Navigation – Plan du site

AccueilNuméros66Renais-toi toi-même

Renais-toi toi-même

Quand les départs sont des retours [introduction]
Emmanuel de Vienne et Ismaël Moya
p. 6-23

Résumés

Renaître est devenu, dans les sociétés occidentales contemporaines, un passage obligé de la construction du sujet, sous la forme d’une expérience de régénération à faire de son vivant sans en passer par la mort. Cette injonction se retrouve aussi bien dans les nouvelles spiritualités et les thérapies alternatives que dans l’évangélisme. De quelle histoire cette idée procède-t-elle et quels mécanismes met-elle en œuvre ? Ces expériences de renaissance sont-elles comparables aux initiations étudiées de longue date par les anthropologues ? Cette introduction au nouveau Terrain esquisse des réponses à ces questions en passant en revue quelques exemples de ce que renaître peut vouloir dire dans différents contextes passés et présents.

Haut de page

Texte intégral

  • 1 Nous remercions ici chaleureusement Grégory Delaplace pour sa relecture attentive de cette introdu (...)

1Richard Francis Burton, célèbre découvreur des sources du Nil, est né à Torquay en 1821 et mort à Trieste en 1890. Il est toutefois né une fois de plus le long d’un fleuve immense et inconnu, nu, glabre, dans son corps de jeune homme. Avec lui tous les humains ayant jamais existé, renés au même âge et au même moment, s’éveillent hagards et s’interrogent sur le sens de ce surcroît de vie. Des champignons géants, de loin en loin, délivrent à intervalles réguliers le nécessaire à la survie, comme une manne. Sa première vie avait déjà été plurielle : soldat, explorateur, pèlerin à La Mecque, linguiste, géographe, écrivain... La seconde devait l’être encore davantage. Il se lance dans une longue remontée du fleuve, cette fois non pour conquérir la gloire par une conférence dans une société savante, mais pour percer le mystère de ce monde qui porte la signature d’une volonté et d’un pouvoir supérieurs. La mort y est impossible. Ou plutôt elle est suivie d’une résurrection brutale, inévitable, toujours le long du fleuve, mais en un autre endroit. Burton décide alors d’expérimenter le suicide comme mode de voyage1.

2Les amateurs de science-fiction auront reconnu la trame du roman de Philip José Farmer, Le Monde du fleuve, paru en 1971 aux États-Unis. On y suit Burton, ainsi que d’autres personnages plus ou moins célèbres, comme Mark Twain, Alice Liddell (celle qui inspira Lewis Caroll) ou encore Hermann Göring, dans leurs tentatives pour infléchir cette seconde histoire de l’humanité. Göring, dépressif et rongé de culpabilité, y devient le missionnaire d’une église de la deuxième chance qui voit dans cette renaissance générale l’occasion d’un rachat des fautes passées (Farmer 1971).

3Le plaisir de la science-fiction ne réside pas seulement dans la vacance qu’elle offre à l’exigence de vérité, mais aussi à ce pouvoir qu’elle possède de « transformer l’idéologie en images frappantes », selon le mot de Marika Moisseeff (2013). Farmer parvient à condenser un certain nombre des thèmes chers aux années 1970 américaines : la certitude qu’en l’Homme réside la capacité à se hisser au rang des Dieux, le cycle des réincarnations, l’apocalypse punitive d’une humanité rongée par le mal... et les extraterrestres. Ces questions n’ont pas cessé de hanter les sociétés occidentales. La renaissance en particulier fascine. On la trouve chez Farmer dans toute sa polysémie : la réincarnation bien sûr, mais aussi la transformation rédemptrice de la personne, puis de l’Humanité entière, par un « retour aux sources » tant littéral que métaphorique, qui révèle une vérité ultime. Renaître n’est pas simplement un ornement du pittoresque New Age. Il relève d’un schème culturel puissant dans les sociétés contemporaines, ayant de nombreuses ramifications dans le temps et l’espace. Il frappe par son ubiquité. Le développement personnel et les nouvelles thérapies proposent de faire l’épreuve d’un renouveau radical et/ou continu, conceptualisé comme une renaissance. Aux quatre coins du globe, des églises évangéliques proposent à leurs adeptes, toujours plus nombreux, de devenir born again par un rituel de baptême suivi d’une refondation de la personne. Plus généralement, on peut voir le désir de renaissance comme une tendance lourde de l’individu occidental contemporain, qui se « cherche », veut « se retrouver », comme s’il était perpétuellement tout à la fois en quête d’un fragment oublié de lui-même et avide de faire table rase du passé.

4Ce nouveau numéro de Terrain (ou faut-il plutôt dire ce numéro du nouveau Terrain, disons ce numéro de Terrain re-né) entend mettre en lumière et en résonance différentes manières dont les êtres sont susceptibles de renaître à travers le monde. Il y est question de karma, de régression, de résurrection, de protestants évangéliques, d’épreuves individuelles de vie et de mort, de procédures juridiques et d’initiation, dans un ordre dont la logique n’a rien à envier à une cosmologie New Age. Ni ce numéro dans son ensemble, ni cette introduction n’ont vocation à fixer une fois pour toutes les principes universels du concept de renaissance tel qu’il se décline les sociétés humaines, ou ses conditions d’émergence dans une société donnée. À travers quelques exemples de ce que renaître peut vouloir dire et impliquer à différents endroits et dans différents contextes, il s’agira plutôt d’éclairer sous un jour nouveau le désir de renaître occidental contemporain afin d’en révéler les mécanismes et les impensés.

