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« Chez nous, le sang règne ! »

L’apprentissage religieux dans le culte Xangô de Recife (Brésil)
Arnaud Halloy
p. 40-53

Résumés

La quête de l’Afrique apparaît comme une constante depuis la formation des premières grandes maisons de candomblé, les religions d’origine africaine au Brésil, à la fin du xixe siècle. Assimilé à un retour aux sources de nature « mystique » par ses leaders religieux,ce mouvement est également de nature politique dans la mesure où il contribue à la construction d’un discours – non sans l’aide des anthropologues – menant à la hiérarchisation de modèles de la « tradition » fondés sur la proximité présumée avec les « racines » africaines. Je m’efforcerai de nuancer cette analyse en montrant que l’élaboration d’un savoir dit traditionnel dans le culte Xangô de Recife passe avant tout par la valorisation d’un savoir-faire rituel qui trouve sa légitimité dans ses propres conditions de transmission. En d’autres termes, perpétuer ou inventer une tradition consiste d’abord à apprendre à transmettre traditionnellement. Cet article cherche à décrire les propriétés de ce « transmettre » traditionnel à partir d’une analyse du discours des membres du culte sur la « tradition » ainsi que des pratiques qui l’actualisent.

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Texte intégral

  • 1 Vraisemblablement d’origine bantoue, ce terme désigne la principale religion afro-bahianaise. Il es (...)

1La quête de l’Afrique apparaît comme une constante depuis la formation des premières grandes maisons de candomblé 1au Brésil, à la fin du xxe siècle. Assimilée à un retour aux sources de nature « mystique » ou « spirituelle » par ses membres, plusieurs auteurs ont montré de manière convaincante qu’une telle quête revêt également une forte dimension politique (Dantas 1982 ; Boyer-Araújo 1993 ; Capone 1996, 1999). Elle contribue à la construction d’un discours conduisant – non sans l’aide de certains anthropologues – à la hiérarchisation des modalités des cultes afro-brésiliens fondée sur la proximité, avérée ou imaginaire, avec lesdites « racines » africaines. Des voyages en Afrique, l’étude des langues et des systèmes oraculaires africains, le rejet d’un syncrétisme chrétien ou encore la manipulation des généalogies initiatiques comptent parmi les signes les plus visibles de cette recherche d’» authenticité » ou de « pureté » africaine (Capone 1996, 1999). Ces pratiques constituent une part importante de l’élaboration d’un modèle légitime d’« africanité », pierre angulaire du positionnement des cultes dans le vaste champ religieux afro-brésilien.

2À partir de mes recherches ethnographiques sur le culte Xangô de Recife – décrit par les afro-brésilianistes comme l’un des plus anciens et « traditionnels » du Brésil –, je m’efforcerai de nuancer ce modèle analytique en montrant que la formation d’un savoir « traditionnel » ne passe pas nécessairement par la poursuite d’un savoir africain « originel » mais bien, dans ce cas précis, par la valorisation d’un savoir et, surtout, d’un savoir-faire familial qui trouve sa légitimité dans ses conditions de transmission. En d’autres termes, perpétrer ou « inventer » une tradition, pour reprendre l’expression chère à Eric J. Hobsbawm (1983), consisterait à apprendre à transmettre traditionnellement. L’objectif de cet article est de décrire les propriétés de ce « transmettre » coutumier par une analyse du discours des membres du culte sur la « tradition » ainsi que des pratiques qui l’actualisent.

Le culte Xangô de Recife

3Culte initiatique fondé sur le sacrifice animal et la transe de possession, le Xangô est organisé en « familles-de-saints », des communautés de culte qui reposent sur la création de liens initiatiques entre leurs membres, calqués sur le modèle de la famille biologique. Ainsi, les initiateurs sont appelés « père » et « mère-de-saint », les initiés, « fils » et « filles-de-saint » et les co-initiés d’un même initiateur, « frères » et « sœurs-de-saint ». Chaque maison de culte (terreiro ou casa-de-santo) est dirigée par un « père » et /ou une « mère-desaint » et les relations initiatiques tissées entre initiés et chefs de culte sont à la base de la constitution de vastes réseaux « familiaux » reliant de nombreux temples entre eux. Cette organisation donne lieu à de constantes tensions et négociations relatives à la distribution et à la légitimation des savoirs et du pouvoir à travers le temps et l’espace (Maggie Alves Velho 2001 ; Capone 1999).

  • 2 Je m’approprie ici une catégorie couramment employée par les membres du culte pour désigner l’ensem (...)

4Deux catégories d’» entités spirituelles2 » composent le panthéon du Xangô : les eguns ou ancêtres familiaux, et les orixás, les divinités d’origine yoruba associées aux éléments de la nature (rivière, mer, forêt, orage…) ou à certaines activités humaines (chasse, forge…). Selon les conceptions de la personne dans le culte des orixás, tout individu est le « fils » ou la « fille » d’une ou de plusieurs divinités. Les adeptes du Xangô distinguent l’orixá principal, appelé « orixá-de-tête » (orixá de cabeça) et le juntó ou adjuntó, celui qui, littéralement, « accompagne » l’orixá principal. L’identification des divinités d’une personne s’appuie tantôt sur la reconnaissance d’une série de traits physiques et /ou psychologiques habituellement associés aux « enfants » de telle ou telle autre divinité, tantôt sur la consultation de l’oracle qui, dans tous les cas, statuera définitivement sur l’identité des orixás d’un individu (Augras 1992 ; Goldman 1987 ; Lépine 2000 ; Segato 1995).

