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Repères

Vivre dans le « combattantisme »

Parcours d’un chef de milice en Ituri (République démocratique du Congo)
Élisabeth Claverie
p. 159-181

Résumés

L’article décrit les conditions d’entrée dans le « combattantisme » de Germain Katanga, chef d’un groupe armé en Ituri, dans l’est de la République démocratique du Congo, dans les années 1998-2003. Katanga a été accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans le deuxième procès mis en oeuvre par la Cour pénale internationale (CPI), à La Haye. Cet article a été élaboré à partir d’un travail de terrain à l’intérieur d’une chambre de jugement de la CPI, reposant notamment sur une assistance aux audiences. Avant la montée en puissance de Katanga, l’article détaille les premières séquences de sa trajectoire : de son entrée dans le groupe d’autodéfense de sa communauté jusqu’à ses premières sorties offensives et son obtention du titre de « combattant ». L’article est centré sur le répertoire « maï-maï » de ce groupe et sur le rôle qu’y jouent deux des grands féticheurs-prophètes de la région, Bernard Kakado et Kasaki.

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Texte intégral

  • 1 Procès de Thomas Lubanga, témoignage P-157, T-188, p. 13, audience du 9 juin 2009.

Je suis un rebelle. Vous me posez des questions comme si j’étais un militaire d’une armée gouvernementale. Quelle réponse voulez-vous que je vous donne ? Un rebelle est toujours prêt à aller se battre1.

  • 2 Procès de Germain Katanga, témoignage P-30, T-178, p. 50, audience du 26 août 2010.

Et si j’ai fait un bon constat, je crois n’avoir jamais vu de femmes dans les groupes des Lendu. Je ne sais pas. Peut-être au moment des pillages, à cette période tout le monde se fait militaire et lorsqu’il y a des désordres tout le monde se fait militaire2.

Le tribunal comme instance de description

1Cet article se limite à construire le récit de l’entrée de Germain Katanga dans ce qu’il appelle le « combattantisme », entrée qu’il effectue sous les auspices d’un féticheur-prophète, avant sa montée en puissance que je ne décrirai pas ici. Fils naturel d’une religieuse, vivant au village, Katanga devint le chef d’un groupe d’autodéfense, puis le coordinateur de plusieurs groupes armés agissant en Ituri, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Il devint ensuite le partenaire d’alliances politico-militaires puis diplomatiques plus larges, participant aux négociations des commissions de pacification. Intégré avec le grade de major dans l’armée nationale de la RDC, il fut transféré quelques mois plus tard, sur requête de son État auprès du procureur, devant la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, afin d’être jugé pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

  • 3 Le Tribunal pénal international pour l’ex- Yougoslavie (TPIY) a été créé en 1993 par l’Organisation (...)

2Anthropologue travaillant sur les processus de jugement de cette juridiction et sur les modes de qualification, d’établissement des faits et des responsabilités qu’elle opère pour décrire les conflits armés à travers le rôle des différents acteurs, c’est dans ce cadre que j’ai croisé le parcours de Germain Katanga. Les données de cet article sont issues d’une enquête de terrain de plusieurs années à l’intérieur de l’une des chambres de jugement de la CPI – terrain entrepris après de nombreuses années d’enquêtes sur l’autre tribunal pénal international de La Haye, le TPIY3. Sur le long terme, j’ai en effet élaboré un dispositif d’enquête me permettant de travailler à la fois sur les conflits armés, les qualifications judiciaires dont ils sont l’objet, cas après cas, et la mise en oeuvre, avec les requêtes, d’une mise à jour du droit international des conflits armés ou droit international humanitaire. J’ai donc écouté Katanga à l’audience, l’ai vu s’adresser à ses trois juges – puisque cette procédure admet dans une de ses séquences qu’un accusé s’exprime aussi à titre de témoin, s’il le souhaite –, comme j’ai écouté la plupart des cinquante-quatre autres témoins convoqués par la défense et par l’accusation dans son procès, qui est aussi celui de son coaccusé, Matthieu Ngudjolo Chui – jusqu’à ce que leurs procès soient finalement disjoints, très tardivement.

3Mon enquête a consisté à assister le matin aux audiences, et l’après-midi au traitement de l’énoncé des dépositions par les juristes de la chambre : interroger leur crédibilité et celle des témoins, le rapport entre les faits et le droit applicable, la pondération de leur valeur probatoire au regard des charges, le recoupement des données, la constitution d’un récit, la teneur des documents obtenus par les perquisitions, quand elle m’étaient accessibles (classées « publiques »). Pendant la même période (2010- 2014) se tenaient aussi à la CPI les procès de deux autres accusés liés au même conflit, mais dans les camps adverses : Thomas Lubanga et Jean- Pierre Bemba (homme politique lié à la clientèle Mobutu, jugé uniquement pour des faits commis par ses milices en République centrafricaine, mais ayant été actif en Ituri), audiences auxquelles j’ai parfois assisté et dont j’ai lu en tout cas l’intégralité des transcriptions (verbatim). Lors du prononcé de son jugement, le 7 mars 2014, Katanga a été déclaré coupable de plusieurs chefs d’accusation de crimes de guerre. Son procès, et celui de Matthieu Ngudjolo, quant à lui acquitté, avait commencé le 24 novembre 2009, après deux ans de travaux de la chambre préliminaire, laquelle avait confirmé les charges de l’acte d’accusation : recrutement et utilisation d’enfants soldats, attaques visant le camp militaire mais aussi la population civile du village de Bogoro en Ituri, dans l’intention de l’« effacer » (Banégas & Jewsiewicki 2001 ; Maindo & Monga Ngonga 2001 ; Tamm 2013).

4Construire le récit de l’entrée dans cette trajectoire, c’est aussi poser la question du type d’environnement généré par l’extension du domaine des groupes armés à chaque coup porté et reçu. C’est parler, pour une longue période, d’un environnement social fait de massacres, de viols, de pillages, d’incendies, de famines, de déplacés à grande échelle vaguant ici et là, d’agriculteurs quittant leur travail de production, d’écoles transformées à peu près partout en camps militaires, de déplacements ordinaires rendus impossibles pour les personnes sans protection militaire, d’atteintes à l’environnement naturel (mines, chasse aux animaux rares, déforestation) (Braeckman & Vercoulon 2005). C’est encore parler de civils enrôlés toujours plus nombreux, à un titre ou à un autre, dans les groupes de combattants ; c’est évoquer l’ampleur de la militarisation de la population (milices, groupes armés, banditisme) sur de vastes zones ; et c’est témoigner de ce qu’il advient aux femmes lorsqu’elles ne s’arment pas à leur tour (Bazenguissa-Ganga & Makki 2012). Sur une longue période, au moins depuis 1998 jusqu’à présent, dans les Kivu et l’Ituri, l’intensité de la violence exercée par les groupes armés est variable et imprévisible, mais le poids de leurs prélèvements sur la population est resté constant : il faut nourrir les combattants et répondre à leurs ordres. Aborder cette période – pour l’époque des faits concernés par le procès (1998-2003) mais aussi bien avant et bien après elle – implique aussi de prendre en compte l’effondrement de l’État dans cette région de l’est de la RDC, et donc prendre en compte la disparition des procédures d’enregistrement et des structures éducatives : plus d’états civils, plus d’administrations, plus d’écoles, plus de marchés de village réguliers, plus de repères temporels… Toutes choses qui, bien sûr, transportées au niveau du procès, outre les contraintes internes du prétoire et de la procédure, retentissent sur l’énonciation et les énoncés des témoins. Ces éléments, s’ils ne sont pas abordés ici, constituant la matière de fond de ce récit.

Les groupes armés comme forme

5S’interroger sur le succès politique de nombre de groupes armés et d’entités politico-militaires un peu partout dans le monde, quel que soit le contenu manifeste de leurs revendications, c’est d’abord s’interroger sur leur forme. Ces formes intriguent par leur capacité à maximiser, à diversifier, à distribuer et à redistribuer des objectifs et des cibles, par leur capacité à satisfaire les visées d’une pluralité d’acteurs, d’intérêts et d’entités de toutes tailles, visibles ou invisibles – à chacun selon ses besoins de courts ou de long terme –, par leur aptitude donc à agréger, pour un temps, des collectifs de nature très diverse. Leurs modèles de mobilisation sont intrigants, de même que leurs pratiques et leurs buts. Leurs effets, leur efficacité et leur impact affolent, de fait, la communauté internationale. Ici et là, leurs constructions allient le local à d’autres échelles, réseaux ou territoires, et exercent un usage efficace du global. En effet, les expériences que font ces groupes armés locaux du politique les confrontent rapidement au large monde, aussi bien par les liens qui les conduisent au trafic d’armes que par ceux qui les conduisent aux commissions de pacification, aux expériences de l’englobement comme à celles de la globalisation utile.

L’Ituri et la « deuxième guerre du Congo (RDC) »

  • 4 Sur ce conflit, voir par exemple Gérard Prunier (2009), Jason K. Stearns (2011). Plus spécifiquemen (...)

