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Crypto-actifs : déboires financiers, turpitudes juridiques et réglementations lacunaires

Dominique Desbois

Texte intégral

« La finance est l’art de faire passer l’argent de mains en mains jusqu’à ce qu’il ait disparu », Robert W. Sarnoff

  • 1 La blockchain ou chaîne de blocs est un registre destiné à constituer un historique de transactions (...)

1Selon l’Autorité des marchés financiers (AMF), un crypto-actif désigne une catégorie d’actifs numériques virtuels reposant sur la technologie de la chaine de blocs (blockchain)1 à travers un registre géré de façon décentralisé et un protocole informatique basé sur des techniques cryptographiques. Les crypto-actifs sont parfois improprement appelés crypto-devise ou crypto-monnaie car ils ne possèdent pas vraiment les attributs fonctionnels d’une devise ou d’une monnaie qui sert non seulement d’unité de compte mais aussi de réserve de valeur et d’intermédiaire pour les échanges.

2Le marché des crypto-actifs est soumis à des fluctuations de grande ampleur qui ne sont pas exceptionnelles : en un an, les volumes d’échange ont été divisés par trois pour revenir à un étiage de l’ordre du milliard de dollars états-uniens (US$). La volatilité des actifs numériques cryptés s’explique aussi par des chocs externes comme la création de nouvelles crypto-devises, leur autorisation ou interdiction (ainsi, le cours du bitcoin a plongé le 7 septembre 2021, jour de son adoption comme « monnaie autorisée » par le Salvador), des réglementations disparates et bien d’autres facteurs internes.

  • 2 En raison de la limite au total d’émissions imposée à la création d’une crypto-devise, la rémunérat (...)

3Parmi ces facteurs internes, citons la difficulté d’évaluation des crypto-devises en l’absence d’actifs monétaires de contrepartie (titres financiers négociables comme les obligations), leur réglementation lacunaire, l’aversion des investisseurs institutionnels ou des facteurs techniques comme le halving2.

Selon les diverses sources et définitions, il y aurait actuellement entre 4 600 et 7 800 crypto-devises en circulation, cependant la capitalisation de ces actifs immatériels peut fluctuer énormément selon l’orientation quotidienne de ce marché (cf. graphique ci-après sur la capitalisation totale et la volatilité sur 24 heures) : après avoir atteint un pic de 2 820 millions d’euros (M€) en 2021, la capitalisation totale s’établit actuellement à environ 940 M€.

Dans une interview donnée au media américain de télévision financière CNBC, Timothy Berners-Lee, père du World Wide Web, lance un avertissement à propos des crypto-devises « C’est purement spéculatif. À l’évidence, c’est vraiment dangereux ». En effet, les crypto-devises sont très loin d’offrir en tant que moyen de paiement les caractéristiques d’une véritable monnaie, en particulier en matière de sécurité mais aussi de coût. Certains banquiers utilisent d’ailleurs le terme de « crypto-actif » plutôt que celui de « crypto-monnaie » pour souligner cette situation. Le risque est considérable pour des opérateurs privés engagés sur ce marché, a fortiori pour les investisseurs individuels. Cependant, il est bien moindre pour les investisseurs institutionnels classiques généralement assez peu exposés et en tous cas, selon le FMI, insuffisamment pour menacer leur stabilité financière et entraver la politique monétaire conduite par les États.

Historique de la capitalisation totale et de la volatilité journalière des crypto-devises

Historique de la capitalisation totale et de la volatilité journalière des crypto-devises

Source : Graphiques du marché global des cryptomonnaies | CoinMarketCap

Le crash de FTX

4Le 11 novembre 2022, la plate-forme d’échange de crypto-devises FTX est placée sous le joug du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites pour organiser sa restructuration suite à son insolvabilité et du chapitre 7 pour la liquidation du groupe FTX-US déclaré dans le Delaware, un État américain réputé pour ses facilités fiscales offertes aux entreprises.

  • 3 Samuel Bankman-Field est le PDG de FTX Group et d’Alameda Research, une société-sœur de trading éle (...)