  • 3 J’ai découvert cette dernière appellation dans mes recherches bibliographiques, les personnes avec (...)
  • 4 Pai Adão est un des personnages les plus emblématiques du Xangô de Recife. D’après ses descendants (...)
  • 5 Une dispute pour la succession du Sítio éclata en 1971 entre Malaquías Felipe da Costa, fils cadet (...)

5L’histoire de la famille-de-saint étudiée ici se confond, du moins en partie, avec l’histoire du Ilê Obá Ogunte 3– mieux connu sous la dénomination « Sítio de Pai Adão » – et, dans une certaine mesure, avec la genèse du Xangô de Recife au vu de l’influence que le Pai Adão4et plusieurs de ses descendants ont exercée et exercent toujours sur cette tradition religieuse dans la capitale pernamboucaine5(de Carvalho 1987).

6Quelle place attribuer à ces quelques éléments de l’histoire et de l’organisation sociale du Xangô de Recife dans les mécanismes d’élaboration et de transmission de cette religion afro-brésilienne ?

Deux modèles de transmission religieuse

Transmission et consanguinité : une question d’héritage

  • 6 Comme le nota Marion Aubrée (1984 : 234) lors de son enquête de terrain sur le site du Pai Adão au (...)
  • 7 Ethnonyme endogène soulignant l’origine yoruba des esclaves africains ayant fondé le culte.

7Comme nous venons de le voir, la plupart des leaders religieux de la famille-de-saint étudiée sont des descendants en droite ligne du célèbre Pai Adão6. Ce fut l’une des premières choses que j’appris et qui me fut répétée à maintes reprises au cours des entretiens menés avec ces chefs de culte, désignés par ailleurs par les membres du culte comme les personnes « de racine » (de raiz) du candomblé Nagô 7de Recife. Cette expression recouvre une double acception dans le Xangô, correspondant au double rôle social joué par la consanguinité. D’une part, elle tend à légitimer l’existence d’une « aristocratie » religieuse dotée de privilèges et d’attributs. D’autre part, elle conforte le leadership rituel de ces chefs de culte à qui l’on reconnaît, comme nous allons le préciser, une compétence rituelle et des connaissances dont ils seraient les seuls détenteurs.

8Cette entrée en matière soulève une question centrale : quel rôle les fidèles du Xangô attribuent- ils à ce « lien de sang » dans leur conception de la transmission religieuse ? Une anecdote ethnographique ouvrira notre réflexion.

9Le 11 juin 2003, je m’étais rendu chez Zite, mère-de-saint et fille aînée de Malaquías, afin d’assister au match amical de football entre le Brésil et le Nigéria. Júnior, son fils, jeune chef de culte de vingt-six ans ainsi que plusieurs de leurs initiés respectifs étaient présents ce jour-là devant le petit écran de son salon.

  • 8 Fils aîné de Malaquías et patriarche de la famille-de-saint étudiée.
  • 9 Un des fils de Paulo.
  • 10 Un autre fils de Paulo.

10Au moment de l’hymne national du Nigéria, avant que ne commence la partie, plusieurs commentaires de Zite à propos des joueurs africains attirèrent mon attention : « Mes ancêtres étaient comme eux ! » Alors que la caméra se déplaçait lentement sur le visage de chacun des joueurs, Zite s’amusa à les comparer avec les membres de sa famille : « Regarde, là c’est Paulo8 ! Là c’est Bíno9 ! Mais regardez donc, c’est Paulínho tout craché10 ! » Ce qui fut surprenant, c’est qu’elle répéta ces trois prénoms à plusieurs reprises, et pas une seule fois celui de son fils. Une fois l’hymne du Nigéria terminé, Júnior se tourna vers sa mère et l’interpella : « Et moi alors ? » Zite prit conscience alors de sa maladresse et s’exclama : « Toi aussi tu as du sang africain ! »

  • 11 Je soupçonne la rencontre de Paulo avec un étudiant nigérian d’être à l’origine de cette vision de (...)

11Je pense que l’omission de Zite, bien qu’elle fût de toute évidence non intentionnelle, n’était pas due au hasard. Elle s’enracine dans l’idée culturellement prégnante – mais largement implicite – que la « descendance africaine », comme l’appellent parfois les membres du culte, est principalement transmise par la lignée paternelle. Lorsqu’elle s’établit via la mère, ainsi est-ce le situation de Júnior, elle serait plus faible ou incomplète. Une telle différenciation est d’autant plus accentuée dans le cas de Júnior que son père était considéré comme « blanc » par sa famille. Júnior, lui-même « métis foncé » (mestiço escuro), aurait hérité de la « blancheur » de son père, comme Paulo l’exprima un jour explicitement : « C’est pour cette raison que Júnior est blanc, parce que son père était blanc. » Une fois encore, le terme « blanc » ne renvoie à aucun caractère phénotypique, mais bien à un idéal agnatique de l’héritage d’africanité11.

12Ce premier épisode, me semble-t-il, n’est qu’une variation autour du thème de la consanguinité et de ses relations avec la transmission religieuse. Hériter « par le sang » est central dans le processus de naturalisation de la position sociale des descendants du Pai Adão au sein du culte, mais également par rapport au savoir « authentique » dont ils seraient les uniques dépositaires. Je vais à présent développer ce second point.

