1985 ; 1994). Dès son article de 1985, elle fit de Lydwine de Schiedam l’un des meilleurs exemples de sa démonstration sur le jeûne et le festin qui font l’argument de son livre Jeûnes et festins sacrés, lequel attribue un genre à la spiritualité en associant l’antinomie cuisine/jeûne à la question du féminin : les femmes cuisinent, les hommes mangent, les femmes fortes n’ont pas besoin d’homme et jeûnent.

25Huysmans décrivait les excrétions de la sainte mais, parce qu’il voulait créer une dynamique chronologique à la Vie, était beaucoup moins sensible à l’équilibre de leur production. Lydwine vit sortir de son corps des quantités de fluides impressionnantes, sans rien y faire entrer. Le sang se mêle au vomi, auxquels s’ajoutent encore les larmes. Ce sont tous ses orifices qui s’ouvrent et se déversent :

  • 10 « Tam copioso fluxu sanguis per nares, os, aures & oculos versabatur, ut & videntibus nedum horror (...)

« Le flux qui s’écoulait de son nez, de sa bouche, de ses oreilles, de ses yeux était tellement copieux ; elle n’en concevait pas d’horreur, et s’en émouvait par un flot de larmes. Elle vomissait très souvent une eau rouge, en grande quantité, qu’un vase très grand ne suffisait pas à contenir, et même deux hommes ensemble ne pouvaient ensemble le porter. Et si un curieux lui en faisait question, et se demandait comment tant de liqueur pouvait être produite alors qu’elle mangeait si peu, elle répondait : “Dites-moi, vous qui êtes savants, comment se produit tant de liqueur dans la vigne alors qu’en terre sèche le bois semble mort ?”10 » (Savreux et al. 1668, col. 311C)

  • 11 Des débats sur l’embryologie eurent lieu à partir du milieu du xiiie siècle, au cours desquels méd (...)

26Ces liquides sont comparés au vin, qui fonctionne dans l’anthropologie chrétienne comme un substitut du sang du Christ. L’eau qu’elle vomissait était d’ailleurs toujours rouge. La théorie poststructurale a expliqué beaucoup des interdits faits aux femmes par une certaine idée de contamination liée au sang menstruel (Testart 2014). Chez les mystiques comme Lydwine, le sang qui sort par la bouche, les oreilles et le fluide lacrymal sont comme un liquide purifié, dont Jean-Pierre Albert va jusqu’à dire qu’il rattrape en quelque sorte l’impureté du flux menstruel (Albert 1996, chap. 5). Plus exactement, la vie de Lydwine nous montre qu’il s’y substitue, dans le sens où la jouissance féminine était alors perçue la plupart du temps comme une émission de sang menstruel ou de sperme féminin. Au xiie siècle, Guillaume de Conches diffusa ainsi l’idée, issue de la médecine grecque galénique, d’une émission de sperme féminin. On parvint même à casser le mariage de Philippe Auguste, roi de France, au motif que s’il avait bien couché avec son épouse, les semences ne s’étaient pas mélangées dans la matrice, et que le mariage n’avait donc pas été consommé pleinement (Baldwin 2000 : 223). L’ouvrage anonyme De Secretis mulierum (Les secrets des femmes) décrit ainsi la jouissance comme une émission11 :

  • 12 Le De secretis mulierum, constitué de douze chapitres traitant d’embryologie, d’accouchement, de s (...)

« Quand la femme a des rapports avec l’homme, alors à cause de l’intensité du plaisir qu’elle éprouve, parce que la verge de l’homme en érection frotte et met en mouvement les nerfs et les veines en état d’excitation, alors la vulve en se dilatant émet du sang menstruel12. » (Verdon 1997 : 33)

27La sainte produisait donc des sécrétions malades tout autant que sensuelles, mais elle n’ingérait rien ou presque. Le peu de nourriture qu’elle absorbait fut noté dès le début de la Vie ; à l’inverse, dans le récit de Huysmans, il n’advenait que dans la deuxième partie de la Vie (après la jouissance) : l’écrivain en parlait comme de la chose la plus sujette à caution parce qu’elle attirait des foules de suspects curieux de comprendre comment elle pouvait jeûner autant. En effet, Lydwine ne mangeait pas, elle produisait des fluides rouges (comme le sang du Christ et le vin) et, parce que ces substances n’étaient pas produites à partir de la dégradation des aliments, elles ne sentaient pas :

  • 13 « Veritatē autē dicam : Lydwina etenim nostra annis triginta & amplius panē nō comedit, quantum vi (...)

