Traduit de l’italien par Geneviève Marotel
« C’est un système pour avoir le pain avec des bons » ; « On se fait faire le bon pour le pain » ; « Tu vois, c’est un circuit » ; « Rien de spécial : c’est juste un tour de la farine ».
1C’est en ces termes que, durant mes tout premiers mois de terrain à San Marco dei Cavoti, en Italie du Sud, mes interlocuteurs me parlaient d’un étrange systиme qui faisait « tourner la farine » et qui avait attiré mon attention dans la boulangerie où j’achetais mon pain. Nous étions en 1990, et la zone de San Marco, dans la région du Sannio Beneventano, allait devenir pendant dix ans mon terrain de recherche. J’étudiais à l’époque les relations qui se nouent entre propriétaires terriens et agriculteurs à travers les contrats de fermage ou de métayage, et je commençais à m’intéresser aux formes de circulation et d’échange. Ma recherche allait au fil des années s’élargir à divers autres aspects, et notamment aux processus de transformation de l’économie et à leur dimension politique.
Tout en travaillant sur d’autres thèmes, je discutais parfois du « tour de la farine » et posais quelques questions à son propos. De temps à autre, je glanais un document écrit, un « bon », une fiche qui semblaient sortir comme par mégarde des tiroirs du bureau de Diodoro Castello, ex-meunier de San Marco qui avait depuis peu arrêté cette activité héritée de son père et de son grand-père, pour se consacrer à celle de comptable. Et peu à peu, ce qui m’avait d’abord été présenté comme une pratique ordinaire, ce « rien de spécial », allait devenir l’un de mes accès privilégiés aux conceptions et aux pratiques locales de l’économie. Il s’agissait d’un circuit qui fonctionnait depuis une trentaine d’années, et qui était sur le point de disparaître. Liant agriculteurs, meuniers et boulangers de la ville à travers un système complexe de crédit et d’échange, il avait été conçu et était utilisé pour faire circuler le blé, la farine et le pain sans utilisation apparente d’argent.
Comme le rappelle Maurice Aymard, le blé est un indicateur important des transformations de l’agriculture du Mezzogiorno lors du passage de l’époque moderne à la période contemporaine, « parce qu’il touche tous les niveaux de l’économie et de la société » : le marché, le crédit, la politique, l’intervention de l’État et des autorités locales (Aymard 1989 : 755). Aujourd’hui encore, mais selon d’autres modalités, la circulation du blé permet d’aborder les problèmes liés au crédit, aux politiques locales et nationales, aux interventions de l’État.
- 1 Comme les « systèmes économiques locaux », présents en France et dans d’autres pays d’Europe (Laach (...)
- 2 À partir de catastrophes comme les tremblements de terre, en Italie, les activités économiques ont (...)
- 3 Depuis le début des années 1960, le nombre d’habitants est resté à peu près constant, il était du n (...)
- 4 D’après les données de l’Istituto Nazionale di Statistica (Censimento generale dell’agricoltura, Ro (...)
- 5 La commune de San Marco, comme d’autres régions de l’Apennin méridional, est caractérisée par la pr (...)
2Ce circuit se prête a priori à plusieurs types d’interprétations. Il peut d’abord apparaître comme une survivance, un système de sphères d’échange persistant au sein d’une économie de type capitaliste dans le sud de l’Europe. Cette interprétation semblerait confirmée par l’arrivée tardive à San Marco (années 1960 et 1970) de deux phénomènes survenus dans d’autres contextes italiens au xixe et au début du xxe siècle : la modernisation technologique et l’institutionnalisation de formes de crédit agraire (Salvemini 1995). Mais si l’on resitue San Marco et le « tour de la farine » dans un contexte plus large, cette lecture se révèle inadéquate : ce système fut en effet mis en place ex novo pendant les années 1960, sans que l’on puisse observer de dynamiques similaires dans le passé récent de la zone, et il continuera à fonctionner jusqu’à ce que ses inventeurs eux-mêmes le conduisent délibérément à imploser, au début des années 1990.
On pourrait aussi l’appréhender comme un circuit économique alternatif, en l’assimilant à d’autres formes de troc ou d’échange apparues en période de grave crise économique (voir Sapir 2002) ; ou comme une modalité de résistance face à la globalisation croissante de l’économie, visant à réhabiliter des dynamiques de socialisation « à l’ancienne », en apparentant ainsi ce système à d’autres types d’échanges qui éliminent partiellement ou totalement la circulation d’argent1.
Mais le « tour de la farine » a été mis en place pendant une période de renaissance de l’économie, que ce soit sur le plan national – le boom des années 1960 – ou sur le plan local, après le tremblement de terre de 19622. Ce n’est qu’en observant de façon détaillée les modalités de mise en place, de développement et d’implosion de ce circuit, en suivant les principaux acteurs, leurs rationalités économiques et leurs intérêts, qu’il est possible de mettre en évidence le sens et l’importance de ce système d’échange tant dans le cadre de San Marco que dans ses relations avec un champ économique plus large.