  • 12 Voir notamment José Jorge de Carvalho (1987) et Rita Laura Segato (1995).
  • 13 « Ilu » signifie « tambour » en yoruba et désigne les tambours consacrés du Xangô de Recife.
  • 14 Les guillemets sont ici nécessaires dans la mesure où les langues africaines du candomblé contempor (...)

13Les petits-enfants et arrière-petits-enfants du Pai Adão – tout comme ses enfants à l’époque12– sont connus dans le Xangô pour être des ritualistes d’exception : les jeunes musiciens sont des joueurs d’ilu13recherchés, tandis que les chefs de culte maîtrisent parfaitement le savoir-faire rituel et initiatique ainsi qu’un vaste répertoire musical et invocatoire en « yoruba14 » de plus de trois cents chants (de Carvalho 1987). Cette compétence rituelle est très appréciée non seulement pour son efficacité présumée, mais également pour sa dimension esthétique : « Personne ne rend un culte comme nous le faisons ! », affirmait Lucínha, mère-de-saint et sœur cadette de Zite et Paulo. Et le lien entre ce savoir-faire singulier et la consanguinité est régulièrement rappelé par ces chefs de culte dans des expressions telles que « C’est dans le sang ! » (« Ca no sangue ! ») ou encore « Nous avons une descendance forte ! » (« A gente tem uma descendençia forte ! »).

14Comme ces paroles le soulignent, la théorie de la transmission sous-jacente est que l’héritage par le sang constitue une condition nécessaire à la perpétuation des savoirs « fondamentaux » ( fundamentos) de la religion. Selon cette perspective, les descendants du Pai Adão partageraient une « essence » commune, qu’ils seraient les seuls à posséder, et qui serait rendue manifeste par une compétence rituelle exceptionnelle. Paulo, le patriarche actuel de la famille-de-saint, synthétise cette conception de la transmission dans une jolie formule : « Chez nous [dans la famille], le sang règne ! » (« Aqui o sangue reina ! »)

15Lorsque j’invitais les membres du culte à être plus précis à propos des origines de leur compétence rituelle singulière, ils se référaient invariablement au voyage en Afrique effectué par le Pai Adão à la fin du xxe siècle. Ils se montraient particulièrement fiers d’évoquer cet épisode de la vie de leur aïeul, même si la majorité d’entre eux étaient bien incapables d’avancer la moindre information tangible sur ce qu’il y aurait effectivement fait, sur les personnes qu’il y aurait rencontrées. Mais tous sans exception reconnaissaient que ce voyage fut décisif dans l’approfondissement des « préceptes » (preceitos) du culte, à savoir les connaissances liturgiques et initiatiques.

16L’ethnomusicologue brésilien José Jorge de Carvalho (1987) mentionne que ce même événement était déjà raconté dans des proportions épiques à la fin des années 1970 lorsqu’il conduisait son ethnographie dans cette même famille-de-saint. Il notait déjà le ton de fierté empreint de nostalgie qui colorait la narration de cette histoire.

17Mais pour la nouvelle génération de leaders religieux, le Pai Adão n’est plus le seul à éveiller de tels sentiments. Malaquías, son plus jeune fils qui mourut au début des années 1980 dans des circonstances tragiques, est lui aussi devenu une figure emblématique et admirée par ses descendants (biologiques et initiatiques) actuels. Les raisons de sa popularité et de cette exaltation sont multiples. À en croire ses enfants, petits-enfants et initiés, il était un chef de culte charismatique et très apprécié, ainsi qu’un « bon père de famille ». Aussi, contrairement au Pai Adão, l’ensemble des chefs de culte actuels l’ont connu et côtoyé. Ils alimentent le souvenir de ce personnage d’anecdotes et d’épisodes autobiographiques témoignant de sa compétence et de ses qualités humaines extraordinaires. De tels sentiments sont de plus fréquemment réactivés au cours d’événements rituels tels que les sacrifices annuels destinés aux ancêtres (obrigações de balé) et les épisodes de possession lorsque ce sont les orixás de ces mêmes ancêtres qui sont invoqués et invités à se manifester parmi les initiés d’aujourd’hui.

18Ainsi, la théorie de l’» héritage par le sang » se voit lestée d’une forte charge affective à l’intérieur de cette famille-de-saint. Elle n’est toutefois pas la seule existante. Elle peut même apparaître marginale si nous sortons du cercle des consanguins du Pai Adão où elle prédomine. Une seconde théorie est en effet plus largement acceptée au sein du Xangô, mais également dans le candomblé de manière plus générale.

Transmission et initiation : une question de participation

19L’initiation dans le candomblé a souvent été décrite comme le lieu par excellence de l’apprentissage religieux (Bastide 1960 ; Elbein dos Santos 1975 ; Verger 1957 ; Vogel, da Silva Mello & Pessoa de Barros 1993). Les novices y apprendraient (à contrôler) la danse de possession de leur orixá, ainsi que les « différents répertoires vocaux » (Vatin 2005 : 71) et d’autres savoirs exégétiques relatifs à leur « nation » de culte. Or, ma propre expérience initiatique ainsi que de nombreux témoignages recueillis parmi les initiés du Xangô contredisent cette affirmation. L’initiation dans le Xangô de Recife ne peut être assimilée à un lieu d’» apprentissage » de savoirs singuliers, qu’il s’agisse de connaissances liées à la possession ou encore à la liturgie ou à la mythologie du culte. Aucun enseignement systématique n’y est délivré. Ce à quoi le novice du Xangô est concrètement exposé, c’est un processus intense d’imprégnation de tout ce qui fait la matérialité des divinités (sensations, émotions, interactions avec des personnes, des substances et des objets), processus essentiellement orienté vers la transformation de celui qui y est soumis et de son expérience sensible du monde spirituel (Halloy 2005, 2009). Dans cette perspective, l’initiation, parce qu’elle rassemble sur une courte période toute une série de pratiques rituelles se focalisant sur la manipulation de substances, d’objets cultuels et du corps de l’initié, ne fait qu’intensifier ce qui se passe au cours de la participation quotidienne à la pratique rituelle au sein du terreiro. C’est principalement sur cette activité ordinaire que je centrerai mon analyse.