Vers un nouvel âge du Soi

5Renaître, de fait, est une expérience que tout un chacun peut s’offrir aujourd’hui, pour une cinquantaine d’euros non remboursés par la sécurité sociale, grâce à certaines thérapies alternatives très accessibles. Le rebirthing breathwork, inventé par Leonard Orr, consiste, par une technique de respiration, à créer une hyperoxygénation cérébrale qui génère ensuite des décharges émotionnelles puissantes, interprétées comme la réminiscence du traumatisme de la naissance. La technique du rebirth a suscité des variantes (respiration holotropique de Stan Grof, plus rapide, et ouvrant une palette moins déterminée de ressentis) et fait désormais partie du panel thérapeutique d’une certaine psychanalyse ou de la kinésithérapie. Elle s’est vue adoubée par les magazines de psychologie et Youtube foisonne de vidéos expliquant ses avantages et les moyens d’y parvenir. Autre pratique en vogue, la régression dans les vies antérieures (past life regression) consiste à revivre sous hypnose ses vies passées. On y recherche des expériences censées être (re)fondatrices, révélant à l’individu un pan insoupçonné de lui-même qui éclairerait des comportements ou des failles sans cela mystérieuses.

6Cette volonté de progresser par la régression relève en fait d’un schéma plus général, typique du New Age. Le terme désigne au départ certaines pratiques à tonalité millénariste qui ont émergé aux États-Unis dans les années 1960, mais on peut aussi l’employer pour qualifier une nébuleuse de pratiques qui depuis n’ont cessé de se diversifier et de conquérir de nouveaux publics et de nouveaux marchés. Celles-ci déroutent tant par leur extrême diversité, par la rapidité de leurs évolutions et transformations, que par la labilité de leurs frontières pour leurs adeptes, qui naviguent facilement de l’une à l’autre et les combinent souvent. L’offre est pléthorique : néopaganisme (religion wicca, druidisme, romae religio...), réflexologie, massage ayurvédique, tarot, guérison psychique par équilibrage énergétique, thérapies par les cristaux, méditation transcendantale, diètes diverses mais toujours « naturelles », parfois extrêmes (les breatherians veulent vivre de lumière et d’air, comme les plantes), néochamanisme (mexicain, navajo, amazonien, sibérien...), channeling, communication avec les anges, découverte de l’enfant intérieur, psychothérapie transpersonnelle, dialogue avec des extraterrestres, versions adaptées de cultes afro-américains, feng shui, shiatsu, yoga, etc.

7Dans les pratiques de renaissance New Age, le rapport de soi à soi n’est pas immédiat. L’expérience qu’on cherche à faire pour atteindre le « soi supérieur » est celle d’une altérité : qualité phénoménale inattendue, rencontre d’un autre archaïque (druide, enfant) ou distant (chamane, vie passée). Cette quête peut évidemment être replacée dans l’histoire du « souci de soi » esquissée par Foucault, qui commence avec les « arts de l’existence » des Grecs, ces « pratiques réfléchies et volontaires par lesquelles les hommes se fixent des règles de conduite, mais cherchent à se transformer eux-mêmes, à se modifier dans leur être singulier et à faire de leur vie une œuvre qui porte certaines valeurs esthétiques et répondent à certains critères de style » (1984 : 90). Après le sage stoïcien et le dandy xixe voulant faire de lui-même une œuvre d’art, l’heure est au « soi spirituel ». Cette construction se donne souvent comme un commencement permanent, qui consiste à répudier le passé proche (ce qu’on était à l’instant ou dans cette vie) pour s’identifier à un passé lointain, débarrassé de tout ce qui nous embarrassait. Les formules littérales que sont le rebirth et les past life regressions ne sont peut-être que les variantes d’une formule plus générale de renaissance à laquelle nul n’échappe complètement, selon laquelle l’individu ne peut pas se contenter d’exister, mais doit se régénérer plus ou moins régulièrement en faisant l’expérience de lui-même sous une forme nouvelle.

8La négativité du renaître contemporain est facile à mettre en scène. Dans la lignée des approches foucaldiennes, on pourrait montrer que derrière l’émancipation et la recherche de soi se cache en fait une structure de pouvoir, d’autant plus prégnante qu’elle est diffuse. On pourrait ensuite faire valoir que la quête thérapeutique du mieux-être et l’injonction à être un soi qui reste à trouver suppose, et donc engendre, un mal-être qui se traduit par une explosion des pathologies. On pourrait tout aussi bien saluer l’inventivité du New Age et sa capacité à envisager différemment la personne, à la démultiplier sur le mode du jeu, construisant ainsi un dépassement véritable (et incarné) de l’individualisme moderne.

Les avatars de la réincarnation

9Procédons à la manière de Burton, ou d’un « chercheur de soi » contemporain, et remontons aux sources du New Age. Une première confluence étonne : les hippies ont en commun avec les nazis d’avoir puisé à la lebensreform, courant du tournant du xxe siècle notamment porté par Adolf Just. Son Retourner à la nature ! sous-titré « La vraie méthode naturelle de guérison et de vie et le vrai salut de l’âme. Le Paradis reconquis » (Just 1903, nous traduisons) est un manuel pratique de naturopathie dans lequel on apprend les mérites d’un savoir perdu, que nous ne devrions même pas avoir à enseigner car il était déjà là de toute éternité, chez Jésus et chez les animaux : dormir sur le sol, pratiquer le « bain naturel », aller pieds nus, etc. Autant de pratiques qui devraient aller de soi mais que les superstitions de la science et la société industrielle allemande de l’époque ont fait oublier. La lecture de Just aujourd’hui frappe par son actualité, du refus de la modernité à l’approche holistique du corps et de l’âme en passant par un apprentissage qui se donne comme une réminiscence.

  • 2 La réincarnation a des enjeux éthiques, en Occident comme en Inde.