« Lydwine, en trente ans, ne mangea pas plus de pain qu’il n’en faudrait à un homme sain pour survivre trois jours. Pendant tout le temps où les vers bouillaient dans son corps, où ses membres commencèrent à se dissoudre, on ne perçut ni puanteur, ni exhalation d’infection ; rien ne s’est présenté qui offensait l’odorat ou les narines13. » (AASS April II 208 col. 0313F)

28La Vie latine ne parle pas avec délice du raffinement des parfums : elle se contente de souligner que ces fluides sont aussi purs que le sang/vin du Christ. Les déjections et exsudations de Lydwine n’offensent pas les narines ; elles se font plutôt remarquer par leur non-senteur, conformément à l’idée que les saints meurent en odeur de sainteté (sans odeur de putréfaction) et que le corps de la sainte, dépérissant, ne sent pas non plus. L’éventail de l’attrait érotisé pour les senteurs raffinées est une idée de Huysmans, qui a largement amplifié les descriptions médiévales sur ce sujet.

29La deuxième modification apportée par l’écrivain décadent tient à la description des douleurs. Chez Huysmans, Lydwine souffre trois ans avant l’orgasme et se réjouit pendant les années qui suivent. Chez Brugman, elle souffre sans cesse avec patience sans sembler éprouver de douleurs, alors même que les manifestations corporelles impressionnent ses contemporains :

  • 14 « Proh dolor ! mox turgēte hydropisi in parte illa, fiebant novissima pejora prioribus. Virgo quip (...)

« Quelle douleur ! Bientôt arriva l’hydropisie, qui augmenta encore ses peines. La Vierge très patiente ne s’en scandalise pas car elle sait que ses douleurs viennent du Seigneur14. » (col. 313E)

30Huysmans est honnête dans son projet érudit ; il n’ajoute aucun épisode. Mais en rétablissant un déroulement chronologique, l’écrivain décadent donne un rythme narratif moderne à la vie, qui n’existait pas dans les vies originelles. La jouissance lui sert de pivot pour le processus de substitution. Ce motif n’est pas celui qui intéresse ses biographes originels. Si la Vie décrit la douleur, elle est toujours perçue de l’extérieur, par les observateurs : elle n’est pas vécue et ressentie par la sainte qui en est miraculeusement protégée. Ses biographes savent qu’elle ne souffre pas, car les martyrs ne s’en plaignent jamais.

31En revanche, ce que Huysmans ne décrit que comme vision d’horreur, les excrétions de Lydwine, fait l’objet d’une comptabilité inquiète chez les auteurs du xve siècle, qui n’ont qu’une question : d’où viennent ces fluides ? Selon la théorie des humeurs, tout ce qui sort du corps doit y entrer, un trop-plein entraîne une nécessité de décharge (Thomasset & Jacquart 1985). C’est la raison pour laquelle on pensait alors généralement que l’abstinence sexuelle, surtout féminine, était cause de méfaits (car les femmes étaient humides, et les hommes secs, le sperme étant une substance asséchante). Les fluides conservés dans le corps des femmes devaient donc produire quelque chose. Les veuves, privées de commerce sexuel, étaient réputées déborder d’appétit érotique, et épuiser les amants : c’est le sujet comique d’un fabliau érotique fameux du xiiie siècle, intitulé « La veuve » (Straub & Bloch 1993 : 334, v. 493-501). Le recueil de vies de saints le plus célèbre de la fin du xiiie siècle, La Légende dorée – qui fut aussi traduit quelques années après Huysmans par un écrivain décadent, Teodor Wyzewa (Jacques de Voragine & Wyzewa 2014) –, ne présentait pas encore de saintes mystiques, mais il décrivait lui aussi des femmes abstinentes. Décrivant la vie de saint Pierre, le texte de Jacques de Voragine faisait mention d’une veuve, Galla, à qui l’on prédisait qu’elle verrait la barbe lui pousser si elle ne reprenait pas une vie sexuelle. Et c’est bien ce qu’il advint. Repoussante pour les hommes, elle pensait que son apparence pileuse plairait à son époux spirituel (Maillet 2014 : 76). Une autre sainte, dont le culte se répandit au xive siècle, Wilgeforte, était barbue, et devint ainsi un intermédiaire du genre, mulier virilis ou virago (Villemur 1999) au point qu’elle put même être rapprochée d’une image fameuse du Christ, le Volto Santo, comme l’a montré Jean-Claude Schmitt (Schmitt 2002 : 251). Les exemples de femmes-hommes sont multiples : à la fin du Moyen Âge, l’hypersexualité était tellement réputée être un problème féminin qu’on en venait à dire que la chasteté avait pour effet de « dé-genrer » les femmes (Maillet 2014, chap. 3).