Le vocabulaire de la transmission

  • 15 L’initié n’apprend pas un simple savoir-faire. Il acquiert une compétence susceptible de le transfo (...)

20Apprendre dans le candomblé procède avant tout d’un investissement individuel et d’une participation régulière à la vie d’une maison de culte plutôt que d’une transmission explicite et méthodique. Márcio Goldman, un anthropologue brésilien, suggère à cet égard l’expression « catar folhas », qui signifie littéralement « ramasser des feuilles », et révèle de cette manière le caractère diffus, mais aussi potentiellement risqué de l’apprentissage religieux dans les cultes afro-brésiliens15.

  • 16 « Ele é entendido / sabido no santo. »

21Les membres du Xangô, quant à eux, font souvent référence à la convivênçia, c’est-à-dire au fait de « vivre ensemble », pour expliquer le mode de fonctionnement réel de l’initiation religieuse, entendue ici au sens large. Il est dit du novice qu’il « s’approfondit dans le saint16 » et d’un initiateur ou d’un initié expérimenté qu’il « est averti ou avisé dans les choses du saint ». L’emploi de la forme passive des verbes « entender » (comprendre) et « saber » (savoir) souligne l’idée d’une passivité dans l’apprentissage, pointant vers un processus plus général d’incorporation ou d’imprégnation plutôt que vers une recherche proactive et systématique des savoirs.

  • 17 Le « savoir-prendre » ainsi que la transmission « oblique » entre les jeunes initiés et les initiés (...)

22Mais cette accentuation de la passivité dans le discours sur l’apprentissage peut être nuancée par l’usage fréquent de deux termes faisant référence au double mouvement de la circulation du savoir dans le processus de transmission : « passar » (passer) et « pegar » (prendre). Le premier verbe s’applique aux connaissances concédées par l’initiateur à ses initiés. Le second décrit la manière dont un novice arrive à s’approprier ou à accéder aux ressources de l’apprentissage, en l’occurrence les savoirs d’un initiateur ou d’un initié expérimenté, sans qu’il y ait eu intention d’enseigner de la part de ces derniers. Si, dans la première situation, la confiance du chef de culte envers ses initiés apparaît comme une condition nécessaire au processus, ce n’est pas le cas dans la seconde, où il revient au novice de faire preuve de sagacité afin de « prendre » le savoir là où il se trouve17.

23On peut dire que pour l’initié il ne s’agit pas d’» acquérir » un simple savoir technique, mais bien d’élaborer une véritable compétence en recomposant des procédures rituelles à partir de simples bribes d’informations glanées çà et là au fil de ses participations, ou encore en déchiffrant les principes et les forces à l’œuvre sous les faits et gestes (parfois obscurs, parfois d’apparence anodine) des porteurs du savoir.

24Mais là n’est pas la seule capacité dont tout membre du culte – et a fortiori tout initié – est censé faire preuve. Une série de qualités individuelles seraient requises pour devenir un membre à part entière, comme par exemple l’intérêt et la curiosité pour « les choses du saint », l’humilité et la persévérance, une dévotion sans faille pour ses orixás ainsi que des marques constantes de déférence à l’égard de ses initiateurs.

25Outre ces attentes culturelles relatives aux vertus individuelles des novices, comment mieux définir le type de savoir transmis, ainsi que la façon dont il l’est effectivement ?

Le biais « ritualiste »

26En général, on peut considérer les leaders actuels de la famille-desaint étudiée comme d’authentiques ritualistes : leur intérêt est avant tout centré sur la performance rituelle – la bonne exécution des rites – plus que sur le maintien d’un corpus de connaissances mythologiques ou cosmogoniques. Cette attitude résolument « orthopraxe » a plusieurs conséquences sur la manière dont l’apprentissage est appréhendé et mis en œuvre dans le culte.

  • 18 Il peut s’agir de fragments d’épisodes mythiques, mais aussi de rêves, d’épisodes vécus ou de messa (...)
  • 19 Rita Laura Segato (1995) faisait le même constat il y a près de trente ans.

27Tout d’abord : la valorisation de l’action rituelle au détriment de la production / transmission exégétique de type mythologique. J’ai montré dans un travail précédent (Halloy 2005) que la mythologie du Xangô contemporain se caractérise notamment par sa forme peu narrative et largement « fragmentaire18 », par son « hétérogénéité » de forme et de contenu19ainsi que par le lien étroit qu’elle entretient avec l’action rituelle. Ces caractéristiques formelles vont de pair avec un manque généralisé de curiosité pour les récits mythologiques à proprement parler, qui contraste avec un vif intérêt pour les « préceptes » (preceitos) ou « fondements » ( fundamentos) du culte, c’est-à-dire avec l’ensemble des connaissances et des commentaires relatifs à l’activité rituelle et à sa bonne réalisation.

