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Repères

Comment le rustique vint au village

Modernité domestique et domestication de la modernité dans les campagnes roumaines
Vintilâ Mihâilescu
p. 96-113

Résumés

Dans une société encore rurale et agricole comme la Roumanie, l’aménagement de la maisnie reste un indicateur important des transformations structurales de la société. Après la chute du communisme, et surtout après l’instauration de la libre circulation européenne, les campagnes roumaines ont ainsi commencé à être peuplées de « maisons d’orgueil » qui clamaient une émancipation des paysans et une rupture ostentatoire avec le passé et le local. Du même coup, le travail paysan était chassé de l’espace domestique. Récemment, une nouvelle vague « rustique » s’est installée, envisageant un ré-ancrage fantasmé dans l’esprit du lieu. L’article poursuit ce processus complexe de domestication de la modernité et ses enjeux, de l’ostentation et du simulacrum à la reconnaissance sociale et à la quête de l’authenticité.

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Texte intégral

  • 1 Cet article s’appuie sur les recherches de terrain réalisées entre 2009 et 2010 avec les étudiants (...)

1En 2009, je suis retourné pour un bref terrain1 didactique avec mes étudiants dans le village de Pucheni où j’étais allé dix ans auparavant. J’ai commencé, comme il se doit, par rendre visite à mon ancienne hôtesse. En attendant qu’elle sorte l’incontournable eau-de-vie, j’ai jeté un coup d’œil autour de moi. Un balcon en bois avait été ajouté à l’étage de la maison, et la basse-cour où s’étendait jadis le poulailler avait été transformée en jardin fleuri équipé de « mobilier rustique », au milieu duquel trônait un pavillon en bois où je fus invité à bavarder autour d’un petit verre. Mais l’objet qui monopolisait mon regard pendant tout ce temps était une balançoire en bois qui dominait de toute évidence ce nouveau décor. Pendant que je sirotais mon apéritif en échangeant des nouvelles, je ne pouvais pas m’empêcher de penser : « À quoi rime une balançoire dans une basse-cour paysanne ? »

2Dès que j’eus fini ma visite, je fis donc le tour du village en regardant d’un œil hypocritement distrait à travers les clôtures des maisons : environ 10 % avaient des pavillons et un peu moins des balançoires. Autant que je pouvais m’en rendre compte, la majorité de ces gens avaient renoncé à leurs vaches. Quelquefois, cette transition vers le rustique se donnait à voir dans l’espace d’un seul regard.

3De retour chez mon hôtesse, j’ai fini par lui faire part de la question qui me tracassait. « On a voulu faire quelque chose de beau, un peu rustique, comme tout le monde », me répondit-elle.

4Par la suite, le reste du terrain fut destiné à traquer le rustique à travers le village, je continue depuis de pister ses apparitions aux quatre coins du pays. Il faut toutefois préciser que ce rustique-là ne concerne ni l’habitation rurale domestique en général (Cuisenier 1991), ni les variations d’architecture régionale dont rêvent certains individus aisés des villes. Il n’y a pas à proprement parler « une maison rustique », ni même « un style rustique » précis, mais plutôt une « rusticisation » à volonté de nouvelles maisons que de plus en plus de villageois bâtissent pour eux-mêmes dans leur village. Il s’agit aussi d’une « architecture sans architectes » − comme le suggère Adam Drazin (2005) en reprenant la formule de Bernard Rudofsky − dont le sens ne se révèle qu’à travers la longue durée de la modernisation de l’habitat rural roumain.

Maisnie, État national et modernité

  • 2 « Maisnie » est le terme ancien français que Paul Stahl a suggéré dans ses écrits pour traduire le (...)

5La maisnie2 roumaine est l’espace des biens et des personnes qui composent l’unité domestique de production et de consommation des villages roumains. En règle générale, elle est habitée par un couple et ses enfants non mariés qui se partagent d’une manière indivise biens, travail et produits : « Le père de famille n’est pas un propriétaire, mais le chef d’une équipe. Les enfants sont, du vivant de leur père, des propriétaires en indivision avec celui-ci » (Stahl 1958-1965 : 112-113). Cet esprit indivis est tel que Paul-Henri Stahl pouvait affirmer que le village roumain est composé de maisnies et non d’individus (Stahl 1973 : 85). Drazin constate à son tour en pleine période communiste que « si aux États-Unis, de Vault peut affirmer que le groupe domestique en Amérique a comme enjeu la protection de ses individus, l’idée roumaine de domesticité postule la collectivité de la maisnie » (Drazin 2001 : 196).

  • 3 C’est une des raisons du morcellement chronique des campagnes roumaines. La superficie moyenne des (...)
  • 4 Cette règle coutumière s’exprime aujourd’hui par le desideratum suivant : « Le garçon apporte la ma (...)

6Le droit coutumier prévoit que le cadet reste dans la maison parentale qu’il hérite. Avec cette seule exception, l’héritage est égalitaire, chaque garçon recevant à son mariage sa part de biens immobiliers (essentiellement de la terre), égale à celles de ses frères3. De cette manière est assurée et légitimée la continuité patrilinéaire du lignage (neam). Les filles reçoivent en dot des biens mobiliers et, exceptionnellement, immobiliers4. C’est toujours après le mariage que chaque couple va bâtir sa maison selon des règles patrilocales souples, avec l’appui des parents et, autrefois, de la communauté.

7Au centre de l’espace domestique constitué par la maisnie se trouve la maison. Dans une vision évolutionniste, la maison unicellulaire est son archétype, qu’on rencontre encore parfois. Mais la structure la plus répandue est celle d’une maison à trois pièces, avec une entrée centrale et deux chambres latérales. L’une d’entre elles est la pièce principale, où on prépare à manger et où dort toute la famille. La deuxième sert dans la plupart des maisons « respectables » à mettre en scène la dot de la femme et à abriter les événements rituels importants de la famille : c’est la « chambre propre » ou, comme on dit dans le nord, au Maramures, la « chambre de parade ».