Pendant mes années de terrain, de 1990 à 2000, la population de la commune de San Marco s’élevait à environ quatre mille personnes, réparties de manière à peu près équivalente, comme depuis le début du xviiie siècle, entre la ville et les campagnes environnantes3. En 1991, 40 % de la population active travaille dans l’agriculture, alors que, à peine dix ans plus tôt, ce chiffre s’élevait à 60 %4.
Aujourd’hui, ce sont d’autres domaines d’activités qui caractérisent le plus fortement l’économie de San Marco. Il s’agit tout d’abord du secteur, extrêmement dynamique, de la confiserie, qui s’est particulièrement développé à partir des années 1970. Ensuite du secteur textile : celui-ci a pris de l’importance depuis le début des années 1980, en lien avec les délocalisations de la production des grandes industries textiles du centre et du nord-est de l’Italie. En 1997, San Marco a obtenu de la région Campanie le label de centre d’un « district industriel textile ».
Les personnes qui continuent à travailler dans le secteur agricole habitent de façon stable à la campagne, dans des implantations résidentielles disséminées ou regroupées en hameaux (« contrade »5). Les artisans, les commerçants et les professions libérales vivent en revanche dans le centre urbain. Dans bien des cas, ils maintiennent avec le monde rural des rapports économiques denses, sédimentés au fil du temps.
- 6 La commune de San Marco dei Cavoti (alt. 700m) est située à 40 km de Bénévent, chef-lieu de la prov (...)
3Les deux moulins de la commune qui avaient une activité commerciale à proprement parler étaient situés à chacune des entrées de la ville, chacun d’eux portant le nom de la famille qui le gérait depuis plusieurs générations : le moulin Borriano, à proximité de la rivière, et le moulin Castello, au nord du centre urbain, sur la route provinciale qui relie San Marco à Bénévent (Benevento6).
Jusqu’aux années 1950, l’agriculteur apportait au moulin, environ une fois par mois, la quantité de blé tendre nécessaire à la consommation familiale. Cette quantité variait avec les périodes de l’année et la taille de la famille. Équipés de meules en pierre, ces moulins fonctionnaient l’un à l’eau, l’autre à l’électricité. Ils pouvaient moudre la farine en petites quantités, et l’opération de blutage (séparation du son de la farine) était effectuée après la mouture, permettant ainsi à chaque agriculteur de repartir avec la farine et le son directement produits à partir de sa production personnelle, de « son blé à lui ».
Au début des années 1960, l’un des deux moulins de San Marco – le moulin Castello – est transformé par son propriétaire en moulin à cylindres. Ce changement technique exige un investissement financier important, mais le meunier de l’époque le juge indispensable pour augmenter sa production et en améliorer la rentabilité. Le blé n’est plus broyé par des meules en pierre, mais passe entre des couples de cylindres cannelés en fonte. Les produits dérivés (farines, sons) sortent déjà séparés et sans impuretés. Ce nouveau système permet d’augmenter la productivité et d’obtenir une farine plus raffinée. Peu de temps après, le second moulin s’équipe à son tour pour rester concurrentiel par rapport à son confrère.
L’adoption de cette technique entraîne plusieurs changements dans les pratiques des acteurs. Les nouveaux moulins à cylindres ayant besoin pour fonctionner de grandes quantités de blé, ils exigent de la part du meunier une importante avance de capital, puisque le blé nécessaire pour faire fonctionner le moulin (environ dix tonnes) est de fait immobilisé. Ce changement technique constitue par ailleurs une rupture pour les agriculteurs : l’habitude d’aller moudre chaque mois le blé pour la consommation familiale est remise en cause dans la mesure où l’agriculteur ne peut plus récupérer sa propre farine.
C’est à partir de ces constats que le premier meunier à avoir modernisé son installation a conçu le « tour de la farine » dans sa forme initiale. L’agriculteur, au lieu de stocker chez lui le blé nécessaire à la consommation familiale annuelle, apporte toute sa production au moulin. Le meunier peut ainsi disposer du capital nécessaire sans avoir à en faire l’avance. Il note directement la quantité de farine et de son à laquelle son client a droit dans des fiches nominatives. Désormais, on raisonne en terme de pourcentages, calculés sur une base fixe de 3 à 7 (environ 30 % de son et 70 % de farine). Le client reçoit une « feuille de dépôt », qu’il ramène à chaque retrait de produit. Les prélèvements de farine successifs sont notés simultanément sur les deux documents.
Vu ainsi, ce changement technologique semble n’avoir entraîné qu’un simple ajustement des pratiques. En réalité, il a également transformé les interactions entre meuniers et agriculteurs, ainsi que la façon dont ces derniers conçoivent leur produit et ses dérivés et, par conséquent, la valeur qui leur est affectée.