28L’apprentissage de tels préceptes dépend étroitement de l’implication des individus dans la pratique religieuse, car leur explicitation découle généralement d’» accrochages » rituels, qu’il s’agisse de l’hésitation d’un initié face à une tâche liturgique à accomplir ou de différences dans l’action observées dans d’autres maisons de culte. Dans le premier cas, les commentaires prendront la forme d’injonctions et d’instructions adressées directement au novice, dans le second, ces commentaires s’apparenteront davantage à des ragots, voire à des moqueries portant sur les compétences d’autres chefs de culte.

  • 20 Le terme « odu » désigne la configuration obtenue par le jet d’objets destinés à rendre les oracles (...)

29Une seconde conséquence de la voie « ritualiste » dans la transmission religieuse est l’usage marginal des livres dans la famille-de-saint. La plupart du temps, seuls les livres contenant des photographies de cultes africains ou d’autres modalités de candomblé retenaient l’attention des membres du Xangô. Quant aux chefs de culte, ils se montraient foncièrement suspicieux à l’égard des informations contenues dans les livres, et tout particulièrement dans ceux des anthropologues. Seuls les livres écrits par des initiés retenaient l’attention de Paulo, et parmi eux, surtout, les livres d’initiés africains. Son intérêt était avant tout éveillé par les livres contenant des connaissances susceptibles d’enrichir sa pratique rituelle, comme par exemple des chants et des invocations en yoruba, des noms d’odus20, etc. Le rapport aux livres des membres du Xangô est bien résumé par Júnior, le jeune chef de culte déjà mentionné :

Les livres sont bons parce

qu’ils ont la théorie, les odus, etc.

La pratique, ce n’est pas un

problème, c’est au jour le jour…

30Comme l’illustre bien ce commentaire, une troisième conséquence du biais ritualiste est l’attention portée par les adeptes sur la participation rituelle comme mode privilégié de transmission religieuse. Dans la mesure où les savoirs les plus valorisés relèvent de l’activité liturgique, c’est principalement à travers une participation in situ à ces activités que l’initié sera amené à apprendre. Une remarque de Paulo à propos de l’attitude de son père, Malaquías, envers ses initiés vient renforcer cette idée :

Il se contentait d’ordonner

aux gens de faire les choses !

Lorsque tu faisais une erreur,

il t’arrêtait et te corrigeait.

D’après mon père, mon grand-père

était également comme cela…

31Une quatrième conséquence de l’attitude orthopraxe des membres du Xangô, et non la moindre, concerne les mécanismes de légitimation des savoirs transmis. Dans un contexte religieux où l’on insiste d’abord sur la maîtrise d’une compétence rituelle, celle-ci devient, en elle-même, la marque d’» authenticité » d’un savoir légitime. Ainsi, on reconnaîtra la légitimité d’un chef religieux du Xangô par son « style rituel », style qui, en l’occurrence, donne à voir la « relation de transmission » qui unit l’initié à son initiateur (Déléage 2009 : 147).

  • 21 Les membres du Xangô signalent souvent le faste et la pompe d’autres modalités de candomblé de « ca (...)
  • 22 Orixás parfois dépeints comme des « petits robots ».

32Dans la famille-de-saint étudiée, le style rituel des chefs de culte se caractérise, outre la maîtrise d’un vaste répertoire de chants et d’invocations en yoruba et la capacité à mener sans accrocs les séquences complexes d’actions de la liturgie du Xangô, par un rejet de l’apparat21et une esthétique du dénuement et de la force, par un fort investissement émotionnel, par l’habileté à former de « beaux » orixás – comprendre : des orixás expressifs et individualisés, par opposition aux orixás décrits comme étant excessivement normalisés dans d’autres modalités de cultes afro-brésiliens22– et, enfin, par certains gestes et intonations de voix évoquant de prestigieux chefs de culte, tels des membres de leur propre famille biologique (Halloy 2005).

Tensions entre deux modèles de la transmission

33Les deux modèles de la transmission présentés dans les pages précédentes peuvent tantôt donner lieu à des dissensions au sein de la famille-desaint, tantôt être confondus ou placés côte à côte sans la moindre contradiction apparente. Commençons par illustrer cette seconde situation avec les commentaires de Lucínha et Paulo :

Je suis né en sachant déjà !

Notre savoir vient du bas vers

le haut. Il doit venir d’une

essence… Nous acquérons des

habitudes, des connaissances…

Les enfants naissent en

découvrant tout cela (Paulo).

Cela vient du sang ! Cela vient

beaucoup de l’enfance, lorsque

nous observons, lorsque

nous écoutons (Lucínha).

34Une règle implicite peut être inférée de ces deux déclarations : plus tôt l’apprentissage prend place dans la vie de l’initié, plus « participation » et « héritage » tendent à être confondus. Il arrive cependant que ces deux discours coexistent plus difficilement. Les positions peuvent en effet être plus rigides et univoques autour du thème de l’initiation :

Nous [les descendants de Adão]

  • 23 L’emploi du terme « faire » renvoie à l’expression « faire le saint » (fazer o santo), qui signifie (...)

sommes nés déjà « faits23 »

Nous devons juste faire le

« complément »…

Nous avons une descendance

très forte… Nous devons juste

« compléter », car cela fait partie

du précepte ancestral (Paulo).

35Le chef de culte met ici en évidence que son propre père, Malaquías, lui aurait confié qu’il n’avait pas besoin d’être initié comme tout un chacun. Il est toutefois conscient que cette affirmation se heurte au « précepte ancestral » qui stipule que tout individu, sans exception, se doit de se soumettre au processus initiatique s’il prétend accéder au statut d’initié et, a fortiori, à celui d’initiateur. Paulo aime alors rappeler une histoire personnelle qui viendrait confirmer le principe de la transmission par héritage.

