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2018

Penser l’évidence

Détermination et indétermination dans la mort volontaire
Anthony STAVRIANAKIS
Cet article est une traduction de :
Thinking the Obvious [en]

Résumé

Cet article suit la démarche d’un homme, Peter, vers une mort volontaire assistée, en Suisse, afin de saisir et d’analyser aussi bien les négociations qui l’accompagnent que la mise en œuvre de cette nouvelle manière de mourir. Deux moments sont plus particulièrement observés, qui sont révélateurs de deux enjeux différents mais liés entre eux. Le premier est l’examen médical, une des étapes du processus d’évaluation par les professionnels, au cours duquel est invoquée l’« évidence » de la demande d’aide au suicide. C’est cette évidence que l’on questionne, en estimant que les significations multiples de cette demande, replacées dans le contexte d’une histoire individuelle, sont plus justement appréhendées à l’aide de l’idée de « Neutre » ou de « désir de Neutre » telle que la définit Roland Barthes, comme la quête d’un mode d’engagement sémiotique qui élude ou déjoue des oppositions binaires. Le deuxième moment est celui du suicide assisté lui-même, dont la gestualité particulière est abordée à la lumière d’une double tradition iconographique, celle de la compassion et celle de la lamentation, afin d’en révéler les enjeux éthiques et esthétiques.

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Texte intégral

  • 1 Une bourse de recherche de la Maison des sciences de l’homme m’a permis de démarrer mon enquête da (...)

1Je ne me souviens plus de la date exacte, mais c’est sans doute au début de l’année 2013 que j’ai trouvé sur YouTube le documentaire de Charlie Russell, Terry Pratchett. Choosing to Die (Russell & Pratchett 2011). Mon fils, qui venait de naître, s’était endormi sur ma poitrine. C’était peut-être en février. Je me souviens que j’avais mis mes écouteurs, et que je n’entendais plus le bruit de la pluie. Ce qui au départ n’avait été qu’un embryon d’idée, un éventuel nouveau projet sur le suicide assisté en Suisse, commençait à se concrétiser grâce à la perspective, quelques mois plus tard, d’un déménagement de San Francisco à Paris, où pourrait débuter mon enquête1. Assis à la table où nous prenions nos repas, et avec la sensation du rythme régulier de la petite poitrine contre la mienne, je regardais le romancier britannique aux œuvres pleines d’humour, atteint de la maladie d’Alzheimer à l’époque et mort depuis, raconter comment il avait entrepris un film sur le suicide assisté en Suisse : Terry Pratchett voulait rencontrer des personnes qui avaient décidé d’entreprendre le voyage pour aller mourir là-bas, afin de se poser à lui-même la question – fondamentalement éthique – de savoir s’il ferait la même chose. Ce film m’offrait une piste d’analyse sur ce qui m’était apparu comme une possible problématique relative à la pratique du suicide assisté : quelle(s) forme(s) et quelle(s) signification(s) celle-ci pouvait-elle prendre ? Depuis trois ans, j’essayais de nouer des contacts avec des personnes qui avaient fait leur demande d’assistance au suicide auprès d’associations suisses, ou qui du moins avaient entamé les démarches, mais à l’époque, ma réflexion n’était pas encore fondée sur l’observation de toutes les personnes que je rencontrerais par la suite : celles qui désiraient mettre fin à leurs jours, leur mari, femme, fils et filles, les présidents et vice-présidents des associations d’aide au suicide, les accompagnants bénévoles, les équipes de soins palliatifs à domicile, leurs patients, les psychiatres dans divers CHU, des pharmaciens dans plusieurs villes, des officiers de police, des entrepreneurs de pompes funèbres, etc. Et pourtant, d’emblée ce documentaire, et en particulier l’histoire de Peter, m’a donné à voir une histoire singulière et une image du trépas sur laquelle j’allais avoir l’occasion de revenir à de multiples reprises, et dont les formes, les enjeux et les significations allaient m’accompagner et trouver des échos lorsque viendrait mon tour de suivre des personnes, depuis leur demande d’assistance au suicide jusqu’à leur mort, avec ses modalités propres.

2Ce qui m’a frappé à travers le documentaire, dans le dispositif et la mise en scène de la mort de Peter, ce sont les lacunes du langage employé, qui ne parvenait pas à rendre compte adéquatement des qualités éthiques, esthétiques et intellectuelles de cette façon relativement nouvelle de mourir. Ou, autrement dit, le format cinématographique et le genre du documentaire en question, à l’instar de certaines arènes du discours professionnel, ne permettaient pas d’explorer ce langage et ces qualités. L’idée d’une telle enquête était née d’une réflexion sur le fait que le suicide assisté – phénomène statistiquement mineur du point de vue de la manière dont les gens meurent aujourd’hui (Steck et al. 2014) – pouvait s’envisager comme une transformation historique significative dans la façon de mourir des êtres humains, comme une reconfiguration des pratiques en vigueur permettant de renouveler les modalités du trépas en tant qu’expérience. Le suicide et l’euthanasie sont des faits sociaux, et chacun a bien sûr son histoire : en regardant le film, j’ai été conforté dans l’idée que ce qui semble spécifique dans la reconfiguration produite par les pratiques du suicide assisté réside dans l’invention d’une forme négociée de mort volontaire : tout en passant par la médiation de conventions propres au jugement et au savoir médical, celle-ci a pour objectif de donner une forme différente – meilleure, moins abjecte – aux rapports de pouvoir qui existent entre les médecins et les personnes souhaitant mettre fin à leurs souffrances (Stavrianakis 2016).

3Le lexique du « choix » a pris une grande place dans ce domaine, surtout dans la littérature relative à l’éthique médicale et à la bioéthique (à la fois en tant que valeur positive et en tant qu’illusion idéologique ; voir Dore 2011, Larue et al. 1987, Quill & Battin 2004), mais aussi chez les personnes impliquées dans cette pratique. Or le recours à ce registre a beau être compréhensible, il n’en est pas moins insuffisant. À l’époque où je vis le film pour la première fois, il n’y avait pas d’alternative. Le premier enjeu majeur du présent article sera d’analyser les actes mis en œuvre dans cette forme de mort, le processus de négociation qu’elle implique, son rapport à l’évidence du langage du choix ainsi que les multiples significations qu’on peut y saisir, à l’aide du concept barthésien de « Neutre », ou plutôt de désir de Neutre, cette quête d’un mode d’engagement sémiotique qui élude ou brouille les oppositions binaires, tel le paradigme choix/obligation.

4Le second enjeu d’importance de l’article sera de rendre visible un problème éthique et esthétique relatif aux gestes du suicide assisté tels qu’ils apparaissent dans le film : comment saisir, non seulement la part de détermination et d’indétermination pragmatiques propres à cette façon de mourir, mais aussi sa part de détermination et d’indétermination sémiotiques ? Il me semble que les gestes observables dans le film, autour de la mort de Peter, renvoient le spectateur à une double tradition iconographique qui permet de conférer une dimension supplémentaire au suicide assisté, celle d'être une reconfiguration de l’expérience du trépas. Il s’agit de l’iconographie de la compassion et de la lamentation, dont l’articulation, la forme et les significations peuvent être appréhendées à l’aide de l’idée de Neutre. Afin de saisir leurs enjeux éthiques par rapport à ces traditions gestuelles, j’interpréterai le mouvement et les gestes du trépas dans le cas particulier de Peter, tels qu’ils sont donnés à voir dans le film.

Madame, Monsieur

5Dans une belle chemise jaune portant l’étiquette « Soins médicaux », entre des courriels échangés avec des amis, des documents médicaux, des lettres envoyées à des juristes ou des échanges avec « Dignitas – Vivre dignement – mourir dignement » (ci-après Dignitas), l’association qui a aidé Peter à mettre fin à ses jours, j’ai trouvé la lettre suivante :

Le 9 novembre 2010
Madame, Monsieur,
En mars 2009, on a diagnostiqué chez moi la maladie du neurone moteur […]. Il n’existe aucun traitement contre cette maladie et aucune guérison n’est envisageable […]. C’est une maladie incurable qui atteint les fonctions respiratoires et mène à la perte de la mobilité et de la parole, entre autres manifestations dégradantes et invalidantes. N’ayant nullement le désir ou l’intention de supporter des symptômes aussi humiliants et désagréables, j’ai naturellement recherché des moyens d’échapper à cette situation intolérable par une mort digne. Pour des raisons qui me paraissent évidentes, la décision de mourir dignement me paraît la meilleure et la moins lourde de conséquences éprouvantes pour toutes les personnes concernées, et surtout pour moi-même. […]

  • 2 Fondée en 1998, « Dignitas – Vivre dignement – Mourir dignement » est une association à but non lu (...)

6Hôtelier à la retraite, Peter était entré en contact avec Dignitas quinze mois auparavant. Il est parti pour Zurich un mois après la rédaction de cette lettre, avec sa femme Christine, mais sans leur fille, afin d’aller mourir dans les locaux de Dignitas, une association qui, entre autres services, offre une assistance à la mort volontaire2. Peter regrettait d’avoir à se rendre en Suisse. Il était très critique à l’égard de la société britannique, quant à son incapacité à remettre en question le caractère punitif de la loi sur le suicide assisté, toujours illégal au Royaume-Uni malgré quatre-vingts ans de campagnes actives en sa faveur. Afin d’apporter un nouveau souffle au débat, Peter a accepté de participer à un documentaire sur son propre suicide assisté ; il fut produit par la BBC et diffusé l’année qui suivit sa mort (Russell & Pratchett 2011).