8Au début du xxe siècle, la Roumanie comptait plus de 80 % de paysans. Au début du communisme, les paysans représentaient encore plus des trois quarts de la population :

[À présent,] avec plus de 10 millions de ruraux et plus de 3,3 millions d’actifs agricoles, la Roumanie est [encore] rurale, paysanne et villageoise, malgré le violent épisode socialiste qui a voulu la fin des paysans […]. La modernité, toile de fond des dynamiques sociales et économiques, peut-elle se penser dans un tel contexte de ruralité ? Depuis le xixe siècle, cette question est au cœur des interrogations sur le devenir du pays. (Rey et al. 2000 : 48.)

9La modernisation des campagnes roumaines fut une priorité, sinon une obsession, dès les premiers jours de l’État-nation. À l’exception des lois qui se sont succédé jusqu’à présent concernant la « question agraire », sans jamais la résoudre, la bataille de la modernité s’est déroulée, en bonne partie, à l’intérieur même des maisons. Pour les « hygiénistes » de l’État, il s’agissait de « nettoyer » de fond en comble l’habitat rural (insalubre, pathogène, malcommode, lieu de trop grande promiscuité, etc.) aussi bien que les pratiques matérielles et spirituelles « malsaines » de ses habitants. Par contre, ce qui pour ces gens des Lumières était des superstitions à rejeter, dans la perspective du romantisme idéologique dominant cela représentait plutôt des traditions à préserver. L’espace domestique rural s’est ainsi retrouvé pendant plus d’un siècle oscillant entre des politiques de grand nettoyage et des politiques de grande patrimonialisation qui émanaient des villes et des centres de pouvoir.

10Le grand remue-ménage de la modernisation des campagnes a commencé grosso modo dans l’entre-deux-guerres :

Les villages se sont agrandis. Des maisons meilleures, en assez grand nombre, se sont élevées partout. Les paysans commencèrent à devenir de bons clients des villes : des meubles, des vêtements étaient apportés au village. Un essor de civilisation flottait dans l’air. Quoique souvent mal tourné, il montre bien un changement de la situation économique. (Garoflid 1938 : 584.)

11Après la Deuxième Guerre mondiale, le communisme apporte, dans le sillage de la doctrine de Lénine et Staline, une politique de grand nettoyage tournée contre les paysans. Collectivisation des terres d’une part, industrialisation des villes de l’autre entraînent, au-delà des calculs proprement économiques, la disparition de ces alliés du prolétariat par leur dissolution dans le melting pot de l’homme nouveau. Les conséquences en sont dramatiques. Tout d’abord démographiques. Juste après 1950, le flux migratoire rural-urbain devient largement dominant et continue à augmenter jusqu’au début des années 1980, quand il se trouve limité par l’interdiction de l’émigration vers les grandes villes. De plus de 75 % après la guerre, la population rurale tombe a environ 45 % à la fin des années 1980. En chiffres absolus, le rural perd seulement, entre 1978 et 1991, 1,65 million d’individus (Rotariu 2010). La population active dans l’agriculture diminue à son tour : de 6,23 millions en 1950 à 3,06 millions en 1989 – dont deux tiers âgés de plus de 45 ans (Murgescu 2010 : 363). À cela s’ajoute le phénomène massif des « navettes » journalières ou hebdomadaires d’une grande partie des ruraux à domicile fixe.

  • 5 Pour Gerhard Creed, la « domestication de l’industrie » est « une expression abrégée du répit des f (...)

12Et pourtant, les effets sociaux de cette modernisation socialiste ont été assez loin des attentes idéologiques. Il faut d’abord rappeler que l’État communiste n’est pas intervenu directement dans l’univers domestique des paysans : ceux-ci sont restés pendant tout ce temps les propriétaires de leur maison et de leur lopin de terre. « Pendant qu’en Union soviétique l’État s’est attaqué à la maison et à l’espace domestique à travers les cantines communales et des espaces collectifs, l’État roumain a gardé l’idée de maisnie individuelle » (Drazin 2001 : 181). Ainsi sauvegardé, l’espace domestique devient un espace de résistance sui generis face à l’État. La « fraternité économique » propre aux villages traditionnels (Weber 1995) se fragmente et se dissout sous le coup des migrations, mais elle se recompose aussi d’une manière diminuée et sélective par les réseaux sociaux des « maisnies diffuses ». Celles-ci représentent des espaces de rencontre et de redistribution négociée des travaux et des ressources d’une parenté élective divisée entre village d’origine et villes de travail (Mihâilescu & Nicolau 1995 ; Mihâilescu 2000). Huile, sucre et café s’échangent contre légumes ou viande, la participation aux travaux agricoles est suivie par le partage des produits, l’accès aux services des villes est dédommagé par la garde des enfants au village et ainsi de suite. « Même si les individus étaient oppressés, les réseaux sociaux des maisnies restaient tout aussi importants que jadis. Ces réseaux servaient de médiateurs dans la lutte entre maisnie et État », conclut David Kideckel (2006 : 103). C’est toujours par ces réseaux qui couvraient le pays que se développe – autant que faire se peut – le processus macrosocial que Gerhard Creed appelle la « domestication de l’industrie5 », une redistribution à contre-courant des ressources de l’industrie et de la ville au profit du village et de ses maisnies. Le « petit vol » des unités socialistes et autres astuces semblables devient une pratique courante sur laquelle le Parti finit par fermer les yeux. La maisnie devient une raison de fierté, la démonstration visible de la « débrouillardise » de ses membres.

  • 6 Déplorant les destructions importantes engendrées par cette loi, Dinu Giurescu note par ailleurs qu (...)
  • 7 J’ai pu constater, par exemple, que les congés des ouvriers d’une grande plate-forme minière suivai (...)

13La loi pour la « systématisation » rurale et urbaine de 1974 n’a pas été un succès complet non plus, surtout dans les villages6, forçant le Parti à prendre des mesures de plus en plus dures mais pas plus efficaces jusqu’à sa chute en 1989 (Mihâilescu et al. 1993). Par ailleurs, elle a représenté une bonne occasion, pour ceux qui en avaient les moyens, de « se faire voir » en agrandissant d’une manière ou d’une autre leur maison. L’apparition de nouveaux matériaux de construction et de décoration permit un embellissement modestement ostentatoire des maisnies7. Le chaume et le bois cédèrent presque entièrement la place aux matériaux plus « modernes », qui donnaient une impression de « solidité » vantée par les habitants. L’habitat rural commençait à parler, bien timidement et à sa manière, le langage de la « modernité » et de la « distinction », passant de l’état « paysan » à celui d’architecture « populaire » (Petrescu 1975).