  • 24 Une étape obligatoire de l’initiation qui consiste à « nourrir la tête » de l’initié.
  • 25 Une des séquences rituelles les plus chargées symboliquement de cette cérémonie.

36Lorsque « sous la pression extérieure », pour employer ses propres termes, Paulo organisa son obori 24il y a plusieurs années de cela, sa mère-de-saint, au moment de « souffler sur sa tête25 », fut prise d’un malaise et tomba à la renverse. Cet événement fut interprété comme la preuve que Paulo non seulement n’avait pas besoin d’être « fait », mais qu’il ne devait pas l’être, à cause « du sang qui coule dans ses veines », comme me le justifièrent plusieurs membres du culte et l’intéressé lui-même.

  • 26 Le rituel d’obori est censé être accompli chaque année par les initiés du Xangô.

37Mais le débat interne ne s’arrête pas là. Yguaracy, lui aussi chef de culte et petit-fils de Malaquías, ne partage pas cette opinion sur l’initiation, malgré sa position généalogique confortable. Il me confia que Paulo et son frère Cecínho, lui aussi chef de culte, n’avaient pas complété leur obori depuis des années26, en défendant cette attitude par le fait « qu’ils sont des petits-fils de Adão ». Il indiqua à ce sujet que Tia Vicência, une des plus importantes figures historiques du Xangô de Recife, complétait son obori tous les ans. Plus prosaïquement, il argumenta ensuite :

Adão n’était pas Dieu mais un

chef de culte et un homme sage

qui savait mieux que quiconque

comment contrôler toutes ces

choses ! Être ou ne pas être un

fils ou un petit-fils de Adão

importe peu. Ce qui compte

vraiment, c’est de respecter

la tradition telle qu’elle est !

38Yguaracy accentue ainsi l’importance de l’initiation et du respect des préceptes religieux plutôt que l’idée d’un héritage « par le sang » susceptible de les supplanter.

39Comment, dans les deux règles de la transmission, les membres du Xangô s’accommodent-ils du changement et de la créativité ? Je consacre la dernière partie de cet article à cette question.

L’» innovation » comme retour au passé

  • 27 Sa principale technique consiste à extraire des livres en sa possession des invocations ou des part (...)
  • 28 Notons que l’apprentissage de la danse de possession dans le Xangô ne peut avoir lieu qu’au moment (...)
  • 29 Le principal mode oraculaire du Xangô est basé sur la manipulation d’un jeu de quatre, huit ou seiz (...)
  • 30 Je décris ce processus dans un autre article (Halloy à paraître).

40Paulo est sans conteste un des leaders les plus créatifs du Xangô contemporain. Premièrement, il est à l’origine de l’introduction de nombreux nouveaux chants (toadas) et invocations en yoruba, la majorité d’entre eux ayant déjà été intégrés au répertoire « traditionnel » dans de nombreux terreiros27. Paulo est également connu pour « créer » de très « beaux » orixás. Autrement dit, il maîtrise l’art d’enseigner aux orixás de ses initiés28une manière de danser reconnue entre toutes et très appréciée esthétiquement. Mais l’innovation la plus influente de Paulo est véritablement la mise en place au sein du Xangô d’une nouvelle technique oraculaire, connue sous le nom de divination par Ifá29. Il n’y a pas lieu ici de rentrer dans le détail du processus d’élaboration et d’introduction de cette nouveauté30. Il importe de retenir que c’est l’intuition et le savoir-faire rituel qui constituent les deux principaux ingrédients impliqués dans cette invention. Or, chacune de ces qualités renvoie directement à chacun des deux ordres de la transmission religieuse décrits précédemment : l’intuition exceptionnelle du chef de culte s’enracinerait dans son « essence » singulière, héritée « par le sang », tandis que sa maîtrise d’un savoir-faire rituel serait le résultat d’une longue expérience dans le Xangô, « depuis le berceau ». Notons cependant que malgré ces nouveautés liturgiques, Paulo se défend de toute attitude innovatrice :

Je n’invente absolument rien !

Je « récupère / sauve »

[resgato] juste ce qui a été

perdu en 1936, lorsque mon

grand-père est mort !

41Dans le contexte du Xangô, l’» invention » est communément synonyme d’» erreur » (erro), ou bien est perçue comme le signe d’un « manque de connaissances fondamentales » ( falta de fundamento). Paulo ne se considère donc pas comme un « inventeur », mais plutôt comme un « récupérateur » d’informations perdues après la mort d’anciens chefs de culte. Ainsi, ce qui pourrait être regardé comme une « invention », une « erreur » chez des chefs extérieurs au cercle des consanguins pourra être interprété comme une « improvisation » légitime, et même comme l’actualisation d’un savoir ancestral censé avoir été perdu au cours de la transmission par les générations antérieures de chefs de cultes. Zite défend un point de vue similaire sur son frère, renchérissant sur la nécessité d’un progrès de la connaissance en tant que condition même de la transmission :

Paulo complète aujourd’hui

ce que notre père nous a passé…

Nous avons besoin de progresser,

nous avons besoin de grandir !

Paulo va même au-delà des

connaissances de mon père

[Malaquías]. Mon père est mort,

et il s’est arrêté là. Aujourd’hui

nous avons besoin d’étudier…

Nous devons être capables de le

suivre si nous voulons grandir…

Nous avons toujours besoin

de nous comprendre les uns

les autres. Celui qui se satisfait

avec ce qu’il sait meurt !