10C’est que le New Age en général commence à sérieusement accuser son âge. Avant Just, dans la deuxième moitié du xixe siècle, se mettent en place certaines pièces essentielles, à l’occasion d’expérimentations frénétiques sur la réincarnation. À une époque où l’on cherche à séparer les faits de science des faits occultes, la vie des trépassés intrigue. On n’a pas encore décidé que l’eschatologie ne pouvait être discipline scientifique. Les salons du Second Empire sont pleins des esprits, frappeurs ou non, qu’a libérés la toute nouvelle religion spirite révélée par Allan Kardec. L’investigation scientifique se confond avec l’idée d’un progrès de la personne, que ce soit dans cette vie ou dans l’autre (voire les autres). L’inscription au fronton de la tombe d’Allan Kardec « Naître, mourir, renaître encore et progresser sans cesse, telle est la loi » témoigne de cette visée d’ascension sur l’échelle des esprits au gré des réincarnations2, qui allait de pair avec des enquêtes très positivistes sur l’existence des fantômes.

11Les photographies spirites sont passées à la postérité (Charuty 1999) ; moins connu est l’apport d’Edison à ce courant (Baudoin 2015). Communiquer avec les vivants n’était qu’un étape : après le phonographe, il a en effet inventé un « appareil scientifique, permettant aux morts, si la chose est possible, d’entrer en relation avec nous » (Edison 2015a [1re éd. 1921] : 161-162). « Basé sur le principe de la valve » (2015b [1re éd. 1948] : 136), il devait permettre d’amplifier « énormément toute force ou énergie aussi minime qu’elle soit, par laquelle un esprit pourrait se manifester » (ibid.).

12L’influence d’un Orient largement fantasmé est évidente dans cette épidémie de réincarnation. Helena Blavatsky, en pleine vague orientaliste, intègre dans la société de théosophie les sagesses indiennes ou tibétaines. Dans ce mouvement d’importation, les concepts se voient modifiés. L’article de Caterina Guenzi et Silvia D’Intino propose à ce titre un retour précieux sur une des notions les plus voyageuses et réemployées des nouvelles spiritualités, celle de karma. Pas de modèle « pur » cependant. Ce qui prévaut en Inde même, c’est justement le réemploi, au fil des siècles. Et l’essor qu’y connaît actuellement la past life regression en est une version nouvelle. Ce qui prime dans la littérature sur les théories de la réincarnation (voir Obeyesekere 2002 pour une synthèse), c’est non seulement la reconnaissance du caractère composite de la personne mais aussi la relativité de la naissance et de la mort dans sa définition. Chez les Igbo du Nigéria, l’ancêtre ne revient pas identique. Son retour est conditionné par la rencontre avec un chi, « esprit gardien », avec lequel il fait un pacte sur les choix et la destinée terrestre qu’ils auront ensemble. Ici, la réincarnation est avant tout complexification. La même chose pourrait être dite des Inuit, exemple classique de population faisant la part belle à ce phénomène, puisque chez eux le retour d’un aïeul, marqué par l’homonymie, s’inscrit dans un ensemble de composantes complexe. Mais cela évoque aussi, plus paradoxalement, les théories audacieuses de Thomas A. Edison (2015b [1re éd. 1948]). Dans ses mémoires, le savant développe un modèle hypothétique de la réincarnation. Pour lui, la question n’est pas de savoir si la vie continue (une évidence dans les cercles spiritualistes de l’époque), mais si les cellules dominantes, localisées dans la « circonvolution de Broca » (qui en régnant sur le reste des unités de vie d’une personne en déterminent la conformation et le caractère), vont ou non se disperser à la mort. La survivance de l’âme, dans cet imaginaire cosmologique singulier qui doit beaucoup à la palingénésie, ne serait quoi qu’il en soit pas contradictoire avec le recyclage de la plupart des unités de vie dans d’autres organismes, humains ou non.

13C’est à cette même période que le colonel de Rochas, autre investigateur de l’invisible, opère un glissement précurseur qu’Emmanuel Grimaud examine ici dans sa contribution. De Rochas a choisi l’hypnose comme protocole d’enquête sur la réincarnation : à des patients choisis pour leur sensibilité à ses passes magnétiques, il fait remonter le cours de leur vie, jusqu’au stade fœtal, puis au-delà. Il peut ainsi leur faire revivre au présent différents moments de leurs vies successives, dialoguer avec leurs personnalités antérieures, et se déclare finalement agnostique sur la validité de la régression comme méthode d’investigation. Le positivisme le cède ainsi progressivement à d’autres aspects moins aisés à cerner mais d’autant plus fascinants. Si le long théâtre des incarnations qu’il orchestre dans son cabinet ne trouve plus sa justification dans la quête d’un savoir, il faut lui reconnaître, au moins en germe, d’autres raisons d’être : le plaisir trouble de la domination, peut-être, la fascination en tout cas de voir se composer des êtres pluriels, capables de s’altérer radicalement. C’est la continuité du soi qui se trouve par là explosée, contre toute la certitude et la transparence du sujet qu’a pu léguer la philosophie française issue de Descartes. Abandonnée par la science, la régression peut être réemployée, servir à d’autres fins, valoir comme expérience de l’incontrôle de soi et non comme expérimentation contrôlée sur autrui.

Protocoles d’initiation

14Depuis les travaux fondateurs de Van Gennep (2000 [1re éd. 1909]) sur les rites de passage, les anthropologues se sont rendu compte qu’on ne renaissait peut-être jamais aussi bien que dans le cadre d’une initiation. Van Gennep, est-il nécessaire de le rappeler, a en effet identifié une structure ternaire, qui voit se succéder des rites de séparation (aussi dits préliminaires), des rites de marge (liminaires) et des rites d’agrégation (postliminaires). Dès lors, l’initiation se distingue des autres rites de passage en ce qu’elle transforme radicalement l’individu, et toujours pour le mieux : comme l’a résumé Julien Bonhomme (2010 : 541), « il ne s’agit pas de valider un changement survenu hors du rituel, mais bien de l’instituer par le rite initiatique ». C’est donc par ses propres opérations, et seulement par elles, que l’initiation efface l’identité du novice pour la remplacer par une autre. Le thème de la mort (dans la phase préliminaire) et de la renaissance (dans les rites liminaires et postliminaires) y sont logiquement omniprésents, quel que soit le type d’initiation considéré – de l’accès au statut de chamane à l’entrée dans une fraternité américaine, en passant par l’entrée dans le système des classes de génération en Afrique de l’Ouest.