14Enfin, le recyclage du paysan en prolétaire s’est bloqué à mi-chemin, engendrant un type d’« ouvrier-paysan » dont parle Iván Szelényi (1988), et qui préférait souvent un travail de moindre qualification (et donc un salaire plus bas) mais plus flexible, lui laissant plus de temps à investir dans sa maisnie. La modernisation communiste orientée contre les paysans a fini par produire des stratégies réactives du monde rural, en renforçant en partie les maisnies villageoises et leurs réseaux domestiques et, paradoxalement, en « ruralisant » villes et industries.

15Pour le monde rural roumain, la chute du communisme a été tout d’abord la décollectivisation radicale, qui a jeté par-dessus bord tout héritage des anciennes coopératives (y compris ses éléments matériels). Ont suivi des lois foncières conservant la même tradition nationale de mesures agraires et non agricoles, privilégiant donc la propriété aux dépens de la productivité (von Hirschhausen 1997) : elles produisirent des parcelles d’une superficie moyenne de 3 à 4 hectares (3,3 hectares en 2005), et laissent les paysans se débrouiller dans les limites d’une économie de semi-subsistance sans avenir. Si le communisme n’a fait que la moitié du chemin dans la conversion du paysan en ouvrier, le passage obligé du paysan à l’agriculteur (Mendras 1995) n’a été ni prévu, ni voulu par les pouvoirs qui se sont succédé depuis 1990.

16Faute d’un modèle agricole cohérent et d’une politique de soutien, la Roumanie se retrouve aujourd’hui dans une situation d’exception au sein du paysage européen : elle est le pays avec la plus importante population rurale (environ 50 %) et la plus grande emprise agricole (environ 30 %, soit sept fois la moyenne européenne), mais avec la plus petite taille moyenne des exploitations agricoles. De plus, ces moyennes ne font que masquer la réalité des extrêmes : plus de 3,7 millions de maisnies détiennent 1,5 ha en moyenne tandis que 9 600 ont en moyenne 540 ha. De même, 0,9 % des exploitations ont bénéficié de 51 % des subventions européennes directes (Luca & Ghinea 2009). La Roumanie est « un pays à deux agricultures », où « le clivage entre l’agriculture de subsistance et les très grandes fermes a fait que la répartition des subventions soit la plus inéquitable de l’Union européenne » (ibid.).

17L’intégration européenne de la Roumanie a pris les paysans au dépourvu : du jour au lendemain, leurs produits domestiques – qui représentaient une bonne partie de leurs ressources financières – furent sanctionnés par la communauté européenne et ses lois de marché. Tout un mode de vie et de production se voit ainsi frappé d’interdiction à tel point qu’on a pu parler de « la mort du paysan » (Mihâilescu 2008). Mort annoncée, mais toujours ajournée…

18Le postsocialisme a également apporté la désindustrialisation, présentée comme un pur passage à l’économie de marché. Elle a renvoyé de nombreux jeunes ouvriers vers leurs villages d’origine et a fermé la porte des villes aux nouvelles générations mal équipées pour la nouvelle économie. Le résultat fut le renversement des flux migratoires : après 1996, la migration ville-village dépasse pour la première fois dans l’histoire moderne de la Roumanie la migration classique inverse (Rotariu 2010). Le taux de la « navette » est lui aussi réduit à un tiers – dans la première décennie seulement. Cette migration de retour va alimenter surtout les nouvelles migrations externes au pays (Sandu 2007), de sorte qu’après une augmentation spectaculaire de la population active dans l’agriculture (de 28,5 % en 1990 a 43,5 % en 2001), cette part chute à nouveau et arrive à 30 % en 2008. Rejetés des villes, les jeunes s’enfuient via leurs villages vers l’Occident.

  • 8 Le terme « déclassé » doit être utilisé dans un sens plutôt symbolique, car on ne peut parler qu’av (...)

19Ce changement massif et visible est accompagné d’un autre, plus discret mais plus profond. Perdant le statut de « classe privilégiée », les ouvriers des villes se retrouvèrent au village non seulement désœuvrés mais aussi déclassés 8. En outre, comme le remarque Kideckel (2010 : 14), « au fur et à mesure que le travail et la production étaient de moins en moins utilisés comme sources d’identité, les identités de ces gens se sont construites autour des pratiques de consommation ».

20« En 2006, la ruralité agricole est le signe le plus distinctif de la Roumanie dans le cadre de l’Europe », constate Violette Rey à l’aube de l’intégration européenne du pays (Rey et al. 2006 : 48). Si bien qu’on devrait la définir plutôt comme une société postpaysanne, confrontée à son héritage paysan presque tout autant qu’à son héritage communiste (Mihâilescu 2008). C’est en tout cas dans ce contexte particulier que s’articulent sui generis tradition, modernité, postmodernité et postsocialisme.

« Fini la crotte ! » Maisons d’orgueil et émancipation

21Et pourtant, la chute du communisme – révolution ou coup d’État, peu importe – fut aussi pour les paysans la « grande décompression ». Redevenus propriétaires d’une partie au moins de leurs terres, les gens des campagnes se sont mis à faire de beaux rêves eux aussi :

Bien sûr que maintenant toi, comme propriétaire… c’est pas la même chose d’être propriétaire de Trabant ou propriétaire de Mercedes. De même dans ce cas-là. Ce n’est pas la même chose d’avoir une maison comme il faut, comme une Mercedes, ou seulement une maison en palançon, comme les pauvres gens ! (I. B., 48 ans, cité dans Coros 2000.)

  • 9 Source : baromètre rural, 2007. Dans les dernières cinq années, par exemple, un habitant sur cinq a (...)

