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Étreindre les êtres du rêve

L’oreiller comme partenaire au Japon
Agnès GIARD
p. 72-91

Résumés

Il existe au Japon des jouets sexuels déguisés en matelas gonflables, en édredons et en appuis-tête, offrant aux utilisateurs la possibilité de dormir avec leur couchage. Ces objets font partie d’un vaste continuum regroupant les ersatz de corps humains – duplicatas d’organes et poupées – qui sont eux-mêmes souvent désignés à l’aide de mots comme « oreillers » ou « coussins ». Comment comprendre cette stratégie visant à confondre anatomie et literie ? Partant de l’hypothèse que la fonction « oreiller » attribuée aux sextoys a la valeur d’un propulseur de jouissance, cet article se donne pour but d’analyser la façon dont ces différents outils sont reliés, au sein d’un interstice aménagé comme un espace de liberté onirique.

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Texte intégral

1Depuis les années 1980, un courant de la socio-anthropologie s’applique à décrypter les comportements humains, non plus sous l’angle des déterminismes sociaux, mais sous celui des dynamiques d’interaction impliquant les objets. Dominique Vinck résume ainsi la problématique : « jusqu’où la propriété d’acteur accordée aux humains peut-elle être étendue aux non-humains ? Quelle épaisseur faut-il accorder aux choses ? Quel rôle les objets ont-ils dans les interactions sociales ? » (1999 : 386-387). Parmi les innombrables objets qui permettent aux chercheurs de penser l’humain et la société, les jouets sexuels anthropomorphiques vendus comme partenaires de substitution constituent une catégorie encore largement ignorée, en dépit de ce qu’ils ont à nous apprendre sur la manière dont une société envisage des concepts aussi essentiels que le désir et le plaisir. La façon dont ces sextoys à forme humaine sont conçus puis appropriés, l’imaginaire dont ils sont collectivement investis n’ont jamais été étudiés. Ce constat est à l’origine d’une enquête menée depuis 2011 auprès des fabricants et distributeurs de jouets pour adultes au Japon ; l’enquête a été complétée par l’analyse de sites Internet créés par des utilisateurs mettant volontiers en scène les objets dont ils louent et comparent les « vertus ».

  • 1 En 2013, une estampe du xviiie siècle a ainsi provoqué le buzz sur 2ch – le plus grand forum de di (...)
  • 2 Respectivement : estampe de Keisai Eisan tirée de l’ouvrage Makura bunko, vers 1822-1823 ; estampe (...)

2Les objets destinés à faire jouir au Japon présentent la particularité d’exister sous deux formes différentes – tantôt celle d’anatomies humaines, tantôt celle d’articles de literie – entre lesquelles les distinctions sont systématiquement gommées. Ces formes allant du « bloc de fesses » en élastomère à la poupée grandeur nature, en passant par le traversin ou le matelas gonflable, sont vendues avec des organes génitaux en pièces détachées. Qu’il s’agisse de coussins ou d’ersatz d’humain, les produits indifféremment nommés « corps » offrent aux utilisateurs la possibilité de modifier à volonté leur apparence : ils peuvent être recouverts de peaux interchangeables et personnalisés par adjonction de membres, de visages aux expressions multiples, de perruques, de vagins (fondants, durs, nervurés, à picots), de lubrifiants (imitant la salive ou la cyprine), de parfums (cheveux, aisselles, pieds) et d’un choix de costumes à donner le vertige. Il y a une abondance de possibles dans un domaine qui est paradoxalement celui du manque : pour compenser l’absence d’un partenaire « réel », l’objet qui sert de substitut est lui-même substituable à d’autres, au fil de métamorphoses qui brouillent la limite entre anatomie et literie. Il est éclairant, à cet égard, de noter que les embryons de forme qui préludent à l’apparition de ces jouets sexuels modernes sont, à l’origine, des ersatz de vagins (azuma-gata 吾妻形, « forme de mon épouse ») ou de pénis (hari-gata 張形, « forme longue ») fixés sur des édredons eux-mêmes ficelés pour avoir une forme de corps. Ces dispositifs, dont les premières représentations datent, au Japon, du xviiie siècle, font des ustensiles de couchage les « ancêtres » des sextoys : c’est en tout cas ainsi que sont commentées les estampes lorsqu’elles mettent en scène un usage détourné de la literie. Les utilisateurs de jouets sexuels soulignent volontiers sur les forums en ligne qu’hormis trois siècles, rien ne sépare leurs pratiques de celles des « pionniers » que les gravures mettent en scène. Ces gravures – appelées « images de l’oreiller » (makura-e 枕絵) – dépeignent fréquemment l’union sexuelle avec le couchage. Le livre d’art d’Ofer Shagan, L’Art érotique japonais, en offre quelques aperçus1 : à la page 205, un homme pénètre son édredon, transformé en partenaire par adjonction d’une gaine vaginale. Page 216, une femme fait aller et venir entre ses cuisses un godemichet fixé au matelas sous lequel elle s’est glissée comme sous le ciel d’un amant imaginaire. Page 174, deux autres gravures2 montrent une jeune fille endormie qui agrippe son traversin avec passion, emportée dans un rêve humide (Shagan 2014 [2013] ; voir aussi Araki 1970 : 49).

3De nos jours encore, le discours qui entoure les jouets sexuels, assimilés à des « produits qui soignent » (iyashi gûzu 癒しグーズ), en fait les adjuvants d’un sommeil réparateur. Ils sont d’ailleurs nommés diversement « oreiller » (makura 枕), « coussin » (pirô ピロー) ou encore « sleep companion » (surîpu konpanion スリープコンパニオン) par allusion à leur pouvoir d’apaisement, comparable à celui de ces polochons où l’on s’enfonce dans la profondeur moelleuse de la nuit. Pour être bénéfique, le contact avec ces artefacts n’a même pas besoin d’être sexuel : « le fait qu’ils soient juste à rester près de vous les rend “thérapeutiques” », explique Taabô, un collectionneur de poupées. « Il y a aussi des gens pour qui c’est suffisant de juste dormir l’un contre l’autre » (Giard 2016 : 264). Pour dire « dormir côte à côte », Taabô utilise une expression fortement chargée d’affects (soine 添い寝) composée des mots sou 添う (« voir ses voeux se réaliser ») et ne 寝 (« sommeil »). Le soine a la valeur d’un sommeil partagé qui crée un lien profond entre les dormeurs. Cette pratique a une importance telle dans l’univers des ersatz d’humains que beaucoup d’entre eux sont vendus avec les yeux fermés, comme si leurs paupières closes les rapprochaient de ces êtres aveugles au monde phénoménal.

