Surveillance et Jeux olympiques et paralympiques
Texte intégral
- 1 Organisations participant à l’OLN : Le CECIL, Creis-Terminal, La Ligue des Droits de l’Homme (LDH), (...)
1La loi sur les Jeux olympiques et paralympiques a été votée le 12 avril 2023. Dans la foulée, des députés et députées de l’opposition ont saisi le Conseil constitutionnel. L’Observatoire des Libertés et du Numérique (OLN)1 a adressé ses observations dans un mémoire invitant le Conseil constitutionnel à censurer les articles portant sur la vidéosurveillance algorithmique (Article 7), les scanners corporels (Article 11) et l’infraction d’intrusion dans les stades (Article 12).
2Rappelons rapidement les principales technologies développées pour automatiser la surveillance de l’espace public.
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La vidéosurveillance algorithmique (VSA) qui, à l’aide de logiciels mis au point pour l’analyse d’images et la vision computationnelle, cherche à détecter, dans une série d’images extraite de la vidéo, des événements précis (mouvement de foule, intrusion dans un logement ou un magasin, tentative de fuite…) susceptibles de déclencher une intervention policière. Les images vidéos peuvent être obtenues à partir des caméras fixes de plus en plus nombreuses dans nos villes ou, plus récemment, par des caméras embarquées à bord de drones survolant une zone géographique donnée.
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Actuellement, les technologies issues des recherches en IA comme les réseaux neuronaux entraînés sur des milliers d’exemples sont à même de fournir les informations statistiques nécessaires au traitement des flux vidéos. La Quadrature du Net a recensé de manière non exhaustive la mise en place de cette technologie dans plus de 200 villes françaises.
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- 2 Le ministère de l’Intérieur veut améliorer le logiciel de traitement d’analyse des photos du TAJ en (...)
La reconnaissance faciale utilise les mêmes techniques appliquées au visage d’une personne pour établir des corrélations entre celui-ci et les photos enregistrées dans des fichiers de référence comme celui du Traitement des Antécédents Judiciaires (TAJ) qui recense les personnes mises en cause dans des procédures judiciaires ou administratives. Il peut être interrogé par la police ou la gendarmerie2.
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Enfin, citons l’audiosurveillance algorithmique qui fonctionne de la même manière que la VSA, mais en utilisant des signaux audios à la place des flux vidéos, bien que cette technologie soit encore peu déployée actuellement. La ville de Saint-Étienne a essayé d’installer ce nouveau mode de surveillance avant d’y renoncer devant la réaction des citoyens et l’opposition de la Cnil.
3Dans la loi JO votée par l’Assemblée nationale et le Sénat, il n’est pas question de reconnaissance faciale. La vidéosurveillance algorithmique a été utilisée à titre « expérimental » pendant la durée des JO. Le gouvernement n’a pas justifié le recours à la VSA par les principes de nécessité et de proportionnalité qui sont la base des lois européennes sur le droit à la vie privée et à la protection des données. La loi sur les Jeux olympiques et paralympiques adoptée le 19 mai 2023 comporte dans son article 10 l’expérimentation des techniques de « vidéosurveillance algorithmique ».
4Après un long processus et malgré les inquiétudes des défenseurs des libertés et des droits civils, le recours à cette nouvelle technologie est désormais possible depuis le 31 août dernier – ce, à titre expérimental et jusqu’au 31 mars 2025, soit plusieurs mois après la fin des JO de Paris.
5Dans les années 2010, l’augmentation de la puissance de calcul des processeurs et la disponibilité massive de données ont donné naissance à une catégorie dérivée de l’IA s’appuyant sur « l’apprentissage profond », à la base des succès actuels en vision par ordinateur, analyse d’images, et compréhension du langage naturel. Elle repose sur des réseaux de neurones artificiels et peuvent chercher dans les images extraites des flux vidéos provenant des caméras fixes des « comportements anormaux ».
6Ce sont ces derniers qui, une fois repérés par ces caméras intelligentes, déclenchent l’envoi d’un signal aux Forces de l’ordre qui doivent le confirmer. Parmi ces éléments qui déclencheraient l’alarme du logiciel de traitement, le décret détaille huit événements :
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la présence d’objets abandonnés,
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la présence ou l’utilisation d’armes,
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le non-respect, par une personne ou un véhicule, du sens de circulation commun,
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le franchissement ou la présence d’une personne ou d’un véhicule dans une zone interdite ou sensible,
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le mouvement de foule,
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la densité trop importante de personnes,
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les départs de feux,
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et enfin, la présence d’une personne au sol à la suite d’une chute.