4Jusqu’aux années 1960, la plupart des agriculteurs font eux-mêmes leur pain. Et, tout comme eux, la plupart des habitants du centre urbain, artisans, commerçants et « seigneurs »(professions libérales et propriétaires terriens) font ou font faire leur pain à la maison. Au moment de la reprise économique consécutive au tremblement de terre de 1962, des boulangeries commencent à ouvrir dans le centre urbain. À la fin des années 1960, on en compte quatre à San Marco. Ces nouveaux boulangers, avec l’objectif explicite de constituer leur clientèle, cherchent à s’introduire dans le système et vont ainsi transformer cette relation binaire en un véritable circuit.
Au départ, leur présence dans le circuit semble offrir le maximum d’avantages à la clientèle paysanne, la plus difficile à conquérir. Pourquoi renoncer à fabriquer son propre pain à la maison, lorsqu’on dispose du four pour le cuire et qu’on produit la matière première nécessaire à sa fabrication ?
Cette période est celle du développement de la culture du tabac dans la province de Bénévent et dans la commune de San Marco. Majoritairement assuré par les femmes, le travail requis par la production de tabac se concentre essentiellement durant la période estivale. Sans être la cause directe du changement des usages dans la production du pain, cette transformation des pratiques agricoles va opportunément jouer en faveur des boulangers et de leur stratégie de conquête de clientèle. En effet, l’été est toujours la saison durant laquelle la fabrication du pain à la maison s’avère la plus compliquée pour les agriculteurs. Aussi les boulangers offrent-ils à la clientèle paysanne la possibilité d’avoir du pain, sans dépenser d’argent, en échange de la farine qu’ils auront eux-mêmes, au préalable, livrée aux boulangers. Pour cet échange, les boulangers établissent un système d’équipollences : 100 kilos de farine fournis au boulanger donnent droit à 100 kilos de pain. En réalité, 100 kilos de farine produisent plus de 100 kilos de pain, mais cette équivalence tend à souligner le caractère équilibré de l’échange, auquel vient s’adjoindre l’avantage de ne pas avoir à dépenser d’argent pour un produit que d’ordinaire l’on fabrique à la maison.
Progressivement, et de préférence l’été, les agriculteurs commencent à recourir au service proposé par les boulangers, prenant ainsi l’habitude de « retirer » le pain au lieu de le faire eux-mêmes. Ils vont donc chercher au moulin la quantité de farine correspondant à leur consommation mensuelle de pain et la portent au boulanger. Ce dernier leur délivre, au moment du dépôt de la farine, un reçu qui correspond à la quantité de pain à laquelle ils ont droit en fonction de la quantité de farine déposée.
Après cette phase de « fidélisation de la clientèle » et l’établissement d’un circuit à trois pôles, un passage a été éliminé. Le meunier remet à l’agriculteur un bon correspondant à la quantité de farine qu’il veut « déposer » chez le boulanger, calculée sur la base de la consommation familiale mensuelle de pain. Le boulanger garde ce bon et, au cours du mois, donne à son client le pain auquel il a droit, le calcul étant effectué selon le même rapport. C’est le boulanger en personne qui, avec l’ensemble des bons remis par ses clients agriculteurs, se rend au moulin, environ une fois par mois, pour retirer la farine nécessaire à la fabrication du pain.
Quels avantages ce système offre-t-il aux meuniers, aux agriculteurs et aux boulangers ? Quelles représentations ces différents acteurs ont-ils du dispositif et de ses modalités de fonctionnement ?
Dans sa transaction avec l’agriculteur, le meunier calcule, pour 100 kilos de blé, 30 % de son et 70 % de farine. Sur 100 kilos de blé, il applique ensuite une retenue de 2 %, qu’il qualifie de réduction conventionnelle (« calo convenzionale »), c’est-à-dire un abattement forfaitaire censé correspondre aux impuretés présentes dans le blé, le nouveau système de mouture permettant d’obtenir des produits sans impuretés.
En réalité, le blé « augmentait » au lieu de diminuer : pour des besoins techniques, il était humidifié avant la mouture, et donc gonflé, ce qui augmentait son rendement d’environ 3 à 5 kilos par quintal. Ainsi, au lieu de diminuer à 98 kilos, le poids des 100 kilos de blé croît, pour atteindre entre 103 et 105 kilos, le pourcentage supplémentaire n’étant pas constitué de son mais de farine. C’est là que réside le « secret » du meunier, qui lui permet d’obtenir un gain supplémentaire aux dépens de l’agriculteur.
De leur côté, les agriculteurs semblent avoir toujours été conscients des « jeux » du meunier et avoir accepté ce compromis. Le terme qu’ils utilisent pour désigner cette perte/réduction « conventionnelle » – le « scomodo », c’est-à-dire le dédommagement pour le « dérangement » du meunier – atteste l’accord tacite qui s’est ainsi instauré.