4La présente réflexion s’articulera en deux temps. J’examinerai tout d’abord les propriétés attribuées aux oreillers usuels – quoique la distinction avec les oreillers « sexuels » s’avère problématique, ainsi que nous le verrons. Au Japon, les repose-tête sont dotés du même pouvoir que les talismans, car ils favorisent non seulement le sommeil, mais protègent aussi l’âme du dormeur… dont ils finissent par prendre l’empreinte. Je m’intéresserai ensuite, de façon comparative, aux jouets sexuels anthropomorphiques japonais, avec pour ambition de comprendre suivant quelle logique ces jouets sont assimilés à des oreillers. La puissance des sextoys est souvent corrélée à leurs pouvoirs mimétiques : ces objets – idéalement capables d’adopter « en quelques secondes » la même température que l’humain, d’en épouser le corps et d’en réverbérer les spasmes – s’offrent, tels des coussins « à mémoire de forme », comme des supports doués d’empathie. Ce que l’humain imprime en eux va bien au-delà de la secousse. Qu’ils prennent la forme de gardiens protecteurs ou celle de partenaires intimes, les oreillers s’inscrivent toujours dans un univers de formes ductiles, propice aux enchantements. Il semble bien qu’au Japon, un être inanimé ne peut prétendre à la qualité d’amant, apte à jouir et à faire jouir l’humain, que s’il emprunte aux oreillers leurs caractéristiques d’objets accompagnant l’humain à travers onirisme et ténèbres.

5Par souci de cohérence, j’ai restreint mes sources à la manne que représente l’Internet, concentrant mes efforts en premier lieu sur le discours marchand : celui de la firme Rakuten (la plus grande plate-forme de distribution électronique au Japon), pour ce qui touche aux oreillers, et celui des principaux supermarchés du sexe en ligne (NLS, Daimaoh, A-One). L’argumentaire commercial est un message conçu à la fois en accord et en conflit avec les convictions du public ciblé pour la vente. J’ai donc choisi de le confronter au discours-miroir qui est celui des acheteurs – sur le terrain anonyme, donc idéal, d’Internet qui permet aux « clients » de parler sans honte – en privilégiant une poignée de blogs dédiés aux objets pour adulte. Ceux ou celles qui tiennent ces blogs revendiquent l’appellation stigmatisante d’otaku お宅 (l’équivalent de « geek »), un mot apparu en 1983 pour désigner les adeptes d’univers fictifs (manga, animation, idoles, jeux vidéos, etc). L’Institut Nomura3, en 2004, évalue leur nombre à 1,72 million. Le résultat de cette évaluation, fondée sur la définition de l’otaku comme personne « qui dépense toutes ses économies en produits de loisir ou de jeux dont il a fait sa passion », peut sembler très limité au regard de la population japonaise globale (130 millions), mais l’Institut Nomura prend soin de mentionner que cette minorité « agissante » (représentant de fait un marché de 411 milliards de yens), constituée de jeunes célibataires urbains, a une influence majeure sur les productions culturelles, via les réseaux sociaux. Mon terrain est donc représentatif de cette culture flottante, diffusée par le biais de sites administrés tantôt par des vendeurs qui empruntent leur langage aux consommateurs visés et « proposent des archétypes du goût » (Rollo 2013), tantôt par des acheteurs qui, s’appuyant sur leur expertise, nouent parfois des accords avec les fabricants et « collaborent » à la production du discours sur le produit. J’ai concentré mes efforts sur les images mobilisées de façon similaire par ces acteurs pluriels, en espérant pouvoir isoler l’existence non pas d’un système unique de valeurs et de normes mais, au contraire, d’un processus dynamique : celui d’un jeu visant à brouiller les lignes de démarcation entre humains, coussins et jouets sexuels.

Usages et représentations des oreillers usuels

L’oreiller qui protège

6Il existe près de l’aéroport d’Osaka, dans la ville d’Izumisano, un sanctuaire nommé Hine (Hine jinja), dont le nom s’écrit avec les signes « soleil » (hi 日) et « racine » (ne 根), par allusion à la légende du premier empereur du Japon, Jinmu. D’après cette légende, Jinmu aurait décidé d’établir son royaume sur la surface de la terre, c’est-à-dire « dans la zone intermédiaire située entre la lumière [“le pays du soleil”] et l’outre-tombe [“le pays des racines”]4. Le sanctuaire aurait été bâti à l’endroit même où, prononçant ce vœu, Jinmu aurait prié afin qu’il se réalise. En raison d’une homophonie entre les mots « racine » (ne 根) et « sommeil » (ne 眠), le Hine jinja attire de nos jours beaucoup de personnes souffrant d’insomnie. C’est, par ailleurs, le seul et unique sanctuaire shintô dédié aux oreillers. Les 4 et 5 mai, il leur est ainsi consacré une fête appelée Makura matsuri (« fête de l’oreiller ») : de petits coussins tubulaires aux couleurs vives sont fixés sur des banderoles suspendues à de longues perches de bambous et exhibés lors d’une procession censée revitaliser les participants. Chaque coussin – noué à titre d’offrande – correspond au vœu d’une femme qui souhaite avoir un enfant, tomber amoureuse ou faire un bon mariage.

  • 5 Il est d’ailleurs significatif que certains oreillers soient vendus comme des outils permettant de (...)
  • 6 La poésie classique est riche de ces rencontres en rêve dont la croyance affirme qu’elles ont lieu (...)
  • 7 Extrait de www.rinku.zaq.ne.jp/hine-jinja/gokitou2.html.

7Les pouvoirs attribués à l’oreiller ne se limitent cependant pas qu’au domaine du cœur, de la maternité ou du lien conjugal. Associé à la tête de l’utilisateur et, par extension, à son activité mentale nocturne, l’oreiller est considéré comme le double subtil de la personne : il préside à ce mouvement qui pousse le dormeur, durant la phase du sommeil paradoxal, à se dissocier de son corps pour basculer dans un monde onirique5. Il s’avère que l’expérience du rêve est souvent corrélée, dans la poésie ancienne, à celle du dédoublement : l’âme (sous la forme de boules lumineuses appelées tama 玉) quitte parfois le corps6. Cette expérience du franchissement que l’oreiller est censé favoriser en toute sécurité explique pourquoi cet objet est si étroitement associé à la notion d’âme, ainsi qu’en témoigne le chiffre élevé de sites Internet (178 000) répertoriés sur Google Japon lorsqu’on inscrit les trois mots suivants : « oreiller », « siège de l’esprit divin », « entrepôt de l’âme ». Ces trois mots sont-ils liés ? Rien ne le prouve. Ce qui n’empêche nullement le Hine jinja d’affirmer sur son site : « On dit qu’à l’origine, le mot makura 枕 [“oreiller”], également transcrit ma-kura 真座 [“siège de l’esprit divin”], se disait tama-kura 魂蔵 [“entrepôt de l’âme”] […] parce que c’est le lieu où l’on place la tête afin d’y inviter le dieu7. » Bien que cette étymologie soit douteuse, il n’est pas innocent que le sanctuaire Hine s’en prévale et que de nombreux ouvrages traitant de la culture japonaise l’accréditent (Tobe 2013 : 435 ; Seitosha henshûbu 2015 : 89 ; Kawazoe 2001 : 194 ; Yano 1996 : 6), de même que plusieurs dizaines de milliers de blogs japonais : le jeu des sonorités liant tama (âme) et makura (oreiller) participe – tout autant que les étymologies fantaisistes – d’une mise en scène énonciative ayant valeur de vérité. Il importe peu que ce qui est dit soit vrai, pourvu que cela fasse sens dans le cadre d’un scénario collectif faisant de l’oreiller un protecteur.