15L’archétype de l’initiation en anthropologie – en tout cas celle qui a eu le rendement théorique le plus important – est l’initiation masculine collective. On la retrouve en Afrique, en Océanie, et dans une moindre mesure en Amérique, avec de singulières convergences : des secrets, des coups et un rapport particulier aux femmes. Le rituel parvient davantage à convaincre de son efficacité et à engendrer des personnes nouvelles par une logique des actions et des relations que par le symbolisme explicite ou lisible qu’il donne à voir. Comme l’a bien montré Michael Houseman (2012) en comparant différents protocoles initiatiques en Afrique de l’Ouest, en France et aux États-Unis, la révélation des secrets initiatiques ne prend généralement pas la forme d’explications lumineuses sur le sens du cosmos. Souvent il s’agit plutôt de secrets honteux, sur les coups ou les humiliations subies, sur l’origine féminine des paraphernalia du rituel masculin. L’initiation transforme en marquant le corps et la mémoire d’une trace forte, saillante, jamais complètement interprétée et résolue mais, pour cette raison même, mobilisable ensuite pour justifier le changement opéré. Le secret, suivant en cela l’intuition de Georg Simmel, est utilisé pour les relations inévitablement asymétriques qu’il génère, indépendamment de son contenu : un secret, c’est un détenteur (qui sait), un dépositaire (à qui on le confie) et un destinataire (qu’on exclut) – ici les femmes et les non-initiés.

16Dans l’initiation masculine, les novices sont symboliquement et pratiquement ré-engendrés en excluant le rôle procréatif des femmes, par exemple en substituant au lait maternel le sperme des initiateurs chez les Baruya, comme l’a montré Maurice Godelier (1982). Renaître, c’est ici construire la fiction d’une masculinité entièrement autonome. Maurice Bloch (Bloch & Guggenheim 1981) fait partie de ces anthropologues qui, dans les années 1980, ont thématisé le schème transculturel de la renaissance rituelle conçue comme dévaluation et mise à l’écart de la féminité. Il revient aujourd’hui sur cette question dans le présent volume pour élargir son propos. Dans ces rituels, ce qui se trouve mis à distance, ce ne sont pas seulement les femmes mais la sexualité en général. Le social humain est double selon lui : à un social transactionnel partagé avec les animaux, qui est celui de la renégociation ininterrompue des positions relatives, s’ajoute un social « transcendantal », celui des rôles et des groupes sociaux stables qui dépassent les vicissitudes et les idiosyncrasies de ceux qui s’y glissent. Pour construire ce social transcendantal, on doit en toute logique faire oublier le social transactionnel, et donc gommer la première naissance de la personne. Renaître devient chez Bloch un concept plus large : il désigne la construction du transcendantal par effacement du transactionnel. Cela est typiquement mis en œuvre dans les initiations, mais aussi, plus largement, chaque fois qu’on construit un rôle ou une fonction socialement partagée et stable – initié Bédik, président de la République, tout comme cousine croisée ou maison malgache.

17Mais quelle est alors la relation entre le soi et le transcendantal ? La question est posée de façon particulièrement claire dans le domaine du droit. En effet, l’identité d’une personne lui est attribuée à la naissance et elle ne peut en disposer librement. La personne juridique est ainsi distincte du sujet demandeur de droits. Que se passe-t-il lorsque la vérité du sujet entre en contradiction avec son état civil, par exemple au cours ou après un changement de sexe ? Cette question est vivement débattue en anthropologie du droit et du genre. Taklith Boudjelti l’aborde avec un regard de juriste, en pointant la fragilité interne de l’état actuel du droit, qui conditionne l’inscription du changement de sexe à une modification biologique irréversible. Pour l’instant, on ne renaît au mieux qu’une fois dans le droit.

18Que faire aussi des pures singularités ou des renaissances encore indécises ? Le récit livré dans ce volume par Nastassja Martin est un témoignage bouleversant sur la frontière fine qui existe entre survivre et renaître. Après avoir fait fuir l’ours qui l’attaquait, au milieu d’une enquête sur l’animisme chez les Even du Kamtchatka, elle se trouve confrontée à un questionnement inévitablement solitaire. A-t-elle connu une élection chamanique, comme le suggèrent ses rêves et comme le pensent ses hôtes ? Que faire de cette expérience en tant qu’anthropologue ? S’il y a survie, et si celle-ci implique d’accepter la transformation, reste à définir ce à quoi il convient, ensuite, de renaître.

La quête de soi New Age : une initiation Do it Yourself ?

  • 3 Les Rainbow Gatherings sont nés aux États-Unis en 1972 en signe de refus du caractère de plus en p (...)