6Les affrontements armés dont il est question ici sont un fragment local de ce qu’on appelle la « deuxième guerre du Congo (RDC)4 ». L’aire géographique de déploiement armé de Germain Katanga et de son coaccusé Matthieu Ngudjolo s’est limitée au centre et au sud de l’Ituri, district de la Province orientale situé au nord-est de la RDC – à l’exception de quelques incursions au Nord- Kivu voisin. Le district d’Ituri longe le lac Albert, lequel fait office de frontière avec l’Ouganda et jouxte le Nord-Kivu. « Limité » n’est cependant pas le bon qualificatif pour circonscrire l’aire géographique des actions armées de Katanga (Maindo Monga Ngonga 2003). Même décrits au niveau local, au niveau des chefs de milices villageoises, des prophètes et féticheurs de villages, des chefs coutumiers de collectivités, comme je le fais ici, les enjeux de ces conflits armés sont arraisonnés dans tous leurs actes et toutes leurs dimensions par une dynamique conflictuelle beaucoup plus vaste : celle dite de la « région des Grand Lacs ». Bien que cette désignation n’ait, substantiellement, pas grand sens, comme l’a bien montré Jean-Pierre Chrétien (2010) dans son ouvrage consacré à l’« invention » de cette région, la « région des Grands Lacs » est désormais une entité géographique construite, et c’est l’un des symptômes de son mode d’existence que d’être devenue le nom d’une accumulation criminelle. En cette zone s’interpénètrent conflits fonciers et démographiques, guerres interethniques, sentiments nationaux, traitement des minorités, résurgences postcoloniales des politiques racialistes, convoitises économiques locales, nationales et internationales, et politique internationale des sphères d’influence.

Le conflit des Hema et des Lendu / Ngiti

  • 5 L’Union des patriotes congolais (UPC) est un mouvement créé par l’Ouganda au Congo RDC en 2002, pui (...)
  • 6 Sous les traits de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo- Zaïre (AFDL), a (...)
  • 7 Ugandan People’s Defence Forces (UPDF) est l’armée ougandaise.

7De longue date, au sein de plusieurs collectivités situées au nord de Bunia, le chef-lieu du district situé au centre de l’Ituri, un conflit foncier oppose deux communautés, les Hema et les Lendu. Dans un des territoires de cette zone de forte densité démographique située entre le lac et la forêt dense, le territoire de Djugu, les Hema, plutôt éleveurs de vaches et commerçants, et les Lendu, plutôt agriculteurs, commencèrent à lancer des attaques les uns contre les autres. Comme dans l’ensemble de la région des Grands Lacs, la répartition des activités (éleveurs / agriculteurs), si elle représente bien une certaine partition économique, sert surtout, dès que l’occasion en est saisie par un leader d’opinion, à tirer d’un vieux réservoir des associations idéologiques racialisantes, par le biais d’accusations et d’imputations récurrentes mêlées. Déroulé par Katanga à l’audience telle une évidence, ce récit type s’énonce comme suit. Disséminés dans tous les pays alentour (Ouganda, Rwanda, Burundi, Tanzanie, RDC), les Hima- Tutsi dont font partie les Hema, avides de terres pour leurs troupeaux, ambitionnent d’accaparer les territoires de tout l’est de la RDC pour reconstituer l’empire hima-tutsi (Chrétien & Kabanda 2013). Ils désirent annexer l’Ituri et cas de Lubanga, combattant hema, chef d’un groupe politico-militaire, l’UPC5) ou pour le compte de leur gouvernement, à savoir le président Museveni en Ouganda et le président Kagame au Rwanda6. Ce mythe, étudié par Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda (2013), est sans cesse réactivé par les entrepreneurs politiques de toute la région. Sans trouver une autre forme pour le dire, il se nourrit du fait que les Hema, privilégiés par les colonisateurs belges, ont eu accès, au départ de ceux-ci, aux concessions de terres d’élevage (Braeckman 1999). Bénéficiant d’une meilleure éducation, d’un accès à certaines positions administratives, mais aussi grâce au commerce de longue portée de part et d’autre du lac Albert, ils ont pu obtenir des droits de propriété individuels sur des terres, légitimés par des actes d’achat légaux, tandis que leurs voisins lendu, vivant sur les mêmes territoires, ne pouvaient alléguer que leurs droits collectifs coutumiers non écrits, et durent céder leurs terres. Le chef Manu, chef coutumier de Bedu Ezekere, décline ainsi à l’audience le nom de toutes les concessions que lui et ses administrés lendu ont cédé aux Hema en raison de ces nouveaux droits de propriété. Le conflit, qui avait atteint une assez forte intensité allant jusqu’à l’incendie de villages, changea de nature lorsque l’armée ougandaise s’installa en Ituri comme force d’occupation, et que cette armée, l’UPDF7, prit fait et cause pour les Hema.

Découpage administratif et pouvoir coutumier

8Pour mieux comprendre la topographie sociopolitique des lieux, il faut dire quelques mots de l’organisation administrative et politique de la République démocratique du Congo. Parce qu’elle permet de rendre saillant l’entrelacement de différents motifs – territoires, lignages, clans, parenté, ethnie, morcellement, frontières –, cette configuration met en valeur les contraintes des dispositifs avec et contre lesquels les milices et leurs chefs agissent et circulent.

  • 8 Dans le cadre d’un projet global de décentralisation, une décision gouvernementale toute récente (2 (...)
  • 9 « Je dis la “collectivité chefferie de Walendu Bindi”. “Chefferie” veut dire que c’est une sorte… L (...)
  • 10 Témoignage D02, T-273, p. 53-54, audience du 1er juin 2011 : « Question : — Vous dites : “À un cert (...)

9Le pays, immense, est découpé en onze « provinces8 » – celle qui retient notre attention étant la Province orientale. Celles-ci sont divisées en « districts », dont l’Ituri, et ceux-là en « territoires », dont le territoire d’Irumu en question. Les territoires sont à leur tour divisés en « collectivités » ou « chefferies9 » – ici la collectivité de Walendu-Bindi –, et celles-ci sont découpées en « groupements » – ici Aveba –, puis ceux-ci en « localités » (villages). Les résidents d’un groupement se considèrent comme des frères10 en tant qu’ils appartiennent au même lignage patrilinéaire. Si le lignage est étendu, ses membres peuvent se distribuer entre plusieurs « localités » d’une même « collectivité ». Ainsi, chaque groupement peut réunir un ou plusieurs lignages et clans et leurs chefs respectifs. Le groupement est dirigé par un chef coutumier généralement nommé par ses pairs, les chefs de lignage, chef inter pares. Au niveau de la collectivité comme « au-dessus », ce chef est adoubé aussi par le gouvernement au cours d’une cérémonie d’investiture, et il exerce à son échelle les fonctions de chef administratif. Il est de la sorte considéré comme « lié » au régime et comme étant un relais d’une échelle hiérarchique, partie prenante de l’organigramme administratif. Localement, il est investi de grands pouvoirs. Cependant, lorsque, durant l’audience, il est demandé au chef coutumier de la collectivité de Bedu Ezekere pourquoi il n’a pas demandé l’aide de l’État face à l’attaque du village de Zumbe, il répond :

  • 11 Témoignage de chef Manu, P-88, T-300, p. 51, audience du 29 août 2011.

Moi, quelqu’un de la brousse – quelqu’un de la brousse –, comment aurais-je pu discuter avec le gouvernement ? Le chef d’état-major général du Congo se trouvait à Kinshasa. Zumbe relève de Kinshasa. Kisangani [chef-lieu de la Province orientale] relève de Kinshasa. Mais les gens de Kisangani n’ont pas demandé de secours. Et moi, de la brousse, qu’aurais-je pu dire ? Que voulez-vous que je dise ? Il ne m’incombait pas de demander de l’aide. Ce n’était pas mon rôle. Ils savaient bien que les gens contrôlaient Zumbe, Kasenyi, et tout le territoire du Congo. Un simple chef comme moi, qu’aurais-je pu dire ? Le gouverneur lui-même n’a rien dit. Le responsable du district n’a rien dit. Le responsable du territoire n’a rien dit. Est-ce que j’aurais pu dire quelque chose11 ?

10Assurant aussi des fonctions de police, de justice et de surveillance de la population, les chefs coutumiers de collectivité ont à leur service des policiers et des cachots. Le chef Manu, dont Katanga dit qu’il compte parmi les chefs les plus respectés, s’exprime ainsi :

  • 12 Ibid., p. 64-65.

Moi, je suis une personne autoritaire, je dois dire la vérité. Si ce n’était pas pour les sages qui étaient à côté, j’aurais pu punir certaines personnes. Les gens avaient peur de moi. Et lorsque je donnais des ordres, il fallait qu’on obéisse. Et si on n’obéissait pas, je les enfermais dans un cachot. Et il y avait des gens qui surveillaient les autres. Et lorsqu’on était en détention, on ne pouvait pas s’évader parce qu’on enchaînait les détenus12.

