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Repères

Rituels scolaires en Grèce : de l’histoire nationale aux pratiques religieuses locales

Katerina Seraïdari
p. 139-152

Résumés

Cet article analyse, à partir d’enquêtes de terrain conduites dans les îles cycladiques de Tinos et de Sifnos, la manière dont s’articulent l’histoire nationale, l’histoire sainte et l’histoire locale dans la Grèce contemporaine. Quand l’Etat grec s’est constitué, saint Basile, saint Grégoire de Nazianze et saint Jean Chrysostome ont été érigés au rang de saints patrons de l’Education nationale : ils ont été choisis parce qu’ils auraient concilié la culture de la Grèce antique avec la théologie chrétienne. Néanmoins, sur les îles de Tinos et de Sifnos, la fête scolaire des Trois Hiérarques, qui est célébrée sur tout le territoire national, a été investie d’une signification nouvelle : étant intégrée à des pratiques religieuses spécifiques de ces communautés, elle est devenue l’outil qui permet à l’identité locale de s’affirmer.

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Texte intégral

1Dans certaines versions du « mirologue de la Vierge 1 », un chant populaire grec de la Passion, on trouve une image surprenante du Christ et des apôtres. Dans la scène de la trahison, Judas les décrit ainsi :

« Tous sont vêtus de vert, Christ est vêtu d’azur,
tous tiennent de petits cahiers, Christ tient un évangile. »

2Ces vers, comme le souligne Bertrand Bouvier (1976 : 145, note 1), présentent le Christ comme un « maître d’école entouré de ses élèves » : les apôtres viennent recopier sur leurs cahiers les leçons dispensées par Jésus, détenteur du Livre. La même chanson nous offre un deuxième exemple de ce genre. Quand saint Jean arrive pour annoncer à Marie que son fils vient d’être crucifié, elle qui ne soupçonne pas encore la gravité de la situation l’interroge ainsi sur la cause de sa tristesse :

« Pourquoi es-tu si triste, Jean, pourquoi soupires-tu ?
Est-ce que ton maître t’a fait une remarque ou as-tu perdu ton cahier ? »

3La Vierge traite l’apôtre comme un enfant qui va encore à l’école et pour qui les seules déceptions possibles sont associées à l’espace scolaire : « Le disciple bien-aimé apparaît comme un petit écolier qui s’expose comme tous ses congénères à être puni pour une leçon mal apprise ou une étourderie, le Maître apparaît comme un instituteur du village, la Vierge comme une mère pleine de sollicitude » (Bouvier 1976 : 150).

4Ces extraits laissent entendre que la relation entre le Christ et ses disciples constitue le prototype, le modèle par excellence de l’acte pédagogique et que l’enseignement vise surtout à transmettre des vertus morales et des vérités théologiques. Et c’est bien ainsi que la société grecque contemporaine conçoit le rapport entre l’éducation et la religion. L’Etat grec, en effet, n’est pas un Etat laïque. La religion orthodoxe y est religion d’Etat, bien que la liberté de culte des minorités musulmane et catholique soit reconnue. Cette situation s’explique par les conditions d’émergence de la Grèce au rang de nation indépendante : elle accéda à ce statut en se libérant des Ottomans, qui occupaient le pays depuis quatre siècles 2.

5Ainsi, quelques années après la constitution de l’Etat grec, en 1836, obligation fut faite à toutes les écoles de commencer la journée par la récitation collective d’une prière. En 1857, on stipula que les élèves devaient assister à la messe les dimanches et lors des fêtes religieuses ; les instituteurs et les professeurs étaient chargés de veiller à ce que cette règle soit respectée. Quelques années auparavant, en 1843, l’Etat grec avait fait de trois Pères de l’Eglise, connus sous le nom des Trois Hiérarques, les patrons de l’Education nationale. Leur fête, fixée au 30 janvier, devait être célébrée dans toutes les écoles. Selon Dimitris Loukatos (1985 : 100), autrefois, la fête scolaire des trois Pères de l’Eglise était pour les Grecs des régions non rattachées à l’Etat grec l’équivalent de la fête nationale du 25 mars. Les élèves assistaient à la messe et le drapeau religieux déployé ce jour-là valait comme drapeau national 3. Sur le territoire grec, la fête du 30 janvier a également acquis un caractère national pendant la période de l’occupation allemande (1941-1944).

6Aujourd’hui, le 30 janvier est un jour férié pour tous les écoliers et les Trois Hiérarques sont fêtés de la même manière dans toutes les écoles du territoire : les écoliers et les enseignants assistent à une messe, puis un discours « éducatif » est prononcé. En règle générale, cette fête est peu ritualisée, sauf dans les îles cycladiques de Tinos et de Sifnos 4, où les cérémonies officielles sont articulées à des pratiques religieuses locales, ce qui leur donne une signification nouvelle : initialement destinée à exalter l’identité religieuse de la nation, la fête est devenue ici un moyen d’affirmer l’identité locale. Avant d’examiner ce qui lui permet de jouer ce rôle, il faut, au préalable, préciser qui sont les Trois Hiérarques et pourquoi ils sont devenus les protecteurs de l’Education en Grèce.

Les patrons de l’Education nationale

7Les patrons de l’Education nationale désignés en 1843 étaient trois théologiens du ive siècle : Basile le Grand (?330-379), Grégoire de Nazianze 5 (?329- ?390) et Jean Chrysostome (?344-407). La construction de cette triade date du xie siècle : on la doit à Jean Mavropous, un évêque du temps de Constantin IX Monomaque (1042-1055), qui instaura la fête du 30 janvier en l’honneur de ces trois Pères de l’Eglise. Les trois docteurs furent désormais fêtés ensemble.