8Insistant sur les qualités de l’oreiller, le site du Hine jinja mentionne en outre le fait que l’être humain passe la moitié de sa vie à dormir, la tête sur l’oreiller, dans un état d’inconscience qui le rapproche de l’outre-tombe et par conséquent des entités surnaturelles. L’oreiller aménage un accès aux forces invisibles. Il est d’ailleurs possible de renforcer son pouvoir protecteur en le confiant au Hine jinja, lequel propose d’effectuer une prière pour que l’oreiller veille sur l’âme de la personne devant poser sa tête dessus. Cette prestation n’est pas réservée qu’aux visiteurs du sanctuaire. Le Hine jinja travaille aussi en collaboration avec Rakuten, le plus gros site de vente en ligne japonais, qui propose à l’achat 644 types de coussins fabriqués sur mesure – en sus des modèles d’une centaine de marques nationales et internationales. Il est ici possible de cocher l’option « prière-exorcisme », moyennant un supplément de 10 800 yens (environ 90 euros) : « nous pouvons faire une invocation pour la protection et les prières8 », explique l’argumentaire en ligne qui, jouant sur l’homophonie, donne à l’« article de literie » (shingu 寝具) le nom d’« instrument de culte » (shingu 神具). Cinq cérémonies peuvent être sollicitées au choix pour activer les pouvoirs latents de cet « instrument » : « prière pour un sommeil paisible », « purification de la chambre à coucher », « prière pour avoir des enfants », « prière pour qu’ils deviennent grands », « prière pour un accouchement facile ».

9Il est donc possible de charger l’oreiller d’une puissance renforcée, afin que celui-ci protège plus efficacement le dormeur, qu’il l’aide à grandir ou à porter la vie, qu’il écarte de lui les influences néfastes, etc. À l’instar des figures liminaires chargées de réguler la circulation aux frontières du monde – ces dieux du chemin souvent représentés sous la forme d’un phallus-vagin et nommés Dôsojin 道祖神 (Butel 1999 : 36-44) –, l’oreiller opère depuis les marges qui séparent le jour de la nuit. Il escorte l’âme, veillant au bon déroulement de ce dédoublement provoqué par le rêve.

L’oreiller comme outil d’invocation

10Les oreillers peuvent à double titre servir d’instruments pour invoquer des forces positives : d’abord parce qu’étant les écrins de la tête, conçus pour aider le dormeur à « se plonger dans un sommeil profond », ils sont considérés comme des gardiens spirituels. Mais on leur attribue également des pouvoirs pour une autre raison, liée à la valeur que revêt la notion de toucher au Japon. Les objets qui entrent en contact avec le corps humain, surtout s’il s’agit d’un contact prolongé, quotidien, par frottement, sont considérés comme susceptibles d’être contaminés par les désirs de leur propriétaire et de devenir humains à leur tour. À titre d’exemple, la croyance veut que celui qui ramasse un peigne abandonné change d’identité, envahi par les passions dont le peigne a absorbé la puissance nocive : les cheveux qui constituent la part secrète de l’être sont dotés de pouvoirs inquiétants (Caillet 2002 : 52 ; Mauclaire 1991 : 73). Les oreillers, tout particulièrement, peuvent prendre la valeur d’éponges psychiques car c’est la tête qu’ils abritent dans leur cocon, c’est-à-dire la partie du corps la plus proche de l’intime, celle des sentiments. Raison pour laquelle ils se voient accorder un sort spécial en « fin de vie » : des funérailles. Bien qu’il soit impossible de savoir quel pourcentage de la population est concernée, cette pratique ne semble pas si incongrue, ni obsolète, puisque Rakuten propose, pour 10 800 yens, d’offrir une cérémonie funèbre à l’oreiller. « Ce service comprend : le rituel de purification devant un autel shintô, l’élimination et le certificat du rituel de purification », lit-on encore sur la page d’accueil du site. Plutôt que le jeter à la poubelle, les propriétaires pleins de gratitude peuvent donc renvoyer leur oreiller à la firme qui le transmettra au Hine jinja afin que son âme, pacifiée, puisse quitter ce monde et surtout ce « corps » destiné à être détruit.

11L’idée du « corps » de l’oreiller n’est d’ailleurs pas qu’une simple métaphore au Japon, principal producteur des coussins ergonomiques, conçus pour reproduire un torse viril ou des cuisses accueillantes : créé en 2003, l’« oreiller de bras du petit copain » (kareshi no ude makura 彼氏の腕枕) adopte la forme d’un demi-tronc masculin qui offre son bras comme repose-tête aux célibataires désirant sentir le contact « réconfortant et rassurant » d’une présence aimante. Le succès de cet oreiller est tel qu’il est maintenant vendu dans le monde entier sous le nom de Boyfriend arm pillow. Quant à l’« oreiller de genoux » (hiza makura 膝枕), créé en 2005, il reproduit des jambes pliées en posture assise. « Je ne me sens plus seul(e) même la nuit [contre] la peau que j’aime9. »

12Objet équivoque, l’oreiller dans les argumentaires ne se distingue pas de l’humain avec lequel il partage sa couche, et à qui il offre « l’extase d’un bref moment : faire un rêve contre ta poitrine10 ». Il est difficile, bien sûr, d’inférer d’un discours marketing le niveau d’adhésion des clients potentiels aux idées véhiculées : dans quelle mesure ces métaphores touchent-elles leur cible ? L’image de l’oreiller comme amant(e) fait-elle vendre ? Une chose est sûre : le succès des oreillers anthropomorphiques est tel que leur nombre se multiplie. L’ampleur de la demande pousse même la marque Bibi-Lab à lancer en décembre 2014 une poupée-traversin à taille humaine, disponible en deux versions (masculine et féminine). « Bonne nouvelle pour ceux qui souffrent de solitude à Noël. Voici ce qu’on ne peut pas nommer “produit” mais “chéri(e)”11. » L’argumentaire mentionne que ces modèles, baptisés wata-yome 綿嫁 (« épouse de coton ») et wata-danna 綿旦那 (« époux de coton »), « peuvent aussi être utilisés comme “réceptacle” pour faire advenir dans notre monde en 3D un personnage de fiction. » Le mot employé pour dire « réceptacle » est yorishiro 依代, qui désigne – dans le cadre des rituels d’invocation shintô – le « reposoir » des entités invisibles.