19Le problème se pose aussi pour les modalités de la renaissance New Age, qui se présente précisément comme individuelle et unique. On renaît à soi-même et par soi-même, non à un rôle ou à un groupe constitué et stable. Le rapport entre individualisme et communautarisme est d’ailleurs une interrogation récurrente. Alors que Victor Turner (1969) assimilait la beat generation, puis les hippies, aux initiés des sociétés pré-industrielles, et les voyait comme composant une véritable communitas (sacrée, équitable, contre la structure sociale dominante), des auteurs ultérieurs ont pointé un rapport à l’autre souvent utilitariste (Heelas 1996, Hetherington 1998). Selon une métaphore très répandue, autrui est décrit comme un miroir, au sens où il renvoie à un sujet des informations ou des indices sur lui-même. Poussée à l’extrême, cette logique nie toute intersubjectivité : la colère ou l’agacement que je ressens sont lus comme ayant été toujours là, l’autre ne les a pas provoqués, il s’est contenté de me les révéler. Le collectif rituel est ainsi relégué selon certains au rang de décor pour une « célébration du soi » (Heelas 1996). Pour d’autres, cette lecture est trop univoque. Tavory et Goodman (2009) montrent par exemple que les rassemblements arc-en-ciel3 en Israël promeuvent autant le développement de soi et le refus absolu de l’autorité que des valeurs de solidarité et de communauté, rituellement mises en scène.

20La contribution à ce volume de Michael Houseman, Marie Mazzella di Bosco et Emmanuel Thibault renouvelle cette réflexion, en montrant que c’est dans une même séquence d’actions que se construit un rapport complexe entre soi et l’autre. Il y est question d’une danse rituelle, la Biodanza, qui permet à ses praticiens de retrouver un ensemble de qualités enfouies en eux, comme la spontanéité, la sincérité, l’énergie, la connexion aux autres, etc. Tout semble fait dans ce rituel pour écarter la possibilité d’une collectivité initiatique. L’enjeu est en effet de conserver face aux autres un rapport d’anonymat (plus ou moins respecté dans les faits) qui permet de rendre disponible pour d’autres relations que celles-là les qualités que la danse fait surgir. L’autre y est une ressource : autrement dit, il est rendu suffisamment générique pour que les émotions et les dispositions révélées par la danse puissent être réemployées, décontextualisées. La culture du soi n’est donc pas purement égotique, elle vise à accroître ses potentialités relationnelles... pour plus tard.

21Cette contribution illustre par ailleurs les ressorts spécifiques de la ritualité New Age, que Michael Houseman a qualifiés de « réfraction rituelle » (2007, 2010, 2016). Alors que le rituel met ordinairement en œuvre des actions prescrites, souvent opaques ou contradictoires, dont la saillance mémorielle tient en partie à leur caractère conceptuellement déroutant (cf Houseman & Severi 2009), le rituel New Age met en œuvre un symbolisme très explicite et très transparent. Son mécanisme élémentaire réside ailleurs, dans une sorte d’altération de soi par l’introspection. Ce ne sont pas tant les actions qui sont prescrites – on est libre de choisir celles qui « marchent » le mieux – que le fait de les accomplir « en éprouvant les dispositions exemplaires que [ces] actions sont censées exprimer ». Ainsi, « à la différence de ce qui se passe dans des pratiques cérémonielles plus classiques, les célébrants s’attachent moins à répéter ce que d’autres avant eux auraient fait qu’à devenir ce que d’autres avant eux auraient été : un chamane, un druide gallois, un aspect de Gaïa, une personne pleinement consciente d’elle-même, un soi intérieur qui ne connaît pas la peur, etc. » (Houseman 2016 : 226). S’ensuit une réflexivité profonde et parfois paradoxale (« Sois spontané ! »), ou une tonalité ludique très prononcée. On n’est jamais dupe de ce qu’on fait, ce qui ne signifie pas qu’on n’y croit pas. On sait bien que ce tambour chamanique pour touristes est kitsch, mais c’est précisément la raison pour laquelle il fonctionne : il fait à la fois signe vers le prototype qu’on reproduit et vers la distance qui nous en sépare.

Born again : renaître au-delà du baptême

22Le caractère très individuel de la renaissance et son ancrage dans l’expérience corporelle gagnent du terrain sur les terres du christianisme. La question d’une « nouvelle naissance » comprise comme une rénovation individuelle de la vie par la grâce divine y est en effet fondamentale. C’est toutefois par le rituel du baptême que le christianisme dans son ensemble fait de la renaissance la condition du salut. Depuis la Chute, la menace d’une sexualité chargée de concupiscence est au cœur la condition humaine. Selon Anita Guerreau-Jalabert, qui s’appuie sur la théologie médiévale, le baptême « traduit une forme de rupture avec la chair dans ce qu’elle a de négatif [...] et produit simultanément l’instauration d’une relation du chrétien à Dieu, la reconnaissance sociale de la filiation charnelle par l’attribution du nom et l’entrée dans le monde, c’est-à-dire la société » (1995 : 143). Par le baptême, l’homme engendré dans la concupiscence charnelle, ainsi marqué et condamné par le péché originel, renaît à une vie spirituelle qui lui ouvre la voie du salut éternel. Dans cette nouvelle naissance, l’Esprit-Saint intervient pour insuffler à l’âme la grâce et l’amour spirituel (caritas). Le baptême fait du chrétien un fils de Dieu, un membre du « corps » du Christ et le place dans une relation de fraternité avec tous les baptisés (1995 : 137). Le baptême constitue en cela la mise en œuvre rituelle d’un mode de génération qui fait abstraction de la sexualité et matérialise la domination de l’Église.

23C’est en grande partie sur le refus de cette domination que s’est construit le protestantisme, dont une des branches, le christianisme évangélique, prolifère dans le monde entier en modifiant le sens de la renaissance chrétienne. Contrairement au catholicisme qui met l’accent sur la naissance de Jésus et la continuité de l’Église, il insiste sur la conversion personnelle, la nécessité d’un changement radical, la prise de conscience de la nature pécheresse de l’homme et, en particulier pour le pentecôtisme, sur l’expérience de l’irruption de l’Esprit-Saint. Ainsi, la renaissance se déplace : du baptême, rituel transcendantal s’il en est, elle devient une expérience bouleversante de la présence de Dieu, qu’on consolide ensuite sous la forme d’une relation intime.