8Pour constituer cette triade, Jean Mavropous modifia un regroupement antérieur : selon la tradition ecclésiastique, les deux premiers théologiens forment avec le plus jeune frère de Basile le Grand, Grégoire de Nysse (mort en 394), un groupe connu sous le nom de « Trois Frères cappadociens ». D’après Timothy Ware (1963 : 31-32), les Trois Frères de Cappadoce ont élaboré la doctrine de la Trinité, tandis que Jean Chrysostome a reformulé dans un langage plus populaire leurs arguments théologiques : ce dernier est « de tous les Pères […] peut-être le plus aimé dans l’Eglise orthodoxe, et celui dont les œuvres sont le plus lues ».

9La triade des Frères cappadociens fut ainsi remplacée par un autre regroupement, qui ne s’appuyait plus sur le critère restreint du lieu d’origine. La transition fut d’autant plus facile que seul Grégoire de Nysse était éliminé de la liste : dans la mesure où il portait le même prénom que Grégoire de Nazianze, il était facile de les identifier l’un à l’autre, voire de les confondre. Grégoire de Nysse, par ailleurs, était le frère cadet de Basile le Grand : en le supprimant, on établissait un regroupement plus ample, où les liens familiaux et géographiques étaient abolis.

10Au xie siècle, Jean Mavropous présenta son initiative d’instaurer une fête commune pour les Trois Hiérarques comme une réponse au désarroi populaire : leurs dévots étaient alors divisés entre trois partis, les johannites, les basilites et les grégorites, et chacun soutenait que son docteur éponyme était le plus important 6. En décidant de les fêter ensemble, on cherchait à mettre fin aux antagonismes et à assurer l’unité de l’Eglise. Dans les hymnes que Jean Mavropous composa, les Trois Hiérarques furent présentés comme la « Trinité des docteurs », une métaphore terrestre de la Trinité divine 7. Ils devinrent ainsi le symbole de la sagesse, de l’égalité et de l’unité sociale.

11Ce sont précisément ces qualités que l’Etat grec voulut mettre en avant en les élevant huit siècles plus tard au rang de saints patrons de l’Education nationale. D’après Michael Herzfeld (1993 : 42), « en Grèce, la “transsubstantiation” d’une société patrilinéaire en culture nationale, de l’hérédité en héritage, est véhiculée par la dramatisation des premiers partisans intellectuels de l’indépendance grecque en tant qu’“Enseignants de la nation” – l’esprit conduisant le sang ». Les idéologies nationalistes, selon Herzfeld, s’appuient toujours sur le langage de la parenté agnatique : du sang porteur de la parenté, on passe au sang que les héros nationaux versent pour la patrie, à l’instar du sang que le Christ a offert pour le salut de l’humanité. Ici, pourtant, ce qui nous intéresse principalement est « l’esprit qui conduit le sang » et son rôle dans la construction de la continuité imaginaire de la nation : pour atteindre ce but, l’Etat devait ajouter aux acteurs de l’indépendance des personnages susceptibles d’incarner l’atemporalité des valeurs de la nation grecque. Ce rôle fut confié aux Trois Hiérarques.

12Tout en s’opposant au paganisme, ces trois théologiens ont valorisé l’héritage littéraire et philosophique des Grecs anciens, qu’ils considéraient comme une source à laquelle il fallait puiser pour élaborer la théologie chrétienne. C’est ce rôle de médiateur que soulignent toujours les discours prononcés par les enseignants le 30 janvier : les Trois Hiérarques y sont présentés comme les figures emblématiques d’une continuité entre culture antique et culture chrétienne que l’Etat et l’Education nationale ne cessent d’exalter. La nation grecque, en effet, a défini son identité par rapport à ces deux références : elle est une nation chrétienne qui a su, en même temps, préserver et vivifier l’héritage de la Grèce ancienne.

13Le choix des Trois Hiérarques comme patrons de l’Education montre l’importance que l’Etat attache à la dimension religieuse de l’identité nationale. Cette articulation apparaît encore plus clairement dans la légende de « L’école cachée ».

De l’Education « imaginée » à l’Education nationale

14En 1874, le Saint Synode de la Grèce déposa au ministère de l’Education (qui est également le ministère des Cultes) une proposition affirmant que les popes étaient les personnes les plus qualifiées pour prendre en charge l’éducation du « peuple » (Dimaras 1983 : 236). Cette demande officielle de la part de l’Eglise ne peut être dissociée d’une légende très répandue en Grèce, celle de « L’école cachée ». Elle suggère qu’il n’y eut, pendant les quatre siècles de l’occupation ottomane, aucune institution éducative. Le seul enseignement que les enfants pouvaient recevoir était, dit-on, celui que les moines dispensaient clandestinement la nuit, à la lumière de bougies, dans une salle souterraine de certains monastères. Les enfants partaient de leur village chaque nuit et marchaient pendant des kilomètres dans l’obscurité pour atteindre le lieu où ils pourraient apprendre à lire et à écrire dans les textes saints.

15Etroitement lié à la représentation de l’école clandestine est le poème suivant, qu’aujourd’hui encore tous les enfants grecs apprennent par cœur :

« Ma petite lune brillante,
Eclaire-moi pour que je marche
Que j’apprenne les lettres
Les lettres, les études,
Les choses de Dieu. »

16Apprendre impose de se dépenser spirituellement, mais aussi (et surtout) physiquement : pour arriver à l’école, il faut se déplacer dans la nuit en solitaire, avec la lune pour seule compagne. La mémorisation de ce poème constitue en elle-même le premier apprentissage scolaire de plusieurs générations de Grecs. Mais en mémorisant ces simples vers, qui évoquent paradoxalement l’épreuve physique de l’apprentissage, chaque enfant reçoit en même temps une autre leçon. Car la marche pour arriver à l’école constitue la métaphore de la mobilité sociale : ce n’est pas seulement la connaissance mais aussi l’ascension sociale qui deviennent accessibles grâce à l’effort physique et à l’opiniâtreté des enfants. L’aventure du petit écolier qui avance dans la nuit constitue l’épreuve initiatique que chacun doit affronter pour atteindre la lumière (de la lune, des vérités théologiques, du succès professionnel), pour passer de la simple mémorisation à la mise en œuvre des connaissances dans la société.

