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Bloc-notes

Contre-atlas de l’intelligence artificielle

Bernard Prince
Référence(s) :

Kate Crawford, Contre-atlas de l’intelligence artificielle, traduit de l’anglais (Australie) par Lautent Bury, Éditions Zulma Essais, mars 2022.

Texte intégral

  • 1 Kate Crawford est une chercheuse australienne (née en 1974), spécialiste des implications politique (...)

1Le Contre-atlas de l’intelligence artificielle de Kate Crawford1, traduit de l’anglais (Australie) par Lautent Bury - Sorti aux Editions Zulma Essais en mars 2022 est, semble-t-il, passé sous les radars de Terminal. Pourtant, c’est un livre à recommander, facile à lire quoique extrêmement bien documenté.

« Là où de nombreux essais n’abordent qu’une seule facette de l’IA – biais, algorithmes, travailleurs du clic, pollution invisible –, le grand mérite du Contre-atlas est d’aborder toutes ces dimensions et de les relier politiquement. »

2Où et comment l’intelligence artificielle est-elle fabriquée ? Qui la finance et qui sert-elle ? L’IA est une industrie vorace en ressources naturelles, logistiques et humaines. Elle n’a en fait pas grand-chose d’« artificiel ». Le livre montre comment développée et conçue sans contrôle ni évaluation, sans critères de justice ni d’éthique, elle conserve les stigmates indélébiles des premières bases de données qui l’ont alimentée et perpétue irrémédiablement toutes sortes de biais discriminatoires.

3L’IA renforce la toute-puissance des géants de la tech et des institutions qui l’adoptent. Elle est le reflet du pouvoir, l’expression d’un nouveau colonialisme qui détermine la façon dont le monde est mesuré et défini tout en niant qu’il s’agisse d’une activité intrinsèquement politique.

« Ce que je suggère, c’est qu’il nous faut trouver une nouvelle manière de comprendre les empires de l’intelligence artificielle… qui rende compte des États et des entreprises qui la pilotent et la dominent, de l’extraction minière qui laisse sa marque sur la planète, de la captation massive des données et des pratiques de travail et toujours plus exploitatrices qui l’entretiennent. »

4À travers six enquêtes approfondies, Kate Crawford déploie une cartographie exhaustive de l’IA : ses coûts et ses impacts environnementaux, sociaux et politiques.

  1. La Terre : l’IA est exigeante en terres rares, en pétrole, en charbon, cette extraction n’est jamais assumée.

  2. La main-d’œuvre (sur-exploitée) : des microtâches numériques à l’organisation de tâches industrielles,

  3. Les données : au-delà des graves questions liées à la vie privée et au capitalisme de surveillance... sérieuses inquiétudes d’ordre éthique, méthodologique et épistémologique.

  4. La classification : permet de prédire l’identité humaine sur la base d’une conception binaire des genres, de catégories raciales essentialisées et d’évaluation problématique de la personnalité et de la solvabilité...

  5. Les affects : comment sans fondement scientifique, la reconnaissance des affects par reconnaissance faciale est mise en place dans les systèmes d’embauche, dans l’éducation et dans les forces de l’ordre (aéroports, stades...).

  6. L’état : La dimension militaire, passée et présente de l’IA, a façonné les pratiques de surveillance, d’extraction des données et d’évaluation du risque. Elle fait à présent partie du fonctionnement des administrations. L’IA fonctionne en tant que structure qui combine infrastructure, capital et travail.

5Pour Kate Crawford « Il nous faut aborder l’IA en tant que force, politique, économique, culturelle et scientifique… Il nous faut relier les questions de pouvoir et de justice : de l’épistémologie au droit du travail, de l’extraction des ressources à la protection des données, de l’inégalité raciale au changement climatique. »

6Le tout est suivi d’une importante bibliographie.

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Notes

1 Kate Crawford est une chercheuse australienne (née en 1974), spécialiste des implications politiques et sociales de l’intelligence artificielle. Elle est connue pour ses travaux sur les effets sociaux du numérique, et notamment du big data et de l’intelligence artificielle. Professeure honoraire de l’Université de Sydney et chercheuse principale chez Microsoft Research à New York, elle enseigne à l’USC Annenberg de Californie. En 2019, elle est invitée par la Fondation Abeona* pour inaugurer la chaire IA et Justice sociale à l’École normale supérieure de Paris, où elle codirige un groupe de travail international sur les fondements de l’apprentissage automatique. En vingt ans de carrière, elle s’est également impliquée dans des projets de création ultra-novateurs et souvent primés. Anatomy of an AI System, avec Vladan Joler, a remporté le prix Beazley Design of the Year et rejoint la collection permanente du MoMA de New York et du V&A de Londres. Training Humans, conçue avec l’artiste Trevor Paglen, a été la toute première grande exposition d’images qui alimentent l’IA, et leur projet d’investigation Excavating AI a été couronné du prix Ayrton de la British Society for the History of Science. Elle a aussi été musicienne dans le groupe de musique électronique B(if)tek.

*. Engagée pour une IA responsable, la Fondation Abeona est un collectif de personnalités engagées pour une approche résolument humaine et responsable de l’intelligence artificielle dans une démarche partenariale. Elle porte à l’échelle mondiale l’intelligence collective au service des citoyens, des entreprises et des décideurs publics, pour tracer le chemin d’une transition numérique durable et inclusive. Elle est notamment à l’origine de la création de la chaire IA et Justice Sociale à l’ENS, dont la première invitée a été Kate Crawford, co-fondatrice du AI Now Institute à New York.  La fondation a également lancé en partenariat avec OpenClassrooms et l’Institut Montaigne Objectif IA, un MOOC sur les risques et opportunités de l’intelligence artificielle, qui a déjà été suivi par plus de 250 000 personnes.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Bernard Prince, « Contre-atlas de l’intelligence artificielle »Terminal [En ligne], 137 | 2023, mis en ligne le 20 mars 2024, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terminal/9477 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terminal.9477

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Auteur

Bernard Prince

Membre du comité de rédaction de Terminal

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