  • 13 Sur le « mauvais coeur », voir Joseph Tonda (2005).

11La présence de cachots au niveau des collectivités, voire des localités, est attestée par de nombreux témoins. Sur leur territoire, les vieux sages, comme le chef coutumier, tirent leur force du fait qu’ils sont directement investis du pouvoir des ancêtres qui les « gardent » et les rendent aptes à « protéger la tradition », en leur communiquant par des moyens occultes leurs savoirs. Forts de cette puissance transmise par les esprits des ancêtres, ils assurent la sécurité du groupement. C’est pourquoi le chef coutumier veille aussi – ce qui n’est pas le moindre de ses pouvoirs – à la régulation sorcellaire, comme l’explique ici le chef Manu au sujet des réunions du conseil des sages, à propos du « mauvais coeur13 » (Tonda 2005, 2008), le coeur du sorcier et ses pouvoirs :

  • 14 Témoignage de chef Manu, P-88, T-299, p. 28-29, audience du 26 août 2011.

Selon notre tradition, les gens peuvent dire “Telle ou telle personne a un mauvais coeur” aux gens, et cela apporte des maladies. En ce moment-là, ces gens se réunissent pour examiner cette situation. Ils vont voir pourquoi il y a cette maladie, pourquoi il y a des animaux féroces qui entrent dans le groupement. C’est ça leur travail14.

12Plus loin, il développe :

  • 15 Témoignage de chef Manu, P-88, T-303, p. 26 sq., audience du 5 septembre 2011.

« Godza » : « go », chez nous, c’est un mauvais esprit, c’est un diable, quelqu’un de mauvais coeur, quelqu’un qui ne veut pas travailler avec d’autres personnes. On vous donne de la farine de maïs avec de la viande et vous voulez autre chose. C’est quelqu’un de mauvais coeur. C’est des gens de ce genre qu’on appelle des sorciers. Et ce sont ces personnes qu’on appelle « go », des personnes de mauvais coeur […]. C’est des gens atteints ou envoûtés, atteints des mauvais esprits. Même ici, il y en a. […] Go, c’est quelque chose de mauvais, et « dza » c’est une maison. C’est quelqu’un possédé par de mauvais esprits : c’est cette personne-là qu’on appelle « Godza »15.

13Par opposition, il y a, à Zumbe, les personnes de bonne volonté, celles qui ont un « bon coeur » comme celles qui donnent aux combattants des fétiches de protection, comme le raconte, parmi d’autres, ce témoin :

  • 16 Témoignage P-280, T-157, p. 18, audience du 16 octobre 2010.

C’était une personne de bonne volonté. Un villageois qui est dirigé par son esprit, il dit : « Non, moi je vais aller donner des fétiches à ces gens… à ces militaires. » Alors, il venait nous donner les fétiches116

  • 17 Témoignage de Germain Katanga, T-316, p. 24-25, audience du 4 octobre 2011.

14La chasse et le règne animal font aussi partie des attributions des sages. Bref, dit Katanga, « les sages étaient les patrons », « plus puissants que les administratifs »17.

La collectivité de Walendu-Bindi

15Au sud de l’Ituri, le territoire d’Irumu, territoire de résidence de Katanga, comprend douze collectivités. Parmi celles-ci, une seule est ngiti, c’est la collectivité de Walendu-Bindi, terme qui signifie « communauté des Lendu-Sud », c’est-à-dire les Ngiti. Quatre autres collectivités de ce territoire sont hema, tandis que les autres collectivités sont peuplées par divers groupes parmi les dix-huit ethnies d’Ituri. Les Lendu de la collectivité de Bedu Ezekere, le territoire de Matthieu N’gudjolo dont fait partie Zumbe, sont eux aussi, environnés d’« ennemis hema » qui les coupent de tout accès au chef-lieu, aux marchés, au commerce et à l’achat de nourriture.

  • 18 La mine de Mongwalu, près de Bunia, est une des plus importantes mines d’or de l’Afrique centrale.

16Trois villes, outre la très lointaine Kinshasa, à l’autre bout de la RDC, comptent dans la région : Kisangani, chef-lieu de la Province orientale, Bunia, chef-lieu de l’Ituri, et Béni, la ville du Nord-Kivu. Les villes de Goma, de Kigali et de Kampala ont elles aussi leur importance dans la sphère régionale. Pour terminer ce tableau succinct, il faut ajouter qu’en plus de ses biens forestiers, l’Ituri, qui longe le lac Albert et par conséquent la frontière ougandaise, est très riche en mines d’or18 et de coltan, tandis que le pétrole du lac Albert commence à être exploité. Si la zone de combat de Katanga est avant tout rurale, et que son groupe armé, comme toutes les milices de la région, sont des milices rurales, le caractère frontalier de la région, les formes prises par l’exploitation minière, le commerce du bois, le trafic d’ivoire et de peaux, l’exploitation du pétrole du lac Albert, la vente du poisson du lac des deux côtés de la frontière lui donnent, parallèlement au total effondrement des structures de l’État, de l’administration étatique et du réseau routier, une dimension tout autre. Tous les produits courants utilisés dans la région viennent d’Ouganda.

L’entrée en scène de Germain Katanga

  • 19 Il existe à Aveba plusieurs églises protestantes distinctes, dont une église anglicane originaireme (...)

17Lorsque au terme d’une quête de dix-huit mois, Katanga retrouva son père et s’installa chez ce dernier à Aveba, en octobre 1998, les Ougandais étaient déjà établis dans presque toute l’Ituri, y compris dans la collectivité de son père, la Walendu-Bindi. Cet infirmier ngiti, de confession protestante19, résidait au village d’Aveba, avec une épouse et quinze enfants. C’est dans ce village que Germain, alors âgé de vingt ans, fruit transgressif d’une religieuse, fut admis dans le lignage de son père. Né à Mambasa, dans les terres forestières au sud-ouest de Bunia, pris en charge dès sa naissance par son oncle maternel et l’épouse de celui-ci, il était parti à quatorze ans, suivant les déplacements de son oncle, pour le camp militaire d’Isiro dans le Haut-Uele. Cet oncle, militaire dans les Forces armées zaïroises (FAZ), fut tué dix-huit mois auparavant dans les combats opposant les forces de Mobutu, auxquelles il appartenait, et les forces kabilistes de l’AFDL (Braeckman 1999 ; Stearns 2011).

  • 20 « À la mort de mon oncle, le régime a complètement changé. C’était difficile. C’était un peu très d (...)

18La mort de son oncle jeta Katanga sur les routes, à la recherche de son père biologique. Il venait de perdre tous les avantages liés à la position d’une famille de militaires des faz sous Mobutu20 (dont l’accès facile aux exactions). À seize ans, il avait commencé une formation au sein de la garde civile, unité d’élite sous Mobutu. Cette formation avait été brusquement interrompue. C’est dans cette situation que Katanga arriva dans la collectivité de Walendu-Bindi. Et c’est dans ce cadre qu’il « entra dans le combattantisme », selon son expression.

L’autodéfense

  • 21 Le chef du groupement de Zumbe explique : « Le Lendu se sert de la flèche, de l’arc. Il se sert de (...)
  • 22 Selon Katanga, il n’existait qu’un seul centre de santé à Aveba, créé par son père en 1986. Pour un (...)

19Selon le récit de Jonathan, le plus jeune frère de Germain Katanga, « à l’arrivée des Ougandais en août 1998, il n’y avait pas de combattants, les gens protégeaient leurs familles avec des lances ». Mais rapidement, les jeunes Ngiti d’Aveba et tous ceux qui en avaient la possibilité physique se mobilisèrent, organisant sous la conduite du chef coutumier, chef Akobi, des groupes d’autodéfense, instaurant des tours de veille et installant des guetteurs sur les collines. Ainsi les femmes, les vieillards et les enfants pouvaient-ils fuir et se cacher « dans les brousses », comme le firent le père, l’épouse, et les enfants de Germain Katanga. Les jeunes hommes tenaient alors la garde des villages du groupement, se défendant des incursions ougandaises au moyen de lances et de flèches21.Toutefois, durant l’année 1999, la violence s’intensifia. Il était fréquent, au cours d’incursions dans les quartiers de villages, que les Ougandais incendient les maisons, faites de paille, de branches et de terre, volent du bétail, tirent sur les habitants, pourchassent et enlèvent des filles et des femmes, et se livrent à des pillages, notamment au centre de santé22. Dans leur entreprise de terrorisation, ils tiraient depuis leurs convois de manière indifférenciée sur la population locale de la collectivité de Walendu-Bindi : il suffisait d’être ngiti pour être visé. Beaucoup d’écoles de village durent fermer leurs portes, mais Katanga avait été admis dans l’une des écoles protestantes encore ouverte, une école anglicane (Meyer 2004 ; Wild-Wood 2008), l’institut Badjanga, que les Ougandais visèrent aussi. Tous les villages en bord de route se vidèrent de leurs habitants. Deux jeunes militaires des ex-faz (Forces

  • 23 Yuda mourut au cours d’affrontements à Geti contre les Ougandais.
  • 24 Témoignage P30, T-180, p. 22, audience du 30 août 2010.