24La contribution de Tanya Luhrmann apporte un éclairage original sur ces événements fondateurs, en croisant ethnographie et psychiatrie. Dans When God Talks Back (2012), elle s’intéressait aux mécanismes par lesquels Dieu devenait réel pour les évangélistes du mouvement Vineyard aux États-Unis. Ici elle montre que certains signes physiologiques de la présence divine fonctionnent ensemble, à la manière des symptômes qui se manifestent dans un syndrome psychiatrique, et elle met en lumière la façon dont leur déclenchement est conditionné par le contexte social.

  • 4 Robbins emprunte ce concept à Louis Dumont : il le définit comme cette part de la culture qui orga (...)

25Ce christianisme rénové s’exporte vite et bien des États-Unis (Luhrmann 2012) à la Mélanésie, en passant par l’Afrique Noire (Marshall 2009) ou les communautés inuit de l’Arctique. Il est porté par des prédicateurs voyageurs, mais aussi par son caractère polymorphe et acéphale. Ses variations locales font s’interroger les ethnologues. Par exemple, Joel Robbins (2004) s’est intéressé à la rapide conversion de l’ensemble des Urapmin de Papouasie-Nouvelle-Guinée au pentecôtisme. Il a montré la mise en place radicale et volontaire d’une culture chrétienne locale singulière qui voit cohabiter des systèmes de valeurs contradictoires4. Alors que la volonté individuelle était valorisée dès lors qu’elle ne s’opposait pas aux règles sociales, le christianisme a introduit une morale tout intérieure, fondée sur l’obéissance à la volonté divine. Les Urapmin se sont donc logiquement vécus comme d’incorrigibles pécheurs. Par ailleurs, l’insistance chrétienne sur la transparence et la sincérité de la confession fait mauvais ménage avec une idéologie qui affirme que l’esprit d’autrui est et doit rester inviolable (Robbins 2008). L’enjeu pour cet auteur est de penser le changement culturel radical qui intervient lorsque les valeurs chrétiennes deviennent premières, ou tout du moins réorganisent les relations entre les éléments de la culture.

26Dans une perspective mettant à l’inverse l’accent sur les continuités, Frédéric Laugrand examine dans sa contribution les progrès spectaculaires chez les Inuits d’un courant évangélique particulier, promu par le Canada Awakening Ministries. Internationalisé et porté par des pasteurs fidjiens, ce courant trouve des échos remarquables dans le chamanisme comme dans les théories locales de la personne. Éclairage intéressant pour notre propos, le renaître évangélique prend ici une coloration très collective et politique, en croisant le souci d’un revivalisme culturel ou ethnique. En effet, ce n’est pas seulement l’individu qui est régénéré : ce sont les Inuit dans leur ensemble, ainsi que la Terre elle-même, ce qui justifie par ailleurs – en dépit des écologistes – le retour à une prédation sans frein.

Le rebirth de Jules Michelet : la Renaissance de l’homme et de la civilisation

27La recherche de soi dans des alter plus ou moins lointains, et plus ou moins exotiques, n’est pas l’apanage des thérapies alternatives New Age. On en trouve des échos de manière parfois spectaculaire dans les théories les plus sérieuses et chez les historiens ou les anthropologues les plus prolifiques et respectés.

28La façon dont le terme « Renaissance » en est venu à qualifier une période historique est elle-même, partiellement au moins, tributaire de ce genre d’effet de réfraction. C’est au xvie siècle, en effet, que ce terme est choisi par Giorgio Vasari pour désigner le renouveau des arts et des lettres qui naît dans l’Italie du Quattrocento. Même si les auteurs de l’Antiquité ne furent pas oubliés pendant le Moyen Âge, les humanistes ont eu le sentiment aigu de les tirer des ténèbres où les avaient plongés les gloses de leurs prédécesseurs. Cette volonté de retour aux sources – qui guide aussi les relectures de la Bible – se rattache à un désir plus général de purification jugée nécessaire pour s’extraire de la bestialité et de la barbarie. « C’est bien la certitude qu’il faut naître à nouveau pour mériter le nom d’homme qui est au cœur de la notion de Renaissance telle qu’elle apparaît au xvie [siècle] » (Jouanna 2002 : 6).

29La Renaissance apparaît donc déjà comme cette structure en laquelle l’humanité renaît à elle-même, y faisant l’expérience de sa propre altérité. Claude Lévi-Strauss voyait d’ailleurs dans le projet de l’anthropologie sociale la poursuite de cette expérience. L’humanisme de la Renaissance et l’ethnographie du xxe siècle constituent le même type de redécouverte de l’homme par lui-même à travers son altérité : l’antiquité gréco-romaine dans un monde circonscrit par les limites du bassin méditerranéen, ou les sociétés des « peuples sans écriture » du monde colonial et postcolonial. Certes, ce sont là des expériences personnelles où la relation à l’altérité est éprouvée pour redécouvrir une part de soi-même. Mais que dire de l’historiographie de la Renaissance ? Étonnamment, le concept même de « Renaissance » est lui aussi le fruit d’une expérience personnelle. Il faudra en effet attendre le milieu du xixe siècle pour que le mot gagne une majuscule et le sens total qu’on lui connaît aujourd’hui. C’est en 1840 que Jules Michelet, coauteur du roman national, lui donne ce développement dans son cours au Collège de France, faisant du concept traditionnel de « renaissance des arts et des lettres » une période historique grandiose et globalisante, une rupture radicale avec le Moyen Âge par laquelle l’humanité tout entière renaît à elle-même. Pour ce bon nationaliste républicain, l’universel ne pouvait sans doute être que français et la Renaissance ne survenait donc pas en Italie aux xive et xve siècles, mais dans la France du xvie, lorsque les armées de Charles VII avaient envahi l’Italie.