Le dépôt de bilan du groupe FTX est dû à un crash financier sur le FTT (FTX Token), un jeton numérique propriétaire qui fait office de crypto-devise interne. Ce crash du FTT a été provoqué par un montage financier risqué, FTX sécurisant des emprunts en numéraire classique par des engagements basés sur sa crypto-devise interne. Révélé par l’agence spécialisée CoinDesk, cette pratique risquée pousse alors Binance, une plate-forme concurrente, à mettre en vente le 7 novembre 2022 la totalité de ses jetons FTT. Sur un marché au volume limité de transactions, cette décision brutale entraîne alors une chute drastique de 80 % du cours des jetons FTT suscitant à son tour un retrait d’environ 6 milliards de dollars américains (Md US$) des dépôts financiers effectués sur FTX qui provoque in fine la crise de liquidité pour le groupe fondé par Samuel Bankman-Field3.

  • 4 Récemment, Bankman-Field a été libéré pour être assigné à résidence en Californie contre une cautio (...)

Aux USA, le ministère de la Justice et l’organisme fédéral de contrôle des marchés financiers (Securities and Exchange Commission - SEC) enquêtent sur les prêts consentis par FTX à sa société-soeur en trading, Alameda Research, déclarée aux Bahamas, un paradis fiscal. Le 12 décembre 2022, Bankman-Field est arrêté aux Bahamas pour être extradé vers les États-Unis4. Il y est inculpé pour des délits de fraudes bancaires, de blanchiment et de violation de la loi sur le financement électoral aux USA.

La faillite de FTX n’est pas la première à lézarder la confiance des investisseurs dans les crypto-devises : déjà en 2014, la plateforme japonaise MtGox est confrontée à un piratage de 750 000 bitcoins. Cependant, les deux situations ne sont pas tout à fait semblables : avant sa faillite, FTX ne représentait que 13 % des transactions en crypto-devises alors que MtGox en représentait 46 % en 2014. En tout état de cause, à l’époque, les transactions n’ont stagné que durant une année avant de repartir de plus belle doublant leur volume observé au Japon ce qui n’a pas empêché MtGox de faire faillite ultérieurement en 2018.

Cette faillite de la plate-forme FTX touche particulièrement le continent africain : elle y était la plate-forme la plus utilisée pour l’échange de crypto-devises. Dans un pays comme le Nigeria où le taux annuel d’inflation a dépassé les 20 % en août 2022, FTX proposait un rendement annuel de l’épargne à 8 % et surtout une option de conversion en dollars américains.

Avant sa faillite, le groupe FTX occupait le troisième rang mondial sur le marché des crypto-devises : selon l’agence EcoFin, FTX enregistrait fin juin 2022 une contre-valeur annuelle de plus de 101 milliards de dollars américains en transactions. En janvier 2022, à son apogée, la plate-forme d’échange de crypto-devises était valorisée à hauteur de 32 Md US$. L’effondrement de FTX n’est pas sans conséquences sur le cours des cryptomonnaies : le bitcoin a chuté alors à son plus bas niveau (17 000 US$) depuis deux ans.

Capitalisation de stable coins publics en circulation

Capitalisation de stable coins publics en circulation

5Source : Gordon Y. Liao, John Caramichael, Board of Governors of the Federal Reserve System, 2022.

Des stable coins vulnérables

  • 5 Le collatéral financier est l’ensemble des actifs (liquidités ou titres) apporté en garantie par le (...)

6Les stable coins sont des devises virtuelles censées servir de refuge de valeur grâce à une variabilité très faible de leurs cours, obtenue à partir de mécanismes d’indexation sur d’autres actifs. Les stable coins centralisés comme Tether sont basés sur des collatéraux5 financiers tangibles (dollars ou obligations) tandis que les stable coins décentralisés comme Dai le sont sur des paniers de crypto-monnaies allouées via un mécanisme de « sur-collatéralisation » (pour frapper un Dai, il faut allouer 1,5 dollar US en crypto-monnaies). Néanmoins, le développement des stable coins pourrait avoir des impacts systémiques car ils demeurent porteurs de risques opérationnels qui génèrent des vulnérabilités juridiques et financières selon le rapport 2019 du G7. En effet, ils représentent désormais 80 % des transactions du marché au comptant des crypto-actifs.