13L’oreiller a donc valeur, non seulement de protecteur surnaturel, mais aussi d’amant(e) de substitution. Exploitant l’ambiguïté de l’expression « dialogue de l’oreiller » (pirô tôku ピロートーク) qui désigne aussi bien les débats que les ébats intimes12, les catalogues d’oreillers accompagnent les fiches produits d’innombrables slogans qui expriment le pouvoir d’attraction des coussins : « Sans réfléchir, je le serre très fort », « Sans réfléchir, je suis sous le charme », « Je n’en peux plus tellement c’est doux13 ». L’exemple le plus flagrant de cette confusion humain-coussin se trouve sur une page du site Rakuten intitulée « petit ami qui guérit » (iyashi no koibito 癒しの恋人) : il s’agit d’un traversin rempli de billes si fines que « quand vous l’étreignez, la partie que vous serrez s’allonge tout en restant ferme. » L’argumentaire ajoute : « C’est comme si, unis aux nuages, nous flottions ensemble… Le “Coussin à étreindre de l’ange” vous procure un sentiment de paix et de confort, répondant à vos espoirs tel un partenaire idéal. C’est un produit qui guérit14. »

14Attention cependant à ne pas inférer de ces stratégies marketing, ni de ces rituels shintô proposés en supplément à l’acte d’achat, l’idée selon laquelle la culture japonaise serait une culture « animiste ». Lorsqu’ils prêtent des qualités humaines à des objets conçus comme des « instruments pour bien dormir », les utilisateurs peuvent donner l’impression qu’ils les dotent d’un pouvoir surnaturel. Mais comme le formule William Tallotte, dans un article sur les pouvoirs attribués à certains instruments de musique : « Qu’on ne s’y trompe pas : ces détournements lexicaux ne sont pas toujours destinés à renforcer le statut de leur instrument en le promouvant, plus ou moins directement, au rang de “sujet divin”. Dans ce contexte, en effet, toute tentative d’anthropomorphisation peut aussi bien relever d’un simple jeu de mots, au caractère parfois grivois, ou renvoyer – cas plus intéressant – à une situation de performance (de jeu) » (Tallotte 2012 : 203). L’idée du jeu est en effet fondamentale dans ce domaine de l’érotisme couplé avec celui des mondes imaginaires, qui a donné naissance aux « coussins à étreindre ». C’est donc plutôt sous cet angle, celui d’un jeu compris comme une tentative pour articuler une dimension fantasmagorique au réel, qu’il me paraît pertinent d’analyser les pratiques et les discours entourant les coussins et les jouets sexuels auxquels ceux-ci sont assimilés.

15Le jeu repose avant tout sur le brouillage des catégories. Il s’agit d’affaiblir les distinctions ontologiques entre les humains et leurs créatures, en mimant le fait que celles-ci soient vivantes, c’est-à-dire changeantes. J’aimerais appuyer sur ce point la première partie de mon argumentation : pour qu’un objet suscite l’envie d’une relation, il faut que l’utilisateur puisse le « faire sien », ce qui explique en partie pourquoi les jouets sexuels « à visage humain » occupent cette interzone, si propice aux métamorphoses, qui est celle du sommeil. À l’image des oreillers, les sextoys anthropormorphiques forment un ensemble d’entités labiles reliées entre elles et aux humains par une multiplicité d’appariements possibles.

Usages et représentations des jouets sexuels

Des produits thérapeutiques

16Les objets anthropormorphiques regroupent des catégories de jouets sexuels aux formes extrêmement variées et la façon dont ils sont baptisés déjoue toutes les tentatives d’identification. Ils sont désignés tantôt sous le nom japonais de « coussin » (makura), accompagné de l’épithète « à étreindre » (daki 炊き), tantôt sous le nom de pirô ピロー (de l’anglais pillow), suivant une convention datant de l’ère Meiji qui veut que les mots obscènes soient empruntés au monde occidental. Pour marquer leur différence tout en préservant le flou, ces outils sont qualifiés diversement : « coussin de rêve » (dorîmu pirô ドルームピロー), « coussin d’amour » (rabu pirô ラブピロー), « coussin corps » (bodi pirô ボディピロー), « coussin de chair Lolita » (nama rori pirô 生ロリピロー)15, etc. Leur nature, cependant, relève de l’énigme car les mots coussin ou oreiller servent à désigner aussi bien des ersatz gonflables que des peluches, des matelas pneumatiques et des traversins. Comme pour semer plus encore le trouble dans ce système de classement nébuleux, les « poupées » (dôru ドール) sont elles-mêmes vendues sous des noms ambigus : « corps d’amour » (rabu bodi ラブボディ), « filles à câlins » (hagu gâruzu ハグガールズ , de l’anglais hug girls), « coussin à sensations » (seikan kusshion 性感クッション), toujours suivis de précisions sur la capacité de l’objet à « soigner » (iyasu 癒す) ou « apaiser » (anshin suru 安心する)16.

17Ce vaste continuum regroupe des formes allant de la gaine vaginale au corps complet, en passant par toute la gamme des morceaux d’humains : blocs de fesses comme taillés dans la masse, paires de jambes, poitrines tronquées, bustes décapités – sur lesquels il est possible d’intervertir des éléments. Beaucoup de ces ersatz sont vendus avec leurs cheveux, leur tête, leur peau, leur sexe, leurs seins voire leurs tétons en pièces détachées. Ces puzzles de corps, qui se déclinent parfois en gammes d’accessoires « customisables », offrent aux utilisateurs la possibilité de modifier à volonté l’apparence des jouets. L’appellation pillow ou makura n’a donc pas pour fonction de désigner une catégorie précise d’objets, mais de lancer des produits (quels qu’ils soient) sous les auspices d’un nom de baptême synonyme d’extrême plasticité… Car c’est bien cela, finalement, qui rapproche les sextoys des oreillers : n’ayant pas de forme définitive, ils peuvent épouser les contours de tous les fantasmes. Ils sont fit. Ce qui les rend si séduisants.