42Paulo a quantifié ces deux classes de savoir, attribuant 90 % au savoir « hérité » et les 10 % restants au nouveau savoir intégré à sa pratique rituelle. Un autre point intéressant est la distinction qualitative effectuée entre ces deux catégories dans leurs relations respectives avec la mémoire. Si l’on en croit le chef de culte, les « préceptes » du culte seraient bel et bien « archivés » en mémoire : « Ils ne quittent plus le cerveau ! » Dans le cas des nouvelles connaissances, par contre, « tu as constamment besoin de les rafraîchir », notamment en consultant les livres où ils ont été puisés, ou par des exercices mentaux de mémorisation.

43Ces innovations de Paulo ne sont toutefois pas perçues avec le même enthousiasme par tous les membres de sa famille-de-saint. Alors que bon nombre de ses initiés n’hésitent pas un instant à se les approprier, Yguaracy, par exemple, ne les intègre pas dans sa propre pratique, se contentant d’une fidélité aux savoirs transmis par le père de Paulo, Malaquías, son initiateur.

Conclusion

  • 31 Gérard Lenclud fut, à ma connaissance, un des premiers auteurs à défendre l’idée de la tradition co (...)

44J’ai débuté cet article en relevant que la formation d’un savoir « traditionnel » dans le candomblé semble inévitablement passer par la référence à une Afrique « mystique », construite par divers procédés tels que des voyages sur le continent africain, la réélaboration permanente de l’histoire du culte, la maîtrise des langues africaines… Le Xangô de Recife ne semble pas échapper à cette constante parmi les cultes afro-brésiliens dits « traditionnels ». Nonobstant, la présente analyse de la transmission religieuse dans le Xangô éclaire une dimension centrale et souvent occultée de la fabrication de la tradition : transmettre une tradition, c’est d’abord apprendre à transmettre traditionnellement31.

45En m’associant à la thèse soutenue par Christian Højbjerg (2002), Carlo Severi (2002), Julien Bonhomme (2006) et Pierre Déléage (2009), qui soulignent, chacun à sa manière, le caractère intrinsèquement réflexif de toute tradition, je suggère ici qu’un savoir peut être considéré comme traditionnel à partir du moment où il présuppose un retour réflexif sur ses conditions de transmission. Dans le cas du Xangô, la capacité à inscrire le savoir (et, surtout, le savoir-faire) religieux dans un système légitime de la transmission lui confère son caractère traditionnel. L’élaboration d’une tradition exige l’instauration d’une forme d’autorité – en l’occurrence le modèle de l’héritage « par le sang » ou celui de l’initiation – apte à conférer une légitimité au(x) modèle(s) le(s) plus influent(s) de la transmission religieuse (Déléage 2009).

  • 32 La notion d’» épistémologie » développée par Pierre Déléage (2009) traduit parfaitement le caractèr (...)

46Ainsi, la tradition n’est pas réductible à une attitude conservatrice – on parlerait alors de « traditionalisme » (Boyer 1990) –, ni à une catégorie singulière de savoirs, comme par exemple ceux gardés par les anciens, ni à un rapport au passé (avéré ou fictif ) marqué par la répétition et l’invariabilité (Hobsbawm 1983). Une tradition est d’abord un métadiscours qui élabore les conditions de sa transmission. Mais ce sont aussi des pratiques qui donnent à voir ces mêmes conditions, c’est-à-dire qui communiquent ostensiblement sur le procédé d’apprentissage des gestes et des actes affichés32. Dans l’étude de cas présentée, c’est principalement par le déploiement d’une performance et d’un style rituel singuliers que la filiation « de sang », ou initiatique, est manifestée, dans des gestes, des postures, des intonations de voix ou, de manière plus générale, dans une compétence qui « reflète » ses propres conditions d’apprentissage. Selon cette perspective, l’innovation est partie intégrante de toute tradition. L’invariabilité relève davantage d’un discours normatif que des pratiques effectives de transmission, qui impliquent nécessairement une part de reconstruction, voire de créativité (Barth 1995 ; Boyer 1990 ; Højbjerg 2002 ; Déléage 2009 ; Severi 2002). Chaque tradition, en effet, est à même d’incorporer des savoirs nouveaux dès lors que les individus qui la portent sont à même de justifier et / ou de donner à voir la manière (légitime) dont ils ont été appris.

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Notes

1 Vraisemblablement d’origine bantoue, ce terme désigne la principale religion afro-bahianaise. Il est aujourd’hui fréquemment utilisé pour désigner l’ensemble des cultes afro-brésiliens proches d’un héritage africain. Candomblé peut également être employé comme synonyme de terreiro ou de casa-de-santo, la maison de culte.

2 Je m’approprie ici une catégorie couramment employée par les membres du culte pour désigner l’ensemble des êtres peuplant le monde spirituel, toutes modalités de cultes confondues.

3 J’ai découvert cette dernière appellation dans mes recherches bibliographiques, les personnes avec qui j’ai mené mon enquête ne l’utilisant qu’à de très rares occasions.

4 Pai Adão est un des personnages les plus emblématiques du Xangô de Recife. D’après ses descendants actuels, le Pai Adão serait né en 1877 et aurait été le fils d’un esclave africain originaire de Lagos (Nigéria). Il aurait résidé à Maceió et à Bahia avant d’effectuer un voyage sur le continent africain dans la ville natale de son père. À la mort de Tia Inês, une des Africaines fondatrices du Sítio, il aurait pris en charge la direction de cette maison de culte qui allait ensuite porter son nom, et ce jusqu’à sa mort en 1936.

