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Bloc-notes

L’industrie, une approche philosophique

David Forest
Référence(s) :

Qu’est-ce que l’industrie ? : une approche philosophique

Pierre Musso, Manucius, 2022, 98 p, 8€

Texte intégral

1Après l’Homo sapiens et l’Homo Faber vient l’« Homo industrialis ». C’est ainsi que le philosophe Pierre Musso désigne l’homme qui « amasse les technologies, pour produire et reproduire des objets et des expériences ». Si l’industrie est omniprésente dans le débat public, entre énième révolution industrielle (« industrie 4.0 » de l’internet des objets) et désindustrialisation, entre progrès et destruction/pollution, son concept est obscurci par des images persistantes. Celles de la mine de Germinal ou la chaîne de production des Temps modernes, observe Musso en introduction de Qu’est-ce que l’industrie (Manucius, 2022) paru dans la collection dirigée par l’auteur sur la modélisation des imaginaires. Poser la question : « Qu’est-ce que l’industrie ? » peut, à première vue, paraître surprenant et intempestif tant elle caractérise notre modernité. Inscrivant sa démarche dans celle de François Dagognet, l’auteur propose un regard philosophique sur l’industrie nourrie d’une approche pluridisciplinaire qui prolonge certains développements de son opus magnum : La religion industrielle (Fayard, 2019). L’industrie, en effet, ne produit pas seulement des objets mais aussi des représentations sociales et un imaginaire puissant.

2Élargir la dimension économique contemporaine du terme suppose d’en dresser la généalogie et d’explorer ses origines. Car polysémique et confondu avec la technique, une « définition claire » lui fait encore défaut. Selon l’auteur, c’est d’abord une « communauté de travail organisée par un imaginaire partagé pour produire, et non un ensemble de techniques mises en œuvre ». L’industrie combine deux dimensions : d’une part, la combinaison de « forces productives », d’autre part, une « foi industrialiste (le progrès, le bien être, la performance, l’utilité ou l’efficacité, etc.) qui unit et oriente cette communauté ». L’industrie serait en réalité un produit dérivé du monachisme chrétien : au sein d’un ordre monastique, les moines suivent une règle dont la plus ancienne est celle de saint Augustin et la plus répandue celle de saint Benoît. Cette règle a pour objet l’organisation rationnelle et la répartition entre le temps de la prière et celui de l’activité humaine. La communauté de travail se transforme par la suite en « manufacture » puis en corporation-usine toujours plus rationnalisée. La « révolution industrielle », notion devenue « concept nodal » du marxisme, puis la « révolution managériale » vont approfondir ce mouvement qui s’achève dans l’hyper-rationalisation des ingénieurs civils. Que l’on songe à F. W. Taylor et ses « principes du mangement scientifique » (1911).

3Qui sont les « philosophes de l’industrie » ? Bacon, Locke, Hume et quelques économistes-philosophes, mais aussi et surtout Claude-Henri de Saint-Simon (1760-1825) et ses disciples (les « saint-simoniens ») dont Musso est le spécialiste, ainsi que les socialistes dits utopiques (Owen, Cabet, Leroux par exemple). Le « monde usinier » peut également être l’objet de mépris que Dagognet fait remonter à Platon. On sait que celui-ci souhaitait interdire au citoyen l’exercice d’une « profession mécanique » (Les Lois, VIII, 846). Si Rousseau a mis en garde contre l’industrialisation, « Il plaide moins pour un retour à “l’état de nature” que contre la plongée dans l’inconnu industriel et machinique ». Enfin, la philosophie de l’industrie est également celle de l’anti-industrialisme, d’Henri Bergson ou Simone Weill, qui à l’heure de la crise climatique suscite un intérêt renouvelé.

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Pour citer cet article

Référence électronique

David Forest, « L’industrie, une approche philosophique »Terminal [En ligne], 136 | 2023, mis en ligne le 15 avril 2023, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terminal/9304 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terminal.9304

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Auteur

David Forest

Maître de conférences HDR associé à l’université Panthéon-Sorbonne

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