22Mais, au début des années 1990, les paysans durent, pour reprendre l’expression, se contenter de bricoler leurs anciennes Trabants. De fait, chacun était alors fort occupé à nettoyer, repeindre et / ou élargir sa maison existante. Le grand mouvement immobilier ne commença qu’avec les premières vagues massives d’émigration, après 2000, quand la libre circulation fut accordée à la Roumanie. Relativement stabilisée après cette date, l’émigration à durée non déterminée va atteindre un pic d’environ 2,8 millions de Roumains en 2008, c’est-à-dire plus d’un quart de la population active du pays, dont la plupart était d’origine rurale. Tous font partie de la « transition par migration », compensant à leur manière les insuffisances de la transition institutionnelle du pays (Sandu 2010 : 35). Ensemble, ils ont produit une réserve de 6,3 milliards d’euros (ibid.), plaçant la Roumanie à la septième place au monde (Ratha, Mohapatra & Silwal 2009). Les évaluations par sondages suggèrent qu’environ 90 % de cette somme a été investie dans la maison et son entretien et dans des produits de grande consommation. À cela, il faut ajouter les emprunts internes pour des biens de longue durée (55,6 %) et pour l’achat d’une maison (11,4 %) 9.

  • 10 Dans un sens très proche, Kai Vöckler (2010) parle de la « turbo-architecture » de Pristina. À des (...)

23C’est le temps des « maisons d’orgueil » qui commencent à envahir les villages roumains 10. Avec leur aspect de villas urbaines s’inspirant de tous les styles disponibles, elles partagent comme élément distinctif l’excès : excès de chambres, de grandeur, d’ornements, de visibilité. Elles doivent « sauter aux yeux » (« Pour tout te dire, elle a rêvé quelque chose qui soit, comment dire… qui saute aux yeux », L. R., 25 ans) et être vues (« Que les gens voient à quel point c’est beau ! », E. I., 40 ans). On recherche moins l’utilité que l’apparence, l’effet esthétique des trouvailles architecturales : « Ça lui donne un aspect, comment te dire ? ça fait beau, quand la maison a aussi un petit balcon par ci, une petite astuce par là. Ça lui donne un aspect. […] Pour l’esthétique je veux dire. Pour l’usage non, c’est pas pour être utile » (I. P., 42 ans).

24À cause de cette recherche d’ostentation, les maisons d’orgueil étaient – et restent encore – pour la plupart vides, provoquant souvent le mépris des anciens du village : « L’homme se construit trois, quatre, dix chambres, ou bien il se bâtit la maison et la garde comme un musée, et lui il se fait d’autres, deux, trois chambres et il y habite » (D. D., 66 ans). De même avec les salles de bains modernes, qu’on utilise « seulement dans des cas de nécessité », comme m’a dit une fois la propriétaire d’une pareille maison, en me renvoyant au fond du jardin.

25Pourquoi alors toutes ces maisons « inutiles » et cette compétition « irrationnelle » entre villageois ? L’ambition, bien sûr : « Et cette ambition, à qui a plus de cran, qui fait la plus belle maison, qui fait la plus belle clôture – et le plus proche possible de la rue, qu’on la voie ! » (D. D., 66 ans). Une preuve d’honorabilité aussi pour quelques-uns : « Car quelqu’un qui n’a pas une bonne situation matérielle, une belle maison, il fait pas une bonne impression, et on s’attend pas à quelque chose de bien de sa part » (P. B., 39 ans). Certes, mais pourquoi à ce prix ? Pourquoi de cette manière ?

26Tout d’abord, il faut observer que cet excès d’» irrationalité » tourne le dos d’une manière ostensible à un autre excès, trop « rationnel » : l’excès de travail ou, plus précisément, du travail paysan. Les maisons d’orgueil repoussent progressivement le travail hors de la maisnie pour ne faire de celle-ci qu’un espace de repos et de consommation domestique à la manière urbaine et moderne. On y renonce avec fermeté aux annexes et aux fonctions productives de la maisnie :

On n’a pas d’animaux comme ça, une vache, un cheval… Non, j’aime pas ! Moi, ce que j’aime c’est un petit poulailler et un cochon, car le cochon c’est nécessaire. Mais celui-ci aussi, je n’aime pas l’élever. Je l’achète quand il est tout bon pour le couteau. Non, je n’aime pas, j’aime travailler à la campagne mais pas comme ça, pas cette misère. J’ai aussi ici, dans ma maison, une touche de ville. (E. I., 40 ans.)

27Le travail dans la maisnie devient « misère » dont il faut se débarrasser :

La cour… j’ai une obsession pour la cour ! Je crevais de rage quand la vache traversait la cour et mangeait mes fleurs. Des fleurs partout et moi qui devais faire sortir la vache par là… J’ai une tondeuse, commeça, très chère. Je fais le gazon. Je la soigne tout le temps pour qu’elle soit belle, ma cour… Qu’est-ce que vous voulez, c’est ça notre niveau de vie. On veut que ça soit beau, non pas de la crotte et tout ça : c’en est fini de la crotte ! (A. H., 39 ans.)

28Ce désœuvrement de la maisnie a tout le poids d’une émancipation (Mihâilescu 2009) : « Ici, au village, nous on a été dans le noir, faut faire quelque chose pour s’en sortir ! », déclarait une femme de 42 ans de Pucheni. Les paysans actuels, ayant fait l’expérience du travail industriel, de la ville et de l’Occident, ne veulent plus être marginalisés dans la catégorie déclassée des « paysans », mais rêvent d’accéder à l’image d’une modernité urbaine et européenne : « Il faut qu’on soit nous aussi dans le vent, à la mode, comme tout le monde ─ C’est-à-dire ? ─ Ben, quelque chose de beau, de moderne, comme en ville, en Occident… », nous expliquait une autre femme de Pucheni.