17Le motif de la marche nocturne se retrouve dans les récits des personnes âgées qui habitaient durant leur jeunesse dans les régions montagneuses de la Grèce. Le fait d’aller à l’école reste dans leur mémoire comme une épreuve physique, un sacrifice quotidien : il fallait partir très tôt le matin, si tôt qu’il faisait encore nuit, et marcher pendant des heures sous la pluie ou dans la neige, puis traverser les montagnes pour arriver enfin à l’école de la ville voisine. On retrouve ce type de souvenirs, il est vrai, chez bon nombre d’habitants d’autres zones rurales européennes. Mais, dans le contexte grec, ils acquièrent un caractère spécifique, dans la mesure où ils actualisent la légende de « L’école cachée ». Le poème enfantin cité plus haut permet en effet d’établir un lien entre la légende et l’expérience biographique : on peut retrouver dans ces vers tant l’école clandestine de l’époque ottomane que l’école difficilement accessible du début de ce siècle 8.

18Ce poème présente l’éducation comme une valeur d’autant plus désirable qu’elle est rare ; de surcroît, il met l’accent sur l’importance de l’éducation pour l’individu. Ce que la légende de l’école clandestine souligne, en revanche, est l’importance de l’éducation pour la nation. Elle suggère en effet que l’enseignement dispensé par les moines avait un but patriotique, dans la mesure où il devait permettre au pays de sortir des « ténèbres » de l’occupation ottomane pour atteindre la liberté et l’émancipation nationale 9. La légende de « L’école cachée » met ainsi en valeur le rôle que l’Eglise a joué au cours de l’histoire de la nation 10. Nicholas Doumanis (1997 : 88) évoque trois autres raisons qui pourraient expliquer la portée symbolique de ce mythe : il perpétue l’image des Turcs « inéduqués » et « barbares » et souligne leur responsabilité dans le sous-développement de la Grèce contemporaine ; il suggère que les Grecs ont une inclination innée pour l’éducation et que l’école clandestine a préservé le lien entre la civilisation de l’Antiquité et celle de l’époque moderne ; enfin, cette légende exalte le caractère « indocile » et « résistant » du peuple grec.

19Il y a déjà plusieurs années que les historiens grecs ont exprimé leurs doutes sur la réalité historique de ces écoles clandestines 11. Pourtant, un paragraphe qui mettait en cause leur existence dans un nouveau manuel scolaire d’histoire fut corrigé sur l’ordre du ministre de l’Education (Dimaras 1983 : 238, note 5). Cette décision, peu commune, montre l’importance que l’Etat accorde à cette légende. Non sans raison. Pendant l’occupation italienne (1912-1943), des écoles clandestines furent créées dans les îles du Dodécanèse, ce que I. Stefanopoli (1999 : 157) commente ainsi : « Pour certains, “L’école cachée” pendant la période de la domination ottomane n’est qu’un conte. Mais ce conte a pris vie sous nos yeux. L’école clandestine grecque, qui transgressait les ordres et les sanctions de l’autorité, nous l’avons vue de nos jours, il y a peu, dans les îles occupées de l’Egée […]. Les événements actuels ont marqué ceux du passé du sceau de l’authenticité. » Il est clair que le mythe peut aussi façonner l’histoire.

20On comprend, en tout cas, la valeur attachée à cette légende en Grèce. Pour l’Eglise, elle évoque la contribution des religieux à la formation d’une jeunesse grecque et orthodoxe pendant la période où la nation était opprimée. Pour la population, cette légende correspond à une expérience vécue, qu’elle permet de revêtir d’une patine héroïque. Pour l’Etat, enfin, elle est associée aux idéaux nationaux, dans la mesure où l’appartenance à la nation grecque est encore en partie définie par l’identité religieuse. C’est ce qui explique l’obligation de fêter les Trois Hiérarques dans les écoles. Mais, si l’Etat a pu imposer cette fête, il n’a pu prescrire aussi son interprétation. Dans les pages suivantes, je me propose d’analyser comment les communautés de Tinos et de Sifnos se sont réapproprié cette fête scolaire pour construire leur identité locale, en transformant une fête institutionnelle en rituel coutumier.

Quand les jeunes allument leurs lanternes

21L’île cycladique de Tinos constitue le lieu de pèlerinage le plus important de la Grèce contemporaine. Ce pèlerinage est centré sur le culte d’une icône miraculeuse de la Vierge exhumée le 30 janvier 1823 : sa découverte fut perçue à l’époque par les insurgés grecs comme un signe divin d’approbation et de bénédiction de leur lutte contre les Ottomans 12. Si les pèlerins provenant de tous les coins du pays envahissent actuellement l’île en été, et plus particulièrement le 15 août, fête de la Dormition de la Vierge, la communauté locale exprime sa gratitude envers sa patronne en hiver, en commémorant son invention. Cette fête attire très peu de pèlerins étrangers ; seuls les émigrés originaires de Tinos, qui vivent actuellement à Athènes ou ailleurs, reviennent sur leur île natale pour y participer.