Pour illustrer cette vulnérabilité financière, examinons les déboires de l’un de ces stables coins : le TerraUSD, un stable coin « décentralisé » indexé sur le dollar US via un algorithme d’échange avec la crypto-devise Luna, a soudain dévissé en mai 2022 après s’être classé au quatrième rang de ces crypto-actifs, derrière Tether, USD Coin et Binance. En une semaine, TerraUSD a perdu 80 % de sa valeur. Malgré un mécanisme de rachat, la société Luna, gestionnaire du jeton homonyme appariée à TerraUSD, n’a pas réussi à maintenir la parité avec le dollar US. Précédemment, dans un contexte de marché dépressif à la volatilité accrue, plusieurs investisseurs avaient décidé de se séparer simultanément de leurs crypto-actifs en particulier de leurs bitcoins. Cette décision a déprécié d’environ 15 % le bitcoin qui est alors passé sous la barre des 30 000 US$. Asséchant le portefeuille d’actifs de Luna, la dépréciation a provoqué une première chute du TerraUSD à 0,65 US$ puis très rapidement à 0,22 US$ provoquant un crash financier d’un montant estimé à 40 Md US$.

En transit pour Dubaï, Kwon Do-hyeong, PDG de Terraform Labs et créateur du TerraUSD, vient d’être arrêté en compagnie de son directeur financier à l’aéroport monténégrin de Podgorica, ce 23 mars dernier, les fugitifs étant munis de faux passeports costaricains et belges. Il est poursuivi pour fraude financière par les autorités sud-coréennes, singapouriennes et américaines. La SEC lui reproche notamment un retrait personnel de 10 000 bitcoins, soit 250 M€ au cours actuel. Selon Gurbir Grewal, directeur de la division Application des lois à la SEC dans son acte d’accusation « l’écosystème Terraform n’est ni décentralisé, ni financier. Il s’agit simplement d’une fraude soutenue par un soi-disant « stable coin » algorithmique - dont le prix était contrôlé par les accusés et non par un programme, quel qu’il soit ».

D’autres perturbations se profilent à l’horizon : dans un système financier dopé par des taux d’intérêt très faibles, la hausse des taux d’intérêt par les banques centrales pour juguler l’inflation peut avoir des conséquences délétères pour certains actifs. Les remontées successives du taux directeur de la Réserve fédérale des USA ont déprimé la valeur de marché des actifs obligataires détenus par la Silicon Valley Bank (SVB), une banque finançant les investisseurs en capital-risque sur des projets high-tech. Lestée par la baisse de ses obligations du Trésor américain, la SVB n’a pu faire face aux retraits de ses clients ayant des dépôts supérieurs au plafond garanti (250 000 US$) par l’Assurance fédérale des USA.

7La valeur cumulée des stable coins en circulation est passée de 5,7 Md US$ en 2020 à 157 Md US$ à fin 2021. En juin 2022, il était de 150 Md US$ sur une capitalisation totale pour les crypto-actifs de 800 Md US$. Si on les rapporte à ceux de la bourse de New-York (25 000 Md US$) ou du marché de l’or (11 000 Md US$), ces niveaux de capitalisation n’impliquent pas forcément de risque systémique. Cependant, tout risque de contamination ne saurait être exclu : suite à l’effondrement du FTX, le bitcoin et l’ether ont chuté respectivement de 21 % et de 23 %. Ainsi, en juin 2022, le bitcoin est passé sous la barre des 21 000 US$ après avoir atteint un record historique de près de 69 000 US$ au mois de novembre précédent. Les plates-formes d’échange de crypto-devises Coinbase, Gemini et Crypto.com ont alors annoncé des licenciements massifs. Bien que le mécanisme n’ait pu être élucidé jusqu’ici, la crise du FTX a significativement perturbé la tenue de Tether, stable coin basé sur des actifs obligataires.

8Cependant, l’interconnexion entre la sphère des crypto-actifs et les investissements dans l’économie réelle s’est accrue : une enquête de Goldman Sachs auprès de ses clients fortunés révèle que 40 % d’entre eux possèdent des crypto-actifs. Selon une note de recherche de la Financial Conduct Authority britannique, les utilisateurs de crypto-actifs seraient à 16 % des américains, 12 % des russes, 7 % des sud-africains, et 6 % des britanniques appartenant à la catégorie socio-professionnelle de responsables du secteur économique.