5 Une dispute pour la succession du Sítio éclata en 1971 entre Malaquías Felipe da Costa, fils cadet du Pai Adão, et Manuel Felipe da Costa, fils de José Romão Felipe da Costa, un frère aîné de Malaquías. Ce conflit déboucha sur le départ de Malaquías et de ses descendants et initiés – la famille-de-saint sur laquelle j’ai mené mes recherches – ainsi que sur une nouvelle direction du Sítio assumée par Manuel « papai ».

6 Comme le nota Marion Aubrée (1984 : 234) lors de son enquête de terrain sur le site du Pai Adão au début des années 1980 : « Nous avons ici un cas très spécifique puisque c’est la famille génétique qui constitue le noyau de la famille symbolique. »

7 Ethnonyme endogène soulignant l’origine yoruba des esclaves africains ayant fondé le culte.

8 Fils aîné de Malaquías et patriarche de la famille-de-saint étudiée.

9 Un des fils de Paulo.

10 Un autre fils de Paulo.

11 Je soupçonne la rencontre de Paulo avec un étudiant nigérian d’être à l’origine de cette vision de la transmission, que je n’ai rencontrée nulle part ailleurs dans le culte.

12 Voir notamment José Jorge de Carvalho (1987) et Rita Laura Segato (1995).

13 « Ilu » signifie « tambour » en yoruba et désigne les tambours consacrés du Xangô de Recife.

14 Les guillemets sont ici nécessaires dans la mesure où les langues africaines du candomblé contemporain sont des langues rituelles ayant subi de nombreuses transformations au cours d’un siècle de transmission (essentiellement) orale (do Carmo Póvoas 1989).

15 L’initié n’apprend pas un simple savoir-faire. Il acquiert une compétence susceptible de le transformer et de changer sa relation au monde invisible qui, faut-il le rappeler, peut être une source de bien-être mais aussi de danger potentiel.

16 « Ele é entendido / sabido no santo. »

17 Le « savoir-prendre » ainsi que la transmission « oblique » entre les jeunes initiés et les initiés plus expérimentés constituent, me semble-t-il, le principal vecteur de la transmission des savoirs au sein du Xangô.

18 Il peut s’agir de fragments d’épisodes mythiques, mais aussi de rêves, d’épisodes vécus ou de messages délivrés au cours de consultations oraculaires.

19 Rita Laura Segato (1995) faisait le même constat il y a près de trente ans.

20 Le terme « odu » désigne la configuration obtenue par le jet d’objets destinés à rendre les oracles – généralement des cauris (coquillages) dans le candomblé. Chaque odu est associé à un ou plusieurs orixás, à des « messages » (recados), à des événements mythologiques ainsi qu’à certaines prescriptions rituelles.

21 Les membres du Xangô signalent souvent le faste et la pompe d’autres modalités de candomblé de « carnaval ».

22 Orixás parfois dépeints comme des « petits robots ».

23 L’emploi du terme « faire » renvoie à l’expression « faire le saint » (fazer o santo), qui signifie symboliquement « être initié » dans le candomblé.

24 Une étape obligatoire de l’initiation qui consiste à « nourrir la tête » de l’initié.

25 Une des séquences rituelles les plus chargées symboliquement de cette cérémonie.

26 Le rituel d’obori est censé être accompli chaque année par les initiés du Xangô.

27 Sa principale technique consiste à extraire des livres en sa possession des invocations ou des parties de chants en yoruba et ensuite à leur ajouter une mélodie.

28 Notons que l’apprentissage de la danse de possession dans le Xangô ne peut avoir lieu qu’au moment de la possession. Il s’opère essentiellement au cours des cérémonies publiques et privées, dans des face-à-face entre l’initiateur et ses possédés. Je développe la question de l’initiation à la possession dans un livre et dans plusieurs articles en cours de rédaction.

29 Le principal mode oraculaire du Xangô est basé sur la manipulation d’un jeu de quatre, huit ou seize cauris, tandis que la divination par Ifá emploie, entre autres objets, une chaîne divinatoire composée de huit moitiés de noix de cola, appelée opele, ainsi que des noix de palme apellées ikins.

30 Je décris ce processus dans un autre article (Halloy à paraître).

31 Gérard Lenclud fut, à ma connaissance, un des premiers auteurs à défendre l’idée de la tradition comme « mode particulier de transmission » (Lenclud 1987 : 112), par contraste avec deux autres acceptions qui mettent davantage en valeur l’idée de « conservation dans le temps » et de « contenu socialement important, culturellement significatif » (ibid. : 115).

32 La notion d’» épistémologie » développée par Pierre Déléage (2009) traduit parfaitement le caractère réflexif ou « méta-représentationnel » des savoirs traditionnels tels qu’envisagés dans notre analyse.

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Pour citer cet article

Référence papier

Arnaud Halloy, « « Chez nous, le sang règne ! » »Terrain, 55 | 2010, 40-53.

Référence électronique

Arnaud Halloy, « « Chez nous, le sang règne ! » »Terrain [En ligne], 55 | 2010, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/14049 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terrain.14049

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Auteur

Arnaud Halloy

Université de Nice-Sophia-Antipolis,Laboratoire d’anthropologie et de sociologieMémoire, identité et cognition sociale

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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