22La fête se déroule en deux temps 13 : la journée du 29 janvier et le matin du 30 sont consacrés aux cérémonies religieuses (messes, procession de l’icône et bénédiction des monuments érigés en l’honneur de ceux qui ont contribué à la découverte de l’icône), tandis que l’après-midi du 30 janvier est dédié à un rituel auquel tous les jeunes participent et que les habitants appellent « les lampions »14. En effet, quelques jours avant la fête, les enfants et les adolescents se réunissent par groupes dans une salle de la mairie ou de l’école pour construire un lampion avec du carton, des feuilles de matière plastique transparentes et colorées, des morceaux de bois. Cette petite lanterne faite à la main se trouve au centre des festivités. Même si aujourd’hui ces lampions sont en vente dans les magasins de l’île, la tradition veut que chaque année chacun fabrique le sien, puis qu’il le détruise à la fin de la journée. De toute manière, ces artefacts sont souvent si mal faits qu’ils se cassent ou prennent feu avant que la parade soit terminée.

23L’après-midi du 30 janvier, les jeunes se rassemblent peu à peu dans la cour de leur école 15, chacun portant sa lampe. Dès que le soleil se couche, ils allument la bougie qui se trouve à l’intérieur de leur lanterne et se réunissent dans la cour de l’église de la Vierge. Ils y restent environ une demi-heure, durant laquelle ils chantent tous ensemble des « hymnes 16 » et lèvent leurs lampions en signe d’hommage. Puis ils se regroupent selon les indications de leurs enseignants et, tout en continuant à chanter leurs cantiques, ils font le tour de la ville en cortège. Leur défilé s’achève à l’église des Trois-Hiérarques : le pope asperge l’assemblée d’eau bénite, puis les enfants se dispersent.

24Les brochures éditées par le sanctuaire de Tinos racontent que la nouvelle de l’invention de l’icône se répandit très vite dans l’île et qu’un grand nombre de personnes accoururent de tous les villages pour la vénérer. Les derniers arrivés avaient pris de petites lampes à huile pour trouver leur chemin dans la nuit. Les livrets invitent ainsi à voir dans la parade des lampions une réactivation de la première rencontre avec l’icône. Le but de ce rituel est de permettre à chaque nouvelle génération de réinventer l’icône et de sentir l’émotion de la première fois.

25Les protagonistes de ce rituel sont les « derniers ». Leur position pourtant n’est plus liée à l’espace (au moment de l’invention, ceux qui sont arrivés les derniers étaient ceux qui habitaient à l’autre bout de l’île), mais au temps (la fête aujourd’hui concerne les plus jeunes, la dernière génération). De cette manière, chaque jeune qui participe à la fête n’est plus le simple rejeton d’une famille particulière ; il devient le descendant de la communauté tout entière. La cohésion et la continuité de la communauté sont ainsi concrétisées : si, selon les livrets, la découverte de l’icône fut marquée par le rassemblement spontané de toute la population locale, la commémoration de cet événement produit le même effet – bien que l’exceptionnel ait pris une forme rituelle et que ce ne soit plus l’unité spatiale qui est valorisée, mais l’unité temporelle.

Fêter la Vierge et les patrons de l’Education

26Sur un point, pourtant, le rite s’éloigne considérablement de la légende dont il est censé s’inspirer : tandis que le but de la procession initiale fut l’icône nouvellement inventée, la parade actuelle des jeunes débute à l’église de la Vierge et se termine à l’église des Trois-Hiérarques. En effet, le 30 janvier est le jour de la découverte de l’icône de Tinos ; mais il est aussi, comme on l’a dit, le jour où les saints patrons de l’Education nationale sont fêtés dans toute la Grèce. Cela explique pourquoi l’école occupe une place importante dans la préparation et le déroulement de la fête. Il faut donc examiner comment le rituel de Tinos articule la légende locale d’invention de l’icône et l’imaginaire national de l’Education.

27Selon les brochures, les villageois durent marcher de nuit pour atteindre la ville de Tinos et l’icône ; selon la légende de l’école clandestine, les enfants devaient aussi marcher dans l’obscurité afin d’atteindre leur « école ». Les villageois avaient des lampes à huile pour trouver leur chemin, tandis que l’écolier n’avait que la lune pour l’éclairer. Le rituel que les enfants de l’île reproduisent chaque année semble être une synthèse de ces éléments : les écoliers commencent leur marche dès que le soleil se couche et se dirigent vers l’église dédiée aux patrons de l’Education, tandis que l’église de la Vierge ne constitue que le point de départ. Cette fois, pourtant, ce sont les enfants qui amènent leur lumière à l’église de la Vierge, puis à celle des Trois-Hiérarques : ils doivent construire leur propre lampion, produire et consommer leur propre lumière pour éclairer le chemin qui unit les deux églises. Ainsi, une fois par an, la lumière portée par les enfants (ainsi que leurs pas et leurs chansons) crée la liaison spatiale entre ces deux repères qui ont une signification à la fois religieuse et nationaliste.

28Si l’église de la Vierge de Tinos constitue un symbole national qui retrouve sa signification locale chaque année grâce à cette fête, les Trois Hiérarques sont soumis à une manipulation similaire : ils ne sont plus les figures figées de l’Education nationale, mais les saints patrons des écoliers qui défilent en leur honneur. De surcroît, par le biais de ce rituel, la communauté locale arrive à concrétiser et à individualiser une représentation de l’Education qui traverse l’ensemble de la société grecque : l’enfant qui marche dans la nuit pour arriver à l’école, cet « ancêtre » anonyme et légendaire des écoliers, prend ici chair et os ; en même temps, il est transformé en un pèlerin qui rend hommage à une icône spécifique, la Vierge de Tinos 17. La collectivité de Tinos rejoue ainsi, à la fois, l’invention de son icône et le passage de chaque écolier (et de la nation elle-même) de l’obscurité à la lumière. En même temps, elle se convainc, en mettant en scène sa jeunesse, que son futur est assuré.