7C’est à travers ce documentaire que j’ai découvert quelles avaient été la vie et la mort de Peter. En octobre 2015, j’ai contacté Christine pour lui demander si elle accepterait de parler de la décision de son mari. Elle m’a donné son accord, tout en précisant qu’elle avait refusé toutes les demandes des journalistes qui l’avaient sollicitée après la diffusion du documentaire. L’une des raisons pour lesquelles Christine a accepté de me parler et de me laisser consulter les archives de son mari, et notamment les dossiers où il consignait ses réflexions personnelles, tient peut-être au fait que Peter voulait soumettre ce qu’il considérait comme une « situation absurde » au regard « du plus grand nombre possible des membres de la société ». Lorsque nous nous sommes rencontrés, sur deux jours en décembre 2015, à son domicile sur l’île de Guernesey, je lui ai expliqué que ce qui m’intéressait, c’était la spécificité de la décision de Peter dans le cadre plus large d’une recherche sur l’aide au suicide. Il m’a semblé que nous nous étions bien entendus sur ce que je me proposais de faire : tenter de comprendre comment des personnes, touchées par différentes maladies, et les associations auxquelles elles s’adressent parviennent à s’accorder sur le fait que la mort volontaire de la personne malade est à la fois justifiée et possible. Par ailleurs, je lui expliquai que mon but était de mettre à jour les significations possibles de cette façon de mourir étant donné les obstacles politiques et juridiques érigés à son encontre dans la majorité des pays.

  • 3 Au fil de nos échanges de courriels, M. Luley a insisté sur la chose suivante : « Il y a un critèr (...)

8J’ai principalement pris appui sur le documentaire, tant pour comprendre comment son implication dans le processus médical a permis à Peter de former sa décision de mourir que pour observer de quelle manière s’est terminée sa vie. Au lieu de restituer les négociations entre Peter et Dignitas dans leur intégralité, j’ai préféré me concentrer sur deux situations d’interaction données à voir dans le documentaire car celles-ci permettent de s’interroger sur la détermination, l’indétermination et sur les significations ouvertes propres à cette modalité du trépas : il s’agit de l’examen clinique et du moment de la mort. Silvan Luley, membre de Dignitas, a eu l’amabilité de m’expliquer que « la première étape, et la plus importante, est l’examen de la demande par l’association. Toute demande formulée par un membre est examinée par l’association avant d’être soumise à l’appréciation d’un ou de plusieurs médecin(s) suisse(s) indépendant(s), c’est-à-dire non employé(s) par l’association3 ». Néanmoins, ce n’est pas sur cette étape que j’ai choisi d’axer mes observations. Les moments-clés que j’ai retenus sont préfigurés et prennent leur sens dans et par l’histoire et le portrait de Peter, dont j’ai eu connaissance, grâce à la générosité de Christine, par les documents relatifs à son dossier médical et aux négociations menées avec l’association, éléments soigneusement archivés par Peter lui-même.

  • 4 Le lecteur aura compris que j’ai volontairement omis certains détails concernant Peter, son âge ou (...)

9Avant de passer à l’histoire de Peter, il faut dire un mot sur le déroulement du documentaire et sur le choix de Peter en tant que participant-clé. Le film a été réalisé par Charlie Russell, jeune documentariste britannique dont le premier film portait sur sa grand-mère, la romancière Dame Beryl Bainbridge, aux prises avec la « malédiction » de sa dernière année d’existence – elle était convaincue que, comme tous les autres membres de sa famille, elle mourrait à l’âge de 71 ans. Par la suite, Russell a tourné un film sur un autre auteur, Sir Terry Pratchett, qui dut vivre avec le spectre de sa mort dès lors qu’il se sut atteint de la maladie d’Alzheimer. À la suite de ce film, Pratchett a commencé à envisager le suicide assisté en Suisse comme une voie de sortie possible. Pratchett et Russell ont alors collaboré en vue de trouver quelques citoyens britanniques dont la candidature avait été agréée par Dignitas. Cette association écrivit à tous ses membres britanniques afin de leur demander s’ils accepteraient qu’une personne malade songeant à la possibilité du suicide assisté les suive jusqu’en Suisse. Peter avait bien connu Pratchett durant leurs jeunes années, à l’époque où il était propriétaire d’un hôtel 5 étoiles dans le comté du Somerset, le Ston Easton Park, qu’il dirigeait avec sa femme Christine4. J’ai aussi appris que les deux hommes avaient l’habitude de plaisanter ensemble, avec une bonne dose d’humour morbide, sur la façon dont ils mettraient fin à leur vie s’ils étaient un jour atteints d’une maladie incurable.

Trois observations

10En décrivant de nouveau les expériences vécues par Peter, ses récits et même ses gestes, qui ont déjà été médiatisés et exprimés, fût-ce partiellement, sous la forme d’un documentaire, en reprenant ses archives et ses échanges personnels ainsi que le récit de sa vie et de sa mort raconté par Christine, mon objectif est de m’interroger sur la façon d’appréhender une mort volontaire, un événement dont la signification semble « évidente », pour reprendre le terme employé par Peter lui-même. Mon objectif est d’examiner, même à travers une reconstruction après-coup, sa décision et sa manière de mourir. Trois observations de Peter présentent à mes yeux un intérêt tout particulier car elles me permettent de clarifier certains des enjeux de mon enquête sur le sens conféré aujourd'hui au suicide assisté : (1) il souffrait d’une maladie incurable qui allait le faire mourir dans des conditions qu’il a décrit lui-même comme « désagréables et humiliantes » ; (2) à ses yeux, trouver « un moyen d’échapper » à son sort était la meilleure solution pour tout le monde et surtout pour lui-même ; (3) le recours à une « mort digne » était une « évidence » étant donné la situation.

11Chacune de ces observations tirées de la lettre de Peter constitue un thème d’enquête en soi. Il faut tout d’abord souligner qu’il n’est pas obligatoire pour les associations suisses d’aide au suicide qu’une maladie soit incurable et mortelle – « en phase terminale », comme on dit souvent – comme ce fut le cas pour Peter. Même si la question n’est pas traitée dans le présent article, il importe de se demander quelles maladies, et quelles expériences de la maladie, justifient l’assistance et aux yeux de qui elles la justifient. Je me contenterai ici d’affirmer (plutôt que de démontrer) qu’il n’existe pas de norme médico-morale réglant l’agrément des demandes, hormis cette double limite : la personne requérant l’aide doit être capable de « discernement » et doit pouvoir procéder au suicide par elle-même et sans aide (boire le médicament létal contenant un barbiturique soluble dans l’eau, ouvrir la soupape d’une perfusion, ou encore mettre en marche la pompe qui permet d’injecter le médicament dans la perfusion). Les personnes présentes doivent pouvoir constater que la personne a elle-même mis fin à ses jours ; autrement dit, il faut que l’acte puisse être qualifié de suicide, au sens juridique du terme, d’une personne raisonnable – cette qualification est ensuite soit approuvée soit contestée par les instances prenant en charge les conséquences médico-légales du geste (la police, les médecins légistes, et le procureur qui doit ouvrir une enquête à l’issue de chaque suicide et ne classer l’affaire qu’après avoir établi qu’il s’agit bien d’un suicide assisté conforme à la loi).

12Ainsi, d’une part, selon le type de situation, de maladie, selon les personnes collaborant avec les associations d’aide au suicide, en fonction des cantons et de la période, le niveau d’exigence est plus ou moins élevé en matière de justification et de preuves à fournir pour que les conditions du suicide assisté soient réunies. La quantité de « preuves » exigée pour démontrer le degré d’avancement exact de la maladie varie également, de même que les jugements portant sur le stade auquel la maladie doit être parvenue pour justifier l’aide au suicide. Le premier médecin suisse qui a examiné le dossier de Peter, par exemple, a souhaité pouvoir disposer de bilans neurologiques plus récents afin d’avoir une idée plus claire du degré et de l’état d’avancement de la dégénérescence neuronale avant de donner son « feu vert provisoire ». D’autre part, se pose la question de savoir si les motifs invoqués par la personne qui demande assistance pour mourir – en étant en pleine possession de ses moyens et en ayant encore toute sa raison – sont acceptables pour celles ou ceux qui l’accompagnent dans sa démarche. Une telle demande, tout comme son acceptation, relèvent pleinement du domaine éthique de l’appel à la compassion humaine, à la bienveillance ou à la miséricorde. Cette hétérogénéité et cette ouverture sur des questions éthiques appellent une réflexion portant sur deux questions essentielles : qu’est-ce qui détermine le jugement offrant la possibilité à une personne de mettre fin à ses jours ? Qu’est-ce qui donne son sens à un tel jugement, pour peu que cela soit possible ; autrement dit, quelle est la signification de cet acte ?