20armées zaïroises), issus du groupement de Bavi, Yuda23 et Garimbaya, aidèrent la population ngiti d’Aveba à s’organiser, y compris à former des patrouilles de nuit. Lorsqu’ils retournèrent à Bavi, un combattant venu des troupes rebelles de Jean-Pierre Bemba, Alpha Bebi, formé en Ouganda, continua d’organiser et de former les jeunes hommes d’Aveba. À Zumbe, le chef Manu organisa les jeunes de l’autodéfense en plusieurs sections divisées par tâches, toutes sous l’autorité d’un jeune, le « président », qui devait lui rendre compte ainsi qu’au Conseil des jeunes, dirigé par un « vieux sage ». Ces groupes d’autodéfense lendu et ngiti, tout comme les groupes d’autodéfense hema, se mirent en place sur la base des groupements (un ou plusieurs lignages d’un même clan), et associaient généralement plusieurs localités d’une collectivité (le Walendu-Bindi, par exemple). Ces groupes étaient appelés « milices », explique un témoin, parce qu’ils étaient des « membres de la population dont on avait fait des combattants »24.

  • 25 Témoignage de Germain Katanga, T-314, p. 51-52, audience du 27 septembre 2011.

21Mais le combat restait fortement asymétrique, l’armée ougandaise utilisant des armes lourdes et des soldats formés, tandis que les Ngiti n’étaient toujours équipés que de lances et de flèches. Katanga décrit ce rapport de force lorsqu’il rallie, fin 1998 ou début 1999, les groupes d’autodéfense d’Aveba et de la collectivité de Walendu-Bindi. Il s’y fait une place grâce à la formation qu’il a reçue auprès de la garde civile, à sa connaissance du maniement des armes automatiques, et à sa parfaite connaissance du swahili local (le kingwana) – que les Ngiti apprenaient à l’école quand il y avait des écoles – et du lingala, la « langue des militaires ». Katanga ne parlait pas le n’druna, la langue des Ngiti. C’est cependant à partir du 10 janvier 2001, lorsque les hélicoptères de l’armée ougandaise attaquèrent la coopérative des Ngiti, la Codeco, que des groupes de « combattants » furent fermement organisés dans les villages de Walendu-Bindi. « C’est à partir de là que l’esprit d’intégrer les combattants, l’autodéfense m’est arrivé25 ».

La Codeco

  • 26 Dans les minutes du procès intenté contre lui en 2010 par le tribunal militaire de garnison de Buni (...)
  • 27 « Après Kakado, c’est Kasaki. Après Kasaki, c’est le pasteur Saradu, après pasteur Saradu, c’est le (...)

22La coopérative Codeco était une institution ngiti majeure qui jouait dans toute la région un rôle social et économique de premier plan en produisant une grande partie des biens alimentaires et du charbon de bois de la région, et en alimentant en grande partie le marché de Bunia. Réussite ngiti, elle était un objet de grande fierté, une réalisation locale exceptionnelle, fondée sous Mobutu par un groupe de jeunes modernistes, d’anciens boys de colons belges, dont Bernard Kakado26, qui devint plus tard le grand féticheur des Ngiti, l’inspirateur, le prophète et le chef spirituel de leur groupe armé puis de leur groupe politico-militaire (Ceriana 2014a). En effet, dans chaque village, puis dans chaque camp militaire ngiti, on comptait un délégué de Kakado27 chargé de diffuser ses produits auprès des combattants. Katanga dira à l’audience que le don de voyance de ce féticheur lui permettait de prévoir la meilleure date pour les semailles et les récoltes, aussi bien que la meilleure date pour les attaques et que l’imminence de l’arrivée de la guerre :

  • 28 Témoignage de Germain Katanga, T-319, p. 20-21, audience du 10 octobre 2011. 29. Ibid.
  • 29 Ibid.

Au-delà des fonctions agricoles, il avait sa fonction d’un voyant – c’est ce qui a permis que quand, peut-être, il… il anticipait… Il y a des saisons chez nous où on sème les haricots. Mais quand il vous dit : « Non, ne respectez pas la saison de l’année passée, mais devancez cette date. » Si vous respectez, votre récolte réussit avec succès. C’était ça la situation qu’il faisait28. […] Kakado, s’il dit « Stop » aux combattants, s’il dit « Stop », personne ne peut bouger29.

23La Codeco faisait travailler une foule de gens sur le territoire d’Irumu mais, des années auparavant, elle avait joué un autre rôle. C’est parmi ses ouvriers ngiti que Kakado avait jadis recruté sa milice afin de l’employer lors de conflits fonciers locaux avec les Bira du territoire d’Irumu (Muntanzini Mukimapa & Mutata Luaba 2013).

Le système Kasaki

24Selon ses propres termes, dès son arrivée à Aveba, Katanga entra « dans le système Kasaki ». C’est-à-dire dans le système de mobilisation et de protection des combattants, mais aussi d’organisation des attaques établi par le féticheur Kasaki. Celui-ci était le représentant de Bernard Kakado à Aveba. Dans son système, on retrouve de nombreux traits idéologiques et organisationnels revendiqués par les groupes maï-maï des Kivu et notamment du très proche Nord-Kivu, l’axe Beni-Butembo (Van Acker, Vlassenroot & Marchal 2001 ; Gruénais, Mouanda Mbambi & Tonda 1995). Comme dans ces groupes, on remarque par exemple la mise centralité des fétiches de protection vitale, le recours à l’eschatologie politique et au prophétisme, répandu de longue date en RDC, le thème de l’autochtonie, le recrutement rural des milices, les luttes pour les droits fonciers exprimés en termes de droits ethniques collectifs, et la lutte contre les envahisseurs « hima-tutsi ». Kasaki, le féticheur d’Aveba et de Nyabiri, était reconnu comme le disciple le plus expérimenté de Bernard Kakado, son autorité et son influence étaient immenses. Comme de nombreux autres témoins, Katanga en fait le constat, en comparant les pouvoirs du chef Akobi, chef coutumier d’Aveba, et de Kasaki :

  • 30 Témoignage de Germain Katanga, T-322, p. 16, audience du 28 septembre 2011.

Germain Katanga : — Kasaki, dans notre collectivité, après Kabayonga Kakado Bernard, c’est lui. Chef Akobi, c’est rien face à Kasaki. Le procureur : — Monsieur Katanga, il est clair que Kasaki et Kakado ne sont pas des militaires, n’est-ce pas ? Germain Katanga : — Monsieur le procureur, ils n’étaient pas des militaires mais ils étaient tout-puissants. Tout-puissants. Même quand vous mettez le canon sur la poitrine de Kakado, il vous demande de tirer. Président, c’est un phénomène, c’est un phénomène, qui quand on vous raconte ça ici, vous croyez que c’est une histoire que les gens ont inventé. Ces gens-là, ils étaient des tout-puissants, c’étaient vraiment des tout-puissants. Quelqu’un qui vous dit « Faites ceci : si vous n’obéissez pas, vous allez payer le prix. », et ça se fait. Je ne pouvais pas passer au-dessus de Kasaki, passer au-dessus de Kakado. Non, ils étaient au top, au top. Même Akobi… Akobi ne pouvait rien devant Kakado, devant Kasaki aussi30.

25Depuis longtemps, Kasaki faisait commerce de ses fétiches. Avant la guerre déjà, il assurait contre paiement, chance, guérisons et protection, mais aussi diagnostics sorcellaires et divination. À l’arrivée des Ougandais, il prit en Walendu-Bindi le titre de « chargé de front ». Il accompagnait les hommes au combat et les encourageait. Cette compétence était inscrite dans le répertoire d’actions maï-maï d’accompagnement et de protection des guerriers et des chasseurs, mais était réputée n’être efficace qu’au sein de la communauté. Cette exclusive avait même valeur de test identitaire, comme l’explique un témoin que ses fétiches aident à reconnaître ses ennemis :

  • 31 Témoignage P-280, T-156, p. 43, audience du 15 juin 2010.

Je suis capable de reconnaître un Hema, même si je le croise en cours de route. Il y a une chose qui m’aidait à les reconnaître : j’avais une [sic] fétiche sur ma main. Je pouvais les reconnaître. J’avais aussi des fétiches dans mon sang, parce qu’on a fait des incisions. Lorsque je le vois, et si je sens mon sang bouillir en moi, alors je reconnais que c’est un Hema. Cela se faisait à partir des fétiches que j’avais31.

  • 32 La qualité d’enfant soldat de ce témoin a été contestée par la défense, et cette contestation admis (...)

26Un jeune déplacé de Zumbe, qui témoignait au titre d’enfant soldat32, eut ce dialogue avec le procureur, qui ne s’y attendait pas :

  • 33 Témoignage P-279, T-144, p. 44 sq., audience du 20 mai 2010.