30Aussi « la » Renaissance doit-elle tout autant, sinon plus, à son expérience personnelle (affective, politique, etc.) qu’aux faits. Elle ne naît pas de la froide rationalité de l’historien face à ses sources, mais du cœur enflammé d’un professeur au Collège de France qui, à 42 ans, « renaît à la vie » (Lepeltier 2000). En 1840, Michelet vient de terminer son volume sur Louis XI, roi bourgeois, calculateur et sans grandeur, dont Louis-Philippe d’Orléans lui semble l’héritier. Désespéré par le deuil de son épouse, sa rencontre avec Adèle Dumesnil fait renaître en lui la passion. Et c’est donc un historien amoureux qui se penche sur le règne de Charles VIII dont il suit la descente des troupes à travers l’Italie. La Renaissance naît de ce choc culturel : l’invasion d’une Italie, affaiblie et blafarde, mais marquée d’une grâce douloureuse, par une France encore arriérée et scolastique : « cette barbarie étourdiment heurte un matin cette haute civilisatin. [...] C’est le choc de deux mondes [...] ; et de cette étincelle, la colonne de feu qu’on appela Renaissance » (Michelet 1855 : 59). L’homme, pour reprendre les termes de Michelet, s’y est retrouvé lui même.

31Serait-ce aller trop loin dans cette voie que de suggérer qu’Eduardo Viveiros de Castro, l’un des anthropologues les plus célèbres aujourd’hui, a pour sa part « décolonisé » et refondé la pensée occidentale en suivant un schème similaire ? Dans Métaphysiques cannibales, il renie le projet anthropologique avec la même vigueur que celle de Michelet à l’égard du Moyen Âge, avant de le réinventer grâce à son Indien intérieur, un chamane perspectiviste chez qui « les harmoniques deleuziennes sont audibles » (2009 : 74).

32L’effet de réfraction entre soi et l’autre est explicite, puisqu’il s’agit de déterminer comment « la pensée amérindienne » réfléchirait à des questions anthropologiques et philosophiques. Il construit ainsi une « alter-anthropologie indigène qui est une transformation symétrique et inverse de l’anthropologie occidentale » (ibid.).

Mourir, enfin !

33À la lecture des contributions à ce volume, à la vue des multiples manières que les humains inventent et emploient pour assurer leur renaissance et celle des autres êtres, on peut légitimement se demander si le plus difficile finalement – et le plus singulier dans l’histoire de l’humanité – n’est pas de mourir une fois pour toutes. Ainsi la question ultime serait peut-être, non pas comment renaître, mais comment donc en finir ?

34On sait par exemple que la doctrine hindoue du karma tend précisément à permettre la sortie, un jour peut-être, du cycle des renaissances – et la fin une fois pour toutes de la transmigration, le saṃsāra. De son côté, au contraire, la mort chrétienne se veut suivie, si elle est bien conduite, d’une résurrection définitive dans l’autre monde qui garantira contre de nouvelles naissances. La résurrection de Lazare est à ce titre un miracle assez louche, qu’il ne convient pas de répéter. Le Christ l’a fait revivre avant le Jugement dernier, certes, mais sous une forme très ambiguë. Vivant témoignage (ou presque) de la puissance divine, Lazare est aussi, par sa puanteur, un avant-goût des fétidités de l’enfer. Le portfolio concocté par Pierre-Olivier Dittmar revient sur l’histoire de cette iconographie, qui conduit jusqu’au dernier clip de David Bowie.

35La technologie nous menace elle aussi de la perspective d’une vie interminable. L’humain augmenté du transhumanisme porte des possibilités d’immortalité, tout comme le génie génétique. Cette extension du domaine de la science provoque l’imagination d’artistes en bioart, dont Perig Pitrou a choisi ici quatre exemples, emblématiques de quatre façons différentes de penser le rapport entre vie et mort. Dans une des œuvres présentées, Lia Giraud raconte l’existence d’un homme japonais d’une quarantaine d’années, dont la découverte du moi profond débouche sur une renaissance qui confine à la disparition. Ce qu’il trouve en lui, c’est le « devenir-algue », qu’il met en œuvre de manière littérale. Réflexion sur la mort et ses variantes autant que sur les façons de la vaincre, cette œuvre est une claire subversion du schéma de la quête de soi New Age, mais aussi du corps glorieux des transhumanistes. Nous y puiserons donc notre préconisation : abandonnons Burton à ses quêtes inlassables et à ses vies multiples, et devenons tous des algues, pour toujours, dans le monde du fleuve.

Haut de page

Bibliographie

BAUDOIN PHILIPPE, 2015.
« Machines nécrophoniques », in Thomas A. Edison, Le Royaume de l’au-delà, traduit de l’anglais par Max Roth, Grenoble, Jérôme Millon [1re éd. 1948], p. 5-81.

BLOCH MAURICE & STEVEN GUGGENHEIM, 1981.
« Compadrazgo, Baptism and the Symbolism of a Second Birth », Man no 16/3, p. 376-386.

BONHOMME JULIEN, 2010.
« Initiation », in Régine Azria & Danièle Hervieu-Léger (dir.), Dictionnaire des faits religieux, Paris, PUF, p. 541-548.

CHARUTY GIRODANA, 1999.
« La “boîte aux ancêtres”. Photographie et science de l’invisible », Terrain no 33, p. 57-80.

EDISON THOMAS A., 2015a.
« Ceux de l’au-delà. Pourquoi je cherche à communiquer avec eux », traduit de l’anglais par W. Sérieyx [1re éd. 1921], in Thomas A. Edison, Le Royaume de l’au-delà, traduit de l’anglais par Max Roth, Grenoble, Jérôme Millon [1re éd. 1948], p. 161-165.

—, 2015b.
Le Royaume de l’au-delà, traduit de l’anglais par Max Roth, Grenoble, Jérôme Millon [1re éd. 1948].