  • 5 J’ai décidé d’utiliser de façon délibérée les trois termes « choix », « décision » et « jugement » (...)

13Peter estimait que le suicide assisté valait mieux pour tout le monde et avant tout pour lui. Comment est-il parvenu à cette conclusion ? Est avant tout à l’œuvre ici un modèle de prise de décision centré sur l’individu, modèle dans lequel on privilégie le langage du « choix ». Les enquêtes de terrain ont montré que ce modèle était un facteur-clé pour l’auto-compréhension des personnes engagées dans cette pratique. Et pourtant, il est incomplet. Prendre la « décision » de mourir est compris en premier lieu comme un « choix » personnel, terme dont l’étymologie remonte à une racine proto-indo-européenne signifiant « goûter ou tester » ; mais opter pour une forme de mort à l’exclusion d’une autre constitue aussi un jugement, au sens où la personne discerne et attribue une qualité ou un caractère particulier à une situation qui implique nécessairement d’autres personnes5. La nature extra-individuelle d’une telle détermination peut être abordée de deux manières, sans qu’on lui ôte pour autant son caractère individué : en me référant à la biographie de Peter, je me demanderai en quoi la décision de ce dernier comporte des déterminants extra-individuels qui l’ont amené à émettre un jugement, lequel a pu être partagé avec d’autres personnes. Pour ce qui regarde l’assistance au suicide, je m’interrogerai sur les arrangements et les négociations entre parties qu’exige la situation au cours de la période précédant l’acte lui-même. Enfin, en observant l’acte à proprement parler, en vue de lui attribuer un sens, il faudra prendre en considération la signification qui lui est donnée par la personne elle-même, sans oublier que celle-ci dépend également des autres, en premier lieu des personnes impliquées directement, mais aussi de celles qui verront le film, qui liront les comptes rendus dans la presse à la suite de la diffusion du film, et même de celles qui liront mon article.

Un mécanisme suisse

  • 6 Je remercie Silvan Luley qui m’a donné accès à la version anglaise du Code pénal suisse où j’ai tr (...)

14Je voudrais à présent mettre en lumière la façon dont les dispositifs (incluant les personnes et les choses) doivent s’agencer à l’heure actuelle, en Suisse, pour qu’une personne ait l’autorisation de mettre un terme à sa vie avec l’aide d’autrui. Le cas de la Suisse est particulier ; il diffère de celui de plusieurs États américains et des pays du Benelux au sens où l’aide au suicide y est soumise à une disposition légale non inscrite dans le droit positif : de fait, il n’existe pas de critère positif pour déterminer s’il est légal d’aider une personne à mettre fin à sa vie de manière active. Ce cadre juridique favorise les associations d’aide au suicide depuis les années 1980, notamment à travers l’article 115 du Code pénal suisse, lequel stipule que l’assistance au suicide n’est réprimée qu’en tant qu’elle est inspirée par un mobile « égoïste6 ». Cette stipulation – issue des débats qui eurent lieu entre juristes à la fin du xixe siècle, au moment de la rédaction par l’Assemblée fédérale de la Confédération suisse de son Code pénal, ratifié en 1937 et entré en vigueur en 1942 – fait de la Suisse une exception parmi les pays européens où, dans la majorité d’entre eux, l’aide au suicide, même pour des raisons honorables, reste un crime.

15La législation suisse n’impose aucune disposition particulière pour ce qui concerne les moyens ou le lieu du suicide assisté ; aussi l’immense majorité des décès surviennent-ils dans des résidences privées, soit dans les habitations des citoyens suisses, soit dans les appartements des associations qui ouvrent leurs services aux étrangers. Une pratique s’est néanmoins développée de facto au milieu des années 1990 : la remise d’une dose mortelle de barbiturique à effet rapide par un « accompagnant », délivrée uniquement sur ordonnance d’un médecin suisse. La Suisse a donc la particularité d’avoir accueilli une pratique d’assistance à la mort volontaire qui repose sur l’autorité médicale pour la mise en œuvre du suicide, sans pour autant être nécessairement encadrée par des institutions médicales. Cette pratique inclut l’intervention d’une série de supports permettant de déterminer si la personne peut mettre fin à sa vie et dans quelles conditions.

16On peut en identifier trois qui ont été mis en place à la fin des années 1990 pour toutes les associations :

  1. L’expertise : l’ingestion d’une dose létale de barbiturique est la solution préférée des patients. Aussi les associations font-elles appel à la collaboration et au jugement de médecins : ceux-ci demandent à pouvoir consulter le dossier médical afin d’avoir une indication des progrès de la maladie ainsi que des traitements suivis ; ils demandent aussi parfois un « certificat médical » indiquant l’appréciation de la situation par le médecin traitant ; ils ont enfin besoin de l’accord écrit du médecin suisse qui rédigera l’ordonnance.
  2. L’accompagnement : l’aide au suicide proposée par ces associations implique toujours la participation d’au moins un accompagnant agissant pour le compte de l’association (chez Dignitas, ils sont toujours deux). L’accompagnant est en général une personne distincte du médecin qui fait l’ordonnance – Dignitas impose une règle à ce sujet (cf. note 2). Dans les associations qui n’accueillent que des citoyens suisses – c’est le cas de l’Exit Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) –, l’accompagnant prenant en charge le suicide assisté peut entretenir une relation « suivie » avec la personne qui a émis le souhait de mourir ou bien une relation plus « ponctuelle » avec elle. Cela signifie que dans certains cas, les accompagnants communiquent de façon régulière avec la personne qui demande de l’assistance, en se rendant chez elle par exemple, ou en l’encourageant à vivre un peu plus longtemps. Pour d’autres accompagnants, il n’est pas question d’aller aussi loin dans la relation avec le patient ; aussi préfèrent-ils restreindre leur intervention à l’événement lui-même (Graber 2012). Ainsi, l’accompagnement, le « befriending » – du nom de l’association britannique pour l’accompagnement de la fin de vie7 –, peut être de très court terme et se réduire à deux ou trois rencontres. Il peut au contraire se dérouler sur une longue période, durant laquelle le malade téléphone périodiquement afin de discuter de l’assistance au suicide, après quoi il peut éventuellement renoncer à son projet et tout aussi bien faire une nouvelle demande par la suite. Bien qu’il soit difficile de généraliser et de formaliser des principes qui s’appliqueraient à toutes les associations et à tous les cas de figure, disons simplement que l’association prépare certains documents à l’intention de la police avec l’aide de l’accompagnant, tandis que ce dernier soumet un formulaire de consentement à la personne et lui en explique la teneur avant de le lui faire signer. Quant à l’ordonnance de la dose létale de barbiturique, il n’est pas possible, là non plus, de tirer de généralités car chaque association a son fonctionnement propre. Chez Dignitas, le personnel administratif reçoit l’ordonnance et la confie à l’accompagnant qui peut alors se procurer le barbiturique dans une pharmacie (si cela n’a déjà été fait par un membre de l’administration). L’accompagnant appelle la police une fois que le suicide assisté a eu lieu. On peut résumer cette mission d’accompagnement en disant qu’elle manifeste une sollicitude face à la mort d'un autre.
  3. Le récit : au fil des rapports existant avec la personne qui rédige l’ordonnance, avec celle qui l’accompagne, avec celles qui travaillent dans les bureaux de l’association, le malade qui demande de l’aide pour se suicider est invité à produire un récit exposant son désir de mourir8. Plus précisément, la personne demandant assistance doit être en souffrance au point que le récit de ce qu’elle vit justifie une aide au suicide. Dès lors qu’une personne demande qu’on l’aide à mourir, les récits qu’elle produit quant à son expérience de la maladie sont placés en regard du réseau de relations, notamment de parenté et d’amitié, dont se constitue sa vie.

17En Suisse, l’assistance au suicide est une pratique que la loi n’encadre pas de manière positive (elle ne précise ni comment on doit procéder, ni qui peut apporter son assistance, ni quelles raisons doivent inspirer la demande), mais elle ne l’interdit pas de manière catégorique. L’incitation à produire un récit, l’apport de l’expertise et le travail d’accompagnement peuvent, sous certaines configurations, faire surgir le moment critique où il sera décidé d’une date pour permettre au malade de mettre fin à ses jours.

Le choix de Peter

18Sur le chemin du retour entre l’aéroport et son domicile, Christine a commencé à replacer le choix de Peter dans le contexte de son histoire familiale : « Quelques années avant que Peter ne tombe malade, nous avions décidé de faire l’arbre généalogique de sa famille. Je lui avais dit : “Regarde, aucun homme de la famille n’a vécu au-delà de ses 72 ans”. Son propre père était mort à 70 ans. » Les symptômes sont apparus chez Peter quand il avait 69 ans. Christine m’a ensuite expliqué ce que la mort du père de Peter avait signifié pour eux : il était mort dans un hôpital du Sussex, en Angleterre. À la suite d’un accident de voiture, il s’était retrouvé à l’hôpital ; la gangrène s’était installée dans sa jambe et c’est apparemment cette infection qui avait causé sa mort. D’après la mère de Peter, cet accident était dû à l’alcoolisme, ce que son mari avait nié jusqu’à la fin ; il disait qu’il ne buvait pas. Il tombait souvent, dans les escaliers, dans la cuisine, exactement comme Peter par la suite.