Le procureur : — Quel genre de techniques vous avez appris durant l’entraînement militaire, Monsieur le témoin ? Le témoin : — On nous apprenait surtout à utiliser des médicaments. C’est ainsi que, si on nous envoyait nous battre, nous n’allions pas avoir de difficultés. Le procureur : — Alors, Monsieur le témoin, simplement pour qu’il soit clair pour tout le monde, lorsque vous parlez de médicaments : à quoi… quel genre de médicaments ou à quoi faites-vous référence exactement ? Le témoin : — Quand je parle de médicaments, je peux vous expliquer de cette façon : si vous suivez les indications qui vous sont données par rapport à l’utilisation de ce même médicament, vous n’allez pas être atteint par les balles. Le procureur : — Simplement pour qu’il soit encore plus clair, le médicament ou les médicaments auxquels vous faites référence, ça consistait en quoi, au juste ? Le témoin : — Je peux dire qu’il s’agissait, au fond, de fétiches – de fétiches traditionnels. Si vous respectez ces fétiches et que vous vous rendez à la guerre, vous n’allez pas être atteint par une balle. Voilà ce que j’étais en train d’expliquer33.

Le braconnage et le commerce illégal d’animaux

  • 34 « Le procureur : — Et-quel était votre objectif ? En chassant ces éléphants, quel était le but ? Ge (...)
  • 35 Selon le rapport 2006 de l’organisation non gouvernementale CARPE, « la chasse à l’éléphant et le c (...)

27Katanga avait d’abord rencontré Kasaki à Nyabiri, près d’Aveba, dès son arrivée. Nyabiri était un marché proche de la forêt contrôlé par Kasaki, qui y faisait des affaires et favorisait le commerce illégal de Katanga. En effet, Katanga avait trouvé une place éminente dans sa famille grâce à l’argent que rapportaient ses savoirs34 : la chasse des gros animaux de la forêt et la capacité de vendre illégalement les peaux et l’ivoire. Ceci grâce à sa connaissance des réseaux inter-frontaliers de contrebande, héritée de son oncle maternel, chasseur et commerçant de gros gibier en même temps que militaire des faz. Katanga braconnait éléphants de forêt et okapis, en dépit des efforts de protection déployés par les grandes réserves de la région35.

  • 36 Témoignage de Germain Katanga, T-315, p. 46, audience du 28 septembre 2011.

Nyabiri, c’est à côté d’Olongba. À Olongba, c’est un petit centre commercial. Quand j’étais à Nyabiri, c’est pour aussi mes… mes besoins propres. Quand j’allais à la forêt, je revenais à Nyabiri parce que les commerçants sont là. Au lieu que je puisse amener la marchandise que j’avais très loin, je venais vendre là-bas. C’était un lieu stratégique pour moi, pour le business que je faisais, même si c’était illégalement, c’est le business. Ça m’aidait à être à côté des commerçants. Et là aussi, j’avais une couverture parce que Kasaki était là36.

Les armes

28Début 2001, les Ngiti et les Lendu, tout comme les Hema, n’avaient à opposer aux lourdes armes de guerre des militaires ougandais que des machettes, des lances, des flèches et deux ou trois fusils d’assaut AK 47 dépourvus de munitions, trouvés sur le corps d’ennemis abattus lors d’embuscades. Mais leurs armes blanches étaient efficaces et redoutées des Ougandais, raconte Katanga en audience, notamment certaines pointes de flèches fabriquées par les Pygmées de la très proche forêt, qui les enduisaient d’un poison mortel foudroyant. D’autres flèches étaient fabriquées à partir de fûts de métal par les forgerons du village.

  • 37 Témoignage P-279, T-144, p. 48, audience du 20 mai 2010.
  • 38 « Ils criaient “Maï ! Maï ! [phon.]”, ce qui signifiait qu’ils ne pouvaient pas être atteints par l (...)

29Dans ces conditions, l’essentiel de l’armement provenait, insistent les témoins, de la protection apportée aux guerriers par Kasaki : des herbes protectrices mais aussi des onguents, distribués lors de cérémonies, protections très puissantes et capables, à la condition expresse de respecter certains interdits, de rendre les combattants invulnérables selon la « tradition maï-maï » – dont l’écho des hauts faits court à travers tout l’est du Congo (Mathieu & Mafikiri Tsongo 1998). En plus de se ceindre le corps d’herbes, les combattants s’enduisaient d’un onguent, un composé d’huile mêlée de substances d’arbres et de peaux d’animaux sauvages37. Les cris et les chants s’ajoutaient à l’arsenal du combat. Des témoins38 ayant été victimes des attaques ngiti et lendu ont attesté au procès du fait que les guerriers ngiti poussaient le cri « Maï maï » lors de leurs attaques, parmi d’autres chants – souvent des chants à teneur eschatologique (sortie d’Égypte, retour à Sion…) de l’une des Églises évangéliques locales à laquelle appartenait le père de Katanga, mais aussi fréquentée occasionnellement par Kasaki et Kakado :

Germain Katanga : — Certains ne faisaient que chanter. C’était par manque de… d’armes. Donc, c’est pour cela qu’ils faisaient beaucoup de bruit pour voir si cela pouvait, peut-être, faire peur. Ils chantaient ceci : « Si je pouvais avoir les ailes comme les anges / Si je pouvais aller chercher le pays de Sion. » Le procureur : — Y avait-il d’autres chants ? Germain Katanga : — Oui, il y avait d’autres chansons, mais c’était comme de bruit. Ce que je viens de vous donner, c’étaient les paroles claires que j’ai entendues. Pour moi, c’était une surprise. Comment est-ce qu’une personne qui allait à la guerre pouvait chanter de cette manière-là ? C’est la seule chanson que j’ai pu retenir mot à mot.

30Nombre de victimes de l’attaque de Bogoro insistent sur le bruit fait par les combattants : cris, chants, tambours, bruit des cornes de vaches dans lesquelles les assaillants soufflaient. Les interdits, touchant notamment le viol et le pillage, énoncés par Kazaki ou par les vieux sages, contraignent les combattants, mais reçoivent néanmoins quelques aménagements :

  • 39 Témoignage de Germain Katanga, T-316, p. 40, audience du 4 octobre 2011.

Premièrement, Monsieur [le procureur] David, ce que je vais vous dire, est qu’on nous demande de laisser la population, de les laisser. Mais comme nous n’avons pas de salaire, alors imaginez-vous : quand vous trouvez quelque chose, vous en accaparez39.

Les batailles de Bukiringi et Kazana

  • 40 Germain Katanga, montrant une photo, livre son nom complet : « Celui-là est notre chef de collectiv (...)
  • 41 Mambasa, où est né et a été élevé Katanga, est aujourd’hui encore un lieu de recrutement de milices (...)

31Aussi, quand Kasaki, féticheur, décida de former en janvier 2001, à partir des groupes d’autodéfense des villages, un bataillon de jeunes ngiti d’Aveba et des autres groupements ngiti de Walendu-Bindi, Katanga se rallia à la proposition, tout comme les autres jeunes. L’objectif était de taille : il s’agissait de quitter une posture défensive pour effectuer une sortie offensive et gagner de ce fait le titre de « combattant ». L’enjeu militaire de cette première sortie consistait à retarder par des escarmouches l’avancée de l’armée ougandaise vers Bukiringi, une des villes de l’axe qui menait au Nord-Kivu, et ville dans laquelle les troupes ougandaises étaient en train de s’installer. Le contrôle de la route reliant l’Ituri au Kivu était cruciale pour tous les groupes armés de ce conflit. En intervenant avec ses hommes, Kasaki espérait laisser un peu plus de temps de fuite à la population ngiti de la ville. Pour effectuer au mieux ce recrutement, Kasaki avait demandé son aide au chef coutumier de la collectivité-chefferie de Walendu-Bindi, chef Akobi40. Celui-ci, conscient de la dissymétrie des forces et de la puissance de feu des Ougandais, refusa d’organiser le recrutement. Malgré les réticences du chef coutumier qui rendirent Kasaki furieux, les jeunes revêtus de leurs t-shirts et de leurs shorts déchirés, recouverts de feuilles, armés de leurs lances, d’arcs, de flèches et de machettes, quittèrent Aveba, formés en bataillon. Cette bataille de Bukiringi et des villages avoisinants fut, selon les dires de Katanga en audience, l’épreuve initiale et initiatique. Sa bravoure fut remarquée. Les témoins rapportent que Kasaki, qui avait trouvé une arme automatique (AK 47) sur le corps d’un soldat ougandais, la lui donna. Ce fut son intronisation publique en tant que garde du corps de Kasaki, et son accession au statut de combattant. Ainsi commença la légende locale de Simba, surnom que portait, enfant, Katanga, déjà porté par son grand-père maternel – nom chargé de significations politiques et d’une renommée d’ultraviolence dans l’histoire des rébellions congolaises41.

  • 42 « Chargés de front… chargés de front, comme nous les écoutons là-bas, c’est ceux qui… Ils se faisai (...)
  • 43 Datation donnée par Germain Katanga.