FARMER PHILIP JOSÉ, 1971.
To your Scattered Bodies Go, New York, Putnam Publishing Group [1re éd. française : Le Monde du fleuve, Paris, éditions J’ai lu, 1983].

FOUCAULT MICHEL, 1984.
Histoire de la sexualité, vol. 3, « Le souci de soi », Paris, Gallimard.

GODELIER MAURICE, 1982.
La production des Grands Hommes. Pouvoir et domination masculine chez les Baruyas de Nouvelle-Guinée, Paris, Fayard.

GUERREAU-JALABERT ANITA, 1995.
« Spiritus et caritas. Le baptême dans la société médiévale », in Françoise Héritier-Augé & Elisabeth Copet-Rougier (dir.), La parenté spirituelle, Paris, éditions des Archives contemporaines, p. 133-203.

HEELAS PAUL, 1996.
The New Age Movement: The Celebration of the Self and the Sacralization of Modernity, Oxford / Cambridge, Blackwell.

HETHERINTON KEVIN, 1998.
Expressions of Identity: Space, Performance Politics, London, Sage Publications.

HOUSEMAN MICHAËL, 2007.
« Menstrual Slaps and First Blood Celebrations », in David Berliner & Ramon Sarró (dir.), Learning Religion: Anthropological Approaches, New York / Oxford, Berghahn Books, p. 31-48.

—, 2010.
« Des rituels contemporains de première menstruation », Ethnologie française no 40/1, p. 57-66.

—, 2012.
Le rouge e(s)t le noir. Essais sur le rituel, Toulouse, Presses universitaires du Mirail.

—, 2016.
« Comment comprendre l’esthétique affectée des cérémonies New Age et néopaïennes ? », Archives de sciences sociales des religions no 174, p. 213-237.

HOUSEMAN MICHAËL & CARLO SEVERI, 2009.
Naven ou le donner à voir. Essai d’interprétation de l’action rituelle, Paris, CNRS éditions / éditions de la Maison des sciences de l’Homme [2e éd.].

JOUANNA ARLETTE, 2002.
« La notion de Renaissance : réflexions sur un paradoxe historiographique », Revue d’histoire moderne et contemporaine no 49/4bis, p. 5-16.

JUST ADOLF, 1903.
Return to Nature! The True Natural Method of Healing and Living and the True Salvation of the Soul, New York, The Translator, B. Lust [1re éd. allemande originale 1895].

LUHRMANN TANYA M., 2012.
When God Talks Back: Understanding the American Evangelical Relationship with God, New York, Alfred A. Knopf.

LEPELTIER THOMAS, 2000.
« La Renaissance existe-t-elle ? Réflexions à partir de Michelet. À propos de Michelet et la Renaissance, Flammarion, 1992 », Revue de livres, avril 2000, p. 1.

MARSHALL RUTH, 2009.
Political Spiritualities: The Pentecostal Revolution in Nigeria, Chicago / London, The University of Chicago Press.

MICHELET JULES, 1855.
Renaissance. Histoire de France au xvie siècle, Paris, Chamerot.

MOISSEEFF MARIKA, 2013.
« Aliens as an Invasive Reproductive Power in Science Fiction », in Krassimira Daskalova & Kornelia Slavova (éd.), Gendering Popular Culture: Perspectives from Eastern Europe and the West, Sofia, Polis, p. 239-257.

OBEYESEKERE GANANATH, 2002.
Imagining Karma: Ethical Transformation in Amerindian, Buddhist, and Greek Rebirth, Berkeley / Los Angeles / Londres, University of California Press.

ROBBINS JOEL, 2004.
Becoming Sinners: Christianity and Moral Torment in a Papua New Guinea Society, Berkeley / Los Angeles / Londres, University of California Press.

—, 2008.
« On Not Knowing Other Minds: Confession, Intention, and Linguistic Exchange in a Papua New Guinea Community », Anthropological Quarterly no 81/2, p. 421-429.

TAVORY IDDO & YEHUDA C. GOODMAN, 2009.
« “A Collective of Individuals” : Between Self and Solidarity in a Rainbow Gathering », Sociology of Religion no 70/3, p. 262-284.

TURNER VICTOR, 1969.
The Ritual Process: Structure and Anti-structure, Chicago, Aldine Pub.

VAN GENNEP ARNOLD, 2000.
Les Rites de passage, Paris, Picard [1re éd. 1909].

VIVEIROS EDUARDO DE CASTRO, 2009.
Métaphysiques cannibales. Lignes d’anthropologie post-structurale, Paris, PUF, coll. « Métaphysiques ».

Haut de page

Notes

1 Nous remercions ici chaleureusement Grégory Delaplace pour sa relecture attentive de cette introduction.

2 La réincarnation a des enjeux éthiques, en Occident comme en Inde.

3 Les Rainbow Gatherings sont nés aux États-Unis en 1972 en signe de refus du caractère de plus en plus commercial des festivals alternatifs. D’abord simplement Peace and Love, le mouvement s’est progressivement teinté de spiritualité, notamment en Israël, où il a été introduit par des émigrés américains dans les années quatre-vingt-dix.

4 Robbins emprunte ce concept à Louis Dumont : il le définit comme cette part de la culture qui organise les relations s’établissant entre ses différents éléments.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Emmanuel de Vienne et Ismaël Moya, « Renais-toi toi-même »Terrain, 66 | 2016, 6-23.

Référence électronique

Emmanuel de Vienne et Ismaël Moya, « Renais-toi toi-même »Terrain [En ligne], 66 | 2016, mis en ligne le 15 décembre 2016, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/15926 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terrain.15926

Haut de page

Auteurs

Emmanuel de Vienne

Université Paris Nanterre Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative (EREA)

Articles du même auteur

Ismaël Moya

CNRS, Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search