29Ainsi, la fête du 30 janvier parvient-elle à articuler l’histoire nationale et l’histoire sacrée de la communauté locale ou, plus précisément, à réordonner autour de la fête de la Vierge patronne de l’île la célébration des saints patrons de l’Education nationale (les Trois Hiérarques) et la référence implicite aux données « historiques » nationales (la légende de l’école clandestine).

30Le cas de Sifnos peut paraître, à première vue, bien différent. La fête des Trois Hiérarques y a pris sa forme actuelle il y a une quarantaine d’années à peine et elle ne coïncide avec aucune date du calendrier religieux local. Nous allons voir, pourtant, qu’on y retrouve le même processus d’appropriation, même s’il y prend d’autres formes. En effet, ici aussi, la fête des Trois Hiérarques est devenue l’acte commémoratif d’un événement important de l’histoire locale, la création de l’école que des moines auraient établie sur cette île au xviie siècle.

L’école « héroïque » de Sifnos

31Une pratique religieuse particulière caractérise l’île de Sifnos 18. Ici, selon un système complexe de rotation des icônes 19, une famille, ou un ensemble de personnes qui forment une « confrérie » temporaire, prend en charge une icône pour une année ainsi que les frais de sa fête. Pendant ce temps-là, l’icône est logée en permanence dans la maison de ses hôtes : elle n’est amenée à l’église à laquelle elle appartient (ou à l’église paroissiale de ses hôtes) qu’à certaines dates. Selon les estimations du « folkloriste » de Sifnos, ce système de circulation concerne environ 300 icônes sur une île de 700 habitants.

32Le folkloriste en question fut un enseignant de l’Education nationale jusqu’au moment où, ayant pris sa retraite, il commença à étudier les coutumes de son île. Depuis, il publie ses livres à compte d’auteur et les distribue lui-même : pour cela, il a transformé une pièce de sa maison en une sorte de librairie. Actuellement, il joue un rôle important dans l’île : sous son influence, des changements « normatifs » ont été opérés et de nouvelles coutumes ont été introduites.

33En 1957, l’érudit local trouva dans le grenier d’une église une vieille icône de grande taille représentant les Trois Hiérarques et sainte Catherine d’Alexandrie 20. Il raconta sa découverte à une habitante du quartier qui lui proposa de prendre l’icône en charge pour une année. L’icône resta chez elle le temps prévu puis, le 30 janvier, le jour de la fête de l’icône, la femme, l’érudit, le pope et quelques enfants l’amenèrent en procession au monastère Saint-Jean-Chrysostome. Cette première procession fut spontanée, mais quelques années plus tard l’événement acquit un caractère plus solennel. La ritualisation progressive de cette fête doit être mise en relation avec l’importance historique que le monastère Saint-Jean-Chrysostome eut pendant l’occupation ottomane : de 1650 à 1687, une école fonctionna dans ce monastère et, en février 1653, les enseignants et les élèves y auraient juré solennellement de se battre pour la liberté de la Grèce, comme en témoigne une inscription sur une plaque de marbre qui aurait été trouvée sur place. Certains informateurs m’ont même affirmé que « c’est là que la guerre d’indépendance de 1821 contre les Turcs a commencé ». L’histoire officielle, bien évidemment, ne dit mot de cette interprétation : l’école de Sifnos n’est même pas mentionnée dans les manuels scolaires.

34Une partie de ce monastère, alors abandonné, fut restaurée à l’initiative du folkloriste. De surcroît, une plaque métallique fut fabriquée sur laquelle figure l’inscription initialement gravée sur la plaque de marbre et évoquant le désir de la communauté scolaire de libérer le pays du joug ottoman. L’année où cette plaque fut placée au monastère, lors d’une cérémonie exceptionnelle, fut aussi l’année où la fête des Trois Hiérarques acquit à Sifnos sa forme actuelle. Néanmoins, l’icône découverte et rendue au culte par le folkloriste ne participe plus à cette fête. Selon lui, elle était trop grande pour être transportée en procession ; aussi fut-elle remplacée par une nouvelle icône, plus petite et donc plus maniable. Aujourd’hui, la grande icône se trouve en permanence dans l’église où elle fut trouvée : la femme qui l’avait prise en charge pour un an paya les frais de sa restauration et une vitre et un cadre d’argent furent placés sur elle.

35Voici donc les lignes principales de ce grand « remue-ménage » entrepris dans le but d’instituer une fête scolaire propre à la communauté locale et à son passé héroïque 21 : une icône trouvée dans un grenier, un monastère en ruine partiellement restauré, une plaque attestant l’esprit courageux des écoliers de jadis reproduite à l’identique et placée comme une relique dans l’actuelle église Saint-Jean-Chrysostome. Enfin, une deuxième icône peinte dont la taille et surtout l’iconographie étaient mieux adaptées au rite : sainte Catherine ne figure pas sur la nouvelle icône, où l’on ne voit que la triade des saints vénérés le 30 janvier.

Faire circuler l’icône des Trois Hiérarques

36La nouvelle icône des Trois Hiérarques circule actuellement entre les deux écoles de l’île, l’école primaire et le collège-lycée. Cela signifie qu’elle passe alternativement d’un établissement à l’autre : en 1997, par exemple, c’est le collège-lycée qui l’avait prise en charge et, tout au long de l’année, l’icône y fut placée sur une table dans le couloir. La rotation de cette icône suit les règles du système local, la seule différence étant que celle-ci n’est pas logée dans une maison, mais dans un édifice public ; de même, ce n’est pas une famille ou une « confrérie » qui la prend en charge, mais la communauté scolaire. Dans la mesure où les enfants sont habitués à avoir des icônes traitées de la même façon chez eux, il est clair que la présence de l’icône des Trois Hiérarques dans l’espace scolaire transforme ce lieu impersonnel en une prolongation de l’espace domestique. Par son biais, la communauté scolaire devient une « grande famille » ayant ses propres objets sacrés.