19Christine m’a expliqué qu’avec Peter, ils s’étaient dit qu’un médecin perspicace avait en fait compris la cause réelle de l’accident de voiture et qu’il s’agissait de cette même maladie devant toucher Peter à son tour. Ils en déduisirent que le médecin en question avait offert à son patient une porte de sortie. Ce qui leur avait mis la puce à l’oreille, c’est que la nuit précédant sa mort, le père de Peter s’était fait livrer un repas spécial : il avait convié sa famille et ses amis, et le lendemain matin, il était mort. Sans établir de lien causal direct entre ces événements et le choix de Peter, je note simplement combien il a été important pour Christine de pouvoir replacer la décision de son mari dans le contexte de leur interprétation commune quant à la nature de la mort du père : après ce qui s’était passé, mettre fin à sa propre vie de manière volontaire apparaissait comme une issue possible et raisonnable dont le sens résidait, non seulement dans l’exemple donné, mais aussi dans le contraste entre ce type de mort et la douloureuse agonie de sa mère morte à l’hôpital. De fait, plus nous parlions et plus je découvrais le caractère de Peter, plus sa biographie et les paramètres de son histoire personnelle semblaient, sinon « expliquer » son choix, du moins apporter les éléments nécessaires à une description exacte de la façon dont une telle mort volontaire devint « pensable ».

20Au cours de l’année 2008, les symptômes Peter commencèrent à empirer :

« Il me disait souvent : “Peux-tu me soutenir, chérie ? Est-ce que je peux m’accrocher à ton bras ?” Je lui répondais : “Bien sûr”, parce qu’il me disait : “Mon pied droit accroche”. Mais bien sûr, c’était le signe qu’il avait la maladie du neurone moteur. Par la suite, Peter s’est mis à faire très attention quand il marchait, exactement comme faisait mon beau-père. Je crois que c’était pour s’assurer que son pied n’accrochait pas, pour essayer de contrôler ce pied qui ne lui obéissait plus ; jusqu’au jour où Peter a été convoqué par les médecins et les spécialistes qui lui ont dit qu’il avait la maladie du neurone moteur. »

21En mars 2009, après plusieurs mois de tests et d’examens contradictoires, on lui présenta le diagnostic. Au début, comme il ne voulait plus parler de sa maladie avec les médecins, Christine communiquait avec eux et se chargeait de lui transmettre les informations sur les interventions qui allaient se révéler nécessaires. Les médecins qui le soignaient envisageaient déjà le moment où il faudrait sans doute mettre en place « une gastrostomie endoscopique percutanée (GPE) ainsi qu’une ventilation non invasive ». Dans son rapport, un médecin conseille à Christine « d’essayer d’aider son mari à se faire une opinion à l’avance quant à ces possibilités ». La GPE et la ventilation deviennent nécessaires lorsque le système nerveux et la tonicité musculaire se dégradent. En même temps qu’il prenait connaissance des interventions médicales possibles, Peter fut contacté par un ergothérapeute local qui lui proposait de l’aide pour adapter la maison aux besoins que le développement de la maladie occasionnerait sans doute. L’ergothérapeute signale dans un rapport du mois d’avril que Peter n’est pas prêt à accepter la visite de son équipe à l’époque. Par ailleurs, « il doute qu’on puisse faire grand chose pour lui dans la mesure où son état ne s’améliorera pas ».

22En juin 2009, cependant, Peter changea légèrement d’attitude : il demanda à son médecin si les services d’ergothérapie pourraient lui donner une estimation de l’aide qu’ils pourraient lui apporter. Par ailleurs, le chef de service prescrivit des tests pour évaluer l’état de ses fonctions respiratoires et le besoin futur d’interventions concernant la ventilation. En juillet, Peter contacta le Medical Research Council Centre for Regenerative Medicine. Il les remercia pour leur dernier rapport et conclut de leur réponse que même si la recherche avançait, on ne savait pas comment ralentir ni guérir cette maladie.

23Christine m’a raconté qu’on avait recommandé à Peter la lecture d’un long article sur la maladie et sur les stratégies à mettre en place pour la gérer :

« J’ai lu cet article d’un bout à l’autre et je me suis dit que ce que nous allions traverser allait être vraiment très difficile. Il l’a lu à son tour. Au dos du fascicule, il y avait des trucs où l’on vous disait de consigner vos chutes et de noter ceci et cela. Il l’a lu et puis il l’a jeté à la poubelle. Je lui ai dit : “Mais pourquoi l’as-tu jeté ? Tu ne veux pas remplir les trucs ?” Et il m’a répondu : “Non, c’est ça qui m’a décidé, je ne vais pas endurer ça jusqu’à la fin”. »

24Peter a contacté Dignitas en août 2009.

25Il avait pris sa décision. Il a commencé à organiser son décès en août 2009 et il est mort par suicide assisté le 10 décembre 2010. Toutefois, ce qui est remarquable, c’est la façon dont cette décision s’est formée par médiateurs interposés. D’une part, il ne pouvait pas agir seul, et il ne l’a pas fait : il a tout d’abord fallu négocier avec l’association afin de faire accepter sa demande ; Peter a ensuite accepté que sa mort soit filmée, ceci dans le but de faire naître une réflexion, tant dans la sphère publique que privée, sur le problème de l’aide au suicide ; troisièmement, en regardant le film, on peut constater à quel point le choix de Peter et sa signification se sont élaborés grâce à la médiation de son entourage, et principalement de sa famille, que ce soit au cours du voyage vers la Suisse ou lors de son passage de la vie à la mort. D’autre part, Peter avait besoin de son autonomie, dans la mesure du possible, et de la reconnaissance de cette autonomie pour se comprendre lui-même et pour comprendre sa démarche.

Le Neutre

26Avant de nous intéresser aux étapes d’un cheminement vers une mort volontaire, il me semble important de relever que les efforts de Christine pour ancrer le choix de Peter dans l’histoire familiale, en regard du précédent de la mort de son père, incitent à ne pas prendre les propos de Peter pour argent comptant lorsqu’il prétend que son choix est « évident ». La description des gestes du trépas dans la dernière partie du présent article mettra d’ailleurs en évidence des significations hétérogènes pour l’observateur. Sans remettre en question le fait que c’était bel et bien son choix, on peut tout de même s’interroger sur « l’évidence » de ce choix, et sur l’évidence en soi de sa signification, en adoptant une approche que Roland Barthes a appelée le « Neutre » ou le « désir de Neutre » – c’est-à-dire une approche qui élude, contrarie ou brouille les oppositions logiques ou signifiantes (par exemple, digne/indigne). Le dispositif gestuel, le discours, le langage, le corps et l’attitude se rapportant au choix et à la nécessité peuvent être envisagés de façon « neutre », comme des ensembles d’activités gestuelles plutôt que comme des compositions abouties faites de « messages » globalisants, évidents, qu’on pourrait résumer, emballer proprement et transmettre. À la suite de Barthes, je tenterai d’appréhender les gestes et le discours autour du suicide assisté sur le mode du neutre, au sens où il s’agit de déjouer des oppositions paradigmatiques, d’observer et, dans le même temps, de refuser d’acquiescer au message évident ou imposé d’un récit, d’un geste ou d’un acte : cette approche prépare le terrain à la quête de la dimension éthique que peut revêtir une démarche laissant toute sa place aux discordances et aux indéterminations. Le « désir de Neutre » barthésien peut nous aider à comprendre le suicide assisté comme une façon de mettre fin à l’existence qui n’est pas tout à fait la mort. Quitter la vie, ce n’est pas exactement la même chose que mourir : il n’y a pas d’isomorphisme entre le fait de mettre fin à sa vie et de chercher à mourir. Barthes exprime cette idée en termes tranchants :

« Il semble bien que, dans la mort, ce qui est essentiellement tabou, c’est le passage, le seuil ; le “mourir” ; la vie et la mort sont des états relativement classés, ils entrent d’ailleurs en opposition paradigmatique, ils sont pris en charge par le sens, ce qui est toujours pacifiant ; mais la transition des deux états, ou plus exactement, comme ce sera le cas ici, leur empiétement, déjoue le sens, engendre l’horreur : il y a transgression d’une antithèse, d’une classification » (Barthes 1985 : 342).

27Le Neutre ne constitue donc pas le troisième terme s’adjoignant à une opposition sémantique vie/mort, espoir/désespoir ; il est le second élément d’une série dont il reprend un premier élément, en l’occurrence la caractérisation d’une forme et d’une expérience d’effondrement pragmatique et sémiotique. Nous allons explorer cette voie, en observant dans un premier temps le moment où Peter choisit de mourir, et celui où il se trouve au seuil de la mort dans un second temps.

Une scène d’évaluation

28La scène qui suit est tirée du documentaire dans lequel Peter a accepté de figurer. Elle fait partie des documents qui gardent la trace du processus médiateur ayant scellé la décision de Peter. Je tiens à préciser qu’en fondant sur ce film l’analyse de ce processus jusqu’au suicide assisté de Peter, j’ai bien conscience que son objet est déjà « mis en scène » dans la mesure où, d’une part, le film lui-même offre un point de vue particulier sur le processus et où, d’autre part, les choses auraient pu se passer différemment en l’absence de caméra. Ce dernier point est d’une importance toute particulière pour l’analyse de la scène du trépas.