32Un autre incident majeur marqua pour Katanga cet épisode initiatique. Lorsque les jeunes combattants ngiti arrivèrent avec leur « chargé de front42 », toujours en janvier 200143, dans le village de Kazana, qu’ils devaient contribuer à défendre, tout avait été brûlé, pillé, les habitants avaient disparu. Les Ngiti réussirent pourtant à récupérer quelques têtes de bétail appartenant au chef Akobi, puisque c’était là son village natal, et là qu’il laissait son troupeau en garde. Une dispute éclata alors entre les combattants, Kasaki ne voulant pas restituer cette prise, au motif que le chef Akobi n’avait pas collaboré au combat. Katanga, « un jeune », très éloigné hiérarchiquement du « vieux Kasaki », osa s’interposer. Il entra dans la discussion et contraignit Kasaki à rendre au chef Akobi son bétail, contre la promesse de ce dernier de laisser un taureau à Kasaki. S’étant décrit, à l’audience, dans une scène où il s’était affirmé comme le médiateur écouté d’une dispute entre deux personnes habilitées à incarner localement les pouvoirs qui comptent, le féticheur et le chef coutumier, il déclara à l’audience :

  • 44 Cette recherche à la Cour pénale internationale a été financée par un contrat du ministère de la Ju (...)

C’est moi qui étais sur le terrain. Il est vrai que c’est Kasaki qui est notre maître, c’est lui qui est notre protecteur. Mais sur le terrain, c’était moi. C’est moi qui subissais les coups de roquettes, de mortiers, les sifflements de cartouches. J’ai dit : « Non, on va remettre tous ces biens à chef Akobi. C’est pour lui. » (Claverie, Condé & Seroussi 2012)44.

33Il signifiait ainsi la conscience qu’il avait eue d’emblée de la possibilité d’émergence d’un nouveau pouvoir (le combattant) qu’il mit instantanément à l’épreuve, mais aussi la conscience qu’il avait de son rôle de broker, d’intermédiaire et de médiateur transformateur. Dans cette scène, on voit se profiler les termes d’un nouveau rapport de force et de sens : au terme d’une épreuve, la possibilité d’un renversement générationnel des bénéficiaires d’autorité et de pouvoir, et l’énoncé des critères qui fondent cette autorité : le degré d’exposition de soi au danger pour protéger le collectif, la bravoure, la capacité de statuer sur les biens du pillage. Ici, les biens appartiennent déjà au groupe mais se révèlent être l’objet de convoitises privées, comme autant de menaces de dissensions internes.

34Chef Akobi paya cher l’incursion de Kasaki. Les Ougandais, le tenant pour responsable de l’attaque de Kazana, enterrèrent vivant son assistant et rasèrent entièrement ce qui restait de son propre village d’origine.

Le combattant Kute

35Dans le cadre de l’autodéfense, la prise d’indépendance d’un jeune, via l’appartenance à un groupe armé trop mobile et qui s’autonomise, est mal tolérée par les autorités coutumières. Ce fut le cas, parmi beaucoup d’autres, de Kute, un jeune homme lendu. Natif de Zumbe – le village du chef Manu, allié aux Ngiti d’Aveba –, Kute partit suivre une formation militaire. À son retour, il forma un camp militaire près du village, organisant un groupe armé avec certains jeunes du village, alliant autodéfense (des « siens ») et banditisme contre toute cible, qu’il s’agisse des « siens » ou non. Il fut alors accusé par le chef d’avoir « un mauvais coeur » et fut convoqué avec son groupe auprès des sages. À l’issue de cette réunion, persuadé que son père l’avait dénoncé, Kute entra dans la maison de son père et le « fusilla », inspirant ce commentaire au chef Manu :

  • 45 Témoignage de chef Manu, T-301, p. 26 sq., audience du 30 août 2011.

Et pourquoi il se livrait à ce type de violence, plus que personne d’autre ? C’est parce que Kute n’écoutait pas les conseils des autres. Il ne m’écoutait pas. Même moi le chef coutumier, Kute ne m’écoutait pas. […] Lorsqu’il entendait dire qu’un tel vieux avait dit du mal de lui, il allait le tuer. Kute a tué beaucoup de personnes, et je le déclare devant Dieu. Et Kute a été tué par son frère qu’on appelle Shanyo […]. Je pense que Kute est mort parce qu’il était maudit par les sages. Je le dis sans peur : c’était une malédiction des sages parce qu’il n’avait pas écouté les sages45.

36Revenant sur le sujet de Kute au cours d’une autre audience quelques jours plus tard, chef Manu reprend :

  • 46 Témoignage de chef Manu, T-303, p. 34, audience du 5 septembre 2011.

C’est quelqu’un de mauvais coeur, c’est des gens que l’on appelle des sorciers, ce sont des personnes qu’on appelle des personnes de mauvais coeur. C’est pour cette raison que des sages ont réfléchi46.

Rituels et fétiches

  • 47 Témoignage de Germain Katanga, T-325, p. 25 et 26, audience du 19 octobre 2011.
  • 48 Témoignage de Germain Katanga, T-320, p. 55, audience du 11 octobre 2011.
  • 49 Ibid.

37Comme tous les autres, avant de partir au combat, Katanga s’était assuré des protections rituelles : « Si vous n’avez pas de garde-fou, vous mourez », expliqua-t-il souvent devant la cour47. Il avait d’abord demandé à son père et à sa belle-mère la permission de partir combattre48. Cette dernière l’avait fait entrer dans la chambre de la maison puis, s’étant assise sur une natte, l’avait fait s’asseoir sur ses jambes pour lui donner sa « bénédiction traditionnelle » en prononçant ces mots : « Moi, représentante de ta mère, je vous autorise d’aller. Vous allez aller au combat, vous allez rentrer vivant. » Contre l’avis de Katanga qui voulait que son frère reste à la maison « pour orienter la famille », le jeune John reçut ce même jour la même bénédiction. « Je ne voulais pas qu’il adhère, mais le rituel l’a fait combattant49 », déclare Katanga. Les parents donnèrent ensuite des poules pour le sacrifice de la cérémonie d’adhésion de leurs fils au groupe des combattants ngiti.

  • 50 Un massacre de très grande ampleur (entre mille et mille deux cents personnes furent tuées à la mac (...)

38Une cérémonie rituelle était organisée par Kasaki avant chaque combat. Il décidait aussi, souvent à l’encontre des « nécessités militaires » exprimées par les chefs de milices, de la date du combat, et désignait ceux qui pouvaient ou non y participer. Les témoins ngiti combattants insistent tous sur ce point. Pour survivre aux combats, il fallait impérativement « passer par les tests », c’est-à-dire savoir si, ce jour-là, les fétiches acceptaient ou non de vous laisser partir. C’est pourquoi Katanga, affirmant qu’il n’était pas présent lors du massacre commis par les Ngiti à Nyankunde50, tente cet alibi :

  • 51 Témoignage de Germain Katanga, T-321, p. 70 sq., audience du 12 octobre 2011.

Je vous dirais, par exemple, directement que j’étais à Nyabiri [pour vendre sa chasse]. J’étais à Nyabiri. Chez nous, aller au combat ce n’est pas comme l’armée classique l’ordonne, non. Vous passez par les tests. Quand les tests n’obéissent pas, vous restez. On vous dit : « Ne partez pas. » Si vous partez, vous mourez51. Le procureur : — Est-ce que votre réponse, on doit comprendre que là aussi, pour cette attaque de Nyankunde, vous avez eu un [sic] espèce d’interdiction par Kasaki ? Est-ce que c’est ce que vous nous dites ?

  • 52 Témoignage de Germain Katanga, T-321, p. 66-67, audience du 12 octobre 2011.

39Les fétiches exigeaient aussi certains comportements qu’on ne pouvait transgresser sans risques : pas de relations sexuelles avant la bataille, pas de viols, ni avant ni pendant les combats. Katanga ne fut donc pas surpris d’être blessé en octobre 2002 car, bravant les interdits de Kasaki à la veille du combat, il avait eu des relations sexuelles avec sa future épouse. Une autre scène illustre bien, d’une part, la violence exercée entre groupes d’appartenance, la contestation d’une autorité fondée sur l’ordre hiérarchique de l’aînesse, le rôle majeur de l’interprétation sorcellaire, d’autre part la rivalité des garçons (combattants) de même classe d’âge et de même groupe d’appartenance. Katanga explique ainsi que, quelques heures après l’attaque meurtrière des Ngiti sur le village de Nyankunde, et après que le groupe d’assaillants soit rentré à Aveba, le chef Cobra Matata, l’un des compagnons de combat de Katanga, fit irruption dans le village et y tua plusieurs personnes au motif que Nono, l’un des combattants de son groupe, avait été tué à Nyankunde : pour Cobra Matata, la mort de Nono était imputable à un ensorcellement perpétré par un combattant d’Aveba52.