37Les enfants ont la possibilité d’avoir un contact physique et quotidien avec cette icône : ils viennent la baiser, ils prient et allument des cierges devant elle. Même si la dévotion des élèves devient fervente surtout pendant la période des examens, cela ne diminue en rien le fait qu’ils arrivent à établir une relation personnelle avec les trois Pères de l’Eglise ; dans ce contexte, les saints patrons de l’Education sont transformés en protecteurs particuliers de chaque écolier. A travers leur icône, les Trois Hiérarques sont matériellement présents dans les écoles de Sifnos : ils n’incarnent plus une image lointaine de l’Education, bien au contraire, ils sont concrètement impliqués dans les angoisses, les frustrations et les réussites des élèves qui leur adressent leurs prières.

38La circulation de cette icône est définie par la distinction officielle entre école primaire et école secondaire, mais, en réalité, c’est l’ensemble de la communauté scolaire qui se rassemble à l’église Saint-Jean-Chrysostome le 30 janvier pour fêter ses saints patrons. L’icône y est aussi amenée, après avoir quitté l’établissement qui l’avait « hébergée » pendant un an et avant qu’elle rejoigne son prochain lieu d’accueil. En 1998, ce sont deux collégiens qui la firent sortir de leur école et la gardèrent dans leurs bras pendant le trajet dans l’autobus. Ils étaient escortés par quatre collégiennes portant un encensoir, une petite lampe  et deux cierges décorés conformément à la tradition locale. Ces jeunes reproduisaient les gestes exacts que leurs parents accomplissent quand ils prennent une icône en charge, sauf qu’ici l’ambiance était plus ambiguë : ils ne prenaient pas leur rôle très au sérieux, ils riaient, marchaient parfois de façon désinvolte, comme s’il s’agissait plus d’une excursion que d’un rituel religieux. En arrivant au monastère, par exemple, les porteurs de l’icône demandèrent à leur professeur de théologie s’ils auraient une meilleure note comme récompense pour leur dévouement !

39A l’église, une fois la messe terminée, l’enseignante de théologie du collège-lycée prononça un discours sur l’importance des Trois Hiérarques. Ensuite, les enfants communièrent et une bénédiction fut prononcée à la mémoire de tous les enseignants défunts de Sifnos : le pope cita tous leurs noms par ordre chronologique, en commençant par les moines. A la fin de la cérémonie, du pain béni, de la liqueur, du cognac et du café furent distribués par les parents d’élèves. Le pope remit ensuite l’icône des Trois Hiérarques aux enfants de l’école primaire qui attendaient avec impatience. Les enfants, cette fois, se succédèrent et même les filles portèrent l’icône, tandis que leur maître leur assurait que tous y auraient accès. L’icône fut ainsi amenée à son nouveau foyer, où elle devait rester jusqu’au 30 janvier de l’année suivante.

40Ce rituel ne s’appuie pas seulement sur la coutume locale de rotation des icônes. Il met aussi en valeur l’importance de l’école, qui était logée au xviie siècle dans le monastère Saint-Jean-Chrysostome. Si l’icône y est ramenée, lors des festivités du 30 janvier, ce n’est pas parce qu’il faut la transporter dans un lieu saint : en réalité, l’église actuelle évoque surtout l’école de jadis et la décision héroïque de la communauté scolaire de se battre jusqu’à la mort pour l’émancipation de la Grèce. Cela signifie que l’icône circule en réalité entre trois écoles : les deux écoles actuelles et l’école du xviie siècle. Même si sa visite à cette dernière ne dure que quelques heures, elle est néanmoins essentielle, dans la mesure où elle permet à la communauté scolaire du présent de s’identifier à celle du passé : à travers la fête du 30 janvier, la « généalogie » des écoliers d’aujourd’hui est établie et l’identité de leurs valeureux « ancêtres » définie avec précision. La « généalogie » des enseignants est également établie de façon explicite, au moment où le pope cite un par un les noms de tous ceux qui ont entrepris la tâche d’instruire la jeunesse de Sifnos. La construction de ces deux « lignées » parallèles renforce l’importance de la communauté aux dépens de la famille – d’autant que la cérémonie présuppose la présence des parents, qui deviennent alors témoins de l’émergence d’autres formes de filiation.

41De cette manière, les enfants de l’île sont initiés non seulement à une pratique religieuse locale d’aujourd’hui, mais aussi à une lecture locale de l’histoire nationale, qui assure que l’île de Sifnos est le lieu où la résistance contre les Ottomans aurait débuté. C’est grâce à ce discours que le monastère Saint-Jean-Chrysostome devient un haut lieu : même s’il ne correspond pas au modèle de l’école clandestine, il est censé avoir joué un rôle similaire, c’est-à-dire avoir procuré à la jeunesse un enseignement chrétien qui l’aurait poussée à se soulever contre les ennemis de la nation. Ce qui constitue en Grèce un mythe générique, la communauté de Sifnos l’a ainsi transformé en un fait de son histoire locale. Entre ces deux versions de l’histoire, il n’existe aucune tension : au contraire, elles se confirment mutuellement. Remise en doute par les historiens, la crédibilité de la légende de l’école clandestine est renforcée par la version locale – même si cette dernière a sans doute été inspirée par la tradition nationale. L’existence d’une école religieuse officielle à Sifnos contredit, certes, le modèle général d’une éducation supprimée sous occupation ottomane. Mais ce qui compte – et ce que les deux versions mettent en valeur – est l’héroïsme des jeunes qui décident d’affronter l’occupant.