Corrélations temporelles du Bitcoin avec d’autres indices de valeur

Corrélations temporelles du Bitcoin avec d’autres indices de valeur

Source : De Warren G., Trésor-Eco, n° 309, juin 2022.

9Cette contagion du secteur financier par les crypto-actifs est d’autant plus préoccupante que, durant la crise du Covid-19, la corrélation temporelle entre les indices de prix du bitcoin et l’indice Standard & Poor 500 (S&P500) des valeurs boursières de la place de New-York s’est renforcée passant de 0,01 à 0,36. Cela tendrait à montrer que l’interconnexion entre le marché des crypto-actifs et celui des actifs traditionnels se renforce. Aussi, les stable coins pourraient bien ne pas vraiment constituer des valeurs-refuges contre l’inflation, comme certains auraient pu l’espérer.

La face cachée des crypto-actifs

10En tant que directeur du World Wide Web Consortium (W3C), Timothy Berners-Lee propose le concept du Web 3.0, un internet décentralisé qui serait capable de protéger les données personnelles, l’un des « services » offerts par les crypto-devises pour garantir l’anonymat des transactions. Que ce soit dans la sphère publique ou bien privée, si l’offre d’anonymisation des transactions numériques peut paraître louable pour protéger des données individuelles à caractère sensible dans certaines transactions numériques, il n’en demeure pas moins que dans certains contextes l’anonymat des transactions numériques apparaît comme hautement problématique dans le domaine financier comme en certains autres domaines car il sert de facto à dissimuler des activités de nature frauduleuses voire criminelles.

Dès la fin de 2021, Gary Gensler, président de la SEC, affirmait dans un communiqué de presse « Comme d’autres actifs numériques, les stable coins doivent être surveillés pour s’assurer qu’ils ne financent pas des activités criminelles ». De fait, les actifs numériques sont de plus en plus détournés comme support à des fins de blanchiment par la criminalité organisée. En raison de l’opacité de certaines opérateurs financiers, convertir de l’argent sale en crypto-actifs puis reconvertir les actifs cryptés dans une devise ayant cours légal dans le pays ciblé pour l’investissement s’avère une technique efficace pour masquer l’origine illégale des fonds.

Désormais, se multiplient les escroqueries à l’investissement en crypto-actifs alors qu’elles s’opéraient classiquement sur le marché des changes. Le mécanisme de l’escroquerie repose sur des sociétés d’investissement fictives non agréées et des démarchages réalisés en ligne ou par téléphone.

  • 6 Une structure de darknet superpose des réseaux utilisant des protocoles spécifiques d’anonymisation

11 Dans son rapport 2022, TRACFIN, le service de lutte contre le blanchiment d’argent, signale quinze dossiers de paiement multiples en faibles montants effectués en crypto-actifs sur des darknets6 au bénéfice de sites connus pour diffuser des contenus à caractère pédopornographique.

TRACFIN signale également des contournements du gel des avoirs décidé dans le cadre de la crise ukrainienne grâce au recours à des plateformes d’échanges de crypto-actifs établies en France ou à l’étranger en fragmentant la détention d’actifs pour opérer le transfert de crypto-jetons d’une blockchain à une autre.

En 2021, 66 déclarations de soupçon en lien avec des attaques de rançongiciel ont été signalés auprès de TRACFIN, contre 28 en 2020 et 19 en 2019, soit une multiplication par 3,5 en deux ans. Par exemple, des flux bancaires sont émis depuis le compte de la victime à destination d’un prestataire de services en actifs numériques, afin d’obtenir les crypto-actifs nécessaires au paiement de la rançon. Selon le World Economic Forum, 98 % des rançongiciels proposeraient des règlements en crypto-devises. En France, de 2020 à 2021, les attaques par rançongiciels ont augmenté de 41 % et leur montant a progressé de 170 % entre 2019 et 2020. Ces demandes de rançon privilégient les entreprises (68 %) par rapport aux administrations (17 %), particuliers (11 %) et associations (4 %).

  • 7 Répandue surtout dans les cultures du Moyen-Orient et d’Asie, l’hawala (virement) est un système in (...)