Le meunier reçoit aussi le paiement de la mouture, qui augmente sensiblement au fil des années : il passe en effet de 500 lires pour 100 kilos au moment de la mise en place du « tour de la farine » à 10 000 lires à la fin des années 1990, en raison notamment de l’inflation qui touche l’économie italienne à partir des années 1970. Les avantages pour le meunier sont donc de plusieurs ordres : en plus du coût de la mouture, il « gagne » la réduction conventionnelle (2 %), à laquelle s’ajoute l’augmentation réelle de 3 à 5 %. Enfin, il peut disposer, sans avoir à en avancer le coût, de la quantité de blé nécessaire au fonctionnement du moulin.
Pour l’agriculteur, le système d’« achat » du pain présente aussi des avantages d’ordre pratique et économique. Ce circuit lui permet d’obtenir du crédit auprès du meunier : si la quantité de blé qu’il a déposée chez lui est épuisée, ce dernier lui « fait crédit » et lui remet des bons de farine pour l’achat du pain, en attendant la récolte suivante.
Comparé à l’achat du pain en espèces, le « tour de la farine » autorise une épargne qui, avec le temps, peut devenir importante. En effet, la différence entre le prix de marché du pain (tarifs nationaux) et celui de la farine augmente fortement au fil des années, ce qui rend l’équivalence appliquée par le boulanger (100 kilos de matière première = 100 kilos de produit fini) de plus en plus avantageuse. Entre 1965 et 1985, un kilo de farine passe de 96 lires à 415 lires et un kilo de pain, de 125 lires à 950 lires. Cette augmentation du prix du pain correspond pour les agriculteurs à une épargne de plus de 50 %. Mais pour comprendre leur point de vue, il faut renverser le raisonnement : tout en changeant d’habitude on ne dépense pas d’argent, et l’équivalence poids de la farine / poids du pain fait que l’on n’a pas l’impression d’y perdre beaucoup en terme de produit.
Quels sont alors les avantages pour les boulangers ? Leur premier objectif, qu’ils atteindront en créant leur propre place au sein du circuit, est de conquérir une clientèle qu’ils arrivent à fidéliser pendant une certaine période, c’est-à-dire au moins pendant le temps d’épuisement d’un bon. Le gain des boulangers est aussi constitué par ce qu’ils appellent le « crescimonio », c’est-à-dire la quantité de pain que l’on obtient « en plus » par rapport au poids de la farine utilisée. Cent kilos de farine produisent entre 125 et 130 kilos de pain. Cette augmentation de rendement, à savoir les 25 à 30 kilos de pain qui constituent le crescimonio pour 100 kilos de farine utilisés, est vendue par le boulanger en espèces et au prix réel du pain à la clientèle qui n’utilise pas le système de bons. En outre, les boulangers n’ont pas à anticiper de capital pour l’achat de la farine et peuvent s’approvisionner en produit frais selon leurs besoins. Enfin, ils retirent la farine correspondant aux bons accumulés après que leurs clients ont perçu le pain. Ils s’assurent ainsi la possibilité d’avoir la farine « à prix bloqué ».
Pourtant, entre les années 1970 et le début des années 1980, c’est-à-dire au moment où le système est dans sa phase de plein fonctionnement, les boulangers semblent être les seuls acteurs du « tour de la farine » auxquels celui-ci cause des désavantages. Les difficultés que rencontrent les boulangers nouvellement installés augmentent en même temps que s’accroît la diffusion locale du système : à cause de ce circuit, l’argent ne circule presque pas entre meuniers, agriculteurs et boulangers. Ces derniers se sentent bloqués dans un système qui, du côté de leurs clients agriculteurs, ne leur permet pas de profiter de l’augmentation progressive du prix du pain et, du côté de leurs fournisseurs, les rend captifs des meuniers de la ville, en les empêchant d’acheter la farine ailleurs à des prix plus bas.
- 7 À San Marco, le seul moyen de situer efficacement un individu dans l’espace social est de le désign (...)
5Dire que l’argent ne circule « presque pas » signifie qu’en réalité il y a bien une certaine circulation d’argent dans ce « tour de la farine ». La transaction entre les agriculteurs et les meuniers, tout d’abord, nécessite le paiement de la mouture. Outre le calo conventionnel – ou le scomodo –, les meuniers prélèvent une quantité de farine qu’ils revendent à l’extérieur du circuit, en plus de celle qu’ils produisent avec leur propre blé. Dans la transaction entre agriculteurs et boulangers, ces derniers revendent le crescimonio sous forme de pain, au prix du marché. Seule la transaction entre meuniers et boulangers semble un simple transfert de marchandise ou mieux, un « encaissement » : les boulangers « encaissent » la farine correspondant aux bons accumulés.