29Constantin Noica déclarait dans les années 1940, au nom des élites intellectuelles de ce temps : « On ne veut plus être les éternels paysans de l’histoire ! » (Noica 1989). Maintenant les paysans eux-mêmes formulent de tels vœux. Le sens des maisons d’orgueil semble être celui d’une affirmation compulsive d’émancipation, d’une rupture manifeste avec le passé et le local, avec tout ce qui tient à la vie paysanne « démodée ». Après plus d’un siècle de modernisation par le haut, dont les paysans étaient les objets passifs, les gens des campagnes ont pour la première fois les moyens de devenir les sujets de cette modernisation par le bas – et ils l’envisagent à leur manière. À part l’imitation éclectique des villes et de l’Occident, cette modernisation apporte surtout la séparation entre l’espace de travail et l’espace domestique, c’est-à-dire la situation même que Max Weber (2004) indiquait comme condition préliminaire du capitalisme moderne. Par ailleurs, le nombre excessif des chambres à coucher que toutes ces maisons comportent à l’étage semble être la matérialisation d’un autre rêve de modernisation : l’intimité. Après l’inconfort – sinon la promiscuité – de la chambre familiale unique, les paysans s’inventent l’intimité, quitte à ne l’utiliser qu’en « cas de nécessité ».

Le rustique : un retour chez soi ?

Ça [le style rustique] va venir, ça va venir après une période de luxe, ça va être recherché… Pour l’instant on cherche encore le luxe, les bonnes voitures… Mais quand le monde va en avoir assez du luxe, les gens vont chercher des choses pareilles… plus démodées, comment dire, comme d’antan… (G. S.)

30Cette appréciation du jeune propriétaire d’un dépôt rural de matériaux de construction venait confirmer l’apparition du rustique dans les villages, porté par une nouvelle vague éloignant petit à petit – mais sans la remplacer entièrement – la mode précédente des maisons d’orgueil.

31Le rustique a une longue histoire en Europe et, d’une certaine manière, en Roumanie. Il a toujours été associé à la nature et au naturel – et, par extension, au monde rural, à ses habitants considérés plus proches de la nature (et donc un peu plus « rustres »), et à leurs manières de « rustiquer » leurs maisons. Quand les campagnes et le « retour à la nature » sont devenus une destination des résidences secondaires, le rustique a été lui aussi réinvesti d’une manière recherchée – esthétique et existentielle – pour offrir à ses bénéficiaires une fuite paisible dans le temps et l’espace. Depuis, il renaît sans cesse, en s’adaptant aux goûts des temps et des lieux (O’Leary & Wellman 2006 ; Grimshaw & Rasmussen 2006). Les États eux-mêmes se sont parfois intéressés à promouvoir l’architecture de leurs campagnes en marques identitaires, suscitant des courants d’architecture nationale comme le romantisme national anglais, l’historisme allemand ou le régionalisme français.

32Ce fut aussi le cas de la Roumanie et de son style « néo-roumain », inspiré par l’exemple français et essayant de maintes façons d’encourager une modernité spécifique ancrée dans des traditions vernaculaires sélectives (Popescu 2004). Les élites des villes ont commencé elles aussi à s’entourer de pièces choisies d’artisanat populaire, mises en valeur avec soin sur les murs et les meubles des résidences. À son tour, le national-communisme a renchéri le rustique en en faisant une marque identitaire, exposée à outrance dans des restaurants pour étrangers, ou miniaturisée par toute une gamme d’objets d’artisanat en bois figurant des éléments de l’inventaire paysan (maisons, fontaines, charrues, etc.) que les gens moins aisés mettaient dans leurs « vitrines » de salle à manger en guise de bibelots.

33Après la chute du communisme, le rustique a dû attendre plus d’une décennie pour refaire surface. Maintenant, petit à petit, il revient à l’ordre du jour. Ce « rustique » est devenu une astuce pour les édiles qui désirent aménager d’une manière chic leurs espaces urbains ; pour les architectes et les designers qui vantent les qualités esthétiques et même les bienfaits psychologiques du bois et des arrangements rustiques en s’adressant à une clientèle de riches « connaisseurs » ; pour les pensions et les restaurants « rustiques » qui se placent déjà, intuitivement, dans une « économie de l’expérience » (Pine & Gilmore 2010) en proposant à leurs clients des séjours « mémorables » dans des décors « authentiques », etc. En fin de compte, le rustique est devenu un petit marché en soi, se développant de pair avec le marché émergeant des « produits de grand-mère » (Mihâilescu & Iancu 2009).

34C’est dans cet univers des villes et des « pensions agro-touristiques » à la mode que les paysans ont puisé leur propre choix de rusticité, Internet et revues spécialisées à l’appui. Mais ce rustique-là n’est pas une distinction de citadins aisés ni une expression nationale, une référence à un authentique et à une nature d’emprunt (sinon fantasmée). Il se définit d’emblée comme autoréférentiel : il s’agit de maisons faites par des villageois, dans leurs villages et « comme chez nous, au village ». Ce qui ne veut pas dire que cette mise en scène de soi-même soit moins fantasmée…

  • 11 À côté de l’observation et des entretiens habituels, un questionnaire visuel (le sujet avait à choi (...)

35À quoi ressemble alors ce rustique rural ? Une recherche menée dans deux villages collinaires, situés au sud (Pucheni) et au nord (Cacica) du pays, peut en donner une idée11.

  • 12 Parmi les « marques » rustiques unanimement reconnues se trouvaient la balançoire et le pavillon en (...)

36En premier lieu, il n’existe pas véritablement de « maison rustique » en tant que telle. Bien qu’elles soient d’une taille bien plus modeste que les maisons d’orgueil, les « maisons rustiques » n’ont rien de particulier, si ce n’est un « petit air rustique », comme disent quelquefois les villageois sans pouvoir le définir pour autant. Ensuite, parmi les gens qui ont déclaré une telle préférence, le choix du matériel de construction s’oriente majoritairement vers des préfabriqués de dernière génération qu’on aurait du mal à associer avec le « rustique ». Enfin, le « look » rustique concerne davantage l’extérieur de la maison, sans trop en influencer l’aménagement intérieur. C’est aussi la raison pour laquelle on n’a pas essayé de passer « au-delà des huis clos » (Miller 2001) et on s’est contenté de regarder l’aménagement des jardins. Suivant les déclarations des sujets, on a choisi de dresser une liste d’éléments rustiques12 pour évaluer le degré et la manière de « rusticisation » dans les deux villages.