18Le kû pillow くうピロー, par exemple, est un matelas de plastique qui mesure cent soixante centimètres de hauteur et quarante-huit centimètres de largeur (les dimensions d’un corps humain). Il tire son nom de l’onomatopée くう, qui désigne la respiration d’une personne endormie (l’équivalent de « zzz… »)17. La boîte est ornée d’une jeune fille ensommeillée qui s’étire en bâillant dans une chemise de nuit rose. Le matelas est fourni avec une housse sur laquelle le corps de la jeune fille, cette fois presque nue, est imprimé en trompe-l’œil. Pour renforcer l’effet d’illusion, la housse – surnommée « smooth skin » – est présentée comme une interface douée d’un pouvoir salvateur : « Lorsqu’elle touche votre peau, cela procure un sentiment de paix ». Le kû pillow, qui se décline en version kû doll, peut en effet prendre la forme d’une poupée gonflable transparente, fournie dans une boîte sur laquelle une jeune fille tient un oreiller serré très fort contre elle : « cette poupée merveilleuse vous soigne en vous enlaçant18 ». Le coussin qu’elle étreint représente, de façon imagée, l’humain qui achètera la poupée. Comme pour souligner le caractère ironique de ce renversement de situation, la jeune fille sur la boîte sourit malicieusement, confrontant l’utilisateur à la question existentielle de savoir s’il vit « pour de vrai »… Car peut-être, dans un autre monde, est-ce la poupée qui souffre de solitude et serre contre sa poitrine un coussin, en rêvant qu’il s’agit d’un garçon ?

  • 19 « L’oreiller permet de se relaxer corps et âme quand on le serre contre soi » (extrait de item.rak (...)

19Aussi l’utilisation fréquente du mot pillow – qui renvoie à tout un imaginaire de formes fluides – pour désigner les objets érotiques a sans doute pour objectif de leur prêter les vertus accordées aux oreillers. Autrement dit, l’emploi du mot pillow correspond, non pas au désir de classer un objet suivant un système de référencement objectif, mais à celui de le charger symboliquement de l’énergie attribuée aux objets contre lesquels l’humain passe ses nuits : l’énergie tendre et enveloppante d’un objet conçu pour apaiser le corps et l’esprit19. Le nom de l’oreiller est donc invoqué à la manière d’une formule magique qui permettrait d’entrer plus facilement dans l’univers du fantasme. Reste à savoir quel fantasme. Pour répondre à cette question, je concentrerai mon analyse sur des sextoys d’un genre très particulier : les traversins « déguisés » en belles filles et en mauvais garçons. Ces objets masturbatoires sont appelés « pièces de literie en deux dimensions ».

Les articles de literie érotiques

20Si l’on reprend la classification fondée par Roger Caillois, le domaine du jeu dont relèvent poupées ou masques est celui du simulacre. Dans son ouvrage Les Jeux et les hommes, Caillois définit le simulacre comme le fait de « devenir soi-même un personnage illusoire » (1958 : 60), c’est-à-dire jouer un rôle. Sur ce plan, le coussin peut constituer un instrument de jeu efficace au Japon, car il partage avec les accessoires de déguisement les mêmes qualités de réversibilité : il suffit de changer sa « housse » (kabâ カーバー) pour le métamorphoser en quelque chose d’autre. Il s’avère que parmi les objets répertoriés sous le nom d’oreiller, certains fonctionnent entièrement sur la base de ce retournement. Ces objets masturbatoires appelés « coussins à étreindre » (daki-makura 抱き枕) sont classés parmi les « articles de literie en deux dimensions » (ni-jigen shingu 二次元寝具) par allusion aux héros et héroïnes de mangas, d’eroge エロゲ (jeux vidéos réservés aux plus de 18 ans) ou de dessins animés qui y sont reproduits grandeur nature. Les daki-makura se présentent sous la forme de coussins ou d’édredons sur lesquels il suffit d’enfiler une taie pour faire apparaître un personnage imprimé à taille humaine. Le personnage donne l’impression qu’il repose sur le lit. Parfois, il est représenté endormi, les yeux clos. Parfois, il invite l’humain à venir s’allonger près de lui. Ses postures correspondent à une grammaire d’attitudes codifiées suggérant une liaison.

21Pour renforcer cette illusion, le personnage apparaît sous deux formes : l’impression au recto du coussin le montre tel qu’il apparaît dans les situations « normales », habillé, souriant. L’impression au verso, en revanche, le dévoile sous son aspect « secret » : dévêtu et bouleversé par des émotions que les plis du drap imprimés en trompe-l’œil suggèrent par analogie. Sur cette face du coussin, que le/la propriétaire regarde lorsqu’il/elle veut se masturber, le personnage semble l’attendre dans un lit en désordre autant que ses pensées. L’iconographie des daki-makura se veut suggestive : « Toujours contre toi », lit-on par exemple. Il s’agit, à travers eux, de donner vie à une chimère : susciter l’illusion qu’un personnage prend forme dans les draps. Pour cela, le textile offre une texture si proche de la peau humaine qu’une continuité s’opère entre le vrai corps et le faux : lorsqu’il caresse l’héroïne de son cœur, en suivant de la main ses formes sur la taie, l’utilisateur ne fait jamais que donner chair à des songes creux qu’il « caresse », jusqu’au point de ne plus savoir s’il touche son pénis ou s’il palpe un corps imaginaire. Il est essentiel que rien ne contrarie cette confusion. Le velouté du tissu constitue d’ailleurs l’un des principaux arguments de vente des articles de literie érotiques, généralement tissés en smooth (une matière stretch très douce) ou dans un « velours coton naturel » « qui s’étire dans toutes les directions », ainsi que le précise l’incontournable fiche commerciale en des termes polysémiques. Quand il se glisse sous les draps, contre le traversin, l’utilisateur peut ainsi rêver qu’il sent comme une peau tiède frotter la sienne en silence. « Elle va vous accueillir. Dormez avec l’innocente Mashiro20 ».