32Lydwine, quant à elle, reste féminine ; elle jeûne et ne se nourrit que d’hostie, elle perd du sang et des fluides en quantité immense. Mais les biographes ne décrivent pas ces fluides dans un objectif de délectation masochienne. La mécanique des fluides corporels devait avoir un sens et appeler une explication, que Huysmans ne comprenait sans doute pas – ce qui l’a amené à omettre une scène précise de contact charnel entre la sainte et la divinité.

L’allaitement masculin

33Huysmans insistait, comme on l’a vu, sur la communion en tant qu’union mystique. Et il est vrai que Lydwine ne se nourrissait presque que d’hostie : elle vomit lorsqu’on lui présenta une hostie non consacrée et ne pouvait par ailleurs consommer que de fines tranches de pommes découpées en rond et séchées pour les faire ressembler à de l’hostie. La spiritualité du xixe siècle était bien moins charnelle que celle du xve siècle. L’hostie était la seule partie du corps du Christ accessible aux fidèles.

34L’écrivain moderne n’a pas omis de mentionner l’un des principaux miracles entourant Lydwine : le moment où la sainte abreuve une de ses amies de lait sorti de ses mamelles de vierge – une vierge qui allaite, comme Marie, est toujours un signe positif. Mais Huysmans semblait avoir du mal à écrire que ce lait ne venait pas de nulle part : tout ce qui sortait de son corps avait une origine, il venait d’un autre fluide. Dans la vita médiévale, la consolation liquide de la sainte lui venait d’une étreinte plus poussée avec la divinité :

  • 15 « Cooperante Domino, tua ubera lacte replebuntur. »

« Seigneur coopérant, tu l’as remplie du lait de tes seins15. » (col. 344A)

35Elle souffre plus d’être privée du réconfort de l’étreinte du Christ que de la nourriture et de ses blessures :

  • 16 « Suspendebat autem interdum Dominus ubera consolationis, [quibus quandoque cessantibus,] quo Virg (...)

« Alors le seigneur suspendit la consolation de ses seins, et il ne pouvait rien infliger de plus grave à la Vierge : il doubla la flagellation de ses membres, quand il cessa de l’allaiter de ses seins16. » (col. 317A)

36Cet allaitement masculin est nettement mentionné : ce n’est pas juste une façon de parler ou une métaphore trouvée au détour d’une phrase. Le mot « sein » (ubera) apparaît quatorze fois dans la Vie de Brugman, et dix fois il désigne les seins divins et masculins plutôt que ceux de Lydwine ou de sa mère. Comme l’a montré Jérôme Baschet dans son étude sur Abraham, les hommes saints comme les dieux consolaient contre leur sein pour marquer la paternité (Baschet 2000). Mais ils pouvaient aussi allaiter pour consommer une alliance (Dittmar, Maillet & Questiaux 2011, paragr. 26). Une vision fameuse de Claire d’Assise lui fit téter le sein de saint François, et le plus souvent, les saints patrons de l’allaitement étaient plutôt des hommes (saint Mamant). Catherine de Sienne est décrite s’abreuvant du sang du Christ, et parfois représentée dans cette posture de quasi-allaitement.