37Cette présence du rustique est relativement réduite dans les deux localités, à l’exception des arrangements floraux qui se retrouvent dans 58 % des maisnies de Cacica et dans 50 % de celles de Pucheni. On trouve un pavillon en bois dans 21 % des maisnies de Pucheni, mais seulement 5 % à Cacica ; la balançoire est aussi plus fréquente à Pucheni (24 %) qu’à Cacica (12 %). Ces pratiques rustiques ne font pas bon ménage avec l’élevage paysan traditionnel : 6 à 7 % des maisnies ont une balançoire ou un pavillon et gardent aussi une vache, et dans seulement 1 % des cas on trouve en même temps cheval, vache et cochon et éléments de rusticisation de la maisnie. Ce choix est quelquefois déclaré d’une manière explicite. Une jeune femme de Pucheni résume : « Les gens ne font plus aujourd’hui des poulaillers, ils ne veulent plus s’asservir à élever des animaux. Ils font plutôt quelque chose de rustique ! » (Cimpoieru 2010).

38Par ailleurs, le goût rustique semble en plein essor. Les sujets du questionnaire ont déclaré les éléments rustiques comme importants dans les proportions suivantes : les arrangements floraux : 82 % à Cacica et 77 % à Pucheni ; pavillon : 44 % et 70 % ; balançoire : 43 % et 59 % ; meubles rustiques : 50 % et 70 %.

39L’élément central reste la maison : la photo d’une maison ayant un « petit air rustique » a été préférée par 59 % des sujets de Cacica et 39 % de ceux de Pucheni ayant à choisir entre huit images de maisons rurales de tailles et styles différents. Ce qui est encore plus édifiant c’est que cette préférence est bien plus fréquente parmi les gens de moins de 45 ans que parmi les personnes plus âgées. En des proportions différentes, la même chose est vraie pour tous les autres éléments du répertoire rustique.

40Reste l’image mitigée du bois, qui est le leitmotiv de tout cet univers rustique. La Roumanie est une civilisation du bois – et fière de l’être. La forêt, le sapin, le bois en général sont des références traditionnelles et identitaires fréquentes (Mihâilescu 2009). Les amateurs actuels de rustique tiennent spécialement à commenter le recours au bois comme le signe d’un retour aux traditions et au local : « On utilise le bois comme on avait l’habitude de le faire ici, chez nous, au village », déclarentils, même si souvent il s’agit de bois plaqué ou seulement d’imitation de bois par du plastique. L’approche d’une « anthropologie du bois » fait même dire à Adam Drazin qu’en Roumanie en général « la domesticité est en bois » (Drazin 2001 : 179) : « Le bois confère à la domesticité et à l’occupation de soigner sa maison une permanence physique dans le contexte social changeant de la Roumanie ; son usage est compulsif, peut-être parce que le bois permet aux gens de réinterpréter leur propre roumanité par ces temps d’insécurité » (ibid. : 173). Il le retrouve même dans les appartements gris des blocs communistes soigneusement meublés en pièces de bois, qui opposaient une « chaleur de foyer » à la froideur morne de l’habitat, et qui étaient par ailleurs une marque de « modernisation » : « En Roumanie, il y a la possibilité d’exprimer la modernité par l’arrangement du meuble, et pourtant, la substance même du bois se trouve en contraste avec la modernité du béton du domaine publique » (ibid. : 180). Selon Drazin, le bois est ainsi au cœur même d’une roumanité domestique et matérialise toute une affectivité identitaire.

41Cette revalorisation du bois après l’éloge du béton, du fer et du verre par les maisons d’orgueil semble donc indiquer non seulement un repositionnement par rapport à la modernité, mais aussi un réancrage identitaire dans le passé et le local. Les discours que les habitants eux-mêmes font sur ces pratiques rusticisantes en disent long : « On est dans le vent, à la mode et en même temps de retour à l’ancienne tradition » ; « Le rustique, c’est moderne et c’est traditionnel en même temps » ; « Il n’y avait pas avant, c’est récent [le style rustique d’aménagement], mais ça te fait penser quand même au passé » ; « Tout ce qu’il y avait dans le passé, on le copie maintenant. » De « réactive », la maisnie rurale devient ainsi de plus en plus « expressive » et marque par son imaginaire rustique récent la voie d’une sorte de « retour chez soi », au village et à ses « traditions ».

Domestication de la modernité, reconnaissance sociale et authenticité

42Les maisons rustiques surtout semblent évoquer une postmodernité à la Baudrillard. Dans cette perspective, le rustique n’est qu’un simulacrum (Baudrillard 1981) de la ruralité et donc une paradoxale simulation de soi. Le répertoire rustique, fait de signes miniaturisés et fétichisés de l’univers paysan, re-présente un manque. Les maisons d’orgueil peuvent être interprétées à leur tour comme étant partie prenante d’une consommation de signes bien plus répandue. À travers ces simulacra, les gens concernés peuvent ajouter du sens à leur existence réelle et retrouver du plaisir. Pour comprendre cet enjeu, on ne peut donc pas s’arrêter à une pareille analyse des moyens sémantiques.

La récupération d’un sentiment collectif du sens qui s’est perdu dans la longue période du colonialisme (tout comme dans celle du communisme) n’est pas, comme l’indique Friedman (1994), une simple question de sémantique, de substitutions des signes, de jeux intellectuels de la valeur de vérité et de l’authenticité muséographique. C’est plutôt une question d’authenticité existentielle de l’engagement du sujet dans un projet d’autodéfinition. (Crâciun 2009 : 67-68.)

43Par ailleurs, les simples « décisions de modifier les apparences externes de la maison ont le pouvoir d’être des déclarations symboliques de la lutte du propriétaire afin d’exprimer une “nouvelle” identité » (Dolan 1999 : 62). À la fin de ce périple, nous allons essayer d’approcher un peu plus la subjectivité des habitants pour mieux comprendre les enjeux personnels qui se donnent à voir à travers leurs nouveaux habitats.

  • 13 « Puisque avant on vivait pratiquement dans le noir, étant isolés de la ville, les gens se sont dit (...)