Dans un sens du « tour de la farine » (agriculteur→ meunier→ boulanger→ agriculteur) circule le blé, transformé ensuite en farine, elle‑même transformée en pain. L’agriculteur occupe la position initiale de producteur et celle, finale, de consommateur. Dans le sens inverse (agriculteur→ boulanger→ meunier→ agriculteur), c’est le bon de la valeur de 100 kilos de farine qui passe d’une main à l’autre. Le bien qui circule, sous forme de bon, est donc la farine, comme l’indique l’expression « le tour de la farine » : « Il s’agissait d’un système pour changer la farine », « le moulin faisait le bon de farine, mais la farine allait au four et là on prenait le pain ». Dans cette explication synthétique, il semble que la farine « allait » directement au four, où elle était récupérée sous forme de pain.
Vu dans sa globalité, le « tour de la farine » évoque plus le fonctionnement d’un système bancaire « parallèle » que celui d’un circuit alternatif dont le but serait de réduire ou d’éliminer toute circulation d’argent. Plusieurs indices incitent à faire l’hypothèse d’une telle analogie.
Au moment du dépôt de blé initial, le meunier « ouvre » au nom du client une fiche sur laquelle il note le poids du blé déposé et la quantité de farine et de son qui revient à l’agriculteur. Cette fiche nominative continue à servir à chacun des dépôts effectués les années suivantes, jusqu’à ce qu’elle soit entièrement remplie. Ces fiches représentent le « compte » que chaque agriculteur détient chez le meunier et qui permet d’effectuer au fil du temps des dépôts, des retraits, et même de disposer d’un « découvert ».
Pour chaque dépôt effectué, le client obtient un récépissé (feuille de dépôt) attestant le montant de son versement. Les retraits de farine effectués par l’agriculteur durant l’année sont inscrits d’une fois sur l’autre sur les deux documents. Au moment d’un nouveau dépôt, le meunier garde la même fiche, alors que le client reçoit une nouvelle feuille de chargement. Il arrive à certains clients de déposer une quantité supplémentaire de blé avant d’avoir retiré toute la farine notée sur la feuille de chargement précédente qui leur revient, et donc de se retrouver avec deux documents confirmant deux dépôts. Dans ce cas, l’agriculteur effectue les retraits alternativement sur l’un et sur l’autre document, utilisant la feuille de chargement un peu comme s’il s’agissait d’un bon du Trésor nominatif certifiant la réserve de capital détenue par l’agriculteur.
Le meunier peut faire crédit à ses propres clients et, même si ces derniers ont épuisé leur réserve, il lui est possible d’émettre des bons de farine « à découvert ». Le client réapprovisionne son compte au moment du dépôt suivant. Cette possibilité équilibre dans une certaine mesure le rapport d’échange entre le meunier et l’agriculteur. En effet, de leur côté, les agriculteurs font au meunier l’avance du blé en déposant au moulin, juste après la récolte, la quantité totale de blé tendre destinée à la consommation familiale. Ils permettent ainsi au meunier de le moudre et de le vendre aussitôt. Il est possible aussi d’avoir droit à un « découvert » chez le boulanger. Dans ce cas, le client demande au meunier un bon de farine équivalant au « découvert » en pain obtenu chez le boulanger. Les meuniers assument ainsi la fonction et le pouvoir d’un institut de crédit capable d’émettre des titres de crédit à la demande ou sur la base du dépôt de blé que les clients ont fait.
Les bons qui circulent entre les trois pôles sont ensuite utilisés comme des sortes de chèques de banque transférables, transmissibles à quiconque, ou comme des titres au porteur, puisqu’ils ne portent que le nom de la personne à laquelle ils ont été remis7.
- 8 Parmi les sources qui permettent de suivre les évolutions du prix du pain, pour les années 1970, vo (...)
- 9 Voir la loi du 26 janvier 1983 n° 18, qui rendit obligatoire l’émission de tickets de caisse pour l (...)
- 10 Les « seigneurs » eux-mêmes, qui possédaient du blé provenant de leurs terres (louées ou gérées en (...)
- 11 Sur ces questions, je renvoie entre autres aux travaux de Douglas (1967), Parry & Bloch (1989), Blo (...)
6Les boulangers, qui ont déterminé les modalités et le fonctionnement du circuit pendant environ trente ans, sont également ceux qui ont décidé de sa fin. Ce choix n’est en rien lié à une inadéquation du système mais renvoie à un ensemble complexe de facteurs.
C’est précisément à la demande du fils du boulanger qui avait inventé le système des bons que les quatre boulangers de San Marco commencent à se réunir à partir du début des années 1980 et, d’un commun accord, à réviser les pourcentages qui leur sont affectés à l’intérieur du « tour de la farine ». Ce faisant, ils modifient le système initial d’équivalences : l’agriculteur ne reçoit plus 100 kilos de pain pour 100 kilos de farine, mais 90 kilos. Entre le milieu des années 1980 et le début des années 1990, l’équivalence tombe successivement de 90 à 85 kilos, puis à 80, à 75, et enfin à 70 kilos. Au début des années 1990, les boulangers décident de mettre définitivement fin au système et de ne plus accepter les bons.