37Les noces spirituelles de Lydwine furent consommées de manière plus fluide, au sens propre comme au figuré, dans les Vies latines. Ne cherchant pas à montrer un parcours chronologique, celles-ci ne mettaient pas en avant un moment spécifique d’union mystique. Plus encore, la jouissance orgasmique et explosive décrite par Huysmans ne se retrouve pas dans les Vies latines, qui décrivent de manière répétée un plaisir, une consolation, voire une étreinte érotique, mais rien qui corresponde à un orgasme électrique au contact de l’hostie. La spiritualité du xixe siècle s’est tournée vers une spiritualisation fondée sur le mystère de l’Eucharistie. Parallèlement, les écrits médicaux avaient spécifié la description de l’orgasme explosif, que Huysmans a naturellement interprété dans le contact avec l’hostie. L’étreinte surnaturelle se produit chez Huysmans lorsque l’hostie pénètre la bouche de la sainte, alors que dans la Vie de Brugman, le Christ sort sa mamelle pour allaiter la sainte, ce que l’écrivain décadent a refusé de lire, ou n’a peut-être pas pu comprendre tant cela était éloigné de sa culture chrétienne.

  • 17 Pour une analyse détaillée de la représentation du sein au Moyen Âge et de son érotisation, qui va (...)

38Il n’y avait pas d’orgasme à proprement parler dans la Vie médiévale, mais une description filée du plaisir. L’allaitement spirituel était aussi érotisé. Il existe un débat historiographique complexe sur la question de l’érotisation des textes religieux médiévaux. La question du sein de la Vierge en fait partie, tant il est vrai que l’exhibition du sein des vierges gothiques a de multiples avatars – que ce soit lors de l’allaitement de l’enfant, d’un moine malade ou miraculé, ou simplement lorsqu’il s’agit de susciter la pitié de son fils17. Mais sont aussi évoqués le sein du Christ et des allaitements plus ou moins considérés comme symboliques, allant de l’allaitement au sein – c’est le cas chez Lydwine –, aux histoires de saintes qui telles Catherine de Sienne, s’abreuvaient à la plaie du Christ, ce que certaines images ont tenté de figurer de manière plus ou moins explicite. Pour présenter les choses un peu schématiquement, l’école américaine, dans la lignée de Caroline Walker Bynum, tend à prendre au sérieux l’érotisation explicite de la relation des mystiques à la divinité. À l’inverse, en Europe, en particulier en France, les études prennent souvent du recul par rapport à la question érotique en la traduisant en termes plus strictement spirituels. La littérature queer s’est largement intéressée au Moyen Âge et au médiévalisme des auteurs des xviiie-xixe siècles. Judith Halberstam (Halberstam 1995), comme George Haggerty (Haggerty 2006), tous deux spécialistes des queer studies, ont commencé leur carrière académique en étudiant des romans gothiques. Récemment, Robert Mills a écrit un livre sur les aspects érotiques et masochistes de la littérature mystique (Mills 2005). Il a été reçu en France comme une entreprise queer postmoderne, qui n’apporte que peu de choses à la connaissance du Moyen Âge (Lecrosnier 2007). Plus récemment encore, Virginia Burrus a fait paraître une Vie sexuelle des saints (Burrus 2010) : il s’agit là d’une relecture queer de la littérature hagiographique tardo-antique et altimédiévale. S’inscrivant dans une perspective bataillienne (Bataille 1961), elle emploie le concept de masochisme pour décrire la vie érotique des saints. Cet ouvrage a reçu peu d’écho parmi les médiévistes francophones.

39Sans doute est-il vrai que l’influence du monde néo-gothique et ses liens avec la littérature érotique sont plus présents dans le monde anglo-saxon : ils donnent certainement une dimension immédiatement érotique aux lectures des tortures des martyrs. Les travaux de John Boswell, qui furent reçus de manière très critique en Europe, s’étaient attachés à décrire une subculture gay dans les milieux monastiques et princiers du Moyen Âge (Boswell 1985) : leur influence est pour beaucoup dans cette tradition divergente quant à l’analyse des allusions à la sexualité médiévale dans les textes non ouvertement érotiques.