29Peter rencontre le médecin associé à Dignitas dans la chambre d’hôtel que le couple occupe. Dans le film, on voit le médecin évaluer l’état de santé de Peter : elle évalue ses capacités physiques en vérifiant par exemple s’il est capable de se lever de son fauteuil par lui-même. Elle évalue aussi son état psychologique. On est en décembre, et le spectateur ignore que Peter passe alors la plupart de son temps dans un fauteuil roulant – ce que le film ne montre jamais car, selon Christine, Peter ne voulait pas qu’on le voie aussi lourdement handicapé.

30« Vous êtes-vous senti, euh, déprimé au cours de votre maladie ?
– Non, je ne suis pas sujet à la dépression en général. » Peter marque un temps d’arrêt et regarde vers le sol.
« Bien sûr, j’ai eu des hauts et des bas, mais je ne dirais pas que c’était de la dépression. » L’examen se poursuit ; le médecin vérifie que Peter est capable de tenir un verre et d’avaler son contenu sans aide. Elle le regarde faire, avant de conclure :
« Parfait. Vous n’aurez aucun problème. À présent, je voudrais que vous réfléchissiez encore. »

31Le lendemain, le médecin revient pour un nouvel examen qui doit déterminer si Peter peut obtenir son accord définitif de sorte que le suicide assisté puisse avoir lieu le jour même, s’il le souhaite. Elle commence par des généralités sur le problème de la décision.
« Lorsque je rencontre des personnes touchées par ce type de maladie, il m’est très difficile de décider si c’est le bon moment pour partir. Si je dis non, vous devez repartir chez vous. Vous ne pourrez pas mourir.
– Entendu. » Peter incline la tête avec respect. « Oui, je comprends ce que vous dites, et je… »
Le médecin reprend : « Vous seul pouvez décider si c’est le bon moment. Êtes-vous sûr de vouloir aller jusqu’au bout ?
– Oh oui, je n’en ai jamais douté un seul instant.
– La décision est-elle le fruit de votre propre réflexion ou bien est-ce le résultat des conversations que vous avez eues avec votre femme ?
– Oh non, ce sont mes propres conclusions. »
Christine intervient. « S’il m’écoutait, il passerait Noël à la maison. »
Le médecin intercède : « C’est incroyable, mais les choses sont beaucoup plus faciles pour celui qui peut choisir de partir que pour ceux qui doivent lui survivre.
– Oui, je peux le comprendre, confirme Peter.
– Évidemment, je ne veux pas qu’il s’en aille et donc, je sens que ça va être dur pour moi, mais je crois que ce sera un grand soulagement pour toi », explique Christine.

32Le médecin a ménagé un espace de sorte que Christine se trouve incluse dans l’examen. Cette dernière répond à l’invitation et réoriente la conversation suivant son propre point de vue et ses sentiments envers Peter. Le médecin replace Christine, en tant que tierce personne, au centre de l’attention en s’adressant à Peter :
« Elle voudrait que vous attendiez.
– Oui, répond Peter.
– Oui, dit le médecin.
– Je sais que c’est ce qu’elle voudrait, ajoute-t-il.
– Peter a tout de même été ma moitié pendant plus de quarante ans, et ce sera un terrible arrachement.
Oui », se contente d’affirmer Peter sur un ton empreint de pathétique.

Une consultation non-conventionnelle

33Ces séquences sont bien loin des consultations médicales classiques : ces deux rencontres se déroulent dans un hôtel et ce seront les seules à avoir lieu entre Peter et son médecin. Peut-on dire de Peter qu’il est un patient et que cette relation est celle qui lie un médecin à son patient ? Bien entendu, le médecin a lu la demande formelle adressée par Peter à Dignitas, laquelle comprend une lettre personnelle, un CV, ainsi que son dossier médical ; le médecin est donc informé de la situation personnelle et médicale de Peter. L’indétermination propre à la relation qui les lie s’exprime à travers la transformation qui s’opère entre la première et la seconde rencontre. Première chose que nous remarquons, la catégorie médicale de la « dépression » conditionne la possibilité d’un verdict positif en faveur du suicide assisté. La question est directe, comme le sont les conséquences des réponses, affirmatives ou négatives. Si Peter déclare qu’il est déprimé, ce pourrait être une raison de suspendre le processus qui le conduit au suicide assisté. Nous n’avons aucune raison de douter de la réponse de Peter. C’est plutôt la situation qui est frappante, la façon dont les pensées de Peter au sujet de sa maladie sont à la fois sollicitées et qualifiées : avoir « des hauts et des bas » face à la maladie du neurone moteur est une réaction acceptable ; en revanche, un état de dépression serait une raison pour remettre en question la demande d’aide au suicide.

34Lors de la première rencontre, il est procédé à une double vérification : Peter est-il déprimé ? Peut-il accomplir l’acte lui-même (boire la solution létale) ? En d’autres termes, est-il à la fois un être raisonnable et un agent ? Lors de la seconde rencontre, un nouvel élément survient, qui n’est pas réductible au jugement médical ni au problème de l’agent rationnel : il s’agit de savoir qui peut juger et comment se forme le jugement. Si la première rencontre place au premier plan l’autorité médicale, et donc la responsabilité du médecin qui permet l’achat du médicament en s’assurant que la personne peut le prendre seule, à l’inverse, celles-ci sont mises en retrait durant le second entretien.

35Le médecin dit clairement qu’il lui est « difficile de décider » si, pour Peter, le moment est bien choisi pour mourir. Son intervention de la veille, lors du premier entretien, a donc eu pour objet de confirmer la possibilité d’une aide au suicide en rappelant le diagnostic médical et en concluant que Peter pouvait mettre fin à sa vie selon l’avis médical : en d’autres termes, Peter a à la fois une bonne raison de le faire et se retrouve en capacité de le mettre en œuvre, ce qui laisse place à l’indétermination quant à la décision de procéder ou non au suicide. La sincérité et l’étiologie de sa demande ont été évaluées selon une catégorie médicale qui en qualifie la réalité. Il appartient ensuite à Peter de décider si c’est le bon moment. Le test qui établit la réalité de la demande doit repasser par le demandeur qui seul peut prendre la décision.

36On pourrait penser que la décision est à l’évidence individuelle. Il est cependant intéressant d’observer combien Christine se trouve impliquée dans l’examen de l’intention de son mari. Le médecin responsable de la délivrance de l’ordonnance du barbiturique joue un rôle médiateur – quoique limité –, que ce soit face à la demande de Peter d’en finir avec sa maladie ou face au souhait exprimé par Christine de voir son mari passer les fêtes de Noël à la maison. On voit également à quel point Christine est intégrée à l’examen au moment où est évaluée la sincérité de Peter : « La décision est-elle le fruit de votre propre réflexion ou bien est-ce le résultat des conversations que vous avez eues avec votre femme ? », lui demande le médecin. On peut considérer que la conjonction de coordination « ou » exprime la cristallisation d’une conception abstraite de la personne et de la liberté : soit Peter n’écoute que lui-même, auquel cas il est un individu autonome, soit il écoute sa femme, auquel cas son autonomie peut être remise en question en raison d’une contrainte extérieure ; aussi précise-t-il qu’il s’agit de ses « propres conclusions ».

37La réponse de Peter est la réponse officielle d’un individu autonome. Elle a été sollicitée par une question, et sa véracité est confirmée. Toutefois, cette question ouvre un espace dans lequel les « propres conclusions » du malade peuvent être placées en regard d’un ensemble de personnes et de choses : en premier lieu, l’amour de Christine qui confirme qu’il ne l’a pas écoutée, puisqu’elle aurait voulu qu’il attende la fin des fêtes de Noël. D’un autre côté, c’est grâce à l’amour et au soutien de Christine, tant sur le plan émotionnel que physique, qu’il a pu mener son projet à terme. À travers la médiation prudente du médecin, la réaction de Peter et l’intervention de Christine, chacune de ces trois personnes joue un rôle dans la formation du souhait exprimé par Peter – elles permettent en outre de comprendre comment se forme un jugement en général. Le fait que trois parties différentes, occupant chacune une position distincte, participent à l’élaboration d’un jugement, et pas seulement à une prise de décision ou à un choix, est clairement évoqué à travers l’ensemble des déclarations qui invitent Christine à participer et à reconnaître que son souhait a été entendu, et son soutien reconnu.

38Bien qu’elle soit attribuée à Peter en dernier ressort, la décision est le résultat de l’évolution d’une situation dont l’issue n’est pas donnée à l’avance. Celle-ci aboutit au jugement qui donne à Peter la possibilité de mettre un terme à ses jours et met en évidence, pour les personnes présentes, les éléments extérieurs avec lesquels il est en rapport : (1) sa position d’époux à l’égard de sa femme, (2) son expérience de la maladie, (3) le portrait clinique de sa maladie (4) son évolution telle qu’elle est prévue, (5) la représentation que se fait Peter de ce à quoi ressemblera la fin de sa maladie, (6) Noël, (7) la perte que doit subir Christine s’il décide de mener à terme son projet.