Du national au local : la métaphore de la parenté

42Etant donné que la fête locale des Trois Hiérarques constitue en quelque sorte un hommage à ces ancêtres héroïques, écoliers et religieux, il devient clair que le cas de Sifnos ne diffère guère de celui de Tinos : la fête du 30 janvier permet également à ces deux communautés de commémorer des événements précis de leur histoire locale qui auraient eu un effet considérable sur le déroulement de l’histoire nationale. Même si, à Sifnos, la célébration des Trois Hiérarques n’a jamais acquis l’ampleur qui caractérise la fête de Tinos en l’honneur de l’icône patronale, le principe est, dans les deux cas, le même : la mise en avant de la jeunesse locale, son initiation à des pratiques religieuses spécifiques de la communauté et l’appropriation de symboles nationaux qui sont mis au service de la construction de l’identité locale. Sur ces deux îles, le déroulement de la fête suggère des interprétations et renvoie à des particularismes qui déplacent les intentions que l’Etat a eues en l’instituant.

43L’article de Chryssi Iglessi (1997) sur les orientations idéologiques de l’Education nationale fait apparaître que certains enseignants interviewés se réfèrent aux Grecs anciens en les appelant « nos grands-pères ». Sur les îles de Tinos et de Sifnos, lors de la fête des Trois Hiérarques, c’est une quête identitaire semblable qui est menée et le même imaginaire qui est mis en œuvre : à travers les écoliers et leur rituel scolaire, ces communautés façonnent la mémoire locale et inventent le lien avec leurs aïeux. En effet, les enfants sont invités, lors de ces fêtes communautaires, à reproduire dans le présent les actes de leurs aïeux. Cela signifie que la quête identitaire au niveau local se réfère à la courte durée : là où le discours nationaliste souligne les liens du sang et de la parenté avec ceux qui habitaient la Grèce trois mille ans auparavant, les pratiques locales mettent en scène des ancêtres qui, d’une part, appartiennent à un passé relativement proche et, de l’autre, deviennent concrets et tangibles grâce au rituel.

44Ainsi, si l’Etat et l’Education nationale mettent en avant la convergence entre l’héritage de la Grèce ancienne et la foi chrétienne, au niveau local, c’est surtout l’identité orthodoxe qui est valorisée : aucune fête locale ne revendique des origines antiques. Les communautés, à travers leurs rituels, évoquent principalement le souvenir de la libération du joug ottoman : c’est le fil conducteur qui traverse les rituels scolaires à Tinos et à Sifnos. Si les intellectuels grecs (folkloristes, philologues ou historiens) se sont fixé comme objectif de nouer des fils entre la culture « populaire » et le passé antique afin de construire une continuité « généalogique », au niveau local, en revanche, on insiste sur la lutte contre les Turcs. Ces deux modes d’interprétation du passé ne sont pas pour autant incompatibles ; en fin de compte, ce qui les différencie est la profondeur du temps sollicité et le niveau (plus ou moins ambitieux) d’abstraction.

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Bibliographie

Belting H., 1998. Image et culte. Une histoire de l’image avant l’époque de l’art, Paris, Les Editions du Cerf.

Bonis C.G., 1966. « Worship and dogma. John Mavropous, metropolitan of Euchaita (11th. century) : His canon on the Three Hierarchs, and its dogmatic significance », in Polycordia, Byzantinische Forschungen, Band I, Amsterdam, ed. A.M. Hakkert.

Bouvier B., 1976. Le mirologue de la Vierge. Chansons et poèmes grecs sur la Passion du Christ, Genève, Institut suisse de Rome.

Dimaras A., 1983., in Tsaoussis D. G. (ed.), Athènes, Estia.

Doumanis N., 1997. Myth and Memory in the Mediterranean. Remembering Fascism’s Empire, London, Macmillan Press.

Dubisch J., 1995. In a Different Place. Pilgrimage, Gender, and Politics at a Greek Island Shrine, Princeton, Princeton University Press.

Herzfeld M., 1993. The Social Production of Indifference. Exploring the Symbolic Roots of Western Bureaucracy, Chicago, University of Chicago Press.

Iglessi C., 1997. in Fragoudaki A. & T. Dragoni (ed, Athènes, éd. Alexandria.

Karakasidou A.N., 1997. Fields of Wheat, Hills of Blood. Passages to Nationhood in Greek Macedonia 1870-1990, Chicago, University of Chicago Press.

Kilifis T.K., 1998. Athènes (trente et unième édition).

Loukatos D.S., 1985. Athènes, Filippotis.

1997. Athènes, Filippotis (troisième édition).

Seraïdari K., 2001. « La Vierge de Tinos : le cœur sacré de l’Etat grec », Archives de sciences sociales des religions.

Stefanopoli I., 1999. in (recueil d’articles de plusieurs auteurs), volume 1, Athènes, Institut Goulandri-Horn.

Ware T., 1963. The Orthodox Church, Londres, Penguin Books.