La cérémonie de Tchey

40Deux ans plus tard, après maints combats et maintes tueries, survint un épisode eschatologique décrit par Katanga comme étant crucial pour les Ngiti, et qu’il nomme la « cérémonie de Tchey ». Tchey était le lieu du camp retranché de Kakado, la cérémonie fut organisée quelques jours après l’attaque sur Bogoro du 24 février 2003 – attaque et tueries pour lesquelles Katanga fut inculpé. La réunion était convoquée par Kakado et par Kasaki, pour le 3 mars 2003, parce que cette date, à la suite de l’une des rares victoires des Ngiti et des Lendu alliés, préludait au « grand retournement ». Cette date s’écrit en effet « 3 3 3 », et tire son éminence de son rapport numérique au « 6 6 6 », connue comme le « jour du diable ». Lors de cette journée de fête, au milieu d’une foule en liesse, Kakado prophétisa (Mary 2009 ; Eggers 2013). Katanga relate la scène :

  • 53 Témoignage de Germain Katanga, T-319, p. 18 sq., audience du 10 octobre 2011.

[Kakado disait :] « Bien que nous allons avancer dans cette période difficile, sachez bien qu’à partir du 3 mars 2003, il y aura changement […]. » Les gens croyaient même que peut-être le monde va se renverser… […] [Kakado disait :] « Non, aujourd’hui c’est le début du changement que j’attendais. J’attendais ce changement-là depuis longtemps, mais c’est aujourd’hui que ça… ça doit se manifester. » Alors, on s’est regardés : quel était ce changement ? Qu’est-ce qui était ? Bon, on ne comprenait rien. Jusqu’aujourd’hui, les gens se posent des questions : « Est-ce que… Quel était ce changement ? » Mais nous étions tous réunis à Tchey à côté du vieux Kakado pour nous expliquer des changements qu’il attendait du 3 mars 200353.

  • 54 « Cobra Matata était un homme cruel. Il avait la gâchette facile et il faisait énormément souffrir (...)

41Pour célébrer ce jour, Katanga était présent et avec lui tous les chefs des camps militaires des environs : Cobra Matata54, un protégé de Kakado – qui plus tard prit la suite de Katanga après son arrestation –, Kisoro, Move, Bebi, Kandro, tous des chefs de groupes armés ngiti, mais aussi de très nombreux pasteurs des Églises du Réveil protestant. « Il y avait des milliers de choristes », beaucoup de chefs de localités ngiti également, et beaucoup de combattants, explique Katanga :

  • 55 Ibid.

Il a invité beaucoup de commandants… de combattants. Il a… Tout ce qui… Tout celui qui croyait à cette doctrine était concerné, parce que le message était passé partout. Donc, dans toute la collectivité, le message est passé. Donc, tout le monde qui se sentait capable de se rendre à Tchey, il est parti. Il y avait beaucoup, donc. Il y avait beaucoup, beaucoup, beaucoup de personnes à Tchey ce jour-là, le 3 mars 200355.

42Au cours de cette cérémonie, Kakado, assisté de Kasaki, distribua des grades aux chefs des combattants ngiti. Il tenta aussi d’apaiser leurs constantes et violentes rivalités. Katanga décrit ainsi la scène et les paroles du chef de front Kasaki :

  • 56 Ibid.

ok, le moment est venu, le moment où il préfère que les combattants ne s’entre-tuent pas à cause d’appellation. « Cobra, toi tu ne veux pas que quelqu’un d’autre s’appelle “colonel” : toi, tu restes colonel. Monsieur Katanga, lui, mon enfant, il devient président des combattants. » Ainsi de suite : « Untel, tu es major ; tel, tu es capitaine ; tel, tu es qui. » C’était passé comme ça »56.

  • 57 Témoignage P-129, T-271, p. 21, audience du 30 mai 2011.

43Quelques mois plus tard, cependant, après les attaques de Nyankunde qu’ils avaient dirigées ensemble, à la fin du mois de septembre 2003, et qui furent des tueries, Cobra fit tuer Kandro, qui prenait trop de place et s’était lié à l’armée d’un groupe politico-militaire, mais avait aussi mal redistribué les biens provenant des pillages de Nyankunde. C’est un autre combattant, Yuda, qui reprit les hommes de Kandro57.

Conclusion

44J’ai voulu montrer ici, après beaucoup d’autres, comment, en RDC, dans des conditions de très grandes difficultés sociales et d’exacerbation des rapports de force, s’entrelacent au sein de l’action guerrière, des répertoires politiques et religieux – ces derniers combinant une multiplicité de théories des pouvoirs venues aussi bien des théories locales de la sorcellerie, des fétiches, des prophétismes, que des Églises du Réveil protestant et des traditions politico-religieuses des rébellions populaires. La prise du pouvoir par Germain Katanga, alias Simba, qui doit d’abord quelque chose de son destin de héros à sa naissance illégitime et transgressive – comment ne pas penser ici aux travaux de Jean Bazin sur les héros africains (Bazin & Terray 1982) ? –, joua un rôle dès la mort de son oncle dans toutes les séquences des guerres de l’est de la RDC, séquences déterminées par le sort des armes. En assumant un rôle de chef armé d’une communauté en guerre sans cesse divisée par les rivalités entre jeunes chefs, engagé dans un combat asymétrique violent contre des troupes étrangères et contre l’ethnie voisine alliée de l’occupant, Katanga devait accumuler, pour garder sa force, nombre de pouvoirs occultes défensifs et offensifs.

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Bibliographie

Banégas richard & bogumil Jewsiewicki, 2001
« Vivre dans la guerre. Imaginaires et pratiques populaires de la violence en RDC », Politique africaine, n° 84, vol. 4, « RDC, la guerre vue d’en bas », p. 5-15. Disponible en ligne, http://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-politique-africaine-2001-4-page-5.htm [lien valide en juin 2015].

Bazenguissa-Ganga rémy & sami Makki (dir.), 2012
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Notes

1 Procès de Thomas Lubanga, témoignage P-157, T-188, p. 13, audience du 9 juin 2009.

2 Procès de Germain Katanga, témoignage P-30, T-178, p. 50, audience du 26 août 2010.

3 Le Tribunal pénal international pour l’ex- Yougoslavie (TPIY) a été créé en 1993 par l’Organisation des Nations unies pour juger les personnes présumées responsables des crimes de guerre commis dans les Balkans au cours des conflits des années 1990.

4 Sur ce conflit, voir par exemple Gérard Prunier (2009), Jason K. Stearns (2011). Plus spécifiquement sur le conflit en Ituri, voir Colette Braeckman & Thierry Vercoulon (2005), Koen Vlassenroot & Timothy Raeymaekers (2003), Henning Tamm (2013) et Marc Le Pape (2003).

5 L’Union des patriotes congolais (UPC) est un mouvement créé par l’Ouganda au Congo RDC en 2002, puis soutenu par le Rwanda lorsque Thomas Lubanga, son président, quitta cette alliance.

6 Sous les traits de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo- Zaïre (AFDL), armée de coalition fondée en 1997. Organisée et financée par l’Ouganda et le Rwanda post-génocide dans le but de renverser le président Mobutu Sese Seko, l’AFDL contribua à installer Laurent-Désiré Kabila au pouvoir. À ce sujet, voir Braeckman (1999), Vlassenroot & Raeymaekers (2003), Lemarchand (2009).

7 Ugandan People’s Defence Forces (UPDF) est l’armée ougandaise.

8 Dans le cadre d’un projet global de décentralisation, une décision gouvernementale toute récente (2015) doit mettre en oeuvre un plan de restructuration très attendu aboutissant à un redécoupage du pays en vingt-six provinces. L’Ituri accédera de la sorte au statut de province.

9 « Je dis la “collectivité chefferie de Walendu Bindi”. “Chefferie” veut dire que c’est une sorte… Le pouvoir pour diriger la collectivité, comme la royauté » (témoignage de Germain Katanga, T-321, p. 50, audience du 12 octobre 2011).

10 Témoignage D02, T-273, p. 53-54, audience du 1er juin 2011 : « Question : — Vous dites : “À un certain endroit n’est-il pas exact que vous-même vous le considérez comme votre frère ?” Est-ce que j’ai raison ? Réponse : — Katanga, dans cette conception, Katanga est mon frère. Ce qui est sûr parce que d’abord, chez nous, quand on est d’un même groupement, on est frères ; ça, c’est la conception tout à fait africaine… ou si pas africaine, la conception de chez nous. Katanga est mon frère. À partir du moment où nous sommes non seulement d’une même tribu, nous sommes aussi du même groupement. Donc en ce sens, Katanga, j’accepte qu’il est mon frère […] Ce qui me rapproche plus de Katanga, c’est que ma mère est donc grande soeur à la maman. Donc, je peux… je ne sais pas s’il faut l’appeler “marâtre” à Katanga ou pas, donc l’épouse du papa de Katanga est donc cadette à ma mère. »

11 Témoignage de chef Manu, P-88, T-300, p. 51, audience du 29 août 2011.

12 Ibid., p. 64-65.

13 Sur le « mauvais coeur », voir Joseph Tonda (2005).

14 Témoignage de chef Manu, P-88, T-299, p. 28-29, audience du 26 août 2011.

15 Témoignage de chef Manu, P-88, T-303, p. 26 sq., audience du 5 septembre 2011.

16 Témoignage P-280, T-157, p. 18, audience du 16 octobre 2010.

17 Témoignage de Germain Katanga, T-316, p. 24-25, audience du 4 octobre 2011.

18 La mine de Mongwalu, près de Bunia, est une des plus importantes mines d’or de l’Afrique centrale.

19 Il existe à Aveba plusieurs églises protestantes distinctes, dont une église anglicane originairement fondée par un prêcheur anglophone venu d’Ouganda, et historiquement liée à la communauté… hema (Wild-Wood 2008). On trouve également des églises catholiques, dont une église de la communauté charismatique de l’Emmanuel, qui possède elle aussi une institution scolaire.