Penser l’évidence

39Peter et Christine arrivent dans les locaux de Dignitas. Ils sont accueillis par deux accompagnants dont l’un, une femme, Erika, prend les choses en main. Comme l’a écrit Christine trois semaines après la mort de Peter, dans le formulaire d’évaluation que l’association lui avait transmis, dès l’instant où Peter a été accueilli, le couple s’est senti en confiance. L’accompagnante le prie de l’excuser de lui imposer des formalités administratives ainsi que quelques questions sur ses volontés : « Êtes-vous sûr de vouloir mourir ? », lui demande Erika. Il lui répond : « J’ai l’impression que le destin ne me laisse guère le choix ». C’est précisément ce sentiment de n’avoir « guère le choix » qu’on peut qualifier de neutre : le choix restreint brouille l’opposition entre liberté et obligation ; il équivaut à une neutralisation des discours et des prescriptions quant au fait de prendre position pour ou contre, d’être soit tout à fait sûr soit incertain (et se voir alors refuser l’assistance au suicide), d’être soit angoissé soit inébranlable, etc. Si l’on écoute Peter, son choix fut « évident » (il lui a apporté la paix) : mourir dignement était pour lui résolument signifiant ; c’était à la fois le résultat de sa volonté et d’une chose qui s’imposait à lui. C’est précisément ce caractère imposé qui justifie, à mes yeux, une approche neutre. La signification du geste, le fait qu’il impose un sens relève de l’évidence, de l’obvie ; le Neutre de Barthes nous permet de saisir le sens « latéral » ou « obtus » que revêt ce geste. Le sens obvie, nous rappelle Barthes, est symbolique et « intentionnel » ; il est « prélevé dans une sorte de lexique général, commun, des symboles ; c’est un sens qui me cherche, moi, destinataire du message » (Barthes 2002 [1970] : 488). Le sens obvie a son contrepoint, qui apparaît non pas à sa place mais plutôt en accompagnement de celui-ci, sans le défaire mais en permettant une approche différente de la scène observée.

40Dans ce qui suit, j’attirerai l’attention sur l’acte du suicide en tant qu’activité, geste qui reçoit une forme spécifique et incarne un sens obvie ; ce dernier n’est pas pour autant déterminé. Notons que le suicide assisté est une pratique peu commune. En tant que façon de mourir, elle reste illégale dans l’immense majorité des pays, ainsi que nous l’avons vu. C’est pourquoi il faut prêter particulièrement attention à la forme que revêt cette « assistance » au sens littéral, en plus des soutiens que constituent, non seulement l’examen médical, mais aussi l’affection prodiguée et la place occupée par les personnes présentes dans la construction de la détermination à mourir.

41Ce qui suit ne doit pas être pris comme un modèle exemplaire, mais plutôt comme l’observation d’une situation appréhendée de telle manière qu’on puisse y revenir. Du point de vue de Peter, rendre sa mort visible avait notamment pour but de remettre en question les contraintes politiques qui s’exercent à l’encontre de l’assistance au suicide au Royaume-Uni. Un examen attentif de ce qui se passe durant la scène où Peter meurt permet de caractériser plus finement les significations que revêt la situation.

Les gestes du trépas

42Il est important de rappeler que le film n’est pas seulement l’occasion d’une réflexion éthique et personnelle pour Terry Pratchett. Il a également été conçu pour donner de la matière au débat public sur le suicide assisté au Royaume-Uni : cette façon de mourir est relativement rapide (le processus dure en général moins de quarante minutes) et propre (le corps reste intègre, il ne perd aucune substance). Il faut souligner que c’est généralement le cas, mais il arrive aussi, de façon exceptionnelle, que les choses se passent différemment : la transition de l’état d’inconscience à la mort peut prendre de nombreuses heures ou, plus rarement encore, la personne peut vomir la solution médicamenteuse malgré l’anti-émétique habituellement administré avant l’ingestion pour préparer le corps à recevoir la dose létale de barbiturique ­– ce qui entraîne de sévères complications.

  • 9 Bien entendu, le pathos renvoie à la fois au domaine médical et au théâtre (Rabinow 1989 : 13). Il (...)

43J’ai extrait trois images (1, 2, 3) du documentaire afin de souligner l’enchaînement des gestes qui nous est présenté. Il me semble possible d’y saisir à la fois les significations obvies et les significations latérales de la scène en utilisant deux termes que j’emprunte à Georges Didi-Huberman et qui permettent de décrire le mouvement apparaissant à l’image : systole et diastole. Dans un article intitulé « Pathos et Praxis : Eisenstein contre Barthes » (2012), portant essentiellement sur le film de Sergei Eisenstein, Le Cuirassé Potemkine, qui date de 1925, Georges Didi-Huberman attribue la spécificité et l’originalité du mouvement des images chez le réalisateur russe à son usage d’un rythme double, comme une respiration. Les deux termes « systole » et « diastole » ont une dimension à la fois littérale et symbolique. À un premier niveau, on nous montre que s’accomplit, conformément à l’étymologie du mot, un mouvement diastolique de séparation et d’expansion vers l’extérieur ; réciproquement, avec le mouvement systolique, on observe une contraction, un resserrement. L’observation de ces mouvements littéraux s’accompagne de résonances iconographiques identifiables : on peut en effet opérer un rapprochement formel entre les mouvements observés dans ces images et les gestes iconographiques de la lamentation et de la compassion. Un tel rapprochement permet de repérer la forme donnée à cette expérience profondément émotionnelle : celle du pathos9.

44Il y a un premier mouvement diastolique dans l’image 1 où l’on voit le barbiturique produire son effet sur le corps de Peter. Il suffoque. Il est soutenu par l’accompagnante, Erika, qui attire Peter vers elle, dans un mouvement d’opposition symétrique au geste par lequel Christine se détourne de lui. Erika soutient Peter tandis que Christine (sur la gauche), faisant effort pour se contenir, s’écarte un peu : Erika place un mouchoir en papier sous la bouche de Peter au moment même où Christine de son côté se couvre la bouche d’un mouchoir. Ce premier mouvement, bref et dynamique, s’arrête et laisse place à un mouvement systolique (image 2), dans lequel la configuration se resserre et se referme : Christine se retourne pour prendre Peter dans ses bras tandis qu’Erika lui soutient la tête. Il est doublement enlacé. Erika et Peter tiennent ensemble le mouchoir tandis que Christine a cessé de tenir le sien sur sa bouche. Enfin, dans l’image 3, Peter a perdu connaissance ; Erika explique en termes simples à Christine ce qui se passe dans le corps de Peter et l’informe qu’il va bientôt mourir. Dans cette image, on voit l’entourage se redresser tandis que Peter est à présent soutenu par un coussin cervical placé sous sa tête par Erika. Le spectateur voit Terry Pratchett pour la première fois depuis le début de la séquence – il contemple la scène. Personne n’a pris de mouchoir bien que la boîte soit à portée de main. Le calme s’est installé tandis qu’ils attendent la mort de Peter.

Image 1 : Erika prend Peter dans ses bras une fois qu’il a ingéré la dose létale de barbiturique. Christine tente de garder son sang-froid.

Image 1 : Erika prend Peter dans ses bras une fois qu’il a ingéré la dose létale de barbiturique. Christine tente de garder son sang-froid.

Capture d’écran tirée du film de Charlie Russell, Terry Pratchett. Choosing to Die.

© 2011 Keo Films.

Image 2 : Christine et Erika se rapprochent pour prendre Peter dans leurs bras au moment où il commence à perdre connaissance.

Image 2 : Christine et Erika se rapprochent pour prendre Peter dans leurs bras au moment où il commence à perdre connaissance.

Capture d’écran tirée du film de Charlie Russell, Terry Pratchett. Choosing to Die.

© 2011 Keo Films.

Image 3 : Peter a perdu connaissance. Erika décrit le processus physiologique de la mort. Erika et Christine se redressent tandis que la caméra se tourne vers Terry Pratchett qui observe la scène de la mort.

Image 3 : Peter a perdu connaissance. Erika décrit le processus physiologique de la mort. Erika et Christine se redressent tandis que la caméra se tourne vers Terry Pratchett qui observe la scène de la mort.

Capture d’écran tirée du film de Charlie Russell, Terry Pratchett. Choosing to Die.

© 2011 Keo Films.

45Le souvenir que Christine a gardé de cette séquence est double : elle s’est souvenu de son effort initial pour garder le contrôle d’elle-même lorsque Peter s’est mis à suffoquer, et du moment où Erika a ouvert la porte pour laisser s’échapper l’esprit de Peter tandis que la neige tombait et qu’une bouffée d’air glacé s’engouffrait dans la pièce.