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Notes

1Le mot grec ÌÔÈÚÔÏ½È définit les lamentations funèbres que les femmes chantent pour un parent défunt. Ici, c’est la Vierge qui pleure la mort de son fils crucifié. Pour une analyse détaillée de ces chants, voir le livre de Bertrand Bouvier (1976).
2La guerre de libération a commencé, selon l’histoire officielle, le 25 mars 1821. La fête de l’Annonciation de la Vierge (25 mars) constitue ainsi la première fête nationale à avoir été instituée.
3Le drapeau religieux représente l’aigle à deux têtes (‰È΀ʷÏÔ˜ ·ÂÙ½˜), qui fut l’emblème de l’Empire byzantin. Les Grecs qui habitaient des régions jadis « byzantines » et revendiquaient leur rattachement à la Grèce exprimaient leur volonté politique d’être intégrés à l’Etat grec en élevant ce drapeau religieux.
4Le fait que ces exceptions concernent des îles n’est pas lié à un « phénomène d’insularité » : la mer a toujours été considérée comme une voie de communication privilégiée, contrairement aux régions montagneuses dont l’inaccessibilité fut souvent soulignée. Précisons également que ces deux îles sont relativement grandes et à proximité de la capitale (quatre à six heures de bateau d’Athènes).
5Dans l’Eglise orthodoxe, il est surtout connu sous le nom de Grégoire le Théologien.
6En ce qui concerne le parti des grégorites, il est évident que la distinction entre Grégoire de Nysse et Grégoire de Nazianze ne semblait pas être primordiale aux yeux des fidèles.
7Cette présentation est basée sur des éléments fournis par l’article de Constantine Bonis (1966).
8Ce qui est décrit ici concerne les couches sociales les moins favorisées. Les classes supérieures à l’époque ottomane, ou les populations urbaines du xixe et du xxe siècle, avaient facilement accès à l’éducation ; d’ailleurs, les descendants des familles aisées faisaient souvent leurs études en Europe.
9Selon Anastasia N. Karakasidou (1997 : 97-99), en Macédoine grecque, où l’occupation ottomane a duré jusqu’en 1912, la période entre 1870 et 1903 a été marquée par les efforts antagonistes des nationalistes grecs et bulgares pour séduire la population à travers l’Eglise et l’école. Le mythe de l’école clandestine (qui est aussi répandu en Bulgarie) aurait donc donné une dimension romantique à ce processus de propagande.
10Le clerc Kilifis (1998 : 45) raconte que, après le début de la guerre d’indépendance, le papier des livres de la bibliothèque du monastère de Penteli (Athènes) fut utilisé pour la fabrication des cartouches. Les livres religieux auraient donc contribué de deux manières à la lutte contre les Ottomans : soit en renforçant la conscience nationale, soit en servant à fabriquer des munitions.
11Si le droit à l’éducation n’était pas remis en cause par les Ottomans, il fallait donc trouver d’autres raisons pour justifier cette construction mythique. Dans cet esprit, Kilifis (1998 : 35) soutient que l’école clandestine dans le monastère de Penteli était destinée à accueillir les enfants de la région et, surtout, les enfants des combattants qui ne pouvaient pas fréquenter les écoles « normales » par peur des Turcs.
12La concordance entre la date de la découverte de l’icône et le début de la révolution grecque a permis de faire de Tinos un lieu de pèlerinage à connotation nationaliste. Pour une analyse plus développée de ce point, voir Jill Dubisch (1995) et Katerina Seraïdari (2001).
13J’ai recueilli les données ethnographiques sur lesquelles cette analyse est basée en janvier 1997.
14Les brochures de l’église de Tinos attribuent au rituel un nom plus solennel,

qui souligne son caractère religieux : « la marche

avec les grands cierges » (Ï·Ìз‰Ë‰ÔÊÔÚ›·).

15A Tinos, comme dans la plupart des îles, le collège et le lycée se trouvent dans le même bâtiment. Quant à l’école primaire, elle occupe le plus souvent un autre bâtiment. Sur cette île, il y a aussi une école ecclésiastique réservée aux jeunes de tout le pays qui veulent devenir popes. Ces bâtiments, ainsi que le musée et le centre culturel, se trouvent à l’extrémité de la ville et, plus précisément, entre celle-ci et l’église de la Vierge.
16Ces hymnes populaires parlent surtout de la découverte de l’icône et de l’honneur que la Vierge a fait à Tinos en la choisissant comme lieu de l’apparition de son image miraculeuse. Ils finissent en évoquant le rôle que la nouvelle génération doit jouer afin de contribuer à la glorification de la nation.
17Néanmoins, le défilé des écoliers avec des lampions dans les rues ne constitue pas une pratique absolument propre à l’île de Tinos. Ainsi, une parade similaire était organisée jadis à Sifnos pour célébrer la fête nationale du 25 mars. Ce rituel commémorait le début de la guerre d’indépendance de 1821 contre les Ottomans : on sonnait les cloches et on sortait avec des torches pour transmettre l’heureuse nouvelle.
18J’ai effectué mes enquêtes sur cette île en mai-juin 1997 et en janvier 1998.
19Dans le cadre de cet article, j’éviterai d’entrer dans les détails de cette circulation et je me limiterai à en présenter les règles principales ; notons toutefois qu’elles sont souvent transgressées.
20Sainte Catherine d’Alexandrie était considérée, de même que dans le monde catholique, comme le modèle à suivre dans le domaine des études théologiques et de l’éloquence : ainsi, elle était la patronne des ordres dominicains en Italie jusqu’au xiiie siècle. Sur l’évolution de son iconographie, voir Hans Belting (1998).
21Il faut souligner ici que c’est le folkloriste qui m’a indiqué ces éléments au cours d’une interview. Pour la plupart des habitants de Sifnos, la fête du 30 janvier, dans sa forme actuelle, n’est pas considérée comme une innovation récemment instituée, mais elle fait tout simplement partie de la tradition locale.
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Pour citer cet article

Référence papier

Katerina Seraïdari, « Rituels scolaires en Grèce : de l’histoire nationale aux pratiques religieuses locales »Terrain, 37 | 2001, 139-152.

Référence électronique

Katerina Seraïdari, « Rituels scolaires en Grèce : de l’histoire nationale aux pratiques religieuses locales »Terrain [En ligne], 37 | 2001, mis en ligne le 06 mars 2007, consulté le 08 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terrain/1350 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terrain.1350

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Auteur

Katerina Seraïdari

Centre d’anthropologie, Toulouse

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