20 « À la mort de mon oncle, le régime a complètement changé. C’était difficile. C’était un peu très difficile de vivre. Tous les avantages dont je bénéficiais étaient coupés. L’unique solution était de chercher ma mère biologique. C’est comme ça, en 1997, que je suis allé chercher ma mère biologique qui vivait à Lolwa, à l’époque. » Sa mère, une religieuse, ne pouvant l’aider, Katanga partit ensuite à la recherche de son père.

21 Le chef du groupement de Zumbe explique : « Le Lendu se sert de la flèche, de l’arc. Il se sert de la lance également. Il se promène avec ses armes partout : dans la brousse, dans les champs, même sur la colline. Il peut rencontrer une bête féroce, et pour cela il doit utiliser une arme pour se défendre » (témoignage de chef Manu, T-300, p. 59, audience du 29 août 2011).

22 Selon Katanga, il n’existait qu’un seul centre de santé à Aveba, créé par son père en 1986. Pour un grand nombre de maux, les habitants devaient se contenter de recourir à la médecine traditionnelle.

23 Yuda mourut au cours d’affrontements à Geti contre les Ougandais.

24 Témoignage P30, T-180, p. 22, audience du 30 août 2010.

25 Témoignage de Germain Katanga, T-314, p. 51-52, audience du 27 septembre 2011.

26 Dans les minutes du procès intenté contre lui en 2010 par le tribunal militaire de garnison de Bunia, il est indiqué que Bernard Kakado est né en décembre 1923 et qu’il est père de quinze enfants de religion protestante. Germain Katanga lui en attribue beaucoup plus (« Il en a aujourd’hui encore »), et le décrit comme ayant, « à 90 ans », quinze épouses.

27 « Après Kakado, c’est Kasaki. Après Kasaki, c’est le pasteur Saradu, après pasteur Saradu, c’est le vieux Jusamu [phon.] ; avec le vieux Jusamu, il y en a beaucoup d’autres encore qui sont ses acolytes » (témoignage de Germain Katanga, T-320, audience du 19 octobre 2011).

28 Témoignage de Germain Katanga, T-319, p. 20-21, audience du 10 octobre 2011. 29. Ibid.

29 Ibid.

30 Témoignage de Germain Katanga, T-322, p. 16, audience du 28 septembre 2011.

31 Témoignage P-280, T-156, p. 43, audience du 15 juin 2010.

32 La qualité d’enfant soldat de ce témoin a été contestée par la défense, et cette contestation admise par la chambre. Il fut montré qu’il était un adolescent de dix-sept ans, non un enfant soldat de douze ans, qu’il était un déplacé lendu ayant vécu au camp de Zumbe entre août et décembre 2002 mais qu’il n’avait pas participé aux hostilités (qu’il n’avait pas été enlevé). Cela n’importe pas ici. Il faisait partie des jeunes qui entouraient les combattants et vivaient au milieu d’eux.

33 Témoignage P-279, T-144, p. 44 sq., audience du 20 mai 2010.

34 « Le procureur : — Et-quel était votre objectif ? En chassant ces éléphants, quel était le but ? Germain Katanga : — La défense, la défense d’éléphant, c’est de l’argent. Ça coûte. C’est pour cela qu’on abattait les éléphants. Vous abattez aussi les okapis. La peau d’okapi vous produit directement de l’argent. C’est même 500 dollars, la peau d’okapi » (témoignage de Germain Katanga, audience du 28 septembre 2011, T-315, p. 21).

35 Selon le rapport 2006 de l’organisation non gouvernementale CARPE, « la chasse à l’éléphant et le commerce illicite d’ivoire ont débuté en 1996 au commencement de la guerre civile. Cette chasse s’est amplifiée en 2002- 2004 quand des milices rivales, rejointes par la police nationale, ont établi des camps de chasse dans le Paysage, engagé et armé des chasseurs professionnels et passé des contrats avec des commerçants locaux pour l’écoulement de la viande et de l’ivoire » (Devers & Vandeweghe : 214).

36 Témoignage de Germain Katanga, T-315, p. 46, audience du 28 septembre 2011.

37 Témoignage P-279, T-144, p. 48, audience du 20 mai 2010.

38 « Ils criaient “Maï ! Maï ! [phon.]”, ce qui signifiait qu’ils ne pouvaient pas être atteints par les balles. Il y avait un qui avait dit ceci : “Essayons de tirer sur le sol et lorsque nous allons tirer sur le sol la poussière va monter et nous pouvons tirer sur les ennemis.” Et ils ont fait ça. Il y a un militaire qui criait “Maï ! [phon.]”. Il est décédé à ce moment-là. Et les militaires ont pu réussir à nous faire sortir de la maison et nous mettre sur la route qui va vers Bunia. Nous sommes partis à Bunia par un sentier de la brousse » (chef du groupement de BGR (Hema) décrivant une attaque antérieure de BGR le 14 août 2001, Tm 233 / T-87, p. 20).

39 Témoignage de Germain Katanga, T-316, p. 40, audience du 4 octobre 2011.

40 Germain Katanga, montrant une photo, livre son nom complet : « Celui-là est notre chef de collectivité – chefferie de Walendu Bindi –, Monsieur Akobi Chomi Katorogo Édouard » (témoignage de Germain Katanga, T-316, p. 32).

41 Mambasa, où est né et a été élevé Katanga, est aujourd’hui encore un lieu de recrutement de milices simba maï-maï. Pour une étude sur le mouvement des Simba de 1964, voir Benoît Verhaegen (1967).

42 « Chargés de front… chargés de front, comme nous les écoutons là-bas, c’est ceux qui… Ils se faisaient appeler tout simplement chez nous, dans notre contexte… Elles devraient [sic] accompagner les gens, les combattants pour le front : soit s’il y a attaque à tel lieu, il va réunir les éléments, donc, rassembler les feuilles, faire tous [sic] les démarches possibles pour que les combattants aillent là-bas, ne meurent pas, donc pour leur donner de l’invulnérabilité » (témoignage de Germain Katanga, T-322, p. 16).

43 Datation donnée par Germain Katanga.

44 Cette recherche à la Cour pénale internationale a été financée par un contrat du ministère de la Justice, Mission de recherche Droit et Justice (convention GIP n° 210.03.30.20), et a été effectuée avec deux autres chercheurs, Julien Seroussi et Pierre-Yves Condé.

45 Témoignage de chef Manu, T-301, p. 26 sq., audience du 30 août 2011.

46 Témoignage de chef Manu, T-303, p. 34, audience du 5 septembre 2011.

47 Témoignage de Germain Katanga, T-325, p. 25 et 26, audience du 19 octobre 2011.

48 Témoignage de Germain Katanga, T-320, p. 55, audience du 11 octobre 2011.

49 Ibid.

50 Un massacre de très grande ampleur (entre mille et mille deux cents personnes furent tuées à la machette et à l’arme automatique, y compris les malades de l’hôpital) fut commis à Nyankunde le 5 septembre 2002 par les milices ngiti et lendu sur des Hema et des Bira. Antérieurement, entre la fin juillet et le début août 2001, les Ngiti et les Lendu avaient été chassés de Nyankunde, et beaucoup d’entre eux avaient été tués.

51 Témoignage de Germain Katanga, T-321, p. 70 sq., audience du 12 octobre 2011.

52 Témoignage de Germain Katanga, T-321, p. 66-67, audience du 12 octobre 2011.

53 Témoignage de Germain Katanga, T-319, p. 18 sq., audience du 10 octobre 2011.

54 « Cobra Matata était un homme cruel. Il avait la gâchette facile et il faisait énormément souffrir la population civile » (témoignage P-28, T-217, p. 12, audience du 16 novembre 2010).

55 Ibid.

56 Ibid.

57 Témoignage P-129, T-271, p. 21, audience du 30 mai 2011.

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Référence papier

Élisabeth Claverie, « Vivre dans le « combattantisme » »Terrain, 65 | 2015, 159-181.

Référence électronique

Élisabeth Claverie, « Vivre dans le « combattantisme » »Terrain [En ligne], 65 | 2015, mis en ligne le 15 septembre 2015, consulté le 10 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/15850 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terrain.15850

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Auteur

Élisabeth Claverie

Directrice de recherches, Institut des sciences sociales
du politique (ISP), université Paris-Ouest Nanterre / CNRS

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