46Ces scènes sont pénibles à regarder. Aujourd’hui, la plupart des gens meurent à l’hôpital ou dans des maisons médicalisées. Le dernier jour venu, à l’hôpital, on apporte souvent une assistance médicale au malade intubé, allongé sur le côté ou sur le dos, afin d’aider les fonctions vitales à s’arrêter progressivement. La mort, sous ses nombreuses formes, suscite des gestes d’attention et de compassion de la part des proches et du personnel médical. L’image 4 offre un contrepoint important. Elle est tirée de l’incroyable documentaire de Frederick Wiseman sur l’unité de soins intensifs de l’hôpital Beth Israel à Boston (Wiseman 1989). Une femme âgée a été transférée dans cette unité ; elle est sur le point de mourir. Son fils, qui voulait qu’on mette tout en œuvre pour la sauver, quitte Chicago sur-le-champ dans l’espoir d’arriver à temps à l’hôpital. Il n’y parvient pas. En tenant compte des souhaits formulés par le fils, les médecins se concertent pour déterminer ce qu’il est raisonnable d’entreprendre en termes de traitement, étant donné que la patiente est intubée et dans un état semi-conscient. Elle reçoit la visite du rabbin Bard, qui lui dit qu’elle n’est pas seule et que tout le monde est là pour elle. L’infirmière est à ses côtés au moment où elle meurt. Qu’on fasse partie d’associations ou non, il va de soi pour tout le monde que les pratiques de suicide assisté n’ont pas le monopole de la « dignité » ou de la « compassion ».

Image 4 : L’infirmière et la patiente en fin de vie dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital.

Image 4 : L’infirmière et la patiente en fin de vie dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital.

Capture d’écran tirée du documentaire de Frederick Wiseman, Near Death.

© 1989 Exit Films, Inc. All Rights Reserved.

  • 10 Silvan Luley, membre de Dignitas, souligne que chez Dignitas, « la position assise est préférée po (...)

47Néanmoins, au vu de sa situation particulière, le spectacle de la mort de Peter nous permet de cerner certains aspects de sa signification. Il est assis. Cette posture a une dimension fonctionnelle tout autant qu’une fonction proprement symbolique : du point de vue fonctionnel, pour préparer le corps, un anti-émétique est administré avant l’ingestion du barbiturique. Le risque de vomissement est élevé car le Pentobarbital sodique donne une solution alcaline ; son goût amer et déplaisant et sa concentration (15 grammes dilués dans une petite quantité d’eau) peuvent donner la nausée. La position assise facilite le passage du barbiturique dans l’estomac et minimise le risque de vomissement. Les vomissements surviennent très rarement, mais ils peuvent engendrer de très graves problèmes : la personne peut tomber dans le coma au lieu de mourir et se réveiller au bout de plusieurs heures, voire plusieurs jours. Cette position a par ailleurs un caractère symbolique : un médecin spécialiste des soins palliatifs, qui est aussi accompagnant pour le suicide assisté, m’a expliqué que, tout comme d’autres accompagnants, elle considérait la position assise comme plus « digne10 ». Du point de vue de la gestuelle, le suicide assisté a donc une spécificité : il offre la possibilité de mourir dans une position et d’une manière que les adhérents qualifient de « digne », même s’ils doivent être soutenus au moment de mourir (le cas s’est souvent présenté au cours de mon expérience de terrain). La manière dont Peter est maintenu et se maintient mêle la symbolique de la dignité (position verticale) au registre gestuel de la compassion et de la lamentation (cf. Giotto, Lamentation, vers 1303-1305 ; image 5) où les têtes des individus se penchent l’une vers l’autre jusqu’à se toucher. Au-delà de la configuration très spécifique qui rassemble Peter, Christine et Erika, j’ai constaté, d’après les récits des accompagnants et des parents à qui j’ai parlé, ainsi qu’au fil de mon expérience de témoin, qu’on tient souvent la tête, les mains ou les pieds de la personne mourante dans cette forme de mort. Cette forme reprend en partie une gestuelle qui s’est perpétuée dans le temps : celle de la compassion et de la lamentation. En effet, on perçoit entre la scène de la mort de Peter et la Lamentation de Giotto une résonance dans la gestuelle qu’il faut appréhender sur le mode « neutre », les deux scènes n’étant pas isomorphes (ni identiques ni opposées) en termes de signification.

Image 5 : Il Compianto sul Cristo morto [La Lamentation sur le Christ mort], Giotto di Bondone Scrovegni, fresque, chapelle de l’Arena, Padoue, Italie, 1303-1305.

Image 5 : Il Compianto sul Cristo morto [La Lamentation sur le Christ mort], Giotto di Bondone Scrovegni, fresque, chapelle de l’Arena, Padoue, Italie, 1303-1305.

48On peut comparer cette scène d’adieu à la vie, où dignité et tendresse s’inscrivent dans une composition signifiante, avec une autre scène de compassion médicale, datant de 1820, où Goya s’est représenté avec le médecin qui lui a sauvé la vie (image 6). Contrairement à l’image 2 où le mourant est entouré et où corps et visages sont tournés les uns vers les autres, dans l’image 6, le Dr Arrieta incarne la façon de soigner et la diligence vitale typiques de la pratique médicale du début du xixe siècle : le médecin rassemble l’ensemble des forces qui résistent à la mort et impose un remède au patient qui, prêt à se soumettre au destin, se détourne.

Image 6 : Goya asistieron por el doctor Arrieta [Goya soigné par le docteur Arrieta], Francisco de Goya, peinture sur toile, Minneapolis Institute of Art, Minnesota, 1820.

Image 6 : Goya asistieron por el doctor Arrieta [Goya soigné par le docteur Arrieta], Francisco de Goya, peinture sur toile, Minneapolis Institute of Art, Minnesota, 1820.

49Le suicide assisté participe de cette gestuelle de la lamentation et de la contemplation qui s’est perpétuée dans le temps ; et pourtant, il est équivoque à double titre : d’une part, comme on l’a décrit plus haut, la systole correspond à la seconde phase d’un mouvement dans lequel le trio se retrouve d’abord séparé, selon une composition qui s’ouvre vers l’extérieur et s’éloigne du centre. Par le second mouvement, on se resserre autour du corps de la personne, comme dans le geste iconographique figuré au cœur de la lamentation. Enfin, le mouvement s’ouvre vers le haut et se stabilise dans une position verticale, neutre, tandis que le corps se maintient assis. Cette troisième et dernière phase est essentielle pour préserver l’indétermination d’un possible jugement – au sens où l’on pourrait sans cela attribuer à la scène un mode d’être et non l’une des deux faces d’une valeur binaire : dans l’iconographie chrétienne, la lamentation a pour finalité éthique un état de rédemption, tout comme la compassion d’Arrieta est orientée vers la guérison. Dans la scène de sa mort, la posture finale de Peter contourne ces enjeux salvateurs.

50Il ne s’en pas moins éclipsé.

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Gérer l’ambivalence face à la mort volontaire. Économie morale de l’accompagnement au suicide, mémoire de Master 2, Paris, EHESS.

LARUE GERALD A, DEREK HUMPHRY, ROBERT L. RISLEY, JOSEPH FLETCHER, HELGA KUHSE & PETER ADMIRAAL, 1987.
« The case for active voluntary euthanasia », Free Inquiry, no 9/1, p. 3-21.

MACÉ MARIELLE, 2016.
Styles. Critique de nos formes de vie, Paris, Gallimard.

QUILL TIMOTHY E. & MARGARET P. BATTIN, 2004.
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RABINOW PAUL, 1989.
French Modern. Norms and Forms of the Social Environment, Cambridge, MA, MIT Press.

RUSSELL CHARLIE A. (directeur, producteur) & TERRY PRATCHETT (présentateur, narrateur), 2011.
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STECK NICOLE, CHRISTOPH JUNKER, MAUD MAESSEN, THOMAS REISCH, MARCEL ZWAHLEN & MATTHIAS EGGER, for the Swiss National Cohort, 2014.
« Suicide Assisted by Right-to-Die Associations. A Population-Based Cohort Study », International Journal of Epidemiology, no 43/2, p. 614-22.

WISEMAN FREDERICK (directeur), 1989.
Near Death, documentary film, Zipporah Films, Inc. www.zipporah.com [dernier accès, décembre 2016].

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Notes

1 Une bourse de recherche de la Maison des sciences de l’homme m’a permis de démarrer mon enquête dans le cadre de l’Institut Marcel Mauss à Paris. Mes travaux ont par la suite été subventionnés par la Fondation Wenner-Gren ainsi que par une bourse post-doctorale de l’Institut francilien recherche innovation société (j’étais alors membre du CERMES 3). Je remercie ces établissements pour leur soutien institutionnel et financier.

2 Fondée en 1998, « Dignitas – Vivre dignement – Mourir dignement » est une association à but non lucratif qui propose des conseils en matière de directives anticipées, de prévention des tentatives de suicide, de soins palliatifs et de fin de vie ; elle œuvre pour améliorer les relations patient-médecin et offre à ses membres, domiciliés en Suisse ou à l’étranger, un accompagnement dans le cadre du suicide assisté. L’association accueille ses adhérents dans un appartement situé dans le canton de Zurich. En 2015, elle comptait 7 291 membres et avait aidé 222 personnes à mourir volontairement (chiffres recueillis sur le site Internet de Dignitas). La même année, Exit Deutsche Schweiz, qui compte environ 95 000 membres, avait aidé 782 personnes à mettre un terme à leur vie. En 2014, Exit Association pour le droit de mourir dans la dignité (Suisse Romande) comptait 20 507 membres et avait aidé 175 personnes à mourir. Ces deux dernières associations n’ouvrent l’adhésion qu’à des citoyens suisses.