En intervenant ainsi, ils ont compromis la logique d’équilibre sur laquelle avait jusque-là reposé le fonctionnement du « tour de la farine ». Les diminutions successives de la quantité de pain dévolue aux agriculteurs sont perçues par ces derniers comme de véritables usurpations. Alors que l’équivalence, toute apparente qu’elle fût, permettait auparavant de considérer la transaction comme « équitable », les réductions continues sont ressenties comme une appropriation injustifiée de leur produit, la farine, et du pain qui en dérive. On dit à ce propos que les boulangers « faisaient la loi », justement parce qu’ils ont manifesté en ces diverses occasions leur capacité à prendre des décisions – de fait univoques – à l’unanimité. Pour ces derniers, réussir à maintenir l’unanimité apparaît vital : un changement décidé par un seul d’entre eux aurait inévitablement entraîné pour celui-ci une perte de clientèle au profit des autres.
Dans ce contexte, le pouvoir contractuel des boulangers dérive de la nature du produit circulant à l’intérieur du système, la farine, matière première de la marchandise qu’ils fabriquent. En effet, les diminutions appliquées par eux d’une année sur l’autre correspondent à une augmentation de la retenue de pain à laquelle ils considèrent avoir droit – donc à une augmentation du coût de leur travail – et non à une majoration en terme de prix à payer en argent. Les clients agriculteurs auraient pu refuser et décider de payer le pain en argent, mais en réalité, même après ces augmentations progressives, le système continue à rester extrêmement avantageux pour avoir du pain.
Pour les boulangers, ces augmentations de la retenue sont légitimes parce qu’ils considèrent que le système leur coûte plus qu’il ne leur rapporte, dans la mesure où les recettes obtenues à travers la vente du pain aux clients extérieurs au « tour de la farine » ne couvrent pas les dépenses (taxes, coûts de gestion, coût du travail, etc.). Les coûts de gestion de leurs boulangeries augmentent de plus en plus alors même que les rentrées stagnent, à cause justement du circuit. C’est au moment où l’inflation qui touche l’économie italienne entraîne des augmentations du prix du pain aux niveaux provincial et national que le « tour de la farine » bloque le prix et empêche les boulangers de profiter de ces majorations.
En reconstituant l’évolution du prix du blé, de la farine et du pain des années 1960 aux années 1990, il apparaît clairement qu’au fil du temps la différence entre le prix du pain et celui de la farine a augmenté progressivement8. Obtenir du pain avec les bons équivalait à l’acheter au prix de la farine, ce qui s’avérait beaucoup plus avantageux, même lorsque les boulangers ont commencé à modifier le système des équivalences qui avait fonctionné jusqu’au début des années 1980. Le rapport entre les évolutions des prix et les évolutions des pourcentages montre clairement qu’au début ce système ne pénalisait pas les boulangers tout en permettant aux agriculteurs une économie d’environ 20 %. L’augmentation du prix du pain et de l’écart entre farine et pain s’est faite à l’avantage des clients, qui, à la fin du système, économisaient presque 50 % de ce qu’ils auraient dépensé s’ils avaient acheté le pain en espèces.
De ce point de vue, le « tour de la farine » contrevient en partie aux injonctions de l’État : il bloque le prix du pain au profit d’une partie des acteurs concernés, et une fraction de la commercialisation s’effectue ainsi en dehors des réglementations fiscales en vigueur, qui prévoient l’émission de reçus fiscaux depuis la fin des années 19809. Les boulangers, qui se disent particulièrement exposés aux contrôles fiscaux, ont utilisé cet argument pour accélérer la fin du « tour de la farine ».
De plus, comme on l’a vu plus haut, le circuit assujettissait les boulangers à un moulin pour l’approvisionnement en farine et les privait ainsi de la possibilité d’obtenir des prix plus avantageux auprès d’autres fournisseurs. Pour les boulangers, le « tour de la farine » devenait de plus en plus un piège commercial.