40Ruth Mazo Karras a récemment rédigé un ouvrage synthétique sur la sexualité médiévale. Son deuxième chapitre, qui est donc loin d’être le moins important, est consacré à la sexualité dans la chasteté (Mazo Karras 2005). L’auteure y remet en question le débat sur l’interprétation du vocabulaire érotique dans la littérature politique et cléricale. Après la parution des travaux de John Boswell, les débats furent virulents parmi les chercheurs au sujet des lettres d’amour enflammées que s’envoyaient les moines cisterciens : correspondaient-elles vraiment à une vie sexuelle active entre moines ? Opposants et partisans défendirent avec ferveur leurs arguments. Sans trancher sur une question pour laquelle aucun cistercien ne viendra témoigner aujourd’hui, Mazo Karras démontre bien que la charnalité du vocabulaire est effectivement une manière de parler qui ne correspond pas à celle qu’on emploierait aujourd’hui. Mais elle ajoute que le choix de la chasteté et du célibat peuvent être considérés comme des orientations sexuelles (au sens moderne), justement parce qu’une vie érotisée était possible dans la chasteté.

41Avec l’émergence du mouvement mystique au xive siècle, la chair et les gestes furent décrits avec une sensibilité accrue, qui effrayait bien souvent les autorités ecclésiastiques, soucieux de canaliser les dévotions populaires tout en conservant leur autorité de savants (Vauchez 1999 ; 2014). Leurs expériences, venues de personnes non formées à la théologie mais vivant leur esprit par la chair, ont rendu explicite le fait que la dualité chair/esprit souvent décrite n’était pas dualiste, que l’une n’allait pas sans l’autre (Baschet 2016). Jean-Claude Schmitt décrivait leurs gestes et appelait ces frénétiques des « athlètes de Dieu » :

« La vision céleste donne un ravissement d’où jaillit l’ivresse spirituelle. L’ivresse spirituelle consiste en ce qu’un homme reçoit une joie et une douceur plus sensibles que celles que son cœur peut contenir et désirer. L’ivresse spirituelle donne à l’homme des gestes bien étranges […]. Elle le rend instable dans tous ses membres de sorte qu’il se met à courir et sauter et danser. » (Jean Ruysbroekk [1293-1391], cité dans Schmitt 1990 : 319)

42La Vie de Lydwine de Schiedam peut être lue comme un exemple précis de Vie médiévale symptomatique de l’érotisation de la chasteté dans les vies mystiques, et de sa resexualisation au début du xxe siècle. En centrant la description sur un orgasme figuré comme l’élément déclencheur de l’érotisation de la souffrance, Huysmans inscrit la sainte dans une dynamique du plaisir fondée sur un orgasme bien identifié et assimilé à l’ingestion d’une hostie. À l’inverse, si la vie du xve siècle ne nie absolument pas le plaisir souffrant de Lydwine, elle le dilue dans le temps, et le montre non-orgasmique.

Des jouissances médicales liquides au xve siècle et électriques au xxe siècle

Circa 1400

43L’expérience de la Vie originale de Lydwine de Schiedam reste inaccessible, mais il est certain qu’elle enchanta ses contemporains, tant par la sensualité de sa relation à la divinité que par la mécanique miraculeuse de production de substances plus ou moins répugnantes à partir d’une nourriture nulle. Le texte médiéval prend pour acquis dès son début le plaisir constant de la sainte dans ses souffrances, dont la répétition et la quantité sont décrites pour susciter l’admiration plus que le désir. La jouissance y est réelle mais douce, et bien moins explosive. Surtout, la sexualité mystique de la sainte est décrite comme un échange de fluides complexes, Dieu la remplissant de lait spirituel qu’elle recrache par la bouche comme par ses plaies, en liquides rougeoyants qui envahissent la pièce. Les fluides éveillaient alors davantage l’intérêt que les actes et représentaient bien le lien avec le surnaturel qu’on pensait alors capable de faire saigner les images, perler le lait sur les sculptures. L’allaitement spirituel tenait une plus grande place que l’ingestion de l’hostie. Lydwine était allaitée par un époux à la fois immatériel et matériel et trouvait un plaisir charnel sans faire aucun usage de ses organes sexuels. Elle pouvait être sainte, car elle rejouait la Vie de sainte Pétronille alors remise en vogue par La Légende dorée. Cette Vie apocryphe de la fille de saint Pierre présentait celle-ci comme passant toute sa vie au lit, accablée de maladie. Cela était dicté par la volonté de son père qui, un jour, voulant montrer la puissance aux apôtres, la fit sortir miraculeusement guérie du lit pour les servir à table, avant de la renvoyer à ses douleurs, dont ils pensaient qu’elles étaient le meilleur moyen de préserver sa chasteté (Jacques de Voragine et al. 2004, chap. 73, « Vie de sainte Pétronille »).