7D’autres situations peuvent sans doute être enregistrées comme des enfants jouant au ballon, des mineurs non accompagnés en période de couvre-feu, des militants distribuant des tracts ou collant des affiches.
8À la demande de la Cnil, il n’est pas prévu pour l’instant de mettre en œuvre des systèmes d’identification biométrique, en particulier de reconnaissance faciale. Il est vrai que les risques de bugs logiciels sont prévisibles et la période des JO servira à tester à grande échelle ces techniques. Même en se l’imitant à l’analyse des comportements anormaux, il sera difficile de séparer les mouvements de foule habituels dans les transports ou les files d’attente des paniques créées par un accident grave ou même un risque d’attentat.
- 3 485 caméras au cours des JO (Préfecture de Police + RATP) analysées par le logiciel CityVision (de (...)
- 4 Briefcam est un système informatique de vidéosurveillance algorithmique utilisant des fonctionnalit (...)
- 5 La Quadrature du Net a du recourir au tribunal administratif pour obtenir ce manuel.
9Une fois les JO terminés, il est à craindre selon les méthodes habituelles en France que les technologies de surveillance qui sont déployées à titre dérogatoire et à titre expérimental pour une occasion exceptionnelle pourraient être ensuite généralisées. Il est prévu qu’un bilan doit être tiré de l’utilisation à grande échelle pour les JO de cette « expérimentation ». Nous verrons. Mais comme celle-ci peut-être prolongée jusqu’en 2025 officiellement, cette tentative sera étendue à d’autres villes3. À Marseille, le marché public prévoit d’acheter et d’installer le logiciel Briefcam4. La ville de Moirans, en Isère, a décidé de se doter de ce même logiciel. La Quadrature du Net a fait une demande Cada auprès de la commune pour obtenir le manuel d’utilisation. Celle-ci a refusé, prétextant ne pas y être autorisée en raison du secret des affaires5.
10Le gouvernement lui-même avait entrepris de proposer une discussion d’une proposition de loi à l’Assemblée nationale (avant la dissolution de celle-ci) sur le développement de caméras intelligentes (système de type VSA) dans les transports en commun, justifié par les problèmes de sécurité dans les espaces publics.
11Une fois ces mesures d’urgence et d’exception introduites, le retour à la situation précédente est problématique car de nouveaux événements justifieront ces nouvelles méthodes de lutte anti-terroristes. Ainsi en France, le fichier FNAEG (Fichier national automatisé des empreintes génétiques) qui était simplement destiné aux délinquants sexuels et qui, en 2022, concernait 3 902 471 personnes après diverses extensions des causes permettant d’y inclure l’ADN. Depuis les JO de Tokio en 2021, la police japonaise a recours systématiquement à la VSA. Des supermarchés l’installent également. Le Royaume-Uni a généralisé la vidéosurveillance dans les villes et essaie d’utiliser la reconnaissance faciale pour arrêter des suspects. La Chine est le premier pays du monde à adopter un système de surveillance de masse connecté. La surveillance par reconnaissance faciale concerne l’entrée des lieux clos comme les cités d’habitation, les entreprises, en particulier au Xinjiang pour surveiller les Ouïghours. Qu’est-ce qui nous attend dans les années qui viennent ?
Notes
1 Organisations participant à l’OLN : Le CECIL, Creis-Terminal, La Ligue des Droits de l’Homme (LDH), La Quadrature du Net (LQDN), Le Syndicat des Avocats de France (SAF), Le Syndicat de la Magistrature (SM).
2 Le ministère de l’Intérieur veut améliorer le logiciel de traitement d’analyse des photos du TAJ en rapprochant celles enregistrées de face et certains signes particuliers connus d’une personne (cicatrices, tatouages …). Jean-Marc Manach, Next, média indépendant.
3 485 caméras au cours des JO (Préfecture de Police + RATP) analysées par le logiciel CityVision (de l’entreprise Wintics). Utilisées à partir du 29 juillet. Le Monde, 16/08/2024.
4 Briefcam est un système informatique de vidéosurveillance algorithmique utilisant des fonctionnalités telles que la reconnaissance faciale. Ce système est édité par la société israélienne Briefcam, propriété du groupe Canon.
5 La Quadrature du Net a du recourir au tribunal administratif pour obtenir ce manuel.
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Référence électronique
Jacques Vétois, « Surveillance et Jeux olympiques et paralympiques », Terminal [En ligne], 138 | 2024, mis en ligne le 17 septembre 2024, consulté le 14 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terminal/9719 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12dkd
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