Cependant, la raison la plus importante qui a conduit les boulangers à décider progressivement de modifier les pourcentages, et finalement d’interrompre le fonctionnement du circuit, est probablement que celui-ci avait été conçu pour une clientèle paysanne habituée à faire son pain à la maison. Mais, précisément à travers l’usage des bons et leurs modalités d’émission (de fait, il s’agissait de bons au porteur), l’accès au circuit s’était progressivement élargi bien au-delà des seuls agriculteurs, à des familles qui ne produisaient pas directement le blé. Quiconque pouvait aller au moulin et acquérir un bon, ou mieux encore demander l’émission d’un bon de farine en échange d’argent10. Le détenteur du bon allait ensuite le « déposer » chez le boulanger, puis « retirait » progressivement le pain qui lui revenait. Le fait qu’il ait été impossible de limiter le circuit aux seuls agriculteurs réduisait encore les possibilités de gain des boulangers. Ce que les clients non paysans économisaient représentait pour eux une perte directe, car ils étaient privés de la possibilité de vendre du pain en argent et au prix du marché précisément à cette clientèle, idéalement extérieure au circuit. Dépassant les objectifs initiaux des boulangers, le « tour de la farine » était devenu un moyen répandu et très avantageux de se procurer du pain. Et, au fil du temps, les bons avaient changé de fonction : d’abord instruments de mise en circulation de la farine, à certains égards ils étaient devenus une monnaie de concurrence. Je ne vais pas aborder le vaste problème de la définition de la monnaie ni la question du statut de bons dans ce cadre général : ce qu’il importe de souligner ici, de ce point de vue, est que les bons étaient perçus et utilisés comme une monnaie par tous les acteurs du circuit11. Certes, cette monnaie ne pouvait servir qu’à l’achat d’une marchandise spécifique, le pain, mais ce changement de statut fut néanmoins l’une des causes principales qui ont contraint les inventeurs du circuit à faire imploser le système tout entier.
- 12 Sont considérés comme appartenant à la catégorie des artisans les commerçants, mais aussi les profe (...)
- 13 Dans d’autres zones d’Italie, ce type d’instituts de crédit commence à se diffuser à partir de la f (...)
7Pour comprendre les significations sociales et économiques du « tour de la farine », il faut le resituer dans le cadre complexe des interactions politiques, commerciales et familiales dont je l’ai jusqu’ici artificiellement extrait. Cet environnement permet de redonner consistance aux acteurs du circuit et à d’autres protagonistes de la scène sociale de l’époque, qui ont joué et jouent encore un rôle important dans la vie politique et économique locale.
Qui sont ces meuniers et ces boulangers observés jusqu’ici sous l’angle de leurs choix minutieux concernant le « tour de la farine » ? Ils appartiennent à la catégorie des « artisans », un groupe social très flexible qui se différencie de – et à certains égards s’oppose à – ceux des « seigneurs » et des « paysans ». Je reprends ici la terminologie des habitants de San Marco pour situer ces différentes catégories à l’intérieur d’un modèle de stratification qui organise et divise la société locale en trois ensembles distincts, apparemment figés et imperméables. L’appartenance à une catégorie sociale constitue un premier niveau de représentation du statut des individus, permettant de les hiérarchiser et de les différencier sur la base de leur appartenance familiale et non de la profession qu’ils exercent12. L’observation de ce modèle sur une longue durée permet de mettre en évidence les changements de statut des familles, qui, dans le temps, passent d’une catégorie à l’autre, et donc le caractère dynamique de ce système de stratification. Si on l’observe ensuite du point de vue des interactions sociales et économiques, il apparaît comme un référent souple et adaptable permettant aux individus de négocier à tout moment leur propre positionnement et / ou celui de leur catégorie d’appartenance sur l’échelle hiérarchique sociale.
Les artisans ont occupé et occupent des positions influentes sur la scène politique locale, où ils ont pendant longtemps assumé la fonction de médiateurs politiques et économiques entre le contexte local et l’extérieur (Allum 1997 ; Gribaudi 1980). L’observation détaillée de leurs stratégies professionnelles fait apparaître leur indéfectible capacité à diversifier les spécialisations économiques au sein du groupe familial et à conjuguer ainsi des secteurs d’activité complémentaires de manière, d’une part, à favoriser des formes diversifiées de collaborations commerciales et, d’autre part, à maintenir un lien plus solide et durable avec un même segment de clientèle paysanne. Les liens d’affinité tissent une trame serrée de relations avec d’autres familles d’artisans ou de paysans, à partir desquelles se nouent ensuite des alliances commerciales. Si l’on observe plus attentivement les membres des familles d’artisans qui participent au « tour de la farine », on constate qu’ils appartiennent à un réseau familial très dense, du type des « fronts parentaux » évoqués par Giovanni Levi (1989) à propos du Piémont au xviie siècle. Les familles Castello (meuniers) et D’Anna (boulangers) sont toutes deux liées à la famille Celestini (commerçants de blé), elle-même liée à la famille Corsetti (famille de négociants en bois, propriétaire du moulin à huile). À la fin du xixe siècle, les Celestini étaient déjà transporteurs et faisaient fonction d’intermédiaires vis-à-vis du marché extérieur.
Pendant les années 1930, certains membres de cette famille sont parmi les plus gros commerçants de la zone, et leurs activités s’étendent à plusieurs communes limitrophes. Le commerce local du blé, que les Celestini gèrent déjà depuis la fin du xixe siècle, s’institutionnalise à partir des années 1930, lorsque Michele Celestini fonde puis dirige une agence périphérique du consortium agricole provincial. Son fils, qui a repris cette fonction, abandonne la gestion du consortium à la fin des années 1950. À dater de ce jour, le commerce du blé redeviendra une activité strictement familiale, reprise par les fils d’un frère de Michele.