1904

44Dans un autre monde, l’écrivain désespéré et dit décadent Joris-Karl Huysmans avait trouvé une manière d’écrire le plaisir dans la souffrance en disant adieu à une sexualité toujours décrite dans ses livres comme décevante et banale. La relecture contemporaine des Vies de martyrs par Sacher-Masoch et par Huysmans leur donna deux modes d’accès à la jouissance qui sont assez différents. Huysmans réécrivit la Vie de la sainte malade en distinguant deux moments : trois années de souffrance pure, une durée infinie de malheurs au milieu des vers, de la gangrène, des vomissements et de la perte de sang, aboutissant enfin à une explosion de sensations jouissives par l’introduction d’une hostie dans la bouche, laquelle métamorphosa douleur en plaisir. Les auteurs de son époque, Ernst Hello, qui réécrivit quant à lui la Vie de la mystique Angèle de Foligno (de Foligno & Hello 1910) et Teodor de Wyzewa, qui traduisit La Légende dorée (Jacques de Voragine & de Wyzewa 2014), entreprirent ensemble la modernisation des vies de martyrs qui devait les rendre désirables par leur jouissante horreur. Les auteurs du xixe siècle comme Huysmans arrivent à décrire un orgasme dans l’ingestion d’une hostie, perpétrant la métaphore d’une pénétration masculine dans un corps de femme. Huysmans érotise la souffrance de la sainte et lui invente un avant et un après l’orgasme, qui anesthésie toutes ses douleurs.

2017

45Nous pouvons aujourd’hui relire la Vie de Lydwine de Schiedam à la lumière de ce qu’est l’étrange plaisir médical, au milieu des emplâtres et des pansements. Ce goût pour le « sexe médical » a été bien décrit par Agnès Giard dans son ouvrage consacré aux pratiques très contemporaines de « sexe bizarre » (Giard 2004, chap. 3, « Le sexe médical »). La référence littéraire contemporaine majeure serait le Crash de J. G. Ballard, roman de science-fiction paru en 1973, et son érotisation des accidents de voiture. Romain Slocombe lui donna un imaginaire fertile (Slocombe 1983). Les adeptes de ce concept érotisent avec beaucoup de variété les femmes et les hommes blessés, tuméfiés, entourés de plâtres et de bandages. Ils n’excluent cependant pas l’usage des organes sexuels.

46La manière dont les relectures de vies des saints ont pu être des moments de plaisir intense déconcerte et ouvre les possibles d’une jouissance physique, non sexuelle ou à peine, faisant un pied de nez à tous les médecins qui, au xve, au xixe et au xxie siècle, mesuraient et mesurent les manières de jouir en observant les réactions des organes.

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Lart médical. Le nouveau Sexy, Paris, éd. Temps futurs.

STRAUB RICHARD & R. HOWARD BLOCH, 1993.
Fabliaux érotiques. Textes de jongleurs des xiie et xiiie siècles, traduit par Rossi Luciano, Paris, Librairie générale française.

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Notes

1 Léopold von Sacher-Masoch évoque à deux reprises les Vies de martyrs dans La Vénus, et les lie à un souvenir personnel dans un article qu’il publia dans la Revue Bleue en 1888, intitulé « Souvenir d’enfance et réflexion sur le roman » : « Assis dans un coin sombre et retiré de la maison de ma grand-tante, je dévorais les légendes des saints et la lecture des tourments endurés par les martyrs me jetait dans des états fiévreux » (Sacher-Masoch 2005 : 155-169).