22Conçus pour procurer l’illusion d’une relation affective privilégiée avec un personnage de fiction, ces articles sont toujours décrits comme des « formes humaines » (ningen no sugata 人間の姿) qui « invitent à se rapprocher » (sasou 誘う), suivant une terminologie qu’on retrouve souvent dans le bouddhisme et le shintô, lorsqu’on invoque un kami ou un bouddha pour qu’il descende dans un objet. Les verbes « accueillir » (de-mukaeru 出迎える), « inviter » (shôtai suru 招待する) ou « appeler à venir » (mukae ni kuru 迎えに来る) sont fréquemment employés sur les sites consacrés aux daki-makura21. La notion d’invitation est capitale, car elle va de pair avec la matérialisation d’une présence. Il arrive d’ailleurs que sur leurs blogs, certains utilisateurs de daki-makura se désignent avec humour comme des « croyants » (shinja 信者) et parlent du coussin à étreindre comme d’une entité capable d’« appeler (quelque chose) à se manifester » (manekiyoseru 招き寄せる). Le verbe manekiyoseru, à double entente, peut de fait se traduire : « inviter à venir plus près » ou « transmettre » (la voix des morts, par exemple), ce qui rend d’autant plus troublante l’énigme posée par le coussin : quelle « chose » appelle-t-il à se manifester ? Le désir tumescent de l’humain ou une présence cachée dans l’objet ?

Le coussin comme objet de passage

23D’après les argumentaires, l’efficacité des jouets sexuels repose avant tout sur leur capacité à brouiller les repères. Comment ? En multipliant les signaux d’invite. Il s’agit d’induire l’utilisateur en tentation. Le personnage joue le rôle d’un appât : sourire engageant ou minaudier, regard suppliant ou séducteur, il manifeste plus ou moins subtilement le désir d’une rencontre, appels du pied sous des formes variées dont le mot yûwaku 誘惑 – qui signifie à la fois « séduction » et « attirance » – cristallise l’ambivalence. L’ersatz de corps destiné à servir de partenaire ne doit pas seulement « appeler » l’humain mais, au-delà de lui, ce avec quoi l’humain espère entrer en contact : sa part de violence, sa part d’ombre, ses limites, ses peurs… Une amatrice de daki-makura commente sur son blog l’aspect terriblement séduisant du beau gosse imprimé sur la taie : à l’envers, il dévoile son ventre en écartant les pans d’un pyjama froissé ; « côté pile, son pouvoir de destruction est terrible », dit-elle22. La jouissance procède de ce combat intime au cours duquel l’humain accepte de succomber au désordre, désordre dont le daki-makura incite à faire l’expérience par mimétisme. S’il s’agit d’une jeune fille, par exemple, ses attitudes s’opposent : au recto, elle essaie de cacher ses seins et rougit. Au verso, elle écarte les jambes, griffe les draps et s’offre. S’il s’agit d’un garçon, il arbore au recto un sourire ironique, une main posée sur la braguette. Au verso, sagement replié en chien de fusil, il dort.

24Ces attitudes contradictoires constituent, semble-t-il, l’attrait principal du jeu : « les héroines déchues se métamorphosent en démons23 ». L’inverse est vrai. Lorsqu’un mauvais garçon de daki-makura s’assoupit, les utilisateurs disent qu’il dévoile son vrai visage, celui de l’ « intérieur » (ura 裏), par opposition au « masque » (omote 面). Le vocabulaire relatif aux représentations de personnages endormis renvoie parfois à l’innocence, comme si, dans leur sommeil, les êtres devenaient plus « purs ». Contemplant l’image d’un héros de manga connu pour sa violence implacable, une amatrice de daki-makura soupire : « Son visage endormi de chérubin ! Il est rare de pouvoir observer un garçon si vulnérable24 »… Suivant une logique de renversement des valeurs, les images ornant les taies d’oreiller entraînent leurs propriétaires dans un monde où les catégories morales habituelles n’ont plus cours. Les garçons sauvages s’y muent en « anges » et les jeunes vierges en « renardes25 », créatures connues pour leurs pouvoirs de métamorphose et leur traîtresse duplicité.

25Voilà certainement pourquoi, au Japon, les jouets destinés à faire jouir sont si puissamment associés aux oreillers, symboles par excellence de la réversibilité. Dans le sommeil, bien et mal peuvent cohabiter, de même que l’envers et l’endroit. Le rêve « excelle à réunir les contraires et à les représenter en un seul objet […], en un seul et même élément manifeste […] qui peut signifier l’un et l’autre à la fois. » (Freud 1967 [1900] : 274). Pour faire jouir, un objet doit entraîner son utilisateur dans un univers où les écarts sont permis et les apories possibles. Les daki-makura incarnent par excellence cette propriété des sextoys à favoriser le franchissement des barrières sociales et conventionnelles en direction de ce côté obscur de l’être qui est celui des fantasmagories inavouables. Il n’est, à cet égard, pas surprenant d’apprendre que les daki-makura mettent en scène des entités nommées « incubes » (démons abusant sexuellement d’une femme endormie) ou « succubes » (versions femelles de l’incube).

  • 26 Il s’agit respectivement de Mayonaka no Shinderera 真夜中のシンデレラ (www.fwinc.co.jp/news/34149), Reversi (...)
  • 27 Les « doubleurs de dessins animé » (seiyû 声優) sont les équivalents des « doubleurs de marionnettes (...)

26À l’attention des amatrices de daki-makura, plusieurs compagnies japonaises produisent d’ailleurs des scénarios audio nommés drama CD comme « Cendrillon de Minuit », « Réversible » ou « Un autre côté26 ». Très proches des CD de relaxation guidée, ces bandes-son ponctuées de râles et de bruits suggestifs se déroulent en trois temps : rencontre, séduction, passage à l’acte. Les drama CD invitent l’auditrice au dialogue en laissant des moments de blanc dans la conversation, lui permettant d’interagir, dans l’imaginaire, avec le personnage figuré sur le daki-makura. Les scripts sont écrits pour des acteurs possédant de belles voix, parfois connus comme doubleurs de dessins animés27. Ces acteurs enregistrent les textes sur un microphone stéréophonique de type binaural – réplique de tête humaine avec un micro placé dans chaque oreille – qui plonge l’auditrice au cœur même de l’action : une voix chuchote à son oreille, glissant des suggestions salaces ou proférant des menaces, tantôt à droite tantôt à gauche, et inversement, ceci afin de perdre l’auditrice.

27Leader sur le marché des drama CD, la compagnie japonaise Velvet Voice (« Voix de velours ») produit des scénarios appelés « Amant oreiller » (Kare-pirô 彼ピロー) qui laissent souvent le choix entre deux types d’amant : un par oreille. La série intitulée « Incube » par exemple, propose un incube timide (uchikina inma 内気な淫魔) et un incube mauvais garçon (ko-akumana inma 小悪魔な淫魔). Le scénario est le suivant : « Une nuit, deux incubes font leur apparition au milieu de votre rêve. Ils ont le même aspect et la même voix mais les mots avec lesquels ils vous caressent, afin de vous entraîner dans l’univers des sens, sont totalement différents : “Je vais te subjuguer”, “Laisse-moi te prendre”. Vous aurez beau résister, avoir peur, avoir honte, vous serez prise au piège. Frôlée par les murmures de ces beaux incubes, embrassée, caressée, puis… ? ». Dans l’univers du daki-makura en particulier – des jouets sexuels japonais en général –, la fonction « oreiller » attribuée aux sextoys a donc la valeur d’un extraordinaire propulseur de jouissance : elle aménage un espace de liberté onirique. En rêve, tout devient permis. À la faveur évanescente d’un songe, souvent mis en scène comme une lutte intérieure, l’humain peut sans risque succomber. Passer de l’autre côté. Puis revenir.