C’est aussi pendant les années 1930 que Diodoro Castello – le grand‑père homonyme de Diodoro Castello dont j’ai parlé plus haut – installe le premier moulin électrique de la commune. La minoterie sera ensuite reprise par ses trois fils puis transmise encore sur une génération jusqu’à la fin des années 1980. Un mariage en 1935 avec une femme de la famille Celestini permet d’intégrer les activités des deux clans et de les renforcer autour du transport, du commerce et de la transformation du blé.
Fils d’un cordonnier issu d’une famille de paysans, Andrea D’Anna épouse lui aussi une femme de la famille Celestini, Alba, avec laquelle il ouvrira au début des années 1960 l’une des premières boulangeries de la ville.
Ce sont précisément ces liens professionnels et familiaux qui connectent ces familles d’un côté à la catégorie des paysans – dont sont issus de nombreux artisans – et de l’autre à des membres des élites de Bénévent. C’est par ces canaux que diverses alliances de nature politique vont se greffer sur ce réseau complexe, et, à partir de l’immédiat après-guerre, les membres de ces familles d’artisans vont participer activement à l’introduction sur la scène locale de la Démocratie chrétienne. Devenus les représentants locaux de ce parti, ils renforceront leur pouvoir jusqu’à remporter les élections municipales de 1964 et obtenir le contrôle de l’administration communale. Le nouveau maire et ses adjoints supplantent alors les « seigneurs », exerçant des professions libérales ou propriétaires terriens, qui avaient jusque-là tenu les rênes de la politique locale.
Cette redistribution des pouvoirs marque aussi l’avènement d’un système clientéliste qui va lier pendant environ quarante ans des familles d’artisans et de paysans déjà unies par des relations économiques intenses. Ces rapports clientélistes vont à certains égards se substituer aux lienspolitiques et économiques – parmi lesquels la gestion du crédit – qui jusqu’alors avaient uni en un rapport quasi exclusif les paysans aux propriétaires terriens.
Au cours des années 1960 et 1970, le « tour de la farine » se greffe sur ces mêmes réseaux commerciaux et de clientèle, y compris du point de vue conceptuel : en effet, la pratique du crédit telle qu’elle se développe au sein de ce circuit et s’expérimente à travers les formes spécifiques que j’ai analysées jusqu’ici, présente de nombreuses similitudes avec les logiques de l’échange et du contrat politique qui régulent à cette époque les relations entre agriculteurs et artisans-commerçants. Le « tour de la farine » permet ainsi d’observer dans un contexte spécifique, tant au niveau des conceptions des acteurs sociaux qu’à celui d’autres registres de l’action économique, les articulations entre pratiques et logiques économiques « locales » et modèles « supra-locaux » (Gudeman 2001 ; Wilk 1996).
Les formes d’investissement que l’on observe dans le « tour de la farine » ne s’opposent pas à l’institutionnalisation d’un système de crédit au niveau local. Bien au contraire, elles l’accompagnent, à travers la création d’un institut bancaire à l’initiative même des acteurs impliqués dans ce circuit. La Cassa rurale e artigiana di San Marco dei Cavoti est fondée en 1972 et ouvre ses guichets en 197413. Comme l’indique le nom de la banque, les cinquante-quatre membres fondateurs appartiennent à des familles d’agriculteurs et de commerçants, elles-mêmes liées à l’antenne locale du parti démocrate-chrétien.
Au fil des années, la Cassa rurale e artigiana di San Marco va étendre son aire d’influence à une vingtaine de communes de la province. Elle acquiert peu à peu un rôle central dans l’économie locale, en tant que centre de distribution du crédit mais aussi en tant qu’acteur du processus d’intégration dans les réseaux d’investissement spécifiques d’une économie de marché plus large et dans un système financier de plus ample portée. Autour de la banque se dessine aussi un nouvel espace de pouvoir. Aujourd’hui encore, les commerçants et les professions libérales les plus influents de la ville, et qui continuent à jouer un rôle dans la politique locale sont actionnaires de la banque, cette dernière fonctionnant comme centre de décision et d’action politique (en complémentarité ou en opposition, selon les époques, au pouvoir municipal, voir Siniscalchi 2002).
Le développement et l’interruption définitive du « tour de la farine » correspondent donc, du point de vue chronologique tout comme en terme d’implications sociales, à la période où cet institut de crédit naît et se développe et où se structurent de nouveaux espaces politiques : autour de la Démocratie chrétienne et à travers elle ; autour du groupe des artisans-commerçants et sous son impulsion.
Ce n’est pas un hasard si le président de la banque en exercice lors de mon enquête, élu en 1988 et réélu plusieurs fois jusqu’en l’an 2000, est membre de l’une des deux familles de meuniers de San Marco, et plus précisément de celle qui a inventé le « tour de la farine ».