2 La société des bollandistes, société savante fondée en 1615 et toujours active, s’est spécialisée dans l’étude critique et la publication des vies de saints (hagiographies), dont elle fournit les éditions dans ses Acta Sanctorum, qui sont les sources de Huysmans. Elle publie depuis 1885 une revue : Analecta Bollandiana. C’est le modèle de christianisme critique auquel Huysmans aspire tout en les accusant de pudibonderie et de censure (Delehaye 1920).

3 En hagiographie (écriture des vies de saints), on appelle « Vie » (vita) la biographie écrite en vue de la canonisation d’un personnage donné.

4 La bibliographie concernant l’écrivain est très conséquente et les récentes parutions sont relayées par les soins de la Société Joris-Karl Huysmans (fondée en 1927). Un fonds spécifique établi par le libraire Pierre Lambert a été déposé à la BnF / Bibliothèque de l’Arsenal à Paris, qui lui a également consacré une exposition et un catalogue (Joris-Karl Huysmans. Du naturalisme au satanisme et à Dieu, 1979).

5 John Ruskin (1819-1900), écrivain, critique d’art et peintre, est considéré comme le théoricien du renouveau d’attrait pour le Moyen Âge, œuvre qu’il accomplit en parallèle mais de façon opposée à Eugène Viollet-le-Duc en France. Ruskin exaltait la nature changeante et sauvage du gothique dans son chapitre sur « La nature du gothique » (Ruskin & Crémieux 2015), et s’opposait à toute forme de restauration, alors que Viollet-le-Duc voulait retrouver le Moyen Âge tel qu’il était, au point si nécessaire, de le réinventer. Voir par exemple la synthèse proposée dans le catalogue d’une exposition récente à la Cité de l’architecture à Paris (Finance & Leniaud 2014).

6 La plus récente édition parue chez Jérôme Million en 2015 donne cette présentation : « Cette épopée de la douleur mêle le sublime et le gore. Huysmans nous place au plus près de la sainte, il nous embarque au lit avec Lydwine. Il décrit ses multiples pathologies et montre comment de telles tortures peuvent devenir adorables » (Huysmans 1977, éd. de 2015 : quatrième de couverture).

7 Les chrétiens parlent de Mariage mystique pour décrire les relations amoureuses mais chastes qui lient les femmes très croyantes avec leur époux divin, leur apparaissant parfois pour venir leur passer la bague au doigt (les Noces mystiques de sainte Catherine, vierge du ive siècle, thème iconographique à grand succès).

8 Si le mot « extase » apparaît, c’est dans une énumération : « Ils virent, durant ce temps, Lydwine en proie à d’extravagantes tortures, ruisselant de larmes, mais souriant, perdue dans l’extase, noyée dans la béatitude suressentielle, roulée, comme hors du monde, dans des ondes de joie. » (Huysmans 2002 : 120, chap. 5 ; je souligne). Après le chapitre 5, Huysmans emploie le mot (quinze fois) comme un terme générique pouvant désigner cette expérience maintenant familière, dans les moments où elle est par exemple interrompue en pleine extase, ou privée de ses extases pour des raisons extérieures.

9 Les Acta Sanctorum (AASS ; Savreux et al. 1668) la nomment ainsi : « Lidwina v. Schiedamensis, morte en 1433, le 14 avril. A. Vie première de Jean Brugman (Vita prior auct Iohanne Brugman, AASS April II 208) ; B. Autre Vie du même auteur (Vita altera auctorem eodem, AASS 270-302) ; C. Troisième Vie du même auteur (Vita Tertia auct eodem, AASS 302-360) ; (ajout à la Vie par Thomas a Kempis Epitome Vita 2 Auct Thomas Kempensi AASS 26 et 302) ».