44Un premier niveau de cette quête du sens a déjà été suggéré ici : il s’agit du désir de modernisation plus ou moins ostentatoire, en rupture avec l’» ancien régime » de la paysannerie13. Le mot qui résume peut-être le mieux l’ensemble de ces processus et de ces significations est « domestication ». Domestication dans un sens proche de celui de Creed (1995), renvoyant à des pratiques qui s’inscrivent pour la plupart dans l’espace social domestique et qui sont une appropriation élective – sinon un détournement – de ressources disponibles en dehors et au-delà de la maison pour l’usage et l’épanouissement de celle-ci. Dans le cas des maisons rurales récentes de Roumanie, l’objet de cette domestication semble être la modernité même, en tant que réservoir de ressources et de signes distinctifs dans lequel les habitants puisent les simulations domestiques d’une modernité originale. Car ce qu’omet la fameuse formule de Jean-François Lyotard et l’usage courant qu’on en fait est que cette modernité, devenue une « grande narration », objet de déconstruction par le haut, est devenue aussi objet de désir et de revendication par le bas.

La grande narration de l’urbanisation et de la modernisation ne représente pas simplement les lunettes par lesquelles les ethnographes ont regardé leurs données, elle est en soi un datum important […], pas seulement un document historique et ethnographique, mais aussi un produit, un artéfact historique et ethnographique. (Ferguson 1999 : 16.)

45Cette modernité qui ne finit pas de faire le deuil de sa fin est devenue un système de sens et d’attentes à venir et d’avenir. Même si ce n’est pas une modernité accomplie – et encore moins une vraie urbanisation des campagnes –, ce changement de visage apporté par les « maisons d’orgueil » n’en est donc pas moins une modernisation attendue et sensée.

46Une certaine impression d’» irrationalité » de cette modernisation domestique subsiste pourtant : pourquoi de cette manière, pourquoi à ce prix ? Quel est l’» intérêt » égoïste de ces gens et comment leurs maisons surdimensionnées sont-elles en mesure de l’apaiser d’une manière « rationnelle » ? Tout expliquer par de la distinction, par le capital symbolique et ses multiples possibilités de conversion, c’est vouloir appliquer à tout prix un schéma préalable sur une réalité qui à tout moment se dérobe. Peut-être serait-il plus sage de changer d’optique, et de recourir par exemple au paradigme alternatif de la reconnaissance ?

47Dès ses origines, qu’on peut retracer dans l’œuvre de jeunesse de Hegel et son opposition à Hobbes, le concept même de reconnaissance (Anerkennung) place la fameuse « engine of action » dont parle James Samuel Coleman (1988) non pas dans l’intérêt égoïste de l’individu proche ainsi d’un état de nature, mais dans les relations réciproques des membres de la société et leurs enjeux d’inclusion et d’exclusion. Ce besoin ontologique de reconnaissance inclut l’identité dans ses propres fondements :

Ainsi, la question de l’identité se voit d’emblée mise en scène dans le discours de la reconnaissance […]. N’est-ce pas dans mon identité authentique que je demande à être reconnu ? Et si, par bonheur, il m’arrive de l’être, ma gratitude ne va-t-elle pas à ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont reconnu mon identité en me reconnaissant ? (Ricœur 2004 : 13-14.)

48On oppose à la théorie et à la morale dominantes une vision « hétérodoxe » :

Les hommes, commençait-on à comprendre, ne sont pas d’abord et seulement des êtres de besoin comme les animaux ; ils ne deviennent proprement humains que dans le registre du désir, et ce désir est d’abord désir d’être reconnu, désir d’être désiré par les autres sujets humains désirants. (Caillé 2007 : 8-9.)

49La modernité apporte de nouveaux enjeux à cette lutte pour la reconnaissance, universelle ou prétendue telle :

50Ce qui advient avec l’époque moderne ce n’est pas le besoin de reconnaissance, mais les conditions dans lesquelles celle-ci peut échouer. Et c’est bien ça le motif pour lequel le besoin d’en prendre conscience apparaît maintenant pour la première fois. Avant la modernité, les gens ne parlaient pas d’identité et de reconnaissance non pas parce qu’ils n’avaient pas ce que nous appelons identités ou parce qu’ils ne comptaient pas sur la reconnaissance, mais parce que celles-ci étaient jadis trop peu problématiques pour être thématisées ainsi. (Tylor 1991 : 37-38.)

51À présent, « les luttes politiques proprement modernes qui, pendant plus de deux siècles, avaient été des luttes de redistribution sont devenues prioritairement des luttes de reconnaissance », constate à son tour Alain Caillé (2007 : 5). La reconnaissance sociale est devenu un idéal (plus ou moins) explicite, qui alimente la question de la dignité et qui anime les masses mais aussi de simples individus comme les paysans dont il est question ici.

  • 14 La théorie de la reconnaissance nous apparaît comme une sorte de « paradigme féminin », opposé à l’ (...)

52Cette approche n’a fait irruption dans les sciences sociales que dans les dernières décennies, notamment à la suite de l’œuvre pionnière d’Axel Honneth (1995) – qui a pris le risque de se voir suspectée par les sociologues de « laisser entrer le loup du psychologisme dans la bergerie de la sociologie » (Dejours 2007 : 58). Dans son complément psychologique, cette théorie propose et suppose une autre « triade » : la demande, la souffrance et la vulnérabilité comme « dimensions psychologiques de la condition humaine » elle-même (ibid.). La « vulnérabilité » surtout donne la mesure du renversement de paradigme, une « vulnérabilité non comme une conséquence sociale de l’injustice et de l’inégalité, mais comme dimension fondamentale de la condition humaine. Vulnérabilité comme terme opposé à la virilité, au courage viril » qu’on retrouve dans la vision courante du travail (ibid. : 61)14. Et c’est d’abord cette « vulnérabilité », confrontée avec les « expériences négatives » et les « attentes frustrées » du monde du travail, qui se trouve à l’œuvre dans les « perceptions non articulées de l’injustice », la « moralité souterraine » et la « conflictualité non publique » qui traversent principalement les groupes défavorisés et qui ont changé le sens même du travail (Voirol 2007 : 254-255).

53La « lutte en maisnies », comme l’appellent des paysans du nord de la Roumanie (Moisa 2010), s’inscrit elle aussi dans ce contexte de lutte pour la reconnaissance sociale. Elle semble être alimentée surtout par les « expériences négatives » des relations de travail à l’étranger et par cette « non-reconnaissance » (Missachtung) dont parle Honneth et qui entoure d’habitude les migrants roumains. Ce travail retrouve sa valeur hors de l’espace productif où il se déroule : la reconnaissance domestique lui apporte un sens, il devient visible à travers son absence. On peut dire qu’un travail « rationnel », mais mal reconnu là-bas, reprend son sens par une consommation « irrationnelle » ici, mais qui jouit de la reconnaissance sociale des proches.