Un objet psychopompe ?

28Aucun bouleversement n’est possible sans désordre. Le bouleversement auquel convient les objets sexuels au Japon s’appuie sur une stratégie de brouillage, collectivement adoptée par les fabriquants, les distributeurs et les utilisateurs, qui consiste à faire du sextoy un article de literie. Empruntant aux oreillers leurs noms (pirô, makura), leur fonction d’objets « pour bien dormir » et leurs qualités mimétiques, les sextoys commercialisés au Japon présentent la spécificité d’être conçus, vendus et utilisés comme des facilitateurs de rêve. Les plus révélateurs de ces sextoys – les « coussins à étreindre » (daki-makura) – se présentent d’ailleurs comme des traversins ornés recto-verso de séduisants personnages en trompe-l’œil dont les postures correspondent à l’alternance jour-nuit. Ce sont des « coussins de rêve [qui] donnent chair aux espoirs des jeunes filles lorsqu’elles veulent faire de leur lit la matière d’un songe qui éclôt28. » Ainsi que le suggèrent certaines utilisatrices, ces images réversibles favorisent très efficacement le travail mental qui conditionne la jouissance. Il n’est à cet égard pas étonnant que les héros et héroïnes ornant les coussins portent des noms écrits à l’aide de caractères lourds de sens : « Princesse mille ombres » (Chikage 千影), « Grand tumulus » (Ôtsuka 大塚), « Éternité » (Kuon 久遠), « Nuits sans nombre » (Chiya 千夜), « Rêve envoûtant » (Yômu 妖夢), « Enfant vive des nuits sans fond » (Seizen Yuyuko 生前幽々子)29, etc. La matérialisation d’une présence semble indissociable de l’idée du passage, voire du va-et-vient, entre les mondes visibles et invisibles dont les faces du coussin explicitent la métaphore. Il y a l’endroit et puis l’envers. La vie et la mort. L’idée du passage, bien sûr, est inséparable de celle du sommeil que les daki-makura sont censés procurer30. Raison pour laquelle une partie des personnages imprimés s’assoupissent, incitant celui ou celle qui se blottit contre eux à faire de même. Ce qui m’amène à la question suivante : si les jouets sexuels au Japon invitent l’humain à devenir comme eux, serait-ce que la jouissance procède de ce mouvement inquiétant en direction d’un état qui rappelle celui du défunt ?

  • 31 Certains drama CD pour daki-makura sont vendus sous l’appelation « CD de dialogue romancé d’amour (...)
  • 32 L’iconographie bouddhique joue aussi volontiers de cette ambiguïté. Le Bouddha historique, Sâkyamu (...)

29L’aspect désirable, jouissif, de ces objets dépasse la seule notion de sex-appeal. Il faudrait plutôt parler d’objets psychopompes, conducteurs psychiques, accompagnant et guidant l’esprit à travers un monde onirique assimilé à l’outre-tombe. Au Japon, l’outre-tombe, appelé « pays des racines » (ne no kuni 根の国), qui signifie par homophonie « pays du sommeil », représente à la fois « un séjour des morts, mais aussi un réservoir de longévité » (Caillet 1991 : 18). Les oreillers et les sextoys qui entraînent les humains dans un rêve de « temps suspendu31 », un long rêve érotique en apesanteur, ne font jamais que réactiver cette symbolique du sommeil comme mise en terre et du réveil comme renaissance32. Gardiens du cycle qui voit l’humain se ressourcer dans un état-limite (l’état d’inconscience), les jouets sexuels au Japon occupent une position très proche de celle qui détient, selon Jean-Pierre Vernant, le double pouvoir de ménager, entre mort et vie, « les nécessaires passages et de maintenir strictement leurs frontières au moment même où elles se trouvent franchies » (Vernant 1990 : 24). Ce pouvoir des sextoys leur vient des attributs qu’ils empruntent aux oreillers et procède de leur capacité à susciter chez l’humain le désir de ne plus être seulement un sujet pensant, responsable et adulte mais aussi – en toute impunité – un objet passif, la proie de puissances contraires, un jouet sexuel dépossédé de lui-même… succombant avec gratitude à la tentation du non-être.

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Notes

1 En 2013, une estampe du xviiie siècle a ainsi provoqué le buzz sur 2ch – le plus grand forum de discussion au Japon : sur celle-ci, un homme pénètre un faux vagin fixé à l’édredon qu’il a enroulé pour lui donner du corps ; à la tête de l’édredon, le portrait d’une femme parfait l’illusion. Le succès de cette estampe a alors été tel qu’il a suscité l’apparition de plusieurs faux makura-e. Aux yeux des internautes, ces images attestent de l’ancienneté des pratiques contemporaines relatives aux traversins. Voir notamment : ameblo.jp/hihonsyudo/entry-10757435341.html, itest.2ch.net/test/read.cgi/ogame3/1467185533, etc. L’estampe originale est visible à cette adresse : up.gc-img.net/post_img_web/2015/09/5f2b4b1657b34fbd6f1fe407f13a945c_8840.jpeg. Un exemple de faux makura-e : i.imgur.com/Q4jrqEl.jpg et www.pixiv.net/member_illust.php?mode=medium&illust_id=47425567. Sauf mention contraire, tous les liens cités dans le présent article sont valides en décembre 2016 ; les citations des sites Internet sont des traductions de l’auteur.

2 Respectivement : estampe de Keisai Eisan tirée de l’ouvrage Makura bunko, vers 1822-1823 ; estampe anonyme intitulée Togoku denrai ocha senkou nou, vers 1830-1844 ; estampes de Takehara Shunchôsai, Kôshoku tamate bako, 1778 et d’Isoda Koryûsai, Shikidô juni-awase, 1776.

3 Société de conseil en technologies de l’information et en économie (www.nri.com/global/news/2005/051006.html).

4 Extrait de www.rinku.zaq.ne.jp/hine-jinja/naritati.html.

5 Il est d’ailleurs significatif que certains oreillers soient vendus comme des outils permettant de « disperser » le corps : « en vous couchant sur le côté, vous décentrez la pression corporelle, ce qui vous allège du fardeau de votre corps » (extrait de item.rakuten.co.jp/omezame/514034).