10 « Tam copioso fluxu sanguis per nares, os, aures & oculos versabatur, ut & videntibus nedum horrorem incuteret, verum etiam devotulos quosque ad profluvia lacrymarum permoveret. [Copiosus vomitus humoris sanguinei,] Habebat interea sæpissime rubentis aquæ vomitum, in tanta copia, quod interdum in uno mense vas magnum vix suffecisset capere fusum liquorem, quantum conjuncti bono modo duo viri communiter possent portare. Et siquando a curiosis aliquibus super hoc interrogaretur, unde tantus liquor sibi adventare posset, cum nil alimenti sumeret ut ceteri homines ; respondebat, Dicite & vos mihi, o sapientes, unde viti tantus liquor accrescit ; quæ tamen in hieme flantibus ventis frigidis, arida videtur & mortua ? Sicque sapienter indocta doctis satisfaciebat. » Toutes les traductions suivantes de la vita sont personnelles, et les mentions de colonne correspondent à cette édition des Acta Sanctorum.

11 Des débats sur l’embryologie eurent lieu à partir du milieu du xiiie siècle, au cours desquels médecins et théologiens proposèrent des opinions très divergentes, selon qu’ils optaient pour la théorie galénique (conception impliquant la jouissance féminine) ou aristotélicienne telle que rapportée par Avicenne (conception ne nécessitant pas de semence féminine, pas plus que de jouissance). Pour une étude détaillée de ce débat, à travers les cas limites de conceptions extra-ordinaires, comme celle du Christ (sans semence masculine) ou celles sans coït (femmes tombées enceintes par l’eau d’un bain), on peut se référer au passionnant ouvrage de Maaike van der Lugt, Le ver, le démon et la Vierge. Les théories médiévales de la génération extraordinaire (Lugt 2004).

12 Le De secretis mulierum, constitué de douze chapitres traitant d’embryologie, d’accouchement, de stérilité et d’allaitement, circula dans l’Occident latin à partir du xiiie siècle. Il fut longtemps attribué à Albert le Grand, car il utilise de nombreux extraits de son De animalibus. Il aurait peut-être été composé par un de ses élèves, Henri de Saxe, ou en tout cas en Allemagne. L’œuvre fut adaptée en français au xve sous le titre de Secrets des dames, avant 1454 (ms. Paris, BNF, fr. 19994). Elle se présente comme une traduction du latin interdite aux femmes (Green 2000).

13 « Veritatē autē dicam : Lydwina etenim nostra annis triginta & amplius panē nō comedit, quantum vir sanus & incolumis pro tribus diebus necessarium vitæ habet : sic nec somnum cœpit, qui sano sufficeret tribus noctibus competenter. Praeterea de odore idem dixerim, [nec gravem ullum de se odorem emittit.] Quod in omni tempore quo vermes ebullire visi sunt, quo compago membrorum cœpit dissolvi, nil fœtoris in iis omnibus percipitur, nil infectivi exhalatū, nil olfactui aut naribus offensivi ab ea praesentatur. »

14 « Proh dolor ! mox turgēte hydropisi in parte illa, fiebant novissima pejora prioribus. Virgo quippe patientissima, ne pusillos scandalizaret (quāquam sane nosset a Domino fieri quod sustinebat). »

15 « Cooperante Domino, tua ubera lacte replebuntur. »

16 « Suspendebat autem interdum Dominus ubera consolationis, [quibus quandoque cessantibus,] quo Virgini nil gravius poterat infligi : adeo ut duplicari sibi flagella corporis maluisset, quam sic ab uberibus miserationis paternæ spiritu ablactari. »

17 Pour une analyse détaillée de la représentation du sein au Moyen Âge et de son érotisation, qui va de pair avec le changement des modes vestimentaires (l’apparition du décolleté remonte au xive siècle), voir Wirth 2009.

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Pour citer cet article

Référence papier

Chloé Maillet, « Un orgasme dans les vers et la gangrène ? »Terrain, 67 | 2017, 46-71.

Référence électronique

Chloé Maillet, « Un orgasme dans les vers et la gangrène ? »Terrain [En ligne], 67 | 2017, mis en ligne le 25 août 2017, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/16177 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terrain.16177

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Auteur

Chloé Maillet

Anthropologie historique du haut Moyen Âge (CRH / EHESS)

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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