3 Au fil de nos échanges de courriels, M. Luley a insisté sur la chose suivante : « Il y a un critère de qualité qui nous importe au plus haut point : l’examen du cas par deux parties indépendantes. En fait, les critères de qualité de Dignitas exigent l’intervention de trois instances d’évaluation : (1) Dignitas, (2) un médecin indépendant et enfin (3) des “accompagnants” qui prennent en charge la préparation et le déroulement du suicide assisté. Les accompagnants sont indépendants dans la mesure où ils peuvent refuser une mission d’accompagnement. En fait, ils ont obligation de la refuser s’ils se rendent compte que les prérequis pour un suicide assisté légal ne sont plus réunis : par exemple, dans le cas où la personne perd sa capacité de discernement dans les heures qui suivent la consultation médicale et l’octroi du “feu vert définitif” pour procéder au suicide assisté, lequel s’accompagne de la remise d’une ordonnance permettant de se procurer le Pentobarbital. »

4 Le lecteur aura compris que j’ai volontairement omis certains détails concernant Peter, son âge ou sa situation par exemple. J’ai toutefois donné un élément contextuel qui fournit une indication sur sa position socio-économique (élevée). Statistiquement, la majorité des citoyens suisses ayant eu recours au suicide assisté entre 2003 et 2008 occupaient une position socio-économique élevée : c’est là un fait intéressant, mais ce point ne sera pas abordé dans le présent article dans la mesure où il ne concerne pas les enjeux fondamentaux qui ont été retenus, à savoir les déterminations et les indéterminations propres à la signification éthique de cette forme de mort (Steck et al. 2014). Bien que le nom de famille de Peter nous soit donné dans le film (Peter Smedley), en le désignant par son seul prénom, j’ai voulu insister sur le fait que j’envisage le cas de Peter comme l’individuation d’une façon de vivre et de mourir (Macé 2016 : 201-282). En revanche, Terry Pratchett est désigné par son nom de famille, « Pratchett », dans la mesure où je ne cherche pas à individuer sa participation et sa pratique. Je veux éviter de traiter Peter comme une instance sociologique, comme un cas médical ou un exemple représentatif d’un phénomène général. Par exemple, l’âge de Peter ne constitue pas un critère pertinent pour sa prise de décision, ni à ses yeux, ni à ceux des personnes concernées par la décision de l’aider dans sa démarche. Ce qui compte, c’est qu’il avait la maladie du neurone moteur (Motor Neurone Disease, MND) et qu’il ne voulait pas mourir en subissant les effets de cette maladie à un stade avancé.

5 J’ai décidé d’utiliser de façon délibérée les trois termes « choix », « décision » et « jugement » pour désigner trois aspects en partie communs à la négociation du suicide volontaire assisté et à sa mise en œuvre : (1) on doit pouvoir identifier la volonté de l’individu comme étant la source de l’acte, entendu comme un choix, conformément à l’une des principales conditions légales ; (2) poursuivre le processus exclut d’autres possibilités et équivaut par conséquent à une décision ; (3) enfin, en un sens pragmatique, la poursuite de l’entreprise comporte un troisième aspect qui consiste à attribuer un mode d’être à une situation grevée de déterminations, ceci correspondant à la pratique du jugement telle qu’elle est définie par le philosophe pragmatiste John Dewey (Burke 1994 : 179).

6 Je remercie Silvan Luley qui m’a donné accès à la version anglaise du Code pénal suisse où j’ai trouvé la traduction de selbstsüchtige Beweggründe, mobile égoïste, motivi egoistici par selfish. On trouvera ici l’article 115 du Code pénal suisse : https://www.admin.ch/opc/en/classified-compilation/19370083/ (dernier accès, décembre 2016). L’un de mes relecteurs, qui manifestement connaît et comprend bien le contexte suisse, m’a encouragé à souligner le caractère « flou » du contexte juridique helvétique, souvent mentionné dans de nombreux domaines discursifs portant sur le suicide assisté. Néanmoins, fait important, bien qu’il n’y ait pas de disposition légale dans le droit positif – c’est-à-dire que la loi ne précise ni qui peut aider ni qui peut être aidé –, il n’y a pas d’indétermination au regard des contraintes juridiques : l’assistance à la mort inspirée par des mobiles égoïstes constitue un crime. Sur le plan pragmatique, savoir si un individu doit en aider un autre à mourir n’est une question éthique « floue » que dans la mesure où l’on a effectivement affaire à un problème éthique, lequel ne saurait être arbitré de droit et à l’avance par la loi : celui-ci conserve donc tout son intérêt pour l’approche anthropologique des pratiques éthiques.

7 http://www.befriend-at-the-end.org.uk (consulté pour la dernière fois en décembre 2016).

8 Dignitas souligne que, durant la phase de preparation à un suicide assisté – qui peut durer entre trois et quatre mois, et parfois davantage –, c’est au cours de la relation ancrée dans la durée avec le bureau de Dignitas que la personne adressant sa requête est invitée à produire un récit quant à son désir d’obtenir une aide au suicide. Cependant, les autres personnes impliquées dans le processus, accompagnants ou médecins, chercheront également à entendre ce récit.

9 Bien entendu, le pathos renvoie à la fois au domaine médical et au théâtre (Rabinow 1989 : 13). Il appartient aussi à l’histoire de l’art, et Aby Warburg en a fait un usage magistral dans ses travaux sur les survivances des formes du pathos propres à la Grèce antique dans la peinture et la sculpture de la Renaissance. Warburg s’intéresse plus particulièrement à l’expression de l’expérience profondément émotionnelle qu’est un effondrement : il propose une approche historicisante des répétitions, des différences et des variations repérables dans les formes qui lui sont données. Mais surtout, pour Warburg, la gestuelle est le lieu par excellence où l’on peut observer ces « formules de pathos » (Pathosformeln) : il incite à déceler les survivances (Nachleben) d’éléments antérieurs dans des formules plus tardives, et met en évidence les configurations et reconfigurations de ces formes sur de longues durées (Didi-Huberman 2002).

10 Silvan Luley, membre de Dignitas, souligne que chez Dignitas, « la position assise est préférée pour des raisons pratiques : 1) allongée sur le dos, la personne ne peut pas vraiment boire au verre et encore moins avaler un liquide ; 2) en position assise, le liquide “glisse plus facilement de l’œsophage jusqu’à l’estomac” ; 3) cette posture facilite la communication et le contact visuel avec toutes les personnes présentes dans la pièce (accompagnant et parents/amis) ; 4) la personne a un “point de vue” sur ce qui l’entoure ou lieu de ne voir que le plafond.... Certains membres de Dignitas choisissent d’ingérer le médicament assis dans leur fauteuil roulant et, quand le temps le permet, certains demandent à le faire à l’extérieur, dans le jardin » (communication par message électronique, 25/11/2016). Du point de vue anthropologique, il semble pertinent de prendre aussi en considération les significations que comportent ces « raisons pratiques ».

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Table des illustrations

Titre Image 1 : Erika prend Peter dans ses bras une fois qu’il a ingéré la dose létale de barbiturique. Christine tente de garder son sang-froid.
Légende Capture d’écran tirée du film de Charlie Russell, Terry Pratchett. Choosing to Die.
Crédits © 2011 Keo Films.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/docannexe/image/16111/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 251k
Titre Image 2 : Christine et Erika se rapprochent pour prendre Peter dans leurs bras au moment où il commence à perdre connaissance.
Légende Capture d’écran tirée du film de Charlie Russell, Terry Pratchett. Choosing to Die.
Crédits © 2011 Keo Films.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/docannexe/image/16111/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 245k
Titre Image 3 : Peter a perdu connaissance. Erika décrit le processus physiologique de la mort. Erika et Christine se redressent tandis que la caméra se tourne vers Terry Pratchett qui observe la scène de la mort.
Légende Capture d’écran tirée du film de Charlie Russell, Terry Pratchett. Choosing to Die.
Crédits © 2011 Keo Films.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/docannexe/image/16111/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 230k
Titre Image 4 : L’infirmière et la patiente en fin de vie dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital.
Légende Capture d’écran tirée du documentaire de Frederick Wiseman, Near Death.
Crédits © 1989 Exit Films, Inc. All Rights Reserved.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/docannexe/image/16111/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 361k
Titre Image 5 : Il Compianto sul Cristo morto [La Lamentation sur le Christ mort], Giotto di Bondone Scrovegni, fresque, chapelle de l’Arena, Padoue, Italie, 1303-1305.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/docannexe/image/16111/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 3,6M
Titre Image 6 : Goya asistieron por el doctor Arrieta [Goya soigné par le docteur Arrieta], Francisco de Goya, peinture sur toile, Minneapolis Institute of Art, Minnesota, 1820.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/docannexe/image/16111/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 4,4M
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Pour citer cet article

Référence électronique

Anthony STAVRIANAKIS, « Penser l’évidence »Terrain [En ligne], Terrains, mis en ligne le 20 janvier 2017, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/16111 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terrain.16111

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Auteur

Anthony STAVRIANAKIS

CNRS–CERMES3

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