6 La poésie classique est riche de ces rencontres en rêve dont la croyance affirme qu’elles ont lieu « pour de vrai » par âmes interposées. « Que dois-je faire [demande Ono no Komachi, poétesse du ixe siècle, éprise d’un homme absent], puisqu’en dehors du rêve la rencontre est impossible ? » (Ono no Komachi et autres 1997 : 39).

7 Extrait de www.rinku.zaq.ne.jp/hine-jinja/gokitou2.html.

8 Extrait de item.rakuten.co.jp/oyasumi/266-000001-20.

9 Extrait de item.rakuten.co.jp/present-web/b1128-2a. On parle même de « la guérison ultime [par] l’oreiller de genoux » (item.rakuten.co.jp/futon/m603289bl). Pour l’« oreiller de bras du petit copain », voir item.rakuten.co.jp/healthpia/10015887.

10 Extrait de item.rakuten.co.jp/present-web/b1128-2a.

11 Extrait de nlab.itmedia.co.jp/nl/articles/1412/18/news057.html.

12 Sur Google Images, les réponses à la recherche pirô tôku ピロートーク montrent surtout des couples enlacés. Sur le site « Omocoro », un photo-montage mettant en scène des ébats couronnés de feux d’artifice s’achève sur l’image de l’homme qui fume – la femme sourit béatement… L’image est sous-titrée : « Vous faites le pillow talk ? » (omocoro.jp/kiji/11068).

13 Extraits, respectivement, de item.rakuten.co.jp/oyasumi/c/0000004098 et item.rakuten.co.jp/bon-kagu/sof010251e-s1210/?scid=af_pc_etc&sc2id=67889001.

14 Extrait de item.rakuten.co.jp/joyfull/c/0000000195.

15 Voir, respectivement : www.amazon.co.jp/ドリームピロー-◆お風呂で使える枕/dp/B002HLS2H8, www.ms-online.co.jp/lovedole_pillow-type_form-love_pillow, www.amazon.co.jp/gp/product/B00B71QGDG?ie=UTF8&redirect=true [dernier accès, octobre 2016], www.kiyosan.co.jp/goods/k-m235.html.

16 Voir, respectivement : www.a-one-tokyo.com/goods/akib.html, daimaoh.co.jp/item3187.html, www.dekunoboo.com.

17 Le mot désigne aussi, par homophonie, l’espace « vide » ou le « ciel » (空) à quoi renvoie l’image de cette gaine en attente d’être « remplie ».

18 Extraits de www.ms-online.co.jp/lovedole_pillow-looks-no_face/NGPRO-004/?pclass_id=108439 et www.e-nls.com/pict1-43544?c2=9999.

19 « L’oreiller permet de se relaxer corps et âme quand on le serre contre soi » (extrait de item.rakuten.co.jp/omezame/514034).

20 Extrait du site prtimes.jp/main/html/rd/p/000000654.000002535.html.

21 Voir à ce sujet, respectivement : geestore.com/detail/id/0000031675, app.famitsu.com/20160425_704082 et yuruyuri.com/blog/archives/2437.

22 Extrait de srw.hiyokomi.net/other/miratore/miratore-pillow.htm. La violence des émotions figurées sur l’envers est souvent évoquée ; les personnages y étalent des chevelures tourmentées : « côté pile, nue, les cheveux défaits » (extrait de repotama.com/2013/07/58201).

23 Extrait de 埋もれる抱き枕er.jp/archives/11506.

24 Extrait de otakujyoseimuke.blog.so-net.ne.jp/index/2. Voir également : yuruyuri.com/blog/archives/2437, mobile.twitter.com/shirito1004/status/736537641747898368, etc.

25 L’étymologie populaire du mot « renard(e) » (kitsune 狐) est d’ailleurs « viens dormir » (kitsu-ne 來寝) (Nakamura 2013 [1973] : 104-105).

26 Il s’agit respectivement de Mayonaka no Shinderera 真夜中のシンデレラ (www.fwinc.co.jp/news/34149), Reversible (www.asgard-japan.com), Another Side (www.billboard-japan.com/goods/detail/465573).

27 Les « doubleurs de dessins animé » (seiyû 声優) sont les équivalents des « doubleurs de marionnettes » (tayû太夫) qui travaillent dans le théâtre bunraku.

28 Extrait de otakujyoseimuke.blog.so-net.ne.jp/index/2.

29 Respectivement disponibles aux liens suivants : 埋もれる抱き枕er.jp/archives/11446, 埋もれる抱き枕er.jp/archives/11638, 埋もれる抱き枕er.jp/archives/11518, 埋もれる抱き枕er.jp/archives/11351, 埋もれる抱き枕er.jp/archives/11487, 埋もれる抱き枕er.jp/archives/11541.

30 Sur le site marchand Degiconpark, « les raisons de désirer un daki-makura » sont respectivement : « il permet de dormir paisiblement », « il améliore la qualité du sommeil des personnes qui souffrent d’insomnie », « il peut diminuer le sentiment de solitude » (extraits de degiconpark.net/biyokenkocosme [dernier accès, mai 2014]).

31 Certains drama CD pour daki-makura sont vendus sous l’appelation « CD de dialogue romancé d’amour qui fait s’arrêter le temps » (voir www.koepota.jp/news/2016/06/09/0102.html et www.amazon.co.jp/イナズマイレブンGO-ドラマCD-時を超える絆-アニメCD/dp/B00EKCX6C8).

32 L’iconographie bouddhique joue aussi volontiers de cette ambiguïté. Le Bouddha historique, Sâkyamuni (Shaka), serait mort sur une couche, allongé, la tête appuyée sur sa main droite, comme s’il s’endormait. La « mort du Bouddha » (ne-han 涅槃) comporte le mot ne qui évoque par homophonie le « sommeil », ce qui explique peut-être pourquoi les statues de Bouddha mourant sont appelées « images du sommeil de Shaka » (ne Shaka-zô 寝釈迦像) ou « Bouddha qui dort » (ne Butsu 寝仏).

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Pour citer cet article

Référence papier

Agnès GIARD, « Étreindre les êtres du rêve »Terrain, 67 | 2017, 72-91.

Référence électronique

Agnès GIARD, « Étreindre les êtres du rêve »Terrain [En ligne], 67 | 2017, mis en ligne le 25 août 2017, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/16157 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terrain.16157

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Auteur

Agnès GIARD

Université Paris Nanterre, Laboratoire Sophiapol

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