Les investigations de TRACFIN révèlent une montée en compétences de la mouvance terroriste en matière de crypto-devises, de plates-formes en pair à pair (finance décentralisée), et d’outils d’anonymisation opérant à partir de réseaux informels basés sur l’utilisation de cartes pré-payés, l’acquisition d’actifs numériques et la mobilisation du système traditionnel de l’hawala7. Enfin, le commerce de crypto-devises est devenu une source de revenus importante pour certains groupes terroristes, dont ceux liés au djihadisme.

La perspective d’un paquet législatif et d’une monnaie digitale européens

  • 8 Loi pour la croissance et la transformation des entreprises, promulguée le 22 mai 2019.

12En France, dès l’ordonnance n° 2016-1635 de décembre 2016, les plates-formes de conversion de crypto-actif en devises ayant cours légal ont eu l’obligation de mettre en place des procédures d’identification et des mesures de vigilance conformes au dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. La loi PACTE8 a encadré les prestations de services relatives aux crypto-devises désormais désignées comme « actifs numériques », en réglementant les offres au public de jetons numériques (ICO - Initial Coin Offering) dès 2019. En 2020, la cinquième directive anti-blanchiment a été transposée après avoir été portée par la France au niveau européen. Désormais, les prestataires de services de conservation de cryptos-actifs, d’achat/vente en monnaie ayant cours légal, d’échange entre actifs numériques (transactions « crypto-crypto »), et de négociation d’actifs numériques ont pour obligation de s’enregistrer auprès de l’Autorité des marchés financiers après avis de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution de la Banque de France.

13Dans le cadre du Système européen de banques centrales, un groupe de travail a examiné la faisabilité de l’émission d’un « euro numérique » sous forme de monnaie digitale de Banque centrale (MDBC) qui pourrait constituer une véritable alternative à l’émission privée de crypto-devises. La Banque centrale européenne (BCE) envisage la création d’une MDBC « de gros », pour les transactions entre banque centrale, banques commerciales et institutions financières, et une MDBC « de détail », disponible pour les transactions effectuées par des particuliers. Ainsi, en juillet 2021, la BCE a ouvert une phase d’instruction d’un projet d’euro numérique susceptible d’aboutir fin 2025-début 2026.

Dans une résolution exprimée en juin 2022, le Conseil européen confère à l’Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux (ALBC) des pouvoirs lui permettant de surveiller directement certains types d’établissements financiers et de crédit, y compris les prestataires de services sur crypto-actifs, s’ils sont considérés comme à risque. D’autre part, les députés européens siégeant en commissions des affaires économiques monétaires et des libertés civiles ont voté en avril 2022 leur soutien au paquet législatif visant à renforcer les règles de l’UE contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

Issu d’une série de mesures relatives à la finance numérique, le futur règlement européen MiCA (Markets in Crypto-Assets) sur les marchés de crypto-actifs propose un cadre réglementaire européen adapté aux crypto-actifs qui ne relèvent pas des règlementations existantes en matière d’instruments financiers. Ce règlement vise à harmoniser les cadres nationaux mis en place jusqu’ici par certains États membres de l’UE, dont celui introduit par la loi PACTE de 2019 qui a instauré en France un régime spécifique pour les offres au public de jetons numériques et les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN).

  • 9 La finance décentralisée est un mode de transactions réalisées avec le moins possible d’intermédiai (...)
  • 10 Formellement définis par Nick Szabo en 1996 dans un article intitulé « Smart Contracts : Building B (...)

14Cependant, les évolutions récentes des crypto-actifs mériteraient qu’on y consacre davantage d’attention afin de renforcer une réglementation qui reste lacunaire au niveau international ainsi que le confesse l’Organisation de coopération pour le développement économique dans un récent document de travail, en particulier en matière de transactions financières décentralisées (Decentralized Finance - DeFi)9 sur les plates-formes en pair à pair (Peer to Peer - P2P) et de jetons non fongibles (Non Fungible Token - NFT) gérés par des contrats « intelligents » (smart contracts)10 qui émergent aux marges des marchés de l’art ou des industries musicales. En effet, basés sur la technologie de la chaîne de blocs, ces contrats « intelligents » intéressent tous les secteurs d/affaires dont le modèle économique est basé sur la perception de redevances, pour leur capacité de désintermédiation supprimant les intermédiaires de confiance, avec malheureusement des risques similaires de masquer des activités frauduleuses ou illégales.