54Au sommet de cette quête de sens se situe l’authenticité, cette « identité authentique » dont parle Paul Ricœur et qui se trouve, en fin de compte, au cœur même de la lutte pour la reconnaissance sociale. Authenticité non pas dans le sens classique et patrimonial, qui mesure la correspondance avec un « originel », mais dans celui plus (post) moderne qui fait de la quête de l’authenticité personnelle un « idéal moral » d’épanouissement de soi (Tylor 1991), désir individuel et désirabilité sociale en même temps. Une authenticité qui n’est pas pour autant une relation autiste avec soi, mais demande à son tour la reconnaissance sociale – et qu’on pourrait définir alors comme une forme de reconnaissance de soi, revers et complément de la reconnaissance sociale. « Nous aussi, on veut redevenir nous-mêmes ! », clamait un paysan de Cacica, exprimant à sa manière ce besoin d’authenticité.

55Dans cette perspective, on devine un désir d’authenticité derrière les diverses métamorphoses de l’habitat rural récent de Roumanie, les différences étant plutôt d’accent que de nature. Si les maisons d’orgueil semblent être motivées surtout par un besoin compulsif de reconnaissance publique de réussite personnelle et d’émancipation, la rusticisation marque plutôt un repli sur soi-même et le chemin d’une authenticité retrouvée et réjouissante. On peut également appréhender ce déplacement d’accent en considérant l’usage des habitations : les maisons d’orgueil parlent presque exclusivement par leur excessive visibilité extérieure et restent le plus souvent inhabitées, tandis que les maisons rustiques sont toujours habitées et mettent en scène une intimité paisible.

56En tout état de cause, en dépit des impressions souvent partagées d’irrationalité et / ou de kitsch, tous ces édifices restent profondément sensés en eux-mêmes et donnent un relatif sens personnel à cette dynamique sociale d’ensemble.

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Notes

1 Cet article s’appuie sur les recherches de terrain réalisées entre 2009 et 2010 avec les étudiants en anthropologie de l’École nationale d’études politiques et administratives de Bucarest dans le cadre du projet « Répertoires domestiques : valeurs et pratiques » financé par le CNCSIS / IDEI.

2 « Maisnie » est le terme ancien français que Paul Stahl a suggéré dans ses écrits pour traduire le mot roumain « gospodârie ».

3 C’est une des raisons du morcellement chronique des campagnes roumaines. La superficie moyenne des domaines a tourné depuis un siècle et demi autour de trois à quatre hectares.

4 Cette règle coutumière s’exprime aujourd’hui par le desideratum suivant : « Le garçon apporte la maison et la fille la remplit » ; « Il y a des familles qui ont, comme ça, cette idée fixe : moi je fais la maison du garçon, le devoir de la fille est de la meubler et de la décorer » (E. N., paysan de 54 ans, cité dans Coros 2000). Ce qui fait qu’à présent les parents des garçons multiplient souvent le nombre des chambres pour la même superficie construite, forçant ainsi les parents des filles à acheter plus de meubles.

5 Pour Gerhard Creed, la « domestication de l’industrie » est « une expression abrégée du répit des forces non agricoles, plus spécifiquement de la compromission de la discipline industrielle et la limitation de l’essor industriel dans la décision économique, tout cela comme une concession faite aux exigences agraires » (Creed 1995 : 528).

6 Déplorant les destructions importantes engendrées par cette loi, Dinu Giurescu note par ailleurs qu’entre 1950 et 1985, 2 120 480 maisons ont été construites par la population, pour la plupart dans les villages (Giurescu 1990).

7 J’ai pu constater, par exemple, que les congés des ouvriers d’une grande plate-forme minière suivaient les grandes lignes du calendrier des travaux agricoles.

8 Le terme « déclassé » doit être utilisé dans un sens plutôt symbolique, car on ne peut parler qu’avec beaucoup de prudence d’une vraie « classe ouvrière », homogène et consciente d’elle-même.

9 Source : baromètre rural, 2007. Dans les dernières cinq années, par exemple, un habitant sur cinq a été concerné par la construction d’une maison, et un sur dix par des aménagements extérieurs (Chiribucâ & Tigânas 2010).

10 Dans un sens très proche, Kai Vöckler (2010) parle de la « turbo-architecture » de Pristina. À des échelles et avec des intensités différentes, ce phénomène peut être observé dans la plupart des sociétés postsocialistes.

11 À côté de l’observation et des entretiens habituels, un questionnaire visuel (le sujet avait à choisir parmi des jeux de photos de maisons et d’accessoires) a été appliqué sur un échantillon aléatoire de cent personnes entre 20 et 70 ans dans chaque village.

12 Parmi les « marques » rustiques unanimement reconnues se trouvaient la balançoire et le pavillon en bois, les ornements en bois et les arrangements floraux. À cela s’ajoutait tout un univers paysan fragmenté ou miniaturisé : des charrues et des charrettes, entières ou en pièces détachées, des pelles et des roues, des vaches et des chevaux en bois ou en plastique, etc.

13 « Puisque avant on vivait pratiquement dans le noir, étant isolés de la ville, les gens se sont dit que c’était le moment de faire surface d’une manière ou d’une autre », expliquait un paysan de Pucheni.

14 La théorie de la reconnaissance nous apparaît comme une sorte de « paradigme féminin », opposé à l’orgueil un peu machiste du rational choice.

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Pour citer cet article

Référence papier

Vintilâ Mihâilescu, « Comment le rustique vint au village »Terrain, 57 | 2011, 96-113.

Référence électronique

Vintilâ Mihâilescu, « Comment le rustique vint au village »Terrain [En ligne], 57 | 2011, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 14 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/14368 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terrain.14368

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Auteur

Vintilâ Mihâilescu

Chef du département de sociologie,École nationale d'études politiques et administratives (Bucarest)

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