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Notes

1 La blockchain ou chaîne de blocs est un registre destiné à constituer un historique de transactions numériques. C’est une base de données distribuée sans autorité centrale pour le stockage et la diffusion d’informations qui rassemble l’intégralité des transactions effectuées depuis la création de la chaîne de blocs (incluant la première transaction que constitue sa création) qui sont sécurisées sous forme de code numérique cryptographié. Chaque bloc successif répertorie de façon unique les transactions effectuées au cours d’un laps de temps spécifique auquel il est associé. Pour le bitcoin, chaque intervalle temporel dure dix minutes. En règle générale, pour la majorité des cryptoactifs, la blockchain est publique (i.e. forme un réseau ouvert où chacun peut interagir avec le registre).

2 En raison de la limite au total d’émissions imposée à la création d’une crypto-devise, la rémunération du minage (processus de validation des blocs de la chaîne des transactions) est périodiquement divisée par deux pour éviter d’atteindre cette limite provoquant ainsi une contraction de l’offre et donc un renchérissement du cours de la crypto-devise. Contraindre les rendements marginaux des jetons numériques à la décroissance vise à contrarier les tendances à la dévaluation des crypto-devises. En 2016, juste avant son dernier halving, le bitcoin valait 600 US$ alors qu’elle a atteint près de 14 000 US$ en décembre 2017 pour revenir à 3 000 US$, un an après.

3 Samuel Bankman-Field est le PDG de FTX Group et d’Alameda Research, une société-sœur de trading électronique. Avant la faillite du groupe, sa fortune personnelle culminait à 26 Md US$ selon le Bloomberg Billionaires Index qui l’estime aujourd’hui réduite pratiquement à néant.

4 Récemment, Bankman-Field a été libéré pour être assigné à résidence en Californie contre une caution de 250 millions de US$.

5 Le collatéral financier est l’ensemble des actifs (liquidités ou titres) apporté en garantie par le débiteur au créditeur pour couvrir le risque de défaut résultant d’opérations financières entre ces deux parties.

6 Une structure de darknet superpose des réseaux utilisant des protocoles spécifiques d’anonymisation.

7 Répandue surtout dans les cultures du Moyen-Orient et d’Asie, l’hawala (virement) est un système informel de transfert international basé sur des halawadars (courtiers) liés par des solidarités familiales ou claniques et un système de mots de passe complémentaires. Originaire d’Inde, ce système traditionnel d’échange (hundi) a émergé à partir du VIIIe siècle pour financer le commerce sur les Routes de la Soie.

8 Loi pour la croissance et la transformation des entreprises, promulguée le 22 mai 2019.

9 La finance décentralisée est un mode de transactions réalisées avec le moins possible d’intermédiaires pour éviter les taxes et commissions liées aux transferts de fonds.

10 Formellement définis par Nick Szabo en 1996 dans un article intitulé « Smart Contracts : Building Blocks for Digital Markets », les contrats dits « intelligents » sont des codes informatiques qui s’exécutent sur des chaînes de blocs selon des conditions prédéfinies. L’exemple le plus commun de contrat « intelligent » est la licence DRM utilisée dans les industries audio-visuelles pour appliquer les conditions de cession entre le vendeur et l’acheteur, interdisant en pratique les réutilisations ou cessions non-autorisées.

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Table des illustrations

Titre Historique de la capitalisation totale et de la volatilité journalière des crypto-devises
Crédits Source : Graphiques du marché global des cryptomonnaies | CoinMarketCap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terminal/docannexe/image/9311/img-1.png
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Titre Capitalisation de stable coins publics en circulation
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Titre Corrélations temporelles du Bitcoin avec d’autres indices de valeur
Crédits Source : De Warren G., Trésor-Eco, n° 309, juin 2022.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terminal/docannexe/image/9311/img-3.png
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Pour citer cet article

Référence électronique

Dominique Desbois, « Crypto-actifs : déboires financiers, turpitudes juridiques et réglementations lacunaires »Terminal [En ligne], 136 | 2023, mis en ligne le 15 avril 2023, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terminal/9311 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terminal.9311

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Auteur

Dominique Desbois

Comité de rédaction de Terminal

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